Le processus législatif / Divers

Projet de loi modifiant d’autres projets de loi dont la Chambre est saisie

Débats, p. 5513-5514

Contexte

Le 22 novembre 1991, M. David Dingwall (Cape Breton—Richmond-Est) invoque le Règlement au sujet du projet de loi C‑35, Loi visant à corriger des anomalies. incompatibilités. archaïsmes et erreurs dans les lois du Canada sur lequel la Chambre se penche à l’étape du rapport[1]. M. Dingwall prétend qu’il faudrait retirer la partie III du projet de loi intitulée « Projets de loi déposés mais non sanctionnés » puisqu’on y mentionne six projets de loi qui se trouvent à diverses étapes du processus législatif à la Chambre. Après avoir entendu les arguments de députés qui proposent d’autres solutions, la vice-présidente (l’hon. Andrée Champagne) affirme qu’elle ne saurait retirer unilatéralement la partie du projet de loi qui est mise en question et suggère que la Chambre passe à la motion d’adoption à l’étape du rapport et amorce le débat en troisième lecture sans mettre la question aux voix tant que la présidence n’aura pas rendu sa décision[2]. La Chambre convient de faire ainsi et le Président rend sa décision le 28 novembre 1991.

Décision de la présidence

M. le Président : Le vendredi 22 novembre 1991, le député de Cape Breton—Richmond-Est a invoqué le Règlement au moment où la Chambre s’apprêtait à amorcer le débat en troisième lecture sur le projet de loi C‑35, Loi visant à corriger des anomalies, incompatibilités, archaïsmes et erreurs dans les lois du Canada.

Le député a demandé l’avis de la présidence concernant la partie III du projet de loi, intitulée « Projets de loi déposés mais non sanctionnés ». Cette partie renferme des amendements visant six projets de loi qui en sont à diverses étapes du processus législatif.

D’une façon plus précise, il est proposé de modifier certaines dispositions du projet de loi C‑3, qui a franchi l’étape de la troisième lecture à la Chambre vendredi dernier; du projet de loi C‑4, qui est inscrit au Feuilleton (troisième lecture); du projet de loi C‑18, qui se trouve maintenant devant le Comité permanent des finances; du projet de loi C‑19, qui est inscrit au Feuilleton (troisième lecture); du projet de loi C‑22, qui est maintenant devant le Comité permanent de la consommation et des corporations et de l’administration gouvernementale; et du projet de loi C‑26, qui attend l’étape de la deuxième lecture à la Chambre.

La présidence remercie le député de Cape Breton—Richmond-Est, le député de Kamloops (M. Nelson Riis) et le secrétaire parlementaire et député de Cariboo—Chilcotin (M. Dave Worthy) de leurs interventions de vendredi dernier. Je les remercie aussi de leur coopération pour avoir permis que le débat commence en attendant la décision de la présidence sur cette question. Je suis maintenant prêt à rendre une décision.

Ce n’est pas la première fois que des députés s’inquiètent de ce qu’un projet de loi à l’étude à la Chambre paraisse dépendre d’autres projets de loi encore à l’étude. Le 8 juin 1988, la présidence a examiné les précédents sur ce sujet, plus particulièrement les décisions du Président Lamoureux du 20 avril 1970 et du 24 février 1971 et celle du vice-président McCleave du 5 février 1973[3].

Le Président Lamoureux avait jugé qu’il n’y avait rien de mal, du point de vue de la procédure, à ce que la Chambre étudie en même temps des projets de loi parallèles ou liés, pouvant être en contradiction les uns avec les autres, du point de vue des dispositions de la mesure législative proposée comme telle, ou des amendements proposés. En conséquence, le Président Lamoureux avait déclaré que les motions à l’étape de la deuxième lecture pouvaient être acceptées, étant donné que la Chambre ne donnait pas son approbation définitive aux projets de loi en question.

