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HEAL Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON HEALTH

COMITÉ PERMANENT DE LA SANTÉ

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le lundi 26 novembre 2001

• 1006

[Traduction]

La présidente (Mme Bonnie Brown (Oakville, Lib.)): Bonjour, mesdames et messieurs.

Nous souhaitons la bienvenue à cette séance du Comité permanent de la santé à notre groupe de témoins qui représentent cinq organisations. Chacune de ces organisations va faire un exposé, après quoi nous passerons aux questions.

Conformément à notre ordre du jour, nous allons commencer par le représentant de l'Association du Barreau canadien, Brent Windwick, qui est président de la Section nationale du droit de la santé.

Monsieur Windwick, vous avez la parole.

M. Brent F. Windwick (président, Section nationale du droit de la santé, Association du Barreau canadien): Merci, madame la présidente.

L'association du Barreau canadien représente quelque 36 000 avocats, professeurs et étudiants en droit et autres juristes. Elle a entre autres pour mandat de contribuer à l'amélioration du droit et de l'administration de la justice. Je préside la section nationale du droit de la santé au sein de cette association et je vais vous faire ici un exposé au nom de la section du droit de la santé et du droit de la famille.

[Français]

Je me présente aujourd'hui au nom de l'Association du Barreau canadien, Section du droit de la santé et du droit de la famille. Nous voudrions vous remercier de nous donner l'occasion de faire cette présentation sur les propositions relatives au projet de loi régissant l'assistance à la procréation.

Compte tenu de mes limites en français, je vais faire le reste de la présentation en anglais, si vous le voulez.

[Traduction]

J'ai aussi l'impression que c'est ma chaise qui grince le plus dans cette salle, et si je me tortille sur mon siège pour répondre à vos questions, vous saurez immédiatement que c'est moi qui veux prendre la parole.

Vous savez peut-être que nous sommes intervenus en 1997 au sujet du projet de loi C-47. Le mémoire que nous vous présentons ici en découle dans une très large mesure. Toutefois, les propositions législatives qui ont été déposées cette année sont, à notre avis, en très gros progrès par rapport au projet de loi C-47. Nos observations concernant ces nouvelles propositions sont donc plus limitées. Nous nous en tenons dans notre mémoire et dans cet exposé à quelques domaines essentiels sur lesquels nous considérons qu'il est possible d'améliorer ce projet de loi. Je pense que le greffier a reçu des copies de notre mémoire.

Dans ce court mémoire, nous nous en tiendrons à quatre grands sujets. Le premier porte sur la nécessité d'énumérer les activités de reproduction humaine assistées qui sont interdites par la loi ou par les règlements. Le second a trait aux caractéristiques d'un organisme de supervision. Le troisième consiste à se demander si les propositions législatives règlent bien la question du remboursement des frais raisonnables des mères porteuses. Le quatrième a trait à la conformité de la publication des renseignements sur la santé avec les lois existantes et celles que l'on peut prévoir en matière de protection des renseignements personnels sur la santé.

Avant d'évoquer ces questions, nous jugeons important de réaffirmer notre appui en faveur d'une adoption dans les meilleurs délais de cette loi. Les idéaux de notre société et les principes d'éthique qui sont explicités dans le préambule de ce projet de loi ont besoin d'être fermement ancrés dans le domaine public pour qu'un débat constructif puisse s'engager au sein de notre population sur les nombreuses questions qui vont inévitablement se poser à mesure que ces techniques vont se développer et pour que notre opinion publique soit convaincue que les activités de reproduction humaine assistée sont exécutées pour des raisons et d'une manière légitimes.

Il est indispensable de disposer d'un cadre de réglementation exhaustif et fermement établi pour pouvoir fixer des normes et un contrôle de qualité au niveau national, ces deux choses étant indispensables à la réalisation de ces objectifs. Lisez les manchettes des journaux d'aujourd'hui—et j'ai ici le Globe and Mail et l'Ottawa Citizen, qui annoncent la première expérience de clonage d'embryons humains et en rendent compte dans des articles—vous verrez à quelle vitesse évolue la science dans ce domaine et à quel point il est important de suivre ce qui se passe.

• 1010

Nous en venons maintenant à ce qui constitue, à notre avis, le principal problème juridique que posent ces propositions législatives, qu'il s'agisse d'interdire expressément certaines activités dans la loi ou dans le faire dans les règlements d'application. Vous avez certainement entendu différents arguments en faveur de l'une ou l'autre de ces deux options.

À notre avis, il y a des raisons pratiques évidentes qui militent en faveur d'une interdiction dans la réglementation plutôt que dans la loi—notamment, la rapidité des progrès scientifiques et techniques; l'absence de consensus social clair au sujet de nombre d'activités de reproduction humaine assistée, pour le présent comme pour l'avenir; la nécessité de recourir à des compétences dans nombre de domaines scientifiques et non scientifiques pour analyser ces questions difficiles à mesure qu'elles se présentent; enfin, l'absence d'une justification politique claire de la distinction qui est faite dans le projet de loi entre les activités qui doivent être interdites et celles qui doivent être soumises à l'obtention d'un permis. Nous avons exposé de manière détaillée ces différentes raisons dans les pages 2 à 4 de notre mémoire.

Parallèlement, nous comprenons la nature des arguments juridiques en faveur d'une interdiction prononcée dans la loi, telle que la nécessité pour le gouvernement d'adopter des lois se réclamant sans ambiguïté de la compétence constitutionnelle fédérale, l'importance du devoir de transparence et de la nécessité de rendre des comptes dans une démocratie lorsqu'on établit et modifie par la suite le champ des interdictions, et enfin le fait que l'on peut considérer que le public est pleinement convaincu que certaines activités doivent faire l'objet d'une interdiction pénale de façon très visible et permanente.

Nous abordons ces derniers arguments aux pages 6 à 8 de notre mémoire. Notre analyse est pour l'essentiel la suivante. Tout d'abord, une liste d'interdictions prononcées dans la réglementation, mise au point par un organisme de supervision et entérinée par le pouvoir politique est à notre avis une solution viable et acceptable sur le plan juridique. Nous acceptons toutefois le principe d'un nombre très restreint d'interdictions prononcées dans la loi en tenant compte des préoccupations que soulèvent la compétence constitutionnelle et les différents points que je viens d'évoquer.

Le maintien de l'interdiction expresse dans la loi du clonage destiné à la reproduction humaine et du recours commercial à des mères porteuses, ce qui, dans notre mémoire, est conforme au principe de limitation du recours au pouvoir que nous confère le droit pénal aux domaines dans lesquels le consensus social est très fort devrait, à notre avis, apaiser toutes les craintes liées à la compétence constitutionnelle et aux autres questions qui ont été soulevées, je pense, à ce sujet.

Pour ce qui est du devoir démocratique de rendre des comptes, nous indiquons dans notre mémoire qu'il s'agit d'une question de procédure que l'on peut régler en établissant l'organisme de supervision—et ses pouvoirs d'établir ou de modifier les interdictions—d'une façon à apaiser ces craintes. Nous proposons dans ce mémoire un certain nombre de moyens permettant de réaliser cet objectif, notamment une consultation obligatoire du public au préalable, une large représentation au sein de l'organisme de supervision, et la possibilité pour le Parlement de ne pas avaliser la liste des interdictions ou de procéder d'une autre manière.

Quant à l'organisme de supervision, comme nous l'avons indiqué précédemment, nous sommes en faveur d'un organisme fort qui aurait le pouvoir d'établir, de modifier et d'interpréter la liste des interdictions de toutes les activités qui ne seraient pas expressément interdites par la loi. Nous avons exposé en détail dans notre mémoire notre conception de cet organisme de supervision.

Les préoccupations liées au devoir de rendre des comptes et à l'obligation de transparence dans une démocratie sont évidemment pertinentes lorsqu'on discute de cette option. Nous considérons toutefois dans notre mémoire qu'il s'agit là de questions d'application et de procédure qui, si elles sont abordées dans de bonnes conditions, ne devraient absolument pas affaiblir le cadre réglementaire. Nous soutenons au contraire qu'un organisme de supervision pluridisciplinaire constitué dans les formes, ayant le pouvoir d'interpréter, d'expliquer et d'exposer en permanence le contenu de la liste des interdictions répondrait mieux aux attentes de la population, serait plus efficace et ne serait pas moins démocratique que la procédure qu'il faudrait mettre en place pour modifier la loi afin d'atteindre ces mêmes objectifs.

Pour ce qui est des questions qui relèvent selon moi du droit familial dans le projet de loi, nous traitons plus particulièrement aux pages 9 à 11 de notre mémoire des dispositions du projet de loi qui concernent les mères porteuses. On y fait par ailleurs des considérations plus générales concernant le type de problèmes liés au droit familial qui risquent de se produire à mesure que ces techniques se généraliseront, et la nécessité pour le gouvernement fédéral de prendre l'initiative et de promouvoir l'élaboration de normes au niveau national dans les domaines qui relèvent principalement de la compétence législative des provinces.

• 1015

Nous indiquons dans notre mémoire qu'il convient de mieux préciser la nature de la contrepartie qui est prévue à l'article 4. Même si nous considérons dans ce texte qu'un paiement ou que toute autre contrepartie fournis au titre des services d'une mère porteuse doivent être interdits, il faut quand même rembourser à cette dernière les dépenses raisonnables liées à la grossesse. Nous prenons acte du fait que l'alinéa 10d) permet de le faire dans le cadre du régime d'octroi de permis, mais nous considérons que la formulation de l'article 4 laisse ouverte la possibilité qu'une mère porteuse qui, par exemple, a un manque à gagner parce qu'elle doit s'absenter de son travail, ne soit pas nécessairement remboursée. Ce sont là des questions qu'il convient de régler.

Pour ce qui est de la divulgation des renseignements sur la santé, nous avons jugé bon de commenter trois types de dispositions dans ce projet de loi: le fait que cette divulgation soit obligatoire, même si c'est impératif et mentionné au départ aux bénéficiaires des activités de reproduction humaine assistée; l'absence de référence à des normes très importantes de divulgation légitime qui font désormais partie intégrante de la loi sur l'information en matière de santé au Canada et dans le monde; enfin, la portée des principes de divulgation et de recours à l'information pris en charge par la réglementation.

Aux pages 11 à 13 de notre mémoire, nous faisons état de ce que nous considérons comme étant les avantages et les inconvénients de ce projet de loi. Les avantages ont trait au fait que les principes fondamentaux d'une bonne information figurent dans la loi, tels que l'obligation d'informer et le droit d'accès à l'information et à la correction des erreurs. Il est clair, toutefois, que dans cette partie du projet de loi, on fait de la divulgation des renseignements sur la santé une condition nécessaire à l'accès à des services de reproduction humaine assistée, ce qui s'oppose, peut-on penser, au principe d'un libre consentement donné en toute connaissance de cause, tel qu'il est exposé dans le préambule.

Dans cette perspective, la justification du recueil, de l'utilisation et de la divulgation des renseignements est très importante.

Nous disons dans notre mémoire que ce qui nous préoccupe, c'est ce que l'on a omis d'indiquer dans le projet de loi—une déclaration claire dans laquelle on s'engage à ce que ces renseignements ne soient pas utilisés, sauf en cas de nécessité; une déclaration claire faisant état du fait que l'on n'aura recours qu'à un minimum de renseignements; enfin, une déclaration claire selon laquelle les renseignements ne doivent pas permettre d'identifier leur auteur, à moins que cette identification ne se justifie.

Il se pourrait que le gouvernement ait l'intention d'affirmer ces principes dans la réglementation ou éventuellement de les annexer à la loi, comme on l'a fait au sujet du Code de normalisation des pratiques d'information dans le cadre de la Loi sur la protection des renseignements personnels et des documents électroniques. Quelle que soit la façon dont on procède, nous jugeons toutefois qu'il est important que ça soit fait.

Pour conclure, nous apprécions la possibilité qui nous est donnée de faire connaître notre point de vue à votre comité. Il convient de féliciter le gouvernement du travail qu'il a effectué jusqu'à présent et du fait qu'il s'est engagé à consulter le public avant de déposer ce projet de loi. Toutefois, comme nous le disons dans notre mémoire, il est temps aujourd'hui de passer à l'étape suivante.

Je vous remercie.

La présidente: Merci, monsieur Windwick.

Le témoin suivant est Mary Lou Cranston, directrice du St. Joseph's College Ethics Centre d'Edmonton, en Alberta, qui représente l'Association catholique canadienne de la santé.

Madame Cranston, vous avez la parole.

Dre Mary Lou Cranston (directrice, St. Joseph's College Ethics Centre; membre, Association catholique canadienne de la santé): Merci, madame la présidente.

Au nom de l'Association catholique canadienne de la santé, je tiens à vous remercier de l'occasion qui nous est offerte de soumettre nos commentaires sur l'avant-projet de loi intitulé loi sur l'assistance à la procréation.

L'Association catholique canadienne de la santé est une organisation chrétienne nationale spécialisée dans le domaine de la santé. Il s'agit d'une organisation bilingue, sans but lucratif, engagée dans la promotion d'une vision de la santé et de la guérison qui englobe les aspects physiques, émotionnels et spirituels tout autant que le bien-être social des personnes. L'association constitue un forum important de discussion et d'analyse des questions sociales et de santé et d'élaboration des politiques publiques. Elle regroupe sept associations catholiques provinciales du secteur de la santé, 127 hôpitaux et foyers d'accueil à l'échelle du pays, de nombreuses associations associées, des professionnels de la santé et des particuliers. L'Association catholique canadienne de la santé, en tant qu'organisation spécialisée dans le domaine de la santé, s'efforce de communiquer à votre comité le point de vue et l'opinion des praticiens, des organisations et des personnes qui s'occupent de la santé dans tout le Canada.

Nous avons remis un mémoire au greffier. J'espère que vous en avez la version française et anglaise.

• 1020

Nous recensons dans ce mémoire les différents points sur lesquels nous appuyons le projet de loi. Nous relevons certains sujets de préoccupation dans certains domaines et nous soulignons les questions qui se posent au sujet du cadre législatif, des principes directeurs et du mécanisme de réglementation prévus par la loi. Au cours de cet exposé, je vais insister sur cinq points qui figurent dans notre mémoire.

Nous considérons tout d'abord qu'il est nécessaire d'établir des grands idéaux et de poser des principes d'éthique de base. Au cours des dernières décennies, de remarquables progrès scientifiques et technologiques sont devenus des sources insoupçonnées d'amélioration de la condition humaine, dépassant tout ce dont nous avons pu disposer dans le passé. Comme l'a indiqué l'orateur qui m'a précédée, il suffisait ce matin d'écouter la radio ou la télévision pour s'en persuader.

Notre société a clairement l'obligation d'utiliser ce savoir et les technologies qui s'y rapportent pour améliorer encore davantage nos conditions de vie. Du même coup, toutefois, ces mêmes techniques nous imposent un tout nouvel ensemble de responsabilités éthiques particulièrement complexes. Elles nous ont dotés d'un pouvoir sans précédent sur la personne humaine. Ainsi, la situation exige-t-elle que nos efforts de contrôle s'inspirent de valeurs humaines et d'impératifs moraux solidement établis. Nous pouvons dire que sans ces valeurs, nous ne pouvons pas mener une bonne politique.

Nous vivons, au plan moral et religieux, dans une société pluraliste où les questions sur le sens ultime de la vie ne font pas toujours l'unanimité et, en démocratie, nous devons respecter et même protéger le droit à la dissidence. Néanmoins, même s'il n'est peut-être pas possible de parvenir à une entente universelle sur toutes les questions morales liées au droit et à la politique au sein de la société, certaines questions sont d'une importance si vitale qu'un gouvernement ne peut pas négliger les efforts nécessaires pour orienter au sein de la société les valeurs et les principes d'éthique qui sont les fondements du droit et de la politique car, dans le cas contraire, on pourrait devoir sacrifier le caractère sacré de la vie, la dignité de la personne et la justice au sein de cette même société.

L'Association catholique canadienne de la santé considère les techniques de reproduction et de génétique, de même que les projets de loi appelés à les régir, comme faisant partie de ces questions ayant une importance vitale. La législation finalement adoptée pour l'interdiction de pratiques inacceptables et l'établissement d'une réglementation applicable aux techniques et à la recherche jugées recevables sera grandement révélatrice des valeurs auxquelles nous croyons, ainsi que de nos priorités en tant que société.

La question des valeurs établies dans le projet de loi nous préoccupe particulièrement. Dans le mémoire que nous vous avons remis, nous proposons une série de valeurs et de principes fondamentaux sur le plan de l'éthique qui doivent nous permettre de juger des différentes technologies et pratiques visées par la loi. Cette liste fait état de principes établis depuis longtemps dans la communauté judéo-chrétienne. Ils sont par ailleurs au coeur de la Constitution et du patrimoine politique du Canada. Nous considérons que ces principes doivent être expressément cités dans le préambule de la loi. C'est notre premier argument.

En second lieu, il est possible que l'on surestime les avantages des techniques de reproduction humaine assistée, ou du moins qu'on insiste trop fortement sur celles-ci, sans donner éventuellement suffisamment d'importance à l'envers de la question. Nous nous inquiétons de voir que dans la présentation des valeurs et des principes directeurs, on privilégie dans le préambule la protection des intérêts des particuliers et de la société en général en ne faisant passer qu'ensuite les droits et la dignité de la personne.

• 1025

Le projet de loi C-47 affirmait avec bien plus de force à quel point ces technologies attentaient aux valeurs humaines. Dans le premier article du projet de loi C-47, on précisait que certaines technologies seraient interdites parce que le Parlement était très préoccupé par la gravité de la menace que faisaient peser ces techniques sur la dignité humaine.

Nous considérons que l'absence d'une telle déclaration dans ce projet de loi en affaiblit sérieusement la portée. Nous recommandons par conséquent que l'on insiste davantage dans le préambule sur le respect que l'on doit accorder à la vie humaine et à sa transmission.

En troisième lieu, nous insistons dans notre mémoire sur l'importance qui est donnée, dans le préambule, au consentement libre et éclairé. Cette affirmation doit être nuancée par le fait qu'on a trop souvent tendance actuellement à ne mettre l'accent que sur le fait qu'un consentement libre et éclairé a été obtenu. Dans ces situations, les questions entourant la rectitude de l'acte auquel on a consenti sont trop facilement ignorées. Si un acte est intrinsèquement mauvais, le consentement libre et éclairé ne peut pas le rendre bon.

Cette insistance sur le consentement comme condition pour déterminer la rectitude d'un acte signifie qu'un acte mauvais peut être jugé acceptable par le seul fait qu'un consentement a été obtenu, ce qui est particulièrement dangereux dans le climat économique actuel du secteur de la santé où ce sont les industries qui décident de l'orientation de la recherche. À l'heure actuelle, au Canada, les techniques de reproduction humaine et de manipulation génétique sont aux mains d'organisations qui possèdent, dans le secteur, d'importants intérêts financiers. En ces sens, il est important de tenir compte du fait que là où des intérêts commerciaux sont en jeu, il est plus tentant de réduire la définition de l'éthique de manière à ce qu'elle ne fasse pas obstacle aux recherches ou entreprises poursuivies.

Quatrièmement, nous voulons attirer l'attention sur l'utilisation d'embryons aux fins de la recherche sur la cellule souche. Le paragraphe 8(2) de la loi permettrait la recherche sur les embryons soi-disant excédentaires laissés libres après les procédures de fécondation in vitro. Elle comprendrait l'utilisation de ces embryons à des fins de recherche sur les cellules embryonnaires, comme le recommandait récemment l'Institut de recherche sur la santé.

Étant donné l'importance que l'Association catholique canadienne de la santé donne au respect de la vie humaine depuis le moment de la conception—que ce soit dans le corps d'une femme ou in vitro—nous sommes d'avis que ce genre de recherche devrait être inclus dans la liste des actes prohibés, et que l'utilisation de cellules souches adultes est la méthode appropriée de recherche sur la cellule souche.

Un des arguments avancés en faveur de l'utilisation d'embryons aux fins de la recherche sur la cellule souche est qu'il n'existe pas d'alternative offrant un potentiel équivalent pour la production de tissus à des fins thérapeutiques. Ces derniers mois, cependant, des développements majeurs dans les recherches sur la cellule souche adulte ont montré que le corps adulte abrite des populations de cellules embryonnaires—même dans nos cellules adipeuses, comme nous l'indiquons en note—qui peuvent être aussi utiles ou meilleures que les cellules souches pour toute une variété d'objectifs thérapeutiques recherchés. Nous croyons que les progrès de la connaissance sur la manière de reprogrammer les cellules souches adultes permettraient d'envisager d'importants avantages médicaux et devraient éliminer le besoin d'utiliser des embryons comme source de cellules souches.

Enfin, sur un cinquième point, nous jugeons nécessaire d'insister davantage sur les dangers de la commercialisation. Le paragraphe 2 du préambule du projet de loi C-47 dispose:

    Attendu que le Parlement du Canada reconnaît les dangers—sur les plans de la santé et de l'éthique—inhérents à la commercialisation de la procréation, notamment en ce qui touche la vente d'éléments ou de produits du corps humain servant à la reproduction, le commerce de la capacité procréatrice de la femme et l'exploitation des femmes et des enfants à des fins commerciales;

• 1030

L'Association catholique canadienne de la santé s'inquiète grandement du fait que la référence faite aux dangers de la commercialisation dans le préambule de la loi qui est proposée est beaucoup moins nette et spécifique.

Nous concluons en disant que dans le débat éthique sur les techniques de reproduction, on fait souvent valoir que si la recherche sur le tissu embryonnaire et foetal était arrêtée, à cause du fait que ces techniques donnent lieu à une utilisation contestable des embryons, des domaines importants et prometteurs de la science souffriraient d'un retard. Aux yeux de l'Association catholique canadienne de la santé, cet impératif scientifique exige que les recherches soient poursuivies le plus rapidement possible—au risque que de devoir admettre qu'en ce cas, la fin justifie les moyens—est inadmissible. Les techniques et la recherche que touche cet avant-projet de loi mettent en cause les valeurs les plus importantes des Canadiens comme individus aussi bien que comme société. Tout en reconnaissant les avantages potentiels que présentent ces techniques, nous estimons que la meilleure attitude à prendre est celle de la prudence et de la circonspection.

L'Association catholique canadienne de la santé appuie fortement les interdictions énoncées dans l'avant-projet de loi, particulièrement celle contre le clonage humain et la création d'un embryon in vitro aux seules fins de la recherche. Nous félicitons le gouvernement du leadership dont il a fait preuve en prenant les mesures voulues pour protéger et promouvoir la dignité humaine. Nous sommes d'avis, toutefois, que cet avant-projet de loi, tout en mettant l'accent sur les importantes questions de la santé et de la sécurité, ne prête pas une attention suffisante aux risques et aux dommages susceptibles d'attenter à ce qu'un témoin a appelé, devant le comité, l'esprit humain. Par cela, il faut entendre les principes, normes, valeurs et croyances qui sont d'une importance centrale à notre nature et à notre humanité, et qui sont cruciales pour notre bien-être en tant qu'humains.

Les membres de l'Association catholique canadienne de la santé sont heureux de cette occasion qui leur a été offerte de présenter leurs commentaires sur cet avant-projet de loi. Nos meilleurs voeux accompagnent les membres du comité permanent dans la tâche difficile et exigeante qu'ils ont entreprise en vue d'assurer que les techniques de reproduction et la recherche correspondante soient compatibles avec les valeurs de la dignité humaine et du respect, et que la santé et la sécurité des citoyens soient respectées.

Je vous remercie.

La présidente: Merci, madame Cranston.

Je vais maintenant donner la parole à Lawrence Soler, directeur des relations gouvernementales de la Fondation de la recherche sur le diabète juvénile du Canada.

Monsieur Soler.

M. Lawrence Soler (directeur, Relations gouvernementales, Fondation de la recherche sur le diabète juvénile du Canada): Madame la présidente, je vous remercie beaucoup de me donner aujourd'hui l'occasion de présenter cet exposé.

La Fondation internationale de la recherche sur le diabète juvénile du Canada a été créée en 1970 par des parents d'enfants diabétiques déterminés à soutenir la recherche visant à découvrir un remède. Cette année seulement, la FRDJ consacrera plus de 190 millions de dollars à la recherche sur le diabète.

Je suis également président de la coalition pour la promotion de la recherche médicale, une organisation formée d'universités, de sociétés scientifiques, de groupes de patients et d'autres entités qui soutiennent la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

Avant de commencer, j'aimerais remercier le comité de l'appui solide qu'il a accordé aux Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). La FRDJ voit dans les IRSC un partenaire important de son travail de recherche, et nous espérons beaucoup que le gouvernement pourra poursuivre son objectif, soit de doubler le budget des IRSC.

