La décision stratégique en matière de propriété étrangère et la Loi sur les télécommunications
De tout temps, le secteur des télécommunications canadien a bénéficié d’importants investissements étrangers. Comme la plupart des secteurs à fort coefficient de capital au Canada, les télécommunications n’auraient pu se développer aussi largement et aussi rapidement si elles n’avaient pas obtenu de financement étranger, notamment américain. Les restrictions en matière de propriété étrangère ou d’investissement étranger direct applicables aux entreprises de télécommunication sont un phénomène relativement récent pour notre pays. C’est en effet lorsque le ministère des Communications a accordé sa première licence de services de radio cellulaire nationale à Rogers Cantel Inc. en 1984 qu’elles sont apparues. La limite retenue était de 20 % des actions avec droit de vote dans la société. En 1987 et en 1991, la Loi sur Téléglobe Canada et la Loi de la Télésat Canada ont imposé des restrictions en matière de propriété aux entreprises de télécommunication, soit aux deux sociétés en question. En 1987, la ministre des Communications de l’époque a présenté une politique globale en matière de télécommunications intitulée Un cadre de politique pour les télécommunications au Canada, dans laquelle le gouvernement précisait que « la propriété canadienne de l’infrastructure des télécommunications au Canada est essentielle à la souveraineté nationale et à la sécurité ». La Ministre avait alors annoncé :
Afin d’harmoniser la politique canadienne avec celles d’autres pays et d’assurer notre souveraineté, notre sécurité et notre bien-être économique, social et culturel sur le plan national, une nouvelle loi sera bientôt déposée. Les lignes directrices concernant le contrôle des entreprises de télécommunication de type I par des Canadiens et la participation à 80 % entreront en vigueur au moment de l’annonce.
Bien que cette règle soit entrée en vigueur en 1987, ce n’est qu’après l’adoption de la Loi sur les télécommunications en 1993 qu’ont été précisés les détails de sa mise en vigueur. L’article 16 de cette loi souligne que, pour être autorisée à s’établir au Canada, une entreprise de télécommunication doit être une société canadienne contrôlée par des Canadiens et constituée en vertu des lois du Canada3. Le paragraphe 16(3) de la Loi stipule que la société est canadienne et contrôlée par des Canadiens si :
a) | au moins quatre-vingts pour cent des administrateurs sont des Canadiens; |
b) | au moins quatre-vingts pour cent des actions avec droit de vote émises et en circulation sont la propriété effective, directe ou indirecte, de Canadiens, à l’exception de celles qui sont détenues à titre de sûreté uniquement; |
c) | elle n’est pas par ailleurs contrôlée par des non-Canadiens. |
Cette exigence de propriété s’est assortie plus tard d’une règle de propriété indirecte. En 1994, le gouvernement du Canada a promulgué le Règlement sur la propriété et le contrôle des entreprises de télécommunication canadiennes qui fixait la part minimale de propriété canadienne de la société de portefeuille à 66,66 % des actions avec droit de vote4. En vertu de l’article 10 du Règlement sur la radiocommunication pris en vertu de la Loi sur la radiodiffusion et entré en vigueur le 27 novembre 1996, les personnes ou entités qui peuvent recevoir une licence de radio à titre d’entreprises de radiocommunication doivent satisfaire aux mêmes exigences relatives à la propriété et au contrôle canadiens que les entreprises de télécommunication.
Le Canada et le monde
En 1987, le gouvernement du Canada a justifié les restrictions en matière de propriété étrangère imposées aux fournisseurs de services disposant d’installations en expliquant qu’elles devaient « harmoniser la politique canadienne avec celles d’autres pays et assurer notre souveraineté, notre sécurité et notre bien-être économique, social et culturel sur le plan national ». Toutefois, à peine 10 ans plus tard, le Canada et de nombreux pays membres de l’OMC adoptaient l’Accord sur les télécommunications de base (ABT), lequel a conduit à une libéralisation importante des échanges et de l’investissement dans les services de télécommunications de base. En vertu de cet accord, de nombreux pays membres de l’OCDE ont réduit ou éliminé leurs restrictions en matière de propriété étrangère, et la politique canadienne est en désaccord avec celle de la communauté internationale : presque tous les autres pays de l’OCDE ont des régimes en matière d’investissements étrangers dans les télécommunications plus souples. Selon Industrie Canada, seule la Turquie impose des restrictions plus strictes en matière d’investissements en capital étranger dans les télécommunications de base (voir figure 1.1). D’ici la fin de 2003, le régime d’IED canadien pourrait être le plus restrictif dans l’OCDE.
