Le processus législatif / Divers

Projets de loi omnibus : recevabilité; titres intégraux

Débats, p. 16252, 16255-16258

Contexte

En 1988, le gouvernement propose de déposer un projet de loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Entre le dépôt de l’avis de motion des voies et moyens et le début du débat à l’étape de la deuxième lecture, plusieurs députés invoquent le Règlement concernant, entre autres, la recevabilité de la motion des voies et moyens, la nécessité de déposer le projet de loi avant la première lecture, la nature d’un projet de loi omnibus, le titre intégral du projet de loi et le fait que le projet de loi modifie d’autres mesures dont la Chambre est encore saisie. Un long débat s’engage sur la procédure. Après avoir entendu les arguments des députés sur une période de plusieurs jours, le Président rend, le 8 juin 1988, une décision d’envergure sur les points soulevés au cours des divers débats.

Parmi les points soulevés :

Le 18 mai 1988, M. Nelson Riis (Kamloops—Shuswap) invoque le Règlement pour faire valoir que le gouvernement n’a pas besoin de déposer un avis de motion des voies et moyens pour mettre en œuvre l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis puisque les amendements proposés n’augmentent en rien le fardeau fiscal des contribuables et qu’une telle motion est susceptible de restreindre la capacité qu’ont les députés de modifier le projet de loi qui en découlera[1]. Après avoir affirmé que le Règlement autorise clairement le ministre à déposer un avis de motion des voies et moyens, le Président prend l’affaire en délibéré. Le 19 mai 1988, le Président entend d’autres observations et décide qu’il serait prématuré de trancher la question sans avoir pris connaissance du contenu du projet de loi[2]. Il procède cependant à la mise aux voix de la motion des voies et moyens (pour laquelle avis a été donné lors de la séance précédente) tout en indiquant que cela ne veut pas dire qu’il ne reviendra pas sur la question.

Le 24 mai, juste avant la mise aux voix de la motion portant première lecture et impression du projet de loi C‑130, Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis d’Amérique, M. Jean-Robert Gauthier (Ottawa—Vanier) invoque le Règlement pour faire valoir que le gouvernement a tort de ne pas demander la permission de présenter le projet de loi même si une motion des voies et moyens a été adoptée puisque le projet de loi s’accompagne également d’une recommandation royale[3]. Le Président s’engage à examiner la question soigneusement mais décide, dans l’intérêt de la Chambre et pour tenir compte des critiques de l’opposition, de procéder immédiatement au vote sur la présentation du projet de loi, suivi, au besoin, d’un vote sur la motion portant première lecture et impression du projet de loi.

Le 30 mai, à la suite d’une entente entre les membres du gouvernement et de l’opposition, un exhaustif débat d’ordre procédural a lieu sur la recevabilité du projet de loi C‑130[4]. L’hon. Herb Gray (Windsor-Ouest) invoque le Règlement pour discuter de divers points relatifs au projet de loi C‑130. Il fait d’abord valoir que ce projet de loi omnibus n’est pas acceptable puisqu’il cherche à modifier 27 lois fédérales actuelles et est « …une mesure fourre-tout inacceptable que la Chambre ne saurait examiner dans sa forme actuelle et qui doit être retirée[5] ». M. Gray s’en prend aussi au titre complet du projet de loi qui devrait, selon lui, mentionner chacune des 27 lois que la mesure cherche à modifier. M. Gray et d’autres députés font valoir que leur capacité de modifier le projet de loi sera limitée du fait que le titre complet ne précise pas les autres lois visées[6]. L’hon. Doug Lewis (ministre d’État et ministre d’État (Conseil du Trésor)) déclare au nom du gouvernement que, comme il ne comporte qu’un seul principe essentiel, qui est de mettre en œuvre l’Accord de libre-échange, le projet de loi est une véritable mesure omnibus[7].