Au nom de la FRDJ, je tiens à remercier le comité de tenir ces audiences au sujet de l'avant-projet de loi sur les techniques de reproduction. La recherche sur les cellules souches embryonnaires, qui joue, à notre avis, un rôle essentiel dans la découverte d'un remède pour le diabète juvénile, est un élément clé de ces techniques. Vous vous rappellerez peut-être que des audiences semblables se sont tenues dans les années 70 au sujet de la recherche sur l'ADN recombinant, qui comportait la manipulation de matériel génétique et suscitait alors la controverse. Bon nombre de personnes craignaient que ce secteur de recherche n'entraîne des dangers énormes. À la suite d'audiences publiques et de l'établissement de lignes directrices gouvernementales, la recherche a été autorisée et elle a mené à une foule de percées en biotechnologie, notamment à la mise au point de l'insuline humaine pour les diabétiques.

D'autres secteurs de recherche ont également soulevé la controverse. Des tissus foetaux sont utilisés pour la recherche depuis les années 30. Cette recherche s'est parfois attirée des critiques parce que les tissus sources provenaient d'avortements. De nos jours, les tissus foetaux sont largement utilisés dans les laboratoires de recherche fondamentale. Ils ont également permis de mettre au point des vaccins contre certaines maladies comme la poliomyélite et la rubéole. En fait, le prix Nobel de la médecine de 1954 a été décerné à des chercheurs qui avaient mis au point le vaccin contre la polio à l'aide de cellules rénales de foetus.

• 1035

Ce que je veux souligner, c'est que la contestation de nouveaux secteurs de la science pour des raisons morale ne date pas d'hier et que notre société a récolté de grands avantages après avoir su affronter d'autres dilemmes complexes. Je vous parlerai des ravages de la maladie, ce qui vous permettra de bien comprendre les raisons pour lesquelles nous tenons à ce que le soutien à la recherche sur les cellules souches embryonnaires soit autorisé. Le diabète touche plus de 2,25 millions de Canadiens et Canadiennes, allant des plus jeunes enfants aux adultes les plus âgés. C'est une cause majeure de complications fatales et débilitantes, notamment la cécité, la maladie rénale terminale, les atteintes nerveuses, la maladie cardiaque, l'accident vasculaire cérébral et l'amputation.

Non seulement la maladie fait beaucoup de victimes, mais elle est extrêmement coûteuse. Santé Canada a effectivement estimé de façon très prudente, il y a quelques années, que les coûts du diabète s'élevaient à environ 9 milliards de dollars par année, ce qui en fait une des maladies les plus coûteuses au pays.

Mais au-delà de ces faits et de ces chiffres, le diabète est, comme me l'a déjà dit un jeune enfant, «éprouvant et terrifiant». J'ai déjà entendu de pires qualificatifs, mais je m'en tiendrai à ceux-là. Je souffre moi-même de la maladie depuis plus de dix ans, et je partage entièrement ce sentiment. Je pense aussi que les familles ici présentes, notamment les jeunes Bronson et Vivian, qui sont assis derrière moi—dites bonjour, Bronson et Vivian—et qui sont touchés par le diabète, le partagent aussi.

Chaque moment de veille est consacré à tenter de faire ce qu'un non-diabétique fait naturellement, soit maintenir sa glycémie à un niveau aussi normal que possible. Pour ce faire, il faut adopter un régime très complexe comportant jusqu'à quatre injections d'insuline ou plus par jour, jusqu'à huit analyses de glycémie par ponction digitale et une surveillance étroite de la nutrition. Mais même si on fait tout ce qu'il faut faire, les choses vont souvent de travers. Lorsque la glycémie baisse trop, on risque la crise ou la mort. Lorsqu'elle monte trop, on voit apparaître les complications de la maladie et on risque de développer l'acidocétose, maladie potentiellement fatale. Le diabète frappe rapidement et peut tuer rapidement.

Comme vous le voyez, la maladie impose un fardeau extrêmement lourd aux individus et à la société. C'est pourquoi nous tenons tant à trouver un remède.

Voilà pour les mauvaises nouvelles. Mais la recherche a fait des progrès très prometteurs qui pourraient mener à la découverte d'un remède. Nulle part ailleurs qu'au Canada ne peut-on mieux discuter de l'état de la recherche sur le diabète, car les chercheurs, armés de techniques innovatrices et d'ingéniosité pure, ont persévéré pour faire des progrès majeurs dans la lutte contre la maladie. C'est ici, après tout, que, il y a de cela 80 ans, les Drs Banting et Best, de l'Université de Toronto, ont lutté d'arrache-pied pour découvrir l'insuline. C'est grâce à cette découverte que les diabétiques peuvent éviter une mort immédiate.

Mais comme vous le savez, l'insuline n'est pas un remède. Souffrant moi-même de diabète juvénile, je dois m'avouer frustré de devoir remonter à il y a quelque 80 ans pour signaler la dernière percée importante dans le traitement du diabète.

Je vais maintenant énoncer les raisons qui m'amènent aujourd'hui à nourrir de l'espoir et le rôle essentiel que joue la recherche sur les cellules souches embryonnaires à cet égard. Des chercheurs tentent depuis des années de trouver un remède en transplantant chez les diabétiques des cellules productrices d'insuline prélevées dans des pancréas de donneurs cadavériques. Jusqu'en 1998, après des décennies de recherche, seulement 8 p. 100 des receveurs de ces transplantations avaient un an d'autonomie à l'égard de l'insuline.

Le véritable travail de pionnier du Dr James Shapiro et de son équipe de l'Université de l'Alberta a toutefois mené à l'utilisation de nouvelles techniques de transplantation et d'isolement des cellules qui ont permis à 15 patients sur un groupe de 18 de recevoir une transplantation en consultation externe et de se passer d'insuline. Pour un diabétique, c'est un véritable miracle.

La FRDJ, qui a contribué à soutenir les premiers travaux du Dr Shapiro, a annoncé plus tôt au cours du mois qu'elle avait accordé une subvention de recherche de 24 millions de dollars, sur cinq ans, pour la création du Juvenile Diabetes Research Foundation Clinical Centre de l'Université de l'Alberta. Le centre poussera cette recherche plus loin pour vaincre certains des problèmes qui restent, notamment trouver des moyens d'accroître le nombre de cellules productrices d'insuline et de vaincre les défenses naturelles de l'organisme contre les tissus étrangers.

La FRDJ est très inquiète, car même si nous sommes sur le point de disposer d'un remède pour le diabète au moyen de la transplantation, il y a pénurie de cellules productrices d'insuline. La transplantation ne peut donc que bénéficier à quelques centaines ou quelques milliers de personnes atteintes. C'est pourquoi nos chercheurs estiment que la recherche sur les cellules souches représente notre plus grand espoir. Les cellules souches embryonnaires étant des cellules maîtresses indifférenciées, les scientifiques estiment qu'elles peuvent être cultivées et devenir une source illimitée de cellules productrices d'insuline pouvant se prêter à la transplantation.

Il y a dans le monde des centaines de milliers d'ovules fécondées in vitro surnuméraires qui sont congelés en attente d'une destruction. La FRDJ est en faveur du financement public de la recherche sur un nombre restreint de ces ovules et sur des cellules souches qui en sont isolées. Les ovules FIV sont âgés de moins de 14 jours et sont formés d'une masse de cellules indifférenciées. À notre avis, le soutien au don d'organes pour sauver des vies et le soutien à la recherche des cellules souches embryonnaires sont du même ordre.

• 1040

La FRDJ est favorable à ce que la recherche sur les cellules souches embryonnaires se poursuive à l'intérieur de balises scientifiques et éthiques pertinentes, notamment en exigeant qu'un consentement éclairé précède le don d'ovules FIV pour la recherche

On s'est longuement demandé si les cellules souches extraites de tissus adultes constituaient une solution de rechange adéquate aux cellules souches extraites d'ovules FIV surnuméraires. La FRDJ est convaincue qu'il faut utiliser tous les types de cellules souches parce qu'on ne peut pas prédire lesquels offriront le plus d'avantages sur le plan médical.

Les cellules souches embryonnaires présentent deux avantages particuliers par rapport aux cellules souches adultes. Premièrement, elles peuvent croître indéfiniment en laboratoire, tandis que les cellules souches adultes ont plus de mal à le faire, surtout en grand nombre, et il en faut beaucoup pour guérir des maladies. Deuxièmement, les cellules souches embryonnaires peuvent croître dans n'importe quel type de cellule, contrairement aux cellules souches adultes. Les National Institutes of Health ont publié plus tôt cette année un rapport traitant de l'état de la recherche sur les cellules souches, et ils ont découvert que les cellules souches adultes présentaient des limites importantes par rapport aux cellules souches embryonnaires.

Madame la présidente, je remercie le comité et vous-même de tenir ces audiences absolument essentielles. Le Canada est une fois de plus appelé à jouer un rôle de chef de file dans la recherche sur le diabète, cette fois en soutenant la recherche sur les cellules souches embryonnaires et en donnant de l'espoir aux 2,25 millions de Canadiens et de Canadiennes aux prises avec cette maladie dévastatrice. La FRDJ souhaite collaborer étroitement avec vous pour faire de ce secteur de la recherche un franc succès.

La présidente: Merci, monsieur Soler.

Nos prochains témoins sont monseigneur Terence Prendergast, archevêque de Halifax, et M. l'abbé Ron Mercier, de la Toronto School of Theology à l'Université de Toronto.

Qui veut commencer?

Son excellence l'archevêque Terence Prendergast (archevêque de Halifax; représentant, Conférence des évêques catholiques du Canada): Je vais commencer, madame la présidente, et l'abbé Mercier interviendra dans le cours de mon exposé.

La présidente: Vous avez la parole.

[Français]

Mgr Terence Prendergast: Bonjour. La Conférence des évêques catholiques du Canada remercie le comité de son invitation à venir présenter ses réflexions sur le projet de loi régissant l'assistance à la procréation.

La conférence regroupe les évêques catholiques du Canada, qui assument la charge pastorale d'environ 12,5 millions de catholiques répartis dans 71 diocèses à travers le pays.

Étant donné que nous intervenons à la toute fin du processus de consultations publiques, nous avons décidé de faire porter nos commentaires sur les parties de l'avant-projet de loi que nous appuyons d'emblée et sur les parties de la mesure législative qui soulèvent notre inquiétude.

[Traduction]

Je vais commencer par affirmer quelques grands principes. Le premier a trait à la relation qui existe entre la foi et la science. Bien loin de s'opposer, foi et science s'accordent à plus d'un point de vue, ne serait-ce que dans le sentiment d'émerveillement émergeant des mystères de la création et trouvant leur origine dans le même Dieu. Comme le disait le pape Jean-Paul II dans une récente encyclique: «La foi et la raison sont comme les deux ailes qui permettent à l'esprit humain de s'élever vers la contemplation de la vérité.» Il ne peut exister de conflit réel entre foi et science sauf quand il s'agit de mauvaise foi ou de mauvaise science.

L'Église catholique encourage la recherche scientifique et technologique quand elle se fait dans le respect de la dignité et de la valeur inhérente de la vie humaine; quand elle protège la richesse de la création et son hétérogénéité; quand elle promeut l'exercice d'une intendance responsable; quand elle s'occupe du plus vulnérable et qu'elle sert le bien commun. La science et la foi ne sont pas irréconciliables mais, à notre avis, elles peuvent s'éclairer et s'enrichir mutuellement. Einstein disait: «La science sans la religion est bancale, et la religion sans la science est borgne.»

Nous tenons à mentionner ici un certain nombre d'éléments qui nous paraissent positifs dans la loi. Tout d'abord, le préambule contient plusieurs affirmations significatives telles que la nécessité de protéger les meilleurs intérêts des enfants affectés par l'utilisation de ces technologies; la reconnaissance du fait que les femmes sont particulièrement touchées par ces technologies; l'importance fondamentale accordée au consentement libre et éclairé; et enfin, la nécessité de protéger et de préserver l'individualité humaine et l'intégrité du génome humain.

De plus, nous estimons que le gouvernement devrait être grandement félicité pour ses propositions visant l'interdiction du clonage, de la création d'embryons pour des fins de recherche, de la commercialisation de la maternité de substitution, de la modification de la lignée germinale, et de la commercialisation des gamètes et des embryons.

Passons maintenant à nos principales préoccupations. Tout d'abord, nous sommes sérieusement préoccupés du fait que ce projet de loi, bien qu'il porte sur le commencement de la vie humaine, ne définisse pas l'embryon humain comme un être humain, ou qu'il n'en protège pas pleinement son statut moral. L'Église catholique croit que la vie humaine est le don le plus gracieux qui nous soit donné par Dieu, que chaque être humain est créé à l'image de Dieu et que chacune et chacun possède une dignité inhérente et une valeur inestimable. Chaque être humain doit être respecté et protégé comme personne, si petit et si fragile soit-il.

• 1045

Nous croyons que l'être humain existe depuis la conception. Cette conviction est partagée par nombre d'intervenants du monde médical et d'autres milieux professionnels. En avril 2001, l'organisme Canadian Physicians for Life, en réponse au document de travail produit par les Instituts de recherche en santé du Canada sur la recherche sur les cellules souches humaine, déclarait:

    C'est un fait scientifique objectif que la vie humaine commence à la conception/fécondation. Ce n'est pas une position de «foi» ou une «croyance». Nous sommes des êtres humains même au premier stade cellulaire. Un embryon humain n'est pas un «être humain potentiel». Il est un être humain. Il est précisément ce à quoi ressemble un être humain à cette étape de sa vie.

Il y a plus de dix ans, la Commission de réforme du droit du Canada dans un document de travail intitulé «Les crimes contre le foetus» affirmait que l'être humain existe dès sa conception:

    Bien sûr, le Code actuel comporte une disposition assez curieuse (article 206) selon laquelle un enfant ne devient un être humain qu'une fois complètement sorti du corps de sa mère. Non seulement cette définition est incorrecte, mais de plus elle est contraire au consensus général voulant que le produit de la conception humaine, qu'il se trouve dans l'utérus ou hors de celui-ci, soit un être humain.

La Dre Françoise Baylis, professeure agrégée au département de bioéthique de l'École médicale de Dalhousie, affirmait dans son témoignage devant le Comité permanent de la santé le 31 mai de cette année:

    La première chose à reconnaître dans la loi et dans toutes les discussions, c'est que les embryons sont des être humains. Cela est un fait biologique admis. Ils font partie de l'espèce humaine.

À la lumière de ce qui précède, il est indubitable que l'embryon humain est un être humain. C'est d'ailleurs le motif précis pour lequel l'embryon humain représente tant de valeur et fascine autant les chercheurs. Le débat ne porte alors plus sur les faits, mais bien sur la manière de réagir en regard de ces faits. Ce fait—que l'embryon est un être humain—conjugué au principe fondamental de l'enseignement de l'Église catholique,—que la vie humaine doit être protégée dès son commencement—a d'évidentes ramifications dans notre position à l'égard de certaines dispositions du projet de loi.

Pour ce qui est des définitions incluses dans le projet de loi, nous recommandons que l'«embryon» et le «foetus» soient définis comme des «êtres humains», au lieu d'«organismes humains», tels que décrit dans le projet de loi. Nous recommandons également que le terme «embryon» soit retiré de la liste constituant le «matériel reproductif humain». Comme législateur, vous savez l'importance de définir correctement chaque terme ou expression puisque la signification qui leur sera donnée aura un impact sur tout ce qui s'en suivra. Si le Parlement se propose de permettre la recherche sur les embryons que génèrent en trop les traitements de l'infertilité, il ne devrait pas dissimuler que le sujet de cette recherche est un être humain. Une législation basée sur la science et comportant autant d'implications éthiques devrait mettre en évidence que les dispositions s'appliquant aux embryons concernent, de fait, des êtres humains.

Dans le contexte de cette législation, les personnes qui tiennent différentes positions face à l'avortement pourraient se découvrir un terrain commun quant à la définition et au traitement de l'embryon humain. Ceci, parce que l'embryon n'est pas dans le sein maternel et qu'il n'existe pas de droits et d'intérêts conflictuels entre l'enfant et sa mère.

Je vais maintenant demander à l'abbé Mercier de poursuivre.

M. l'abbé Ron Mercier (doyen, Regis College, Toronto School of Theology, Université de Toronto; représentant, Conférence des évêques catholiques du Canada): En matière de recherche sur les cellules souches embryonnaires, la loi permettrait, moyennant l'obtention d'une autorisation, la recherche sur les cellules souches embryonnaires provenant des embryons que génèrent en trop les traitements de l'infertilité; embryons qui sont appelés «surnuméraires» ou considérés «en surplus». Les spécialistes nous disent que les cellules souches embryonnaires sont capables de former pratiquement tous les tissus du corps humain et qu'elles peuvent être utilisées pour réparer et régénérer ceux qui ont été détruits. Ce fait a évidemment emballé le monde scientifique et suscité l'espoir auprès des personnes souffrant de maladies dites dégénératives, telles le parkinson, l'alzheimer, la dystrophie musculaire et les lésions de la moelle épinière.

Bien que nous aimerions appuyer une recherche qui promet d'apporter tant de bienfaits, nous ne le pouvons pas dans ce cas-ci, car les scientifiques nous disent également que l'obtention de cellules souches provenant d'embryons humains aboutit à la destruction de l'embryon. D'autres solutions de rechange peuvent produire les mêmes bienfaits sans pour autant détruire l'embryon.

Vidé de son contenu cellulaire et détruit, l'embryon est alors dévalué, réduit de l'état de sujet à celui d'objet, d'un être humain muni de dignité, à une source de matériel organique. Il n'existe aucune cure ou aucun bienfait pour une société, pouvant justifier la mise à mort délibérée d'un être humain. Aucun être humain, dont l'embryon, ne devrait être considéré comme un moyen pour atteindre une fin; aucun être humain, si minuscule soit-il, ne peut être détruit pour en aider un autre; aucune être humain ne devrait être considéré comme étant en surplus ou comme surnuméraire.

• 1050

Certains argueront que l'embryon non implanté mourra de toute façon, alors, pourquoi ne pas en tirer du bien? Ne devrions-nous pas plutôt demander aux personnes pour qui la fécondation in vitro est acceptable, pourquoi produire plus que le nombre d'embryons requis? Pourquoi ne pas rechercher des procédures qui n'impliquent pas de médication violente et coûteuse, ni la création d'embryons excédentaires mis en péril par la congélation ou l'expérimentation? En permettant la recherche sur les cellules souches des embryons que génèrent en trop les traitements de l'infertilité, n'êtes-vous pas en train d'encourager par inadvertance, la création d'embryons surnuméraires en contournant ainsi l'interdiction souhaitable de la création d'embryons pour des fins de recherche?

En ce qui a trait au clonage thérapeutique, nous appuyons vigoureusement la disposition du projet de loi qui interdirait le clonage thérapeutique et nous vous exhortons à résister aux pressions de certains groupes favorables à la légalisation de cette technique. Ce type de clonage a un nom trompeur parce qu'il implique la mort de l'embryon cloné à un stade très précoce pour pouvoir en extraire les cellules souches. L'embryon est produit uniquement pour être détruit afin d'utiliser ses cellules souches. Les leaders du monde juridique, médical et religieux de l'Australie ont déclaré tout récemment que le clonage thérapeutique «génère un embryon de laboratoire sans parent ni gardien et de fait, sans personne pour assurer sa protection.»

Le clonage thérapeutique est encouragé par quelques organismes à la recherche de cures pour guérir les maladies dégénératives. Bien que leur profond désir d'obtenir un traitement soit très compréhensible, cette méthode aurait pour conséquence l'utilisation d'un être humain comme de la simple matière première à usage industriel; conséquence déshumanisante pour nous tous. De plus, il subsiste de sérieuses questions éthiques quant aux nombreuses femmes appelées à faire don d'ovules, un procédé douloureux, invasif et scabreux.

En matière de recherche sur les cellules souches adultes, bien qu'au départ l'attention des médias et de la communauté scientifique ait porté sur les résultats de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, des progrès remarquables ont été également accomplis dans la recherche sur les cellules souches adultes. Les cellules souches adultes, ou cellules souches non embryonnaires, sont d'une plasticité étonnante et d'une grande versatilité. Les cellules souches de la moelle épinière donnent naissance non seulement à des cellules sanguines, mais elles peuvent devenir des cellules musculaires ou hépatiques et des cellules du type neurone. Les cellules souches neurales peuvent produire des cellules sanguines et d'autres types de cellules. Cet été, des chercheurs de Montréal ont découvert que des cellules souches provenant de la peau de souris et d'humains pourraient devenir des cellules complexes du cerveau, des muscles lisses et des cellules adipeuses. Des cellules souches ont également été trouvées dans le gras, le sang, le cordon ombilical et le placenta humains.

La thérapie à partir des cellules souches adultes serait préférable à la thérapie utilisant des cellules souches embryonnaires parce qu'elle n'entraîne pas de problèmes de rejet de tissus, ni de problèmes éthiques. Nous suggérons que le gouvernement porte ses efforts sur des mécanismes d'approbation et de financement des recherches sur les cellules souches adultes, puisque celles-ci n'impliqueront pas la destruction de vie humaine. Il s'agirait là d'un pas en avant qui favoriserait le progrès scientifique tout en respectant la dignité humaine, et c'est très certainement un point commun de ralliement.

[Français]

Finalement, je vais parler du statut moral de l'embryon. La documentation préliminaire concernant cette mesure législative laisse entrevoir que la tendance du gouvernement à vouloir réglementer la recherche sur les cellules souches embryonnaires a été influencée par le document de travail publié le printemps dernier par les Instituts de recherche en santé du Canada.

Les IRSC ont accepté la position mitoyenne allouant à l'embryon humain un statut moral particulier en limitant la source des embryons utilisés dans la recherche, en interdisant les transactions commerciales, en exigeant des conditions favorisant un consentement libre et éclairé et le respect de la confidentialité. Sauf votre respect, quand une vie humaine est en cause, il ne peut être question de position mitoyenne. De plus, un statut qui autorise la destruction d'un être humain n'est pas particulier mais un contresens. Circonscrire la recherche par ce qui ne peut être considéré que comme des balises éthiques d'importance secondaire masque le fait que la décision éthique finale a déjà été prise. La recherche qui sera permise engendrera la destruction de l'embryon. Le désir d'aider et de guérir est profondément humain. Il existe des moyens de le faire sans porter atteinte à la vie humaine.

Conclusion. En tant que membres de ce comité, vous avez assumé une tâche extrêmement importante, une tâche ayant une incidence sur la santé, la sécurité et la vie des Canadiennes et des Canadiens, particulièrement celles des femmes et des enfants. Vous méritez notre estime parce que ces questions sont complexes d'un point de vue scientifique et que leurs dilemmes éthiques sont graves.

• 1055

Au cours des dernières années, les réalisations scientifiques ont été bouleversantes à plusieurs égards et elles ont suscité de merveilleuses réponses. Lorsque, en février dernier, on a annoncé le premier projet du génome humain, politiciens et scientifiques parlaient du «langage de Dieu quand il créa la vie». Nous pourrions poursuivre ainsi:

    Celui qui s'efforce, avec persévérance et humilité, de pénétrer les secrets des choses, celui-là, même s'il n'en a pas conscience, est comme conduit par la main de Dieu, qui soutient tous les êtres et les fait ce qu'ils sont.

Merci beaucoup.

[Traduction]

Je vous remercie.

La présidente: Merci, monseigneur, et merci, monsieur l'abbé.

Nous allons maintenant passer à la deuxième partie de notre séance, qui est celle des questions posées aux témoins par les députés.

Nous allons commencer par M. Manning.

M. Preston Manning (Calgary-Sud-Ouest, Alliance canadienne): Je tiens à remercier chacun des témoins d'être venus ce matin. Je pense que tous les membres de notre comité estiment que vos interventions arrivent à point, notamment en ce qui a trait à la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Vos observations ne manquent pas de pertinence lorsqu'on sait que les États-Unis viennent d'annoncer la réussite d'une expérience de clonage thérapeutique d'un embryon, expressément dans le but de produire des cellules souches permettant de traiter les maladies.

J'aimerais que vous vous mettiez un instant à la place de l'organe de réglementation établi dans le cadre de cette loi et je vais demander tout d'abord à M. Soler comment il tranche le dilemme moral qui se pose lorsqu'on accède à sa demande, soit la préoccupation selon laquelle la recherche sur les cellules souches embryonnaires implique la destruction de l'embryon, ce qui constitue, à mon avis, le principal obstacle moral qui s'oppose à votre thèse. J'aimerais que vous abordiez de dilemme moral comme si nous étions l'organe de réglementation chargé de juger de l'importance qu'il convient de lui accorder.

J'aimerais ensuite demander aux représentants de l'Église catholique comment ils réagissent face aux préoccupations évidentes des parents et des enfants qui estiment que nous avons une obligation morale de soigner et, à partir du moment où la recherche sur les cellules souches embryonnaires représente le meilleur espoir de salut pour leurs enfants, quel est le compromis que nous devons faire entre les préoccupations morales liées à la condition de l'embryon et l'obligation morale de soigner compte tenu du potentiel que semble offrir la recherche sur les cellules souches embryonnaires?

Monsieur Soler, vous pourriez peut-être répondre tout d'abord et l'un des deux autres témoins pourra éventuellement prendre la suite. M. Windwick pourrait jouer le rôle d'avocat en la matière.

