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SINT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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SUB-COMMITTEE ON INTERNATIONAL TRADE, TRADE DISPUTES AND INVESTMENT OF THE STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

SOUS-COMITÉ DU COMMERCE, DES DIFFÉRENDS COMMERCIAUX ET DES INVESTISSEMENTS INTERNATIONAUX DU COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 20 avril 1999

• 1547

[Traduction]

La présidente (Mme Sarmite Bulte (Parkdale—High Park, Lib.)): Bon après-midi, mesdames et messieurs et bienvenue au Sous-comité du commerce, des différends commerciaux et des investissements internationaux. Nous étudions la zone de libre- échange des Amériques et nous consultons le public sur le rôle que le Canada devrait jouer à la table de négociation, sur les questions qui sont importantes pour nous et sur ce que nous espérons réaliser grâce à la ZLEA tandis que nous nous préparons séparément pour l'OMC. Je tiens à souhaiter la bienvenue à tous nos témoins de cet après-midi. Merci beaucoup d'être venus.

Monsieur Campbell, si nous pouvons commencer par vous, nous serons ravis d'entendre votre témoignage.

M. Bruce Campbell (directeur exécutif, Centre canadien de politiques alternatives): Merci beaucoup, madame la présidente. Je vous remercie de m'avoir invité. Je m'appelle Bruce Campbell. Je suis le directeur exécutif du Centre canadien de politiques alternatives.

Je voudrais surtout faire valoir qu'avant de négocier un accord hémisphérique d'ici l'an 2005, vous devriez examiner le bilan de l'ALE et de l'ALÉNA de ces 10 dernières années. Pour savoir où vous allez, il peut être utile de savoir d'où vous venez.

L'ALÉNA est certainement le modèle à partir duquel la ZLEA sera négociée. Est-ce un bon modèle? Le bilan s'étale maintenant sur 10 ans. Quelles sont les leçons que nous pouvons tirer du passé pour éviter des erreurs à l'avenir?

Cette évaluation serait plus utile qu'une étude de faisabilité des répercussions potentielles de la ZLEA étant donné qu'il est extrêmement difficile de prédire l'avenir et c'est le moins qu'on puisse dire. Pourtant, par le passé, les gouvernements ont eu davantage tendance à le faire qu'à évaluer les résultats après coup. C'est sans doute parce que, dans le premier cas, vous pouvez construire un monde idéal à partir d'hypothèses optimistes, après quoi l'analyse des répercussions ne fait que confirmer cet optimisme.

On nous avait promis que l'ALE nous apporterait une nouvelle ère de prospérité, mais 10 ans plus tard, la situation est assez lamentable, si lamentable qu'au cours de ce siècle nous n'avons connu qu'une seule décennie qui ait été pire en ce qui concerne la baisse du niveau de vie et du revenu moyen et l'augmentation des inégalités. Cela a donc été une décennie perdue. Souvenez- vous qu'on nous promettait des emplois et la prospérité. Nous n'allions pas traverser des moments extrêmement difficiles dont nous devions nous protéger au moyen d'un accord de libre-échange.

Bien entendu, il serait stupide de prétendre que l'Accord de libre-échange est responsable de toutes nos difficultés, mais il a joué un rôle et il en est en partie responsable. Et c'est surtout cela que je veux faire valoir. L'ALE n'a certainement pas tenu ses promesses.

• 1550

Le commerce et l'investissement transfrontières se sont grandement développés. Nous nous y attendions. Mais le commerce n'est pas une fin en soi; c'est le moyen d'arriver à une fin. L'expansion du commerce a peut-être été la source d'une plus grande prospérité pour certains, mais pas pour la plupart des gens. Dans l'ensemble, les gens ne voient pas en quoi l'élargissement du commerce extérieur leur a profité.

On a fait valoir à l'époque qu'un meilleur accès à un marché plus vaste rationaliserait la production, créerait des économies d'échelle et une plus grande efficacité et comblerait l'écart dans la productivité—nous parlons toujours d'écart dans la productivité—ce qui se traduirait par un plus grand nombre d'emplois et des revenus plus élevés. Il y a eu des progrès importants dans certains secteurs et certaines entreprises, mais la productivité d'ensemble de l'économie est restée défaillante.

