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NDVA Rapport du Comité

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CHAPITRE 5 : DÉFENSE DU CANADA

A.     État de préparation et défense du territoire

Améliorer, ou à tout le moins maintenir, l’état de préparation des Forces canadiennes à un niveau suffisant pour permettre le déploiement rapide et efficace des unités partout dans le monde est une tâche fort complexe. Il faudra pour cela apporter des changements au sein des unités et dans la doctrine et remplacer ou moderniser l’équipement. Toutefois, il est loin d’être certain qu’on disposera de toutes les ressources humaines et financières requises à cette fin maintenant ou dans le proche avenir. Il demeure que les déploiements à l’étranger ne constituent qu’une des nombreuses tâches accomplies par les Forces canadiennes.

S’il est vrai que sa situation géographique l’isole normalement des points chauds du globe, le Canada a néanmoins toujours dû consacrer une partie de ses ressources militaires à la surveillance et à la défense de son territoire, de son espace aérien et de ses eaux. Outre que la capacité des Forces canadiennes de se déployer à l’étranger doit prendre appui sur des ressources accrues et une pensée novatrice, afin de suivre le rythme des avancées technologiques et sur le plan de la doctrine, la défense du pays est devenue une activité beaucoup plus complexe depuis l’avènement du terrorisme international. Il s’ensuit que les ressources de l’appareil militaire canadien, déjà utilisées à leurs limites, sont encore plus sollicitées.

De fait, les attentats du 11 septembre 2001 ont montré encore une fois l’importance de l’état de préparation des militaires. Tandis que se déroulaient les événements et qu’on évaluait toute l’ampleur des attaques coordonnées, l’état d’alerte a été décrété pour les militaires canadiens. Par exemple, au moment où des CF-18 patrouillaient notre espace aérien dans le cadre de la réponse du NORAD à la crise, d’autres unités commençaient à charger et à déployer des avions de transport afin de livrer de la nourriture et du matériel à différentes collectivités du Canada qui devaient soudainement s’occuper de milliers de passagers en détresse par suite de l’interdiction de vol de tous les avions commerciaux dans l’espace aérien de l’Amérique du Nord.

Sans formation et sans équipement adéquats, les unités militaires auraient été incapables de contribuer utilement, à si bref délai, aux efforts déployés le 11 septembre et dans les jours suivants pour atténuer les effets des attentats et prévenir de nouvelles attaques. En effet, on ne dispose pas toujours de semaines ou de mois pour former et équiper du personnel militaire afin de répondre à une menace à la sécurité nationale ou internationale. D’aucuns peuvent croire que des forces aptes au combat ne sont pas nécessaires en temps de paix, mais la formation et les capacités militaires doivent être maintenues précisément parce que celles-ci doivent réagir de manière rapide et efficace à des événements soudains et imprévus.

De fait, malgré les attentats terroristes et la prolifération des conflits dans des régions éloignées du monde, beaucoup de gens s’étaient peut-être endormis dans une fausse sécurité en Amérique du Nord après la fin de la guerre froide. Les attaques menées contre les États‑Unis ont brutalement mis en lumière l’élément surprise des actions terroristes et la nécessité de maintenir un certain niveau de préparation des unités militaires afin de pouvoir réagir rapidement aux événements. Elles ont également démontré qu’il faut continuer à assurer la surveillance de l’espace aérien.

B.     Surveillance de l’espace aérien et NORAD

Lorsque la guerre froide a pris fin, certains ont remis en question la nécessité de maintenir une flotte d’avions de combat pour surveiller l’espace aérien du Canada. Pourtant, la capacité d’un pays de surveiller tous les avions qui pénètrent dans son espace aérien revêt une grande importance pour l’affirmation de sa souveraineté. Incapable d’intercepter et d’identifier des aéronefs intrus et suspects, un pays peut difficilement prétendre contrôler ce qui se passe dans son espace aérien. Sans oublier qu’un élément pénible doit maintenant figurer dans l’équation, car nous savons aujourd’hui sans l’ombre d’un doute que des avions de ligne peuvent être détournés et être transformés en armes. Tant au Canada qu’aux États-Unis, de nouveaux chasseurs à réaction ont été mis en alerte après les attaques et ont commencé à patrouiller au-dessus des villes afin de prévenir de nouvelles attaques qui seraient effectuées au moyen d’avions de ligne détournés ou d’un aéronef quelconque contre des installations névralgiques, y compris des centrales nucléaires.

