INST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION
Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mercredi 2 avril 2003
¹ | 1545 |
Le président (M. Walt Lastewka (St. Catharines, Lib.)) |
M. Thomas Ross (professeur, Université de la Colombie-Britannique, À titre individuel) |
¹ | 1550 |
¹ | 1555 |
Le président |
M. Larry Bagnell (Yukon, Lib.) |
M. Thomas Ross |
M. Larry Bagnell |
M. Thomas Ross |
M. Larry Bagnell |
M. Thomas Ross |
Le président |
M. Brian Fitzpatrick (Prince Albert, Alliance canadienne) |
º | 1600 |
M. Thomas Ross |
M. Brian Fitzpatrick |
º | 1605 |
M. Thomas Ross |
Le président |
M. Andy Savoy (Tobique—Mactaquac, Lib.) |
M. Thomas Ross |
M. Andy Savoy |
M. Thomas Ross |
M. Andy Savoy |
M. Thomas Ross |
M. Andy Savoy |
º | 1610 |
M. Thomas Ross |
Le président |
M. Paul Crête (Kamouraska—Rivière-du-Loup—Témiscouata—Les Basques, BQ) |
M. Thomas Ross |
M. Paul Crête |
º | 1615 |
M. Thomas Ross |
M. Paul Crête |
M. Thomas Ross |
Le président |
M. Paul Crête |
M. Thomas Ross |
Le président |
M. Dan McTeague (Pickering—Ajax—Uxbridge, Lib.) |
º | 1620 |
M. Thomas Ross |
M. Dan McTeague |
º | 1625 |
M. Thomas Ross |
Le président |
M. Brian Masse (Windsor-Ouest, NPD) |
M. Thomas Ross |
º | 1630 |
Le président |
M. Brian Masse |
M. Thomas Ross |
Le président |
M. Brent St. Denis (Algoma—Manitoulin, Lib.) |
M. Thomas Ross |
M. Brent St. Denis |
M. Thomas Ross |
M. Brent St. Denis |
º | 1635 |
M. Thomas Ross |
º | 1640 |
Le président |
L'hon. Gilbert Normand (Bellechasse—Etchemins—Montmagny—L'Islet, Lib.) |
M. Thomas Ross |
M. Brian Fitzpatrick |
M. Thomas Ross |
º | 1645 |
Le président |
M. Thomas Ross |
Le président |
CANADA
Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie |
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le mercredi 2 avril 2003
[Enregistrement électronique]
¹ (1545)
[Traduction]
Le président (M. Walt Lastewka (St. Catharines, Lib.)): Je déclare la séance ouverte. Conformément à l'ordre de renvoi 108(2), nous examinons le projet de loi C-249, Loi modifiant la Loi sur la concurrence.
Nous accueillons aujourd'hui M. Thomas Ross, professeur à l'Université de Colombie-Britannique. Comme il doit donner des cours, nous devrons conclure avant 16 h 45. Par conséquent, si vous le voulez bien, nous commencerons sans tarder.
Malheureusement, monsieur Ross, il y a eu des votes à la Chambre et certains de nos membres ne sont pas encore ici. Toutefois, comme il y a maintenant quorum, je vous demanderai de nous présenter votre exposé. Lorsque vous aurez terminé, nous vous poserons des questions.
M. Thomas Ross (professeur, Université de la Colombie-Britannique, À titre individuel): Je vous remercie beaucoup, monsieur le président et chers membres du comité. Je suis très content de vous revoir. Je me rends compte qu'il y a beaucoup de nouveaux visages dans ce comité depuis la dernière fois que nous nous sommes parlés, mais j'apprécie l'occasion qui m'est donnée de témoigner devant vous aujourd'hui. Je vous suis très reconnaissant d'avoir accepté cette rencontre par vidéoconférence étant donné les contraintes auxquelles je suis soumis durant ces dernières semaines de cours.
J'ai présenté des notes d'allocution qui seront traduites et distribuées en temps opportun. Certaines de mes observations sont tirées d'un rapport que j'ai corédigé avec Mme Ann-Britt Everett pour le compte du gouvernement et qui porte sur l'analyse des gains en efficience des fusionnements dans un certain nombre de pays.
La question à laquelle vous devez répondre est très importante : comment tenir compte des gains en efficience dans l'examen des fusionnements? C'est aussi une question extrêmement ardue et le Canada n'est pas le seul aux prises avec ce problème. Beaucoup de pays sont en train de repenser la façon de traiter les gains en efficience. De tous les pays connus pour avoir adopté des lois complexes et modernes en matière de concurrence, le Canada est parmi les plus favorables aux gains d'efficience. L'amendement proposé risque de nous faire reculer un peu. Malgré tout, il est intéressant de constater qu'un certain nombre de pays jusqu'à présent peu favorables aux gains d'efficience révisent leur position et envisagent même la possibilité d'en tenir davantage compte dans leur processus d'examen.
Comme vous le savez tous, la Loi sur la concurrence sert de loi cadre. Les économistes veulent la concurrence et la Loi sur la concurrence, pas pour la concurrence en soi, mais parce qu'ils considèrent qu'elle est un gage d'efficience. En somme, être efficient, c'est obtenir les meilleurs résultats possibles au moindre coût. Nous voulons une économie efficiente et, en règle générale, la concurrence est un bon moyen d'arriver à nos fins. Lorsque concurrence n'est pas synonyme d'efficience, nous préférons explorer d'autres avenues. Par exemple, certains brevets créent des monopoles, mais c'est dans le but précis de stimuler l'innovation et d'encourager les efforts d'ingéniosité.
L'intérêt que porte le Canada à l'efficience dans sa politique en matière de concurrence remonte au moins à 1969, avec la publication du rapport du Conseil économique qui défendait vigoureusement la position selon laquelle l'efficience doit être au coeur de la politique de la concurrence au Canada.
Permettez-moi d'aborder maintenant la question des fusionnements. Les sociétés et les marchés créent de la richesse en transformant des intrants à faible valeur ajoutée en extrants à forte valeur ajoutée. Les fusionnements agissent sur ce processus de trois façons. Ils créent de la richesse si la production se fait à moindre coût. Ils détruisent la richesse s'ils entraînent des hausses de prix et des baisses de production. Ils provoquent également un transfert la richesse si les consommateurs paient plus cher leurs produits en raison d'une diminution de la concurrence. Ceci a pour effet d'enrichir les producteurs.
Par conséquent, le défi de la loi sur les fusionnements consiste à combiner ces effets pour dégager ce qu'il est possible et ce qu'il est impossible de faire. Actuellement, au Canada, on veut des changements. J'aimerais que le comité comprenne bien que les changements demandés sont de deux ordres. Il n'est pas clair que les modifications apportées répondront à toutes les exigences. Tout d'abord, certains milieux réclament davantage de clarté. Depuis la décision rendue dans l'affaire Supérieur Propane, on n'est pas très sûrs de l'objet de la loi. Il y a aussi des gens qui aimeraient que cette mesure législative soit plus ferme en matière d'efficience.
Si vous voulez connaître le fond de ma pensée, sachez que, dans sa forme actuelle, la loi ne me semble pas si mauvaise. Elle n'est pas si floue qu'on pourrait le penser. Elle me paraît acceptable et beaucoup de ceux qui s'affrontent dans le débat sur l'efficience devraient en apprécier les avantages et apprendre à composer avec.
Par ailleurs, j'ai de sérieuses réserves quant aux éventuelles répercussions négatives des changements proposés; je vais vous en parler plus en détail.
Jusqu'à l'affaire Supérieur Propane, la plupart d'entre nous croyions que la loi canadienne, ou tout au moins la politique canadienne, s'articulait autour de ce que l'on appelle le critère du surplus total, ce qui revient à dire qu'on n'approuverait de fusionnement que pour accroître le surplus total ou la richesse totale générée sur un marché. Cette approche ne tient pas compte des transferts entre producteurs et consommateurs. Ce qui retient l'attention des économistes dans l'approche relative au surplus total, c'est qu'on permet les fusionnements qui créent de la richesse et qu'on empêche ceux qui la grugent. Et puis c'est assez simple car, comme tout le monde est traité de la même manière, les effets se cumulent. Il n'est pas nécessaire de connaître précisément les effets ou les caractéristiques des gens concernés.