Le 1er juin, le Président entend de nouvelles observations au sujet du caractère omnibus et du titre complet du projet de loi[8]. À la suite de celles-ci, M. Gray poursuit alors son rappel au Règlement concernant la recevabilité du projet de loi en exprimant des inquiétudes au sujet de ses dispositions transitoires et de son utilisation inacceptable pour modifier des projets de loi dont la Chambre est encore saisie[9]. Il prétend que, comme il vise à modifier des projets de loi qui n’ont pas encore été adoptés, le projet de loi C‑130 est irrecevable.

Le Président prend ensuite l’affaire en délibéré et, dans la longue décision qu’il rend le 8 juin, reprend chacun des points soulevés pendant le débat. Les parties de sa décision qui traitent de la motion de voies et moyens en annexe au projet de loi et de la tenue d’un vote pour la présentation du projet de loi figurent au chapitre 6. Les passages qui exposent son raisonnement sur le caractère omnibus du projet de loi, sur l’insuffisance de détails dans le long titre ainsi que sur la recevabilité d’un projet de loi visant à modifier un autre projet de loi à l’étude à la Chambre sont reproduits ci-dessous.

Décision de la présidence

M. le Président : Je suis prêt à rendre ma décision au sujet des arguments présentés il y a quelques jours relativement au projet de loi C‑130. À mon avis, ils étaient excellents.

Je veux informer les députés que la présidence a examiné tous les rappels au Règlement relatifs au projet de loi C‑130, Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange [entre le] Canada [et les] États-Unis d’Amérique. Ceux-ci ont été faits par divers députés les 18 mai, 19 mai, [24 mai], 30 mai et 1er juin. […]

Les discussions se rattachent à cinq grands thèmes : premièrement, la recevabilité de la motion des voies et moyens relative au projet de loi; deuxièmement, l’obligation de demander à la Chambre la permission de présenter un projet de loi fondé sur une telle motion déjà adoptée quand une recommandation royale est jointe au projet de loi; troisièmement, le caractère omnibus du projet de loi; quatrièmement, l’insuffisance du titre du projet de loi, en ce qu’il n’énumère pas toutes les lois qu’il modifie; et, cinquièmement, la question relative au fait que le projet de loi C‑130, projet de loi sur le libre-échange, cherche à modifier certains projets de loi qui n’ont pas encore été adoptés par la Chambre ou reçu la sanction royale.

La présidence a décidé d’examiner les rappels au Règlement selon un ordre thématique par souci de clarté. […] Je voudrais maintenant en venir aux arguments concernant le caractère omnibus du projet de loi C‑130.

Le 30 mai dernier, les députés de Windsor-Ouest, de Winnipeg—Fort Garry (M. Lloyd Axworthy) et de Kamloops—Shuswap ont prétendu que le projet de loi C‑130, qui vise à modifier 27 lois, atteint, selon la formule du Président Lamoureux, « un point où nous outrepassons ce qui est acceptable du strict point de vue parlementaire ».

L’honorable député de Windsor-Ouest estime, quant à lui, qu’il ne faut pas se fier à la décision rendue en 1982 par le Président Sauvé à propos du projet de loi sur la sécurité énergétique, car cette « décision était si brève qu’elle semblait avoir été prise d’avance ». Il a également parlé de la crise provoquée en 1982 par le projet de loi sur la sécurité énergétique, à l’issue de laquelle le gouvernement avait proposé une motion adoptée par la Chambre visant à diviser le projet de loi en plusieurs mesures législatives. L’honorable député propose à la présidence de se fonder sur cette décision pour créer un précédent concernant la division d’un projet de loi par voie de décision du Président.

L’honorable député de Kamloops—Shuswap a voulu faire un parallèle entre la décision, prise le 15 juin 1964, au cours du débat sur le drapeau, par le Président Macnaughton au sujet de la disjonction d’une résolution, et la division du présent projet de loi. Il a fait référence au commentaire 415(1) de la cinquième édition de Beauchesne, qui habilite effectivement le Président à disjoindre une motion contenant « deux propositions ou plus ».

