Le privilège parlementaire / Droits de la Chambre

La Chambre des communes et les agents publics : actes du commissaire nommé en vertu de la Loi électorale du Canada

Débats, p. 12360

Contexte

Le 25 septembre 1985, l’hon. Marcel Masse (Frontenac) démissionne de son poste de ministre des Communications lorsqu’il apprend qu’il fait l’objet d’une enquête au sujet d’une présumée violation de la Loi électorale du Canada pendant la campagne électorale de 1984 dans le comté de Frontenac[1]. Le 30 novembre 1985, à la fin de l’enquête, M. Masse réintègre le Cabinet et, le 30 janvier 1986, il est nommé ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources.

En janvier 1988, on rend publique une lettre personnelle et confidentielle rédigée le 28 novembre 1985, plus précisément à la fin de l’enquête sur les dépenses électorales de M. Masse. Cette lettre est adressée à M. Masse et signée par M. Joseph Gorman, commissaire aux élections fédérales.

Le 25 janvier 1988, M. Nelson Riis (Kamloops—Shuswap) soulève une question de privilège qui découle du contenu de cette lettre. Il indique que la lettre révèle que M. Gorman a statué que M. Masse a participé à une infraction de la Loi électorale du Canada mais qu’aucune accusation ne serait portée. Rappelant que des personnes proches de M. Masse avaient fait l’objet d’accusations et que le ministre en avait été exempté, M. Riis mentionne que le geste de M. Gorman a donné l’impression « qu’il existait au Canada deux systèmes de justice, l’un sur les ministres du Cabinet et l’autre pour les citoyens ordinaires ». Il soutient que la décision du commissaire de poursuivre d’autres personnes ayant participé à la campagne, mais non le ministre, fait que « les Canadiens éprouvent moins de respect pour le Parlement et ses élus » et qu’elle a nui sérieusement aux députés dans leurs fonctions de parlementaires. M. Riis conclut en indiquant que si le Président juge que la question de privilège paraît fondée à première vue, il est prêt à proposer une motion de renvoi au Comité permanent des élections, des privilèges et de la procédure. D’autres députés interviennent également à ce sujet[2]. Le Président prend la question en délibéré et, le 28 janvier 1988, rend devant la Chambre la décision reproduite intégralement ci-dessous.

Décision de la présidence

M. le Président: Le lundi 25 janvier, le député de Kamloops—Shuswap a soulevé une question concernant les actes que l’ancien commissaire aux élections fédérales, M. Joseph Gorman, a posés quand il a rendu une décision après avoir enquêté sur des accusations d’infractions à la Loi électorale du Canada qui pesaient contre le député de Frontenac.

Le député de Kamloops—Shuswap a prétendu que le commissaire, en décidant de ne pas inculper le ministre, avait « nui au respect que le public porte à la Chambre des communes et aux membres du Parlement » et porté aussi outrage à la Chambre.

Qu’on me permette, en premier lieu, de rappeler à tous les députés les dispositions du Règlement de la Chambre relatives à l’obligation de préavis.

[L’article] (2) du Règlement énonce clairement ce qui suit :

[…] tout député qui, au cours d’une séance, veut poser une question de privilège qui ne découle pas des délibérations de la Chambre, doit en faire part [au Président] par écrit au moins une heure avant que la question soit soulevée à la Chambre.

Des Présidents précédents se sont prononcés sans équivoque là-dessus. Le but de cette disposition est d’épargner du temps à la Chambre en donnant au Président le temps d’examiner la situation ou la question avant qu’elle soit présentée. L’avis doit être assez détaillé pour que la présidence soit le mieux informée possible des questions qui seront soulevées.

En ce qui concerne la question que le député de Kamloops—Shuswap a soulevée le 25 janvier, on avait de toute évidence pris le temps de préparer les arguments avant de les exposer, mais on aurait pu en donner plus tôt un avis beaucoup plus détaillé. Ce n’est qu’un avertissement que je sers à tous les députés, dans l’intérêt de la bonne marche de nos délibérations.

