Le processus décisionnel / Consentement unanime

Modification au Règlement visant à permettre à un ministre de proposer une « motion pour affaire courante » si le consentement unanime est refusé

Débats, p. 19233-19237

Contexte

Le 26 mars 1991, avant la lecture de la motion émanant du gouvernement no 30 portant modification du Règlement de la Chambre, M. Nelson Riis (Kamloops) invoque le Règlement pour demander à la présidence de statuer que la motion dont la Chambre est saisie est en partie ou en totalité irrecevable. Le Président interrompt le député pour l’aviser qu’il entendra son rappel au Règlement à la suite de la lecture de la motion[1].

Plus tard au cours de la séance, M. Riis invoque le Règlement et allègue que le paragraphe 20 de la motion tendrait à ajouter un article au Règlement qui permettrait à un ministre de la Couronne de passer outre au refus de consentement unanime. Il prétend que cet article, portant le numéro 56.1, porte atteinte aux droits des députés en ce qu’il établit deux catégories de députés, ceux qui, par leur qualité de ministres de la Couronne, peuvent obtenir un consentement unanime à moins que 25 députés ne s’y opposent, et les simples députés pour qui le consentement unanime suppose l’absence absolue d’opposition. Il ajoute que l’adoption de cette proposition représenterait une modification qualitative et substantielle des privilèges des députés et une réduction conséquente de l’autorité de la Chambre à débattre des propositions présentées par des ministres de la Couronne et à en décider. l’hon. Harvie Andre (ministre d’État et leader du gouvernement à la Chambre des communes) rappelle au député que le paragraphe 20 ne s’applique qu’aux motions « pour affaire courante », dont l’éventail est très limité, et que de telles motions ne peuvent être présentées que durant les Affaires courantes lorsque la Chambre est habituellement au complet. Le Président indique qu’il sera disposé à entendre d’autres points de vue sur cette question en temps opportun[2].

Le 8 avril suivant, durant l’étude des Ordres émanant du gouvernement, M. Riis demande à la présidence d’indiquer à quel moment elle sera en mesure de répondre aux arguments présentés le 26 mars au sujet de la recevabilité des modifications proposées au Règlement de la Chambre. La vice-présidente (l’hon. Andrée Champagne) assure le député qu’une réponse sera donnée le plus tôt possible[3]. Le Président rend sa décision le 9 avril 1991. Celle-ci traite également d’un autre élément soulevé par M. Riis au sujet de l’étude des crédits. Les passages relatifs à l’ajout du nouvel article 56.1 sont reproduits ci-après.

Décision de la présidence

M. le Président : Le mardi 26 mars 1991, lorsque la Chambre a été saisie de la motion ministérielle no 30 portant modification du Règlement de la Chambre, le député de Kamloops a invoqué le Règlement pour demander à la Présidence de déclarer que « la Chambre ne devrait pas être saisie d’une partie ou de la totalité » de cette motion ou que celle-ci est « partiellement irrecevable ».

Son objection portait sur le paragraphe 30, dont il a dit qu’il proposait de modifier le privilège de la Chambre de discuter des crédits avant qu’ils soient accordés à la Couronne et sur le paragraphe 20, qui tendrait, selon lui, à ajouter un nouvel article du Règlement qui permettrait à un ministre de passer outre au refus de consentement unanime. […]

Je passe maintenant à la partie du rappel au Règlement du député portant sur l’article 56.1 qui est proposé. Il s’agirait d’une addition tout à fait nouvelle aux règles de la Chambre. Cet article dispose qu’en cas de refus du consentement unanime pour la présentation d’une motion pour affaire courante, à quelque moment que ce soit d’une séance de la Chambre, un ministre peut demander au cours de l’étude des Affaires courantes ordinaires que le Président saisisse la Chambre de la motion. Si 25 députés ou plus se lèvent pour s’opposer à la motion, elle sera réputée retirée; sinon elle sera réputée adoptée.