En tentant de résoudre les questions concernant ce projet de loi et les projets de loi omnibus de façon générale, je pense qu’il pourrait être utile d’en donner une définition; il ne semble pas y en avoir dans les ouvrages de procédure, et la définition la plus exacte que la présidence ait trouvée et acceptée est celle qu’a proposée l’honorable député de Windsor-Ouest et qui figure à la page 15880 du Hansard du 30 mai 1988; voici ce qu’il a déclaré :

La défense essentielle de la procédure omnibus, c’est que le projet de loi en question, bien qu’il cherche à créer ou à modifier beaucoup de lois disparates, a en fait un seul principe de base et un seul objet fondamental qui justifie toutes les mesures envisagées et qui rend le projet de loi intelligible à des fins parlementaires.

La présidence est reconnaissante à l’honorable député de Windsor-Ouest pour ces paroles, car elles m’ont beaucoup aidé à prendre ma décision; j’estime en effet que sa définition résistera à l’épreuve du temps et qu’elle rendra service à la Chambre et aux titulaires du fauteuil pour les années à venir.

Il serait peut-être utile pour la Chambre d’examiner les différences entre le projet de loi de 1982 sur la sécurité énergétique et le projet de loi C‑130 dont la Chambre est maintenant saisie.

En 1982, le projet de loi C‑94, Loi de mise en œuvre du Programme énergétique national[10], était un projet d’application, par l’entremise de diverses lois, de la politique énergétique nationale du gouvernement d’alors. La portée de cette politique était fixée par des critères et des paramètres établis par le Cabinet de l’époque. Elle souleva beaucoup d’opposition, de nombreux députés s’élevant contre certaines parties du projet de loi ou de la politique; la crise qui suivit aboutit finalement à la disjonction du projet de loi en divers textes de loi avec l’assentiment de la Chambre et, je tiens à souligner, que ce n’était pas suite à un ordre du Président.

Le projet de loi C‑130, Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis d’Amérique, comme l’ont souligné le ministre d’État (Conseil du Trésor) et le secrétaire parlementaire du ministre de Commerce extérieur (M. John McDermid), a pour fondement un traité international et déjà public conclu par le Canada et les États-Unis, et il renferme les dispositions législatives qui rendent ledit traité exécutoire en droit. Il vise à donner force de loi à cet accord, et à le mettre en œuvre; c’est l’objet unique de ce projet de loi et celui qui justifie la juxtaposition de textes apparemment disparates.

Il est intéressant de noter que le projet [de loi] C‑130 ne crée néanmoins aucune nouvelle loi. Quelle que soit la portée de l’Accord de libre-échange canado-américain, il est clair qu’il encadre le projet de loi C‑130 et délimite donc la teneur et la portée de ce projet de loi. L’Accord de libre-échange renferme sans aucun doute de nombreux principes, qui peuvent parfois paraître contestables à certains d’entre nous, mais de l’avis de la présidence, le principe fondamental du projet de loi C‑130 est de donner force de loi à un traité signé par deux pays souverains.

Je crois que la Chambre serait d’accord pour soutenir qu’il n’appartient pas à son Président de jouer le conciliateur entre deux gouvernements nationaux et de décider quelle serait la meilleure façon de présenter ledit Accord à la Chambre. Où le Président commencerait-il à disjoindre un tel projet de loi? Quels segments de l’Accord ne sont pas liés aux autres? À quel moment la subdivision de l’Accord en diverses parties fait-elle disparaître celui-ci?

Votre humble serviteur n’était pas assis à la table de négociation et je voudrais dire à la Chambre que le gouvernement, qui assume la responsabilité du dénouement de ces négociations, devrait également être le seul à décider de la façon dont l’Accord est présenté à la Chambre.

J’ai insisté sur ces points-là parce que je veux que les députés sachent que, à titre de Président de la Chambre, j’ai passé plusieurs heures à me demander s’il n’y aurait pas lieu de donner suite à quelques-unes des suggestions qu’on m’avait faites.

Le Canada a des règles de procédure uniques dans le domaine des projets de loi omnibus. Bien que le Royaume-Uni adopte de tels projets de loi, l’usage législatif britannique diffère beaucoup du nôtre, notamment en raison de la limitation beaucoup plus grande imposée aux temps de débats sur les projets de loi. En Australie, l’usage semble s’orienter en sens contraire, c’est-à-dire que la procédure permet le regroupement de projets de loi connexes aux fins du débat et du vote. C’est pourquoi la Chambre des communes du Canada ne peut pas vraiment s’appuyer sur des précédents étrangers en la matière. Je sais qu’on m’a suggéré d’examiner la procédure suivie ailleurs. Je tiens à assurer aux députés que je n’y ai pas manqué.