Il existe d'autres arguments en faveur d'une telle approche. Je ne vous les donnerai pas tous, mais il y en a un en particulier dont j'aimerais vous parler car il n'est pas souvent cité. Je crois qu'il est juste de dire que beaucoup d'économistes ont le sentiment que lorsqu'on empêche un fusionnement stratégique, on fait subir des dommages presque permanents à l'économie canadienne. En outre, lorsqu'on autorise un fusionnement qui assure la domination d'une entreprise sur le marché, en règle générale, cette domination finit par être renversée avec le temps. Il y a donc fort à parier que l'effet de la prédominance sur le marché sera éphémère, alors que l'interférence créée par un bon fusionnement a des chances de durer longtemps.
Certains prétendent que les transferts des clients aux producteurs sont une mauvaise chose. Bien sûr, les clients pourraient aussi être les producteurs. Beaucoup de clients possèdent des actions, grâce à leur caisse de retraite ou à leur REER. En vérité, il faudrait également tenir compte des intérêts des travailleurs car ils sont probablement beaucoup plus proches de ceux des producteurs ou des actionnaires que de ceux des clients.
Toutefois, dans l'affaire Supérieur Propane, la Cour fédérale a dit qu'il ne fallait pas prendre seulement en compte le surplus total. Où se situe donc la loi canadienne? Le professeur Ralph Winter et moi-même avons récemment publié un document dans lequel nous expliquons que le critère du surplus total mitigé a maintenant force de loi. Nous avons tiré ces conclusions des instructions reçues de la Cour fédérale et de l'opinion du tribunal au sujet du critère de surplus total. Nous pensons qu'il existe au Canada un système dans lequel le surplus total sera la règle, sauf dans les cas où un fusionnement aura d'importantes implications distributives néfastes évidentes. Ce n'est probablement pas une très mauvaise règle. Elle me convient assez et je pense que beaucoup d'économistes partageront mon sentiment.
Je ne crois pas qu'il faille déplorer un manque de clarté. J'admets qu'elle n'est pas complètement limpide, mais je ne la trouve pas mauvaise au point d'avoir besoin d'une nouvelle loi, compte tenu du type de problèmes que pourrait provoquer le manque de précision caractéristique des nouvelles mesures législatives.
Au cours des quelques minutes qui me restent, j'aimerais commenter les propositions d'amendement. Tout d'abord, en ce qui concerne le projet de loi C-249 dans sa forme originale, j'ai quelques réserves au sujet du paragraphe 96(4) proposé. Celui-ci stipule que la majorité des avantages retirés des gains en efficience devrait être transmise aux clients sous la forme d'une diminution de prix. Selon moi, il y a une certaine ambiguïté au niveau de la comparaison. Diminution du prix par rapport à quoi? Il pourrait s'agir d'une baisse par rapport à ce qu'était le prix avant le fusionnement ou d'une réduction après le fusionnement, mais sans gains d'efficience. Dans un cas comme dans l'autre, une règle comme celle-ci pourrait nous conduire à refuser tout fusionnement destiné à réduire les prix car les prix baissent, mais pas assez. Ce serait vraiment malheureux.
Certains prétendront que dans pareil cas, si les prix chutent, il n'y a pas vraiment de diminution de la concurrence. À ce propos, j'aimerais faire une remarque importante. La diminution de la concurrence et les gains d'efficience sont vraiment deux phénomènes distincts. Il est vrai qu'on peut les associer pour voir quel serait leur effet sur le prix, mais ils demeurent distincts et j'estime qu'ils doivent le rester. Il ne faudrait pas croire qu'il n'y a pas de diminution de la concurrence parce que les prix ont baissé. On pourrait se rendre compte, un an ou deux après la création d'une société à la suite d'un fusionnement autorisé pour favoriser une baisse des prix, que la société en question occupe une place très enviable sur le marché. Celle-ci pourrait commencer à abuser de sa prédominance et nous devrions la condamner pour ses abus. Nous aurions un peu l'air fou d'avoir accepté ce fusionnement en affirmant qu'il ne réduirait pas la concurrence. C'est pour cette raison que je pense qu'il vaut mieux maintenir la distinction entre ces deux concepts. La diminution de la concurrence est une chose, les gains en efficience en sont une autre.
Il est vrai que certains pays ont adopté l'approche voulant que si les gains d'efficience sont importants et que les prix baissent, il n'y a pas de diminution de la concurrence. Mais, en général, il s'agit de pays qui n'avaient pas d'autre façon de ramener les gains en efficience au coeur du débat, comme ils le souhaitaient. Nous ne sommes pas dans cette situation.
Ce qui m'inquiète aussi dans le paragraphe proposé, c'est qu'il est un peu limité dans le sens où il se concentre sur les prix alors que ce n'est pas le seul facteur qui touche les clients. On pourrait aussi parler des avantages ou des bénéfices pour le consommateur. Nous nous sommes insurgés contre les fermetures de succursales dans le cadre des fusions bancaires estimant que cela pouvait nuire aux clients.
Le paragraphe 96(5) proposé demande un traitement spécial pour les sociétés ayant une position dominante sur un marché. Je trouve cela malheureux, d'autant plus qu'il est très difficile de définir la prédominance. Vous pouvez imaginer les grandes batailles que cela provoquerait si, tout d'un coup, les règles changeaient et qu'on décidait que dominer un marché c'est avoir 50 p. 100 des parts au lieu de 49. Cela me préoccupe. Il est évident que si on accepte une règle spéciale aussi absolue en matière de prédominance du marché, on finira par interdire le fusionnement d'entreprises dominantes, même si c'est pour réduire les prix, ce qui serait à déplorer.
L'amendement au projet de loi C-249 propose maintenant de faire une analyse factorielle. Par conséquent, les gains en efficience ne seraient qu'un facteur à considérer. C'est une approche intéressante. Ce qui me chiffonne, c'est qu'on ne sait pas très bien quelle importance revêtent les gains en efficience dans ce cas-ci. Il pourrait arriver qu'on interdise même les fusionnements de sociétés qui entraîneraient une diminution des prix pour les consommateurs.
¹ (1550)
Cette approche menace également de nuire aux gains en efficience et de réduire l'effet de la concurrence, ce qui, comme je viens de le dire, serait regrettable. Elle pourrait déboucher sur l'établissement de normes en matière de prix ou d'avantages pour les consommateurs, mais il y a pire encore. Elle pourrait nous empêcher d'autoriser des fusionnements entraînant une réduction des prix.
Il n'est pas clair dans quelle mesure ce sera un facteur. Qu'est-ce que cela signifie? Comment l'évaluerons-nous? Cela me préoccupe également.
C'est la raison pour laquelle je considère que cette approche ajouterait un peu à l'incertitude car on ne sait pas comment interpréter le facteur, et l'incertitude peut coûter cher dans ces circonstances. Les sociétés ne voudront pas se lancer dans un processus dont l'issue est incertaine. Elles préféreront probablement négocier avec le commissaire une sorte d'arrangement hors cour car elles voudront éviter de faire les frais de cette incertitude. Il sera difficile au commissaire de dire non quand les gens accepteront ses conditions par crainte de devoir passer au travers d'un processus plus détaillé. Je pense que ce serait malheureux.
Je sais que le temps qui m'était imparti est presque écoulé, je vais donc conclure. Il se peut que mes observations vous semblent assez négatives. Je me réjouis de l'intérêt que porte ce comité à la Loi sur la concurrence. Nous sommes loin de ces années où il n'était pas possible d'attirer l'attention d'Ottawa sur ces questions. Aujourd'hui, nous avons l'impression d'être entendus lorsque nous demandons une discussion et des débats approfondis sur des amendements. J'estime que c'est un progrès fantastique.
Au fond, ce que j'aimerais dire, c'est que la loi actuelle n'est pas aussi mauvaise que certains peuvent le penser et qu'elle est viable. En outre, toutes les propositions de réforme me préoccupent car elles ne sont peut-être pas dans le meilleur intérêt de l'efficience et des marchés canadiens—que ce soit du côté des consommateurs ou des producteurs.
Je vous remercie beaucoup de votre attention, monsieur le président et chers membres du comité. Je serais maintenant ravi de répondre à vos questions.
¹ (1555)
Le président: Je vous remercie beaucoup, monsieur Ross.
La parole est maintenant à M. Bagnell.
M. Larry Bagnell (Yukon, Lib.): Pour commencer, permettez-moi de vous exposer mon point de vue. Je pense que nous avons besoin d'une réforme et je suis plutôt du genre à me porter à la défense des clients. Je pense que les deux premiers sont plus une réforme que l'amendement.
Est-ce que la proposition originale ou la proposition amendée auraient changé quelque chose dans l'issue qu'a connue l'affaire Supérieur Propane? Ce fut un désastre pour les clients de ma région du Yukon et cela a débouché sur la création d'un monopole dans cette partie du Canada.