Après quelques mois d’opérations intensives, le rythme des patrouilles des avions de chasse n’a que très peu diminué aux États-Unis et au Canada. Par ailleurs, de nouvelles mesures de sécurité dans les aéroports et ailleurs ont réduit la possibilité de détournements. S’il est vrai que les coûts inhérents à la surveillance continue d’éventuelles cibles terroristes par des avions de combat peuvent être très élevés, ne serait-ce qu’en raison de l’usure et de la détérioration des appareils, la vigilance continue néanmoins de s’imposer. Des mesures ont été prises ou sont envisagées en vue d’améliorer la surveillance de la circulation aérienne dans l’espace aérien nord-américain, notamment grâce à une meilleure coordination entre les volets civil et militaire du contrôle de ce trafic. Du côté militaire, le Commandement de la défense aérienne de l’Amérique du Nord (NORAD) continue d’ailleurs de jouer un rôle important pour assurer la sécurité du continent.

Un technicien de service dirige un pilote d'un chasseur CF-18 Hornet en visite à un hangar temporaire, suite à un vol de routine au-dessus de la côte Atlantique.

Le Canada et les États-Unis coopèrent depuis 1958 dans le cadre du NORAD afin de surveiller efficacement l’espace aérien de l’Amérique du Nord. Grâce à sa participation au NORAD, le Canada a été en mesure de surveiller son immense espace aérien tout en contribuant à la défense de son principal allié. Sans le NORAD, le Canada aurait dû assumer entièrement les frais importants liés à différents éléments de cette surveillance, comme le Système d’alerte du Nord. S’il avait négligé cet aspect, le Canada subirait de fortes pressions de la part des États-Unis soit pour renforcer sa capacité soit pour permettre à son puissant voisin de jouer un rôle dominant à cet égard.

Au sein du NORAD, les deux pays ont coopéré pour assurer la surveillance de l’espace aérien continental sans empiéter sur leur souveraineté respective. De fait, des appareils militaires américains survolent l’espace canadien dans le cadre des opérations du NORAD, tandis que des CF-18 canadiens ainsi que du personnel canadien à bord des appareils américains du système aéroporté d’alerte et de contrôle (AWACS) survolent l’espace aérien américain depuis de nombreuses années. Un certain nombre de Canadiens ont également participé aux opérations menées par quelques avions AWACS de l’OTAN déployés aux États-Unis après le 11 septembre, afin de prêter main-forte à la flotte américaine d’aéronefs AWACS surchargés de travail. Étant donné le nombre d’aéronefs qui se déplacent dans l’espace aérien nord-américain et qui traversent la frontière d’un pays à l’autre, la coopération entre alliés devient une nécessité afin de contrôler efficacement cet espace et, si nécessaire, de réagir rapidement à des manœuvres suspectes ou agressives.

Par contraste, même durant la guerre froide, la surveillance des eaux et des côtes ne semblait pas exiger le même genre d’action coordonnée et de réaction rapide. Le Canada et les États-Unis se contentaient d’échanger des renseignements sur les activités se déroulant à l’intérieur de leurs eaux et territoires respectifs et menaient d’occasionnels exercices en commun. Lorsqu’ils ont constaté que les terroristes pouvaient exploiter des brèches dans la surveillance des abords de l’Amérique du Nord pour s’infiltrer et préparer des attaques, les deux pays ont été poussés non seulement à intensifier leurs efforts respectifs de surveillance, mais également à explorer des façons d’améliorer leur coopération dans ce domaine.