Nous sommes devenus plus dépendants du marché américain ce qui nous rend encore plus vulnérables aux mesures de rétorsion que les États-Unis prennent contre nous lorsque nos politiques ne leur plaisent pas. Comme l'a dit Margaret Atwood, nous sommes devenus pas seulement la queue, mais le bout de la queue du chien américain et nous risquons de nous faire secouer sérieusement. Nous dépendons toujours beaucoup des ressources naturelles et notre commerce de la technologie continue d'accuser un lourd déficit.

L'emploi dans le secteur de la fabrication, qui avait été stable pendant toutes les années 80, affichait un recul de 13 p. 100, en 1996, ce qui malgré l'amélioration de la balance commerciale bilatérale des fabricants dans la plupart des secteurs, représentait trois fois le déclin de l'emploi dans le secteur de la fabrication aux États-Unis. Pendant ce temps, l'emploi dans la zone maquiladora qui produit pour l'exportation à la frontière sud des États-Unis a connu une croissance explosive de 116 p. 100 au cours des six premières années de la décennie.

Les secteurs traditionnels comme le vêtement, le textile, le cuir, l'ameublement, les produits de papier et les métaux primaires ont été durement touchés, perdant entre 20 et 40 p. 100 de leur main-d'oeuvre, mais les secteurs gagnants l'ont été aussi, par exemple l'électricité qui a perdu le quart de ses emplois.

Nous avons suivi les activités de cinq des principaux producteurs et commerçants, cinq des plus grandes sociétés de la planète, les trois grands fabricants d'automobile, General Electric et Dupont. Voici ce qu'ils ont fait. Ils ont éliminé 16 000 emplois au Canada, 80 000 aux États-Unis et ils en ont ajouté 55 000 dans ses usines de la zone maquiladora.

Les salaires des travailleurs des trois pays ont stagné ou ont diminué tandis que les recettes, la rémunération des cadres et les bénéfices des entreprises ont largement augmenté.

Dans le modèle d'intégration de l'ALÉNA, la dynamique de la compétitivité est l'un des principaux facteurs qui ont dirigé l'ajustement structurel de l'économie canadienne en l'harmonisant avec celle de son partenaire beaucoup plus puissant du Sud. Le cri de ralliement de l'entreprise a été et continue d'être que nous avons besoin de règles du jeu équitables, c'est-à-dire de conditions semblables sur le plan des impôts, de l'assurance- emploi, des salaires et avantages sociaux, des syndicats, de la législation du travail, etc. Nous devons nous demander si cette dynamique de la compétitivité est un bon modèle pour un accord hémisphérique. Dans quelle mesure nos politiques, nos institutions et nos structures se sont-elles alignées davantage sur celles des Américains au cours des 10 dernières années?

Ces transformations ne se produisent pas du jour au lendemain. Il y a eu un changement, parfois rapide, parfois lent, mais l'effet cumulatif a été marqué. Par exemple, les entreprises publiques jouent un rôle moins important; il y a eu une américanisation des soins de santé; également, dans le secteur de l'éducation, l'harmonisation a ralenti; la taille du secteur public s'est rétrécie et les dépenses sociales ont diminué, se rapprochant des niveaux américains.

Le régime d'assurance-chômage a été largement harmonisé avec celui des États-Unis. Des pressions ont été exercées pour que le gouvernement abaisse les impôts sur le revenu des particuliers et le revenu des sociétés à des niveaux comparables à ceux des États-Unis. Nous en avons beaucoup entendu parler ces dernières années et je suppose qu'il en sera encore question au cours des mois à venir. Il y a eu aussi un affaiblissement des institutions et des normes du travail. La répartition canadienne des revenus commence à ressembler davantage à celle des États-Unis et les systèmes de transport et de communication est-ouest ont été redirigés dans la direction nord-sud.

Cette dynamique de la compétitivité a également mis lourdement à contribution notre capacité financière et cela surtout par l'entremise de trois mécanismes.

• 1555

Le premier est l'accélération de la restructuration proprement dite, ce qui a entraîné des fermetures d'usines et des mises à pied. Les négociations se déroulant sous la menace d'une fermeture, elles ont donné lieu à des concessions, des compressions de salaires et un recours accru à une main-d'oeuvre occasionnelle ou juste à temps. Par conséquent, avec la stagnation ou la baisse des revenus, l'assiette de l'impôt s'est rétrécie de même que les revenus du gouvernement. Si l'on ajoute à cela les pressions exercées sur l'assurance-chômage et l'aide sociale, le résultat a été un alourdissement des déficits et une réduction des dépenses.