M. Thomas Ross: Elles auraient certainement fait une différence dans ce cas-ci, mais je suis content que vous ayez soulevé la question. Je pense qu'on aurait très bien pu gagner cette affaire en se fondant strictement sur le critère du surplus total. Il est facile de se prononcer après coup, mais le travail réalisé depuis a révélé que s'il y avait eu une évaluation de la situation de prédominance sur ce marché, ce fusionnement n'aurait jamais été autorisé, même avec le critère du surplus total.
Bien qu'il soit vrai que les amendements auraient été un obstacle très important à la réalisation de ce fusionnement, même en tenant compte de l'approche du surplus total, des décisions stratégiques différentes auraient permis d'empêcher ce fusionnement. Par conséquent, selon moi, les changements n'étaient pas nécessaires pour éviter ce fusionnement.
M. Larry Bagnell: En apparence, il me semble qu'il ne serait pas si difficile, dans la plupart des cas, de défendre l'idée selon laquelle plus de gains en efficience conduisent vers le monopole, l'oligopole ou je ne sais trop quoi.
M. Thomas Ross: Beaucoup de gens pensent cela, mais pas moi. Quand vous commencez à prendre beaucoup de place sur un marché, il est assez difficile de répondre aux critères du surplus total, et ce, pour un certain nombre de raisons. Tout d'abord, quand on envisage un fusionnement, on établit toujours une comparaison entre les risques de dommages causés par une hausse des prix et les gains en efficience estimés. On sait que ces gains sont parfois atteints, mais parfois ils ne le sont pas et on a tendance à négliger cet aspect un peu trop souvent. En plus, on n'est pas non plus très sûr d'une diminution de la concurrence.
Mais dès qu'on se trouve dans une position dominante, on devient très confiant qu'il y aura une diminution de la concurrence, c'est pourquoi la balance penche très clairement en faveur du blocage du fusionnement, à cause du surplus total. Vous accordez à la diminution de la concurrence tout le poids et vous donnez moins d'importance aux gains en efficience car il y a des chances qu'ils ne se concrétisent pas.
Il faut ajouter à cela certains des coûts que les sociétés dominantes imposent en haussant considérablement leurs prix, ce que les comptables appellent l'inefficience x et qui traduit un manque d'efficacité et d'innovation. Nous ne tenons probablement pas assez compte de ces éléments dans la Loi sur la concurrence; nous devrions les utiliser dans le cadre du critère de surplus total. Je pense que les fusionnements entraînant une domination du marché ou un monopole ont très peu de chances d'aboutir. Dans les très rares cas où il semble qu'ils pourraient être approuvés, en vertu de l'approche du surplus total mitigé, on pourrait y être favorables s'ils signifiaient une redistribution importante des revenus.
M. Larry Bagnell: J'aimerais bien savoir ce qu'en pense Dan.
Ma dernière question porte sur l'application de la loi. Sauf en ce qui concerne peut-être l'amendement original sur le régime existant ou le régime amendé, il semble... Je ne sais pas comment l'application... Lorsque vous avez le monopole, vous pouvez dire ce que vous voulez puisque l'année d'après, il vous suffit de monter les prix si vous avez un marché captif.
M. Thomas Ross: Absolument. Mais le bureau évaluerait le fusionnement; il est très bon pour cela. Il essaie de prédire quel sera l'effet sur les prix à long terme. Il étudiera les différents points de vue exprimés par les parties ayant fusionné selon lesquels l'augmentation des prix sera nulle ou insignifiante. Le bureau est très bon pour cela ainsi que pour examiner la structure des coûts de la société, la demande, les produits de substitution possibles, et pour évaluer la hausse éventuelle des prix. Le bureau dispose d'employés très compétents pour réaliser ce type d'analyses.
Le président: Monsieur Fitzpatrick.
M. Brian Fitzpatrick (Prince Albert, Alliance canadienne): J'aimerais simplement parler du problème des monopoles. Il me semble qu'il faut faire une distinction entre quelqu'un qui occupe une position dominante sur le marché parce qu'il livre une concurrence acharnée et celui qui jouit d'un monopole protégé par le gouvernement. Par le passé, il y a eu beaucoup d'exemples d'entreprises ayant acquis une position dominante sur le marché qui étaient devenues très inefficaces, arrogantes et inertes, jusqu'à ce qu'un concurrent les fasse descendre de leur piédestal. General Motors, aux États-Unis, est le premier exemple qui me vient à l'esprit; il y a aussi IBM, pour les ordinateurs et Sears, dans le commerce de détail. Selon moi, c'est ce qui finira par arriver. À force de grossir et de dominer le marché, on devient très inefficace et on se fait détrôner par quelqu'un d'autre.
En outre, dans un système axé sur la concurrence, il y a quelque chose qui n'a pas de prix et qu'il est très difficile d'évaluer. Dans notre économie, une part très importante de l'innovation découle de cette dynamique, d'une situation de concurrence sur les marchés. C'est le moteur de l'innovation. Par conséquent, quand une entreprise a trop de pouvoir sur un marché ou lorsqu'il y a trop de monopoles, l'innovation en pâtit énormément.
º (1600)
M. Thomas Ross: Ce sont deux aspects importants.
Pour ce qui est de votre premier point, c'est vrai, et vous avez parlé d'entreprises qui ont été importantes et même dominantes, puis ont perdu leur place. Vous avez donné l'exemple de General Motors. Bien sûr, General Motors a quasiment éliminé Ford qui, avant, était importante et dominante, mais a presque fait faillite quand General Motors lui a ravi le marché.
Il est vrai que les marchés concurrentiels à libre accès seront les meilleures protections contre l'emprise sur le marché. Il est alors très important de se demander jusqu'à quel point l'accès des nouvelles entreprises est facile. Et, comme je l'ai déjà dit, en général, les économistes croient que les obstacles les plus sérieux à l'accès sont imposés par le gouvernement. Ce peut être des obstacles inoffensifs comme des brevets ou des concessions qui permettent seulement la présence d'une entreprise dans un secteur pour une certaine raison. Il reste que les obstacles imposés par le gouvernement sont très difficiles à surmonter.
Habituellement, les entreprises peuvent avoir raison de la plupart des autres types d'obstacle et mener leurs activités. Quand les entreprises ont accès au marché, celles qui le dominent aujourd'hui ne le domineront pas nécessairement demain. C'est la raison pour laquelle, je le répète, beaucoup d'économistes penchent plutôt en faveur des fusionnements entraînant d'importants gains en efficience parce qu'ils ont le sentiment que, même si cela crée une situation de prédominance sur le marché, elle va finir par disparaître en raison du phénomène dont je viens de vous parler.
Ce qui doit nous préoccuper et nous interpeller, c'est la hausse des prix que nous sommes prêts à refiler pendant cinq ou dix ans aux consommateurs d'aujourd'hui avant que l'entreprise ne se fasse damer le pion par une autre. Il faut analyser les obstacles à l'accès, nous demander si l'accès est facile et s'il existe des obstacles imposés par le gouvernement qui le rende plus difficile. Ceux-là peuvent peut-être être réexaminés. Puis, en bout de ligne, on peut déterminer si les gains en efficiences vont compenser les effets néfastes temporaires ressentis par les consommateurs.
Il est vrai que les marchés concurrentiels favorisent l'innovation. Bien sûr, quand une entreprise est temporairement en position de monopole, elle fait beaucoup d'argent, c'est aussi une cible intéressante pour les gens et, donc, la perspective de détenir un monopole pendant une courte période est en partie ce qui incite les gens à innover. Vous ne voulez pas innover sur un marché concurrentiel. Vous voulez innover pour faire du profit, tout en sachant, bien sûr, que c'est temporaire; si vous ne continuez pas à innover, vous n'aurez plus de profits.
M. Brian Fitzpatrick: Il y a des années, j'ai entendu M. Deming, quand il vivait encore, plaider en faveur du monopole. Je pense qu'il citait en exemple AT&T, pour qui il avait travaillé. Il a parlé des nombreux avantages du monopole, comme les contrats à long terme et les relations avec les fournisseurs, et du fait que vous n'avez pas à vous préoccuper de vos résultats financiers et du rendement du prochain trimestre. D'après lui, cette entreprise, qui détenait un monopole, était très innovatrice et prospère. J'avais trouvé ces arguments intéressants. Je pense qu'elle s'est beaucoup inspirée du Japon pour structurer ses entreprises et mener ses affaires.
Je dirais qu'on peut démontrer clairement le bien-fondé du pouvoir de monopole. Les employés de Lucent faisaient partie du réseau d'AT&T. Ils ont beaucoup innové avant de connaître beaucoup d'ennuis après la déréglementation.