C.     Surveillance des zones côtières et autres

Le Livre blanc de 1994 sur la défense signalait les contributions habituelles des Forces canadiennes à des opérations de surveillance comme les patrouilles des avions Aurora et de navires de guerre le long des côtes canadiennes et dans le Nord. Ces patrouilles sont nécessaires à la fois pour détecter et décourager les activités militaires de pays étrangers près des côtes canadiennes et pour prêter main-forte à d’autres ministères et organismes gouvernementaux qui cherchent à contrer certaines activités criminelles comme le trafic de personnes ou de stupéfiants et la pêche illégale. On peut également observer des incidents préjudiciables à l’environnement, comme des déversements de pétrole accidentels ou délibérés par des navires étrangers, et recueillir des éléments de preuve afin d’aider à traduire les coupables en justice. La possibilité que des terroristes puissent tenter de pénétrer au Canada en passant par ses eaux côtières, afin de préparer des attaques à l’intérieur du continent, a stimulé les efforts en vue d’assurer une meilleure surveillance au large.

La longue frontière maritime du Canada et l’immensité de ses régions nordiques ont toujours constitué un défi de taille pour les planificateurs de la défense. La technologie de satellites offre déjà des capacités limitées pour ce qui est de surveiller de vastes régions, mais de nouveaux progrès sont nécessaires à ce chapitre afin de colmater toutes les brèches. L’utilisation des satellites pour la surveillance de vastes régions et d’autres questions touchant à l’utilisation de l’espace méritent plus d’attention que ce que nous pouvions leur accorder dans le cadre de notre étude, étant donné toutes les autres questions complexes liées à la préparation des Forces canadiennes. De fait, les satellites utilisés pour les communications, la navigation et la surveillance constituent de plus en plus un élément vital de l’état de préparation de toute force militaire. En raison des coûts élevés de la technologie utilisée dans ces systèmes, une planification et une coordination minutieuses s’imposent pour assurer que les fonds dont les différentes unités des Forces ont désespérément besoin sont dépensés à bon escient.

S’il est vrai que la surveillance à partir de l’espace offre d’énormes possibilités, des moyens plus classiques, comme les avions de patrouille Aurora à long rayon d’action et les navires de guerre, demeureront les principaux outils utilisés le long des côtes canadiennes. Comme on l’indique dans le chapitre sur les déploiements outre-mer, la modernisation de mi-vie des avions Aurora est maintenant en cours. Le nouvel équipement électronique servira surtout à la surveillance de surface plutôt qu’à la guerre anti-sous-marine, mais les Aurora continueront de jouer un rôle clé dans la surveillance des eaux et du territoire canadiens.

Les frégates, les sous-marins et, en particulier, les navires de défense côtière (NDC), sont aussi des éléments essentiels de la surveillance des eaux au large de nos côtes. Étant donné qu’il n’y a pas que les eaux territoriales à surveiller, mais également de vastes secteurs océaniques au large de nos trois côtes, le fardeau de notre modeste marine est passablement lourd. En effet, celle-ci doit pouvoir mener des opérations de surveillance à proximité de nos côtes tout en demeurant capable de déployer des navires à l’autre bout du monde en cas de crise internationale. En outre, sa charge de travail pourrait bien augmenter au cours des prochaines années car la surveillance des eaux canadiennes dans l’Arctique sera de plus en plus exigeante au fur et à mesure de la fonte de la calotte polaire.

Les effets du changement climatique sur la calotte polaire arctique comprendront sans doute, entre autres, une activité de navigation accrue dans les eaux arctiques. Afin d’affirmer sa souveraineté sur ses territoires et ses eaux de la région arctique, le Canada devra maintenir ses capacités navales et les améliorer dans la mesure du possible. De fait, nous devrions nous préparer maintenant aux conséquences de la fonte de la calotte polaire au lieu de simplement réagir à l’exploration d’éventuels couloirs de navigation par d’autres pays dans l’océan Arctique, le cas échéant. Parallèlement, les navires canadiens devraient manœuvrer plus fréquemment dans les eaux du Nord lorsque les conditions le permettent, afin d’acquérir davantage d’expérience des opérations dans l’Arctique.