Le deuxième mécanisme qui a causé des pressions financières est l'intensification de la surenchère à laquelle se livrent les gouvernements nationaux et infranationaux en offrant des subventions et des incitatifs sur le plan de la fiscalité et de la réglementation aux investisseurs transnationaux. Cela a également accru les pressions en faveur d'une réduction des dépenses sociales.

Enfin, la politique monétaire a servi à contrôler les salaires en ce sens que les taux d'intérêt élevés créent du chômage. Les décideurs politiques craignaient que les hausses de salaires accordés au Canada à la fin des années 80 soient trop élevées par rapport aux États-Unis. Selon eux, c'était surtout important dans un contexte de libre-échange concurrentiel. Cette politique s'est traduite par des mesures d'austérité monétaire, un ralentissement économique, des pertes de revenu pour le gouvernement et une croissance du déficit et de la dette au début des années 90. L'austérité monétaire—dont nous ressentons toujours les effets—a également entraîné une hausse du dollar et accéléré le rythme de l'ajustement, c'est-à-dire les pertes d'emploi, les fermetures, les faillites, etc.

Je sais que je dépasse le temps que vous m'avez accordé. Madame la présidente, je ne sais pas à quel point vous êtes stricte. Peut-être pourriez-vous me dire combien de temps il me reste.

La présidente: Il vous reste environ minutes.

M. Bruce Campbell: D'accord.

La présidente: C'est pour que nous ayons la possibilité d'entendre tout le monde et ensuite de poser des questions.

M. Bruce Campbell: D'accord. Je voulais parler du lien entre l'ALÉNA et la politique générale. À d'autres endroits, j'ai qualifié le programme néo-libéral de couteau suisse, d'instrument polyvalent. Mais je ne plaisanterai pas avec vous à ce sujet.

Je voudrais seulement faire une ou deux dernières observations. L'une d'elle concerne le mécanisme de règlement des différends opposant un investisseur et un État. Cela ne figurait pas dans l'accord initial, mais c'est une disposition qui a été négociée dans l'accord ultérieur et qui revêt une importance cruciale. Comme vous le savez, elle confère aux investisseurs étrangers le droit de poursuivre les gouvernements devant les tribunaux, en fait pour contester leur politique. Il y a eu quatre cas de ce genre jusqu'ici. La société Ethyl a poursuivi le gouvernement fédéral pour avoir interdit l'importation et le commerce interprovincial de l'additif pour essence MMT qui risque d'être dangereux pour la santé publique et l'environnement. Le gouvernement a ensuite annulé son interdiction et a versé à la société Ethyl un dédommagement de 20 millions de dollars dans le cadre d'un règlement hors cour. Il y a eu aussi l'affaire S.D. Myers, l'affaire Sun Belt et plus récemment, l'affaire Pope-Talbot. Ces causes en sont à divers stades de la procédure, mais toutes contestent la politique gouvernementale d'une façon que je trouve alarmante. Je crois que le mécanisme est défectueux. Il faudrait l'éliminer de l'ALÉNA et ne pas le reprendre dans la ZLEA.

Un dernier mot au sujet des solutions de rechange. Je vous demanderai de vous reporter à un livre—dont j'ai apporté quelques exemplaires—que nous avons publié et qui s'intitule Alternatives for the Americas. Nous l'avons publié en anglais, mais il est également disponible en français. Tout comme votre comité doit parcourir le pays pour consulter la société civile, cet ouvrage est le produit d'un regroupement de coalitions d'organismes de la société civile de l'ensemble de notre hémisphère. Tout a commencé au sommet de Santiago il y a environ un an. Cela a donné ce livre qui est un document de travail. Il propose une solution de rechange à l'orientation que nous avons prise dans l'ALÉNA et je crois qu'il vaut la peine d'y jeter un coup d'oeil. Je vais vous en remettre plusieurs exemplaires.

Je vais également remettre au greffier un exemplaire d'un ouvrage auquel moi-même et plusieurs autres personnes avons collaboré. Cela s'inscrivait au départ dans une étude des conséquences de l'ALÉNA sur les marchés du travail réalisée pour l'OIT. Je vous remercie.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Campbell. N'hésitez pas à remettre également votre mémoire au greffier afin qu'il puisse être distribué à tous les membres du comité.

M. Bruce Campbell: Ce sont de simples notes. Ce n'est qu'un brouillon.

La présidente: Dans ce cas, si vous avez l'occasion de les mettre au propre, je vous invite à bien vouloir nous les communiquer. J'aimerais entendre votre analogie avec le couteau suisse.

Le témoin suivant sur notre liste est Maureen Molot, directrice du Norman Patterson School of International Relations.

