Les règles du débat / Divers

Documents; exigence requise pour le dépôt d'un document cité; définition de « cité »

Débats, p. 14787-14788

Contexte

Le 28 mars 1988, après la période des questions, M. Les Benjamin (Regina-Ouest) invoque le Règlement pour demander au Président de vérifier les « bleus » afin de déterminer si l'hon. John Crosbie (ministre des Transports) devrait être tenu de déposer ce que le député appelle « les études de rationalisation du Canadien National concernant les ateliers de Moncton ». Il fait valoir que le ministre a cité un extrait de ce document en répondant à une question de M. Jack Harris (Saint-Jean-Est) au cours de la période des questions. M. Richard Grisé (secrétaire parlementaire du vice-premier ministre et président du Conseil privé) indique qu'il va vérifier les « bleus » et signaler l'affaire à M. Crosbie. Le Président déclare qu'il examinera cette question, mais mentionne par ailleurs que M. Benjamin avait lui-même indiqué que le ministre n'avait pas cité les documents[1].

Le 29 mars 1988, après la période des questions, M. Benjamin soulève une question de privilège afin de pousser plus loin l'affaire. Il donne alors plusieurs définitions du verbe « citer » puisées dans divers dictionnaires et soutient que le ministre a cité les « études du CN » en trois occasions. Il est d'avis que le fait de citer ces études de rationalisation des ateliers de Moncton oblige le ministre à les déposer. Il prétend également que le ministre a fait état de renseignements contenus dans ces études. Il termine son exposé en disant au Président que son raisonnement n'est peut-être pas conforme à la procédure établie, mais qu'il fallait créer un précédent dans ce cas-ci.

M. Crosbie réplique que lorsqu'il a répondu à M. Harris, la veille, il n'avait « entre les mains aucune étude du CN, aucun rapport ni aucune lettre ». Il maintient que si le Président l'obligeait à déposer un document, il serait bien en peine d'en trouver un. Le ministre admet qu'il est au courant d'une étude sur le sujet effectuée il y a plusieurs années par le CN, mais il assure qu'en l'occurrence, il n'en a pas cité d'extraits, et il exhorte le Président à rejeter la demande du député. Le Président prend l'affaire en délibéré[2].

Le 25 avril 1988, le Président rend sa décision qui est reproduite intégralement ci-dessous.

Décision de la présidence

M. le Président: Les 28 et 29 mars dernier, le député a invoqué le Règlement en affirmant qu'en réponse à une question du député de Saint-Jean-Est pendant la période des questions orales du 28 mars, l'ancien ministre des Transports et actuel ministre du Commerce extérieur a cité un document en parlant des « études du CN » et qu'il devait, par conséquent, être tenu de déposer à la Chambre les études de rationalisation du Canadien National relatives aux ateliers de Moncton.

La présidence a examiné les arguments présentés par le député de Regina-Ouest ainsi que la réponse sans équivoque du ministre au moment du recours au Règlement.

La règle sur laquelle la Chambre et la présidence se basent dans ce cas est très claire et précise. On la trouve à la page 433 de la 20e édition du « Parliamentary Practice » d'Erskine May. Beauchesne, 5e édition, la reprend également dans le commentaire 327 :

Il n'est pas permis à un ministre de la Couronne de lire ou citer une dépêche ou autre document d'État qui n'a pas été soumis à la Chambre, à moins qu'il ne le dépose sur le Bureau. […] Il est admis que le document cité doit être déposé sur le Bureau s'il peut l'être sans préjudice de l'intérêt public.

Le commentaire de Beauchesne va encore plus loin, ajoutant ceci :

Ce principe est si raisonnable que personne ne l'a contesté. Par le passé, toute protestation faite à temps dans ce sens a été généralement admise.

Dans leurs interventions, en fait, l'honorable député de Regina-Ouest et le ministre n'ont pas contesté la règle; ils ont uniquement soulevé la question de savoir si le ministre avait effectivement « cité » les « études du CN » et, de la sorte, motivé leur dépôt à la Chambre, conformément à la règle et à l'usage parlementaire reconnus et acceptés.

Le député de Regina-Ouest a, de façon fort compétente, donné à la Chambre, à l’appui de ses arguments, plusieurs définitions des mots « mentionner » et « citer ». Bien que ses observations aient été très convaincantes, la présidence doit quand même se reporter aux pratiques et aux décisions antérieures pour déterminer la définition donnée à ces mots du point de vue de la procédure. La règle que je viens de citer étant généralement acceptée, les différents Présidents ont été pratiquement unanimes dans l'interprétation qu'ils lui ont donnée au fil des ans. Pour qu'un ministre soit obligé de déposer un document, il faut qu'il en ait cité des extraits.

Par exemple, le 16 novembre 1971, M. le Président Lamoureux a dit, comme on peut le voir à la page 922 des Journaux de la Chambre des communes :

En toute justice et d'un point de vue aussi objectif que possible, je ne vois pas comment la présidence pourrait décider ici qu'un document mentionné en passant, mais dont on n'a pas directement extrait une citation, doit être déposé au cours du débat. Je trouve difficile d'en décider affirmativement […]

Si, au cours d’un débat, un ministre […] a effectivement cité un passage d'un document, ce document doit être déposé. Si on ne fait que le mentionner, je ne vois pas d'obligation de le faire déposer.

De plus, le 8 avril 1976, comme en [témoigne] la page 12612 du Hansard, M. le Président Jerome a donné la même interprétation en affirmant que l'obligation de déposer un document:

[...] ne s'applique certainement pas lorsqu'on pose simplement (au ministre) une question sur un document et qu'il y réponde.

Enfin, dans un cas semblable à celui qui nous occupe, M. le Président Bosley a confirmé les  nombreuses  décisions  de  ses  prédécesseurs   en   disant,  le 14 novembre 1984, page 220 du Hansard:

À mon avis, lorsqu'un ministre est interrogé de façon précise au sujet d'un document et qu'il mentionne le document en question dans sa réponse, on peut difficilement l'accuser de chercher à influencer le débat.

Bien que l'honorable député de Regina-Ouest ait prétendu qu'il y avait lieu d'établir des précédents sur ce point, je n'ai pas l'intention de m'écarter des interprétations uniformes de mes prédécesseurs et de donner au terme « citer » une définition nouvelle, différente sur le plan de la procédure.

Quant à savoir si le ministre a effectivement lu une citation tirée d'un document, la déclaration qu'il a faite le 29 mars, d'après laquelle il ne dispose pas d'une telle étude, il ne l'a pas citée et il n'a rien à déposer, est parfaitement claire et doit, d'après nos coutumes, être acceptée telle quelle.

Je dois par conséquent conclure que, le ministre n'ayant pas effectivement cité les « études du CN », il n'est pas obligé de déposer le document en question.

Je voudrais remercier le député de Regina-Ouest de l'occasion qu'il me donne d'éclaircir cet important aspect de notre procédure. Je voudrais également ajouter ceci. Ayant très attentivement écouté et la question et la réponse et ayant très soigneusement examiné les arguments du député de Regina-Ouest, je pense qu'il est juste de dire que les ministres pourraient peut-être prévenir de telles démarches en évitant de donner l'impression à ceux qui leur posent des questions qu'il existe peut-être un document et qu'en posant des questions à la Chambre, on peut essayer de le faire déposer. Je remercie le député et le ministre de leurs interventions.

F0714-f

33-2

1988-04-25

[1] Débats, 28 mars 1988, p. 14192-14193.

[2] Débats, 29 mars 1988, p. 14246-14247.