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NDVA Rapport du Comité

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CHAPITRE 1 : LE NOUVEL ENVIRONNEMENT STRATÉGIQUE

Les événements tragiques du 11 septembre nous ont appris que nous ne devons pas prendre notre sécurité à la légère. Nous sommes vulnérables sur notre propre territoire et nous devrons peut-être nous rendre loin pour assurer notre sécurité. Les opérations en Afghanistan ne visent pas le maintien ou le rétablissement de la paix. Ce sont des opérations de guerre. Les soldats que nous avons envoyés, au dire de tous, s’acquittent admirablement de leur tâche. Il y a eu toutefois au début quelques moments prêtant à la controverse.  Nous faisons face à un « nouvel » ennemi, lequel nous a obligés à percevoir différemment la sécurité. L’environnement stratégique international dans lequel nous évoluerons dorénavant a compliqué les missions, l’organisation et la stratégie des Forces armées, au lieu de les simplifier. Notre armée doit déterminer la meilleure façon de se restructurer pour faire face aux dangers non traditionnels ou asymétriques qui nous menacent maintenant. La rivalité entre superpuissances a été remplacée par les dissensions intestines, le terrorisme transnational et les États en déroute. De telles conditions ne donnent pas lieu aux opérations de combat claires que les militaires préfèrent et pour lesquelles ils sont habituellement entraînés.

L’Afghanistan est représentatif du type de conflits auxquels les Forces canadiennes seront probablement mêlées dans un avenir prévisible. « Le terrain accidenté et les ennemis déterminés que nous rencontrons en Afghanistan posent d’énormes risques. Ce pays est également assez représentatif du genre d’environnement, tant sur le plan du terrain que sur le plan politique, que devront analyser les planificateurs militaires, puisque c’est dans cet environnement-là que se dérouleront probablement leurs opérations1 ».

Ce genre de conflit convient mal à une force blindée, préparée à participer à une action d’envergure. Il convient davantage à une infanterie légère, si cette dernière est bien entraînée, bien équipée, bien dirigée et bien renseignée2. C’est le genre d’environnement dans lequel le personnel de forces spéciales s’avérerait particulièrement efficace. Si nous continuons à mener ce genre de campagne, nous devrons peut-être modifier la structure de nos forces et renforcer les capacités de certaines de ses composantes. Souplesse et déploiement rapide seront les mots d’ordre à l’avenir.


Un soldat du 3e Bataillon, Royal 22e Régiment, participe à un exercice de campagne dans le cadre d'un entraînement visant à préparer les troupes à la 9e rotation de l'opération Palladium, la participation canadienne à la Force de stabilisation de l'OTAN en Bosnie-Herzégovine.


Le soi-disant « nouvel ordre international » ne s’ordonnera pas pour répondre aux idées préconçues des planificateurs militaires qui oeuvrent en fonction des hypothèses d’hier ou des politiciens qui estiment naïvement que nos forces ont tout ce dont elles ont besoin. Si les événements du 11 septembre nous ont appris quoi que ce soit, c’est que nous ne pouvons pas nous retirer du monde ou refuser d’intervenir aux côtés d’alliés aux vues similaires.

A. Menaces

Il est très peu probable que le Canada soit appelé dans un avenir prévisible à participer à une guerre entre deux ou plusieurs grandes puissances. Nous ne pouvons pas éliminer complètement une telle possibilité, mais l’éventualité d’un tel conflit est très lointaine. Cependant, il est raisonnable de croire, étant donné notre expérience des dix dernières années, que nous serons certainement témoins de conflits graves d’une ampleur suffisante pour justifier le maintien d’une force militaire polyvalente et apte au combat, une force capable de « se battre aux côtés des meilleurs, contre les meilleurs ». Notre sécurité nationale exige que nous ayons un effectif militaire capable de faire face aux situations suivantes, de concert avec nos alliés :

 les capacités asymétriques de certains États, y compris des armes de destruction de masse et des missiles;
 des menaces transnationales comme le terrorisme, le génocide, les organisations internationales liées au crime et à la drogue, les chefs de guerre, les questions de sécurité environnementale, les problèmes de santé et de maladies et les migrations illégales;
 les problèmes d’États en déroute liés au maintien de la paix, à l’aide humanitaire, au secours aux sinistrés ou à la reconstruction nationale;
 les urgences internes auxquelles les organismes fédéraux ou provinciaux ne peuvent pas faire face seuls;
 les menaces à l’égard de nos infrastructures d’information ou d’autres infrastructures essentielles3.