Toutefois, la Chambre doit aujourd’hui donner son approbation définitive en ce qui a trait au projet de loi C‑35 et la présidence doit déterminer si l’on peut passer à la troisième lecture de ce projet de loi, étant donné que la partie III de cette mesure législative modifie six projets de loi qui se trouvent actuellement à diverses étapes du processus législatif.

Dans le cadre de son examen minutieux de la partie III du projet de loi C‑35, la présidence a étudié les témoignages fournis devant le Comité permanent de la justice et du Solliciteur général le 19 novembre 1991, alors que des membres du Comité cherchaient à obtenir des représentants du ministère de la Justice des éclaircissements sur l’objet de la partie III[4].

Permettez-moi d’abord de dire que j’ai été consterné devoir qu’une décision rendue le 8 juin 1988 a été interprétée à tort comme donnant carte blanche à la rédaction de mesures législatives complexes par le biais d’une approche interdépendante. On a dit au Comité qu’en 1988, le Président avait décidé que l’inclusion de ces dispositions était tout à fait acceptable.

Une lecture attentive de la décision rendue en juin 1988 révèle plutôt que la présidence a autorisé la deuxième lecture du projet de loi C‑130 malgré les objections soulevées relativement à des renvois conditionnels aux projets de loi C‑60 et C‑110. Quoi qu’il en soit, ce sont les événements qui ont décidé dans ce cas. Aucune objection n’a été soulevée à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C‑130 et, au moment de la dissolution du Parlement, les projets de loi C‑60 et C‑110 avaient reçu la sanction royale, tandis que le projet de loi sur le libre-échange est mort au Feuilleton.

Je tiens à dire clairement que, selon nos recherches, la présente situation, caractérisée par des objections soulevées à l’étape de la troisième lecture, est sans précédent.

De même, dans sa décision du 8 juin 1988, la présidence a déclaré que « l’usage qui consiste à présenter un projet de loi qui en modifie un autre dont la Chambre est encore saisie ou qui n’a pas encore reçu la sanction royale, est acceptable ». Cependant, conformément à la mise en garde déjà exprimée par le Président Lamoureux, la présidence a exprimé la réserve que « si à l’étape de la troisième lecture, certaines circonstances faisaient que la Chambre était encore saisie du projet de loi qui modifie l’autre, je serai disposé à m’en tenir à la décision du Président Lamoureux et à entendre d’autres arguments à ce sujet ».

C’est précisément la situation qui est la nôtre aujourd’hui.

Après avoir étudié avec soin le libellé de la partie III du projet de loi C‑35, la présidence a de graves réserves quant à cette façon de procéder, car, à la limite, la Chambre se retrouverait dans une position peu enviable, celle de légiférer de manière hypothétique. Par exemple, l’article 157 du projet de loi C‑35 propose de modifier le projet de loi C‑3 qui vise à prévenir un anachronisme. Il modifie en effet la définition de ministère au projet de loi C‑3, qui est faite uniquement par renvoi aux dispositions de la Loi sur la gestion des finances publiques, dont le texte est modifié par le projet de loi C‑35.

Si la définition qui figure maintenant au projet de loi C‑3 demeurait et que le projet de loi C‑35 était adopté sans l’article 157, le projet de loi, au moment de son adoption, contiendrait un renvoi anachronique à la Loi sur la gestion des finances publiques.

Cela dit, la présidence comprend jusqu’à un certain point les difficultés des rédacteurs de la loi corrective. Les témoignages que le Comité a recueillis révèlent qu’il s’agit d’un travail constant et pénible et que la longueur même du processus constitue, dans une certaine mesure, un obstacle à sa réussite, comme entreprise globale. Au moment de l’adoption d’un projet de cette nature, d’autres projets à l’étude au même moment peuvent exiger des modifications corrélatives semblables à ce qu’on trouve à la partie III du projet de loi C‑35. Dans le cas du C‑35, et il s’agit d’un facteur crucial aux yeux de la présidence, la Chambre étudie un projet d’ensemble classique visant à corriger des anomalies et des incompatibilités.