M. Lawrence Soler: Je dirais qu'il est indéniable que nous devons relever ici de grands défis et que nous avons affaire à des problèmes très délicats sur le plan moral, et qu'à partir du moment où l'on tire une cellule souche embryonnaire d'un embryon humain, cet embryon est détruit. Ce sont là des réalités, et je pense que nous sommes tous d'accord sur ce point.

Je ferais simplement une ou deux remarques. La première, c'est que les embryons humains qui vont être utilisés dans le cadre de cette recommandation ont déjà été créés dans un autre but, soit pour les besoins d'une fécondation in vitro devant donner naissance à un enfant car, comme nous l'avons indiqué tout à l'heure, ce procédé de fécondation in vitro implique que l'on crée davantage d'embryons que ce dont on a besoin pour déclencher une grossesse. On va parfois créer dix embryons ou même plus pour déclencher une seule grossesse et, dans ce cadre, il va falloir se débarrasser des embryons excédentaires. À partir du moment où l'on va s'en débarrasser, nous disons que puisqu'on ne va pas les conserver, autant s'en servir pour sauver des vies.

Par ailleurs, à partir du moment où l'on tire des cellules souches embryonnaires d'un embryon humain, elles ont la capacité de se reproduire indéfiniment en laboratoire. Nous ne pensons donc pas qu'à long terme nous soyons obligés de produire constamment de nouveaux embryons humains pour les besoins de cette recherche. Une fois que l'on aura perfectionné ces cellules souches embryonnaires tirées des embryons humains, on pourra les cultiver en laboratoire et les utiliser...

Nous espérons donc réussir un jour à cultiver en laboratoire des cellules productrices d'insuline qui pourront être remises aux cliniciens et qui continueront à se développer. Un scientifique les a comparées à des plantes que l'on pourrait faire pousser dans un laboratoire de recherche afin de les replanter ailleurs. Nous n'envisageons donc pas à longue échéance de revenir aux embryons humains pour développer des tissus. Je considère qu'il ne s'agira là que d'une démarche à court ou à moyen terme.

M. Preston Manning: Très bien.

• 1100

Dre Mary Lou Cranston: La première chose que je tiens à dire—je pense qu'il y a deux observations à faire ici—c'est qu'au moment où nous nous parlons la meilleure source de tissus est vraisemblablement celle des embryons, mais je ne suis pas sûre que nous soyons bien informés des autres possibilités concernant d'autres types de cellules susceptibles de constituer une source tout aussi bonne. Il nous faut donc savoir à quoi nous allons consacrer nos énergies lorsqu'il s'agit de trouver une nouvelle source.

De ce point de vue, d'ailleurs, je suis fermement convaincue qu'à partir du moment où nous sommes persuadés que l'embryon est un être humain, il est totalement exclu, par principe, d'utiliser un être humain—et de le détruire—pour les besoins d'un autre être humain. Je pense que c'est là le fondement de mon analyse.

Lorsque je me rapporte simplement au protocole d'Edmonton, auquel vous vous êtes référés lorsque vous nous avez parlé des travaux du Dr Shapiro au sujet du diabète, je me dis que nous pourrions consacrer bien davantage d'énergie à la prochaine étape de la recherche pour mettre au point un certain nombre de... ou quel que soit le nombre de manipulations dont on a besoin pour faire ce genre de recherche. J'ai donc l'impression qu'il s'agit ici de savoir où placer nos énergies.

Le deuxième point que je tiens à relever porte sur le fait que j'entends constamment parler de tous ces embryons disponibles. J'ai bien peur que nous nous contentions d'affirmer qu'à partir du moment où nous avons tous ces embryons, il est préférable de les utiliser. Pourtant, nous ne nous demandons par pourquoi nous avons tous ces embryons. Nous nous contentons de faire une chose, de passer à la suivante et ainsi de suite, en acceptant la réalité de ces embryons excédentaires. Pourquoi avons-nous tous ces embryons? Nous les avons peut-être aujourd'hui, mais il n'est pas nécessaire d'en disposer indéfiniment.

Un certain nombre de questions fondamentales se posent ici, mais l'essentiel, pour moi, c'est qu'il est exclu de se servir d'un être humain pour en aider un autre, de tuer un être humain dans le but d'en aider un autre. C'est la ligne que je ne peux pas franchir.

La présidente: Je vous remercie.

Monsieur Manning.

M. Preston Manning: J'ai maintenant une deuxième question à vous poser, qui découle de la première. À partir du moment ou cet organisme de réglementation est établi, quelle que soit la forme qu'il va prendre, l'une des préoccupations sera de faire en sorte que toutes les grandes communautés d'intérêt—le monde scientifique, l'opinion publique, la communauté religieuse—puissent se faire entendre devant ce tribunal. N'avez-vous pas l'impression que l'on va se placer uniquement du point de vue de la recherche et du monde scientifique de préférence aux autres points de vue, religieux par exemple, et que vos propres arguments vont bénéficier de toute l'audience nécessaire pour être crédibles lorsqu'ils sont présentés devant l'organe de réglementation. M. Windwick pourrait peut-être nous dire ce qu'il nous faudra faire par ailleurs pour nous assurer que tous les points de vue pertinents pourront être entendus.

En disant cela, je suis conscient du fait qu'il ne s'agit pas simplement de pouvoir se faire entendre en franchissant simplement la porte de la salle d'audience. Je me souviens de ce qui s'est passé lorsque la Cour suprême de la Colombie-Britannique a entendu l'affaire Sharpe en matière de pornographie; même si les communautés religieuses ont pu se faire entendre en salle d'audience, les arguments tirés de la foi qu'elles ont présentés en matière de pornographie ont pratiquement été écartés d'un revers de main comme n'étant pas pertinents—même si théoriquement elles étaient présentes.

Je vous parle de la véritable capacité d'être entendu. Est-ce que cette loi permet à tous les grands courants de se faire véritablement entendre et fait tout le nécessaire pour que ce soit effectivement devant l'organisme de réglementation?

M. Lawrence Soler: Je dois vous dire bien franchement que je n'en suis pas sûr tant que nous n'en serons pas là, mais je suis très confiant d'en avoir la possibilité et de pouvoir collaborer étroitement avec cet organisme pour que nous puissions nous faire entendre et pour que l'on comprenne nos besoins. Nous avons confiance en la mise en place de cette procédure.

Dre Mary Lou Cranston: L'une des choses dont je ne suis pas certaine, c'est que l'interdiction de tuer un être humain pour en aider un autre soit une question de «foi». Ce que je cherche à faire comprendre, c'est qu'il s'agit d'un point de vue fondamentalement «humain». Nous devons prendre bien soin de ne pas rejeter sur la foi, et donc de limiter à une certaine catégorie de personnes, des valeurs qui sont fondamentalement humaines.

Je tenais simplement à ce que cela soit versé au débat.

La présidente: Et pour ce qui est de la nécessité de se faire entendre devant un organisme administratif; pouvez-vous répondre sur ce point?

M. l'abbé Ron Mercier: À l'heure actuelle, comme l'ont relevé un certain nombre de groupes qui ont comparu devant notre comité, cela va dépendre en grande partie de la forme que va prendre en dernière analyse cet organe de consultation. Il est indispensable que diverses voix puissent se faire entendre sur le plan de l'éthique, non seulement les communautés religieuses et les groupements inspirés par la foi, bien évidemment, mais aussi l'ensemble des groupements qui s'intéressent à l'éthique.

Telle qu'est formulée la loi à l'heure actuelle, on ne voit pas vraiment quel va être le rôle de cet organe de consultation ou s'il va entendre tout un éventail d'opinions, y compris celles qui sont inspirées par la foi. C'est donc un sujet qui nous préoccupe.

• 1105

M. Preston Manning: Monsieur Windwick, est-ce qu'à votre avis, sur un plan plus juridique, il y a des modalités qu'il conviendrait d'adopter pour permettre aux différents points de vue de se faire entendre ou êtes-vous convaincu qu'on peut le faire en recourant aux techniques classiques?

M. Brent Windwick: Comme on vient de le mentionner, je pense que c'est encore très flou parce qu'on ne sait pas encore très bien quelle forme va prendre l'organisme de supervision. Il me paraît important en la matière de garantir la pluralité des opinions sur deux plans.

Il y a tout d'abord la représentation au sein de l'organisme de supervision lui-même, qu'il s'agisse des décideurs effectifs ou de l'organe chargé de conseiller les décideurs. Je pense que toutes les opinions qui ont été exprimées ce matin renvoient à un organisme qui est au minimum un organe de consultation, sinon un participant aux décisions.

Sur un autre plan qui m'apparaît important, une fois que cet organe de supervision est établi et qu'on lui a fixé un certain nombre de règles de fonctionnement, il lui faut se doter de protocoles ou de politiques prévoyant un certain niveau et une qualité de représentation de la part de tous les groupements d'intérêt devant participer à cette opération. Il n'est pas nécessaire que ce soient exactement les mêmes groupements d'intérêt dans tous les cas, mais je pense que l'on pourrait facilement envisager un noyau—pas seulement composé de scientifiques, mais aussi de philosophes, de représentants des congrégations religieuses, de décideurs.

Tous ces groupements d'intérêt doivent être représentés sous une forme ou sous une autre. Je considère que s'ils ne sont pas représentés au sein de l'organisme de supervision lui-même, il faut alors établir un ensemble de règles leur permettant de se faire entendre. J'estime que c'est tout à fait possible.

La présidente: Merci, monsieur Manning.

Je vous précise, mesdames et messieurs, que l'assistance est nombreuse ce matin. Il ne nous reste plus que 55 minutes et, pour que tout le monde puisse parler, je vais vous limiter à des interventions de cinq minutes. Si, finalement, certains participants ne souhaitent pas prendre la parole, nous aurons le temps de faire un deuxième tour.

Monsieur Merrifield.

M. Rob Merrifield (Yellowhead, Alliance canadienne): Je vous remercie. Puisque je ne dispose plus que de cinq minutes. Je pense que je vais accélérer quelque peu en posant ma première question.

Monsieur Windwick, j'ai été en fait très intéressé par votre proposition. Si je vous ai bien compris, vous nous dites que les interdictions devraient être prononcées dans le cadre de la réglementation, ou relever de ce cadre, parce qu'il est un peu plus adaptable. Vous dites ensuite que la seule façon dont on pourrait entériner une telle interdiction prononcée dans ce cadre serait de donner... au Parlement, la possibilité de la refuser éventuellement?

M. Brent Windwick: C'est l'une des possibilités que nous avançons pour donner à l'organisme de supervision la possibilité d'agir avec souplesse en s'adaptant comme il se doit aux circonstances tout en garantissant, par la même occasion, l'obligation de rendre des comptes et le devoir de transparence en démocratie.

Il semble qu'on puisse y parvenir par différents moyens. L'un d'entre eux consiste à prévoir impérativement un mécanisme de consultation à la suite de toute décision prise par l'organisme de supervision en vue de modifier d'une manière ou d'une autre la liste des interdictions. C'est la première option. Une autre option que nous présentons dans notre mémoire consisterait à soumettre effectivement cette décision à un veto prononcé par la majorité—éventuellement par une majorité simple, mais une certaine majorité—des députés. La responsabilité et le devoir de rendre des comptes en dernière analyse des changements apportés à ces interdictions, même s'il ne serait pas nécessaire d'en débattre pleinement au sein du Parlement comme s'il s'agissait d'une modification législative, continueraient à relever du pouvoir législatif et resteraient efficaces.

M. Rob Merrifield: Dans la pratique, cela permettrait de faciliter l'épuration de la liste des interdictions en évitant de faire trop de vagues. C'est bien là votre intention?

M. Brent Windwick: On peut le penser, mais ça peut aussi fonctionner dans l'autre sens, bien évidemment. Si dans trois ans on s'aperçoit qu'une activité autorisée pose de gros problèmes pour la sécurité et la santé de la population, on pourra alors décider de la rajouter à la liste des activités interdites par la réglementation, et le même mécanisme interviendra.

M. Rob Merrifield: Je vais examiner plus en détail votre mémoire, mais c'est bien évidemment la représentativité de cet organe de réglementation qui préoccupe avant tout notre comité, pour que nous puissions faire suffisamment confiance aux décisions prises pour interdire ou non telle ou telle activité. Cela m'amène aussi à me poser des questions concernant les compétences provinciales et fédérales et les relations qui vont s'instaurer dans le domaine du droit pénal, qui relève de la compétence fédérale.

• 1110

Je ne dispose que de cinq minutes et je ne pense pas de toute façon pouvoir obtenir des réponses dans ce domaine, de sorte que je vais vous poser une autre question sous un angle différent, celui des congrégations religieuses.

Vous nous laissez entendre—et je suis d'accord avec vous—que la vie et la dignité humaines sont menacées lorsqu'on utilise un embryon. Y a-t-il éventuellement un problème d'éthique lorsqu'on utilise des cellules souches non embryonnaires, à partir d'un foetus ou autre? Vous nous demandez de ne pas nous engager dans cette voie très risquée et d'étudier de préférence des cellules adultes ou non embryonnaires. Est-ce que cette autre voie pose aussi des problèmes d'éthique?

Dre Mary Lou Cranston: Pour ce qui est de l'utilisation des tissus foetaux, la seule question que nous nous posons est celle de l'origine du foetus. Autrement dit, si nous décisions de payer des femmes, qui resteraient enceintes pendant trois mois et sur lesquelles nous prélèverions alors les foetus, il y aurait alors là un problème d'avortement contestable sur le plan de l'éthique. Si par contre, on utilise les foetus provenant d'avortements spontanés, de fausses couches, je ne vois aucun problème. Ce ne serait pas différent de l'utilisation d'un corps humain mort.

M. l'abbé Ron Mercier: Le gros problème dans un certain nombre de domaines, c'est qu'à long terme la question du consentement deviendrait fondamentale pour ce qui est de l'utilisation des cellules. C'est ainsi que dans certaines formes de recherche génétique, des cellules ou des lignes de gènes ont été prélevées sans l'autorisation des gens concernés. Il serait donc important à long terme de disposer d'un consentement éclairé pour pouvoir utiliser les cellules.

M. Rob Merrifield: Avant que la présidente ne me coupe la parole—et c'est ce qu'elle va faire si vous me répondez trop longuement—il y a une question que je veux poser à M. Soler. Vous pourrez peut-être me répondre tous les deux en même temps car elle n'y verra alors aucun inconvénient.

Vous avez indiqué, monsieur Soler, que sous la supervision d'un organisme de réglementation, la destruction des embryons pourrait être acceptable. Vous avez aussi parlé de «garde-fous» en disant qu'il fallait que la réglementation prévoie certains garde-fous. J'aimerais bien savoir quels sont selon vous les garde-fous que l'on pourrait prévoir dans la réglementation pour que la destruction des embryons puisse paraître acceptable.

M. Lawrence Soler: Je pense que les embryons dont nous parlons vont être détruits, que l'on autorise ou non cette recherche. C'est le premier point.

Mais effectivement, je considère qu'une partie de la solution consisterait à prévoir des garde-fous—par exemple, sur des questions comme le consentement éclairé, l'interdiction de payer pour acheter des embryons ou le fait que la décision de procéder à une fécondation in vitro soit séparée de celle qui s'applique à l'utilisation des oeufs excédentaires. Ce sont là différentes précautions à prendre sur le plan de l'éthique auxquelles, je pense, bien des gens seraient favorables. Ce sont donc là les éléments sur lesquels je m'appuie.

Pour enchaîner sur la question des avortements spontanés et des fausses couches, je pense qu'il ne faut pas oublier qu'au début des années 90 les Instituts nationaux de la santé ont financé une grande étude sur la question et ont accordé une grosse subvention pour que l'on examine dans quelle mesure les tissus obtenus à la suite d'avortements spontanés ou de fausses couches pourraient être mis à la disposition de la recherche et servir utilement à celle-ci. Cette étude n'a pas donné d'excellents résultats. On a constaté que ces tissus présentaient des défauts dans la plupart des cas. Lorsqu'on sait cela, on peut se dire que cette option n'est probablement pas très bonne.

La présidente: Merci, monsieur Merrifield.

Madame Sgro.

Mme Judy Sgro (York-Ouest, Lib.): C'est intéressant, voilà plusieurs mois que nous nous réunissons et nous semblons tous arriver en grande partie aux mêmes conclusions et à nous intéresser aux mêmes sujets. Très rapidement, M. Manning s'est emparé d'une partie des questions que je voulais poser, ce qui me fait dire que notre comité est aux prises ici avec des problèmes très délicats.

Nous apprécions votre venue aujourd'hui, mais nous aurons à prendre des décisions très bientôt. Plus nous entendons évoquer la question, plus elle nous paraît difficile. Je commençais à pencher dans un sens et voilà que d'autres points de vue sont évoqués qui nous amènent tous, à mon avis, à réfléchir davantage. Nous devons essayer de faire la part des choses.

Monseigneur Prendergast, vous que je connais depuis bien longtemps, comment abordez-vous cette question? Comment maintenir cet équilibre? Ce serait bien si le monde entier était d'accord sur la question des 14 jours, du foetus et de toutes ces questions complexes, mais étant donné que nous représentons un pays tout à fait multiculturel, aux multiples religions, comment faire notre travail de parlementaire pour tenir compte à la fois des précautions à prendre et des progrès de la science, qui avance tellement plus vite que les mentalités?

• 1115

Mgr Terence Prendergast: Je ne pense pas qu'il y ait de réponses faciles, mais je pense que la Dre Cranston est partie du principe qu'il fallait se demander s'il y avait des points fondamentaux sur lesquels nous pouvions être d'accord—en l'occurrence, ne pas faire le mal pour que quelque chose de bien en sorte éventuellement. Il est très difficile de se prononcer ainsi, mais je pense qu'un des principes fondamentaux doit être que l'on ne doit pas enlever la vie, même si cela doit profiter à une autre personne. Je considère que c'est là une conviction qui n'a rien de religieux. C'est une conviction sur laquelle tous les êtres humains s'entendent de manière générale, qu'ils aient ou non la foi.

Je considère donc que ce sont là au départ les principes sur lesquels doivent s'appuyer vos conclusions. Je ne sais pas s'il vous est possible ou non de le faire. Je ne sais pas comment fonctionne votre comité ni comment il parvient en fait à un consensus.

Je pense que l'une de difficultés que nous avons rencontrées, c'est que l'on peut toujours partir de ces extrêmes pour arriver à une position médiane, mais qu'en quelque sorte cette position médiane ne plaît à personne. Parfois, elle remet effectivement en cause l'une de ces convictions fondamentales.

J'imagine que le mieux que nous avons à faire, finalement, c'est de vous inciter à faire de votre mieux selon votre conscience et selon les données que l'on vous a fournies. Il vous faut voir aussi si vous pouvez expliciter les principes fondamentaux sur lesquels vous fondez votre action. C'est ce qui fait, à mon avis, l'importance des préambules.

C'est tout ce que je puis vous conseiller. Quelqu'un d'autre aura peut-être un commentaire à faire.

Mme Judy Sgro: Lorsqu'on envisage de confier à un organisme de réglementation indépendant, plutôt qu'au Parlement, le soin de superviser l'application de cette loi, quelle est la solution avec laquelle vous vous sentez le plus en sécurité ou le plus à l'aise, si vous me permettez d'utiliser ces mots?

Mgr Terence Prendergast: Personnellement, je pense que le meilleur moyen serait de recourir à un organisme responsable devant le Parlement. Je considère que parfois les organismes de réglementation qui ne rendent de compte à personne empruntent des voies qui ne sont pas nécessairement les vôtres. Il me semble que c'est la meilleure solution, celle d'un organe en quelque sorte responsable devant le Parlement. Je ne sais pas comment on pourrait structurer la chose, mais c'est le choix que je ferais.

Mme Judy Sgro: Pour ce qui est des infractions à la loi, nous envisageons de nous réclamer du Code criminel en recourant aux mesures répressives les plus strictes possible aux termes de cette loi une fois qu'une décision sera prise. D'aucuns considèrent que nous criminalisons les femmes et d'autres personnes qui s'efforcent d'agir dans le bien de l'humanité. Est-ce qu'il est bon d'agir ainsi?

Mgr Terence Prendergast: Là encore, il faut se demander quelle est la finalité de la loi. Est-ce que la loi doit enseigner tout en imposant des sanctions et des peines? Je pense que la loi a un caractère normatif. Nous ne remettons pas en cause l'interdiction «Tu ne tueras point». Cela fait partie de notre conception de la société. Est-ce que l'on peut considérer que c'est là le principe qui est en jeu? Toute la question est là, n'est-ce pas? Je ne crois pas que l'on puisse contester la chose s'il s'agissait de tout autre projet visant à tuer autrui. Toutefois, si l'on a l'impression que cette personne est floue, invisible, à l'état de culture dans une éprouvette ou quelque peu distante, on ressent moins qu'il s'agit d'une personne et c'est là, à mon avis, qu'il faut en revenir à ce principe fondamental.

Mme Judy Sgro: Je vous remercie.

La présidente: Monsieur Ménard.

[Français]

M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): Merci, madame la présidente.

C'est sans aucun doute l'un des panels les plus intéressants que nous ayons eus depuis le début de nos travaux. Je crois que le pire service qu'on pourrait rendre aux Canadiens serait de ne pas avoir les idées les plus claires possibles en la matière. Je vous dis très honnêtement qu'à l'intérieur de mon caucus, je vais plaider le fait qu'un embryon de quelques jours ou de quelques heures n'est pas un être humain.

J'aimerais que quelqu'un parmi vous me dise s'il y a des jugements d'une cour du Canada qui indiquent une position contraire, parce que sur le plan du droit canadien, les cours ont été très, très claires: un foetus est un être humain à partir du moment où il sort du ventre de sa mère et où il est réputé né vivant et viable. C'est le point de vue juridique, et je vous soumets respectueusement que les parlementaires doivent fondamentalement se situer d'un point de vue juridique.

• 1120

Deuxièmement, je crois que ce serait une très grave erreur pour les générations futures que de ne pas prendre position clairement en faveur du droit à la recherche sur les cellules souches. Vous savez que les Instituts de recherche en santé du Canada nous ont remis un cadre qui, dans l'ensemble, a été bien accueilli au sein de la communauté scientifique.

La question suivante se pose. D'un côté, les gens d'église et les gens préoccupés par l'éthique nous disent qu'il faut avoir le respect de la vie humaine. Je suis d'accord sur ça, mais je voudrais qu'on mette dans la balance le respect de la condition humaine. Il y a des souffrances. Il y a des gens qui souffrent de maladies dégénératives. Pour que les recherches sur de telles maladies aboutissent à court terme—on ne parle pas de 40, 50 ou 60 ans—il faut avoir recours immédiatement à l'utilisation de cellules souches.

Voilà pour ce préambule éthique et moral.

Vous avez déclaré qu'il y avait possibilité de recourir à des cellules souches adultes et que vous aviez des travaux de recherche qui s'inscrivaient dans un point de vue comme celui-là. Nous avons entendu des scientifiques du Massachusetts et nous allons en entendre de Londres au cours des prochains jours. Nous avons aussi entendu des gens qui sont subventionnés par les Instituts de recherche en santé du Canada, qui nous ont dit qu'il était difficile d'utiliser des cellules souches adultes et que, sur le plan de la richesse médicale et du potentiel scientifique, on doit absolument utiliser les cellules qu'on trouve dans le sac embryonnaire. On nous a bien expliqué que dans le sac embryonnaire de quatre à cinq jours, il y a une centaine de cellules souches qui sont très importantes pour la régénération des tissus adultes.

Peut-être pourrez-vous nous apporter un point de vue qui n'a pas encore été soumis à ce comité. Pour ma part, je crois qu'il faut prendre position en faveur des cellules souches embryonnaires. Êtes-vous d'accord que les cellules souches adultes n'ont pas le même potentiel régénérateur, sur le plan de la recherche, que le pool des 100 cellules souches embryonnaires? Est-ce qu'on part d'une prémisse commune quand on fait une affirmation comme celle-là?

[Traduction]

La présidente: Monsieur Ménard, je vous avertis que vous venez de parler pendant 3 minutes et 19 secondes. Par conséquent, vous n'obtiendrez probablement qu'une seule réponse.

[Français]

M. Réal Ménard: Aimons-nous les uns les autres.

[Traduction]

La présidente: Qui veut répondre à cette question?

M. Lawrence Soler: Je vais répondre.

Dans le cas du diabète, notamment, on peut faire la différence entre ce que nous donnent les cellules souches adultes et ce qu'on peut obtenir au moyen des cellules souches embryonnaires. Des recherches ont été effectuées pour essayer de tirer des cellules pouvant être qualifiées de souches de certains tissus adultes du pancréas, par exemple, mais on n'a jamais pu parler véritablement dans ce cas de véritables cellules souches. Elles ont des difficultés à se développer, elles ne produisent pas de l'insuline de la même manière et elles ne se multiplient pas autant. Voilà plus de 20 ans que nous cherchons à produire des cellules souches adultes. Dans le cadre des recherches menées sur les cellules souches d'embryons humains, ce qui ne se fait que depuis trois ans, les chercheurs ont d'ores et déjà réussi à montrer la présence, dans trois études différentes, de marqueurs explicites d'un début de pancréas et de la possibilité de produire de l'insuline. C'est l'une des premières conclusions des rapports des Instituts nationaux de la santé et de l'Académie nationale des sciences. Même aux États-Unis, le président Bush lui-même a essentiellement déclaré que la recherche menée sur les cellules souches tirées d'embryons humains était importante et précieuse. En dépit de ses fortes convictions personnelles en faveur de la protection de la vie, il a jugé préférable de faire avancer les recherches.

