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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS

COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 24 février 2000

• 1547

[Traduction]

Le vice-président (M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.)): À l'ordre! La séance est ouverte.

Je souhaite la bienvenue à nos témoins: M. Vincent Westwick, avocat général, Service de police régional d'Ottawa—Carleton; la chef Christine Silverberg, Service de police de Galgary; et de l'Université de Montréal, le professeur Jean Trépanier.

Selon notre pratique habituelle, chaque témoin dispose d'environ 10 minutes pour faire ses remarques liminaires. Je ne suis pas à la minute près; alors ne vous inquiétez pas. Lorsque vous me verrez faire ceci, ce n'est pas que je tente de m'envoler, mais plutôt que votre temps est presque écoulé.

Il y aura ensuite une période de questions. Nous aimons avoir le plus de temps possible pour les questions, et c'est pourquoi nous vous demandons de vous en tenir à 10 minutes pour votre déclaration d'ouverture.

Qui aimerait commencer? Les dames d'abord? Je suis de la vieille école.

Chef Christine Silverberg (membre, Comité des modifications aux lois, Association canadienne des chefs de police): M. Westwick commencera.

Le vice-président (M. Ivan Grose): D'accord. J'aurai au moins essayé.

Chef Christine Silverberg: Merci beaucoup.

Le vice-président (M. Ivan Grose): Monsieur Trépanier, cela vous va?

M. Jean Trépanier (professeur adjoint, École de criminologie et Centre international de criminologie comparée, Université de Montréal): Tout à fait.

Le vice-président (M. Ivan Grose): Allez-y dès que vous serez prêt, monsieur Westwick.

M. Vincent Westwick (vice-président, Comité des modifications aux lois, Association canadienne des chefs de police): Merci, monsieur le président.

Comme vous l'avez indiqué, je m'appelle Vincent Westwick. Je suis ici à titre de vice-président du Comité des modifications aux lois de l'Association canadienne des chefs de police. Je suis heureux d'être accompagné aujourd'hui de Mme Christine Silverberg, chef du Service de police de Calgary, membre du conseil d'administration de l'ACCP et membre de longue date du Comité des modifications aux lois.

Si vous le permettez, monsieur le président, j'aimerais aussi vous présenter Gina Jelmini. Elle est stagiaire en droit à notre bureau et a contribué à la rédaction de notre mémoire. Elle est aussi membre de la Gendarmerie royale du Canada.

Pour commencer, j'aimerais vous transmettre les salutations de la présidente du Comité des modifications aux lois, Gwen Boniface, commissaire de la Police provinciale de l'Ontario, qui a témoigné devant votre comité à plusieurs reprises, surtout en matière de justice pour les adolescents. Elle n'a pu être présente aujourd'hui, mais elle vous transmet ses salutations.

Nous vous avons déjà envoyé notre mémoire. J'espère qu'il a été mis à la disposition des membres du comité dans les deux langues officielles.

• 1550

Avant de demander à la chef Silverberg de commenter le projet de loi, je tiens à souligner, si vous me le permettez, que l'ACCP a soutenu le processus qui nous a menés ici aujourd'hui. Plus particulièrement, nous avons appuyé le processus en deux étapes proposé par l'honorable Allan Rock, ministre de la Justice de l'époque.

La première phase, si j'ai bien compris, nous a permis de combler les lacunes de la Loi sur les jeunes contrevenants par le biais du projet de loi C-37 adopté il y a quelques années, en 1994 ou 1995, si je ne m'abuse.

La deuxième étape est celle de l'examen exhaustif des questions relatives à la justice pour les jeunes qui a été mené par votre comité et son ancienne présidente, feue Shaughnessy Cohen. Nous applaudissons à son travail ainsi qu'à celui des autres membres du comité à ce chapitre.

Chef Silverberg.

Chef Christine Silverberg: Bonjour.

L'Association canadienne des chefs de police participe à l'élaboration de la législation concernant la justice pour les jeunes au Canada depuis bien des années. Depuis qu'a été créé par une loi le premier système de justice pénale pour les adolescents, bon nombre d'observations, de critiques et de louanges ont été formulées au sujet du traitement que réserve le système judiciaire du Canada aux adolescents qui s'adonnent à des activités criminelles.

Certains membres de la société canadienne préconisent l'indulgence, le traitement, la réadaptation et une approche compatissante et coopérative pour les jeunes contrevenants. Toutefois, bien d'autres exigent punition, vengeance et justice pour la victime, quelles que soient les solutions au comportement criminel et la nécessité d'adopter des approches plus holistiques.

Ce qui est clair, c'est qu'on se demande depuis longtemps quel est le meilleur système de justice juvénile, un système qui trouve l'équilibre entre ce qui est juste pour le contrevenant, la victime et la collectivité. Ce qui est tout aussi clair, c'est que les réponses à cette question font l'objet d'un débat de longue date. De plus, les questions relatives à la justice pour les adolescents constituent une source importante de frustration pour les policiers.

Nous savons que les questions de justice juvénile sont complexes, qu'elles résistent aux solutions simples, et nous applaudissons aux efforts multidisciplinaires qui ont été déployés en vue de réduire la violence et la criminalité juvéniles, mais les questions de justice juvénile sont extrêmement importantes pour deux grandes raisons.

Premièrement, la criminalité juvénile préoccupe grandement les collectivités et les Canadiens de tout le pays. Deuxièmement, l'intervention communautaire et policière en matière de criminalité juvénile est, à notre avis, la dernière chance qu'a la société d'intervenir en vue de réadapter l'adolescent et en même temps de prévenir et de réduire la criminalité chez les adultes.

Toutefois, nous ne devons pas perdre de vue dans la forêt de statistiques et d'analyses théoriques l'aspect et le coût humains de la criminalité juvénile. Comme tout crime, le comportement criminel des adolescents, surtout le comportement criminel avec violence, contribue aux malaises et aux préoccupations de tous les membres de la collectivité concernant leur sécurité personnelle, celle de leurs familles et celle de leurs biens.

Nous, les policiers, en voyons les résultats sur le terrain. Nous nous sommes engagés avec passion à contribuer à la qualité de vie des gens que nous desservons. Pour que les Canadiens aient le sentiment de vivre dans les meilleures localités du Canada, ils doivent être convaincus de pouvoir aller au travail et en revenir sans courir de risque personnel. Pour pouvoir réussir, nos enfants doivent pouvoir apprendre et jouer dans des lieux sûrs, et les adolescents ont besoin de soins, de soutien et d'aide tout au long de leur croissance.

À notre avis, si nous permettons qu'il en soit autrement, nos collectivités ne sauront s'épanouir et nous aurons laissé tomber notre jeunesse, ce qui équivaut, en dernière analyse, à laisser tomber notre propre avenir.

Une longue réflexion a manifestement mené à l'enchâssement de ces principes dans la nouvelle Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Comme la police, je crois, les législateurs sont profondément conscients de la nécessité de corriger ces problèmes très complexes qui font que 25 p. 100 de tous les crimes commis au Canada le sont par des adolescents.

Nous applaudissons aux efforts déployés dans cette loi afin de maintenir les valeurs canadiennes de responsabilité, de responsabilisation, de respect et de justice, et de protéger le public grâce à la prévention du crime, à des perspectives positives pour toute la gamme des crimes commis par les jeunes, et à la réadaptation afin que les adolescents puissent refaire leur vie.

En dépit de ces objectifs louables et du cadre législatif, l'Association canadienne des chefs de police estime qu'on pourrait améliorer la loi afin qu'il soit plus facile, pour la police, de l'appliquer. Nous avons toujours été d'avis que l'objectif premier de la justice juvénile devrait être de prévoir une conséquence grave à tout crime grave commis par un adolescent.

• 1555

Le deuxième objectif, qui est plus complexe, c'est de veiller à une intervention proportionnelle au crime et visant la réadaptation, mettant à contribution la collectivité lorsque c'est indiqué, et qui reconnaisse la complexité de la criminalité juvénile, ses causes, ses conséquences et ses effets.

Les deux objectifs sont importants, mais le deuxième est plus difficile à comprendre et à mettre en oeuvre. L'Association canadienne des chefs de police reconnaît aussi que ces deux objectifs sont parfois difficiles à concilier, ce qui rendrait difficile l'élaboration de mesures législatives à ce sujet.

Nous tenons à ce qu'il soit bien clair que l'ACCP appuie le projet de loi C-3. Ce projet de loi constitue une amélioration par rapport à la Loi sur les jeunes contrevenants. Mais en dépit de notre appui général il reste cinq questions, abordées dans le projet de loi, qui, à notre sens, méritent un examen plus approfondi. Nos préoccupations ne nous empêchent pas d'appuyer les approches adoptées dans le projet de loi et ses principes fondamentaux; elles portent plutôt sur les difficultés pratiques qu'entraînera la mise en oeuvre du projet de loi au quotidien.

Je cède maintenant la parole de nouveau à Vince Westwick, vice-président du comité législatif, qui vous décrira nos principales préoccupations ainsi que nos réserves quant à la forme du projet de loi.

M. Vincent Westwick: Je serai bref, mais je tiens à mettre en relief certaines de nos préoccupations. Elles figurent dans notre mémoire, et vous pourrez donc les lire, mais j'aimerais quand même les commenter.

Nous aimerions aborder cinq grandes questions. Premièrement, le projet loi est extrêmement complexe. Deuxièmement, le concept d'un procès dans les meilleurs délais n'est pas prévu. Troisièmement, le cadre législatif est lacunaire en ce qui concerne les contrevenants de moins de 12 ans. Quatrièmement, la portée et la définition des infractions désignées nous semblent problématiques. La cinquième et dernière question est celle des déclarations faites par les adolescents. Je ferai quelques brefs remarques sur chacune de ces questions.

Nous, de l'ACCP, avons témoigné devant votre comité à maintes reprises et avons toujours fait remarquer que le projet de loi dont vous étiez saisis était trop complexe. Ce n'est pas que nous croyons que les agents de police ne puissent s'occuper de questions complexes, mais c'est plutôt que cette loi, qui comporte 196 articles, en remplace une autre qui n'en compte que 70. On demande aux policiers de faire des distinctions subtiles dans leur interprétation de la loi et on s'attend à ce que cela mène à une application uniforme de la loi. Notre mémoire vous donne des exemples plus précis de cette complexité qui nous apparaît inutile.

Le concept du procès rapide est des plus importants. Nous l'avons déjà fait valoir à au moins deux autres occasions devant votre comité, ainsi qu'au ministère de la Justice pendant les consultations. La façon la plus simple de vous expliquer pourquoi le procès rapide nous semble si important est de vous donner un exemple personnel.

J'ai trois adolescents. Si l'un d'eux rentre à la maison le samedi soir après son couvre-feu, je ne lui dirai pas: «Tu devras venir me voir dans le salon dimanche après-midi; à ce moment-là, nous fixerons la date à laquelle nous discuterons de la conséquence de ton retard de ce soir.» Cela peut vous faire sourire, mais c'est ce que la loi dit aux adolescents. Nous appuyons le concept selon lequel les conséquences auxquelles les jeunes contrevenants font face doivent être significatives, mais pour que tel soit le cas, les conséquences doivent être imposées dans les meilleurs délais.