Figure 1.1 Comparaison internationale Restrictions en matière d’investissement imposées dans les pays de l’OCDE
Comme le Canada, de nombreux pays de l’OCDE ont une économie relativement petite et sont aux prises avec des questions de souveraineté. Certains ont conclu que les avantages d’un élargissement de l’accès au capital étranger valent bien les coûts implicites d’une éventuelle perte de souveraineté. D’autres ont tenté de trouver des mécanismes stratégiques autres que les restrictions en matière de propriété étrangère pour tout un secteur de manière à résoudre ces questions (voir annexe 4). Par exemple, en Nouvelle-Zélande, aucun opérateur étranger n’est autorisé à détenir plus de 49,9 % des actions de Telecom New Zealand, et le gouvernement possède des actions « Kiwis » (actions préférentielles)5; les autres opérateurs ne font l’objet d’aucune autre restriction en matière d’investissement étranger direct. En Australie, chez Telstra, entièrement étatisée et première entreprises de télécommunication du pays, la propriété étrangère sera limitée à 35 % et la propriété étrangère individuelle, à 5 %. Les autres entreprises du secteur sont assujetties à une approbation préalable des investissements étrangers, comme tous les autres secteurs de l’économie. La propriété par l’État du fournisseur de services de télécommunications est aussi un scénario envisagé.
La question de la souveraineté intéresse également les pays économiquement puissants. Les États-Unis se sont dotés d’un régime d’octroi de licence en vertu duquel l’organe de réglementation national, la Federal Communications Commission, étudie toutes les fusions ou prises de contrôle étrangères dans le secteur portant sur plus de 20 % des actions avec droit de vote pour s’assurer du respect de l’intérêt public. Le Comité s’intéresse tout particulièrement à la situation de ces pays qui cherchent à concilier deux impératifs, encourager l’investissement dans le secteur des télécommunications et maintenir leur souveraineté et leur sécurité.
L’ATB et les négociations au sein de l’OMC
Les négociations de l’OMC, dont les prochaines auront lieu entre 2005 et 2007, ont porté et portent encore sur les régimes de propriété étrangère. Le Canada devrait donc libéraliser son régime dans le contexte des politiques commerciales générales. Il pourrait être en mesure d’obtenir des concessions dans les services de télécommunications ou dans un autre domaine important, comme l’agriculture, en échange d’un assouplissement de ses règles en matière de propriété étrangère dans les télécommunications.
Figure 1.2 Portée de la libéralisation et des restrictions en matière de propriété étrangère : liste partielle des signataires de l’OMC
La figure 1.2 illustre les positions relatives d’un certain nombre de pays signataires de l’ABT en ce qui concerne les restrictions en matière de propriété étrangère et les services libéralisés. Le Canada est en bonne position pour le second point, mais se trouve encore dans la poignée de pays les plus restrictifs en matière de propriété étrangère (propriété étrangère majoritaire interdite). Les services visés par un tel accord sont notamment la téléphonie classique, la transmission de données, le télex, la télégraphie, la télécopie, le circuit de service loué, les systèmes et services fixes et mobiles de télécommunications par satellite, la téléphonie cellulaire, les services mobiles de transmission des données, la radiomessagerie et les systèmes de communications personnelles.
Un certain nombre d’experts ont présenté leurs points de vue au Comité, mais aucun n’a pu donner de renseignement sur les perspectives de concessions en échange d’un relâchement des restrictions en matière de propriété étrangère canadienne. Au premier coup d’œil, il semble que la plupart des autres signataires ont déjà adopté de telles réformes et libéralisé leurs services. Les États-Unis seraient les seuls à estimer véritablement important que le Canada assouplisse son régime de propriété étrangère. Bien que quelques grands investisseurs américains, comme SBC Communications Inc. (société mère de Southwestern Bell Telephone Company) et AT&T Corporation, aient récemment décidé de retirer leurs investissements du Canada, le Comité ne peut éliminer a priori la possibilité d’obtenir des concessions des États-Unis s’il libéralise son régime en matière de propriété étrangère.
Les réformes que le Comité recommande, énoncées dans le présent rapport, se justifient et devraient être adoptées au plus vite. Comme les négociations de l’OMC durent de nombreuses années, jusqu’à 10 ans parfois, seules des concessions claires et substantielles pourraient justifier un retard des réformes du secteur des télécommunications canadien.