Dans une certaine mesure, les nouveaux sous-marins du Canada peuvent jouer un rôle important pour ce qui est de surveiller les eaux dans le Nord et ailleurs le long des côtes du pays. Leur travail sous la calotte polaire serait très limitée pour des raisons de sécurité en l’absence d’un système quelconque de propulsion sans air. Toutefois, la fonte de la calotte polaire est en train d’élargir le secteur des eaux du Nord où les sous-marins pourraient manœuvrer sans de telles limitations. Il est donc malheureux que des problèmes techniques retardent la livraison des deux sous-marins qui se trouvent encore au Royaume-Uni et la mise en service opérationnelle des quatre submersibles. Les nouveaux sous-marins de la classe Victoria constituent un élément important des services de surveillance de la Marine dans les eaux canadiennes, et le Comité considérera comme très préoccupant tout nouvel élément venant retarder leur utilisation à pleine capacité.

Entre-temps, les NDC effectuent un très bon travail de surveillance au large des côtes canadiennes. Les équipages des NDC sont formés principalement de réservistes qui, selon tous les témoignages, s’acquittent de façon excellente de leurs tâches principales, comme le contrôle des transports maritimes. Les NDC patrouillent les zones littorales et peuvent aider les autorités policières à lutter contre le trafic de drogue et les autres types de contrebande. Le Comité s’inquiète donc de constater que seulement 10 des 12 NDC sont pleinement utilisés à l’heure actuelle. Le Comité croit également qu’il faudrait chercher à mettre en œuvre toutes les capacités de lutte contre les mines envisagées pour les NDC lorsque les navires en étaient à l’étape de la conception. Il y a eu énormément de recherche sur ces capacités, mais il convient maintenant d’aller plus loin compte tenu de la menace terroriste.

Bref, différentes unités des forces aériennes, navales et terrestres peuvent jouer un rôle dans la surveillance du territoire, des eaux et de l’espace aérien du Canada. L’importance que les Forces canadiennes continuent d’accorder aux opérations interarmées facilite grandement la coordination des diverses opérations et l’échange de renseignements entre les unités ou entre les aéronefs et les navires de guerre. En recevant une formation commune, les unités de l’Armée, de la Marine et de l’Aviation peuvent collaborer efficacement et réagir rapidement et adéquatement en situation d’urgence. Compte tenu de l’élément de surprise qui caractérise souvent les attaques terroristes, la coordination efficace des différentes unités militaires peut s’avérer extrêmement utile aux fins de la détection de ces activités ou, à tout le moins, de la réaction après coup.

D.     Relation avec le Commandement américain du Nord

Les États-Unis ont également reconnu qu’il fallait mieux coordonner les différentes unités militaires. Avant le 11 septembre, leurs opérations militaires étaient surtout axées sur les déploiements outre-mer, et les structures de commandement de l’Armée, de la Marine, de l’Aviation et du Marine Corps témoignaient de cette orientation. Depuis la fin des années 1990, la défense du territoire et les divers engagements des militaires américains à aider les autorités civiles à faire face à des attaques terroristes était plutôt improvisés, la coordination adéquate de ces efforts étant sujette à débat. Les attaques contre Washington et New York ont amené le gouvernement et les militaires américains à prendre des mesures en vue de mieux coordonner les forces dans la partie continentale des États-Unis. De fait, les forces militaires américaines ont énormément augmenté les patrouilles dans l’espace aérien des États-Unis et aux abords maritimes de la partie continentale du pays, et ces efforts feront maintenant partie intégrante de leurs opérations militaires.

Afin d’assurer la coordination efficace de toutes les unités militaires américaines participant à la défense directe du territoire, le gouvernement américain a annoncé, en avril 2002, qu’il établirait le Commandement du Nord à compter du 1er octobre 2002. Les abords aériens et maritimes de la partie continentale des États‑Unis feront partie de l’aire de responsabilité confiée à ce commandement. D’autres commandements militaires américains assument la responsabilité de régions en Europe, en Asie et en Afrique, mais ils sont essentiellement chargés d’unités militaires américaines à l’intérieur de ces zones. Le Commandement central responsable des opérations militaires américaines en Afghanistan illustre plus ou moins la façon dont pourrait fonctionner le Commandement du Nord.