Nous réclamons donc une disposition qui exigerait que le procès commence dans les 60 jours, à moins d'une ordonnance contraire d'un juge du tribunal de la jeunesse.

Le cadre législatif est lacunaire, en ce sens que nous reconnaissons que la protection de la jeunesse est de compétence provinciale. Nous comprenons aussi que, du point de vue statistique, peu de crimes graves sont commis par des enfants de moins de 12 ans. Toutefois, à l'heure actuelle, ce genre de situation se produit, et nous estimons qu'on devrait la prévoir. La ministre fédérale de la Justice a ici l'occasion de faire preuve de leadership et de combler cette lacune législative; je crois savoir, d'après des discussions que j'ai eues avec des représentants du ministère de la Justice, qu'on fait des efforts dans ce sens actuellement.

Notre opinion concernant les infractions désignées est bien arrêtée. Nous sommes d'avis que le concept des infractions désignées est mieux que les dispositions sur le renvoi figurant actuellement dans la Loi sur les jeunes contrevenants. Toutefois, nous ne voyons pas ce qui justifie qu'on limite l'application de ces dispositions aux adolescents de plus de 14 ans.

• 1600

Nous ne pouvons non plus appuyer le concept d'infraction grave avec violence, compris dans la définition, car, à notre sens, il est impossible de faire la distinction entre une infraction grave avec violence et une infraction avec violence, qui fait nécessairement partie de la définition d'infraction désignée.

Enfin, et c'est peut-être la plus importante préoccupation pratique des policiers, nous voulons aborder la question des déclarations, les aveux, que font les jeunes contrevenants aux policiers. À l'heure actuelle, aux termes de l'article 56 de la Loi sur les jeunes contrevenants, cette pratique s'accompagne d'importantes complications et subtilités. J'ai pris l'initiative de joindre à notre mémoire un exemplaire du formulaire de déclaration de la police régionale d'Ottawa—Carleton, formulaire de huit pages. Pour, essentiellement, accepter la responsabilité de ses actes, le jeune contrevenant doit remplir ce formulaire avec un policier. Cela nous apparaît trop compliqué.

Nous demandons qu'on supprime ces articles du projet de loi—nous vous précisons lesquels dans notre mémoire—et qu'on invoque tout simplement le common law. Nous proposons aussi—c'est peut-être plus important, et nous espérons que votre comité y réfléchira—la création d'un formulaire de déclaration prévu par la loi. Ce formulaire ferait partie intégrante de la loi et servirait de guide pour les policiers qui veulent obtenir une déclaration admissible en cour.

Pour conclure, les questions de justice juvénile sont très importantes. Nous avons saisi toutes les occasions qui nous étaient offertes de venir témoigner devant votre comité et de participer aux consultations menées par le gouvernement sur cette loi des plus importantes. Nous estimons que les collectivités canadiennes doivent être protégées contre la criminalité juvénile, et que le système doit saisir toutes les occasions possibles d'empêcher les adolescents de devenir des criminels adultes.

Nous remercions le comité de nous avoir invités à témoigner de nouveau, et nous serons heureux de répondre à vos questions.

Chef Christine Silverberg: J'ajouterai une dernière remarque sur nos préoccupations concernant la forme du projet de loi; elles sont dans notre mémoire. Je ne les passerai pas en revue, mais elles portent sur des questions telles que la possibilité, pour la police, de conserver des dossiers sur les avertissements et les mises en garde. C'est une question que la police soulève depuis bien des années—relativement à l'examen préalable à l'inculpation notamment—et si vous avez des questions là-dessus, nous serons ravis d'y répondre.

Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, madame Silverberg.

Monsieur Trépanier.

M. Jean Trépanier: Merci, monsieur le président.

J'indique aux membres anglophones du comité que j'ai terminé de rédiger mon mémoire hier soir seulement; je n'ai donc pu le faire traduire en anglais. Il fallait tout de même que je dorme un peu pendant la nuit; j'en suis désolé. J'ai néanmoins cru préférable de l'envoyer par courriel à M. Préfontaine en français afin que vous ayez au moins la version française.

[Français]

Comme vous pourrez le constater à la lecture de mon mémoire, ma position se résume essentiellement au fait qu'il ne m'apparaît pas qu'une nouvelle loi soit nécessaire dans le contexte actuel. Je diverge ici d'opinion avec les deux collègues ici présents qui viennent d'exprimer leur point de vue et je vous en expliquerai les raisons.

Tout d'abord, lorsqu'on regarde les données de Statistique Canada, on s'aperçoit que la délinquance des jeunes au Canada est en diminution depuis 1992 et que la délinquance comportant de la violence contre la personne est en diminution depuis 1995. Il ne semble donc pas y avoir péril en la demeure à cet égard.

Comme on l'a évoqué ce matin, le problème évident, que je comprends parfaitement, c'est qu'il y a des problèmes de perception dans la population. Cette dernière croit, à tort, que la délinquance est en augmentation. Elle est très mal informée de ce qui se passe en matière de justice des mineurs, et les sondages qui sont faits reflètent forcément cette réalité. Je ne reviendrai pas là-dessus puisque cela a été longuement évoqué ce matin.

Je voudrais tout simplement ajouter sur ce point qu'il me semble qu'en raison de la pénétration de plus en plus grande des médias américains dans les foyers au Canada, il y a une américanisation des perceptions de la délinquance. À force de regarder la télévision américaine, les gens s'imaginent que la délinquance au Canada correspond à celle qu'on voit à la télévision américaine. Je dirais qu'il y a également une américanisation des perceptions de la manière dont on devrait réagir à la délinquance.

• 1605

Cela me semble poser problème précisément parce que l'orientation qui est donnée au projet de loi C-3 va tout à fait dans le sens de certaines réformes qui ont été faites dans les années 1990 aux États-Unis. On dirait que cette américanisation des perceptions amène le Canada à américaniser même la justice des mineurs. Les États-Unis, il ne faut pas l'oublier, ne suivent pas à cet égard un courant qui est suivi dans les autres pays du monde. Ils sont l'un des deux seuls pays à ne pas avoir signé la Convention internationale des droits de l'enfant. Ne l'oublions pas.

La Loi sur les jeunes contrevenants me semble être en mesure d'atteindre les principaux objectifs qui sont fixés. Je vois que, parmi les principaux objectifs qui ont été énoncés par la ministre de la Justice, il y a le désir d'accroître le recours à des sanctions autres que judiciaires, ainsi que le désir de réduire le recours à la mise sous garde.

Or, si on regarde les pratiques qui ont cours au Québec, et je ne veux pas citer le Québec en exemple de façon particulière, on constate tout simplement qu'au Québec, avec la loi actuelle, on recourt à la judiciarisation beaucoup moins que partout ailleurs au Canada et qu'on recourt à la mise sous garde également beaucoup moins que partout ailleurs au Canada. Cela n'empêche pas le Québec d'avoir un des taux de criminalité les plus bas au Canada.

Donc, il y a moyen de gérer ces situations avec la loi actuelle. En fait, il me semble que les vrais problèmes de la justice des mineurs résident beaucoup plus dans l'application de la loi que dans la loi elle-même. On peut penser, par exemple, au problème des délais. Dans une recherche que nous avons faite dans trois villes au Québec, Valleyfield, Montréal et Joliette, nous avons constaté que le délai moyen—et quand on parle de délai moyen, ça veut dire qu'il y en a des plus courts, mais aussi des plus longs—qui s'écoulait entre le jour où l'infraction était commise par un jeune et le jour où le juge rendait une décision à son sujet était de cinq mois à Joliette, de six mois à Montréal et de neuf mois à Valleyfield.

Quand on dit à un jeune qu'il a commis une infraction il y a neuf mois et qu'on va maintenant lui imposer une mesure, il a eu le temps de rationaliser, de refaire dans son esprit toute une nouvelle histoire, de sorte que la mesure perd son sens. Il y a là un problème, mais c'est un problème d'application de la loi. Ce n'est pas un problème que l'on peut régler dans la loi elle-même.

Je vais vous donner un autre exemple. La même recherche nous a permis de nous apercevoir que les parents étaient absents lors des séances du tribunal. Ils étaient absents totalement, le père et la mère, dans 50 p. 100 des cas dans le processus qui menait à la déclaration de culpabilité. Ils étaient également absents dans un cas sur deux lors de la séance très importante où le juge impose la mesure. On s'est demandé pourquoi il en était ainsi.

Lors des audiences du comité Jasmin, on a rencontré des parents. On leur a demandé pourquoi ils n'étaient pas venus au tribunal. Ils nous ont expliqué que, d'une part, venir au tribunal était évidemment une occasion traumatisante pour eux. Bien sûr, c'est pour eux la consécration de leur échec comme éducateurs. Mais ils ont aussi expliqué qu'ils se sentaient souvent traités comme des accusés plutôt que comme des parents. Ils mentionnaient particulièrement les procureurs de la Couronne et disaient qu'on ne les traitait pas avec suffisamment de respect. On ne les traitait pas comme des personnes qui étaient responsables de l'éducation de leurs enfants, mais plutôt comme des personnes qui étaient responsables des problèmes de leurs enfants.

En discutant avec les parents, on a constaté qu'il fallait plutôt les traiter comme des collaborateurs, quitte à leur donner l'appui dont ils ont souvent besoin, et que ce n'est pas en tentant de punir les parents ou en utilisant la répression à leur endroit qu'on pouvait régler ces problèmes.

• 1610

Donc, il y a des problèmes au niveau de l'application de la loi parce que ce qui est en cause, ce sont les attitudes des gens qui interagissent avec les parents eux-mêmes. On ne peut pas légiférer les attitudes des personnes.

Malgré tout, même si on dit que la loi actuelle peut bien faire le travail, on peut se demander si une autre loi ne pourrait pas le faire encore mieux. Il va sans dire que si une autre loi peut le faire encore mieux, on dira qu'il faut appuyer cette meilleure loi.

Le problème ici, c'est que le projet de loi C-3, à mes yeux, n'est pas une meilleure loi que la Loi sur les jeunes contrevenants. C'est tout le contraire. Tout d'abord, les mesures que l'on veut imposer me semblent beaucoup plus centrées sur l'infraction et beaucoup moins centrées sur le jeune. À cet égard, nous pourrions passer en revue, par exemple, les différents facteurs que le juge doit considérer aux articles 37 et 38 du projet de loi, où on indique les principes, les objectifs et les facteurs que le juge doit prendre en considération.

En regardant cette liste, on s'aperçoit que le juge doit prendre en considération d'abord et avant tout diverses facettes de la situation qui entoure l'infraction commise par le jeune. Comment les juges vont-ils réagir quand ils vont tomber devant ces deux pages? Ils vont dire qu'on leur a envoyé un message fort. Même si on mentionne en deux lignes la réadaptation, la réhabilitation et la réinsertion sociale du jeune, comme partout ailleurs, on parle d'abord et avant tout de l'infraction. On leur dit qu'ils doivent tenir compte d'abord et avant tout de l'infraction, et beaucoup moins du jeune, alors que la loi actuelle leur permet de donner un poids nettement plus considérable au jeune. Ça me semble un recul.