Les motions des affaires courantes auxquelles cette nouvelle procédure s’applique sont décrites à l’alinéa b). Ce sont les motions présentées dans le cadre de l’étude des « Affaires courantes ordinaires » qui peuvent être requises : pour l’observation du décorum de la Chambre; pour le maintien de son autorité; pour l’administration de ses affaires; pour l’agencement de ses travaux; pour la détermination des pouvoirs de ses comités; pour l’exactitude de ses archives; ou pour la fixation des jours où elle tient des séances, ainsi que des heures où elle les ouvre ou les ajourne.

L’éventail des motions auxquelles la procédure proposée pourrait s’appliquer est donc très limité.

Le député de Kamloops soutient que cette proposition « ferait fi du consentement unanime ». Elle modifierait, dit-il, « la notion de consentement unanime en autorisant un ministre à modifier la procédure et les règles de fonctionnement de la Chambre à moins que 25 députés ne s’y opposent ». En outre, il fait observer que la proposition établirait « deux catégories de députés : ceux qui, par leur qualité de ministres, peuvent obtenir un consentement unanime à moins que 25 députés ne s’y opposent; et les simples députés pour qui le consentement unanime suppose l’absence absolue d’opposition ».

Lors de l’étude de la thèse du député, on a attiré l’attention de la présidence sur le fait qu’il existe des précédents pour le genre de procédure prévu dans la proposition actuelle. [L’article] 26(2) du Règlement traite des conditions dans lesquelles tout député peut proposer la prolongation d’une séance et fixe à15 le nombre de députés requis pour repousser une telle motion. De même, [l’article] 53(4) du Règlement prévoit la suspension de l’application de certaines dispositions du Règlement pour permettre l’examen d’une affaire urgente. Seul un ministre peut présenter une telle motion, si 10 députés se lèvent, la motion est réputée retirée; sinon, elle est adoptée. [L’article] 98(3) du Règlement, qui fixe les conditions auxquelles on peut demander une prolongation des heures de séance au cours des étapes du rapport et de la troisième lecture d’un projet de loi public émanant d’un député, dispose également que la motion portant prolongation est réputée retirée si elle reçoit l’appui de moins de 20 députés.

Il y a aussi d’autres ressemblances entre la proposition et l’actuel article 78 du Règlement, relatif à l’attribution de temps, en ce que les deux font appel à une approche par échelons, dépendant du degré d’accord possible, pour garantir le droit de présenter une motion.

On trouve dans notre Règlement de nombreux exemples de distinction faite entre des catégories de députés. Les ministres jouissent de certaines prérogatives que n’ont pas les simples députés; les simples députés peuvent poser des questions aux ministres durant la période des questions, mais les ministres ne peuvent poser de questions aux simples députés. Les chefs de parti bénéficient de certains droits de parole qui sont refusés à tous les autres députés. Les whips du gouvernement et de l’opposition ont certains droits qui leur sont particuliers. Enfin, en ce qui me touche personnellement, le Président n’a pas le droit de participer à un débat ou de voter sur les questions dont la Chambre est saisie, sauf en cas d’égalité des voix. Donc, l’idée d’accorder des pouvoirs différents à divers groupes ou individus n’est pas étrangère à notre Règlement et, si elle peut être débattue, elle ne justifie pas à elle seule que la présidence, pour des raisons de procédure, intervienne pour empêcher que la Chambre débatte la proposition.

Au cours de son intervention dans la discussion de ce rappel au Règlement le ministre d’État et leader du gouvernement à la Chambre des communes a souligné que le genre de motion prévue par la nouvelle règle qu’on propose ne pourrait être présentée qu’au cours de l’étude des affaires courantes et qu’à ce moment la Chambre est habituellement au complet. Le ministre a dit que le nombre de 25 députés qui était exigé était une excellente façon d’empêcher tout abus.