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Selon la Loi sur les télécommunications, les entreprises de télécommunication qui possèdent ou exploitent des installations doivent être la propriété de Canadiens et sous contrôle canadien. Ceci veut dire qu’au moins 80 % des actions avec droit de vote de ces sociétés doivent être la propriété de Canadiens. En outre, 80 % des administrateurs des sociétés doivent aussi être Canadiens. Par conséquent, ces sociétés ne peuvent être contrôlées que par des Canadiens. [Larry Shaw, Industrie Canada, 12:9:50]
Selon la réglementation en vigueur, jusqu’à un tiers des actions avec droit de vote des holdings de télécommunications peut appartenir à des étrangers. On définit ce qu’on entend par Canadiens aux fins de la Loi. Évidemment, on entend par Canadiens tous les citoyens de ce pays, mais aussi les sociétés canadiennes ou toute autre personne morale qualifiée […] Une personne morale qualifiée doit être contrôlée par des Canadiens et le pourcentage d’intérêts aux mains d’étrangers ne doit pas dépasser le tiers de ses actions. [Larry Shaw, Industrie Canada; 12: 9:50]
[S]i nous prenons, par exemple, BCE comme société de portefeuille et Bell Canada comme société exploitante, nous savons que jusqu’à 20 % de la propriété directe de Bell Canada et jusqu’à un tiers de la BCE peuvent appartenir à des intérêts étrangers. Si vous faites les calculs, vous obtenez 46,6 %, ce qui correspond à la part de la propriété directe et indirecte étrangère. [Larry Shaw, Industrie Canada; 12: 9:50]
BCTel et QuébecTel jouissaient d’une disposition d’antériorité sur le régime de la Loi sur les télécommunications quand elle est entrée en vigueur, mais, depuis, l’entreprise a fusionné avec AGT, qui est devenue TELUS [...]. TELUS n’a plus de droits acquis; elle est assujettie exactement aux mêmes règles que toute autre entreprise … [Larry Shaw, Industrie Canada, 12:11:00]
[P]resque tous les pays de l’OCDE se sont dotés de régimes d’investissement dans les télécommunications moins restrictifs que celui du Canada. Seule la Turquie possède un régime plus restrictif, mais elle aussi a indiqué que lorsque le monopole du fournisseur public se terminera plus tard cette année, elle autorisera que la proportion de l’investissement étranger s’élève jusqu’à 49 %. [Peter Harder, Industrie Canada, 12:9:40]
Les actions privilégiées servent également à limiter l’accès des nouveaux venus […] en Italie, en Hongrie, aux Pays-Bas, en Espagne et en Turquie, l’État détient ces actions. Il est à noter que la Commission européenne a déclaré qu’elle prendrait des mesures à l’encontre des États membres qui continuent de détenir de telles actions. [Dimitri Ypsilanti, Organisation de coopération et de développement économiques, 19:15:40]
L’Australie dispose d’un système d’autorisation préalable, lequel est perçu par la plupart des intervenants comme non restrictif, du fait qu’elle est automatiquement accordée aux signataires de l’Accord sur les télécommunications de base de l’OMC. [Dimitri Ypsilanti, Organisation de coopération et de développement économiques, 19:15:35]
La Nouvelle-Zélande est un cas intéressant, puisqu’elle a adopté une approche à deux paliers pour limiter la propriété des nouveaux venus. Toute partie ne peut détenir globalement que 10 % des actions avec droit de vote sans autorisation préalable. De plus, la propriété étrangère est plafonnée. [Dimitri Ypsilanti, Organisation de coopération et de développement économiques, 19:15:35]
Il n’y a aucune règle quant à la nationalité des personnes qui dirigent une entreprises de télécommunication. British Telecom est désormais dirigée par un Hollandais. L’une des compagnies de téléphone mobile a pour dirigeant un Américain. L’un des deux vice-présidents de BT est Français et nous avons tiré d’énormes avantages de l’ampleur des compétences que ces dirigeants ont apportées au Royaume-Uni. [David Edmonds, OFTEL, gouvernement du Royaume Uni, 22:9:45]
Nous avons beaucoup contribué à la libéralisation de plusieurs secteurs que vous connaissez tous, en évitant les embûches d’une élimination ou d’une réduction substantielle des restrictions en matière d’investissement étranger. [Gerald Shannon, expert-conseil en commerce international, 24:16:00]
Le Canada a longtemps joué un rôle influent au sein de l’OMC dans le domaine des communications, et c’est toujours avec fierté que j’insiste […] sur le rôle qu’a joué notre pays dans la mise en place d’un nouveau régime international de communications axé sur la concurrence. Je crains que si nous n’intervenons pas pour lever les restrictions concernant la propriété étrangère, notre influence ne cède le pas à l’embarras. [Hudson Janisch, Université de Toronto, 16:15:55]
Je ne prônerai pas le démantèlement de notre régime tant que nous ne serons pas en négociation et ne serons pas convaincus que nous obtiendrons quelque chose en échange. [Gerald Shannon, expert-conseil en commerce international, 24:17:30]
Pour ce qui est d’un calendrier de ces changements plus larges […] j’estime qu’il devrait coïncider avec celui des négociations de l’OMC, devant être conclues d’ici janvier 2005. […] Cela pourrait même renforcer la position de négociation du Canada lors de ces prochaines négociations de l’OMC. [Michael Sabia, Entreprises Bell Canada; 20:9:25]
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