Ce recul, soit dit en passant, vient en contravention avec certains engagements internationaux du Canada. Notamment, quand on regarde la signification que donne la Convention internationale des droits de l'enfant et les règles de Beijing au principe de la proportionnalité, on voit que dans ces instruments internationaux, ce principe de la proportionnalité est conçu de manière à tenir compte de la situation du jeune. Donc, c'est une manière d'adapter le principe de la proportionnalité à la justice des mineurs, alors que le projet de loi utilise le principe de la proportionnalité dans le sens traditionnel où on l'entend en droit pénal, c'est-à-dire the punishment must fit the crime. Plus l'infraction est grave, plus la peine doit être sévère, et moins l'infraction est grave, moins la peine doit être sévère. Donc, il y a là un problème qui touche la question des engagements internationaux du Canada.

On voit à divers signes que l'approche est nettement plus punitive. Il y a notamment une expression utilisée en français pour parler de l'imposition des mesures. On parle d'infliger des peines. On nous a dit que c'était un problème de traduction. Mais, quelle que soit l'origine de l'utilisation de l'expression, il reste qu'elle est présente dans le projet de loi. On ne peut pas trouver de message plus clair à passer aux juges pour leur dire qu'ils devraient punir les jeunes plutôt que de penser en termes de réadaptation. On leur dit qu'ils doivent infliger des peines aux jeunes. Ce sont les expressions qui sont employées dans le projet de loi.

On veut tenir les jeunes responsables de leurs actes, et je suis tout à fait d'accord sur cela, mais la responsabilité pourrait passer par la réparation. Le problème, voyez-vous, c'est que toute la logique et l'esprit du projet de loi sont d'abord et avant tout en termes de punition. On veut faire porter aux jeunes la responsabilité de leurs actes en les punissant plutôt qu'en les amenant à réparer. Quand on connaît le moindrement ce que l'on appelle la justice réparatrice ou restorative justice, on s'aperçoit que ce n'est pas du tout ce modèle qui a été retenu.

On veut aussi rendre la justice des mineurs plus semblable à celle des adultes en ayant recours à des automatismes. Il y a par exemple l'ordonnance de garde et surveillance. On dit que de façon automatique, après les deux premiers tiers de l'ordonnance, le jeune cessera d'être sous garde et sera mis en surveillance dans la collectivité.

• 1615

Si on avait véritablement voulu favoriser la réinsertion sociale des jeunes en faisant une phase de transition entre la période de garde et la fin de l'ordonnance, on n'aurait pas dit que cette phase doit automatiquement commencer à 66 et 2/3 p. 100 de l'ordonnance. On aurait dit qu'on évalue l'évolution du jeune et qu'on juge, dans chaque cas individuel, à quel moment le jeune est prêt à retourner dans la collectivité. Ce n'est pas avec des automatismes tels qu'un tiers ou deux tiers qu'on peut atteindre cet objectif de réinsertion sociale. Cela exige des décisions individualisées. Cela m'apparaît une simple application du régime que l'on connaît chez les adultes, où les adultes peuvent, après le deuxième tiers de leur sentence, retourner dans la collectivité. C'est une simple application du modèle des adultes.

Évidemment, on pourrait aussi dire que le projet de loi veut augmenter le nombre de sentences d'adultes. À cet égard, on peut voir que le fait d'étendre la présomption de sentence pour adultes aux adolescents de 14 et 15 ans traduit deux choses. Cela traduit premièrement le désir d'accroître le nombre de peines pour adultes, mais aussi, et surtout, ça passe un message. On laisse entendre qu'aux yeux du Parlement du Canada, la sentence normale à imposer à un adolescent de 14 ans qui est accusé d'une infraction très grave est une peine d'adultes. À mes yeux, cela n'est pas acceptable dans un pays civilisé.

De plus, le durcissement des politiques n'est pas efficace. On a pu le voir notamment aux États-Unis. Des évaluations ont été faites dans deux États américains, l'État de New York et l'État de l'Idaho, où on a eu recours à ce durcissement, notamment en envoyant plus de jeunes dans les réseaux pour adultes. Dans un cas comme dans l'autre, ce durcissement n'a en rien diminué la délinquance violente des jeunes. Au contraire, dans l'Idaho, la délinquance des jeunes a augmenté après l'introduction de ces mesures plutôt que de diminuer. Donc, de telles mesures ne favorisent pas la protection de la société.

Puisque le temps est écoulé, monsieur le président, je m'arrête là. Nous pourrons peut-être partager d'autres observations plus tard au cours de la séance. Je vous remercie.

[Traduction]

Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, monsieur Trépanier.

Nous passons aux questions. Monsieur Cadman, vous avez 11 minutes.

Comme vous pouvez le voir, les lumières clignotent et la sonnerie se fait entendre. Nous jouons ce petit jeu régulièrement. C'est la quatrième fois aujourd'hui. Nous devrons vous quitter momentanément pour rendre un service précieux à notre pays, pour voter sur un sujet certainement des plus importants. Nous reviendrons le plus tôt possible. J'en suis désolé.

Nous avons même commencé en retard parce que nous avions dû aller voter. Nous sommes comme des chiens de Pavlov; nous nous mettons à saliver dès que la cloche se met à sonner.

Nous partirons vers 16 h 40; nous serons absents environ de 20 à 25 minutes. Encore une fois, vous m'en voyez désolé.

M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Réf.): Merci, monsieur le président.

Merci à vous d'être venus. J'espère que cette interruption ne perturbera pas trop nos travaux, même si toute la journée a été ainsi.

Ma question s'adresse à tous les témoins. J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'absence des mots dénonciation et dissuasion dans les principes.

M. Vincent Westwick: Je n'ai pas d'idée bien arrêtée à ce sujet, monsieur Cadman. Cela ne nous a pas frappés, mais je sais que les tribunaux, de plus en plus, font allusion aux déclarations de principes dans leurs jugements et que c'est donc une partie de la loi qu'on ne peut négliger. Les tribunaux font ce genre de remarques et de déclarations tous les jours, sans directives particulières à ce sujet dans le Code criminel. Mais je n'ai pas de point de vue bien arrêté à ce sujet, monsieur.

• 1620

Le vice-président (M. Ivan Grose): Madame Silverberg.

Chef Christine Silverberg: Tout comme Vince, je n'ai pas d'opinion particulière sur ce sujet.

L'une des questions connexes à la dissuasion est celle du procès rapide et des conséquences visibles. C'est une des préoccupations les plus importantes de notre association. C'est essentiel lorsqu'on parle de dissuasion. Les enfants de nos jours, du moins ceux que je vois dans les écoles, croient qu'ils s'en tireront à bon compte s'ils constatent qu'on ne fixe pas même la date de leur procès. La procédure n'a aucun effet dissuasif si les contrevenants ne sont pas traduits rapidement devant les tribunaux. Cela m'apparaît important.

Pour ce qui est des principes du projet de loi, la dissuasion pourrait ou non y être incluse. Nous n'avons pas d'opinion bien arrêtée à ce sujet. Nous ne nous y sommes pas attardés, sauf dans le contexte du procès rapide que nous rattachons à la question de la dissuasion.

M. Jean Trépanier: J'estime que la dissuasion et la dénonciation ne devraient pas figurer dans le projet de loi pour les raisons suivantes.

Premièrement, je suis d'accord avec Mme Silverberg. Malheureusement, les peines imposées aux jeunes contrevenants n'ont aucun effet dissuasif. Les études le prouvent. En fait, c'est compréhensible. Comment les peines imposées par les divers tribunaux de la jeunesse peuvent-elles avoir un effet dissuasif si ces peines restent inconnues? De même, comment peut-on dénoncer le crime avec sérieux si la population n'est pas informée?

Ce n'est pas que les journalistes ne peuvent assister aux délibérations des tribunaux de la jeunesse. La loi actuelle leur permet d'être présents. Il leur suffit simplement de ne pas identifier les jeunes contrevenants. Seulement, les journalistes n'ont pas envie d'être là. Compte tenu du genre d'infractions dont traitent les tribunaux de la jeunesse, aucun journal ne paierait un journaliste à temps plein pour assister à ces audiences, car ils ne trouveraient pas suffisamment matière à manchettes.

Les médias ne parlent pas de ce que font les tribunaux de la jeunesse. Seuls les cas très exceptionnels font la une, de sorte que le public est mal informé des décisions rendues par les juges des tribunaux de la jeunesse. Par conséquent, ces décisions n'ont aucun effet dissuasif, car on ne peut être dissuadé par ce qu'on ne connaît pas. C'est manifestement un problème. Voilà pourquoi j'estime qu'il est préférable de ne parler ni de dissuasion, ni de dénonciation dans le projet de loi; cela ne marcherait pas. Cela peut nous apparaître malheureux, mais c'est ainsi.

M. Chuck Cadman: L'ACCP a parlé des enfants de moins de 12 ans. Vous avez parlé d'une collaboration quelconque. Pourriez-vous nous suggérer une façon d'assujettir les enfants de ce groupe d'âge à la loi? Premièrement, devraient-ils être assujettis à la loi? Dans l'affirmative, auriez-vous une façon à nous suggérer?

M. Vincent Westwick: Nous avons déjà dans le passé suggéré au comité ce que nous appelons une disposition de renvoi. Dans des circonstances exceptionnelles, cet article permettrait au système de justice pour les adolescents de prendre en charge les enfants de moins de 12 ans si c'est indiqué. Le problème, c'est que ce genre de cas est extrêmement rare au Canada, heureusement. Toutefois, si un enfant de moins de 12 ans commettait un crime grave et qu'on ne pouvait invoquer que les dispositions de la protection de la jeunesse, nous pourrions nous retrouver dans une situation embarrassante.

Nous ne nous opposerions pas à un mécanisme de ce genre, qui s'apparente aux dispositions de renvoi prévues actuellement par la LJC.

• 1625

Chef Christine Silverberg: Nous n'en parlons pas dans notre mémoire parce que nous avons déjà abordé cette question dans le passé. Vince s'occupe de cela depuis qu'a été adoptée la Loi sur les jeunes contrevenants. Il nous est apparu inutile d'en reparler. C'est une position qu'a adoptée l'ACCP il y a longtemps.

En revanche, nous nous sommes demandé ce qu'il adviendrait d'un enfant de dix ans qui aurait commis un meurtre en vertu de la nouvelle Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents ou de la Loi sur les jeunes contrevenants s'il relève déjà de la loi provinciale sur la protection de la jeunesse. Qu'arriverait-il en pratique? Cet enfant serait probablement envoyé dans un centre de traitement.

Nous avons soulevé cette question dans le passé. Nous avons décidé de ne pas la soulever de nouveau cette fois-ci, car nous avons adopté cette position il y a longtemps, et elle est bien connue. Nous nous sommes penchés sur l'application pratique de la loi. Nous estimons que le gouvernement fédéral devrait donner l'exemple et tenter de collaborer avec les autorités provinciales de protection de la jeunesse en vue d'intégrer les deux systèmes.

M. Chuck Cadman: Monsieur Trépanier, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Jean Trépanier: Je suis d'accord. J'estime que ces cas relèvent des lois idoines sur la protection de la jeunesse. Je n'irais pas jusqu'à dire que les lois sur la protection de la jeunesse sont suffisantes dans tout le pays à l'heure actuelle. Je ne saurais vous le dire, mais je peux vous dire que cela peut se faire au Québec, et que cela se fait de façon satisfaisante.

On peut bien sûr se demander s'il ne serait pas préférable d'invoquer la Loi sur les jeunes contrevenants ou la loi qui la remplacera. Je répondrais non pour deux raisons.