Les unités américaines qui participent au NORAD formeront un élément du nouveau Commandement du Nord, mais le NORAD lui-même ne modifiera aucun aspect majeur de ses opérations. Le Canada continue à faire partie du NORAD et les opérations menées dans la région canadienne du NORAD demeureront les mêmes. Il y aura vraisemblablement des changements quant à la situation du commandant en chef du NORAD dans la chaîne de commandement militaire américaine. Des responsables canadiens et américains examinent à l’heure actuelle ce que cela signifiera précisément pour le Canada. Quant à l’incidence de l’établissement du Commandement américain du Nord pour d’autres unités militaires canadiennes, y compris les navires de guerre et les avions de patrouille Aurora, on a beaucoup spéculé dans certains milieux canadiens sur l’éventualité que ces unités se mettent à relever de militaires américains. D’autres soutiennent plutôt que les politiques canadiennes en matière de défense, de commerce et autres sont plus proches que jamais de celles des États-Unis et que la forte interopérabilité entre les forces canadiennes et américaines a été réalisée sans perte de souveraineté pour le Canada55.

Il demeure que le Commandement du Nord résulte de la restructuration de l’appareil militaire américain et n’a pas d’incidence directe sur les opérations militaires du Canada. Il y a déjà énormément de coopération entre les forces navales, terrestres et aériennes des deux pays, mais chacun conserve le commandement de ses propres forces. L’établissement du Commandement du Nord et l’accent mis sur une meilleure coordination entre les unités militaires et une réponse rapide aux attentats terroristes pourraient toutefois avoir des répercussions sur les unités militaires des deux pays. Étant donné le ferme engagement du Canada depuis bon nombre d’années en ce qui touche la défense de l’Amérique du Nord, les circonstances sont sans doute favorables à une meilleure coordination des opérations militaires des deux pays sans que cela n’ait d’incidence négative sur la souveraineté de l’un ou l’autre. Nous recommandons donc :

RECOMMANDATION 22

Que les autorités gouvernementales canadiennes continuent dexplorer avec leurs homologues américains des façons possibles d’améliorer la coopération de longue date entre le Canada et les États‑Unis au sein du NORAD de même qu’en ce qui concerne la défense de lAmérique du Nord en général, à la lumière de l’établissement par le États-Unis de leur nouveau Commandement du Nord, et que le Parlement soit tenu au courant de la situation.

Le NORAD a toujours eu pour objectif d’assurer un contrôle opérationnel efficace des différentes ressources de défense aérienne des deux pays, cependant que chaque pays demeure aux commandes de ses forces respectives. Que ce soit au sein du NORAD, de l’OTAN ou d’une coalition multinationale agissant au nom des Nations Unies, les unités militaires canadiennes ont souvent été placées sous le contrôle opérationnel de commandants militaires d’autres pays, tout en demeurant sous le commandement des autorités canadiennes. De fait, comme l’a signalé le vice-amiral Ron Buck, chef d’état-major de la Marine, des officiers canadiens ont à maintes reprises assumé le contrôle opérationnel de navires et d’autres unités de pays étrangers56. Bref, il est possible d’améliorer la coordination entre unités militaires de différents pays sans empiéter sur leur souveraineté respective. Compte tenu de la menace du terrorisme international, une coopération étroite entre alliés s’avère plus importante que jamais.

De fait, la coopération parmi les alliés ne se limite pas à des exercices communs et conjugués des forces terrestres, navales et aériennes de divers pays. De nombreux autres éléments s’inscrivent dans les efforts visant à améliorer la sécurité interne et internationale, dont certains ne sont pas militaires dans le sens traditionnel du terme. Par exemple, dans notre rapport provisoire de novembre 2001, nous avons applaudi aux annonces du gouvernement concernant sa décision d’accorder davantage de ressources au Centre de la sécurité des télécommunications (CST), un organisme au sein du ministère de la Défense nationale qui coopère avec les États-Unis et d’autres pays alliés à la collecte et à l’analyse de renseignements électromagnétiques. De tels renseignements sont importants pour suivre l’évolution de la situation internationale et des menaces terroristes. Si aucun autre attentat terroriste majeur n’a lieu en Amérique du Nord pendant quelques mois, il est possible que les gens deviennent exagérément optimistes et remettent en cause l’utilité de la collecte de renseignements d’origine électromagnétique et d’autres mesures de sécurité. Il n’est donc pas indiqué de réduire la priorité accordée aux opérations du CST et à l’amélioration des services de renseignements militaires et de renseignements en général.