º (1605)
M. Thomas Ross: Oui. En fait, c'est une question que j'examine avec mes étudiants. Il y a deux modèles proposés pour créer des entreprises de classe mondiale. Le modèle du champion national, selon lequel on incite les gouvernements à protéger et à dorloter les entreprises nationales pour qu'elles constituent un monopole national. Elles deviennent alors imposantes, influentes et productives, ce qui en fait des concurrents sérieux à l'échelle internationale.
L'autre modèle est celui de la ligne dure, selon lequel le marché national est vigoureusement concurrentiel et c'est ce processus concurrentiel qui va permettre aux entreprises nationales de performer et de s'adapter afin de vraiment être prêtes à conquérir le monde.
Je dois dire que, jusqu'ici, il semble que la concurrence crée davantage d'entreprises influentes que le fait de les dorloter ou de les protéger, même si j'ai souvent entendu vos arguments et ceux de M. Deming. Ils n'ont plus la cote dans notre milieu en général, et on considère qu'une inefficacité sournoise finit par s'installer quand il y a des monopoles, et que nous sommes en fait mieux servis quand le processus et les marchés sont concurrentiels.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Fitzpatrick.
Monsieur Savoy.
M. Andy Savoy (Tobique—Mactaquac, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président, et merci à vous, monsieur Ross, d'être venu nous rencontrer aujourd'hui.
M. Thomas Ross: Merci.
M. Andy Savoy: Beaucoup de gens ont exprimé ici des inquiétudes au sujet du précédent créé par l'affaire Supérieur Propane. Et, comme Larry, j'estime qu'elle a eu un impact très important dans ma région du Canada atlantique.
Nous avons entendu dire que le bureau avait mal calculé la perte sèche. D'après vous, qui êtes un expert, est-ce que le bureau s'est trompé? Si oui, que pouvez-vous dire à ce sujet précisément?
M. Thomas Ross: J'aimerais d'abord dire que je ne suis pas un des grands spécialistes de cette cause. Je n'ai travaillé pour le compte de personne à ce sujet, ce qui me permet d'en parler plus librement, j'imagine.
J'ai le sentiment que le bureau s'est trompé. Je ne veux pas nécessairement critiquer le bureau parce que c'est plus facile de parler avec le recul. Il fallait décider quels arguments seraient bien compris et reconnus et lesquels sembleraient trop théoriques ou abstraits et auraient du mal à convaincre les membres du tribunal, et on a peut-être pensé que ces explications étaient suffisantes.
Le problème était le suivant : tenons-nous compte du fait qu'il existait déjà une situation de prédominance sur le marché? Un fusionnement qui fait augmenter le prix, disons, de 5 p. 100 nuit davantage à l'économie si le prix n'est déjà pas concurrentiel, que s'il l'est. On a présumé que le prix était au départ près du niveau concurrentiel, et on a calculé le tort causé en fonction de ce prix, de sorte qu'on a énormément sous-estimé le tort causé. Encore une fois, on pouvait avoir d'excellentes raisons de choisir cette stratégie; je n'ai participé à aucune des discussions là-dessus.
Mais il reste que, par la suite, les gens ont analysé la question et se sont demandé quels auraient été les effets néfastes du fusionnement si on avait tenu compte de l'existence préalable d'une prédominance sur le marché? Les effets atteignent alors un chiffre qui se rapproche des gains en efficience allégués, et je suis convaincu que le tribunal n'aurait eu aucun problème dans ce cas à refuser le fusionnement, étant donné que les effets néfastes, comme je l'ai dit, étaient assurés dans un cas comme celui-ci étant donné qu'il y avait presque une situation de monopole et que les gains en efficience sont toujours difficiles à mesurer. Je pense que le tribunal n'aurait pas eu de problème à rejeter le fusionnement. C'est facile pour moi de le dire, mais c'est ce que je pense.
M. Andy Savoy: Merci.
Maintenant qu'un précédent a été créé par Supérieur Propane...et je comprends votre proposition maintenant; vous dites que la loi actuelle, depuis son adoption, peut être interprétée, et que cette situation peut ne plus se reproduire. D'après une analyse de rentabilité et de risque du statu quo, et compte tenu du précédent créé par Supérieur Propane et des modifications proposées, pouvez-vous me donner les avantages et les inconvénients des deux situations sur le plan des risques?
M. Thomas Ross: Vous ne parlez pas seulement de ce marché en particulier, mais des effets sur l'ensemble de l'économie.
Je pense que la règle établie à la suite de l'affaire Supérieur Propane, d'après les discussions, vient du fait que le tribunal semble tellement vouloir mettre de l'avant le surplus total, alors que la Cour fédérale est d'avis qu'il n'y a pas seulement le surplus total qui compte. Je pense qu'il en a découlé une règle qu'on appelle la règle du «surplus total mitigé».
L'inconvénient c'est qu'on va permettre qu'il y ait des fusionnements qui causent des effets néfastes aux consommateurs. Si les effets néfastes sont importants et fort considérables, c'est alors que le critère «mitigé» interviendra, et que nous devrions pouvoir faire quelque chose. Mais on pourrait approuver beaucoup de fusionnements qui entraînent de petites augmentations de prix ou des augmentations de prix à des consommateurs qui ne sont pas particulièrement plus pauvres que les actionnaires.
Des gens vont considérer qu'un fusionnement est négatif chaque fois que les consommateurs sont défavorisés, et c'est leur droit.
L'inconvénient des modifications proposées, c'est qu'on pourrait refuser d'approuver des fusionnements qui vont réduire les prix parce que, d'après le projet de loi, si des gains en efficience importants ne sont pas transmis aux clients, on refuse un fusionnement même si le fusionnement aurait fait baisser les prix. Cela pourrait ne pas se produire souvent, mais c'est l'inconvénient de cela. Évidemment, une nouvelle loi suscite toujours un peu d'incertitude, mais c'est normal, j'imagine.
M. Andy Savoy: Vous estimez donc qu'il vaut mieux garder le statu quo qu'adopter la loi qui modifie la Loi sur la concurrence, à cause de cet effet indésirable.
º (1610)
M. Thomas Ross: Oui. J'aimerais bien qu'on me convainque que, s'il y a d'autres cas comme l'affaire Supérieur Propane, le critère du surplus total mitigé n'est pas celui qui sera retenu. Je peux me tromper mais, actuellement, le statu quo me convient très bien.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Savoy.
Monsieur Crête.
[Français]
M. Paul Crête (Kamouraska—Rivière-du-Loup—Témiscouata—Les Basques, BQ): Merci, monsieur le président.
Je voudrais être sûr de bien comprendre. Le Bureau de la concurrence a décidé, le 31 mars, de ne pas faire appel de la dernière décision dans le cas de Supérieur Propane. Dans sa décision, le bureau dit:
Bien que déçu de la décision de la Cour annoncée le 31 janvier 2003, le Bureau a conclu que d'autres poursuites judiciaires n'auraient pas pour effet de clarifier la défense des gains en efficience. |
Par contre, en 1998, le bureau avait dit:
Selon notre point de vue, le fusionnement des deux entreprises dominantes dans l’industrie du propane pourrait causer une grave détérioration de la concurrence avec, comme résultat, des prix particulièrement élevés pour de nombreux consommateurs. |
Autrement dit, en 1998, le bureau jugeait qu'il était pertinent d'aller en appel, et maintenant, étant donné la complication de la situation et la difficulté de prouver des choses, il a décidé, non pas sur le fond de la question mais sur la forme, de ne pas aller en appel. Est-ce que le projet de loi C-249 faciliterait ou compliquerait les poursuites du Bureau de la concurrence? Par exemple, dans le cas de Supérieur Propane, aurait-il pu continuer s'il avait eu cet outil?
[Traduction]
M. Thomas Ross: Je ne suis pas avocat, et je ne sais donc pas quels seraient les motifs de poursuites. Mais, pour ce qui est des considérations économiques, dont vous parlez probablement, il se pourrait bien que le bureau ait décidé de ne pas aller en appel—ce qui est fort sage d'après moi—en raison des travaux de votre comité, parce qu'il vaut mieux chercher à modifier la loi et que les motifs d'appel n'étaient pas suffisants pour faire changer la loi par une décision de la Cour suprême, et que la meilleure façon d'améliorer la loi est de la faire modifier après une étude du comité. C'est une décision très raisonnable d'après moi.
Je ne sais vraiment pas quels auraient pu être les motifs d'appel, si le bureau avait voulu en appeler de la décision. Un avocat serait peut-être mieux placé que moi pour vous répondre.