Même un survol sommaire de ce qui précède montre que nous devons continuer de nous préoccuper de la « sécurité humaine ». Il nous incombe de veiller non seulement à notre propre sécurité et bien-être mais aussi à la sécurité et au bien-être de tiers. Nous ne pouvons pas espérer endiguer le terrorisme à long terme si nous ne nous penchons pas sur les déterminants structurels qui sont à sa base. Cela étant dit, notre priorité absolue doit être la souveraineté de notre propre nation, et la sécurité et le bien-être de la population canadienne. En dernière analyse, la seule façon d’y parvenir est de jouer un rôle utile en coalition avec nos plus proches alliés.

B.     Terrorisme

La leçon la plus troublante des événements du 11 septembre a été de voir avec quelle facilité les terroristes ont fait payer un lourd tribu. Trop souvent, quand nous pensons aux armes de destruction de masse, nous imaginons la « valise nucléaire » ou les agents biologiques et chimiques, autant d’éléments qui demandent des connaissances technologiques ou scientifiques assez poussées pour assurer leur production. Certains sont peut-être disponibles sur le marché libre, mais on se doute bien qu’ils ne doivent pas être si faciles à obtenir.

Nous ne voulons pas dire que de telles méthodes ne seront jamais utilisées. Bien au contraire, nous devons nous montrer de plus en plus vigilants à l’égard de telles éventualités puisque les conséquences pourraient être pires que celles du 11 septembre. Par ailleurs, nous devons aussi reconnaître qu’étant donné la nature de notre société moderne libre, des moyens très simples et ordinaires peuvent causer des dommages importants.

« Un avion de ligne et un gratte-ciel, en soi, sont inoffensifs. Mais assemblez-les à haute vitesse, en les guidant à l'aide de l'ordinateur le plus perfectionné au monde — le cerveau humain — et en les stimulant grâce à la plus puissante source de
motivation — la volonté humaine — et vous avez une arme binaire de destruction massive4 ».

Les événements tragiques du 11 septembre ont été possibles grâce aux téléphones cellulaires, aux frontières ouvertes, aux déplacements aisés, à notre société libre, aux opérations bancaires internationales, etc. En fait, ce sont les valeurs sur lesquelles repose la société moderne qui ont rendu ces événements possibles.

Les techniques asymétriques visent les aspects vulnérables d’un État. Or, il semble que les motifs des terroristes aient évolué en même temps que les techniques. Il y a 30 ans, le terrorisme visait à publiciser une cause et à mobiliser un appui. Les groupes qui commettaient des attentats les revendiquaient et voulaient que tous sachent ce qu’ils avaient fait et pourquoi. Les morts et les blessés étaient généralement peu nombreux, et les otages, relâchés, car agir autrement aurait pu aliéner les appuis possibles, retirer sa légitimité à la cause ou provoquer des contre-mesures sévères capables de détruire le groupe5.

Or, d’après M. David Charters, les choses ont changé depuis le début des années 1980. De nombreux attentats terroristes ne sont pas revendiqués, ce qui laisse supposer que le motif n’est plus la mobilisation mais bien le châtiment. Certains groupes ne voient plus la nécessité de publiciser leur cause ou de mobiliser un appui. De nos jours, le « mobile principal est d’asséner à l’ennemi un grand coup matériel et psychologique destructeur ». C’est ainsi que le nombre de victimes a beaucoup augmenté et, dans les années 1980 et 1990, certains incidents ont été le théâtre de centaines de décès et de nombre encore plus élevés de blessés. Mais les dernières attaques représentent un bond stupéfiant du pouvoir meurtrier, portant M. Charters à conclure que les règles du jeu ont été uniformisées et que « les groupes terroristes les plus efficaces sont maintenant sur un pied d’égalité avec les États qui sont leurs ennemis6 ».

Cela ne veut pas dire que les groupes terroristes sont à égalité sur le plan militaire avec des États matures. Mais il faut reconnaître que, munis de fonds suffisants et de talent organisationnel, « les terroristes peuvent créer des armes dotées d’un pouvoir destructeur comparable aux grands armements des États, les utiliser pour frapper les centres de gravité et ainsi infliger des pertes humaines, psychologiques, politiques et économiques catastrophiques à un État », dont les répercussions se font sentir sur la sécurité et la stabilité internationales7.

Il nous faut comprendre que la lutte contre le terrorisme sera nécessairement longue et que nous ne pouvons pas nous permettre le luxe de l’insouciance. Le fait d’avoir été pris par surprise une fois ne nous prémunit pas contre une autre attaque à l’improviste. Les événements du 11 septembre nous montrent clairement qu’il n’y a plus de limite à ce que feront les terroristes pour réaliser leurs objectifs.