E.     Contributions militaires à la défense du territoire

Le travail accompli par le CST et les responsables du renseignement militaire constitue un élément distinctif des opérations de sécurité et de défense depuis des décennies. Toutefois, compte tenu de l’évolution rapide de la technologie et de la possibilité que des terroristes veuillent utiliser des armes nucléaires, biologiques et chimiques de destruction massive et de terreur, la ligne de démarcation entre défense et sécurité devient de plus en plus floue. Il est toujours possible que des confrontations aient lieu sur le champ de bataille entre les forces armées d’un pays et les forces équivalentes d’un autre pays, mais, face à des menaces asymétriques, les militaires doivent aussi être prêts à contrer des actes terroristes contre le territoire, ou du moins à contribuer aux efforts visant à les prévenir.

Les ressources étant déjà limitées pour maintenir les forces militaires à un niveau de préparation élevé et pour pouvoir les déployer à l’étranger, la nécessité de consacrer davantage de moyens à la défense du territoire vient ajouter un nouvel élément de complexité à la répartition des crédits budgétaires. C’est l’une des raisons pour lesquelles, dans le cadre d’une étude sur l’état de préparation, le Comité a examiné les contributions actuelles et potentielles du ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes aux efforts visant à contrer les menaces asymétriques. De fait, le Comité a commencé à examiner ces questions bien avant les attaques du 11 septembre car elles ont des répercussions sur les dépenses consacrées à la défense.

Certains avancent que les militaires doivent se consacrer à leur rôle traditionnel et laisser les questions de sécurité interne à la police et aux autres autorités, alors que d’autres soutiennent que les militaires ont les ressources voulues pour appuyer les secouristes opérationnels aux prises avec des attaques terroristes menées au moyen d’armes de destruction massive. Il faut effectivement veiller à ce que les capacités militaires traditionnelles n’en viennent pas à se détériorer parce qu’une trop grande proportion des dépenses militaires sont consacrées à la défense du territoire. D’un autre côté, il serait quelque peu improductif d’entretenir des forces armées tout à fait prêtes à faire face aux forces armées d’un autre État, mais totalement impuissantes à agir en cas d’attaques terroristes qui paralysent les infrastructures critiques de leur pays et terrorisent la population.

Bref, les forces armées canadiennes doivent être en mesure de contribuer à la défense du territoire tout en maintenant leurs capacités de base à un niveau suffisamment élevé. Dans le même ordre d’idée, les Canadiens doivent reconnaître que l’appareil militaire n’est qu’un des éléments pouvant garantir la sécurité du pays. De fait, comme l’indique notre rapport provisoire de novembre 2001, la police, les pompiers et d’autres secouristes opérationnels constituent notre première ligne de défense pour prévenir les attaques terroristes menées avec des armes de destruction massive ou en atténuer les effets. Les militaires doivent cependant pouvoir prêter main-forte aux secouristes opérationnels. Le Comité accueille donc avec satisfaction la décision du gouvernement, formulée dans sa réponse au rapport provisoire, d’établir une nouvelle équipe d’intervention rapide qui pourra se déployer à bref délai n’importe où au Canada afin d’aider les autorités responsables en cas d’attaques terroristes aux armes chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires.

Le Comité se réjouit également du financement additionnel annoncé par le gouvernement dans son budget de 2001 pour des organismes comme le Bureau de la protection des infrastructures essentielles et de la protection civile (BPIEPC), afin d’améliorer la formation des secouristes opérationnels qui pourraient devoir intervenir lors d’attaques aux armes chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires. Cela était d’ailleurs proposé dans la recommandation 14 du rapport provisoire du Comité. La répartition des fonds pour la formation des secouristes opérationnels fait partie des nombreuses responsabilités du BPIEPC, un organisme au sein du ministère de la Défense nationale.

F.     Protection des infrastructures essentielles

On a mis sur pied le BPIEPC en février 2001 afin de pouvoir agir plus efficacement en cas d’attaques terroristes contre des infrastructures essentielles du Canada. Le ministre de la Défense nationale est le ministre responsable de l’organisme, qui est également le principal service du gouvernement chargé de la préparation nationale aux situations d’urgence, ayant englobé les fonctions de Protection civile Canada.