[Français]
M. Paul Crête:
Dans sa décision, le bureau dit:
Bien que déçu de la décision de la Cour annoncée le 31 janvier 2003, le Bureau a conclu que d'autres poursuites judiciaires n'auraient pas pour effet de clarifier la défense des gains en efficience. |
Dans cette modification, qu'est-ce qui permettrait de clarifier la défense des gains en efficience? Je pense qu'au fond, l'objectif était celui-là. Le projet de loi est peut-être la bonne façon d'atteindre cet objectif, ou peut-être existe-t-il une autre façon de le faire, mais l'objectif lui-même peut se justifier. À votre avis, y a-t-il quelque chose qui pourrait être fait pour clarifier les gains en efficience, que ce soit C-249, auquel vous semblez vous opposer, ou une autre chose que vous pourriez nous exposer?
º (1615)
[Traduction]
M. Thomas Ross: Les modifications pourraient assurément clarifier la défense fondée sur les gains en efficience. Par exemple, une modification pourrait simplement indiquer qu'il ne doit y avoir aucun effet néfaste pour le consommateur. Ce serait très clair. La défense des gains en efficience n'en serait pas vraiment une mais, si vous discutez des gains en efficience, vous devrez soutenir qu'ils étaient tellement importants que l'entreprise ne voudra pas augmenter les prix ou nuire aux consommateurs d'une autre façon.
Il y aurait certainement des moyens de rédiger une modification claire. Je ne sais pas si elle tiendrait compte de toutes les considérations économiques souhaitables que nous voudrions. Je préfère le statu quo qui est valable, d'après moi. Je pense que le critère du surplus total mitigé a maintenant force de loi, et peut-être que le bureau a en partie décidé de ne pas interjeter appel parce qu'il pense que la Cour suprême ne ferait que reconnaître ce fait et, si cela ne fait pas son affaire, ce qui se comprend, faire modifier la loi, par l'entremise de votre comité, est la meilleure solution.
[Français]
M. Paul Crête: Sur le fond de la question, le Bureau de la concurrence a jugé, en 1998, qu'il y avait matière à appel, et il se dit maintenant déçu de la décision. C'est parce qu'il n'avait pas les outils nécessaires qu'il a décidé de ne pas continuer d'intervenir. C'est donc pour une raison de forme, et non pour une raison de fond, qu'il a décidé de ne pas continuer. Partagez-vous ce point de vue ou si vous pensez que, quels qu'aient été les outils, il n'aurait pas été possible d'être plus clair?
[Traduction]
M. Thomas Ross: Monsieur, je m'excuse, mais je n'ai pas entendu la traduction de votre question.
Le président: Vous devrez la répéter.
[Français]
M. Paul Crête: Le bureau a décidé de ne pas aller en appel même s'il trouvait qu'il y avait matière à le faire. Pour vous, est-il acceptable que le Bureau de la concurrence, même s'il considère qu'il y a une question de fond à régler, ne puisse pas le faire parce qu'il n'a pas les outils nécessaires? Cette décision va contribuer à diminuer la réputation du Bureau de la concurrence. On se dira qu'il ne vaut pas la peine de présenter des causes étant donné que le bureau n'a pas les outils nécessaires pour les traiter correctement.
[Traduction]
M. Thomas Ross: Votre question est pertinente. J'imagine qu'il se trouve peut-être dans une situation très difficile. Je sais que ces poursuites lui coûtent cher. Il a peut-être jugé que la possibilité de réussir à faire améliorer la loi, selon lui, n'était pas suffisante pour justifier l'investissement de ces ressources. Il fait peut-être assez confiance à votre comité pour croire que la loi sera améliorée de la façon qu'il veut.
Je suppose que je pourrais mieux vous répondre si je connaissais ses motifs d'appel. Je ne suis pas avocat. J'ai l'habitude de lire des causes. Je ne vois pas quels seraient les motifs, mais je ne suis pas avocat, comme je l'ai dit. Si je connaissais les motifs et si je pensais que leur étude pouvait aider à clarifier un peu plus la loi, vous avez peut-être tout à fait raison de dire qu'il devrait interjeter appel, ne serait-ce que pour obtenir l'avis de la Cour suprême sur l'état actuel de la loi avant que nous adoptions des modifications.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur McTeague.
M. Dan McTeague (Pickering—Ajax—Uxbridge, Lib.): Monsieur Ross, merci d'être venu nous rencontrer aujourd'hui. J'ai des questions à vous poser, mais je tiens d'abord à vous remercier et à vous féliciter du travail considérable que vous et Mme Everett avez accompli à la demande du gouvernement sur le traitement des gains en efficience dans l'examen des fusionnements.
Vous avez expliqué, et je trouve que c'est intéressant, qu'il est important de reconnaître que la concurrence et l'efficience ne sont pas une seule et même chose. Je pense que vous l'avez dit ici, et je note qu'il en est question à la page 9 du rapport. Vous dites entre autres que, si un fusionnement réduit le nombre de concurrents dynamiques ou élimine un concurrent particulièrement productif, cela pourrait assurément affaiblir la compétitivité sur le marché.
D'après ce que je comprends, selon la défense fondée sur les gains en efficience, il faudrait accepter une diminution importante de la concurrence—c'est le compromis à faire. On accepte un effet anticoncurrentiel possible—un tort peut-être irréparable pour l'économie—mais un gain en efficience pourrait devenir un avantage plus tard.
C'est pourquoi je propose, à l'article 93, que le tribunal peut «tenir compte de la mesure dans laquelle le fusionnement réalisé ou proposé assure ou assurera vraisemblablement des gains en efficience qui offriront des avantages»—pas des avantages importants au niveau des prix, mais des avantages—«aux consommateurs, y compris des prix concurrentiels». C'est ce que j'ai proposé.
Craignez-vous, à propos de l'amendement, que les éléments à considérer à l'article 93 ne conviennent pas, que nous pourrions et devrions accepter implicitement la perte de concurrents dynamiques efficaces, comme dans le cas de Supérieur Propane? Si c'est le cas, quel est le compromis? Le compromis est-il un critère que nous comprenons, ou dans le cas des comparaisons que vous avez faites...? Je remarque—et vous me pardonnerez de le dire—que vous concluez que le Canada est vraiment le seul pays des quatre que vous avez examinés qui n'a pas... Enfin, vous dites essentiellement qu'aucun de ces pays n'a prévu de défense explicite fondée sur les gains en efficience dans sa politique antitrust comme le Canada; de plus, aucun de ces pays n'a adopté le critère du surplus total.
À la lumière de ce qui s'est passé dans l'affaire Supérieur Propane, pourquoi les Canadiens accepteraient-ils un critère qui semble nuire aux consommateurs, qui permet des effets anticoncurrentiels néfastes, alors qu'aucun autre pays ailleurs dans le monde ne le fait?
º (1620)
M. Thomas Ross: Vous posez des questions difficiles.
Vous avez bien raison. Parmi le petit nombre de pays que nous avons examinés, le Canada est le seul qui a une défense explicite fondée sur les gains en efficience. Je pense qu'il peut y en avoir un ou deux autres dans le monde, mais pas des économies importantes. Donc, nous sommes les seuls de cette façon.
Ce qui est intéressant, au moins, c'est que trois des autres pays que nous avons étudiés cherchaient à améliorer le traitement des gains en efficience dans leur examen des fusionnements. Vous pensez peut-être que nous sommes trop généreux à ce sujet. En général, ils estiment ne pas l'être assez. Ils se rapprochent de nous—on peut penser à un processus d'harmonisation peut-être—et nous nous rapprochons d'eux, si nous continuons dans cette voie.
On reconnaît en général qu'il faut tenir compte des gains en efficience et c'est en partie l'incertitude que suscite le paragraphe 96(1) proposé qui m'inquiète. Vous vous demandez ce qui se passe quand les gains en efficience sont un facteur, si je ne m'abuse. Il faut alors se demander quelle doit être l'importance de ce facteur. D'après moi, il est possible que les consommateurs soient avantagés par un fusionnement mais, en vertu de cette nouvelle disposition, le fusionnement pourrait être refusé s'il ne les avantage pas suffisamment. Les coûts diminuent beaucoup et les prix un peu, et on considère qu'ils n'en tirent pas un avantage suffisant.
C'est très ambigu d'après moi.
Pour le reste, vous vous demandez, pertinemment, pourquoi les Canadiens devraient accepter un système qui désavantage les consommateurs. Je vous répondrai que nous sommes des consommateurs, mais nous sommes aussi des producteurs et des travailleurs au sein d'entreprises qui réalisent des profits et augmentent alors nos salaires.