On ne sait pas exactement à quelle époque les premiers projets de loi omnibus ont fait leur apparition, mais l’usage semble remonter à 1888, année où un projet de loi d’initiative parlementaire a été déposé pour confirmer deux accords différents relatifs aux chemins de fer. C’est le 2 avril 1953 que pour la première fois, une question a été soulevée au sujet des raisons pour lesquelles le gouvernement choisissait de modifier trois lois par un seul projet de loi.

Diverses raisons peuvent amener le gouvernement à déposer un projet de loi omnibus. L’une des plus évidentes est le souci d’accélérer l’adoption d’une mesure législative. Une autre raison est de regrouper dans un même projet de loi toutes les modifications législatives découlant de l’adoption d’une politique, comme ce fut le cas en 1982 à propos du projet de loi C‑94 sur la sécurité énergétique.

Refusant les raisons avancées par le gouvernement pour procéder par un projet de loi omnibus, l’opposition soutient que certains projets de loi omnibus ne sont pas recevables. Parmi les objections énoncées, mentionnons l’absence de rapport pertinent entre les différentes parties du projet de loi, le fait que le débat en deuxième lecture ne porte pas sur un principe unique et, également à cette étape, que les députés n’aient pas l’occasion de voter en faveur de certaines parties et contre d’autres parties du projet de loi.

Le recours à des projets de loi omnibus est devenu de plus en plus usuel au Canada depuis 40 ans. Les décisions des Présidents concernant la recevabilité des motions et les rappels au Règlement ont éclairci certains des problèmes que soulèvent ces projets de loi.

Les députés ont souvent invoqué, comme l’honorable député de Kamloops—Shuswap, leur « ancien privilège » de voter sur chacune des propositions formant une question complexe. On invoque à l’appui de cet argument le commentaire suivant de la page 389 de la 20e édition de May :

L’ancienne règle voulant que lorsqu’une question complexe est présentée à la Chambre, celle-ci puisse en ordonner la disjonction, a été interprétée de diverses façons à des époques différentes. […]
Toutefois, en 1888, le Président a décidé que deux propositions à l’étude à la Chambre sous forme de motion unique pouvaient être traitées séparément si un député s’opposait à ce qu’elles soient examinées en même temps. Bien que cette décision ne semble pas fondée sur une décision antérieure, elle n’a pas été contestée depuis. Une question complexe ne peut cependant être divisée que si chacune des parties peut être considérée comme un tout.

Selon la pratique canadienne, ce concept repose sur une décision majeure prise par le Président Macnaughton le 15 juin 1964 selon laquelle le Président est également autorisé à diviser des motions complexes. Après avoir examiné les précédents en Grande-Bretagne et au Canada, il a déclaré [aux pages 430 et 431 des Journaux] :

Pour résumer notre procédure, on peut dire qu’aucun précédent précis au sujet de la division d’une question ne se trouve dans les annales […]. Autrement dit, ce cas semblerait n’être pas prévu et, ordinairement, dans de telles circonstances, on se rapporte à la procédure couramment suivie à la Chambre des communes britannique. […]
Par conséquent, je suis d’avis que la procédure qui s’applique en ce cas est la procédure qui a cours à la Chambre des communes britannique, procédure à laquelle on n’aura peut-être pas eu recours très fréquemment, mais qu’on doit néanmoins reconnaître; si l’on doit l’observer en cette occasion, il semblerait que la division d’une motion compliquée dépend de la décision de la présidence. […]
Je dois conclure que le projet de résolution dont la Chambre est saisie renferme deux propositions et que, puisqu’on s’est fortement opposé à ce que ces deux propositions soient examinées ensemble, mon devoir est de les diviser. […]