Le nouvel organisme est chargé d’élaborer et de mettre en œuvre une méthode exhaustive pour la protection des infrastructures essentielles du Canada, qui sont de plus en plus dépendantes des systèmes de technologie de l’information. L’infotechnologie ne joue pas seulement un rôle crucial dans les activités bancaires et le commerce; elle constitue également un outil d’importance vitale dans le fonctionnement et la surveillance de nombreuses composantes matérielles des infrastructures, comme les usines, les pipelines et les barrages hydroélectriques. La perturbation des systèmes informatiques en général, notamment dans le secteur bancaire, ou par exemple, des ordinateurs qui contrôlent l’écoulement du pétrole dans un pipeline ou la transmission de l’énergie électrique dans un réseau régional ou local, pourrait avoir de graves répercussions sur l’économie et la stabilité sociale d’un pays.

Des accidents ou des perturbations des systèmes informatiques et des cyberéléments de l’infrastructure pourraient également entraîner des désastres écologiques comme des déversements de pétrole près des pipelines ou des inondations près des barrages, événements qui pourraient nécessiter l’évacuation de milliers de citoyens. Cela explique dans une certaine mesure pourquoi les fonctions de l’organisme anciennement appelé Protection civile Canada, qui relevait également du ministère de la Défense nationale, ont été transférées à l’organisme nouvellement créé. Tandis qu’une partie du BPIEPC travaille à la protection des infrastructures, une autre peut aider les autorités provinciales et municipales qui doivent faire face aux conséquences d’un désastre, qu’il soit naturel ou de la main de l’homme.

Le BPIEPC a participé à la coordination de l’opération ayant permis d’approvisionner les nombreuses municipalités canadiennes forcées de loger et nourrir des voyageurs étrangers en détresse par suite des attentats terroristes de New York et de Washington. L’importance de cet élément des Forces canadiennes est apparue clairement car, les aéronefs civils étant cloués au sol, c’est la flotte canadienne d’aéronefs de transport militaire qui a été chargée de livrer les fournitures d’urgence en divers points du pays. Les aéronefs de transport jouent un rôle clé dans la capacité militaire du Canada de déployer ses unités à l’étranger, dans les points chauds du globe, mais ils revêtent également une importance cruciale pour ce qui est de transporter des fournitures d’urgence à l’intérieur du pays lors de catastrophes naturelles ou d’attaques terroristes. Cela est en sus du rôle majeur joué par les avions de transport Hercules dans les opérations de recherche et sauvetage. Étant donné que certains Hercules comptent parmi les plus vieux aéronefs affectés par la Force aérienne au transport aérien, les mêmes préoccupations s’appliquent à leur disponibilité lorsqu’on en a besoin pour des urgences nationales ou des déploiements à l’étranger. Nous recommandons donc :

RECOMMANDATION 23

Quun nombre suffisant daéronefs de transport nouveaux et de remplacement soient acquis dans le proche avenir afin de répondre aux besoins internes du Canada, y compris en ce qui concerne les opérations de recherche et sauvetage, tout en veillant à la capacité d’emport instantané requise pour les déploiements outre-mer, comme l’indique la recommandation 16.

Les Forces canadiennes peuvent aider les autorités qui se trouvent aux prises avec les conséquences d’une catastrophe, mais la préparation aux situations d’urgence et la protection des infrastructures essentielles ne sont pas des questions strictement militaires. De fait, au Canada, de nombreux ministères et organismes participent aux efforts visant à assurer la sécurité nationale. Le solliciteur général est le ministre chargé au premier chef de la protection de la population, et il a la responsabilité particulière de travailler avec d’autres ministères et organismes en ce qui concerne le plan antiterroriste. La création du BPIEPC au sein du ministère de la Défense nationale a élargi la contribution du Ministère à ce plan. Le communiqué de presse du 5 février 2001 du Cabinet du premier ministre, publié au moment de la création du BPIEPC , indiquait que le ministre de la Défense nationale, tout en assumant la responsabilité du Bureau, allait collaborer étroitement avec le solliciteur général et d’autres ministres pour mettre en place une formule cohérente et exhaustive aux fins de la protection des infrastructures essentielles et de la préparation aux situations d’urgence. Le Bureau s’est également vu confier la tâche d’édifier des partenariats avec le secteur privé, qui possède et gère une bonne partie des infrastructures en question.