La présidente: Est-ce que quelqu'un d'autre veut intervenir?

M. l'abbé Ron Mercier: La difficulté vient en partie du fait que, même s'il y a des années que l'on effectue des recherches sur les cellules souches adultes, les progrès réalisés et les résultats obtenus sur les cellules souches adultes se sont nettement accélérés ces dernières années. Les récentes découvertes effectuées à Montréal, à l'Institut neurologique de Montréal, ont pris une importance inespérée. C'est en août, je crois, qu'on a réussi à régénérer des cellules parmi les plus complexes du corps humain.

À certains égards, par conséquent, même si les recherches menées sur les cellules souches embryonnaires aux États-Unis et au Royaume-Uni sont prometteuses, il n'est pas évident qu'en investissant suffisamment d'argent et de ressources, on ne puisse pas obtenir le même genre de résultats sur des cellules souches adultes.

La présidente: Excusez-moi, monsieur Ménard. Vous avez dépassé le temps qui vous était imparti. Vous pourrez reprendre vos questions lors du deuxième tour.

Monsieur Dromisky.

• 1125

M. Réal Ménard: Vous ne m'aimez pas?

Des voix: Oh!

La présidente: Les témoins qui se présentent régulièrement devant notre comité savent que j'ai une relation d'amour-haine avec M. Ménard. D'ailleurs, on pourrait même penser que nous sommes mariés.

M. Stan Dromisky (Thunder Bay—Atikokan, Lib.): Madame la présidente, auriez-vous l'amabilité de remettre le chronomètre à zéro?

La présidente: Oui, monsieur Dromisky.

M. Stan Dromisky: En consultant votre document ce matin, j'ai pu voir que d'un point de vue pragmatique, nombre des interdits et des prescriptions y sont explicités, mais j'aimerais élever ici notre discussion sur un plan philosophique. Sur ce plan, Mgr Prendergast m'a déjà donné beaucoup à réfléchir ce matin.

Sur un plan très pragmatique et faisant appel à une morale pratique, je n'ai personnellement pas de cas de conscience—et je crois que c'est vrai pour la plupart des gens—mais lorsqu'on en vient aux grands principes moraux, la question a de quoi nous rendre fous. Il est indubitable que ce problème nous angoisse et nous pose un cas de conscience très délicat, et c'est à cela qu'est confronté notre comité. Voilà déjà un certain temps que nous subissons cela.

D'un point de vue pragmatique et pratique, c'est le regroupement de cellules qui constitue l'embryon qui potentiellement présente les plus grands avantages. On est en présence d'un adulte parvenu à maturité, dont la société peut tirer profit. L'embryon n'a pas de bombes et ne peut pas faire parler les armes; l'adulte parvenu à maturité a des bombes et des armes. Nous sommes pourtant placés devant ce dilemme sur le plan des principes dans notre société d'aujourd'hui puisqu'il est admis que l'on peut tuer. Il est admis que les adultes puissent tuer. Tous nos voeux accompagnent même les adultes qui partent en s'assurant de pouvoir tuer plus efficacement et plus rapidement que ceux qui cherchent à les tuer.

Un embryon inoffensif, qui potentiellement peut rendre de grands services à l'humanité, ne porte pas d'armes, et nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir... ou nous réglons le problème en essayant de l'empêcher de faire le moindre bien.

C'est l'angoisse philosophique et psychologique qui est la nôtre à l'heure actuelle. Lorsque vous vous mettez à comparer ces différentes situations et l'ensemble des scénarios qui se présentent, comment pouvez-vous justifier que l'on puisse interdire la recherche alors qu'il se passe toutes ces choses horribles dans le monde actuel?

Des voix: Bravo!

La présidente: Est-ce que quelqu'un a des commentaires à faire?

Mgr Terence Prendergast: Il y a plusieurs façons de considérer la chose. L'une d'entre elles consiste à dire que cet être humain potentiel, cette cellule embryonnaire, pourrait devenir une grande scientifique, un autre Beethoven, un peintre célèbre ou une danseuse étoile. Si nous la traitons comme un simple matériau dont un peut extraire de la matière brute pour en arriver à une conclusion scientifique, nous l'avons en fait transformée en objet. Nous en avons fait une chose plutôt qu'une personne. Je considère que le problème est là.

Il faut voir aussi que même si les adultes peuvent lancer des bombes ou s'armer, nous nous efforçons de réprimer ce genre d'action. En tant qu'êtres humains, nous tenons à les empêcher de faire exploser des bombes ou d'abattre des gens avec une arme à feu. Nous voulons qu'ils soient sources de vie. Nous soutenons aujourd'hui, certains d'entre nous, que le potentiel de vie qui se trouve là ne peut pas et ne doit pas être transformé en objet, mais doit être respecté.

Ne pas nuire est un grand principe. Comment y parvenir en l'espèce, voilà qui est très difficile, et je n'envie pas votre tâche. Il vous faut bien écouter tout ce que l'on va vous dire et pondérer les différents arguments, mais je considère que l'essentiel est de protéger la vie et de respecter les individus. On nous dit qu'on respecte chaque être humain, mais on affirme que la cellule souche embryonnaire n'est pas un être humain, on la considère comme une chose. En raisonnant ainsi, on se place au- dessous de la condition humaine et c'est donc bien douloureux à entendre.

Je considère que lorsqu'on voit des adultes faire le mal, on s'efforce de le prévenir et de réprimer leur action. Nous essayons de changer les coeurs et de redonner aux gens leur dignité, en tant qu'êtres humains, pour qu'ils comprennent qu'il n'est pas légitime de tuer.

• 1130

D'une certaine manière, la réflexion que nous avons menée dans l'Église catholique nous a amenés à soutenir—et je sais que ce n'est pas très bien vu dans certains milieux au Canada—qu'il n'est plus légitime aujourd'hui d'appliquer la peine de mort. Nous avons tellement les moyens aujourd'hui de réprimer les comportements humains qu'il n'est plus nécessaire de mettre une personne à mort.

De toute évidence, bien des gens aux États-Unis ne partagent pas ce point de vue. Bien des gens au Canada ne le partagent pas non plus mais, en ce qui me concerne, ce respect de la dignité de chaque personne va jusque là. Je suis heureux, par conséquent, que vous ayez évoqué la question des principes et d'autres choses de cet ordre, mais le choix que vous avez à faire n'est pas facile et je vais prier pour vous. Je vous offre non seulement mes encouragements et mon appui, mais aussi mes prières, en espérant que vous agirez sagement et à bon escient.

M. Stan Dromisky: Je vous remercie.

La présidente: Nous n'avons pas l'habitude des applaudissements dans les salles des comités.

Monsieur Lunney, vous avez la parole.

M. James Lunney (Nanaimo—Alberni, Alliance canadienne): Merci, madame la présidente.

J'aimerais reprendre certaines observations qui ont été faites au sujet des cellules souches. Tout d'abord, mon collègue M. Ménard, qui s'est éclipsé, nous a dit que les tribunaux avaient jugé qu'un embryon n'est pas un être humain et que nous n'avons donc pas le choix. Par conséquent, l'utilisation des cellules souches embryonnaires était selon lui...

Bien évidemment, des médecins et des chercheurs sont venus témoigner. Le moment à partir duquel la vie commence n'est pas vraiment contesté. Il faut bien voir que si on laisse aux tribunaux le soin de trancher les questions scientifiques, on ne fait peut- être pas appel aux meilleures compétences.

Des témoins sont venus nous dire que la vie est bien entendu tout un cheminement qui part de la conception. Il n'y a pas d'autre explication scientifique. On peut faire toute sorte de rationalisations politiques, mais la vie n'en reste pas moins un processus continu.

J'ai relevé l'observation qu'a faite M. Soler au nom de l'Association sur le diabète juvénile du Canada lorsqu'il nous a dit qu'il était impossible de prévoir quel type de cellule allait rendre les plus grands services.

Vous nous dites que les cellules embryonnaires ont deux avantages bien précis—elles peuvent croître indéfiniment en laboratoire et elles peuvent se transformer en n'importe quel type de cellule. Disons qu'en contrepartie vous n'avez pas dressé la liste des inconvénients des cellules souches embryonnaires. Certes, il est vrai que les cellules embryonnaires croissent rapidement, mais c'est parce qu'elles sont destinées à devenir un être humain à part entière contenant, comme chacun de nous ici, entre 80 et 100 billions de cellules. Cette croissance rapide fait partie, bien entendu, de leur destiné.

Les magnifiques découvertes qui ont été évoquées ici au sujet des cellules souches adultes nous offrent de nouvelles possibilités. Je vous signale cependant que si nous voulons transplanter ces cellules... et les cellules de foetus nous ont causé sur ce plan de grandes déceptions en ce qui concerne le diabète. Je vous cite simplement un des témoignages donnés devant le Congrès: «Les cellules de foetus sont trop immatures pour produire beaucoup d'insuline».

D'ailleurs l'association américaine du diabète ne s'est pas rangée dans votre camp. Dans son étude Unproven Therapies, elle nous dit que les tenants de ces méthodes en exagèrent souvent les promesses, de manière irréaliste.

Toutefois si vos cellules de foetus ou vos cellules embryonnaires étaient transplantées, vous vous heurteriez bien entendu à des problèmes de rejet. Il faudra que le patient absorbe des médicaments anti-rejet durant toute sa vie. Il y a pour commencer le risque de rejet, puis le risque que posent les médicaments anti-rejet, le risque d'attraper des virus et le risque que supposent les maladies génétiques. Des chercheurs et des médecins ont reconnu que la solution idéale allait être celle des cellules souches adultes à partir du moment où on pourra prélever des cellules sur son propre corps. Il y aura alors une transplantation de cellules analogues et l'on n'encourra pas toutes ces complications.

C'est une réalité qui n'a pas manqué d'être reconnue en ces lieux. Je ne sais pas où était M. Ménard lorsque ces témoignages ont été présentés devant notre comité, mais il est bien évident que l'on peut d'ores et déjà prévoir quelle sera la meilleure solution; le problème, c'est que nous ne sommes pas encore au point sur le plan scientifique. Toutefois, les recherches prometteuses effectuées à Montréal et par d'autres chercheurs au sujet des cellules adultes nous révèlent qu'en fait le code génétique qui se trouve à l'intérieur de chacune de nos cellules permet de reproduire l'intégralité d'un être humain et que, par conséquent, il suffit de se servir des cellules... c'est ce qu'on espère pouvoir obtenir et c'est ce qu'étudient nombre de nos chercheurs.

Pour commencer, saviez-vous que l'association américaine du diabète n'appuie pas avec le même enthousiasme que vous la recherche sur les cellules embryonnaires?

M. Lawrence Soler: En fait, vous m'excuserez, mais j'ai assisté à la séance au cours de laquelle ce témoin a été entendu, et il s'est trompé en l'occurrence. L'association américaine du diabète fait partie de la coalition pour l'avancement de la recherche médicale, qui appuie effectivement la recherche sur les cellules souches embryonnaires et, si vous me le permettez, je me ferai un plaisir de vous faire parvenir, pour que vous en preniez acte, son énoncé de politique faisant état de son appui.

Sur la question du rejet, ce sont d'excellent arguments que vous évoquez. Il y a différentes façons de considérer la chose. Il peut y avoir certaines différences entre le diabète juvénile et d'autres maladies dont nous avons parlé—la maladie de Parkinson, la SLA, et d'autres encore. Le diabète juvénile est une maladie auto-immunitaire, ce qui signifie que le corps lui-même détruit les cellules produisant de l'insuline, alors que dans la maladie de Parkinson il n'y a pas d'affection auto-immunitaire mais une autre forme de destruction qui se produit.

Certains scientifiques considèrent ne fait que le recours aux propres cellules du patient pourrait être moins utile en cas de transplantation du fait des difficultés auto-immunitaires d'origine génétique que cela pose.

• 1135

Il y a des scientifiques qui estiment en fait que l'on aurait davantage de difficultés à utiliser nos propres cellules en raison du problème auto-immunitaire qui se pose d'un point de vue génétique. Nous n'en savons rien encore, parce que nous n'en sommes pas encore au stade des essais cliniques dans le cadre de cette recherche. Il se pourrait que l'utilisation des cellules d'une autre personne dans des maladies comme le diabète juvénile, la sclérose en plaques, le lupus et un certain nombre d'autres maladies auto-immunitaires de ce type... Il y a plus de cent maladies auto-immunitaires. Il pourrait en fait être plus utile d'utiliser des cellules autres que celles du patient. C'est donc bien difficile à savoir.

Nous appuyons et nous finançons effectivement la recherche sur les cellules souches adultes. Notre fondation les finance. Comme je l'ai indiqué, il y a longtemps qu'elles se font et je conviens avec vous que l'on a fait davantage de progrès ces dernières années en matière de recherche sur les cellules souches adultes. Je vous avoue bien franchement qu'il nous est indifférent que la guérison nous vienne de l'un ou l'autre de ces deux domaines de recherche; nous voulons que cette maladie puisse être guérie et c'est pourquoi nous appuyons aussi bien les recherches sur les cellules souches adultes que sur les cellules embryonnaires.

Il se pourrait bien, d'ailleurs, que nous ayons besoin de mener des recherches sur les cellules embryonnaires pour tirer un certain nombre d'enseignements nous permettant de mieux transplanter les cellules souches adultes. C'est peut-être bien ce qui va se produire. Toutefois, sur le plan scientifique, lorsqu'on tient compte des recommandations de la NIH, de la National Academy of Sciences et de 80 lauréats du prix Nobel qui ont rédigé une lettre ouverte au début de l'année, je pense qu'il ressort très clairement que, dans l'état actuel de la science, il semble que la recherche menée sur les cellules souches embryonnaires offre le plus d'espoir pour la plupart des maladies. C'est ce qu'indique ma recherche.

M. James Lunney: Voilà qui est très intéressant parce que d'autres témoins de la communauté scientifique sont venus effectivement nous dire que si nous réussissions à élever des cellules souches adultes, il n'y aurait plus à discuter étant donné qu'elles seront davantage compatibles sur le plan génétique.

On peut faire observer, toutefois, que cette législation se propose de créer des enfants. C'est un avant-projet de loi sur l'assistance à la procréation. Il a pour finalité de faire des enfants. Pour ce qui est des enfants excédentaires, vous nous dites qu'ils vont être détruits de toute façon et que, par conséquent, nous devrions les utiliser. En réalité, toutefois, tous les enfants qui sont conçus et toutes les tentatives de conception ne réussissent pas, même dans l'état naturel des choses. On conçoit de nombreux embryons dont on n'entend jamais parler. Tout simplement, on ne réussit pas à les implanter et ils disparaissent.

Si notre loi se donne pour but d'aider les gens à avoir des enfants, nous devrions peut-être envisager de faire en sorte que les embryons créés dans ce but accomplissent leur destinée ou ne dépassent pas le stade auquel des millions d'entre eux disparaissent—autrement dit, qu'ils accomplissent ou non leur destinée. Si nous nous servons de ces embryons, puisque vous nous dites qu'ils vont disparaître de toute façon.

La présidente: Monsieur Lunney, vous avez largement dépassé le temps qui vous était imparti. Pouvez-vous rapidement mettre fin à votre question pour que nous puissions avoir une réponse.

M. Réal Ménard: Ah!

La présidente: Oui, c'est ma faute

M. Réal Ménard: En français, on parle de «chouchou»

M. James Lunney: Quelqu'un d'entre vous pourra éventuellement répondre à cette question. Le fait d'utiliser ces embryons parce qu'ils vont être perdus de toute façon n'est pas nécessairement un argument légitime.

La présidente: Nous allons en prendre note et grouper éventuellement cette réponse avec une autre étant donné que nous devons passer maintenant à Mme Thibeault.

[Français]

Mme Yolande Thibeault (Saint-Lambert, Lib.): Merci beaucoup, madame.

Je vais aborder un sujet totalement différent, si vous me le permettez. J'aimerais qu'on parle de maternité de substitution. C'est une chose que je trouve très difficile à gérer. On parle de contrats. Monsieur l'avocat, vous dites que le contrat de grossesse ne doit pas être exécutoire et ainsi de suite. En même temps, vous dites bien clairement que tous ces contrats ne devraient pas être liés à des échanges d'argent. Certains témoins nous ont dit que dans le cas d'une femme qui ne peut pas avoir d'enfants et dont la soeur peut en avoir, cela reste dans le milieu familial et que dans des cas semblables, ils hésiteraient à empêcher ce genre de transactions.

J'aimerais savoir comment l'Église catholique entrevoit la substitution dans de telles circonstances. Également, j'aimerais savoir où vous allez tirer la ligne au point de vue légal. Vous dites que durant la grossesse d'une femme qui travaille, on devrait lui payer ce qu'elle gagne normalement et ainsi de suite. Où tirez-vous la ligne?

• 1140

[Traduction]

La présidente: Monsieur l'abbé merci.

M. l'abbé Ron Mercier: Pour ce qui est des mères porteuses, l'Église catholique estime, bien sûr, que sur un ou deux points précis, cette démarche soulève des problèmes d'ordre moral. Tout d'abord, on s'écarte largement, dans la pratique, du cadre familial. Selon nous, la façon de procéder, le lien qui doit exister entre la procréation et la famille, est fondamentale. Lorsqu'on introduit un troisième élément, même pour une raison tout à fait valable, il y a déjà un gros problème.

En second lieu, on en vient inévitablement à la question de la commercialisation, précisément parce que c'est un contrat. Il est extrêmement difficile de ne pas dépasser certaines limites à partir du moment où l'on s'écarte du pur altruisme. Qu'est-ce qui constitue une rémunération acceptable? Il est très difficile d'établir de genre de distinction.

Dons, sur ces deux points, nous refusons par principe cette façon de procéder. Même si elle était acceptée, il serait difficile de ne pas en faire une opération commerciale, comme cela a été reconnu en droit dans un ou deux États américains—au New Jersey, par exemple.

M. Brent Windwick: Je me ferai certainement l'écho des paroles de monseigneur Mercier lorsqu'il a parlé de la difficulté de tracer une ligne de démarcation claire et nette entre ce qui est commercialisé et ce qui ne l'est pas. Il n'en reste pas moins qu'à mon avis il y a bien des gens dans notre pays qui estiment n'avoir pas d'autre choix ou qui sont convaincus qu'il s'agit là du meilleur choix. Nous considérons que l'essentiel ici ce n'est pas de savoir si nous devons accepter ou non les mères porteuses, mais d'essayer d'établir une ligne de démarcation pour écarter les relations d'exploitation au détriment d'une des parties lorsqu'il y a un déséquilibre au niveau du pouvoir de négociation.

Il me semble que l'on peut faire de manière générale la distinction entre des accords commerciaux et des ententes non commerciales avec des mères porteuses. Dans ce cadre général, je conviens avec vous qu'il y a une certaine ambiguïté à partir du moment où l'on en vient à se demander si une personne doit percevoir de l'argent ou une aide pour une raison ou pour une autre. L'avant-projet de loi, sous sa forme actuelle, envisage certaines formes de consultation et d'assistance médicale. Nous considérons, dans notre mémoire, qu'il est raisonnable de prévoir ce genre de dispositions.

Je pense qu'aucun membre de notre section ou de la section du droit de la famille au sein de l'Association du Barreau canadien n'envisage le versement d'honoraires ou de toute autre contrepartie dans le cadre d'un accord ou d'une partie d'un accord passé avec une mère porteuse. Toutefois, le principe selon lequel une mère porteuse encourt des frais extraordinaires en raison de son état mérite d'être pris en compte lorsqu'il s'agit d'envisager un remboursement de ces frais.

Nous disons que l'avant-projet de loi n'accorde peut-être pas suffisamment d'intérêt à cette petite partie au moins de la zone d'ombre. Toutefois, soyons bien clairs, nous ne préconisons absolument pas la mise en place, dans le cadre de cette loi, d'un véritable accord commercial comportant le versement d'honoraires en contrepartie du service rendu.

La présidente: Merci, madame Thibeault.

Monsieur Manning, voulez-vous intervenir lors du deuxième tour?

M. Preston Manning: J'ai une question à poser à M. Windwick.

Lorsque vous examinez l'ensemble de la loi, est-ce que vous avez quelque inquiétude sur la question de la compétence? Certains d'entre nous au sein de ce comité estiment, notamment lorsqu'on en vient à la réglementation des méthodes de reproduction humaine, qu'on se réfère en fait à la pratique de la médecine. Lorsqu'on en vient à la diffusion de l'information, aux systèmes d'information sur la santé et à la réglementation qui relève du droit de la famille, on entre dans les compétences des provinces.

Est-ce que ce problème vous préoccupe ou est-ce que vous avez des propositions à nous faire pour établir une ligne de démarcation afin que nous évitions de nous engager dans d'interminables poursuites en justice?

• 1145

M. Brent Windwick: Il ne me paraît pas facile de délimiter les compétences fédérales et provinciales dans ce domaine. Je pense que l'on peut faire une comparaison avec le droit de l'environnement, la Loi canadienne sur la protection de l'environnement ayant subi le même genre d'examen judiciaire.

Cet avant-projet de loi, tel qu'il est formulé, répond aux critères juridiques qui doivent permettre au gouvernement fédéral d'assumer sa compétence sur les activités qu'il cherche à réglementer. Nous ne manquerons pas d'encourager une harmonisation avec les lois provinciales. L'Association du Barreau canadien a adopté une résolution en ce sens. Comme pour la Loi sur la protection de l'environnement, il est de la plus haute importance qu'il y ait ici une consultation entre le gouvernement fédéral et les provinces lorsqu'il s'agit de réglementer ce genre d'activité.

Le gouvernement fédéral peut-il légitimement légiférer dans ce domaine? Je sais que tout le monde n'est pas d'accord sur le risque de contestations judiciaires dans un domaine comme celui-là. Nous considérons que cette loi, et plus précisément la loi telle que nous proposons de la formuler, répondrait aux critères établis pour asseoir la compétence fédérale.

Cela ne veut pas dire pour autant qu'il ne faille pas essayer de se concilier les provinces. La meilleure solution consisterait à mettre en place un régime harmonisé de lois fédérales et provinciales permettant à ces activités d'être réglementées au plan national.

La présidente: Je crois que M. Ménard est le prochain sur la liste.

[Français]

M. Réal Ménard: Madame la présidente, vous êtes tellement généreuse.

[Traduction]

La présidente: Essayez de poser votre question, monsieur Ménard.

[Français]

M. Réal Ménard: Laissez-moi vivre, madame la présidente.

J'ai deux questions. Est-ce que vous nous invitez à inscrire dans le projet de loi que l'embryon est un être humain? Est-ce que cette position, selon vous, est compatible avec les jugements qui ont été rendus par les tribunaux? Je sais que vous ne nous demanderiez pas d'inscrire dans le projet de loi des choses qui ne sont pas reconnues par les tribunaux.

Deuxièmement, cet après-midi, on va entendre des témoins qui vont demander que les personnes seules, qui sont monoparentales ou lesbiennes, puissent avoir accès à des cliniques de fertilité. Est-ce que vous appuyez une position comme celle-là?

[Traduction]

Mgr Terence Prendergast: Je vais répondre à la deuxième question.

Nous préférerions, en ce qui nous concerne, que la conception reste à l'intérieur du ménage, de l'unité familiale, à l'exclusion des célibataires. Je sais que c'est un point de vue que tout le monde ne partage pas au sein de la société. Nous considérons que c'est le meilleur cadre pour élever un enfant. C'est notre position. La restriction devrait se faire de cette manière, de notre point de vue.

Voulez-vous faire un commentaire au sujet de la loi?

M. l'abbé Ron Mercier: Sur la première question, comme l'a fait remarquer l'Institut canadien d'information sur la santé, ce n'est pas nécessairement la réalité qui est contestée. Il est certain que l'on reconnaît que l'embryon est un être humain. Le problème porte sur les caractéristiques morales qui s'y rattachent. On parle souvent de «personne». L'analogie aux États-Unis serait la suivante: à quel moment l'embryon est une personne?

Au nom de la communauté catholique, nous ne manquons pas d'insister sur le fait que l'embryon humain, dès le premier stade de son existence, est un être humain, une personne humaine.

[Français]

M. Réal Ménard: Mais ce n'est pas ce que les tribunaux ont dit. Vous êtes d'accord avec moi que ce n'est pas ce que les tribunaux ont dit. Vous demandez aux parlementaires d'inscrire dans un préambule quelque chose qui va à l'encontre de l'état du droit à l'instant où on se parle.