La question est de savoir si un enfant de 10 ou 11 ans est suffisamment mature pour être assujetti aux lois pénales. La maturité du contrevenant n'a rien à voir avec la gravité de l'infraction. Ce n'est pas parce qu'on vous accuse d'avoir commis le crime le plus grave que vous êtes nécessairement plus mature. Le critère permettant d'établir l'âge auquel commence la responsabilité pénale est indépendant de la gravité de l'infraction.

Deuxièmement, lorsqu'on vous accuse d'un crime grave, vous devez pouvoir choisir un avocat et lui donner des directives afin de vous défendre. Or, un enfant de dix ans ne peut le faire.

Ce sont les deux raisons qui m'amènent à croire qu'il est préférable d'invoquer les lois sur la protection de la jeunesse. Comme l'a dit Mme Silverberg, de toute façon l'enfant se retrouvera dans un centre de traitement quelconque. N'est-il pas plus indiqué de le faire par le biais des lois sur la protection de la jeunesse, à condition qu'elles soient adéquates?

Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, monsieur Cadman.

Monsieur de Savoye, il y a longtemps que j'ai eu l'honneur de siéger avec vous à un comité. Je suis heureux de vous revoir.

[Français]

M. Pierre de Savoye (Portneuf, BQ): Monsieur le président, je vous remercie de cet excellent et chaleureux accueil.

Monsieur Westwick et madame Silverberg, vous avez entendu, tout comme moi, les propos du professeur Trépanier. Je ne vous apprends pas que les propos du professeur Trépanier reflètent un sentiment généralisé au Québec, à savoir que l'actuelle Loi sur les jeunes contrevenants est tout à fait suffisante lorsque couplée à un programme provincial pour assurer la sécurité du public à court, à moyen et à long terme et donner à un enfant les meilleures chances possibles de devenir un citoyen productif dans la société.

Cela dit, ce qui me surprend dans votre mémoire, c'est que vous n'abordiez pas la question qui a été soulevée plusieurs fois par notre députation québécoise et par certains témoins, soit de conserver la loi actuelle plutôt que de mettre en place la nouvelle loi. M. Trépanier a eu l'amabilité de nous indiquer quelques bonifications qui pourraient être apportées à la nouvelle loi si le pire devait arriver, c'est-à-dire si on devait l'adopter, if worse came to worse.

Par ailleurs, d'aucuns ont suggéré de permettre au Québec d'appliquer la loi actuelle si jamais le Parlement adoptait le projet de loi C-3. C'est ce que j'aurais aimé trouver dans votre mémoire.

• 1630

En tant que représentants de l'Association canadienne des chefs de police, vous opposeriez-vous à ce que le Québec continue d'appliquer l'ancienne loi alors que le reste du Canada mettrait en oeuvre la nouvelle loi C-3? Qu'en pensez-vous?

[Traduction]

M. Vincent Westwick: Pour ce qui est de savoir si le Québec devrait pouvoir continuer à appliquer la Loi sur les jeunes contrevenants, nous n'avons adopté aucune position. C'est une question qui outrepasse nos compétences, et nous n'avons pas d'opinion sur le sujet.

M. Pierre de Savoye: Vous ai-je bien compris? Cela ne vous inquiète pas?

M. Vincent Westwick: Non, j'ai dit que nous n'avions adopté aucune position.

M. Pierre de Savoye: Vous n'avez adopté aucune position parce que cela ne vous préoccupe pas, ou parce que vous ne vous êtes pas penchés sur la question?

M. Vincent Westwick: Monsieur de Savoye, vous avez toujours été si gentil avec nous dans le passé, et voilà que vous nous contre-interrogez.

Non. Nous n'avons aucune opinion sur le sujet, point à la ligne.

J'ajouterai seulement que, dans le passé, l'ACCP ne s'est pas jointe aux voix qui réclamaient l'abrogation de la Loi sur les jeunes contrevenants. Nous n'avons jamais préconisé sa révocation.

Je vous rappelle ce que M. Trépanier a dit—c'est une remarque qui m'apparaît importante—à savoir que, quelle que soit la réalité, dans bien des régions du pays, et même dans bien des services de police que nous représentons, la Loi sur les jeunes contrevenants est perçue comme étant très problématique. Qu'elle le soit ou non est une question dont on pourrait débattre. Mais les gens ont l'impression qu'il existe un problème, et, aussi, les policiers connaissent des frustrations lorsqu'ils doivent appliquer la Loi sur les jeunes contrevenants.

À mon avis, ce n'est pas nécessairement une mauvaise idée que de se débarrasser de la loi actuelle pour repartir à zéro et la remplacer par une autre. Cela pourrait avoir des avantages intangibles dont profiteront la police et les collectivités.

J'ignore si cela répond à votre question...

[Français]

M. Pierre de Savoye: Si je vous comprends bien, vous nous dites que, parce que le public a une perception qui n'est peut-être pas tout à fait juste de l'état de la criminalité juvénile, parce que le public a une perception mauvaise d'une situation qui est bien moins mauvaise que ça, vous nous suggérez, à nous qui devons piloter la loi, d'aller dans une direction qui risque de faire plus de mal que de bien pour satisfaire la perception erronée d'un public. Est-ce bien ce que vous êtes en train de me dire, monsieur Westwick?

[Traduction]

Chef Christine Silverberg: Je suis certaine que M. Westwick peut parler en son nom, mais je ne crois pas que cela soit ce que l'Association canadienne des chefs de police dit.

Pour commencer, peu importe la façon dont on considère les statistiques sur la criminalité juvénile, qu'elles soient à la hausse ou à la baisse, il ne faut pas se perdre dans les statistiques. Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'environ le quart de tous les crimes commis au pays sont perpétrés par des adolescents. Il me semble donc qu'il vaut la peine d'accorder un peu d'attention à la criminalité juvénile. Pour ce qui est de la violence qui accompagne ces crimes commis par des adolescents, les gens s'inquiètent si un seul crime avec violence est commis. Il y en a eu. Il y en a eu un tout près de Calgary, à Taber, en Alberta.

Notre association prend donc garde de ne pas se perdre dans les statistiques. La criminalité juvénile a aussi un aspect humain. À notre avis, la perception du public est réelle. Nous le voyons sur le terrain.

La Loi sur les jeunes contrevenants présente certains problèmes pour la police. Le projet de loi règle bon nombre de ces problèmes, mais il en crée d'autres, par exemple tout ce qui touche aux avertissements. Vous savez, vous parlez à un enfant parce qu'il a fait une bêtise; vous lui donnez un avertissement, et alors, quoi? Il s'en va à Edmonton, ou à Ottawa, ou ailleurs, et l'avertissement ne figure nulle part. C'est un problème sérieux pour la police, même si l'adolescent ne quitte pas la ville. Le projet de loi crée donc certaines difficultés, mais il résout d'autres problèmes.

Ce qui importe aussi pour l'ACCP, c'est que ce projet de loi adopte une approche holistique, ce qui sera très bénéfique, car cela permettra notamment le recours aux comités de justice pour les jeunes, etc.

• 1635

Nous n'avons pas réclamé l'abrogation de la Loi sur les jeunes contrevenants. Cette loi nous pose des problèmes à certains égards, mais nous avons un projet de loi dont nous appuyons entièrement l'approche, tant au niveau de l'intervention qu'au niveau de l'application, parce que nous voulons nous attaquer sérieusement aux crimes graves, et nous croyons donc que ce projet de loi représente une amélioration par rapport à la LJC.

J'ai parlé au nom de Vince, mais je crois qu'il voudrait aussi prendre la parole.

M. Vincent Westwick: Je ne vois pas ce que je pourrais ajouter à cette réponse.

M. Pierre de Savoye: C'est une réponse parfaite.

M. Vincent Westwick: Je le crois aussi.

Le président: Monsieur MacKay, vous avez cinq minutes.

M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Merci, monsieur le président.

Merci d'être là. Nous vous savons gré de votre contribution à nos travaux. Nous avons eu une semaine très intéressante. Nous avons entendu toute une gamme de témoins, y compris des juges qui, si j'ai bien compris leur témoignage, nous ont dit que la nouvelle loi serait impossible à appliquer en raison de sa complexité et de ses nombreux renvois croisés. Des avocats de la défense nous ont dit, eux, qu'ils étaient bien satisfaits de la nouvelle loi, car elle leur donnera du travail et ralentira la procédure à un point tel qu'ils pourront venir à bout de la poursuite.

J'ai l'impression que cette question de la confiance du public et de la crédibilité du système est une question à laquelle les policiers de première ligne font face tous les jours. On nous a dit qu'il était très frustrant, surtout pour obtenir une déclaration dans le passé, que le système est essentiellement conçu de façon à dissuader les adolescents de faire une déclaration inculpatoire, ou même disculpatoire.

On nous a donné beaucoup de statistiques à ce sujet. Il y a toutes sortes de statistiques. Certaines disent que la criminalité juvénile est à la hausse, d'autres qu'elle est à la baisse. Les statistiques juridiques semblent indiquer une augmentation de la criminalité juvénile avec violence, surtout chez les filles, à l'échelle du pays.

Pour revenir sur cette question des délais et de la complexité du système prévu pour les avertissements et les mises en garde, selon lequel les policiers devront essentiellement amener l'enfant à la maison et s'asseoir avec lui et ses parents pour discuter de ce qui s'est passé—c'est une possibilité—en ce qui a trait à ces avertissements et ces mesures extrajudiciaires, certaines dispositions particulières du projet de loi me préoccupent, car elles ne permettent pas ces avertissements et ces mesures extrajudiciaires. De plus, il n'y a ni suivi, ni dossier. Ces mises en garde et avertissements ne sont même pas admissibles à l'audience de cautionnement, où, comme nous le savons, les règles relatives à la preuve sont moins strictes.

De plus, les dispositions du projet de loi portant sur les bris de probation, qui sont graves et extrêmement courants aux termes de la Loi sur les jeunes contrevenants, sont libellées de telle façon qu'elles ne sont pas conformes au Code criminel. Dans le Code criminel, on emploie l'expression «sans excuse raisonnable», alors que la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, à l'article 136, dit: «omet ou refuse de s'y conformer». Il est beaucoup plus difficile pour la Couronne de prouver que le jeune contrevenant a omis ou refusé de se conformer à l'ordonnance de probation.

Compte tenu de tout cela, à votre avis, les agents de police seront-ils en mesure d'appliquer efficacement cette loi? Par ailleurs, si le gouvernement fédéral ne vous accorde pas suffisamment de ressources à l'heure actuelle pour appliquer la LJC, comment pourrez-vous faire davantage avec moins, comme le prévoit ce nouveau système?

Chef Christine Silverberg: D'abord, en général, plus une loi est complexe, plus il est coûteux d'assurer la formation et la mise en oeuvre, etc.; nous avons donc de sérieuses préoccupations relativement à la mise en oeuvre de la nouvelle loi et à la formation. Vous avez soulevé des questions très pertinentes que nous abordons dans notre mémoire sous la rubrique de la complexité du projet de loi.