Dans leur zèle, les rédacteurs du projet de loi C‑35 ont soumis à la Chambre non seulement des correctifs touchant les lois adoptées, mais aussi, à la partie III, des correctifs visant des dispositions qui, selon toute probabilité, seront adoptées pendant la session en cours. Ces propositions vont-elles à l’encontre des procédures de la Chambre des communes?

La présidence a le devoir de protéger le droit des députés et de la Chambre de prendre des décisions parfaitement éclairées sur les questions qui leur sont soumises et, en dernière analyse, doit chercher, comme le vice-président McCleave l’a expliqué en 1973, les meilleurs moyens d’assurer la progression logique des travaux sur des projets interdépendants soumis à la Chambre.

Le processus législatif donne aux députés de nombreuses occasions pour amender les mesures proposées, soit au moment de l’étude détaillée au comité, soit à l’étape du rapport à la Chambre.

Pour ce qui est de la partie III du projet de loi C‑35, les députés auraient pu rejeter ou proposer de supprimer l’un des six articles en cause ou l’ensemble de ces dispositions. De plus, à la troisième lecture, la Chambre a une dernière occasion de renvoyer le projet de loi C‑35 au Comité pour une nouvelle étude.

Par ailleurs, la Chambre pourrait décider de ne pas procéder à la troisième lecture du projet de loi C‑35 tant que les six projets visés par la partie III n’auront pas franchi toutes les étapes du processus législatif.

Tous ces moyens permettent aux députés d’éviter de légiférer conditionnellement si cela leur répugne. Il appartient à la Chambre de se prononcer.

Après avoir sérieusement réfléchi aux amendements, qui sont de pure forme, à leurs effets ainsi qu’aux occasions que la Chambre a eues et a toujours de rejeter la partie III du projet de loi C‑35, la présidence n’est pas portée à intervenir pour des motifs de procédure. En conséquence, la présidence statue qu’il n’est pas irrégulier que la partie III du projet de loi C‑35 soit soumise à la Chambre et que le projet de loi C‑35 peut franchir l’étape de la troisième lecture.

Je tiens à ajouter, à l’intention du député de Cape Breton—Richmond-Est, que le point soulevé n’est pas facile, et j’espère que la décision de la présidence sera de quelque utilité à la Chambre. affaire est compliquée et, comme je l’ai dit dans ma décision, cette approche n’est pas parfaitement satisfaisante. J’ai tâché de résoudre de mon mieux un problème très épineux, et je remercie le député de Cape Breton—Richmond-Est d’avoir signalé ce problème à la présidence.

Post-scriptum

La Chambre reprend le débat sur le projet de loi à l’étape de la troisième lecture les 6 et 7 février 1992, et le projet de loi est lu une troisième fois et adopté le 7 février 1992. Adopté par le Sénat, il reçoit par la suite la sanction royale et entre en vigueur le 28 février 1992. Quatre des projets de loi mentionnés à la partie III du projet de loi C‑35, à savoir les projets de loi C‑3, C‑4, C‑18 et C‑19 ont reçu la sanction royale avant même le projet de loi C‑35. Les projets de loi C‑22 et C‑26 n’obtiennent toutefois la sanction royale que le 23 juin 1992 et le 17 décembre 1992 respectivement.

F0510-f

34-3

1991-11-28

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[1] Débats, 22 novembre 1991, p. 5236-5246.

[2] Débats, 22 novembre 1991, p. 5238-5239.

[3] Débats, 20 avril 1970, p. 6047-6048, 24 février 1971, p. 3712, 5 février 1973, p. 972-973.

[4] Comité permanent de la justice et du Solliciteur général, Procès-verbaux et témoignages, 19 novembre 1991, fasc. no 13.