En général, vivre dans une économie efficiente est avantageux pour nous et pour nos enfants. Ce qui ne veut pas dire qu'il faut fermer les yeux devant la redistribution scandaleuse des revenus; le critère du surplus total mitigé nous permettrait de s'attaquer à ce problème. Mais il faudra probablement, oui, accepter que, dans certains cas, les prix augmentent, du moins pour un certain temps. Mais ce sera compensé par des gains en efficience plus importants.
Je rappellerais que la plupart des économistes estiment que ces effets anticoncurrentiels seraient plutôt transitoires—pas au point de les ignorer, mais les marchés concurrentiels ont une façon de corriger les choses. Quand il y a un pouvoir de monopole, de nouveaux joueurs sont appelés. Cela prend du temps parfois, et il faut respecter cela. Mais le pouvoir du marché, à moins d'être soutenu par des sanctions gouvernementales, une force gouvernementale, est habituellement temporaire.
M. Dan McTeague: Monsieur Ross, je vous respecte en tant qu'économiste, et vous et moi avons déjà travaillé ensemble. Il me semble assez intéressant que notre plus important partenaire commercial, avec lequel notre économie est grandement intégrée, n'accepterait jamais un critère indiquant que l'intérêt public, ou les intérêts du consommateur... ou qu'il y a des effets néfastes que nous devrions accepter qui, à bien des égards, comme dans le cas de Supérieur Propane dans le Canada atlantique—ou au Yukon, comme mon collègue M. Bagnell l'a dit—causeraient un tort irréparable empêchant à quiconque de se rétablir.
Si moi, en tant que législateur, et mes collègues devions accepter l'argument selon lequel le Canada devrait adopter une loi ou une disposition qui prévoit un modèle de monopolisation de pratiquement toutes les industries de notre pays, compte tenu de notre niveau d'intégration avec d'autres pays, pourquoi ne voudrions-nous pas au moins envisager...? Vous dites que d'autres pays semblent tenir un peu plus compte des gains en efficience. Nous avons tendance, de toute évidence—et je me fonde sur les textes de M. Ross—à nous situer à l'extrême, et à appliquer le critère du surplus total. Nous sommes prêts à punir nos consommateurs; nous sommes prêts à accepter moins de concurrence; nous sommes prêts à accepter une diminution importante de la concurrence, ce qui dépasse les interprétations les plus extravagantes des parlementaires.
Qu'est-ce que les économistes jugent si important à propos du critère de surplus total pour vouloir que le Canada devienne, essentiellement, un terrain d'essai alors que cela nuit à la concurrence, viole l'essence même de la Loi sur la concurrence dont l'objectif n'est pas seulement des gains en efficience mais, d'après ce que je comprends, la promotion des intérêts des petites entreprises, de l'innovation et des consommateurs? Devons-nous modifier l'article 1.1 de la Loi sur la concurrence qui définit l'objet de la loi pour indiquer qu'il faudrait accepter les monopoles même s'ils sont dommageables ou dangereux?
º (1625)
M. Thomas Ross: Je comprends que vous utilisiez un cas extrême pour faire ressortir votre point plus clairement, et c'est de bonne guerre. Évidemment, en appliquant le critère du surplus total, vous n'obtiendriez pas des monopoles partout. La plupart des monopoles échoueraient si on les soumettait à ce critère. Les gains en efficience ne sont pas si importants, surtout lorsque vous tenez compte de certains effets très négatifs sur la concurrence. Très peu de fusionnements aboutissant à un monopole parviendraient à échapper au critère du surplus total. Encore une fois, si les redistributions étaient choquantes ou extrêmes, il y aurait une autre façon d'intervenir en vertu de l'approche du surplus total mitigé.
Laissez-moi commenter vos propos au sujet des États-Unis. Aux États-Unis, pas à pas, on devient de plus en plus sensible à la notion d'efficience. Je pense qu'il y a là-bas des gens qui sont jaloux de notre moyen de défense de l'efficience.
Et laissez-moi vous dire qu'aux États-Unis, ce sont les économistes, ce qui n'est pas étonnant, qui aiment la notion de défense de l'efficience, et non les avocats. Mais, cette question est un peu moins importante pour eux parce que, comme ils travaillent sur un marché qui est 10 fois plus grand que le nôtre, il arrive assez souvent qu'ils puissent avoir le beurre et l'argent du beurre. Ils peuvent avoir beaucoup de concurrence et des entreprises assez grandes pour être efficaces. Dans une économie plus petite comme la nôtre, surtout dans le secteur manufacturier, nous avons eu des expériences—et nous avons reconnu ce phénomène il y a des dizaines d'années—qui montrent que nous devons accepter un degré de concentration plus élevé que ne le feraient les Américains, mais cela est lié au fait que l'économie est plus petite. Cela signifie que nous devons accepter de comparer la concurrence et l'efficience. Cela nous touche d'une manière qui n'est pas nécessairement la même que pour les Américains.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Massé.
M. Brian Masse (Windsor-Ouest, NPD): Merci de votre présence, monsieur Ross.
Pour revenir sur un élément de votre témoignage, vous avez dit qu'il faudra tolérer certaines des situations ou monopoles que nous allons rencontrer. Quel est le seuil? De plus, puis-je savoir ce que vous pensez, de manière générale, du fait qu'on ne parle pas uniquement de consommateurs ordinaires—c'est-à-dire des Canadiens au foyer ou des Canadiens typiques—mais que cela touche également d'autres entreprises et, en particulier, des petites et des moyennes entreprises? L'affaire Superior Propane est un exemple qui peut toucher l'industrie parce qu'elle concerne des produits énergétiques et d'autres produits dont dépendent fortement la croissance et la position concurrentielle des entreprises, les plus petits marchés et tout cela. Devrait-on apporter des nuances à cette modification ou y a-t-il un degré de tolérance général pour tout cela? Je pense au fait que si on éliminait la concurrence dans le cas de certains produits qui sont sur le marché, cela pourrait avoir des répercussions sur certaines petites entreprises qui en dépendent et qui, ainsi, pourraient avoir la vie plus difficile. Quel devrait être le seuil ou le degré de tolérance?
M. Thomas Ross: Oui, c'est une question très difficile à répondre. Il est certain que la petite entreprise compte, comme n'importe qui d'autre, et les petites entreprises sont, évidemment, des acheteurs et des vendeurs. Les petites entreprises qui fusionnent dans les petits marchés locaux pourraient se retrouver de l'autre côté de la table lorsque vient le temps d'examiner le fusionnement—du moins, ce serait le cas des entreprises de taille moyenne. Évidemment, dans de nombreux cas, les petites entreprises sont davantage touchées à titre d'acheteurs lorsque les fusionnements font grimper les prix qu'elles doivent payer.
Dans la théorie économique, on ne trouve pas de seuil au-delà duquel vous commencez à vous inquiéter de la création d'une position dominante sur le marché. Cela dépend. Nous examinons souvent les parts du marché, mais je pense que le paragraphe 92(2) nous met en garde contre une fixation trop grande sur la part du marché. L'analyse se doit d'être plus complète.
Alors, nous prenons en considération des choses comme les entraves à l'accès au marché. C'est le deuxième facteur en importance, à savoir est-il facile pour d'autres entreprises de s'implanter sur le marché. Nous devrions peut-être prendre en considération les fournisseurs étrangers qui importent dans le marché en question, les entrepreneurs d'ailleurs au Canada qui veulent importer dans ce marché, les nouvelles entreprises qui démarrent ou les entreprises qui prennent de l'expansion dans ce secteur.
Alors, vous analysez la concentration du marché en tenant compte peut-être de certaines informations que vous avez sur la façon dont ces entreprises se comportent entre elles. Par exemple, s'il y a des antécédents de coopération ou de collusion, c'est une très mauvaise signe et vous voulez tout faire pour empêcher un fusionnement et je n'aimerais pas voir un fusionnement dans une industrie qui a des antécédents récents de collusion.
Par contre, si vous avez cinq entreprises qui se livrent une forte concurrence—personne ne fait vraiment beaucoup d'argent—et qu'on propose un fusionnement qui réduirait leur nombre à quatre, vous ne seriez probablement pas très inquiet, surtout si les entraves à l'accès au marché ne semblent pas très importants.