Pour ma part, ce qui m'inquiète, et la raison pour laquelle nous avons insisté sur l'importance de consigner les avertissements, c'est que les récidivistes, ceux qui commettent à répétition des entrées par effraction, des vols, etc., entreront en contact avec la police sans que cela soit consigné nulle part; comment alors l'agent de police, qui ne connaît pas ce contrevenant, saura-t-il quel mécanisme invoquer? Cela nous préoccupe beaucoup.

• 1640

Nous comprenons qu'il pourrait être coûteux de mettre en place un système d'enregistrement des avertissements et mises en garde. Mais cela nous apparaît essentiel à la bonne mise en oeuvre de cette loi; sinon, tout ce système d'avertissements ne servira à rien, car le même délinquant pourrait faire l'objet d'avertissements à répétition plutôt que de la mesure dont il avait véritablement besoin après ses premières incartades.

Ces questions-là nous préoccupent. Nous avons dressé la liste de ces préoccupations de nature plus pratique dont on pourrait certainement tenir compte d'une façon ou d'une autre.

Il ne faut pas oublier les grands objectifs de ce projet de loi. Les principes qui en sont le fondement sont importants à mes yeux et à ceux de l'ACCP, et il faut les conserver, mais la complexité de la loi entraînera les problèmes que nous avons tenté de vous décrire.

M. Peter MacKay: La philosophie...

Le vice-président (M. Ivan Grose): Monsieur MacKay, nous devrons partir sous peu.

M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président.

Le vice-président (M. Ivan Grose): Pourriez-vous poser votre question en moins d'une minute?

M. Peter MacKay: Vous venez de m'enlever 20 secondes, mais je vais essayer.

Ma question, qui touche à la complexité du projet de loi ainsi qu'aux dispositions sur la détermination de la peine, est la suivante, et j'aimerais aussi entendre l'avis de M. Trépanier, peut-être à notre retour: essentiellement, en vertu du projet de loi, il sera possible d'infliger des peines plus lourdes, mais le système prévoira aussi une libération présomptive, semblable à la libération conditionnelle. Alors qu'en vertu de la LJC l'adolescent qui recevait une peine de détention de trois ans passait trois ans sous garde, dorénavant il aura droit à une mise en liberté.

D'après ce que j'ai constaté, les juges ajoutaient simplement la probation, mais de façon précise: «Vous allez purger une peine de X années, puis vous serez en période de probation.» Il ne s'agissait donc pas d'un problème d'expiration de mandat ou d'une simple libération. Mais tout cela mine encore une fois la confiance du public, parce que, comme c'est le cas dans le système pour les adultes, le public entend qu'un particulier reçoit une peine de prison d'un certain nombre d'années quand en fait ce n'est pas vraiment le cas. On entend une peine de deux ans, alors que cela veut vraiment dire six mois.

M. Vincent Westwick: J'aimerais profiter de l'occasion pour signaler que lorsque vous parlez des retards, nous sommes d'accord avec vous. C'est pourquoi nous avons à plusieurs reprises soulevé la question des procès rapides, ce qui à notre avis est un mécanisme qui est viable, qui permettra de régler le problème et qui sera à l'avantage de tous les intervenants, pas simplement le jeune contrevenant, quoiqu'il sera vraiment dans son intérêt qu'il soit jugé rapidement. Mais ce processus sera également à l'avantage de la victime, de la collectivité et, quoique c'est probablement moins important, de la police.

En liant cela à la décision, peu importe la décision, tout cela sera à l'avantage de tous ces gens—le jeune contrevenant, la communauté, la police et la victime—si cela est fait dans des délais raisonnables. Tous ces retards sont fort frustrants, et nous exhortons le comité à se pencher sur la question.

Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, monsieur Westwick.

Nous reviendrons.

• 1643




• 1710

Le vice-président (M. Ivan Grose): Monsieur McKay, vous disposez de sept minutes.

M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Merci, monsieur le président.

M. Jean Trépanier: Je m'excuse, monsieur le président. C'est que l'autre M. MacKay m'avait posé une question. Peut-être devrions-nous attendre son retour avant...

M. John McKay: Nous vous donnerons une autre chance de tomber sur M. MacKay.

Le vice-président (M. Ivan Grose): Oui.

M. Jean Trépanier: Je ne dirais pas cela.

Le vice-président (M. Ivan Grose): Il a peut-être trouvé une caméra ou quelque chose de ce genre.

Allez-y, John.

M. John McKay: Merci, monsieur le président.

Je tiens à remercier nos témoins de leurs interventions.

J'aimerais discuter d'abord de la question de la perception et vous demander de vous pencher sur cette question. Hier soir nous avons accueilli M. Womback, qui nous a présenté un témoignage fort convaincant sur ce qui s'est produit dans sa famille. Il nous a dit qu'il allait présenter ou était sur le point de présenter une pétition comportant quelque 700 000 ou 800 000 signatures qui dit que la Loi sur les jeunes contrevenants ne fonctionne pas et qu'il faut agir. Sur ces 800 000 signataires, quelque 200 000 viennent du Québec.

Je crois que son message était que les résidents du Québec n'ont pas la même perception des problèmes qui existent dans le système de justice pénale pour les jeunes que ceux qui travaillent dans ce système. Ses commentaires se rapprochaient du vôtre, monsieur Trépanier, car vous dites que si le système fonctionne, n'y touchez pas. Il a dit plutôt: ce système ne fonctionne pas, faites quelque chose.

J'aimerais savoir s'il existe à votre avis au Québec une perception semblable à celle qui existe dans les autres provinces canadiennes à l'égard du système de justice pénale.

M. Jean Trépanier: Tout d'abord, il est clair que l'unanimité n'existe pas dans quelque société ou quelque province que ce soit. Il faut le comprendre d'entrée de jeu. De plus, d'après ce que l'on peut déterminer selon les sondages d'opinion publique, qui ne portaient pas nécessairement sur la Loi sur les jeunes contrevenants, mais sur divers aspects du système pénal, tout semble indiquer que les Québécois sont en quelque sorte moins répressifs que les résidents des autres provinces. Il semble donc y avoir une différence.

Évidemment, que faire de ceux qui savent comment fonctionne le système? Pour ce qui est de la Commission d'enquête Jasmin, qui était un groupe de travail constitué par le gouvernement du Québec chargé d'étudier l'application de la Loi sur les jeunes contrevenants au Québec, j'ai participé aux travaux de cette commission d'enquête. Nous avons rencontré des policiers, des juges, des avocats de la défense, des procureurs de la Couronne, des gens qui travaillent pour les services sociaux et toutes sortes d'autres intervenants, les enfants, les parents, etc. Il existait un consensus bien clair chez ceux qui travaillent dans le secteur des jeunes contrevenants et qui sont chargés de l'application de la Loi sur les jeunes contrevenants. Ils étaient d'avis que cette loi était une bonne loi. Il serait possible d'apporter une modification ou une autre, mais fondamentalement ils étaient d'avis qu'il s'agissait là d'une bonne mesure législative, qui devrait être conservée.

Évidemment nous avons entendu nos collègues ici dire que l'Association canadienne des chefs de police n'est pas heureuse du libellé actuel de la Loi sur les jeunes contrevenants, puisqu'elle appuie les modifications proposées. Cependant, ces modifications ne sont pas appuyées par l'Association québécoise des chefs de police. L'association l'a indiqué clairement dans la résolution que son conseil d'administration a adoptée en septembre. Cela démontre bien...

M. John McKay: Il semble donc y avoir une différence d'opinions entre certains membres du grand public et ceux qui oeuvrent dans le secteur.

• 1715

M. Jean Trépanier: Oui. Évidemment, lorsque nous étudions les médias, sans avoir procédé à une recherche systématique, l'on constate, tout au moins c'est ce que j'ai constaté personnellement, qu'il semble y avoir une différence d'attitudes entre les médias du Québec et ceux des autres provinces. En fait dans les médias du Québec on ne s'en est pas pris à la Loi sur les jeunes contrevenants comme on l'a fait dans les autres régions du pays. Cela ne s'est pas produit au Québec.

M. John McKay: Ma deuxième question porte sur un commentaire que vous avez fait quand vous avez signalé que les peines pour adultes ne sont pas acceptables dans une société civilisée, ou quelque chose de ce genre. Encore une fois, on nous a dit hier soir que quelque 1 100 demandes ont été faites conformément à la Loi sur les jeunes contrevenants pour qu'il y ait transfert de jeunes contrevenants aux tribunaux pour adultes, et que seulement 74 demandes ont été acceptées. Jugez-vous qu'il n'est jamais approprié d'imposer une peine pour adulte à un jeune?

M. Jean Trépanier: Non, ce n'est pas ce que je pense. Je crois qu'il pourrait y avoir des circonstances exceptionnelles où une telle décision pourrait être appropriée. Je crois cependant qu'il n'est pas acceptable, comme je l'ai signalé, dans une société civilisée de présumer qu'un jeune de 14 ans devrait avoir une peine normalement réservée à un adulte. Je crois que la responsabilité devrait appartenir à la Couronne, comme c'était le cas de 1908, en vertu de la Loi sur les jeunes délinquants, jusqu'à 1995, où toutes les demandes de transfert vers les tribunaux pour adultes devaient être présentées au juge du tribunal de la jeunesse. À mon avis la responsabilité devrait toujours appartenir à la Couronne.

M. John McKay: La responsabilité n'est-elle pas celle de la Couronne? En fait, la Couronne devra dès le début du procès indiquer qu'elle désire obtenir une peine pour adulte pour les cinq infractions identifiées, en plus de la décision de punir sévèrement ceux qui ont été trouvés coupables d'une infraction à trois reprises. Puis, à la fin du procès, la Couronne devra démontrer au tribunal qu'en fait il faudrait imposer une peine pour adulte. La responsabilité n'est-elle donc pas celle de la Couronne?

M. Jean Trépanier: Non, en fait, dans certains cas on présume qu'il devrait y avoir une peine pour adulte, et dans ces circonstances la Couronne n'a pas la responsabilité de démontrer pourquoi. Je devrais peut-être signaler qu'à cet égard on a beaucoup parlé dans le débat de la souplesse qui était intégrée dans le projet de loi, à savoir si une province qui ne veut pas faire appel à cette présomption ne pourrait pas simplement ne pas le faire.

J'ai parlé par exemple à des procureurs de la Couronne, et il me semble que ce ne serait pas possible, et ce, pour les raisons qui suivent. S'il y avait une disposition ou une option de non- participation, cette disposition devrait être très claire, ce qui n'est pas le cas. Le projet de loi signale que le procureur de la Couronne peut décider de ne pas se prévaloir de la présomption. Lorsque le procureur de la Couronne pourrait avoir recours ou non à son pouvoir discrétionnaire, il ne dispose pas de suffisamment de renseignements sur l'enfant, sur sa situation, etc., pour vraiment utiliser à bon escient ce pouvoir discrétionnaire. Ainsi les procureurs de la Couronne décideront simplement d'être prudents. Ils diront: nous n'utiliserons pas ce pouvoir discrétionnaire, et nous utiliserons plutôt la présomption.