J’en viens maintenant à la question précise du comportement de l’ancien commissaire, M. Gorman. S’il n’est pas un agent du Parlement au sens où on l’entend généralement, c’est un fonctionnaire qui est nommé par le directeur général des élections, lui-même un agent du Parlement, et il doit lui faire rapport. M. Gorman avait été nommé commissaire aux élections fédérales en vertu du paragraphe 70(3) de la Loi électorale du Canada. En vertu du paragraphe 70(4), le commissaire dispose de certains pouvoirs, y compris celui d’accorder ou de refuser l’autorisation d’intenter des poursuites en vertu de la loi. C’est la Chambre des communes — que dis-je — le Parlement qui l’a investi de ce pouvoir.

L’argument présenté à la Chambre indique bien que M. Gorman exerçait des pouvoirs dont il était investi en vertu de la loi. La présidence ne saurait se prononcer sur l’exercice de pouvoirs dont un fonctionnaire est investi en vertu de la loi, à moins qu’il y ait eu abus de privilège ou mépris du Parlement. La présidence n’a été saisie en l’occurrence d’aucune allégation d’abus de privilège ou de mépris du Parlement. Elle ne saurait donc intervenir.

Je rappelle à la Chambre qu’il n’appartient pas à la présidence de se prononcer sur le comportement des fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions. Son seul devoir est de déterminer, en se fondant sur la preuve présentée, s’il y a eu de prime abord abus de privilège ou mépris de la Chambre. Dans ce cas, à mon avis, il n’y a eu ni l’un ni l’autre.

Au cours de la période des questions ces derniers jours, on a avancé l’idée que le Comité permanent des élections, des privilèges et de la procédure devrait examiner cette affaire. Comme tous les députés le savent, les comités permanents ont maintenant des mandats permanents. Ainsi, le Comité des privilèges pourrait examiner les méthodes du directeur général des élections et de ses fonctionnaires, et en particulier du commissaire aux élections fédérales. Cependant, seul le Comité peut décider d’examiner la question. C’est au Comité, et non à la présidence, qu’il appartient d’en décider.

Je rappelle à la Chambre qu’aucun fonctionnaire ni aucun député n’a été accusé d’inconduite dans cette affaire. Les pouvoirs des comités sont limités à examiner les questions relatives à la procédure, à la lumière de la loi en cause et à faire rapport de leurs travaux. Je répète que c’est une décision qui relève du Comité mais, d’après mon interprétation de la loi, on ne peut pas demander à un comité de la Chambre d’examiner les décisions prises par un commissaire aux élections dans des cas déterminés, ou s’attendre que le Comité puisse en être saisi. Cela dit, le Comité ne devrait pas hésiter à examiner les procédures établies par le Parlement.

Il s’agit d’une question importante qui a longuement occupé la Chambre au cours de la période quotidienne des questions. Mais, en toute déférence, je ne puis conclure qu’on a établi l’à-propos pour la présidence de décider que les actes ou les omissions de l’ancien commissaire constituent un outrage à la Chambre ou une question de privilège.

En terminant, je remercie le député de Kamloops—Shuswap, le ministre d’État (l’hon. Doug Lewis) et le secrétaire parlementaire du président du Conseil privé (M. Jim Hawkes) de leur contribution.

Post-scriptum

Immédiatement après la décision rendue par le Président, l’hon. Doug Lewis invoque le Règlement. Il signale que le gouvernement accepte de demander au Comité permanent des élections, des privilèges et de la procédure d’examiner le mandat du commissaire et le processus décisionnel suivi. M. Rod Murphy (Churchill), pour le Nouveau Parti démocratique, et L’hon. Herb Gray (Windsor-Ouest) pour l’opposition officielle, se déclarent heureux de cette décision. M. Gray souligne toutefois que l’opposition officielle ne cessera pas de soulever cette question durant les Questions orales, même si le Comité se penche sur celle-ci. Le Président conclut l’échange en déclarant que la décision en elle-même n’empêche pas les questions à ce sujet, pourvu que celles-ci soient appropriées[3].

Le Comité permanent des élections, des privilèges et de la procédure a examiné la question du rôle et des pouvoirs du commissaire aux élections fédérales et en a fait l’objet de son huitième rapport à la Chambre déposé le 8 mars 1988[4]. Le Comité a entre autres constaté que M. Gorman ne s’était pas écarté de la voie suivie pour les enquêtes précédentes de cette nature.

F0115-f

33-2

1988-01-28

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[1] Débats, 25 septembre 1985, p. 6963.

[2] Débats, 25 janvier 1988, p. 12246-12249.

[3] Débats, 28 janvier 1988, p. 12360-12361.

[4] Journaux, 8 mars 1988, p. 2264.