Les successeurs du Président Alan Macnaughton ont établi clairement que le pouvoir de la présidence de diviser des questions complexes ne s’applique qu’aux motions de fond et non aux motions concernant la progression des projets de loi. Comme l’expliquait le Président Jerome Je 11 mai 1977 [à la page 5522 du Hansard] :

[…] [il] est bien certain [qu’] une motion contenant au moins deux dispositions de fond est tout à fait différente d’une motion de procédure ou d’une motion qui concerne uniquement la progression d’un bill. La pratique relative aux motions de fond n’a jamais été appliquée aux motions concernant la progression d’un bill. Le recours à un bill modificatif omnibus est bien consacré dans nos usages, et je ne vois aucune raison de rejeter cette pratique ou le raisonnement fort clair et judicieux de mon prédécesseur. Je ne trouve non plus aucune autorité à invoquer qui permettrait à la présidence d’ordonner que le bill soit divisé à cette étape de la deuxième lecture.
Je ferai également remarquer que la solution proposée par le député ne consiste pas à diviser le bill en fonction de chaque loi à modifier, mais plutôt par sujet, ce qui poserait à la présidence, du moins me semble-t-il, un problème d’interprétation et l’obligerait à rédiger un ordre extrêmement complexe, ce que je crois préférable d’éviter.

La même conclusion avait déjà été formulée par le Président Lamoureux le 23 janvier 1969 [à la page 617 des Journaux] et Mme le Président Sauvé y a fait écho le 20 juin 1983 [aux pages 26537 et 26538 du Hansard].

En conclusion, la pratique canadienne concernant l’autorité de la présidence de diviser des questions s’est limitée aux motions de fond qui contiennent plus d’une proposition, lorsque les députés s’opposent à ce qu’elles soient étudiées conjointement et que la présidence a déterminé qu’il est possible de diviser la motion en plusieurs propositions distinctes.

Même si certains députés seront d’avis que la décision de Mme le Président Sauvé en 1982 était trop brève, un extrait de cette décision semble résumer la position traditionnelle de la présidence :

Pour ma part, je ne vois pas très bien pourquoi j’adopterais une autre opinion sur un problème auquel mes éminents prédécesseurs se sont beaucoup intéressés. C’est clair. La Chambre devrait peut-être accepter des règles ou des directives sur la forme et la teneur de [projets de loi] omnibus mais dans ce cas, c’est la Chambre et non pas [le Président] qui doit édicter ces règles.

Je dois par conséquent décider que bien que le projet de loi C‑130 soit un projet de loi omnibus, il n’a qu’un seul objet, soit de promulguer un accord international modifiant plusieurs lois. En tant que tel, il est conforme à nos usages et on devrait permettre qu’il procède. Tant que la Chambre n’aura pas adopté de règles précises concernant les projets de lois omnibus, le Président n’a aucun recours, il doit s’abstenir d’intervenir dans le débat et laisser la Chambre régler la question.

Un autre point soulevé par les députés de Windsor-Ouest et de Kamloops—Shuswap concerne l’insuffisance de détails dans le titre complet du projet de loi, qui n’indique pas toutes les lois visées. Les députés voudront peut-être consulter sur ce point l’ouvrage de Driedger intitulé The Composition of Legislation, Legislative Forms and Precedents. Cet ouvrage n’a peut-être pas autant de poids que celui de Beauchesne ou celui d’Erskine May, mais il est une autorité respectée sur la rédaction législative. Aux pages 153 et 154, l’auteur explique l’usage canadien concernant les titres longs et il démontre clairement qu’il n’est pas nécessaire de mentionner dans le titre chacune des lois que le projet de loi modifie, et que la pratique canadienne a évolué différemment de la pratique britannique par l’usage des termes génériques. Toutefois, si les députés estimaient qu’il est nécessaire de le faire, je suggère qu’ils devraient procéder par voie d’amendement et non demander à la présidence de trancher en rejetant le projet de loi. La présidence se demande si le fait d’inclure toutes les lois dans le titre rendrait le projet de loi plus acceptable à ceux qui s’y opposent.