Si vous examinez les pays dans le monde où il y a un critère de domination du marché—quelle part du marché est nécessaire pour que les autorités voient une entreprise comme devenant dominante, parce que dans certains pays, on ne s'inquiète des fusionnements qu'une fois que l'on arrive à ce qu'on appelle la position dominante—je pense qu'en Europe une part du marché d'environ 50 p. 100 est un chiffre à peu près suffisant pour amener la Commission européenne à penser qu'il s'agit maintenant d'un secteur où il y a une entreprise dominante et qu'il faudrait empêcher qu'elle accroisse sa domination par le biais de fusionnements. Mais je ne fais que lancer ces chiffres à titre d'exemple. C'est un des chiffres en circulation.
Maintenant, le bureau canadien a probablement toléré des chiffres un peu plus élevés que cela pour définir la position dominante, mais cela est en partie attribuable au fait que nous n'avons pas besoin d'invoquer les critères de la domination pour empêcher un fusionnement. Les Européens ne peuvent empêcher une fusion à moins d'invoquer le critère de la position dominante, c'est pourquoi ils ont un seuil assez bas pour la définir. Nous, nous pouvons empêcher un fusionnement sans recourir à ce critère, alors il n'est pas aussi important de savoir où nous tirons la ligne pour définir ce qu'est la position dominante. Ce n'est pas vraiment un aspect qui entre en considération dans un cas de fusionnement en soi. C'est uniquement la position dominante sur le marché.
º (1630)
Le président: Merci.
M. Brian Masse: Plus tôt, vous avez noté le cas de Superior Propane et vous avez dit attendre d'autres exemples, potentiellement, avant de prendre des mesures. Combien d'exemples faudra-t-il et si tel est le cas et si vous en arrivez au point de décision, qu'allons-nous tolérer avant de voir quelque chose arriver? Un, deux, trois ou s'agit-il uniquement d'un chiffre au hasard qui va constituer le déclencheur, l'élément qui va signifier qu'il est peut-être temps de procéder à des modifications législatives?
Encore une fois, je suis très inquiet au sujet des petites et moyennes entreprises qui dépendent réellement de produits particuliers et qui peuvent être mises en difficulté; elles ne peuvent tolérer l'absence de concurrence pour certaines des éléments dont elles ont besoin pour réussir. Et je pense que cela décourage une certaine innovation qui pourrait être très importante pour la concurrence dans les secteurs généraux et, en particulier, dans le secteur de l'automobile d'où je viens. Ce secteur domine notre région avec ces machines-outils et ses matrices, et ce genre de choses. Ces entreprises voient beaucoup de progrès, mais cela est également fondé sur un certain sens de la stabilité et de la protection concernant certaines des choses dont elles ont besoin pour être concurrentielles.
M. Thomas Ross: Oui, c'est un point intéressant.
Mes amis avocats pourraient penser autrement, mais je dirais qu'un cas pourrait faire une différence s'il était particulièrement mauvais. La raison pour laquelle je ne veux pas que nous nous précipitions pour modifier la loi à la suite de l'affaire Superior Propane, c'est en partie parce que je pense que cette affaire nous a donné une règle utilisable. Si la prochaine décision devait détruire complètement cette règle ou si la prochaine décision devait entraîner une redistribution choquante et totalement inacceptable du revenu et que malgré tout, le fusionnement a été autorisé par la Cour fédérale et le tribunal, alors, vous pourriez conclure que c'est suffisant pour revoir la loi.
Mais cette décision, en partie à cause de la façon dont elle a été plaidée par le bureau—encore une fois, il aurait pu plaider autrement et il aurait pu l'emporter, peut-être selon un critère du surplus total—, fait qu'il ne s'agit pas d'un bon cas sur lequel fonder une révision de la loi; et, deuxièmement, comme le point de droit qui en ressort n'est peut-être pas si mauvais, je pourrais défendre l'idée que nous voulons attendre au moins un autre cas. Si nous avions un autre cas dont l'issue est choquante et qui a été défendu le mieux possible par la partie gouvernementale, alors, je pense que vous auriez certainement raison de vouloir revoir la loi.
Le président: Merci, monsieur Ross.
Monsieur St. Denis.
M. Brent St. Denis (Algoma—Manitoulin, Lib.): Merci, monsieur le président, et merci, monsieur Ross, de votre présence.
J'ai deux questions, si j'en ai le temps.
Avant de poser ma première question, je dois vous demander si vous avez vu ou entendu le témoignage de lundi du commissaire de la concurrence.
M. Thomas Ross: Je l'ai lu une fois.
M. Brent St. Denis: Ma première question a pour but de nous aider, nous, les participants moins expérimentés, à mieux comprendre la Loi sur la concurrence. D'après ce que je crois comprendre, le témoignage du commissaire appuie la modification proposée—la version initiale ou la version révisée, si j'ai bien compris. Et j'ai entendu votre témoignage très éloquent qui n'appuie pas ces modifications. Je me demande si vous pouvez expliquer, dans vos propres mots, la différence qui existe entre votre façon de voir les choses et celle du commissaire de la concurrence. Cela serait très utile, du moins pour moi.
M. Thomas Ross: Le commissaire est vraiment passionné par cette question et c'est tout à son honneur. Il adopte le point de vue que tant et aussi longtemps qu'il occupera son poste, il ne veut pas que les consommateurs subissent de préjudices. Il considère—et c'est là une perspective légitime—que son rôle est de maintenir la concurrence, je pense, même si c'est au nom de la concurrence elle-même. En tant qu'économiste, je vois la concurrence comme un moyen d'accroître l'efficience et, par conséquent, je suis prêt à faire un compromis du côté de la concurrence dans l'intérêt de l'efficience et je sais que, dans des situations extrêmes, il le ferait lui aussi.
Je ne veux pas le caricaturer, mais en gros, c'est la différence entre nous deux. Il estime simplement qu'en qualité de commissaire de la concurrence, son travail consiste à s'assurer que la concurrence est bien servie dans tous les marchés et dans toutes les situations. En tant qu'économiste qui regarde cette situation, je vois la concurrence uniquement comme un moyen ou un objectif du point de vue de l'efficience. Et cela explique pourquoi nous donnons des réponses différentes à ces questions.
M. Brent St. Denis: C'est une réponse brève.
Ma deuxième question est en quelque sorte philosophique, parce qu'elle concerne essentiellement la distribution ou la redistribution de la richesse. Plus l'industrie ou les créateurs de biens parviennent à investir le marché, que ce soit grâce à l'innovation, à la loi ou à un autre moyen, on peut présumer que moins il y a de richesse qui retourne au citoyen, pour ainsi dire—le consommateur, de façon très générale. Si nous permettions une concurrence totale, dans un monde parfait, on pourrait présumer que le consommateur obtiendra le maximum d'avantages du capital qui se trouve dans cette industrie, tandis que si nous allons à l'autre extrême et que permettons à l'industrie de profiter de l'effet total de l'efficience, on peut présumer qu'il y aurait moins d'avantages; la redistribution de la richesse se fera moins du côté du consommateur.
Nous avons un régime fiscal qui nous permet de procéder à une redistribution de la richesse; ainsi, grâce à notre régime fiscal et à notre filet de sécurité sociale—bien-être social, etc.—, nous avons les moyens, par le biais d'autres instruments, de redistribuer la richesse. Les gouvernements ne devraient-ils pas saisir l'occasion que leur offrent ici les lois sur la concurrence pour améliorer la redistribution de la richesse étant donné que les régimes fiscaux sont imparfaits? Où tracez-vous la ligne entre la valeur des autres instruments disponibles, comparativement à celle de l'instrument qui est accessible ici, pour relever la barre ou la norme en matière de redistribution de la richesse?
Suis-je clair?
º (1635)
M. Thomas Ross: Vous êtes très clair et il s'agit d'une merveilleuse question.
Il s'agit d'une bonne réponse à donner à des gens comme moi qui disent qu'il suffit de s'inquiéter de la question du surplus total la plupart du temps parce que, après tout, il y a d'autres personnes qui veillent sur la question de la distribution. C'est une très bonne réponse à nous donner et pour nous dire que, oui, mais le reste de cette distribution ne fonctionne pas nécessairement aussi bien que cela. Si vous assommez soudainement quelqu'un avec une nouvelle taxe sous la forme d'un prix plus élevé pour le gaz propane ou un autre produit, il n'y a aucune garantie qu'elle obtiendra une forme quelconque de compensation.
Alors, en principe, oui, nous faisons, grosso modo, une certaine redistribution de la richesse par l'intermédiaire du régime fiscal. Mais si nous allons assommer vraiment quelqu'un, nous avons besoin d'une façon de redistribuer la richesse à cette personne et le système fiscal n'en fournit pas. C'est une réponse sensée.