[Traduction]

M. l'abbé Ron Mercier: Je dois vous avouer que je ne connais pas l'historique sur le plan judiciaire.

M. Brent Windwick: Je pourrais peut-être répondre rapidement.

Je ne pense pas qu'il y ait quoi que ce soit dans le préambule qui s'oppose à la façon dont les tribunaux ont défini le début de la vie ou la notion de personne. Pour atteindre le genre d'objectif qui a été proposé, pour changer la définition de ce qui constitue un être humain ou une personne juridique, je crois qu'il faudrait insérer une disposition expresse dans la loi.

• 1150

[Français]

M. Réal Ménard: La question est la suivante. Les tribunaux ont dit concrètement qu'un embryon n'est pas un être humain, que l'être humain commence au moment où il sort du sein de sa mère.

Les évêques demandent qu'on reconnaisse que l'embryon est un être humain. J'essaie de faire la part des choses. On peut porter le débat sur le plan moral, mais nous sommes des parlementaires et nous vivons dans un État de droit. Il existe une tradition juridique que vous connaissez. Quelqu'un peut-il me dire s'il existe un arrêt de la Cour suprême ou un jugement d'une cour inférieure qui dit qu'un embryon est un être humain?

[Traduction]

Dre Mary Lou Cranston: Je n'en suis pas sûre, mais je me demande si l'on parle d'«être» humain ou de «personne» humaine. Je crois que la différence est là. Même dans le préambule, on nous parle d'«individualité» humaine, etc. Nous avons plusieurs façons de parler de la chose et je pense que c'est un problème philosophique fondamental.

Dans les lois sur l'avortement, au Québec, par exemple, je crois que l'on parle de «personne» humaine et non pas d'«être» humain. Tout revient alors au problème philosophique qui consiste à savoir ce que l'on entend par «être». C'est la même chose que lorsqu'on parle d'«être» en se référant à un chien. Autrement dit, un chien existe. C'est là où doit se situer la distinction, à mon avis.

Je ne puis pas vous l'affirmer à coup sûr, mais je ne pense pas me tromper. Si je ne fais pas d'erreur, cela découle de l'affaire Chantal Daigle. C'est à cet arrêt que nous devons nous référer.

Dans le texte du préambule actuel, vous parlez entre autres d'«individualité». Il me semble donc que ce texte joue avec différentes notions et qu'il va nous falloir définir ce que nous entendons vraiment dire.

La présidente: Merci, monsieur Ménard.

Monsieur Lunney.

M. James Lunney: Merci, madame la présidente. Je vais m'efforcer cette fois-ci de poser les questions dans les temps.

Je vais changer de sujet et revenir à la question des mères porteuses. L'avant-projet de loi, vous le savez, se propose d'interdire cette activité à des fins commerciales. Toutefois, pour en revenir à la question des frais raisonnables, des témoins sont venus nous dire qu'ils pourraient se monter à 2 500 $. Je crois avoir entendu parler de sommes pouvant s'élever...

La présidente: À 36 000 $ par an pour une grossesse. Ce n'est donc pas une bagatelle.

M. James Lunney: En effet.

On peut penser qu'une femme ayant une profession libérale—une avocate, disons une des collègues de M. Windwick, ou une femme médecin, qui gagne 250 000 $ par an et qui souhaite aider une autre personne en portant son enfant pourrait soutenir que ces «frais raisonnables» englobent la perte de revenu qu'il convient de compenser à partir du moment où elle a pris une année de congé pour porter l'enfant d'une autre?

Mme Yolande Thibeault: C'est parler en homme.

Des voix: Oh!

M. James Lunney: Ayoye.

M. Brent Windwick: Je pense que n'importe qui pourra certainement faire valoir cet argument à partir du moment où l'on pose par principe qu'une personne ne doit pas en être finalement de sa poche alors qu'elle a assumé son rôle et ses responsabilités. Dans la pratique, les responsables de l'élaboration de ces règles devront tenir compte d'un certain nombre de considérations de politiques, notamment des revenus de la femme concernée au cours de l'année antérieure. Je sais que certains ont préconisé que l'on ait recours de manière générale à l'équivalent des prestations de l'assurance-chômage. Je ne suis pas sûr que ce soit là une opinion acceptée par tout le monde.

Il me semble qu'i y a certainement tout un éventail de chiffres dont on peut parler et je pense qu'il faudra tenir compte d'un grand nombre de facteurs avant d'arrêter un chiffre. L'essentiel, de notre point de vue, c'est de poser le principe selon lequel une personne qui engage des frais extraordinaires ou assume un fardeau financier pour jouer ce rôle doit d'une certaine manière être remboursée ou indemnisée à ce titre, sans que cela devienne une opération commerciale. Cela étant dit, je vous avoue franchement que je n'ai pas une assez bonne idée de ce qu'en pensent nos membres pour vous préciser le chiffre qu'il convient de retenir.

M. James Lunney: Donc, en somme, il vous paraît normal qu'un avocat puisse réclamer en substance 250 000 $, si c'est le chiffre jugé acceptable.

• 1155

M. Brent Windwick: Je pense que rien n'empêche que ce montant soit réclamé mais, compte tenu de diverses autres considérations, je ne sais pas s'il pourrait les obtenir.

M. James Lunney: Est-ce que l'Association du Barreau pense la même chose au sujet de la vente des gamètes? Certains mannequins de la haute couture se sont vu offrir jusqu'à 175 000 $ pour superovuler et produire des ovules pour d'autres personnes. Est-ce que l'Association du Barreau est favorable à cette pratique?

M. Brent Windwick: Je pense que la vente de gamètes irait un peu trop loin en nous faisant franchir la ligne des opérations commerciales. Il s'agit ici d'une situation dans laquelle un membre d'une même famille ou une autre personne, pour des raisons purement altruistes, assume la responsabilité de mener un foetus à terme et éventuellement, du fait d'une complication soudaine de son état au cours de sa grossesse, est dans l'incapacité de travailler. Il ne s'agit pas ici que quelqu'un gagne délibérément de l'argent.

M. James Lunney: Ce n'est peut-être pas le cas, mais si vous laissez la porte entrouverte...

La présidente: Monsieur Lunney, je crois que nous en avons assez dit sur le sujet. Nous avons une bonne idée des convictions de M. Windwick en la matière. Il les a exprimées clairement.

Madame Wasylycia-Leis, très rapidement, s'il vous plaît.

Mme Judy Wasylycia-Leis (Winnipeg-Centre-Nord, NPD): Merci, madame la présidente. J'apprécie que vous me permettiez de poser cette question. Mon avion vient juste d'arriver. Je vous prie de m'excuser d'avoir manqué les exposés.

J'ai l'impression que le sujet que je vais évoquer n'a pas été épuisé. Il se rapporte à l'annexe du mémoire de l'Association du Barreau canadien sur les questions de compétence. À bien des égards, on se renvoie la balle sur ces questions de compétence, certains domaines n'étant absolument pas abordés dans la loi alors que dans d'autres, on n'a pas pleinement recours, par exemple, aux dispositions ou encore aux interdictions prévues par la loi.

Est-ce qu'aux yeux de l'Association du Barreau il existe dans la Constitution ou dans d'autres lois fédérales, telles que la Loi sur les aliments et drogues, des dispositions permettant au gouvernement fédéral d'édicter des normes et des lignes de conduite claires devant servir de cadre aux mesures prises par les provinces, par opposition à une solution consistant tout simplement à laisser aux différentes juridictions le soin d'harmoniser leurs lois et de faire preuve de bonne volonté? Avez-vous quelque chose à nous proposer qui nous aiderait à promouvoir des normes et des lignes de conduites nationales ainsi que des dispositions réglementaires de portée générale donnant l'initiative à notre gouvernement fédéral et permettant par la même occasion d'harmoniser nos lois à l'échelle du pays?

M. Brent Windwick: Je vous ferais remarquer tout d'abord que je ne suis absolument pas un spécialiste de la loi sur l'environnement ou sur les aliments et drogues ou encore des différents domaines que vous avez évoqués. Après avoir passé en revue un certain nombre d'arrêts de la Cour suprême du Canada portant sur des régimes de réglementation de ce type, je vous répondrai tout d'abord que le gouvernement fédéral peut jouer un rôle de leader dans ce domaine avec une législation de ce type. On y fixe des principes, des principes importants, qui ne manqueront pas d'avoir une force de persuasion dans n'importe quel régime réglementaire des provinces.

Je ne suis pas d'accord pour dire que le gouvernement fédéral peut à sa guise empiéter sur les compétences provinciales. Il y aura évidemment des résistances politiques et probablement des contestations judiciaires. Il n'en reste pas moins que la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, par exemple, illustre bien la possibilité pour un organisme mixte fédéral- provincial d'exercer un certain pouvoir discrétionnaire et de faire d'excellentes choses pour établir des normes et harmoniser les différents régimes. Lorsqu'on cherchera à établir un régime de supervision dans le cadre de cette loi, il serait bon, à mon avis, d'envisager ce que le gouvernement fédéral peut faire, de concert avec les provinces, pour établir des normes.

La liste des substances toxiques, qui figure dans la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, si je me souviens bien, et qui avait effectivement été tranchée par un arrêt prononcé par la Cour suprême du Canada il y a quelques année, avait fait l'objet de la participation d'un organisme consultatif fédéral- provincial avant d'être définitivement entérinée.

Il me semble qu'il y a de nombreuses possibilités de consultation, de participation et d'harmonisation entre les compétences provinciales et celles du gouvernement fédéral. Là où le gouvernement fédéral va pouvoir légiférer en faisant appel pour cela aux pouvoirs dont il dispose en matière pénale, il est bien évident que le gouvernement fédéral pourra légalement faire usage de ces pouvoirs sans le consentement des provinces. Il me paraît toutefois très important que l'on s'assure de l'accord du gouvernement fédéral comme des provinces.

• 1200

Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question et j'ai l'impression d'avoir fait un peu trop de digressions.

La présidente: Merci, madame Wasylycia-Leis.

J'ai en fait deux questions à poser à M. Windwick, l'une portant sur le fait que l'Association du Barreau voudrait que l'on s'entende sur la liste des activités permises au sujet des mères porteuses. Vous nous dites que certains contrats portant sur des mères porteuses ne devraient pas pouvoir être reconnus en droit, mais vous ne nous précisez pas comment on peut y parvenir. Que dirions-nous, que ces contrats sont invalides? Je vous demande de réfléchir éventuellement à la question, d'examiner le projet de loi et de nous faire parvenir vos commentaires et de nous proposer la formulation qui convient dans la loi. Je vous remercie.

J'aimerais que vous vous penchiez sur une deuxième question, même si elle sort elle aussi éventuellement de vos compétences. Il y en a parmi nous qui sont très préoccupés par les possibilités de commercialisation qui découlent de cet avant-projet de loi en ce qui a trait à l'application de la loi sur les brevets. Je pense que nous serions nombreux à souhaiter que l'on fasse figurer dans cette loi des dispositions interdisant que des brevets soient délivrés au titre de l'une ou l'autre de ces activités et que la loi sur les brevets ne puisse pas s'appliquer elle non plus. Je pensais que l'on pourrait insérer ce genre de disposition là où on nous dit par ailleurs que le droit des contrats ne s'applique pas. Pourriez-vous réfléchir à la question et demander éventuellement à la personne qui préside la section des brevets au sein de l'Association du Barreau canadien d'y penser et de nous faire parvenir éventuellement une formulation possible?

M. Brent Windwick: Bien sûr. Je me ferai un plaisir de réfléchir à ces deux questions.

La présidente: Merci. Nous allons essayer de publier notre rapport avant Noël et, par conséquent, si vous pouviez le faire dans les prochains jours...

M. Brent Windwick: C'est entendu.

La présidente: Je vous remercie.

Au nom du comité, je tiens à remercier nos témoins d'aujourd'hui. Je les remercie de leur travail de préparation, de la réflexion qui a été la leur—non seulement au cours du mois qui vient de s'écouler, mais sur un grand nombre d'années—et des enseignements qu'ils ont su nous faire partager.

Je pense que vous serez tous d'accord avec moi pour reconnaître que les députés ici présents prennent ces questions très au sérieux—c'est d'ailleurs plus que cela; comme l'a dit quelqu'un, nous en devenons carrément fous.

Nous serons heureux d'accepter vos propositions par écrit et, dois-je ajouter, vos prières, par la même occasion, avant d'arriver à une conclusion. Je vous remercie.

La séance est suspendue jusqu'à une heure.

• 1202




• 1309

La présidente: Bonjour, mesdames et messieurs. La deuxième partie de cette séance est ouverte.

Nous accueillons cet après-midi des témoins représentant quatre organisations. La première d'entre elles est REAL Women of Canada, représentée par Mme Landolt, sa vice-présidente nationale.

Madame Landolt, soyez la bienvenue. Vous avez la parole. Madame Landolt?

Mme Gwendolyn Landolt (vice-présidente nationale, REAL Women of Canada): Excusez-moi, je ne vous avais pas entendu, madame la présidente. Je vous fais toutes mes excuses.

• 1310

La présidente: Je profite de cette minute pour indiquer aux membres du comité qu'il y a eu ce matin deux infractions au protocole. La première a eu lieu lorsque des enfants ont été présentés, pourrait-on dire, en tant qu'«accessoires» à un argument. Nous ne laisserons pas la chose se reproduire. En second lieu, il y a eu cette revue qui a été distribuée sans avoir été visée au préalable. Tous les documents qui sont distribués au comité sont censés avoir été visés. Vous pouvez donc ne pas en tenir compte.

Madame Landolt.

Mme Gwendolyn Landolt: Nous sommes heureuses qu'on nous ait donné l'occasion de venir témoigner en ces lieux, madame la présidente, parce que nous considérons qu'il s'agit là d'une des questions les plus graves auxquelles doit faire face le Canada aujourd'hui. Les problèmes sont nombreux, mais c'est l'un des plus graves et il a des implications à long terme.

Il ne faut pas oublier, cependant, lorsqu'il s'agit de nouvelles techniques médicales, que les enjeux technologiques ne sont pas exclusivement, ou avant tout, d'ordre médical ou scientifique, mais qu'elles impliquent aussi des enjeux fondamentaux d'ordre social, juridique, moral et éthique d'une importance capitale pour la société canadienne. Par conséquent, nous ne pouvons nous permettre d'examiner ces nouvelles techniques sous l'angle, restreint et faisant preuve d'un manque de perspicacité, d'un échec de la part d'individus au chapitre de la stérilité ou de l'espoir de trouver un traitement curatif. Il nous faut envisager ces techniques d'un point de vue social et culturel plus vaste eu égard à leurs implications morales, éthiques, juridiques et pratiques pour la société à long terme.

Le premier point que nous tenons à soulever est celui du consentement éclairé. Dans le préambule du projet de loi, on reconnaît que ces techniques touchent directement et davantage les femmes. On y précise aussi qu'un consentement libre et éclairé est une condition essentielle à l'utilisation des techniques de reproduction humaine. Un consentement éclairé est donc un principe directeur et une condition fondamentale régissant l'utilisation des techniques de procréation assistée.

L'expérimentation peut aider les chercheurs mais peut aussi constituer une exploitation des besoins ou désirs psychologiques et émotionnels des femmes de donner naissance à des enfants. Les femmes ne sont pas libérées des limites de leur stérilité, elles deviennent plutôt des laboratoires vivants que les responsables médicaux utilisent à des fins d'expérimentation. Malheureusement, en cette période de protection des droits des animaux, les femmes fournissent du matériel expérimental à bon marché alors que le coût d'achat et d'entretien des animaux de laboratoire aux fins de la recherche est excessif.

Le consentement éclairé est donc très difficile dans de telles circonstances parce que les femmes sont exposées à la manipulation et à l'exploitation. Les femmes qui font l'objet de cette recherche veulent désespérément un enfant et elles n'arrivent pas à évaluer tous les détails ainsi que la véritable signification de l'expérimentation.

Nous avons aussi d'autres inquiétudes concernant l'incidence que ces procédures médicales provoquent sur l'embryon créé. À l'heure actuelle, les intérêts des futurs parents, des donneurs et des scientifiques semblent avoir priorité sur l'embryon qui, dans bien des cas, est simplement perçu comme un produit final ou un élément de consommation servant à satisfaire les besoins des autres. Toutefois, l'embryon possède des droits; il n'est pas la propriété de qui que ce soit. Les enfants sont des cadeaux à tous les stades du développement et les adultes leurs maîtres, en les surveillant et en les guidant. Ne serait-ce que pour cette raison, il faut interdire la recherche sur les embryons.

Nous sommes aussi préoccupées par la question des mères porteuses. Je sais que la maternité de substitution est autorisée pour des raisons altruistes par cet avant-projet de loi; avons-nous toutefois étudié ses effets à long terme sur les mères porteuses? Sur ce plan, la science ne fait que commencer à explorer l'incroyable mystère des liens prénataux. Qu'en sera-t-il des enfants? Que vont-ils devenir? Il nous faut tenir compte de la mère. Même si elle en arrive à une entente avec les meilleures intentions du monde, cette procédure peut entraîner des malentendus et des contestations en justice portant sur le contrat et l'enfant né de ce contrat.

• 1315

Nous voulons aussi soulever la question de l'utilisation des cellules souches embryonnaires pour les besoins de la recherche. Selon les médias, l'enjeu lié à la recherche sur les cellules souches revient à se demander si la société autorisera la recherche sur les cellules souches embryonnaires afin d'enrayer le fléau de certaines maladies telles que l'alzheimer ou le parkinson.

Nous aimerions que les choses soient aussi simples.

D'abord, nous sommes tous d'avis que la politique gouvernementale, et surtout celle qui a trait à l'application de nouvelles techniques médicales, doit reposer sur des faits universellement reconnus et précis de manière scientifique. C'est un fait qu'un embryon est un être humain, non pas un être humain potentiel, mais un être humain réel, nécessitant du temps et une alimentation pour croître et se développer.

L'embryon représente la transmission de la vie humaine d'une génération à l'autre, et puisqu'il s'agit d'une entité vivante génétiquement unique, il ne devrait pas être utilisé aux fins de la recherche. Nous n'avons pas besoin de tuer des êtres vivants dans le but de mettre fin à la souffrance d'autres humains. C'est pourquoi REAL Women of Canada s'oppose radicalement à la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

Bien entendu, il va sans dire que nous nous opposons à la limite des 14 jours. L'avant-projet de loi n'autorise la recherche que jusqu'à ce que l'embryon ait 14 jours. Ce n'est tout simplement pas une excuse pour faire de l'expérimentation. La recherche sur les embryons, quelle qu'elle soit, est condamnable et contraire à l'éthique en tout temps, peu importe le stade de développement de l'embryon.

De plus, il nous semble extrêmement curieux que des pressions intenses soient actuellement exercées sur l'utilisation possible de cellules souches embryonnaires à des fins expérimentales lorsqu'il existe déjà des solutions de rechange qui ont fait leurs preuves, telles que l'extraction de cellules souches de la moelle osseuse, du cordon ombilical, du placenta, de tissus adipeux humains, de la peau et même des cellules du cerveau d'adultes décédés. D'ailleurs, 20 heures après la mort d'un adulte, il reste des cellules souches utilisables.

On a démontré que ces cellules souches en provenance d'adultes étaient utilisables. D'ailleurs, en août dernier, les chercheurs de l'université McGill ont implanté dans le cerveau des cellules souches en provenance de la peau et tout s'est très bien passé. Le recours à des cellules souches adultes élimine le problème de rejet attribuable à la présence d'un corps étranger à la suite d'implantations de cellules souches embryonnaires. Contrairement à l'utilisation des cellules souches des adultes, les cellules souches embryonnaires humaines n'ont jamais été utilisées avec succès dans des essais cliniques.

Il semble évident que les cellules souches embryonnaires ont été trop mises en valeur auprès d'un public avide de remédier à certaines des maladies les plus dévastatrices. Actuellement, une telle recherche s'effectuera aux dépens de plusieurs solutions de rechange incontestables, éthiques et réussies.

Onze mille bébés naissent chaque jour aux États-Unis, par exemple, et l'on peut se servir en toute sécurité des placentas et des cordons ombilicaux sans se heurter aux difficultés que posent les cellules souches embryonnaires. L'un des inconvénients des cellules souches embryonnaires, auquel on n'a jamais pu remédier de manière satisfaisante, c'est le fait que le corps les rejette et qu'en outre elles prolifèrent et entraînent la formation de tumeurs.

REAL Women est donc pleinement en faveur du recours à des cellules souches de rechange. Nous recommandons avec force que le gouvernement fédéral finance généreusement des recherches sur ces sources de rechange.

Je pense que l'on peut logiquement se demander pourquoi on fait tellement pression pour qu'il y ait des recherches sur les cellules souches embryonnaires. Il semble que cela s'explique par le fait que nombre des grands scientifiques aux États-Unis sont membres des organisations et des sociétés s'intéressant à la reproduction. Je vous renvoie à la page 11 de notre mémoire, où l'on vous donne quelques exemples de scientifiques éminents qui font partie des conseils d'administration des sociétés de recherche sur les embryons.

Nous nous opposons aussi au principe de l'utilisation d'embryons excédentaires pour les besoins de la recherche. Voilà qui nous paraît absurde. Les médecins ne devraient être autorisés qu'à retirer le nombre d'embryons devant être implantés. S'ils retirent des ovules supplémentaires, ils ne doivent pas être fécondés de manière à ne pas devenir des embryons et, par conséquent, à donner la vie.

Nous avons été aussi complètement abasourdies par les dispositions du paragraphe 12(1) de l'avant-projet de loi; c'est l'une de nos grandes préoccupations. Nous en parlons à la page 14 de notre mémoire. Les dispositions du paragraphe 12(1) sont alarmantes parce qu'elles n'imposent aucune restriction aux activités pouvant être autorisées par le ministre.

• 1320

Autrement dit, sauf pour ce qui est des activités absolument interdites, le ministre jouit d'un grand pouvoir discrétionnaire qui lui permet de se substituer aux procédures de contrôle prévues par les articles 8 à 12 de la loi. À sa seule discrétion, il peut autoriser sans aucune limite des expérimentations très dangereuses et contraires à l'éthique. Ces autorisations seront délivrées en secret sans aucune possibilité de contrôle.

Il nous apparaît indispensable de supprimer dans la loi le paragraphe 12(1), qui confère au ministre, à sa seule discrétion, le pouvoir de délivrer des autorisations.

À la page 15 de notre mémoire, nous proposons qu'un organisme de réglementation soit établi pour que l'ensemble de la procédure d'expérimentation soit ouverte et transparente. Il faut qu'au sein de cet organisme soit représenté tout l'éventail des sensibilités, y compris celles des spécialistes de l'éthique des congrégations religieuses.

À cet égard, il peut être très utile d'adapter aux fins de l'organisme de réglementation des techniques médicales qui est proposé le modèle utilisé dans la recherche sur l'humain, tel qu'il est présenté dans l'Énoncé de politique de 1998, formulé par les trois conseils composés du Conseil de recherches médicales du Canada, du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada et du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Tous ces organismes ont une politique d'examen des expérimentations. Il semble que ce soit un excellent modèle devant s'appliquer aux nouvelles techniques médicales.

Il ne suffit pas que l'organisme de réglementation approuve le projet au départ. Il doit également surveiller l'état d'avancement de la recherche et faire le suivi des projets une fois qu'ils sont terminés. En bref, l'organisme de réglementation ne doit pas seulement approuver les protocoles avant le début de la recherche, mais il doit aussi surveiller les travaux avant, pendant et après qu'ils ont été réalisés.

Il est absolument indispensable que cet organisme de réglementation présente un rapport annuel directement au Parlement par l'entremise du ministère de la Santé afin que la recherche demeure transparente et que les chercheurs soient responsables devant la population qui a tant à perdre avec l'application de ces techniques.

Aux termes de cet avant-projet de loi, le ministre agit dans le secret. Il peut proposer ce qu'il veut. Il peut faire ce qu'il lui plaît, sauf pour ce qui est des activités interdites. Tout ce qui a trait à la reproduction et à la guérison des maladies relève de ses pouvoirs. Il est bien trop déraisonnable de conférer un tel pouvoir à une époque comme la nôtre, alors qu'on ne peut déjà plus contrôler la prolifération des techniques médicales.

Nous ferons donc une dernière observation. Une grande partie des dispositions de cet avant-projet de loi vont dépendre des règlements d'application. Je peux vous citer l'exemple du paragraphe 9(2) et de l'article 23, qui renvoient aux règlements d'application. Il faut impérativement éviter d'autoriser des activités par la voie de la réglementation, parce que personne n'en saura rien. Il est bien préférable d'incorporer à la loi les dispositions qui à l'heure actuelle sont établies par règlement. La population saura ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas.