Quand les conditions donnant naissance à un type particulier de fanatisme sont liées à la pauvreté ou à toute autre forme de privation injustifiable — soit la perte d’un territoire ancestral ou l’aspiration à une autonomie gouvernementale
démocratique — nous pouvons au moins avoir une idée de la façon d’aborder les problèmes « structurels » de la cause profonde. Quand les éléments déterminants relèvent du fanatisme religieux ou idéologique, la situation se complique, et le recours à la raison et aux compromis ne donnera pas grand-chose.

La capacité d’intervention militaire est donc indispensable pour faire face à la réalité du nouvel environnement stratégique. Ceux qui pensent naïvement que le monde « s’ordonnera lui-même » et que nous pouvons, en raison de notre position privilégiée, nous tenir loin de ces conflits, sans en faire les frais, se trompent.

Les FC ne constituent qu’un élément dans la lutte contre le terrorisme. Le succès global dépendra de l’efficacité de la coordination interorganisme, ainsi que des partenariats entre ces organismes et les agences nationales et internationales d’application de la loi. Les organismes gouvernementaux compétents devront s’adapter aux nouveaux défis, et les FC devront faire de même.

C.     Défense du territoire intérieur

L’importance accrue de la coopération interorganisme est en partie due à la place croissante que prend la défense du territoire intérieur. Jusqu’aux événements du 11 septembre, on avait tendance à croire que la défense du territoire se faisait de l’extérieur, et non le long de nos côtes et de nos frontières. S’il nous est arrivé à l’occasion d’avoir des différends sur les droits de pêche, c’était surtout avec des alliés plutôt qu’avec ce que l’on pourrait définir comme étant des ennemis potentiels. Même aux États-Unis, où la défense du territoire a toujours occupé une grande place dans les débats et la planification, on a ramené à quatre escadrons de réserve les escadrons de défense aérienne servant à faire enquête sur les aéronefs suspects ou à escorter les aéronefs de patrouille soviétiques à long rayon d’action.

La forme que prendra la défense du territoire sera dans une large mesure influencée par les facteurs suivants :

 Les États-Unis représentent la seule superpuissance du monde et, par conséquent, toute attaque menée contre eux sera très probablement indirecte ou asymétrique.
 Le territoire américain est une cible.
 Certaines nations qui pourraient être considérées comme une menace éventuelle sont en train d’acquérir la capacité de développer des technologies chimiques, biologiques, nucléaires et balistiques.
 La technologie de l’information et la mondialisation ont accru les pouvoirs des acteurs transnationaux mais, par la même occasion, ont fait qu’il est plus difficile pour les États de se défendre.
 Les attaques futures pourront être menées au moyen d’armes classiques ou d’armes CBRN (chimiques, biologiques, radiologiques ou nucléaires). Ces dernières pourraient s’avérer particulièrement mortelles étant donné que nos systèmes de réponse en cas d’urgence ne sont tout simplement pas aptes à faire face à une attaque de grande envergure du genre.
 Bien que les États-Unis soient la cible première, ses alliés ne sont pas à l’abri. À mesure que les États-Unis renforceront leur sécurité, les attaquants chercheront des cibles alliées plus vulnérables.

Quand nous parlons de défense du territoire aux États-Unis, nous parlons aussi invariablement de la protection de notre propre territoire, ce qui oblige à tenir compte des réalités américaines. Toute attaque à grande échelle ayant d’importantes répercussions économiques sur les États-Unis sera inévitablement sentie au Canada. Le fait que la défense de notre territoire soit inextricablement liée à celle de notre voisin du Sud signifie que nous devons être prêts à assumer notre juste part du fardeau. Or, il semble que nos voisins restent sceptiques quant à notre volonté à cet égard.

Notre volonté d’assurer notre propre sécurité et souveraineté a toujours été cause de souci parce que les États-Unis se montraient disposés à le faire à notre place. En 1938, le président Franklin Roosevelt a déclaré que : « Les États-Unis ne resteraient pas les bras croisés si le sol canadien était menacé de domination par un autre empire ». Le premier ministre, Mackenzie King, lui répondit que : « Le Canada se blinderait autant que possible contre toute attaque ou invasion et que, si l’occasion devait se présenter, les forces ennemies ne devraient pas pouvoir traverser le territoire canadien par voie terrestre, maritime ou aérienne pour se rendre aux États-Unis ».

Nous ferions bien de prêter attention à ces déclarations pleines de bon sens. Les deux nations doivent se protéger mutuellement afin d’assurer leur propre protection. Dans notre cas toutefois, nous devons aussi nous protéger contre une possible ingérence américaine dans les affaires du Canada.

