Les règles du débat / Divers

Affaires en instance judiciaire : affaire civile : travaux des subsides

Débats, p. 6819-6820

Contexte

Le 8 juin 1987, lors d'une journée consacrée à l'étude des subsides, au début de la période réservée aux ordres émanant du gouvernement, M. Doug Lewis (secrétaire parlementaire du vice-premier ministre et président du Conseil privé) invoque le Règlement au sujet du libellé d'une motion de l'opposition présentée par l'hon. Edward Broadbent (Oshawa) et appuyée par M. Nelson Riis (Kamloops­ Shuswap). Il signale à la présidence que la motion contient deux propositions distinctes, l'une qui porte sur les droits des Canadiens du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest et l'autre qui demande la tenue d'une conférence des Premiers ministres sur les droits des autochtones. Il s'inquiète que la première partie de la motion traite des droits constitutionnels des Canadiens vivant dans le nord du pays, une question actuellement en instance devant un tribunal. Il demande que la motion soit scindée et que la Chambre débatte la dernière partie de la motion traitant d'un projet de conférence des Premiers ministres. D'autres députés interviennent également à ce sujet[1]. Le Président rend sa décision sur-le-champ. Celle-ci est reproduite intégralement ci-dessous.

Décision de la présidence

M. le Président : Dans le but de ne pas retarder le débat, la présidence a décidé de statuer immédiatement au lieu de réserver sa décision.

Pour la gouverne des députés et des Canadiens qui suivent nos délibérations, je veux être certain que tout le monde comprenne bien la question en cause. Il peut toujours arriver que cette question soit soulevée à la Chambre, surtout au sujet d'une affaire dont la Chambre discute et dont les tribunaux sont actuellement saisis.

Je tiens à dire dès le départ que l'honorable secrétaire parlementaire soulève une question qui préoccupe les députés et au sujet de laquelle la présidence a déjà eu l'occasion de donner son avis par le passé. Afin que tout soit bien clair, je vais lire le texte de la motion. M. Broadbent, appuyé par M. Riis, propose :

Que le gouvernement tente de rétablir les droits existants des Canadiens du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest dans l'entente constitutionnelle de 1987 et [à s'engager] en outre à tenir une conférence des premiers ministres qui portera sur les intérêts des autochtones et en particulier sur l'autonomie politique.

L’honorable secrétaire parlementaire a fait remarquer notamment que le gouvernement estime, et je pense répéter assez exactement ses paroles, n'avoir jamais restreint les droits des Canadiens du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest. C'est fort possible, mais il y a là, bien entendu, matière à débat. Cependant, j'ai pris note de l'argument de l'honorable secrétaire parlementaire.

Si, depuis des siècles, les Présidents de la Chambre mettent en garde les députés, en se fondant sur les commentaires éclairés de procédure, à l'occasion de débats sur des questions en instance devant les tribunaux, c'est, bien entendu, essentiellement pour protéger les droits des personnes en cause. Là encore, afin que tous les députés et les Canadiens le comprennent bien, je voudrais vous reporter au commentaire 335 de la cinquième édition de Beauchesne, que voici :

On attend des députés qu'ils évitent d'évoquer des questions en instance devant les tribunaux ou les cours dites « d’archives ».

Il ne fait aucun doute qu'en l'occurrence, les mesures prises à l'égard du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest sont en instance devant une cour « d’archives ». Je poursuis la citation du commentaire :

Cette convention a pour but de protéger à la fois les parties aux affaires en instance d'introduction ou de jugement et toutes les personnes qui risquent d'être touchées par la conclusion d'une action en justice. Il s'agit là d'une contrainte à laquelle la Chambre s'assujettit elle-même dans l'intérêt de la justice et de l'équité.

Voici ce que prévoit le commentaire 336 :

La convention en question a été appliqué ne varietur aux affaires pendantes devant les tribunaux répressifs.
En ce qui concerne ces affaires pénales la jurisprudence est claire. Il n'est jamais permis d'évoquer les affaires en cours avant le prononcé du jugement. [...] Elle s'applique derechef dès formation de l'appel.

De l'avis de la présidence, il ne s'agit manifestement pas d'une affaire pénale. Je lis maintenant le commentaire 337 :

1) En ce qui concerne les affaires civiles il n'existe encore aucun usage établi; retenue dans certains cas la convention ne l'a pas été dans d'autres.
2) La convention en matière civile, ne commence à s'appliquer qu'au moment où l'affaire est effectivement en instance.

Chacun sait, je pense, même si la règle de Beauchesne  s'appliquait  en  l'occurrence, que l'affaire n'en est pas effectivement en instance.

Je signale également aux députés le commentaire 479(2) de Beauchesne. Le voici:

La liberté de choix de l'opposition en ce qui concerne les sujets à débattre pendant les journées qui lui sont réservées étant considérable on ne saurait y porter atteinte, en application du Règlement, que pour les motifs les plus graves et les moins contestables.

En l'occurrence, la question qui a été soulevée va susciter un débat public et de nombreux commentaires de part et d'autre. Aucun procès n'a encore été entamé et si cette question fait un jour l'objet d'un procès, elle sera certainement considérée comme une affaire civile.

C'est pourquoi les arguments s'opposant à la poursuite du débat ne sont pas valables, sur le plan de la procédure, pour inciter la présidence à passer outre au commentaire 479(2) selon lequel on ne peut porter atteinte à la liberté de choix du sujet à débattre pendant une journée d'opposition, si ce n'est pour les motifs les plus graves et les moins contestables, sur le plan de la procédure.

Cela dit, je sais que les députés n'hésiteront pas à appuyer les suggestions et les recommandations que j'ai faites par le passé au sujet des commentaires portant sur des affaires en instance devant les tribunaux. J'ai exhorté les députés à être très prudents et à respecter les principes fondamentaux de la Chambre. Je veux que les députés comprennent bien que rien de ce que je dis en rendant cette décision, ne restreint de quelque façon la nécessité absolue pour tous les députés de protéger attentivement les droits de tout citoyen qui est partie à une action en justice, surtout, bien entendu, s'il s'agit d'une affaire pénale, ce qui n'est pas le cas.

Je remercie le secrétaire parlementaire d'avoir soulevé une question qui mérite l'attention de la Chambre et de la présidence. Je regrette de ne pas avoir eu le temps, compte tenu des circonstances, de rendre une décision aussi approfondie que je l'aurais souhaité en l'occurrence, mais dans ces conditions, la présidence va autoriser la tenue du débat ce matin.

F0715-f

33-2

1987-06-08

[1] Débats, 8 juin 1987, p. 6817-6819.