Voilà nos principaux sujets de préoccupation, madame la présidente. J'insiste tout particulièrement sur la portée du paragraphe 12(1), qui confère tous les pouvoirs au ministre de la Santé. Aucun ministre et aucun ministère ne peut vraiment comprendre toutes les complexités qu'entraînent ces techniques sur le plan médical, éthique et juridique. Un tel pouvoir ne devrait jamais être placé entre les mains d'une seule personne, quelles que soient ses qualités personnelles. Nous ne savons pas ce qui peut se passer à l'avenir. Nous n'insisterons jamais trop sur la nécessité d'un organisme de réglementation transparent et ouvert au public.

Je vous remercie.

La présidente: Merci, madame Landolt.

Nous allons maintenant entendre la représentante de l'Association des mères lesbiennes, Mme Mona Greenbaum.

Mme Mona Greenbaum (coordonnatrice, Association des mères lesbiennes): Je suis la fondatrice et la coordinatrice de l'Association des mères lesbiennes du Québec. Ma conjointe Nicole et moi-même sommes également mères de deux jeunes garçons. Je suis ici aujourd'hui en tant que porte-parole des quelque 500 femmes qui ont joint notre association depuis sa création en 1998.

Parmi nos membres, nous avons des mères avec des enfants de tous âges ainsi que des couples qui songent à fonder une famille. La maternité chez les lesbiennes est une réalité de plus en plus répandue au Canada. Nos 500 membres ne représentent qu'une fraction des femmes lesbiennes du Québec.

• 1325

Notre intérêt pour le projet de loi sur la procréation médicalement assistée découle du fait que bon nombre d'entre nous avons, ou prévoyons avoir, des enfants par insémination. Je souhaite vous décrire l'exclusion dont nous sommes victimes dans le système actuel, les risques pour notre santé que pose cette exclusion et nos préoccupations de voir la nouvelle loi nous marginaliser davantage.

Nous avons lu le site Web de Santé Canada, qui affirme qu'une approche nationale est nécessaire pour réglementer les techniques de reproduction et de génétique. À l'heure actuelle, certaines femmes, y compris les lesbiennes et les femmes célibataires du Québec, sont exclues du système officiel. Nous croyons qu'à moins que la loi ne leur garantisse l'égalité d'accès aux services de fertilité, ces femmes continueront d'être exclues, ce qui les expose à des risques pour la santé.

Notre association appuie les principaux points du projet de loi, dont les 12 interdictions. Je ne suis pas ici pour vous suggérer des changements en profondeur au projet de loi, mais pour vous convaincre d'inclure explicitement un principe très important—qu'aux yeux de la loi, toutes les Canadiennes doivent avoir un accès égal aux cliniques de fertilité et aux banques de sperme, peu importe leur orientation sexuelle, leur état matrimonial et leur fécondité.

Comme nous sommes une association québécoise, nous connaissons mieux la situation des lesbiennes de cette province. C'est donc le contexte que je vais vous décrire, mais je ne veux pas que vous pensiez que le problème de l'accès aux services se limite au Québec. D'autres provinces ne permettent non plus aux lesbiennes d'avoir recours aux cliniques de fertilité. Par contre, l'Ontario et la Colombie-Britannique, pour ne nommer que celles-là, accueillent les femmes célibataires et les lesbiennes. Mais au Québec, la politique de toutes les cliniques de fertilité est d'en interdire l'accès non seulement aux lesbiennes, mais aussi aux femmes hétérosexuelles célibataires.

À moins d'être mariée, une femme ne peut pas franchir le pas d'une clinique de fertilité au Québec pour y subir des tests et encore moins pour s'y faire inséminer. À titre de coordonnatrice de mon association, je reçois des appels de femmes hétérosexuelles célibataire qui sont renversées d'apprendre que les cliniques peuvent exercer de la discrimination à leur égard et leur refuser leurs services. Aucune disposition de notre Code civil n'interdit aux lesbiennes et aux femmes célibataires l'accès aux cliniques de fertilité; c'est pourtant ce qui se passe au Québec.

L'existence d'organisations comme la nôtre prouve néanmoins que les lesbiennes donnent naissance à des enfants. Si elles y parviennent, ce n'est pas grâce à l'intervention du Saint Esprit, mais plutôt au tourisme de procréation. En effet, rejetées par les cliniques de notre province, bon nombre de lesbiennes obtiennent des échantillons de sperme d'autres banques en Ontario ou en Colombie-Britannique. Si une banque de sperme de Toronto a réussi à répandre ses semences partout au Canada, ce n'est pas parce que les Canadiennes croient que sperme de Toronto est meilleur; c'est le résultat direct de l'inégalité d'accès que perpétuent les politiques restrictives de chaque clinique.

Pour obtenir un échantillon de sperme d'une autre province, une lesbienne québécoise doit trouver un médecin québécois qui accepte de recevoir l'échantillon et d'effectuer l'insémination. Elle peut faire une croix sur les spécialistes de la fertilité, car la majorité d'entre eux sont affiliés à une clinique dotée de politiques discriminatoires. Si la chance lui sourit, elle trouvera un médecin de famille bienveillant qui est prêt à apprendre les techniques d'insémination. Pour le moment, les médecins qui offrent ce service se comptent sur les doigts de la main et leur carnet de rendez-vous se remplit rapidement.

Bien que ce système parallèle n'ait en soi rien d'illégal, il est loin d'être la solution rêvée. Le système actuel est discriminatoire à l'égard des lesbiennes et pose des risques pour la santé. Étant donné la difficulté de trouver un médecin qui accepte de les aider et les coûts d'expédition d'un échantillon de sperme congelé, nombreuses sont les lesbiennes qui décident de se tourner vers des donneurs connus. Les «donneurs connus» peuvent être des amis de longue date, des connaissances ou de purs étrangers rencontrés par l'entremise des petites annonces.

Même si la femme connaît bien le donneur, les risques associés à l'utilisation d'un échantillon de sperme frais sont les mêmes que ceux d'une relation sexuelle non protégée. Si les lesbiennes du Québec n'ont pas accès au système officiel, où l'on teste le sperme des donneurs pour s'assurer qu'il est exempt de maladies transmises sexuellement ou d'autres affections, nous croyons que, tôt ou tard, l'une d'entre elles sera infectée par le VIH d'un donneur connu et qu'elle transmettra l'affection à son bébé.

Santé Canada a déclaré que la santé et la sécurité de tous les Canadiens doivent être protégées. Un des fondements du projet de loi est de protéger et de promouvoir la santé, la sécurité, la dignité et les droits des femmes et des enfants. À l'heure actuelle, les lesbiennes et les femmes célibataires du Québec ainsi que leurs enfants ne sont pas protégés.

Notre première recommandation est donc que toutes les Canadiennes aient accès aux cliniques de fertilité et aux banques de sperme, peu importe leur orientation sexuelle ou leur état matrimonial. À ce titre, nous proposons que l'une des conditions attachées à la licence d'une clinique ou d'un médecin soit qu'ils s'engagent à ne faire aucune discrimination envers les femmes en fonction de leur orientation sexuelle ou de leur état matrimonial. Plusieurs provinces canadiennes accordent aux mères lesbiennes la même autorité parentale qu'aux autres parents, admettant ainsi officiellement et publiquement nos familles. Pour leur part, la Colombie-Britannique, l'Alberta, la Saskatchewan, l'Ontario et la Nouvelle-Écosse reconnaissent les droits des mères adoptives dans les familles de lesbiennes.

Ironiquement, bien que de nombreuses provinces canadiennes acceptent nos familles, il y a encore des cliniques médicales qui refusent de nous recevoir, mettant ainsi notre santé en danger. Nous estimons que la nouvelle loi doit être très explicite quant à la forme de discrimination. Les risques pour la santé sont trop grands pour être passés sous silence.

• 1330

Puisque les provinces auront la possibilité de se soustraire à la loi fédérale afin d'élaborer leurs propres législations, et certaines le feront, nous vous demandons de faire du principe de l'égalité d'accès sans égard à l'orientation sexuelle, à l'état matrimonial et à la fécondité une condition d'agrément de toute entente d'équivalence avec une province. Voilà notre deuxième recommandation. En l'absence d'une telle condition, les lesbiennes du Québec se retrouveront dans une situation identique, voire pire, que celle qu'elles vivent actuellement. Nous craignons que certaines, en désespoir de cause, adoptent des comportements dangereux pour concevoir.

Les lesbiennes et les femmes célibataires du Québec n'ont pas droit aux mêmes services de santé que leurs concitoyennes ailleurs au Canada. Dans certaines provinces, elles sont traitées comme toute autre citoyenne canadienne. Mais au Québec, une lesbienne ou une femme célibataire qui découvre qu'elle est infertile doit se rendre dans une autre province pour y recevoir les traitements nécessaires.

Même si la majorité des Canadiens sont d'avis que les femmes doivent avoir le droit de disposer de leurs corps, dans certaines provinces, une femme ne peut toujours pas franchir les portes d'une clinique de fertilité si elle n'a pas un mari à son bras. Voilà la situation que nous vivons aujourd'hui. Si la loi pouvait garantir aux femmes l'égalité d'accès aux services de fertilité, nous pourrions résoudre plusieurs de ces problèmes et réduire les risques pour la santé.

Certaines femmes ne veulent pas faire appel à un donneur inconnu; elles préfèrent demander à un ami d'être un donneur de sperme. Pour ces femmes, dans au moins deux provinces, une banque de sperme accepte de tester le sperme pour détecter certaines maladies et de le conserver pour utilisation ultérieure. Une politique similaire commune dans tout le Canada éliminerait les risques que représentent les donneurs connus pour la santé des mères et de leurs enfants.

Cela nous mène à notre troisième recommandation. Nous croyons que les femmes et les couples qui traitent avec une banque de sperme et les enfants conçus grâce aux techniques de procréation médicalement assistée devraient avoir accès à un maximum d'information possible au sujet des donneurs. Notre association appuie la création de registres de renseignements et l'imposition de conditions d'attribution, de permis uniformes dans tout le Canada pour les médecins qui pratiquent les techniques de procréation médicalement assistée. Pour nous et pour le bien-être de nos enfants, nous estimons essentiel que les informations qui nous concernent soient conservées comme celles qui concernent les autres Canadiens.

Nous aimerions voir un nouveau système qui permettrait aux donneurs qui y consentent de rencontrer leur progéniture si les enfants le souhaitent plus tard. Nous croyons qu'il est important que nos enfants aient accès à leur père biologique s'ils le désirent.

Notre quatrième recommandation—étant donné que l'insémination du sperme d'un donneur est une procédure assez simple, nous sommes d'avis qu'elle ne doit pas être l'exclusivité des cliniques de fertilité—nous recommandons par conséquent que les médecins en pratique privée qui s'y connaissent dans les techniques d'insémination puissent demander un permis. Bien sûr, pour obtenir leurs permis, ces médecins devraient respecter les mêmes lignes directrices et les mêmes normes que les cliniques.

Pourquoi les médecins qui ne sont pas affiliés à des cliniques de fertilité devraient-ils avoir droit à un permis? Parce que de nombreuses femmes vivent à l'extérieur des grands centres urbains, loin des cliniques de fertilité. Une simple procédure d'insémination de sperme d'une banque de sperme peut être effectuée par un médecin de famille.

Je ne suis pas ici pour défendre le droit des lesbiennes de devenir mères, mais je crois qu'il est opportun de mentionner que les enfants de mère lesbienne sont tout aussi bien équilibrés que les enfants de parents hétérosexuels. On ne compte plus les études qui démontrent que nos enfants sont aussi stables sur le plan affectif et psychologique que les autres enfants. Les garçons et les filles affichent les mêmes comportements spécifiques à leur sexe, que leurs parents soient gais ou hétérosexuels. Ma conjointe et moi avons deux garçons qui s'amusent avec leurs camions et leurs petites voitures, qui se chamaillent, qui se bousculent et qui grimpent partout.

Bien des gens nous demandent si nos enfants sont la risée de leur milieu. Tous les enfants sont victimes de moqueries pour différentes raisons: la couleur de leurs cheveux ou de leur peau, leur poids, les vêtements qu'ils portent ou les espadrilles qu'ils chaussent. Nos garçons ne sont pas plus importunés que la moyenne des enfants. En outre, s'ils sont confrontés à l'homophobie, nous sommes en mesure de les aider avec les outils et les ressources que nous avons nous-mêmes utilisés lorsque nous avons fait face à des préjugés, les mêmes outils auxquels les personnes d'origine ethnique, de race ou de culture différentes ont recours depuis toujours.

Permettez-moi d'ajouter que chez les femmes de notre association, il n'y a pas de grossesses non désirées. Nous aimons nos enfants et les chérissons encore plus compte tenu des difficultés que nous avons dû surmonter pour fonder une famille.

Nous faisons dans notre mémoire quatre recommandations au comité.

Premièrement, que les donneurs de sperme puissent autoriser la divulgation de leur identité aux enfants conçus grâce à eux.

Les trois autres recommandations concernent toutes l'accès aux services de fertilité.

Premièrement, nous préconisons que la loi indique explicitement que toutes les Canadiennes ont accès aux services de fertilité peu importe leur orientation sexuelle, leur état matrimonial et leur fécondité. J'aimerais vous rappeler que cette recommandation avait également été suggérée en 1993 par la Commission royale sur les nouvelles techniques de procréation, et qu'elle devrait par conséquent être incluse dans la loi. Il s'agit d'une question de sécurité et de santé.

En second lieu, si une province opte pour une entente d'équivalence pour réglementer des activités contrôlées, que la même garantie de libre accès constitue une condition d'attestation de l'équivalence de sa législation.

• 1335

Troisièmement, nous recommandons que les médecins en pratique privée et les cliniques puissent obtenir un permis pour effectuer des procédures de procréation médicalement assistée, comme l'insémination du sperme d'un donneur.

La société canadienne a parcouru beaucoup de chemin depuis que je suis née. Elle a décriminalisé l'homosexualité en 1969, elle a adopté la Charte des droits et libertés en 1985, et elle a accordé l'an dernier aux couples de même sexe le statut de conjoints de fait par l'entremise du projet de loi C-23. Notre pays est en voie de devenir une société ouverte et accueillante. Nous avons besoin d'une loi sur la procréation médicalement assistée, car les Canadiens d'aujourd'hui réalisent leur rêve de fonder une famille de bien des façons, notamment par des moyens qui étaient encore inconnus il y a dix ans.

Les familles de lesbiennes sont une réalité grandissante dans la société canadienne. Nous demandons au comité d'accorder autant d'importance à la santé et au bien-être des lesbiennes qu'à la santé et au bien-être de tout autre groupe de femmes. Nous croyons à un système qui utilise avec discernement les lois et techniques de procréation. Nous voulons faire partie d'un tel système, pour notre bien-être et celui de nos enfants.

Je vous remercie de votre attention.

La présidente: Merci, madame Greenbaum.

Notre prochain témoin, le Dr John Shea, représente la Campaign Life Coalition, dont il est le consultant.

Docteur Shea, vous avez la parole.

Dr John Shea (consultant, Campaign Life Coalition): Merci, madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, de me donner l'occasion de m'exprimer au nom de la Campaign Life Coalition, une organisation qui se consacre à la défense, sur le plan politique, de la dignité et des droits de la personne de tous les êtres humains, de leur conception jusqu'à leur mort.

De nombreux arguments ont été évoqués devant vous ces derniers temps. Je tiens à souligner les faits qui m'apparaissent pertinents pour l'étude de cet avant-projet de loi portant sur l'assistance à la procréation humaine.

Tout d'abord, cette loi va permettre à une personne, bénéficiant de l'autorisation du ministre, d'exercer ce qu'on appelle une activité réglementée—en l'occurrence d'utiliser des matériaux de reproduction, définis comme étant du sperme, des ovules, d'autres cellules humaines ou des embryons in vitro ou une partie de ces différents éléments. Elle pourra procéder aux opérations suivantes: tout d'abord, créer un embryon ou faciliter la reproduction humaine; en second lieu, utiliser tout ou partie d'un embryon in vitro à des fins de recherche ou encore de prévention et de diagnostic d'une maladie, d'une blessure ou d'une incapacité; troisièmement enfin, de créer des chimères. Pour parler comme tout le monde, il s'agit là de créer des monstres.

La chimère est définie par la loi de deux manières. Il s'agit tout d'abord d'un embryon humain, ou d'un foetus, dans lequel une cellule n'appartenant pas à une forme humaine—il peut s'agir ici aussi bien d'un virus que d'une plante ou d'un animal—a été introduite. En second lieu, elle est définie comme étant tout embryon ou foetus d'origine non humaine dans lequel on a introduit une cellule humaine ou une cellule d'embryon ou de foetus humain. Cette création de chimères est autorisée à tout propos, y compris celui de la recherche.

De même, l'avant-projet de loi autorise une personne à combiner toute partie, dans n'importe quelle proportion, d'un génome humain avec toute partie du génome d'un animal spécifié dans la réglementation. Le génome est défini dans l'avant-projet de loi comme étant la totalité de la séquence ADN du noyau d'une cellule donnée.

• 1340

Par conséquent, cet avant-projet de loi, en dépit du fait, dois-je préciser, que l'on affirme bien haut au départ qu'il y a des activités interdites—permet, avec l'autorisation du ministre, la segmentation des embryons, le clonage par transfert nucléaire—et je répète, le clonage par transfert nucléaire est autorisé—le transfert d'ADN recombinant et l'altération de cellules germinales, soit la technique que l'on utilise pour procéder à des améliorations eugéniques.

L'altération des cellules germinales revient à utiliser les cellules germinales embryonnaires. Les cellules germinales sont utilisables à l'étape des huit semaines. Ce sont les cellules qui se reproduisent pour se transformer en ovule ou en sperme, par opposition aux autres cellules souches adultes qui produisent les 200 tissus et plus que contient le corps humain. Ces cellules sont celles qui sont utilisées pour procéder aux améliorations eugéniques. Nous reviendrons plus longuement sur la question dans un instant.

Ce projet de loi autorise le retrait des cellules des blastocystes, autrement dit les cellules souches, dont l'appellation exacte est blastomères. Ces cellules sont prélevées sur l'embryon au bout de cinq à sept jours lorsque l'implantation devrait normalement se produire dans la masse cellulaire interne et, en conséquence, l'embryon est tué. Ce projet de loi autorise aussi, par conséquent, la parthénogenèse, un procédé perfectionné sur les grenouilles mais qui n'a pas encore été utilisé sur les êtres humains—autant que je le sache, mais il est bien possible qu'on l'ait fait—qui fait qu'un ovule humain est stimulé par des moyens électriques et peut produire un être humain de sexe féminin.

Il permet aussi, si ces cellules sont retirées de l'embryon au cours des trois premières semaines, à certaines de ces cellules de l'embryon de passer par un stade qualifié de régulation. La cellule retirée de l'embryon—arrachée de l'embryon, généralement par petits paquets, quelques-unes à la fois—peut mourir pour commencer, ce qui est le cas de nombre d'entre elles. Elle peut aussi être clonée à l'intérieur d'un tissu. En troisième lieu, elle peut spontanément devenir un jumeau identique du premier embryon.

Le Dr Mithat Erenus, un spécialiste de la fécondation in vitro, a recommandé cette méthode, et j'imagine qu'on l'applique déjà. Il la recommande lorsqu'une femme a été saturée d'estrogènes pour superovuler et ne parvient pas à produire les dix à quinze ovules habituels mais n'en a habituellement que trois. Dans un tel cas, on segmente les embryons pour qu'elle en ait six. Cela lui donne plus de chance d'avoir une implantation réussie. Lorsqu'on a recours à ces cellules pour les besoins de la recherche et non pas pour la fécondation in vitro, il s'ensuit que certaines d'entre elles sont clonées dans des tissus et deviennent d'autres embryons, qui par la suite peuvent mourir ou donner encore d'autres embryons, que l'on clone à nouveau et qui meurent, et ainsi de suite.

Je tiens à attirer votre attention sur certains faits en ce qui a trait à ces cellules embryonnaires et à ces cellules souches adultes. Aucun—je dis bien aucun—essai clinique n'a réussi en ce qui a trait à ces cellules souches embryonnaires. Il y a eu quelques projets de recherche pilotes qui ont réussi sur les animaux. Les réactions de rejet des tissus sont la norme, qu'il s'agisse d'un rejet du bénéficiaire par le tissu ou d'un rejet du tissu par le bénéficiaire. Cela s'applique tout particulièrement aux cas du diabète, parce qu'il faut prendre des médicaments apparentés à la cortisone qui causent les mêmes symptômes que le diabète.

Pour cette raison, les partisans de la recherche sur les cellules souches embryonnaires ou sur les noyaux privilégient le clonage au moyen d'un transfert nucléaire. L'idée—et la chose a été faite, puisque vous l'avez lu dans le journal d'aujourd'hui—c'est de prendre un noyau ou, comme on l'a fait dernièrement, l'intégralité d'une cellule d'un adulte et de le placer à l'intérieur d'un ovule dont on a retiré le noyau, ce qui permet, à la suite d'un traitement chimique, de créer un jumeau identique à la personne ayant donné la cellule.

Un problème se pose. Comme l'a fait remarquer Leon Kass, le cytoplasme de l'ovule contient de l'ADN, appelé ADN mitochondrial, qui reste une protéine étrangère et qui présente le même risque de rejet du tissu.

• 1345

Les cellules souches embryonnaires sont extrêmement primitives. Nous ne savons pas en quel tissu elles vont se transformer parce qu'elles peuvent potentiellement devenir n'importe quel tissu, y compris produire un jumeau. Elles sont donc très difficiles à contrôler. On a injecté à un Chinois souffrant de la maladie de Parkinson des cellules neurales d'un embryon de huit semaines et on a vu apparaître une excroissance de peau, de cheveux et de dents, c'est-à-dire un tératome, qui s'est développé dans son cerveau, le tuant.

Un rapport faisant état des nombreuses recherches cliniques menées sur des patients souffrant de la maladie de Parkinson, jeunes et vieux, nous révèle qu'on a enregistré certains succès en injectant des cellules similaires, des cellules neurales, prélevées sur un embryon de huit semaines. Les patients les plus âgés, soit 15 p. 100 d'entre eux, ont été affligés d'une dyskinésie tardive, ce qui signifie que leur état a fortement empiré—grands battements de bras et des jambes, contractions de la bouche et mouvements de doigts absolument impossibles à soigner par une thérapie médicale.

Ces cellules, en dépit de tout ce qui est dit, sont assez difficiles à cultiver et à maintenir en vie, mais c'est possible. Bien entendu, le recours au clonage à l'aide d'un transfert implique la mort du jumeau identique. Je ne pense donc pas exagérer en disant qu'il est peu probable qu'on puisse utiliser ces cellules. Peut-être qu'on pourra le faire à l'avenir si l'on réussit à surmonter tous ces obstacles.

Ce qu'on sait, par contre, au sujet de ces cellules souches adultes, c'est tout d'abord qu'elles sont utilisées depuis plus de 20 ans sous forme de transplantations de moelle épinière. Voilà 12 ans qu'on s'en sert dans des thérapies faisant appel à des cellules souches adultes. Au total, des centaines de milliers de patients souffrant de différentes maladies ont été traités avec succès ou ont vu leur état s'améliorer dans une certaine mesure au fil des années. Parmi les maladies que l'on a réussi à guérir ou dont on a pu alléger les symptômes, il y a les maladies du sang, des os et des reins ainsi que les cancers du cerveau, du sein, des ovaires, des testicules et de la rétine, et l'on a obtenu un certain succès—n'oubliez pas, en outre, que ce n'est qu'un commencement, et j'estime que l'avenir est plein de promesses dans ce domaine—en ce qui a trait aux attaques cérébrales, au diabète, aux maladies cardiaques, au myélome multiple, à la leucémie, à la dystrophie musculaire et à la maladie de Crohn.

Les cellules souches adultes peuvent être tirées de multiples sources. Les cellules de certaines sources, telles que le placenta, le sang du cordon ombilical, les neurones et les cellules adipeuses, se sont révélées en mesure de se transformer en pratiquement n'importe quelle cellule du corps, qui en comporte plus de 200 différents. Elles peuvent être cultivées rapidement. En quelques semaines, on peut produire des milliards de cellules en recourant à des techniques spéciales. Elles ont montré qu'elles étaient capables de migrer jusqu'à la région du corps qui en a besoin. Elles n'entraînent aucun rejet des tissus et elles ne posent sur le plan de l'éthique aucun problème que l'on ne retrouve pas aussi dans d'autres thérapies médicales, telles que la nécessité, par exemple, de donner un consentement éclairé. En somme, elles ne posent aucun problème grave sur le plan de l'éthique. De plus, les promesses qu'elles offrent ne relèvent pas du domaine des hypothèses; elles sont bien réelles et elles sont remarquables.

La présidente: Docteur Shea, vous avez dépassé de trois minutes le temps qui vous était imparti.

Dr John Shea: Je vais lire le reste rapidement, si vous me le permettez.

Le statut de l'embryon humain a tout d'abord été établi scientifiquement, en tant que membre de l'espèce humaine, créé par la fécondation, en 1850 par Wilhelm Roux, le père de l'embryologie, et est accepté depuis lors par la doctrine scientifique.