D'aucuns ont demandé: le procureur général d'une province ne pourrait-il pas donner des directives aux procureurs de la Couronne de la même province leur enjoignant de ne pas avoir recours à la présomption pour les jeunes de 14 ou 15 ans? On a conclu que cela serait impossible. Le procureur général d'une province ne disposerait pas de cette marge de manoeuvre, parce que s'il agissait ainsi il refuserait d'avoir recours à un pouvoir discrétionnaire qui est offert aux procureurs de la Couronne par une loi fédérale dans un domaine relevant de la compétence fédérale. Un procureur général provincial ne pourrait donc pas agir. En fait, une victime pourrait s'adresser à la Cour supérieure et demander une ordonnance de mandamus pour forcer le procureur général à recourir à ce pouvoir discrétionnaire. Ce genre de marge de manoeuvre dont on a parlé n'existe en fait pas en pratique.

• 1720

Le vice-président (M. Ivan Grose): Monsieur McKay, j'aimerais corriger ce que vous avez dit sur le témoignage que nous avons entendu hier, soit que 1 100 jeunes contrevenants auraient pu être traduits devant un tribunal pour adultes, mais que seulement 70 l'ont en fait été. Ce n'est pas que 1 100 et quelques demandes ont été présentées...

M. John McKay: Si 1 100 auraient pu être traduits devant un tribunal pour adultes, je ne vois pas la différence entre...

Le vice-président (M. Ivan Grose): Il ne s'agissait pas de demandes. Vous laissez entendre que personne n'a insisté.

M. John McKay: Donc 1 100 jeunes auraient pu être traduits devant un tribunal pour adultes, et seulement 74 l'ont en fait été. Mais nous ne savons pas combien de demandes ont été présentées.

Le vice-président (M. Ivan Grose): Oui.

M. Jean Trépanier: Mais la Couronne n'a probablement pas demandé que tous ces jeunes soient traduits devant un tribunal pour adultes. Vous comprenez?

Le vice-président (M. Ivan Grose): C'était là la différence.

M. Jean Trépanier: De plus, il y a des cas où, lorsqu'il y a transferts aux tribunaux pour adultes, la Couronne se sert de la motion comme menace à l'égard du jeune contrevenant pour le dissuader, pour lui dire: «Écoute, on te menace cette fois-ci, mais la prochaine fois ce sera vraiment le tribunal pour adultes.»

M. John McKay: Je suis convaincu qu'on s'en sert lors de la négociation de plaidoyers.

M. Jean Trépanier: Oui.

Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, monsieur Trépanier.

Monsieur Cadman, vous disposez de trois minutes.

M. Chuck Cadman: Merci.

Monsieur Trépanier, vous vous préoccupez beaucoup de la situation des deux tiers, mais je ne savais pas vraiment ce à quoi vous vouliez en venir. Dites-vous que la peine devrait être indéterminée, puisqu'il s'agit actuellement d'une peine fixe de trois ans, la dernière année étant sous surveillance? Vous avez dit que ce devrait être discrétionnaire. Dites-vous qu'il devrait s'agir là simplement d'une peine ouverte?

M. Jean Trépanier: Non.

M. Chuck Cadman: C'est ce que je voulais savoir.

M. Jean Trépanier: Non, ce n'est certainement pas ce que je propose. Je dis simplement qu'il faudrait, comme c'est actuellement le cas en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants, que le juge détermine la durée de la peine, et puis, une fois que le contrevenant a commencé à purger cette peine, qu'on décide quand on pourra passer de la garde à la libération dans la communauté afin d'assurer que ce jeune sera réintégré progressivement dans la communauté.

M. Chuck Cadman: Vous dites donc qu'il y aurait quand même trois ans de peine, mais qu'il devrait y avoir un certain pouvoir discrétionnaire quant à la libération du contrevenant dans la communauté après 18 mois ou peut-être...

M. Jean Trépanier: Oui. Le moment où le jeune contrevenant passe de la garde à la communauté ne devrait pas être établi à l'avance, mais plutôt... Prenons un exemple pratique, si vous le voulez bien.

Supposons que le juge dit: «Vous resterez sous garde pendant huit mois»; donc le jeune devient un détenu. Puis après quatre, cinq, ou six mois, on évalue sa situation pour savoir si le moment est venu de le libérer. Devrions-nous le laisser aller dans la communauté après six mois, ou après cinq mois, ou sept mois? À mon avis, ce qui importe, c'est de prendre cette décision de façon ponctuelle plutôt que de décider automatiquement que le contrevenant sera libéré après avoir purgé les deux tiers de sa peine. Il importe de décider quand un jeune contrevenant en particulier est prêt à retourner dans la collectivité afin d'assurer une bonne transition. Des décisions automatiques à mon avis sont de mauvaises décisions.

M. Chuck Cadman: Mais il y aurait quand même un maximum de trois ans.

M. Jean Trépanier: Oui, certainement.

M. Chuck Cadman: Ai-je le temps de poser une autre question?

Le vice-président (M. Ivan Grose): Oui.

M. Chuck Cadman: J'ai une petite question à poser aux représentants de l'ACCP. Nombre d'intervenants ont mentionné la complexité de la mesure législative. Pourriez-vous nous dire quel impact cette complexité aura sur le travail du policier qui essaie de composer avec ces dispositions? Est-ce possible?

Chef Christine Silverberg: Oui, nous pouvons répondre à cette question.

M. Vincent Westwick: Je crois que nous pouvons répondre. Je crois que dans une certaine mesure cela dépendra de la formation qui accompagne la mise en oeuvre de la loi. S'il y a une trousse de formation qui aborde certaines de ces choses, les policiers auront les outils nécessaires pour prendre leurs décisions et pour se servir de leur jugement dans le contexte imposé par ce nouveau régime. Si cela est possible, ils seront en mesure d'appliquer la loi.

• 1725

Ce qui est inquiétant, et cela ne touche pas exclusivement ce projet de loi, quoique ce projet de loi fasse ressortir la question encore plus... Nous nous préoccupons de la loi qui sera adoptée. Habituellement je choisis un paragraphe préféré—et j'en ai un ici que je peux vous lire, si vous le voulez—pour indiquer que ce qu'on y dit est pratiquement incompréhensible. C'était certainement le cas dans le projet de loi Feeney, la loi Feeney; nous avions fait ces commentaires à votre comité également. Je crois que si les policiers ont la formation nécessaire, ils feront leur travail, mais cela rend leur tâche plus compliquée.

Chef Christine Silverberg: C'est vrai, mais une mesure législative alambiquée a également un autre impact, c'est qu'il faut plus de temps aux policiers pour composer avec les jeunes contrevenants, pour diverses raisons—comme la procédure.

À Calgary, par exemple, il y a environ cinq ans, 23 ou 24 p. 100 du travail du policier était utilisé pour répondre à des demandes de service. Aujourd'hui, près de 43 p. 100 du travail du policier est utilisé à cette fin. Plus le policier consacre du temps à un appel, à une arrestation, ou peu importe, moins il lui en reste pour d'autres choses, ce qui a un impact direct sur les ressources disponibles pour les services policiers. Ce problème ne découle pas simplement de cette mesure législative. Il y a d'autres raisons. Mais chaque chose qui vient accroître la complexité de ce que doivent faire les policiers—même si on a des objectifs fort louables—a un impact sur les ressources disponibles.

Lorsque les policiers n'ont pas suffisamment de temps pour faire leur travail de façon appropriée, on essaie de gagner du temps, et cela pose des problèmes. Donc, il y a des problèmes au niveau de la complexité et de la formation. Nous croyons qu'il faudra—et je crois que nous en avons parlé—au moins un an de formation pour comprendre la loi. Cette formation coûte des sous. Les policiers ne travaillent plus lorsqu'ils participent aux cours de formation. Il ne s'agit pas simplement d'organiser la formation; il faut pour assurer la formation retirer ces policiers de la rue où ils travaillent habituellement. De plus, lorsqu'il s'agit de travail à fort coefficient de ressources, même s'il s'agit là d'objectifs louables, cela crée des problèmes au niveau des ressources.

Il y a donc ces deux secteurs essentiels qui nous inquiètent, et nous avons d'ailleurs déjà abordé la question. En fait cela ne se limite pas à cette mesure législative; cela touche également d'autres lois.

Le vice-président (M. Ivan Grose): Monsieur Westwick, avez- vous ce paragraphe à portée de la main?

M. Vincent Westwick: Certainement.

Le vice-président (M. Ivan Grose): Cela nous frappera peut- être si vous en faites la lecture.

M. Vincent Westwick: Le paragraphe qui m'a frappé, c'est celui qui décrit ce que l'on entend par infraction désignée. Dans ma copie du projet de loi cela se trouve aux pages 3 et 4. Il s'agit de l'alinéa 2(1)b) de la définition d'une infraction désignée. Il s'agit du deuxième paragraphe. Je crois qu'on en a parlé un peu plus tôt quand on a décrit la disposition qui portait sur la troisième infraction. Voici le texte:

    b) toute infraction grave avec violence pour laquelle un adulte encourrait un peine d'emprisonnement de plus de deux ans commise par un adolescent après l'entrée en vigueur de l'article 61, dans le cas où il a déjà été décidé en vertu du paragraphe 41(8), à au moins deux reprises et lors de poursuites distinctes, que celui-ci a commis une infraction grave avec violence.

Je ne sais pas vraiment ce que cela veut dire.

Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci.

Monsieur Saada.

[Français]

M. Jacques Saada (Brossard—La Prairie, Lib.): Je ne sais pas si c'est une question ou un commentaire au sujet duquel j'aimerais entendre votre point de vue. J'ai comparé vos deux mémoires. Je m'excuse de ne pas avoir été présent lors de leur présentation elle-même, mais j'avais d'autres engagements de député.

[Traduction]

Dans votre propre texte, dans la version française... Je vous lirai la traduction française. Vous dites:

[Français]

    ...un argument qui vise plutôt, en partie, à envoyer un message de dissuasion ferme aux adolescents qui pourraient envisager de perpétrer une infraction avec violence...

[Traduction]

Vous parlez de la sentence, etc. Vous insistez ici sur

[Français]

le rôle de dissuasion qu'il y a dans la sentence, dans l'exécution d'une sentence.

De votre côté, monsieur Trépanier, en parlant un peu de la même chose, vous dites que les politiques seraient illusoires si elles étaient fondées sur la dissuasion parce que:

    les jeunes, qui ont souvent tendance à sous-estimer les probabilités de se faire prendre s'ils commettent des infractions, n'ont qu'à consulter les statistiques policières pour constater que, même dans les cas où la victime porte plainte à la police (ce qui souvent ne se fait même pas), ils ont sept chances sur dix de ne pas être découverts.

• 1730

D'un côté comme de l'autre, je vois deux problèmes qui se posent. Premièrement, on a l'impression qu'avant de commettre un acte criminel, des jeunes établissent que ça, c'est l'actif et que ça, c'est le passif; ça, c'est le plaisir, l'obligation ou le désir que j'ai et ça, c'est le prix que je vais payer. Et ils se demandent si ça en vaut la peine. Bien que je simplifie à outrance, dans le fond, c'est ça, la dissuasion.

Je me demande dans quelle mesure on peut vraiment parler d'effets dissuasifs, aussi bien en termes de sanctions plus fortes que de sanctions plus faibles. La question qui se pose est la suivante: est-ce que ce projet de loi doit s'appuyer sur une philosophie selon laquelle l'application de la loi sert de dissuasion?

«Correction», au sens original du terme, veut dire rendre droit. La dissuasion est fondée sur la peur. Rendre droit implique une valeur morale. Avoir peur implique qu'on veut se protéger, mais je ne vois pas la valeur morale là-dedans. Est-ce que vous pourriez m'expliquer vos positions respectives là-dessus?