La présidence arrive maintenant au dernier point soulevé le mercredi 1er juin 1988 par le député de Windsor-Ouest. Le député a déclaré que certaines dispositions du projet de loi C‑130 proposent des changements à deux autres projets de loi dont la Chambre est maintenant saisie — le projet de loi C‑60, Loi sur le droit d’auteur, et le projet de loi C‑110, Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur — dont aucun n’a encore reçu la sanction royale et dont l’un, le projet de loi C‑110, en est à l’étape du rapport. En réponse, l’honorable ministre d’État a fait référence à deux décisions rendues par l’un de mes distingués prédécesseurs, le Président Lamoureux, pour montrer que la Chambre avait été valablement saisie du projet de loi C‑130 et que la motion portant deuxième lecture était recevable.

D’abord, je tiens à faire rapport à la Chambre de l’état des deux projets de loi mentionnés précédemment.

Le projet de loi C‑60, Loi sur le droit d’auteur, a été adopté par le Sénat et par la Chambre des communes et attend la sanction royale.

Le projet de loi C‑110, Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, figure au Feuilleton parmi les projets de loi à l’étape du rapport.

Le 20 avril 1970, le Président Lamoureux s’est trouvé dans une situation quelque peu semblable à la nôtre; il s’agissait d’un projet de loi qui, apparemment, découlait de deux autres projets de loi dont la Chambre était saisie. Le Président s’est dit jusqu’à un certain point du même avis que les députés, mais à la page 6048 du Hansard, il a déclaré ce qui suit :

[…] [le point] est intéressant et l’argument invoqué n’est pas sans mérite. On pourrait peut-être lui reprocher d’être prématuré.

Le Président Lamoureux a ensuite proposé à la Chambre de poursuivre l’examen des projets de loi en cause jusqu’à l’étape de la troisième lecture; les députés pourraient alors faire valoir leurs points de procédure si les circonstances justifiaient un examen plus poussé de la question.

Moins d’un an plus tard, le Président Lamoureux a de nouveau été saisi d’une question identique, qu’il a tranchée le 24 février 1971 en déclarant notamment ce qui suit, comme en fait foi la page 3712 du Hansard :

[…] rien dans la procédure ne s’oppose à ce que la Chambre soit saisie en même temps de bills apparentés ou connexes qui pourraient se contredire l’un l’autre à cause des termes mêmes des projets de loi des amendements proposés.

Le Président Lamoureux a décidé que comme la Chambre n’allait pas donner son aval définitif au projet de loi, la motion de deuxième lecture était recevable.

Le 5 février 1973, le vice-président, M. McCleave, lorsqu’il a tranché une question similaire au sujet de la troisième lecture d’un projet de loi sur l’assurance-chômage et d’un projet de loi portant affectation de crédits, a étudié les précédents concernant les projets de loi modifiant d’autres projets de loi présentés au cours de la même session. À la page 974 du Hansard, il fait une observation intéressante qui, à mon avis, s’applique à la situation actuelle :

[…] [En 1958], la Chambre était saisie de projets de loi pour amender la Loi sur la taxe d’accise et la loi sur le Tarif des douanes et bien qu’aucune décision n’ait été rendue par [le Président], il serait juste de supposer […] qu’on estimait, à cette époque qu’il s’agissait non pas d’un rappel au Règlement mais plutôt de voir comment on pouvait assurer à la Chambre le cheminement logique de [projets de loi] associés ou interdépendants.

Le vice-président McCleave a décidé que le débat sur la troisième motion relative au projet de loi sur l’assurance-chômage devait continuer.

Ayant examiné les précédents avec les honorables députés, je dois dire que l’usage qui consiste à présenter un projet de loi qui en modifie un autre dont la Chambre est encore saisie ou qui n’a pas encore reçu la sanction royale est acceptable.

Cependant, si à l’étape de la troisième lecture, certaines circonstances faisaient que la Chambre était encore saisie du projet de loi qui modifie l’autre, je serais disposé à m’en tenir à la décision du Président Lamoureux et à entendre d’autres arguments à ce sujet.