Quant à son statut moral, il faut dire que tout l'être humain est présent dans la première cellule. Cette cellule est une unité qui entraîne la création d'autres cellules de manière ordonnée et bien précise. Cette unité est conservée à tous les stades ultérieurs du développement de cet être humain. Même si au départ toutes les parties de cette unité ne sont pas pleinement apparues, l'embryon va de lui-même se doter de ces différentes parties de manière coordonnée.

C'est un fait que l'embryon, à partir de la fécondation et à tous les stades de son développement, est un tout unitaire et intégré. Sans la présence dès le départ d'un être à part entière, ce développement d'un paquet de cellules, comme on le qualifie, ne pourrait jamais avoir lieu de façon ordonnée et axée sur un but biologique précis.

• 1350

Ce fait réduit à néant la validité des arguments visant à promouvoir l'utilisation des cellules souches embryonnaires, par exemple pour des raisons utilitaires afin d'en tirer un profit pour la recherche. Ces arguments justifieraient tout acte ou toute décision devant permettre à certains individus de profiter d'autrui.

Il y a enfin la validité du consentement donné. L'avant-projet de loi accepte le consentement du donneur d'un embryon in vitro en tant que condition préalable indispensable à l'exercice d'activités autorisées. Pour qu'une donneuse puisse valablement apporter un consentement éclairé, il sera nécessaire qu'elle ait été pleinement informée par une personne compétente de ce qui va se passer en ce qui a trait à l'embryon. Pour que cette information réponde pleinement aux exigences de la loi, il faudra qu'elle englobe l'une quelconque ou la totalité des utilisations mentionnées dans la loi. Peut-on vraiment penser que l'on va pouvoir obtenir ce genre de consentement dans la pratique? Quelles vont être les complications juridiques lorsque les donneuses vont se rendre compte de toutes les répercussions biologiques, éthiques et légales de cette opération?

Enfin, il y a un flou dans la terminologie qui est inquiétant. On ne donne aucune définition dans la loi des «êtres humains». On définit l'«organisme humain» en renvoyant soi à l'embryon, soit au foetus. À la naissance, le foetus reste implicitement un organisme humain mais, à l'alinéa 9(3)b), on définit une chimère comme un embryon ou un foetus non humain dans lequel on a introduit une cellule d'un être humain ou encore d'un embryon ou d'un foetus humain. Pour ce qui est du caractère humain de l'embryon, cette définition n'est pas exacte sur le plan philosophique ou scientifique; l'embryon et le foetus n'ont pas été définis comme ayant les caractéristiques d'une personne humaine.

Je vous ai soumis deux textes de référence, l'un qui a trait au statut moral de l'embryon et l'autre qui répertorie 228 études scientifiques sur les cellules souches somatiques et embryonnaires.

Je vous remercie.

La présidente: Merci, docteur Shea.

Le témoin suivant, Mme Micheal Vonn, représente l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique. Elle fait partie du comité directeur du conseil d'administration de cette organisation.

Mme Micheal Vonn (membre, Comité directeur, Conseil d'administration, Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique): Merci, madame la présidente.

Je remercie le comité de me donner l'occasion de faire connaître le point de vue de l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique au sujet de cet avant-projet de loi sur l'assistance à la procréation.

Notre document d'orientation de 1996, qui a été remis, je crois, aux membres de votre comité, reprend de manière générale notre position sur les questions soulevées par l'avant-projet de loi. Je m'efforcerai ici, toutefois, d'exposer les grandes lignes de notre opposition de principe au recours au droit pénal comme moyen d'orienter les politiques dans ces domaines, et j'évoquerai plus précisément les problèmes posés par la proposition d'interdire les maternités de substitution à des fins commerciales.

Nous allons dans le même sens que d'autres intervenants en disant que le droit pénal n'est pas le bon moyen pour régler les différentes questions soulevées par l'avant-projet de loi. Nous sommes d'accord avec de nombreux arguments qui ont déjà été avancés, notamment que le droit pénal est un instrument grossier qui ne permettra pas d'adopter à brève échéance les amendements nécessaires dans des domaines où les progrès scientifiques sont rapides; que le recours au droit pénal pose de gros problèmes sur des questions qui ne font pas l'objet d'un consensus social; enfin, que les interdictions sur le plan pénal des activités de recherche dans certains domaines précis vont presque automatiquement engendrer des incertitudes et des craintes chez les chercheurs qui s'intéressent à des domaines proches et empêcher le Canada de faire des recherches utiles dans de nombreux domaines.

De manière générale, nous préconisons, si nécessaire, d'autres formes de réglementation visant à réprimer les comportements que l'avant-projet de loi interdit tout simplement sur le plan pénal.

J'aimerais faire quelques observations précises au sujet de la proposition d'interdire les maternités de substitution à des fins commerciales. Trois raisons ont été avancées pour justifier cette interdiction—protéger tout d'abord les mères porteuses, qui risquent d'être exploitées du fait de leur situation économique; en second lieu, le fait que la maternité de substitution traite les enfants comme des objets; troisièmement, que l'on porte atteinte à la dignité des femmes en assimilant leur capacité de reproduction à une marchandise.

Nous estimons qu'il serait préférable de recourir à la réglementation plutôt qu'à des interdictions pénales pour protéger les femmes économiquement vulnérables contre toute exploitation. Nous sommes d'accord avec le témoignage antérieur d'Alison Harvison Young et d'autres intervenants touchant le fait qu'il est démontré que les interdictions pénales ont tendance à rejeter ce genre d'activités dans la clandestinité, les personnes vulnérables étant alors dénuées de protection et de recours.

À notre avis, la distinction qu'établit la loi entre la maternité de substitution qualifiée d'«altruiste» et celle qui est commerciale ne repose sur aucun principe, est mal fondée et n'est pas applicable. Les convictions, les situations et les conditions qui vont éventuellement amener une femme à être une mère porteuse seront vraisemblablement très complexes et éminemment personnelles, variant nécessairement d'une femme à l'autre.

• 1355

Nous considérons qu'il n'est pas légitime que l'État oblige ces femmes à passer ce genre d'accords selon l'idée que l'on se fait de la qualité de leur choix. Il y a très peu d'autres domaines dans lesquels nous considérons que l'inégalité sur le plan économique revêt une importance telle, dans la décision qui est prise, qu'il nous faut faire intervenir des sanctions pénales. Par conséquent, à notre avis, rien ne justifie que l'on refuse aux femmes la possibilité de choisir elles-mêmes si elles veulent être payées pour agir en qualité de mère porteuse ou au contraire de le faire pour des motifs purement altruistes.

De plus, si on ne réglemente pas ces maternités de substitution qualifiées d'altruistes, on ne conférera aucune protection à des femmes susceptible de subir des pressions familiales pour passer ce genre d'accord, des pressions familiales risquant d'être aussi oppressives et étant souvent liées à des pressions économiques. Il est par ailleurs impossible de tracer une ligne de démarcation claire entre le remboursement des frais admissibles d'une mère porteuse pour des raisons altruistes, et le versement d'une contrepartie, jugée inadmissible, qui n'est censée relever que des maternités de substitution à des fins commerciales.

Étant donné les difficultés que pose la définition de la portée de ces deux types de paiement, on peut vraiment craindre que des sanctions pénales soient imposées en vertu d'une loi vague et incertaine.

Sur le deuxième point, le fait que l'on craigne qu'une transaction commerciale impliquant une mère porteuse fasse des enfants des objets, il faut bien constater que dans la plupart des accords d'adoption, sinon dans tous, il y a une dimension commerciale. Comme nous l'avons indiqué dans notre rapport d'orientation, les personnes qui ont versé de grosses sommes d'argent pour pouvoir adopter des enfants ayant par conséquent été transformés en marchandises, n'ont pas tendance à traiter ces enfants de façon moins digne ou avec moins de respect parce qu'ils ont été, jusqu'à un certain point, achetés. De toute évidence, une transaction commerciale n'implique pas en soi que les enfants vont être délaissés et que l'on ne va pas bien s'en occuper.

En troisième lieu, lorsqu'on invoque la dignité humaine pour justifier l'interdiction de la maternité de substitution pour des raisons commerciales, on ne tient pas suffisamment compte de l'importance pour chacun de pouvoir exercer son autonomie. Les choix faits par les gens sont nécessairement limités par la loi pour éviter un préjudice certain causé à autrui. Toutefois, lorsqu'on limite ces possibilités de choix alors qu'aucun préjudice certain n'a été commis, on n'élève pas la dignité humaine, on la rabaisse. En substance, on infantilise les gens, dont on limite ainsi les possibilités de choix, la liberté et la capacité d'agir selon leurs propres convictions.

Si on le fait sous le prétexte de protéger les personnes dont les choix sont ainsi limités, ont fait alors clairement preuve de paternalisme, quels que soient les motifs louables des personnes imposant ces limites, et cela revient à considérer ces personnes comme étant incapables de prendre leurs propres décisions sur une question très personnelle. Je suis certaine que ce n'était pas là l'intention des personnes qui ont rédigé les interdictions proposées, mais c'est la conséquence automatique de la politique mise en oeuvre.

D'autres dispositions de l'avant-projet de loi et de son préambule insistent sur l'importance de faire en sorte que les personnes donnent un consentement éclairé lorsqu'elles font des choix de leur plein gré. Nous sommes pleinement d'accord. Dans l'introduction de l'avant-projet de loi, on nous dit que le consentement éclairé est un principe de base et qu'une réglementation sur le consentement sera élaborée pour s'assurer que les femmes qui choisissent d'être mères porteuses pour des raisons altruistes le fassent de leur plein gré. Il n'est pas logique de rejeter implicitement, dans le cas des maternités de substitution pour des raisons commerciales, ce principe tout à fait justifié qui, dans l'avant-projet de loi, reconnaît aux gens la possibilité de faire des choix éclairés.

La réglementation sur le consentement que l'on évoque dans le cas des maternités de substitution pour des raisons altruistes illustre bien en fait à quel point les politiques établies en la matière doivent être nuancées. Qu'est-ce qu'un consentement éclairé qui doit être donné par écrit, par exemple? Quels sont les renseignements qui doivent être divulgués aux parties et par celles-ci? Qu'est-ce qui régit le retrait du consentement? Ce sont là des questions fondamentales qu'il est préférable de régler au moyen d'une réglementation détaillée.

Pour ce qui est des maternités de substitution à des fins commerciales, il est très préoccupant pour un groupement de défense des droits civils de voir qu'une politique publique s'appuie éventuellement sur un argument faisant appel à la notion de dignité humaine tout en minant l'autonomie des personnes. En l'absence de préjudice certain causé à des enfants ou à d'autres personnes n'ayant pas consenti aux activités en question, on ne peut pas justifier le recours à l'instrument grossier que constitue le droit pénal. Il est indéniable que le principe d'une maternité de substitution à des fins commerciales porte atteinte à la sensibilité de certaines personnes. Toutefois, ce n'est pas parce que l'on froisse certaines sensibilités qu'il est justifié de prononcer des sanctions pénales dans une société libre et démocratique. Nous considérons que le préjudice causé à la société n'est pas suffisamment démontré pour que l'on justifie la limitation des droits et de l'autonomie individuelle qui est proposée en matière de maternité de substitution à des fins commerciales.

Voilà qui met fin à mon exposé. Je vous remercie.

• 1400

La présidente: Merci, madame Vonn.

Nous allons maintenant passer à la deuxième partie de cette séance, soit celle des questions qui vont être posées à nos témoins par les membres du comité. Nous allons commencer par M. Lunney.

M. James Lunney: Merci, madame la présidente.

Je remercie tous les témoins de leurs exposés très intéressants et très instructifs.

Je vais adresser ma première question au Dr Shea. Vous vous êtes opposé à la création de chimères pour les besoins de la recherche. Pouvez-vous nous en donner les raisons? Quelles sont vos préoccupations en ce qui concerne la création de chimères? Que veulent obtenir les chercheurs dans ce domaine?

Dr John Shea: La chimère est la combinaison d'un embryon humain et de cellules animales ou végétales, et même virales. Cela revient à traiter l'être humain comme un instrument. Et qui sait à quoi peut servir cet instrument? Il peut s'agir de recherche, il peut y avoir un but thérapeutique, ce peut être n'importe quoi. Toutefois, on traite la personne humaine, l'être humain, comme un produit, et la personne comme un moyen de parvenir à une autre fin. L'individu, en tant que personne humaine, a le droit de ne pas être utilisé comme un moyen. C'est le principe de base. Indépendamment des raisons émotives, c'est là le principe de base.

M. James Lunney: Nous disposons de ressources considérables en matériel génétique humain puisqu'il y a six milliards d'êtres humains sur la planète, et l'on peut se demander pour quelles raisons les chercheurs veulent mélanger les gènes animaux et humains, ce qu'ils espèrent en tirer. Quels sont les progrès qu'ils souhaitent faire sur notre corps en tirant parti des animaux?

Dr John Shea: Je ne peux faire que des spéculations. Le domaine de la science et de la technique est si vaste qu'on ne peut même pas imaginer les différentes applications éventuelles. Il peut s'agir de produire des protéines ou des agents thérapeutiques. Certaines personnes ont proposé, par exemple, de mêler l'ADN des araignées à celui des êtres humains, ce qui permettrait aux athlètes d'avoir des tendons plus forts et de sauter plus haut, par exemple. Il n'y a pas de limite.

M. James Lunney: Je vous remercie.

Je vais maintenant nous lancer sur un autre sujet. Vous avez évoqué, au sujet du transfert des noyaux cellulaires, le problème de l'ADN mitochondrial. Combien de parents seraient donc impliqués si vous laissiez l'ADN de l'ovule d'une donneuse en y ajoutant le noyau de la cellule de la mère, celle d'une autre personne? Pouvez-vous nous donner quelques précisions à ce sujet?

Dr John Shea: Combien de personnes feraient quoi?

M. James Lunney: Disons que si vous avez du matériel génétique provenant de plusieurs personnes, bien évidemment liées entre elles, mêlé lors du transfert nucléaire étant donné que l'ADN mitochondrial a été laissé.

Dr John Shea: Les mitochondries sont en fait des structures qui se chargent de la fonction respiratoire. Ce sont comme toujours les organismes ou les parties produisant de l'énergie, le mécanisme ATP produisant de l'énergie destinée à la cellule, brûlant de l'oxygène, etc., dont est tirée l'énergie. Elles s'apparentent à de petites piles électroniques.

Ces structures ne se trouvent pas dans le noyau mais dans le cytoplasme, et elles contiennent de l'ADN, l'ADN de la mère de l'ovule. Lors du transfert du noyau dans cet ovule, elles continuent à être là. Cela reste donc une protéine étrangère pour la personne qui reçoit le matériel, les tissus, qui en sont tirés, de sorte que l'on ne se débarrasse pas du problème du rejet par ce moyen.

M. James Lunney: Vous vous retrouvez avec une espèce de guerre civile à l'intérieur des cellules avec de l'ADN qui vient en fait de deux personnes différentes.

Dr John Shea: Vous avez raison. Ce qui se passe à l'heure actuelle, c'est que l'on introduit une cellule entière, avec son cytoplasme, à l'intérieur d'un ovule. Est-ce que les ADN des mitochondries se font alors la guerre, Dieu seul le sait. Ce que je voulais souligner ici, c'est que ça ne règle pas la question du rejet des protéines, de ce phénomène de rejet des tissus.

M. James Lunney: Vous avez fait état du grand nombre d'avantages des cellules adultes et du fait qu'on a obtenu des succès avec ces cellules ces dernières années, depuis 20 ans pour ce qui est des transplantations de moelle épinière et depuis 12 ans en ce qui a trait à la recherche sur les cellules souches adultes. Vous nous avez dit qu'elles pouvaient se multiplier rapidement en milieu de culture, alors que l'une des difficultés que l'on avait mentionnées, c'est celle de la culture des cellules adultes. Connaissez-vous des recherches qui ont permis de cultiver avec succès...

Dr John Shea: Il existe des méthodes susceptibles d'accélérer la reproduction cellulaire et, sur une période de quelque huit semaines, je crois que l'on peut obtenir des milliards de cellules.

M. James Lunney: Où est-ce que cela se fait?

Dr John Shea: Je ne m'en souviens pas exactement mais, dans le document que je vous ai remis, qui répertorie 228 études, vous le trouverez quelque part.

• 1405

M. James Lunney: J'ai une autre observation à faire au sujet d'une chose qu'a mentionnée Mme Landolt. REAL Women recommande entre autres que le gouvernement fédéral accorde de préférence de gros crédits à la recherche sur les cellules souches adultes.

Êtes-vous d'accord avec cette conclusion, docteur Shea, et pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

Dr John Shea: Bien entendu.

Je ne voudrais pas laisser l'impression que nous nous opposons à la recherche ou que nous sommes contre les recherches menées sur les cellules souches. La recherche est la plus merveilleuse des entreprises. C'est une chose formidable. Il faut pourtant qu'elle respecte une certaine moralité et qu'elle soit faite pour des raisons morales et justes.

Il est prouvé depuis de nombreuses années... et je vous signale en passant que l'on investit davantage d'argent dans la recherche sur les cellules souches adultes sur le marché de New York à l'heure actuelle étant donné que les investisseurs mettent de l'argent là où ils savent que l'on va obtenir des résultats. Les résultats commencent à arriver. L'avenir est très prometteur. C'est tout à fait remarquable. Il suffit de consulter toutes les études qui sont faites dans le domaine. J'estime que cette recherche doit être fortement encouragée. Dans ces terribles maladies que sont le diabète et la maladie de Parkinson, par exemple, c'est probablement là qu'est l'avenir.

M. James Lunney: Vous parlez des cellules souches adultes?

Dr John Shea: Oui, dans les cellules souches adultes.

M. James Lunney: Pour les raisons que vous avez indiquées ici—par exemple, parce qu'il n'y a pas de risque de rejet?

Dr John Shea: Il n'y a pas de risque de rejet.

D'ailleurs, je ne sais pas si vous comprenez bien la chose, mais les cellules souches embryonnaires gardent tout leur potentiel pendant les trois premières semaines—la première semaine, en fait. En l'occurrence, elles peuvent se transformer en n'importe quoi, y compris en un autre embryon. Après cela, elles perdent progressivement de leur puissance et sont moins polyvalentes. Toutefois, les cellules germinales sont généralement prélevées sur des embryons ayant avorté—il s'agit de la recherche eugénique sur les cellules germinales, alors que les autres proviennent généralement des enfants ou des adultes eux-mêmes et ne font de mal à personne.

M. James Lunney: Êtes-vous au courant des recherches entreprises récemment par la Dre Freda Miller, à l'université McGill, sur des précurseurs de la peau, c'est le nom qu'elle leur donne, et pouvez-vous nous donner des exemples pour nous dire en quoi les chercheurs ont réussi à transformer ces cellules de la peau?

Dr John Shea: J'essaie de m'en souvenir. Il y a tellement d'articles du même ordre. Il s'agissait de cellules nerveuses, n'est-ce pas?

M. James Lunney: Les chercheurs sont partis de cellules de la peau et je crois savoir qu'ils ont réussi à cultiver des neurones et des cellules musculaires.

Dr John Shea: Des neurones et des cellules musculaires, en effet.

M. James Lunney: Et certaines cellules des os ou du sang.

Dr John Shea: Il y a de nombreuses expériences du même ordre. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres. Il y a peut-être 20 articles qui font état des mêmes résultats en partant d'autres types de cellules—placenta, cellules embryonnaires, et sang du cordon ombilical. L'avantage de ces dernières, d'ailleurs, c'est d'être assez primitives et de ne pas être rejetées. Lorsqu'on procède à des transplantations, par exemple, les cellules souches adultes sont rejetées à 80 p. 100. Toutefois, si elles ont été prélevées dans le placenta ou dans le sang du cordon ombilical, les cellules sont relativement primitives et le taux de rejet est bien moindre. Il y a aussi un avantage en ce sens qu'elles sont très rarement contaminées par des cytomégalovirus, ce qui se produit par ailleurs dans les cellules souches adultes.

Elles présentent donc de grands avantages. On dispose en outre de quatre millions de placentas par an aux États-Unis et probablement de 400 000 au Canada.

La présidente: Merci, monsieur Lunney.

Nous allons passer à M. Ménard.

[Français]

M. Réal Ménard: Merci, madame la présidente.

J'ai deux questions. La première s'adresse à Mona. Vous nous avez fait valoir qu'il existe une pratique discriminatoire, à savoir que les personnes seules, donc monoparentales ou célibataires, et les lesbiennes n'ont pas accès aux cliniques de fertilité au Québec. Avez-vous des raisons de penser que c'est également le cas à l'extérieur du Québec? Dois-je comprendre que vous souhaitez que l'on inscrive clairement dans le préambule qu'il ne peut pas y avoir de discrimination sur la base du statut matrimonial et de l'orientation sexuelle?

J'aurai ensuite une question pour Mme Vonn.

Mme Mona Greenbaum: Si je comprends bien, vous me demandez si c'est le cas seulement au Québec. Je ne le pense pas. Je pense que cela peut être le cas ailleurs. Je ne connais pas très bien la situation dans les autres provinces. Je sais que c'est légal et que cela se fait déjà en Ontario et en Colombie-Britannique, mais je ne sais pas si cela se fait dans les autres provinces. Au Québec, il y a des cliniques à Montréal, à Québec et à Sherbrooke, et je suis sûre qu'elles n'acceptent pas les femmes seules.

M. Réal Ménard: Ça existe en Colombie-Britannique et en Ontario. Est-ce qu'une femme seule, qui n'a pas d'homme dans sa vie, qui est monoparentale, peut avoir accès à un traitement d'insémination dans une clinique privée?

Mme Mona Greenbaum: Oui, c'est ça.

M. Réal Ménard: Et vous souhaitez qu'on inscrive dans le préambule de la loi qu'il ne doit pas y avoir de discrimination sur la base de l'orientation sexuelle ou du statut matrimonial.

• 1410

Mme Mona Greenbaum: Oui, et aussi le statut de fertilité. Maintenant, au Québec, on dit qu'on ne nous accepte pas parce qu'on n'a pas de problème de fertilité, mais c'est toujours le cas des femmes qui n'ont pas d'homme. C'est une espèce de loophole qu'on utilise pour nous refuser l'accès à ces cliniques. C'est important de mettre cela dans la loi. Si cela n'y est pas, cela pose un grand risque pour notre santé.

M. Réal Ménard: J'avais d'ailleurs demandé aux fonctionnaires de Santé Canada de nous faire la liste des causes qui étaient pendantes devant les tribunaux concernant l'article 15 et l'accès aux cliniques de fertilité. Ce serait bien qu'on l'ait.

Madame Vonn, vous dites qu'il n'est pas souhaitable de recourir au droit criminel pour interdire un certain nombre d'activités énoncées dans le projet de loi. Comment peut-on s'assurer efficacement que certaines pratiques, dont le clonage humain, seront interdites si on ne recourt pas au droit criminel? Quelle solution alternative nous suggérez-vous?

[Traduction]

Mme Micheal Vonn: Au sujet des organismes de réglementation, nombre d'autres intervenants ont indiqué, je crois, que le modèle du Royaume-Uni était le bon en ce sens qu'il réunit des spécialistes en son sein tout en pouvant prononcer des sanctions pénales lorsque les titulaires des autorisations ont, en quelque sorte, outrepassé leurs prérogatives, étant donné que les organismes de réglementation ont à leur disposition tout un éventail de sanctions.

Nous considérons qu'au départ il faut que ce soit un organisme spécialisé qui se charge de la réglementation et que ce n'est pas le Code criminel qui est le mieux indiqué pour se faire. Le type de sanctions pénales qui est prévu ici ne me paraît tout simplement pas justifié, et surtout pas lorsqu'elles sont appliquées indifféremment à tout le monde. À notre avis, ce genre de travail peut être fait par un organisme de réglementation. Plus particulièrement, la réprobation qui accompagne les sanctions pénales ne semble pas se justifier pour l'ensemble des interdictions prononcées à l'heure actuelle.

[Français]

M. Réal Ménard: D'accord.

[Traduction]

La présidente: Merci, monsieur Ménard.

Madame Sgro.

Mme Judy Sgro: Merci, madame la présidente.

J'aimerais poser une ou deux questions à différentes personnes. Madame Landolt, je lisais tout à l'heure votre mémoire en écoutant votre exposé. Pour mon information, lorsque je lis les premières pages de ce mémoire... Si je vous pose la question, c'est parce que je connais mal votre organisation, REAL Women of Canada. Excusez-moi, mais je sais simplement que vous figurez sur notre liste, vous êtes ici venue témoigner et j'ai déjà un peu entendu parler de vous, mais je n'en sais pas assez sur votre organisation.