Le député de Kamloops a tout à fait raison de dire que le nouvel article 56.1 proposé ferait fi du consentement unanime. De fait, la présentation de la motion au cours de l’étude des Affaires courantes ordinaires serait subordonnée au refus antérieur du consentement unanime. Toutefois, si j’ai bien compris, la disposition dérogatoire ne peut s’appliquer qu’à un éventail défini et très limité de motions proposées par un ministre à un moment bien précis de notre programme journalier. La question que la présidence doit trancher est la suivante : cette proposition est-elle si choquante, met-elle en question l’autorité de la Chambre et empêche-t-elle les députés de s’acquitter de leurs fonctions à un point tel qu’il y ait lieu de ne pas permettre que la Chambre la débatte et en décide? Compte tenu du fait qu’il existe déjà des procédures semblables pour d’autres espèces de motions et vu que la proposition n’aurait qu’une application fort limitée, la présidence ne peut accéder à la demande du député de Kamloops que le paragraphe 20 de la motion relative à la modification du Règlement soit déclarée irrecevable.

La présidence complimente le député de Kamloops pour avoir porté ses préoccupations à l’attention de la présidence et pour la force et le sérieux de son argumentation. La présidence ne rend jamais à la légère une décision relative aux privilèges de la Chambre ou de ses membres. Ce n’est que par une constante vigilance que nous pouvons veiller à la préservation des privilèges nécessaires à l’exécution de nos fonctions de représentants élus. Il est dit ceci au commentaire 21 de la cinquième édition de Beauchesne :

Parmi les privilèges dont est investie la Chambre dans son ensemble aucun n’est plus capital que celui de se fixer elle-même des règles de procédure et de les appliquer.

Dans l’élaboration de sa décision sur le rappel au Règlement fait par le député de Kamloops, la présidence était bien consciente du fait que la Chambre s’apprête à exercer son privilège le plus capital. Elle estime qu’il serait illogique de priver la Chambre, par une simple décision prise par la présidence pour protéger les privilèges, de la possibilité d’examiner à fond les options qui s’offrent à elle pour exercer son privilège le plus fondamental. Le privilège conféré à la Chambre de se fixer des règles de procédure obligatoires et de réglementer ses affaires internes doit être protégé aussi jalousement que les droits, immunités et privilèges de chacun des membres de la Chambre des communes. En cas de conflit, apparent ou réel, entre les deux il appartient à la Chambre et à ses membres de résoudre le conflit.

Il est de tradition que la Chambre permette l’expression des préoccupations relatives au texte en vigueur ou proposé des dispositions de son Règlement dans le cadre du mécanisme des débats, des amendements et des clarifications par voie d’accord. En outre, la Chambre et tous les députés peuvent rechercher à clarifier, modifier ou interpréter des règles et pratiques de la Chambre au moyen de rappels au Règlement et de la question de privilège et en ayant recours au comité chargé d’étudier le Règlement et la procédure de la Chambre et de ses comités et de faire rapport à ce sujet.

La Chambre attache tellement d’importance à son obligation d’examiner, d’évaluer et d’établir et de réviser les dispositions de son Règlement qu’elle a même précisé à l’article 51 que le Règlement fera automatiquement l’objet d’un examen et d’un débat au début de la première session de chaque législature.

Quoique son rappel au Règlement ne soit pas fondé, le député aura plusieurs fois à l’avenir la possibilité de proposer la modification du Règlement.

L’argumentation du député, je le répète, était fort bien préparée, de toute évidence. L’enjeu est important et j’espère que le député saura accepter le principe de cette décision, soit qu’il appartient à la Chambre de se prononcer sur les règles qui régissent ses travaux.

Je remercie le député.

F0416-f

34-2

1991-04-09

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[1] Débats, 26 mars 1991, p. 19025.

[2] Débats, 26 mars 1991, p. 19042-19046.

[3] Débats, 8 avril 1991, p. 19132-19133.