Les États-Unis sont en train de créer un nouveau mécanisme de défense continentale et ce, à leurs propres conditions. Nous devons par conséquent nous demander dans quelle mesure nous voulons suivre certains des projets les plus évidents. La réponse dépendra en partie de l’importance que le gouvernement accorde à notre rôle dans NORAD et de la relation spéciale que cette alliance a forgée. Au cours des années, notre relation avec les États-Unis en matière de défense s’est avérée un grand avantage qui l’emporte de beaucoup sur les coûts qu’elle a pu nous occasionner.

Par conséquent, les changements apportés au Plan américain de commandement unifié ne devraient pas nous inquiéter outre mesure. Le plan révisé crée un nouveau commandement opérationnel, soit le Commandement américain du Nord dont la mission est de défendre les États-Unis et d’offrir toute la gamme d’aide militaire aux autorités civiles. À partir du 1er octobre 2002, le plan désigne aussi des zones de responsabilité géographique pour tous les commandants de guerre et confie à ces derniers la responsabilité de la coopération en matière de sécurité et de la coordination militaire avec tous les pays de la région. Le secteur de responsabilité du Commandement du Nord comprendra la zone continentale des États-Unis, le Canada, le Mexique et des parties des Caraïbes. L’Alaska sera également inclus dans cette zone, mais les forces du Commandement de l’Alaska continueront de relever du Commandement américain du Pacifique. Le commandant du Commandement du Nord sera aussi responsable de la coopération en matière de sécurité et de la coordination militaire avec le Canada et le Mexique8.

Certains diront que toute participation de notre part au Commandement du Nord risque d’affaiblir notre souveraineté. C’est tout à fait faux. En tant qu’État souverain, nous pouvons décider de participer ou de ne pas le faire; c’est une décision souveraine. Mais quand nous prendrons notre décision, nous devrons tenir soigneusement compte de notre intérêt national. Pour servir au mieux notre intérêt, est-il préférable d’avoir une place à la table quand les décisions sont prises, par exemple dans le cadre de NORAD, ou est‑il préférable de s’absenter et de laisser les décisions stratégiques aux Américains?

Le Comité estime que nos intérêts à long terme seront mieux servis si nous prenons notre place, puisque notre présence nous permettra d’influer sur les décisions prises. Mais nous ne pouvons pas nous permettre d’arriver les mains vides. Si nous voulons favoriser la bonne volonté des Américains, nous devons offrir un partenariat réel, au sein duquel nous ferons notre juste part.

Il convient ici de souligner que, bien que nous ayons tendance à nous concentrer sur les opérations des Forces canadiennes visant la protection de la souveraineté, les FC ont aussi pour mission d’assurer la sécurité interne. Cette mission comprend l’aide aux autorités civiles, comme nous avons pu le constater en 1970, lors de la Crise d’octobre, et en 1990, pendant la Crise d’Oka.  Les Forces armées ont aussi fourni leur aide dans des situations extraordinaires, par exemple lors des inondations de Chicoutimi et de Winnipeg et pendant la crise du verglas dans l’Est canadien9.

Nous avons tous souvent tendance à oublier que les forces militaires, dans les sociétés démocratiques, sont les derniers garants de la primauté du droit. En effet, quand elles remplissent ce rôle, les forces militaires restent elles-mêmes assujetties à la loi, elles ne prétendent jamais s’y soustraire. Au Canada, les FC ont un grand rôle à jouer pour garantir le respect de la disposition constitutionnelle concernant la paix, l’ordre et le bon gouvernement10. Les CF ont toujours joué un grand rôle dans la « défense du territoire intérieur », en aidant à protéger nos libertés de citoyens, tout en assurant notre sécurité physique.



1Anthony Forster, analyste indépendant de la défense et du renseignement, exposé présenté au Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants, Délibérations, 23 octobre 2001.
2Ibid.
3Pour approfondir quelques-unes de ces questions, voir Anthony C. Zinni, A Military for the 21st Century: Lessons From the Recent Past, Strategic Forum, juillet 2001.
4David Charters, Centre d’études des conflits, Université du Nouveau-Brunswick, Délibérations, 1er novembre 2001.
5Ibid.
6Ibid.
7Ibid.
8Département de la Défense des États-Unis, communiqué,17 avril 2002.
9L’honorable Jean-Jacques Blais, The Security Sector and the Rule of Law in Post-Conflict Contingencies, mémoire présenté au Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants, 29 avril 2002.
10Ibid.