En lisant les premières pages de votre mémoire, alors que je suis mère de deux jeunes femmes qui ont déjà des carrières, ce qui me vient immédiatement à l'esprit, c'est qu'on a l'impression que les femmes ne sont pas capables de prendre des décisions. J'aurais pensé que l'appellation «REAL Women of Canada» serait le signe d'une organisation faisant résolument la promotion de femmes fortes et sûres d'elles-mêmes au sein de la société. Pourtant, on a nettement l'impression en lisant les premières pages de votre mémoire que les femmes sont très faibles et incapables vraiment de prendre de bonnes décisions et qu'il nous faut donc les protéger au moyen de la loi parce qu'elles ne sont pas assez intelligentes pour se débrouiller elles-mêmes. C'est ce qui ressort pour moi des premières pages de votre mémoire et il y a donc évidemment un problème, parce que je ne pense pas que ce soit là votre intention.

Mme Gwendolyn Landolt: Dans l'appellation anglaise REAL Women, le «R» correspond à réaliste, le «E» à égal, le «A» à actif et le «L» à la vie. Nous croyons effectivement à l'égalité des femmes. Nous disons et nous croyons que les femmes sont compétentes et capables, qu'elles n'ont pas besoin de loi spéciale pour les protéger, ce qui n'empêche pas que les nouvelles techniques médicales posent des problèmes.

• 1415

Le problème, c'est que lorsque les femmes veulent désespérément un enfant, d'ores et déjà elles se soumettent à un grand nombre de traitements aux hormones. Elles sont si désespérées qu'elles sont prêtes à se soumettre elles-mêmes aux traitements alors que des expériences sur les animaux devraient être pratiquées en premier lieu. Elles expérimentent sur leur corps parce qu'elles veulent à tout prix obtenir des résultats. Par ailleurs, elles éprouvent de gros problèmes psychologiques lorsqu'elles s'aperçoivent en fin de compte qu'elles ne peuvent pas concevoir malgré toutes ces techniques.

Souvent, les femmes sont exploitées par les scientifiques et les médecins, qui savent à quel point elles sont vulnérables lorsqu'elles veulent des enfants. C'est tout à fait normal chez la plupart d'entre nous. Les femmes sont exploitées en raison du terrible besoin qu'elles ressentent. Nous devons concilier les différents droits. Nous constatons malheureusement, dans bien des cas, que les scientifiques et les médecins, à la recherche de la gloire et de la fortune, se servent du corps des femmes. Les femmes ont un tel besoin d'avoir un enfant qu'elles sont prêtes à passer par toute cette série d'expérimentations. C'est ce qui se passe à l'heure actuelle.

Nous commençons à nous inquiéter aujourd'hui des risques de cancer qu'entraînent ces multiples ovulations, qui peuvent avoir des répercussions à long terme. Nombre de femmes sont prêtes à courir ce risque pour avoir un enfant, mais on ne le leur dit même pas. Elles ne connaissent pas les risques. Les femmes étant exceptionnellement vulnérables dans ce domaine, nous voulons que l'on restreigne en quelque sorte les agissements des médecins et des scientifiques.

Je dois dire que l'un des problèmes vient du fait que les médecins sont en fait en conflit d'intérêts. D'une part, ils soignent les femmes et de l'autre, ce sont des chercheurs. Ils sont souvent conflit d'intérêts et l'on ne dit pas tout aux femmes. L'une des difficultés est celle du consentement. Comment peut-on parler de consentement lorsque les femmes ne savent pas quelles sont les implications à long terme? Comment peut-on obtenir le consentement de l'embryon? Personne ne sait quelle va être son utilisation. Si cet avant-projet de loi se propose effectivement d'imposer un consentement libre et éclairé, il semble qu'il n'en sera rien en réalité.

Nous ne disons pas cela pour le plaisir et nous n'inventons pas. Nombre de femmes sont venues nous dire qu'on a usé et abusé d'elles dans leur quête désespérée d'avoir un enfant. Elles nous demandent pourquoi on ne consacre pas davantage de crédits à régler leurs problèmes de stérilité plutôt que de se servir de leur corps à des fins d'expérimentation. Ce sont des femmes bien réelles qui sont passées par là. Nous proposons que l'on contrôle dans une certaine mesure ce qui se passe parfois dans l'application des nouvelles techniques médicales. Cela ne veut pas dire que les femmes ne soient pas des égales, qu'elles ne soient pas compétentes et capables d'agir; tout simplement, c'est dû à cette situation bien particulière qui est la leur, alors qu'elles ont désespérément besoin d'un enfant.

Finalement, 90 p. 100 des femmes ont des enfants. C'est une chose normale, naturelle. Celles qui n'en ont pas supportent bien souvent un terrible fardeau. Dans ce cas précis, nous disons qu'il faut veiller à ce que les femmes ne soient pas exploitées, dans leur quête désespérée, par des médecins qui sont en conflit d'intérêts vis-à-vis d'elles.

La présidente: Merci, Madame Sgro.

Mme Judy Sgro: Est-ce qu'il me reste du temps?

La présidente: Ça a pris 5 minutes et 27 secondes.

Mme Judy Sgro: Très bien, inscrivez-moi pour le prochain tour.

La présidente: Oui.

Monsieur Dromisky.

M. Stan Dromisky: J'ai deux questions à poser.

La première s'adresse à Mona Greenbaum, dont l'exposé relève de ce que j'appellerais une évolution sociologique qui fait, comme vous l'avez dit, qu'il y a de plus en plus de femmes qui veulent avoir des enfants. Est-ce le désir naturel d'être mère ou est-ce parce que, au stade d'évolution où en est notre société, l'organisation des lesbiennes est plus présente et plus visible qu'elle ne l'a jamais été pendant toute l'histoire de l'humanité, ce qui fait que nous avons des organisations comme la vôtre? Vous avez des clubs et les considérations sociales entrent en jeu. Est-ce parce que ces différents facteurs se renforcent?

Autrement dit, une femme déclare vouloir un enfant, ce qui pousse une autre à faire la même déclaration. Est-ce un phénomène et culturel au sein d'une organisation?

• 1420

Mme Mona Greenbaum: Je ne dirais pas que c'est une mentalité de club. Je pense, comme vous l'avez dit, que c'est un désir naturel...

M. Stan Dromisky: Il a évolué.

Mme Mona Greenbaum: Non, je ne crois pas. Je pense qu'au cours de l'histoire les lesbiennes ont toujours voulu avoir des enfants. Elles s'y intéressent. Comme les femmes hétérosexuelles, elles veulent avoir des enfants. Ce n'est pas le cas de tout le monde, mais bien des gens veulent avoir des enfants.

Si c'est de plus en plus fréquent, c'est à mon avis parce que notre culture rend la chose possible. Les femmes s'aperçoivent qu'elles peuvent avoir des enfants. Elles peuvent se référer à des modèles en voyant des familles de lesbiennes qui ont des enfants. Ce sont des familles très heureuses et les enfants s'en sortent très bien. C'est possible, maintenant, en ce qui nous concerne. C'est la même chose aujourd'hui pour les familles interraciales; il y a bien des années on n'en voyait pas beaucoup. Ce n'est pas parce qu'on n'en ressentait pas le besoin ou parce que l'on a ouvert un club accueillant des gens de différentes races, qui fait que la chose devient à la mode. Cela vient du fait que les mentalités se sont suffisamment ouvertes et que nos lois se sont mises à accepter des personnes qui n'étaient pas jusqu'alors dans la norme.

M. Stan Dromisky: Il serait intéressant que quelqu'un étudie toute cette question et compare les différents problèmes posés à la profession médicale par les différentes formes d'aides comme celles que l'on voit aujourd'hui à Montréal en raison de l'intervention d'organisations comme la vôtre. Est-ce qu'il y a eu une forte augmentation de la demande de...

Mme Mona Greenbaum: À mesure que notre culture devient plus tolérante, je pense que les femmes s'aperçoivent que ça devient possible. Avant, on était complètement ostracisées, mais aujourd'hui nous pouvons vivre très normalement. Il y a des frictions à l'occasion avec certaines personnes mais, dans la majorité des cas, nous avons une vie de famille comme tout le monde. Tout se passe bien en ce qui nous concerne. Les lesbiennes se rendent compte aujourd'hui qu'elles peuvent avoir une famille.

M. Stan Dromisky: Je vous remercie.

Ma deuxième question a trait aux commentaires qui ont été faits tout à l'heure par REAL Women of Canada. Nous ne pouvons pas éviter la situation dans laquelle nous nous retrouvons aujourd'hui. Les femmes sont au coeur de nos délibérations ici. Nous savons que la plupart des médecins ont huit, dix ou douze cachets à leur disposition pour aider leurs malades. Ils leur disent, essayez ce cachet et, si ça ne fonctionne pas, essayez celui-là, et ainsi de suite. C'est très courant dans la profession médicale.

Nous sommes allés dans les cliniques de fécondité et nous avons découvert que les femmes, comme vous nous l'avez indiqué, sont tout à fait désespérées. Si le traitement ne fonctionne pas—si éventuellement il y a un rejet—le médecin va recommander un autre produit chimique, éventuellement une pilule, ou quelque chose pour éviter qu'un rejet ne se produise.

En ce qui me concerne, c'est de l'expérimentation. Autrement dit, on décide d'essayer telle chose. Si ça ne fonctionne pas, on en essaye une autre. Si ça ne fonctionne toujours pas, on recommence encore. Les femmes deviennent donc automatiquement des cobayes. Je ne vois pas comment on peut l'éviter, tout simplement en raison de la nature de l'expérimentation et des traitements disponibles. Si l'on dispose de dix médicaments dans le monde entier, les médecins vont essayer inlassablement afin de trouver ce qui fonctionne pour leurs patientes.

Voyez-vous où je veux en venir?

Mme Gwendolyn Landolt: Oui, mais le problème c'est que la profession médicale s'efforce de trouver un moyen artificiel de concevoir des enfants sans recourir à des techniques médicales. Ils se détournent du véritable problème, qui est celui de la stérilité. Si l'on consacre de l'argent à cette recherche, ce n'est pas nécessairement parce que c'est dans l'intérêt des femmes, mais parce que c'est dans le meilleur intérêt des médecins et des chercheurs.

Ils essayent un troisième type de médicament sur une femme et s'aperçoivent qu'effectivement, elle a conçu un enfant; ils peuvent alors publier une étude et devenir riches et célèbres. C'est ce qui nous préoccupe ici. On devrait chercher davantage à remédier à notre stérilité.

Il faut plutôt s'attaquer au problème à la base sans créer artificiellement des enfants. Toutes nos orientations ont été bouleversées par la recherche médicale. On a adopté ce point de vue, plus passionnant, et tout ce que vous voudrez. Toutefois, notre argent, nos efforts et notre recherche devraient porter sur le problème à la base, qui est celui de la stérilité des femmes. C'est là où on fait complètement erreur. Nous privilégions le résultat, soit l'obtention d'un enfant, qui est une marchandise, alors que nous devrions nous attaquer au problème du manque d'enfant, qui est celui de la stérilité.

M. Stan Dromisky: Très bien.

Je vous remercie.

• 1425

La présidente: Merci, monsieur Dromisky.

Nous allons passer à Mme Wasylycia-Leis. Ah, elle était là.

Mme Judy Wasylycia-Leis: Je dois être à trop d'endroits à la fois.

La présidente: Pauvre de vous.

Mme Judy Wasylycia-Leis: Je voudrais adresser une question à Mona et à Micheal au sujet du dilemme dans lequel on se trouve lorsqu'on cherche à concilier le droit pour la femme de choisir et la nécessité de s'assurer que sa santé est protégée. Là où le problème est flagrant, d'après les témoignages qui nous ont été apportés jusqu'à présent, c'est sur toute cette question de l'insémination artificielle et des cliniques de fécondité.

Comment mettre en place un système tenant compte des intérêts des mères lesbiennes et des défenseurs des libertés civiles tout en imposant des limites à la possibilité qu'ont ces cliniques privées d'extraire des oeufs pour en faire des embryons et pour répondre aux besoins des différentes catégories de Canadiens dans diverses circonstances? Les conséquences ne sont pas négligeables, en termes de dégradation de la santé des femmes, de liens possibles entre les médicaments pour la fécondité et les cancers ovariens, et du fait que toutes ces opérations ne s'accompagnent pas automatiquement d'un consentement éclairé. J'ai besoin désespérément de conseils pour pouvoir concilier les deux choses.

[Note de la rédaction: Inaudible]

Mme Mona Greenbaum: ...les mères lesbiennes du Québec ne peuvent vraiment pas être moins informées qu'elles ne le sont à l'heure actuelle. Nous opérons au sein d'un réseau parallèle qui n'est pas intégré au réseau principal. Nous ne connaissons pas grand-chose des nouveaux traitements pour la fécondité, des nouveaux médicaments ou de leurs contre-indications, parce que nous sommes traités par des médecins de famille sympathiques à notre cause qui souhaitent nous aider sans avoir aucune formation spéciale sur les techniques de fécondité.

Notre situation est bien simple: soit nous sommes acceptées au sein d'un meilleur réseau, soit notre santé est mise en danger, parce que lesbiennes vont avoir des enfants, que la loi le prévoit ou non. En ce qui nous concerne, par conséquent, tout complément d'information sera positif.

Je m'informe à l'occasion sur les sites web qui répertorient les différents traitements. Plus on fait preuve d'un esprit d'ouverture, plus on donne de l'information au sujet des médicaments, plus nous pourrons décider par nous-mêmes. C'est ce dont nous avons besoin, faire tout simplement nos propres choix.

C'est comme tous les types de médicaments. Presque tous les médicaments ont potentiellement des effets positifs et négatifs. Nous devons pouvoir choisir. Les gens prennent de nombreux risques pour obtenir certains résultats quant à leur santé et à la capacité d'avoir des enfants, et il faut que nous puissions faire nous-mêmes ce choix. Je sais qu'il y a des possibilités d'abus ici, mais l'alternative, qui consiste à nous refuser toute possibilité d'accès, à nous refuser toute information ou à nous tenir à l'écart, présente trop d'inconvénients en ce qui me concerne. Nous sommes suffisamment intelligentes pour pouvoir poser des questions, prendre connaissance de l'information et tirer nos propres conclusions.

Mme Micheal Vonn: Je ferai observer qu'il s'agit ici de recherche médicale et que dans ce domaine nous cherchons traditionnellement à concilier deux choses: le respect de certaines normes d'éthique sous la supervision d'un comité d'éthique et le consentement éclairé de tous les participants.

Je suis préoccupée par le fait que cette situation est considérée en quelque sorte isolément, indépendamment des autres. Je vais vous parler rapidement de mon expérience dans le domaine de la séropositivité et du SIDA. C'est dans ce domaine que je travaille.

Je ne suis pas absolument convaincue de la validité de l'argument selon lequel nous avons affaire ici à des personnes qui sont dans une situation désespérée et dont les capacités de raisonnement sont en quelque sort faussées. Nous effectuons des essais cliniques sur des séropositifs, des gens menacés d'une maladie mortelle, dans une situation très angoissante, et nous cherchons à maintenir cet équilibre entre l'éthique et le consentement éclairé.

Du point de vue des défenseurs des libertés civiles, il faut demander un maximum de divulgation de la part des participants. Il faut évidemment question savoir, et je suis bien d'accord là dessus avec ma coprésentatrice, Mona, d'où provient le sperme qui est fourni. À n'en pas douter, la divulgation est un élément clé, sinon le consentement n'est pas éclairé.

• 1430

J'ai exposé dans mon mémoire, par exemple, ce qui détermine le retrait du consentement. Lorsque nous nous penchons sur ces questions absolument fondamentales, c'est en prenant soin des détails et en maintenant un certain équilibre que, comme dans tous les domaines de la recherche médicale, nous obtiendrons les meilleurs résultats, à mon avis.

La présidente: Merci, madame Wasylycia-Leis.

Madame Sgro.

Mme Judy Sgro: Merci.

Madame Vonn, vous avez évoqué les problèmes posés par le droit pénal et les difficultés que pose une loi extrêmement complexe et difficile comme celle-ci, et le fait que nous voulons nous donner bonne conscience en recourant au droit pénal. Au moins, nous savons que nous avons fait le maximum—je parle pour moi—et que nous allons au moins disposer d'une réglementation qui aura du mordant parce que, contrairement à ce qui semble être le cas, de toute évidence, pour d'autres personnes ici présentes, je n'ai pas une grande confiance dans les organismes de réglementation.

Je considère donc que lorsqu'on est en présence d'un texte législatif délicat, on peut toujours l'incorporer à notre système de droit pénal. Il en acquiert plus de force. Cela montre que notre gouvernement veut vraiment protéger notre population tout en laissant à la science la possibilité de se développer.

Avez-vous une longue expérience des organismes de réglementation qui vous fait dire, en toute confiance, que cet organisme de réglementation serait en mesure de faire appliquer la loi?

Mme Micheal Vonn: D'après moi—et je dois dire que je n'ai pas une grande expérience de la question dans ma vie personnelle, puisque je ne suis qu'une étudiante en droit et une avocate familiarisée avec ces organismes—un organisme de réglementation a précisément les pouvoirs que lui confère la loi. Je crois savoir, après avoir lu le compte rendu des interventions ultérieures, parce qu'il s'agit là d'un sujet bien particulier, que le modèle qui a été proposé à maintes reprises est celui du Royaume-Uni, et je ne me souviens pas qu'un témoin ait pu dire qu'un tel organisme de réglementation n'aurait aucun mordant.

Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, les organismes de réglementation ont à leur disposition tout un éventail de sanctions. Ce que veut faire comprendre notre association, je pense, c'est qu'il y a ici toute une gamme d'activités qui doivent être contrôlées et que les sanctions pénales ne se justifient pas dans tous les cas. C'est donc possible et nous considérons que l'organisme de réglementation aura effectivement du mordant à condition que la loi d'habilitation lui confère suffisamment de pouvoirs.

Mme Judy Sgro: Vous êtes davantage confiante que moi.

Madame Greenbaum, dans nombre d'interventions qui nous ont été présentées, on s'est efforcé de faire passer en premier les intérêts de l'enfant lorsqu'un couple veut avoir des enfants. Compte tenu de ce que vous savez... et je pense que nous tentons ici une chose qui est censée aider les familles traditionnelles—un homme, une femme, un enfant—c'est ainsi que la chose se présente dans la plupart des interventions qui nous sont faites. C'est presque comme si nous allions créer une famille en permettant à un enfant d'arriver au sein du couple.

Toutefois, vous évoquez des problèmes tout à fait différents aujourd'hui parce que vous nous lancez sur des pistes tout à fait nouvelles. Il est évident que ce n'est pas votre point de vue et qu'en nous lançant dans ce genre d'activité nous ne devons pas chercher à recréer le modèle, ou du moins ce que nous croyons ou ce que nous avons cru être le modèle, de l'unité familiale.

Quel âge ont les enfants que vous élevez et n'avez-vous pas éprouvé de grosses difficultés sur certains points?

Mme Mona Greenbaum: Il faut dire que nos enfants sont jeunes. L'aîné a trois ans et demi et le plus jeune tout juste deux ans. Toutefois, je suis par ailleurs coordonnatrice d'une assez grande association, qui compte des centaines de famille, et j'ai vu des enfants de tous les âges. Je dois dire qu'au Québec—il n'en va peut-être pas de même dans de plus petites localités où dans des régions différentes du monde—il est indéniable que nos familles se débrouillent très bien. En plus de toutes les recherches qui ont été faites et qui montrent que nos familles et nos enfants s'en sortent très bien, mon expérience personnelle me fait dire que nos enfants réussissent bien et ne rencontrent pas de gros problèmes. Mes propres enfants sont jeunes et ils s'en sortent très bien.

• 1435

Ce n'est qu'au cours des dix dernières années que les lesbiennes ont entrepris au Canada d'avoir leur propre famille, de sorte que la chose est relativement nouvelle. Aux États-Unis, toutefois, il y a des dizaines d'années que cela se fait. Il y a tout un corps de recherches, sur de longues périodes, qui démontrent que les enfants s'en tirent très bien. On s'est penché sur leur développement psychologique et affectif, sur leur orientation sexuelle, sur leur identification à leur sexe, sur toutes sortes de chose. Nos enfants n'ont aucun problème. Ils n'ont pas à affronter d'immenses préjugés. En ce qui me concerne, cela s'apparente à la situation des enfants d'autres races qui sont élevés dans notre pays... vous savez, il y a du racisme dans notre culture.

C'est donc parfois difficile, bien sûr, mais nos enfants s'en sortent bien. Nous leur donnons les moyens d'affronter l'homophobie lorsqu'elle se présente, mais j'ai parlé à bien des femmes, j'ai vu bien des familles et j'ai grandement confiance.

Je dois insister sur le fait que nous sommes venus évoquer ici une question de santé. Que nous ayons accès ou non aux cliniques de fécondité, nous allons continuer à avoir des familles, et plus nous serons écartées du régime général, plus notre santé sera en danger. Souvent, d'ailleurs, c'est un risque qu'on ne connaît pas. Nombre de femmes ne savent pas qu'en demandant à un ami un don de sperme, elles mettent en danger leur avenir et celui de leur enfant. Elles n'en ont tout simplement pas conscience. Nous craignons qu'à un moment donné une femme contracte une maladie, que ce soit le SIDA ou une autre maladie transmise sexuellement.

Il est donc important pour nous d'avoir accès au même réseau que toutes les autres femmes.

Mme Gwendolyn Landolt: Madame la présidente, puis-je faire un commentaire?

La présidente: Nous avons en fait dépassé le temps qui nous était imparti mais, si vous pouvez le faire en 30 secondes, allez-y.

Mme Gwendolyn Landolt: Une étude de suivi a été faite par Statistique Canada sur 23 000 enfants et l'on a constaté que c'est de loin les enfants qui vivaient avec leur père et leur mère qui s'en sortaient le mieux. De même, en avril de cette année, l'American pediatric journal nous a révélé que les enfants élevés par des parents de même sexe ne se débrouillaient pas aussi bien.

Il y a donc tout un corps de recherche qui contredit cette affirmation et je tenais à ce que ce soit dit. Prenons Statistique Canada, qui n'a certainement pas de préjugé... les enfants qui vivent avec leur père et leur mère s'en sortent mieux que tous les autres.

Je vous remercie.

Mme Mona Greenbaum: Je ne savais pas que Statistique Canada faisait des recherches. Je croyais que ce ministère faisait des enquêtes.

Il y a aussi tout un corps de recherches provenant de l'American Psychological Association—j'ai toute une bibliographie ici et je peux faire des photocopies pour les gens qui s'intéressent à la question—et des chercheurs éminents nous disent, dans des revues prestigieuses...

La présidente: Je dois vous arrêter ici. Il est évident qu'il y a tout un corps de recherche appuyant chacune de vos thèses et je ne crois pas que nous allons résoudre la question ici.

Mme Mona Greenbaum: Je n'en reste pas moins convaincue qu'il s'agit là d'une question de santé, que l'on soit pour ou contre la famille traditionnelle.

La présidente: Très bien, madame Greenbaum.

Monsieur Lunney veut poser rapidement une question, à laquelle j'espère qu'on donnera une courte réponse. Comme il n'y a plus d'autres noms sur la liste, nous lèverons ensuite la séance.

Monsieur Lunney.

M. James Lunney: Merci, madame la présidente.

J'aimerais revenir sur ce qu'a dit tout à l'heure le Dr Shea au sujet de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, notamment en ce qui a trait à la recherche sur les cellules germinales, qui pose des problèmes du point de vue de l'eugénisme. Pourriez-vous nous préciser un peu ce que vous entendez par là? Est-ce que vous avez peur qu'en utilisant des cellules souches embryonnaires pour les besoins de la recherche on relance les expériences relevant de l'eugénisme?

Dr John Shea: Oui, effectivement. C'est probablement...

J'étais président de l'ultrasound society of Toronto and Hamilton et, pendant 30 ans, j'ai fait des études sur les ultrasons auxquels les médecins avaient recours pour tuer des enfants jugés défectueux. Parfois, ils se trompaient.

L'envers de la médaille, c'est ce que j'appelle la grande braderie—en l'occurrence, on va s'efforcer de se procurer l'enfant parfait. J'ai téléchargé des données à partir d'Internet, qui émanent d'un groupe de personnes de San Francisco qui ont monté une association de gens qui se jugent supérieurs sur le plan intellectuel et autre, et qui ont décidé d'accélérer l'évolution. L'évolution est trop lente à leur goût. Ils se jugent supérieurs. Ils savent qu'il y a d'autres groupes qui vont s'opposer à eux. Ils savent que tout le monde sera contre eux, mais ils n'en ont cure.

C'est donc ce qui nous attend. C'est déjà là. L'eugénisme, la politique d'Hitler, la race des maîtres—c'est en cours et ça va prendre de l'importance.

• 1440

La présidente: Je remercie le Dr Lunney et le Dr Shea.

Merci à tous nos témoins. Nous vous remercions, non seulement pour le travail que vous avez fait pour préparer cette réunion, mais aussi pour celui que vous menez depuis des années sur cette question et sur d'autres sujets qui s'y rattachent. Merci de nous avoir fait partager vos connaissances. Nos attachés de recherche vous contacteront éventuellement pour vous demander des renseignements complémentaires. J'espère que vous n'y voyez pas d'inconvénient. Dans l'intervalle, nous tiendrons compte de vos observations lorsque nous rédigerons notre rapport.

La séance est levée.

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