Le débat de procédure qui a eu lieu pendant l’étude du projet de loi C‑130 a permis de soulever d’autres questions, secondaires selon moi, mais quand même dignes de mention. honorable député d’Essex—Windsor (M. Steven Langdon) s’est publiquement interrogé au sujet des dispositions administratives du projet de loi qui ne sont pas visées dans la motion des voies et moyens.

[L’article] 84(11) du Règlement prévoit que « l’adoption de toute motion de voies et moyens constitue un ordre en vue de dépôt d’un ou de plusieurs projets de loi fondés sur les dispositions que renferme ladite motion ». D’après plusieurs Présidents, les mots-clés sont « fondés sur » et ils ne signifient pas « identiques à ». À ces occasions, les Présidents précédents ont porté à l’attention de la Chambre que « les termes de la motion de voies et moyens sont l’expression soigneusement établie de l’initiative financière de la Couronne et [que] de fréquentes déviations ne pourraient que conduire à la détérioration de [ce très] important pouvoir. » Voir [les] Journaux [du] 18 décembre 1974, page 224.

L’honorable député d’Ottawa—Vanier a soulevé la possibilité de mettre aux voix les diverses dispositions du projet de loi. Il anticipe l’étape du comité et l’étape du rapport, et je lui suis reconnaissant de rappeler à la Chambre et au ministre le rôle du Président, à l’étape du rapport. Il a également fait remarquer qu’un comité législatif élargi devrait être chargé d’étudier ces projets de loi. Effectivement, ce pourrait être souhaitable, mais cette question relève du comité de sélection, auquel siège l’honorable député.

Enfin, certains députés ont beaucoup parlé de la constitutionnalité du projet de loi C‑130. À ce sujet, je ne puis que renvoyer les députés au commentaire 240 de la 5e édition de Beauchesne, qui dit :

[Le Président] ne statuera pas sur une question constitutionnelle ni sur des points de droit, même s’ils se posent au titre d’une question d’ordre […].

En conclusion, j’aimerais résumer ma décision sur les cinq principales questions de procédure soulevées ces jours derniers concernant le projet de loi C‑130 : […]

[…] le projet de loi C‑130 est en effet le meilleur exemple de projet de loi omnibus-il entre dans la définition donnée par l’honorable député de Windsor-Ouest; il a un seul objet tout en modifiant plusieurs lois mais, sans plus d’intervention de la Chambre et fondé sur les usages qui ont été les nôtres à ce jour, ce projet de loi doit suivre son cours sans aucune intervention de la présidence;

[…] le titre peut être modifié à l’étape de l’étude en comité de manière que le projet de loi soit explicite ou rende compte des lois qu’il renferme;

[…] la question que le projet de loi C‑130 modifie d’autres projets de loi dont la Chambre est maintenant saisie devrait être soulevée à l’étape de la troisième lecture si les mêmes circonstances persistent.

Je tiens à remercier tous les députés qui ont contribué à la discussion sur la procédure. La présidence sera sans aucun doute mise davantage à l’épreuve au fur et à mesure que progressera ce projet de loi à la Chambre, mais je suis profondément redevable à tous les députés du ton de la discussion du point de vue de la procédure et de la manière dont elle s’est déroulée jusqu’à maintenant. J’espère que les députés reconnaîtront que la présidence et d’autres ont fait l’impossible pour que tous les points importants qui ont été soulevés soient repris et abordés dans cette décision. Cela a pris beaucoup de temps, et je le regrette, mais les arguments qui ont été avancés ont été examinés très sérieusement

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1988-06-08

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[1] Débats, 18 mai 1988, p. 15586-15587.

[2] Débats, 19 mai 1988, p. 15612-15614.

[3] Débats, 24 mai 1988, p. 15704-15705.

[4] Débats, 30 mai 1988, p. 15877-15878.

[5] Débats, 30 mai 1988, p. 15881.

[6] Débats, 30 mai 1988, p. 15879-15892, 15905-15917.

[7] Débats, 30 mai 1988, p. 15888.

[8] Débats, 1er juin 1988, p. 15993-15597.

[9] Débats, 1er juin 1988, p. 15997-16000.

[10] Le titre abrégé est plutôt Loi de 1982 sur la sécurité énergétique.