À ma défense et à la défense des gens qui sont de mon côté, nous n'aimons pas l'idée que tous les organismes gouvernementaux s'immiscent dans la question de la redistribution, parce qu'ils peuvent alors commencer à travailler à contre-courant. Vous recevez des avantages qui vous sont accordés par suite des décisions en matière de concurrence, vous en recevez d'autres qui vous sont accordés par le ministre des Finances en raison de votre revenu, et vous en recevez d'autres qui vous sont accordés par un certain autre bureau à cause de votre situation de personne monoparentale. Pour la plupart des économistes, le fait d'avoir un grand nombre d'organismes gouvernementaux différents qui s'inquiètent de la redistribution ne semble pas une manière efficace de s'occuper du bien-être des Canadiens d'une extrémité à l'autre de l'échelle socioéconomique.
C'est pourquoi je suis assez à l'aise avec cette situation de compromis. Si la redistribution n'est pas trop choquante—s'il s'agit d'une augmentation relativement faible des prix pour des personnes qui ne sont pas gravement désavantagées ou pauvres—et si nous pensons qu'il s'agit d'une situation temporaire parce que de nouvelles entreprises feront leur entrée sur le marché dans quelques années, alors, vous pouvez accepter ce préjudice causé aux consommateurs. Toutefois, l'approche du surplus total mitigé le dit, si vous allez vraiment assommer quelqu'un par suite de cette augmentation de prix, alors, nous n'allons pas compter sur une forme éventuelle de redistribution par le biais du régime fiscal. Nous allons demander une compensation immédiate, peut-être sous forme de promesse de ne pas procéder à une augmentation des prix—auquel cas vous obtiendrez l'autorisation d'aller de l'avant avec votre projet de fusionnement—ou on vous l'interdira, si vous refusez de le faire.
º (1640)
Le président: Monsieur Normand et, ensuite, nous reviendrons à M. Fitzpatrick pour la dernière question.
Monsieur Normand.
[Français]
L'hon. Gilbert Normand (Bellechasse—Etchemins—Montmagny—L'Islet, Lib.): Monsieur Ross, comment le gouvernement peut-il justifier le contrôle de la concurrence, alors que plusieurs niveaux de gouvernement, principalement le provincial et le fédéral, ont des monopoles sur l'alcool, sur les tarifs des aéroports et sur les postes, par exemple? De quelle façon pourrions-nous légiférer à cet égard alors que nous avons nous-mêmes des monopoles?
[Traduction]
M. Thomas Ross: De nombreux étudiants me posent cette question et j'aimerais pouvoir leur offrir une meilleure réponse.
Il est vrai que l'un des vieux arguments proposés par l'école de Chicago était que le seul détenteur de monopole dont on devrait vraiment se préoccuper, c'est le gouvernement, parce que ses monopoles sont durables et qu'ils sont bien défendus par les pouvoirs de l'État. Évidemment, les gouvernements n'appuient pas les monopoles dans un certain nombre de domaines, pour une grande variété de raisons qui relèvent parfois d'une très bonne politique. Mais je pense que nous devons les prendre un à la fois. Nous avons un monopole sur la distribution de l'alcool, peut-être parce que nous estimons qu'il s'agit de la meilleure façon de contrôler la consommation excessive d'alcool. Nous avons des monopoles sur l'électricité, ou nous la réglementons, parce que nous voulons contrôler le prix pour le bien des consommateurs vulnérables.
Je pense que chaque problème a ses prescriptions uniques en matière de politique. Une des bonnes choses en ce qui concerne les lois régissant la concurrence, c'est qu'il s'agit d'une sorte de règlement—mais ce que j'appelle une loi cadre de réglementation douce, qui est un jeu relativement simple de règles qui s'appliquent à l'ensemble de l'économie et qui, nous l'espérons, produira beaucoup d'avantages à un coût relativement faible.
M. Brian Fitzpatrick: Puis-je reprendre un point soulevé par mon collègue ici? Mais avant, je viens juste de lire l'«Oracle d'Omaha», la lettre que Warren Buffett envoie à ses actionnaires cette année. Il y indique qu'en qualité d'investisseur à long terme, il évite d'investir dans les entreprises qui sont préoccupées par des fusionnements et des acquisitions parce qu'elles ont un piètre dossier en matière de succès à long terme.
Mais je veux reprendre le point qui a été soulevé ici. Vous avez dit que la taille de l'économie américaine était si grande qu'elle offre de nombreux avantages du point de vue de la concurrence. En 1988, je croyais ou je pensais que nous nous embarquions dans une entente de libre-échange et que l'économie canadienne profiterait de tous les avantages de cette économie américaine très concurrentielle, et de ce côté-là de l'équation. Mais lorsque je regarde l'économie canadienne aujourd'hui, que ce soit les banques, le transport, l'édition, la culture, les communications, la commercialisation des aliments, etc., je dois me dire qu'il me semble que le gouvernement lui-même a créé un grand nombre de situations de monopole et de positions dominantes sur les marchés dans ce pays et qu'en réalité, il travaille contre les avantages d'une économie de libre entreprise fondées sur la concurrence. Dans de nombreux secteurs, c'est le gouvernement qui est le problème et la source des problèmes de monopole que nous avons, et des inefficacités qui se répercutent sur l'économie.
Je suis simplement curieux. Avez-vous des observations et des commentaires à cet égard ou suis-je complètement à côté du but?
M. Thomas Ross: Non, vous n'êtes pas vraiment à côté du but.
Encore une fois, les gouvernements ont beaucoup de bonnes raisons pour intervenir dans l'économie à différents endroits. En Occident, de manière générale, il y a eu un changement important par lequel les gouvernements ont évacué le champ de l'économie par le biais de la privatisation et de la déréglementation. Cet effort a été assez visible dans certains pays, et particulièrement au Royaume-Uni, et un peu moins au Canada. Mais nous avons tout de même eu des mesures de privatisation et de déréglementation importantes. Dans chaque cas, il y avait une bonne raison, ce qui ne veut pas dire que cette bonne raison était suffisante pour le faire. Mais, on peut dire que l'on cherchait à réaliser certains objectifs en matière de politique.
Je veux également revenir sur le point que vous avez soulevé au sujet des effets de l'entente de libre-échange sur nous. Il est vrai maintenant que beaucoup de marchés au Canada ne devraient pas être considérés comme canadiens du point de vue de la concurrence; ils devraient être considérés comme nord-américains. Le fait de posséder 100 p. 100 du marché canadien peut ne pas vouloir dire grand-chose s'il y a un grand nombre d'entreprises américaines qui attendent à la frontière pour expédier leurs produits à vos clients la minute que vous augmentez vos prix d'un cent. Ainsi, pour de nombreux marchés, nous devons au moins adopter cette perspective nord-américaine.
Mais il est également vrai que beaucoup de marchés sont, pour une raison quelconque, de nature nationale ou locale. Parfois, c'est à cause des politiques du gouvernement, comme vous l'avez signalé. Parfois, c'est uniquement à cause des coûts de transport ou des différences culturelles. Malgré le fait que les économies américaines et canadiennes soient fortement intégrées, il reste étonnant de voir combien il y a d'échanges commerciaux entre les différentes parties du pays, ce qui oblige à franchir des distances plus grandes que si le biens allaient directement de l'autre côté de la frontière, aux États-Unis. Les biens circulent à un rythme beaucoup plus grand dans l'ensemble du Canada que de l'autre côté de la frontière, vers les États-Unis. Il y a encore une économie canadienne et il y aura de nombreux marchés à long terme pour lesquels notre intégration avec les États-Unis ne viendra pas modifier véritablement la dynamique concurrentielle. Maintenant, ce n'est probablement plus vrai dans la plupart de nos activités manufacturières, mais dans beaucoup de nos industries de service, les marchés ne seront pas nationaux ou internationaux, mais beaucoup plus locaux. Et il y aura la possibilité que nous ayons des problèmes de concurrence que nos voisins américains pourraient ne pas connaître du fait qu'ils ont une densité de population plus élevée et qu'ils sont capables d'entasser un plus grand nombre d'entreprises de taille efficace dans n'importe quel marché.
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Le président: Merci, monsieur Ross.
Je sais que vous devez vous rendre en classe. J'aimerais vous remercier de votre présence ici aujourd'hui et de nous avoir fait profiter de vos lumières sur le projet de loi C-249. Merci beaucoup et passez une bonne journée.
M. Thomas Ross: Merci, à vous aussi. Ce fut un plaisir, monsieur le président. Merci.
Des voix: Bravo!
Le président: Cela met fin à notre réunion d'aujourd'hui. Nous nous retrouverons lundi. La séance est levée.