De nos jours, la sécurité d’un pays repose non seulement sur la capacité qu’il a de se défendre contre une attaque militaire de l’étranger, mais également sur sa capacité de garantir la stabilité de ses secteurs économiques et des communications ainsi que de la société en général. Il doit donc protéger son infrastructure, mais, à l’ère électronique, cette tâche ne se limite pas à déployer des chars et des sentinelles autour des barrages et pipelines. Par ailleurs, l’appareil militaire, qui lui-même dépend de plus en plus de l’infotechnologie pour tout un éventail de fonctions, depuis les tâches administratives jusqu’à la gestion du champ de bataille, non seulement doit jouer un rôle dans la protection des infrastructures nationales, mais en outre veiller à ce que ses propres systèmes informatiques soient protégés des éléments perturbateurs.

Les Canadiens ne peuvent simplement présumer que les terroristes n’utiliseront jamais comme cibles les infrastructures essentielles du pays. De plus, le Canada et les États-Unis sont tellement interconnectés, qu’il s’agisse des pipelines de pétrole et de gaz, des réseaux d’énergie électrique, du commerce et des systèmes informatiques, que des attentats terroristes contre l’un auraient sans l’ombre d’un doute des répercussions sur l’autre. Des terroristes peuvent lancer des attaques à l’intérieur ou à partir du Canada avec l’objectif de frapper les secteurs énergétique, économique et des communications des États-Unis. Les manœuvres de pirates informatiques contre des sites Internet américains utilisant des serveurs situés au Canada et dans d’autres pays ne constituent que l’un des exemples de la vulnérabilité de l’infotechnologie américaine à des attaques indirectes. De fait, le Canada, les États-Unis et de nombreux autres pays ont des liens tellement étroits sur les plans économique et technologique que chacun doit assumer une certaine part de responsabilité dans la protection des infrastructures essentielles des autres.

Les militaires canadiens ne contribuent que partiellement à la protection des infrastructures essentielles, et même le BPIEPC n’est pas le principal intervenant à ce chapitre. Comme aux États-Unis, on met l’accent sur la coopération et la coordination entre les organismes gouvernementaux et le monde des affaires, qui possède et gère une grande partie de ces infrastructures. Autrement dit, la protection des infrastructures essentielles n’est pas une responsabilité exclusivement gouvernementale. Néanmoins, les militaires ne peuvent considérer qu’ils n’ont pas à se préoccuper de la protection de ces infrastructures. Par exemple, des perturbations des systèmes civils de communication pourraient diminuer la capacité des militaires d’intervenir au sein du pays et de se déployer à l’étranger. En outre, des attaques terroristes multiples contre les infrastructures essentielles pourraient mettre à mal l’économie du pays, qui rend possible les dépenses militaires, tout en nuisant à la production d’équipement militaire par les industries canadiennes.

En conclusion, veiller à l’état de préparation des Forces canadiennes a toujours constitué une tâche difficile à cause des restrictions sur les dépenses militaires et de l’évolution rapide de la doctrine et de la technologie militaires. À l’heure actuelle, la tâche est plus compliquée que jamais parce qu’il y a de plus en plus de menaces directes contre le territoire et qu’il faut accorder énormément d’attention à sa défense et à sa sécurité de même qu’aux infrastructures essentielles. On devra examiner de près les engagements et capacités des Forces canadiennes, et peut-être les ajuster à la lumière d’exigences en constante évolution. Au cours de ce processus, on devra prendre soin de retenir et de protéger l’actif le plus important des Forces, leur personnel.



55Voir, par exemple, Joel Sokolsky, Sailing in Concert: The Politics and Strategy of Canada-U.S. Naval Interoperability, Institute for Public Policy and Research, avril 2002. Voir également le témoignage de Joel Sokolsky, Délibérations, 30 avril 2002.
56Vice-amiral Ron Buck, Délibérations, mars 2002.