[Traduction]

Chef Christine Silverberg: J'aimerais revenir sur une ou deux questions.

La première touche la rapidité avec laquelle on procède au procès. L'article que vous citez porte sur les infractions désignées. Nous sommes d'avis que le procès doit se dérouler dans des délais raisonnables. C'est un des éléments les plus importants en ce qui a trait à l'effet de dissuasion.

Je suis convaincue que vous avez lu—en fait cela a fait les manchettes—les résultats de recherches effectuées récemment qui démontrent qu'il est «cool» pour les garçons d'agir de cette façon. Cela a fait couler beaucoup d'encre. Eh bien, si c'est «cool» pour les garçons d'agir de cette façon, on ne fera que renforcer cette notion si le jeune garçon qui a agi de cette façon doit attendre six ou huit mois avant d'être traduit devant les tribunaux; en fait, l'année scolaire sera terminée, et personne ne saura que ce jeune a en fait été traduit devant les tribunaux, et il n'y a donc aucun effet de dissuasion. C'est pourquoi nous insistons beaucoup sur le fait que le procès doit se dérouler dans des délais raisonnables.

De plus, pour ce qui est des infractions désignées, et des distinctions que l'on fait, comment savons-nous, comment l'enfant sait-il la différence qu'il y a entre une infraction avec violence et une infraction grave avec violence? Il faut que les jeunes qui sont touchés par ces mesures comprennent ce que l'on entend par cela. Si nous n'apportons pas de précisions, il sera difficile non seulement pour l'intervenant adulte de comprendre la distinction entre une infraction avec violence et une infraction grave avec violence, mais ce sera également très difficile pour les jeunes.

Troisièmement, au sujet de la même question, je ne comprends pas, et il en va de même pour mes collègues, la différence qu'il y a entre un jeune de 14 ans qui est coupable d'une infraction désignée et un jeune de 13 ans ou 12 ans qui est coupable de la même infraction. Comment en est-on venu à cette ligne de démarcation, à cette identification du groupe des jeunes de 14 ans et plus?

S'il s'agit d'une infraction désignée, c'est une infraction grave, une infraction avec violence. Est-ce qu'il importe vraiment que l'enfant ait 12 ans ou 14 ans dans de telles circonstances? Vous l'avez également signalé. Nous croyons que c'est important, en partie parce qu'il faut bien comprendre qu'il y a des conséquences lorsqu'on commet certaines infractions. Ainsi, si vous avez 13 ans et êtes à l'école secondaire au premier cycle, vous n'aurez peut- être pas les mêmes problèmes que si vous avez 14 ans et que vous êtes à l'école secondaire.

Il s'agit là de questions subtiles qui sont à notre avis très importantes, car il faut que cette loi soit conséquente et compréhensible aussi bien pour les enfants que pour ceux qui doivent intervenir.

Le vice-président (M. Ivan Grose): Monsieur Westwick.

M. Vincent Westwick: Ce que j'allais dire à l'égard de ce que vous venez de signaler, c'est que je n'ai jamais cru—et peut-être M. Trépanier voudra-t-il ajouter quelque chose—que les criminels, qu'il s'agisse de jeunes contrevenants ou d'adultes, se disent avant d'agir: voici l'infraction que je veux commettre, et voici les conséquences possibles; à mon avis, ils ne prennent pas une décision rationnelle pour ce qui est de savoir s'ils vont en fait commettre cet acte.

Lorsque nous parlons de la perception, du message, et de toutes ces choses, nous pensons à des choses comme l'impact d'un crime commis par un jeune chez ses pairs, ses compagnons de classe, par exemple, et la perception des éducateurs et des parents et de tous les autres intervenants qui sont en contact avec ce jeune; nous pensons à l'impact que cela a sur eux et sur les victimes également. Si on a l'impression générale que la loi n'est pas efficace, cela entraîne un manque de respect à l'égard du système et de toutes ses composantes.

• 1735

Donc cela représente une dissuasion dans la mesure où... Peut- être que «dissuasion» n'est pas le bon terme, parce que «dissuasion» est utilisé dans ce contexte particulier dans le système pour adultes. Nous parlons dans l'ensemble de la perception et du respect que l'on a à l'égard du système, si vous voulez, chez les jeunes qui sont liés à des activités criminelles quand ils ne pensent pas qu'ils auront vraiment à payer pour les pots cassés lorsqu'il s'agit d'infractions graves.

Je ne sais pas si cela vous aide.

Chef Christine Silverberg: Je crois que cela renforce ce que j'essaie de dire. Si un jeune est entré par infraction dans une maison hier soir, les enfants dans la cour d'école doivent savoir que cela a eu des répercussions. Il s'est fait arrêter. Puis que s'est-il produit? Eh bien, rien, et nous voilà dans la nouvelle année scolaire.

La perception est une question fort importante. Tous les documents de recherche que j'ai lus portaient sur des jeunes contrevenants qui avaient commis des infractions graves avec violence. Lorsqu'on leur pose la question: «Avez-vous pensé aux conséquences de vos actes, à la peine possible?», vous apprenez que ce n'est pas ce à quoi ils pensent. Non, ils n'ont pas pensé aux conséquences. Ils pensent plutôt aux choses plus immédiates, et c'est justement pourquoi on fait ressortir l'importance d'un procès rapide.

Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, monsieur Saada.

Il est maintenant 17 h 30, heure à laquelle nous devions finir nos travaux. Si les témoins sont d'accord, des témoins en fait que nous n'avons pas très bien traités, je suis prêt à prolonger la réunion jusqu'à 18 heures, ou jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de questions.

Avez-vous à prendre un avion, un train, un bateau à vapeur, ou autre chose de ce genre?

M. Vincent Westwick: Mme Silverberg doit prendre un avion à 19 heures, mais je crois qu'en terminant à 18 heures tout ira bien.

Chef Christine Silverberg: J'ai cru comprendre que la circulation à Ottawa est une chose qui va assez bien, contrairement à ce qui se passe à Calgary; il ne me faudra donc pas trop de temps pour me rendre à l'aéroport.

Le vice-président (M. Ivan Grose): Qui vous a dit cela?

D'accord, on devrait pouvoir poursuivre jusqu'à 18 heures.

M. Jean Trépanier: Puis-je ajouter quelque chose?

Le vice-président (M. Ivan Grose): Certainement. Allez-y.

M. Jean Trépanier: M. Saada m'a demandé de répondre à son intervention.

[Français]

Je suis tout à fait d'accord, monsieur Saada, sur la préoccupation exprimée par Mme Silverberg quant à la nécessité d'avoir des procès rapides. Cependant, cela ne me semble pas être requis pour des fins de dissuasion. Je dirais plutôt que, pour que la sanction que l'on impose à un jeune ait un sens à ses yeux, il faut qu'elle survienne le plus rapidement possible après que l'infraction a été commise. La rapidité des interventions m'apparaît être un ingrédient sine qua non si on veut atteindre quelque succès que ce soit.

Cela dit, je suis tout à fait d'accord pour dire que la dissuasion semble souhaitable au sens commun, mais cette notion ne fonctionne pas si on veut prendre comme moyen les sentences qu'imposent les tribunaux. Pourquoi? Vous citiez tout à l'heure un extrait de mon mémoire. Au départ, on reconnaît que les jeunes ont tendance à sous-estimer la probabilité d'être pris, de sorte que lorsqu'ils évaluent les chances d'être pris, ils se disent qu'ils vont s'en tirer de toute manière et qu'ils peuvent donc faire ce qu'ils veulent.

D'autre part, même s'ils regardaient les statistiques officielles, ils verraient qu'un grand nombre de victimes ne portent pas plainte, auquel cas ils ne sont pas pris, et que même dans les cas où une plainte est portée à la police, au Canada, sept affaires sur dix ne sont pas éclaircies par la police. Même si une plainte est portée à la police, dans 70 p. 100 des cas, il n'y aura aucune suite et le jeune ne sera pas pris. Ensuite, lorsque la police a réussi à éclaircir l'affaire, les jeunes reçoivent des sanctions très diverses. Miser sur des sentences dures pour les jeunes à des fins de dissuasion, c'est malheureusement illusoire parce que les jeunes vont se dire qu'ils ne se feront pas prendre et qu'il n'y a donc pas lieu de craindre. C'est une des raisons pour lesquelles je dirais que la dissuasion ne semble pas fonctionner.

Pour ce qui est de la dissuasion générale, comme je le mentionnais tout à l'heure en réponse à M. Cadman, il y a le fait que les décisions des tribunaux pour adolescents ne sont pas connues du public. Comment des décisions prises par les tribunaux pourraient-elles dissuader des gens qui ne connaissent pas ces décisions-là?

M. Jacques Saada: Ils les connaissent dans leur milieu à eux.

• 1740

M. Jean Trépanier: Oui, il est raisonnable de penser que la dissuasion existe chez les camarades du jeune, dans son milieu immédiat. Nous n'avons pas de travaux de recherche qui nous permettent d'en venir à une telle conclusion, mais cette hypothèse semble raisonnable.

[Traduction]

Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, monsieur Trépanier.

Monsieur de Savoye.

[Français]

M. Pierre de Savoye: Monsieur Trépanier, j'aimerais que nous poursuivions notre discussion sur le même sujet. Je vais laisser nos amis M. Westwick et Mme Silverberg se reposer un peu. J'ai été méchant tout à l'heure et je m'en excuse.

Monsieur Trépanier, nous parlons de la dissuasion. On fait donc appel ici nécessairement, chez le jeune, à une capacité d'évaluation du risque, risk assessment. Même chez des adultes, l'évaluation du risque est une chose extrêmement complexe. Par conséquent, croire qu'un jeune va être capable de faire une évaluation de son risque à un moment de sa vie où il est tout à fait perturbé m'apparaît totalement illusoire.

Par ailleurs, vous avez raison, monsieur Trépanier, de dire que si on durcit les sentences, le jeune ne sera pas davantage dissuadé parce que, bien souvent, il n'est pas au courant. Mais il y aura des conséquences pour les jeunes qui devront assumer la sentence plus lourde.

Plus tôt, dans votre témoignage, vous parliez de l'expérience américaine, qu'on semble vouloir transposer au Canada au moyen du projet de loi C-3. Quelle a été la conséquence des sentences plus lourdes aux États-Unis? Est-ce que la sécurité du public a été améliorée? Est-ce qu'on a vu un taux de récidive moins élevé chez les jeunes? Bref, est-ce que ça fonctionne ou est-ce qu'on a amplifié le problème?

M. Jean Trépanier: Les deux États qui ont procédé à des évaluations sont, comme je le mentionnais tout à l'heure, l'État de New York et l'État de l'Idaho. On y avait adopté des lois qui favorisaient davantage le transfert des jeunes dans le réseau des adultes, devant les tribunaux pour adultes. Dans l'État de New York, la criminalité violente des jeunes est restée somme toute stable après l'adoption de cette loi-là selon l'étude qu'on a faite avant et après. Dans l'État de l'Idaho, la criminalité violente des jeunes a augmenté plutôt que de diminuer à la suite de l'application de ces lois-là. On doit en conclure que de tels durcissements des politiques n'ont malheureusement pas d'effets positifs sur la délinquance violente des jeunes.

Il peut y avoir toutes sortes de raisons qui peuvent expliquer cela. Ça peut être dû au fait que la dissuasion ne fonctionne pas pour les raisons dont on parlait il y a un instant, mais ça peut aussi être dû au fait qu'à partir du moment où on incarcère plus de jeunes avec des adultes, on favorise leur insertion dans les réseaux criminels adultes. On dit souvent que les pénitenciers sont l'université du crime. C'est une expression populaire qui décrit bien la situation. Plus on met les jeunes en contact avec les criminels adultes, plus les probabilités de récidive sont élevées.

C'est la raison pour laquelle je vous recommande de favoriser au maximum des centres de réadaptation pour les jeunes. Assurons-nous que les jeunes aient des centres bien adaptés à eux, où l'on offre de bons programmes. C'est ce qu'il nous faut plutôt que des mesures qui les inséreront dans les réseaux pour adultes.

J'ajouterai brièvement que selon le projet de loi, lorsque des sentences pour adultes seront imposées, les jeunes pourront néanmoins demeurer dans un centre pour les jeunes jusqu'à l'âge de 20 ans. Cependant, on y prévoit qu'à partir de l'âge de 18 ans, on pourra demander leur transfert dans un établissement pour adultes.

J'ai discuté de cette question avec des gens qui travaillent dans les centres jeunesse, un réseau que je connais très bien puisque je suis membre du conseil d'administration des centres jeunesse de Montréal. J'ai cependant une crainte. Les bons centres de réadaptation ont des listes d'attente et ne peuvent pas accueillir tous les jeunes qu'ils voudraient accueillir. Prenons l'exemple d'un centre où l'on reçoit un jeune âgé de 16 ou 17 ans à qui on a imposé une sentence adulte qui prendra fin lorsqu'il aura atteint 24 ans. On sait très bien que, même si le centre fait du bon travail pour lui au cours des premières années, ce travail sera ensuite totalement gâché quand ce jeune ira terminer sa sentence au pénitencier. Quelle sera la réaction des administrateurs de ces centres? Ils se diront que, puisqu'ils ont des listes d'attente et qu'ils ne peuvent satisfaire à toutes les demandes, ils accorderont la priorité aux jeunes qui vont faire toutes leurs mesures dans leur centre. Dès qu'un jeune devant être transféré au plus tard à 20 ans aura atteint l'âge de 18 ans, on va tout de suite demander son transfert au pénitencier parce qu'on se dira que, même si on continue à faire du bon travail avec lui, ce travail sera gâché par son séjour subséquent au pénitencier.

• 1745

Donc, même s'il est préférable qu'une sentence adulte commence à être purgée dans un centre jeunesse, on ne résout pas vraiment le problème.

[Traduction]

Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, monsieur Trépanier.

Monsieur Maloney, je crois que vous serez le dernier à intervenir.

Je m'inquiète un peu de votre situation, madame Silverberg, car vous avez un avion à prendre.

Chef Christine Silverberg: Ce n'est qu'un vol; je peux toujours prendre un vol plus tard.

Le vice-président (M. Ivan Grose): Monsieur Maloney.

M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.): Pour ce qui est de la période de 60 jours prévue pour la tenue d'un procès, quelles seraient les sanctions ou les ramifications si on ne pouvait pas respecter cet échéancier? Quels sont les obstacles qui existent actuellement, et dans quelle mesure cela changerait-il si l'on imposait cette période de 60 jours?

M. Vincent Westwick: Je ne sais pas quels sont les obstacles à l'égard de la mise en oeuvre de cette proposition. Dans l'affaire Askov et dans le cas de la plupart des programmes provinciaux qui visent à accélérer le processus, nous avons constaté que les systèmes judiciaires fonctionnent de façon beaucoup plus efficace que ce n'était le cas il y a cinq, six ou dix ans. Évidemment, tout cela ne se fait pas en 60 jours, mais je crois que le système judiciaire pourrait s'adapter à la situation.

Sans vouloir être désinvolte et aller jusqu'à dire qu'il n'y aura aucune conséquence et qu'aucun administrateur judiciaire du pays ne sera exaspéré par mes remarques, je crois que cela pourrait être mis en place. Et j'ajouterai que cela accroîtrait la pression qui s'exerce sur la police. Ce ne serait pas sans conséquences pour la police.

Toutefois, il nous apparaît très important qu'il n'y ait pas de délai, car nous connaissons les adolescents.

M. John Maloney: Je ne m'oppose pas à l'idée que le procès se tienne dans les 60 jours, mais comment mettre en oeuvre cette mesure? C'est une bonne idée, mais comment la mettre en pratique?

M. Vincent Westwick: Il suffit d'imposer cette mesure; les tribunaux s'adapteront. On en verra immédiatement les conséquences. Il y aura une période difficile d'adaptation, comme cela a été le cas après l'arrêt Askov, mais dans quelques années, dans cinq ou dix ans, ce sera devenu la norme et ça fonctionnera bien. Cela signifie que les agents de police devront constituer leurs dossiers plus tôt et que les dates de comparution devant le tribunal devront être fixées plus tôt, mais une fois que le système se sera adapté, ce ne sera pas difficile. Je ne vois pas pourquoi on résiste tant à cette idée, honnêtement.

Chef Christine Silverberg: Si on veut accélérer la procédure, cela aura une incidence sur les ressources, que ce soit les ressources des tribunaux ou celles de la police. Cela a toujours des conséquences pour les ressources.

M. John Maloney: Monsieur Trépanier, étant donné qu'au Québec l'attitude est différente, que ce soit dans les médias, au sein de la police, chez les juges et tous ceux qui travaillent à appliquer la Loi sur les jeunes contrevenants, cette philosophie ne pourrait- elle pas tout aussi bien s'appliquer en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents? Pourquoi les choses changeront-elles le lendemain de l'adoption de ce projet de loi?

M. Jean Trépanier: La Loi sur les jeunes contrevenants permet une perspective davantage axée sur l'éducation, la réadaptation et les besoins des jeunes contrevenants que le projet de loi C-3.

M. John Maloney: Mais ce projet de loi insiste davantage sur les mesures extrajudiciaires, n'est-ce pas? Cette pratique ne deviendrait-elle pas alors plus répandue?

M. Jean Trépanier: Oui. Toutefois, si vous examinez, par exemple, les objectifs et les principes qui doivent guider le juge dans le choix de la mesure qu'il imposera aux jeunes contrevenants, les critères et les facteurs que le juge doit prendre en compte mènent à une approche beaucoup plus punitive qu'en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants.

M. John Maloney: Les juges peuvent prendre en compte ces facteurs, mais ils ne sont pas tenus de le faire.

M. Jean Trépanier: La très grande majorité des facteurs énumérés aux articles 37 et 38, qui font trois pages, concernent l'infraction. Le juge qui examinera ces dispositions se demandera quel est le message que le Parlement a voulu transmettre. Ce message, c'est que l'infraction doit constituer le fondement de toute décision prise par un juge, bien davantage qu'en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants, où l'infraction ne pèse pas autant parmi les facteurs dont le juge doit tenir compte.

• 1750

Je ne veux pas par là laisser entendre que nous devrions transformer la loi fédérale en une loi de protection de la jeunesse. Ce n'est pas du tout ce que je veux dire. Plutôt, j'estime que ce projet de loi est trop punitif, et c'est la principale préoccupation des Québécois.

N'oublions pas que l'une des principales différences entre le Québec et certaines autres provinces, c'est que l'âge de la responsabilité pénale est de 18 ans, et ce, depuis près de 60 ans. L'ancienne Loi sur les jeunes délinquants fixait l'âge de la responsabilité pénale—c'est-à-dire l'âge auquel un contrevenant est traduit devant un tribunal pour adultes plutôt que devant un tribunal de la jeunesse—à 16 ans, et prévoyait la possibilité de la fixer à 17 ou 18 ans à la demande de la province.

À l'entrée en vigueur de la Loi sur les jeunes contrevenants, cet âge était de 18 ans au Québec et au Manitoba, de 17 à Terre-Neuve et en Colombie-Britannique, et de 16 partout ailleurs au Canada. Lorsque ce projet de loi a été déposé au Parlement, le changement proposé à l'époque était symbolique. On proposait de fixer à 18 ans l'âge de la responsabilité pénale, et on prévoyait la possibilité de l'abaisser à 17 ou 16 ans à la demande d'une province. Manifestement, ce serait le statu quo qui prévaudrait. Mais entre 1980 et 1982, soit la période pendant laquelle le Parlement a été saisi du projet de loi, la Charte a été adoptée, et on a jugé qu'il ne serait pas conforme à la Charte de prévoir un âge de la responsabilité pénale qui ne serait pas le même dans tout le pays. On a donc décidé de le fixer à 18 ans.

En conséquence, dès 1985, année où on a uniformisé l'âge de la responsabilité pénale au Canada, le Québec avait déjà, depuis 1942, établi un réseau de ressources pour les 16 et 17 ans. À l'époque, ce réseau était imbu de la philosophie selon laquelle on doit aider les enfants et les réinsérer dans la société. La grande majorité des centres jeunesse du Québec sont dotés de personnel ayant une formation universitaire, ce qui n'est certainement pas le cas de toutes les autres provinces du Canada. Ceux qui administrent ces programmes ont une formation universitaire; ils ne se contentent pas de mettre les enfants sous garde pour qu'ils purgent leur peine. Il y a donc le personnel, la mentalité et cette idée selon laquelle on doit agir pour aider ces enfants à changer leur comportement dans la mesure du possible.

Ce qui s'est fait au Québec s'est fait sur plusieurs dizaines d'années; ces traditions en matière d'intervention ne se créent pas en 10 ans à peine. Voilà à peine 15 ans que l'âge de la responsabilité pénale a été établi à 18 ans à l'échelle du pays; on ne peut donc s'attendre à ce que des ressources similaires aient été créées dans tout le Canada en quelques années. L'Ontario en est un bon exemple. On y a adopté une version modifiée du statu quo selon laquelle les jeunes contrevenants de 16 et 17 ans relèvent toujours du ministère des Services correctionnels, comme lorsqu'ils étaient considérés comme des adultes.

À mon avis, ailleurs au Canada on n'a pas déployé suffisamment d'efforts pour profiter de ce que permet la Loi sur les jeunes contrevenants en matière de programmes de réadaptation pour les jeunes contrevenants, que ce soit dans les centres de détention ou dans la collectivité. Je crains que, parce que cela n'a pas été fait, les gens ne disent que la Loi sur les jeunes contrevenants ne vaut rien et qu'on devrait s'en débarrasser. On devrait plutôt se demander si on a su concevoir les bons programmes.

• 1755

Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, monsieur Trépanier.

Je crois que nous nous arrêterons là. Je remercie les témoins. Encore une fois, je suis désolé que nous ayons dû interrompre la séance, mais c'est ainsi que ça se passe ici. Vous nous avez donné de nouvelles idées, qui ne sont pas toutes positives, mais c'est pour cela que nous entendons des témoins, pour savoir ce qui est positif et ce qui est négatif. Vous avez souligné la complexité du projet de loi, une remarque que seuls quelques témoins entendus récemment ont faite. Cela aussi nous donnera matière à réflexion pendant notre examen article par article.

Merci beaucoup.

La séance est levée.