• 1600

Mme Maureen Molot (témoignage à titre personnel): Merci, madame la présidente. C'est un plaisir pour moi que d'avoir été invitée à témoigner au sujet de la ZLEA. Je vais commencer par vous présenter notre mémoire, après quoi mon collège, Jean Daudelin, terminera.

Le Canada a été le principal promoteur de la ZLEA depuis 1994. Dans notre mémoire, nous examinons dans quelle mesure cette position canadienne est justifiée dans la perspective des intérêts commerciaux du Canada en général et également du point de vue de ses relations à long terme avec les pays des Amériques. Nous parlerons du Canada et de la ZLEA en posant un certain nombre de questions cruciales concernant l'appui solide que le Canada a manifesté pour le principe de la ZLEA depuis 1994. Notre mémoire soulève la question de savoir si le rôle que nous avons joué ces dernières années en tant qu'ardents promoteurs de la ZLEA est justifié.

Nos observations portent sur quatre grandes questions: premièrement, la place de l'Amérique latine dans les échanges commerciaux du Canada; deuxièmement, les perspectives actuelles de création du ZLEA; troisièmement, si le Canada devrait continuer à promouvoir énergiquement la création d'une zone de libre-échange des Amériques et quatrièmement, une conclusion qui formule des recommandations pour l'élaboration de la politique canadienne. Chacune de ces quatre grandes questions comporte des éléments subsidiaires.

Nous croyons qu'il n'est pas vraiment dans l'intérêt du Canada et des Canadiens de promouvoir la ZLEA avec autant d'enthousiasme. Ce projet a été surtout stimulé par les événements politiques et commerciaux survenus à l'échelle mondiale. Il y a peu de chances pour le moment que ce projet ne soit mis en oeuvre et sa promotion continue surcharge notre capacité de négociation commerciale, nuit à nos relations avec la plupart des pays de l'hémisphère et pourrait avoir des conséquences négatives pour nos relations avec le Brésil, la plus grosse économie d'Amérique du Sud.

Pour en revenir à la première question, la place de l'Amérique latine dans les échanges commerciaux du Canada, en un mot, ces relations sont très mineures. Environ 2 p. 100 des exportations canadiennes vont vers l'Amérique latine. Cette proportion n'a pas beaucoup changé depuis près de 20 ans. Cela pourrait être considéré comme un bon résultat dans la mesure où le commerce avec l'Amérique latine a maintenu son rythme par rapport à la croissance presque explosive qu'ont connue les exportations canadiennes. En même temps, le fait est que le niveau de nos exportations vers l'Amérique latine est loin d'être impressionnant. En outre, la crise économique qu'a récemment connue cette région ainsi qu'une dévaluation importante de la monnaie brésilienne vont sans doute diminuer davantage la capacité d'importation de ces pays à court terme. Compte tenu des difficultés économiques et politiques persistantes auxquelles sont aux prises les principales économies de la région dont le Venezuela, la Colombie, le Brésil et l'Argentine, il est peu probable qu'à moyen terme l'Amérique latine devienne un partenaire commercial important pour le Canada.

Pour ce qui est des investissements canadiens dans cette région, le tableau est peut-être plus clair et plus négatif dans une certaine mesure. En général, la part des investissements canadiens à l'étranger qui revient à l'Amérique latine a chuté depuis le début des années 80. Le seul pays dans lequel le Canada est un investisseur important est le Chili.

Le potentiel économique en Amérique latine reste appréciable. Pour certaines entreprises et certains secteurs, l'accès au marché latino-américain est actuellement important ou pourrait le devenir. Un accord commercial vaste et complexe négocié avec 33 autres gouvernements sur une période de plusieurs années ne sera toutefois pas le moyen le plus efficace d'aider ces entreprises spécialisées.

Par conséquent, je fais valoir qu'en ce qui concerne le tableau d'ensemble des échanges commerciaux du Canada, l'Amérique latine n'y joue qu'un rôle de second plan.

La deuxième question importante est le Canada en tant qu'économie nord-américaine. Le Canada est plus intégré que jamais dans l'économie nord-américaine. Cette intégration transcende ses relations commerciales et se fonde sur des stratégies d'investissement et des structures industrielles qui considèrent l'Amérique du Nord comme une seule et même entité. La principale manifestation de cette intégration est le niveau massif d'échanges commerciaux intra-entreprises qui ont lieu entre le Canada, les États-Unis et le Mexique. Cette unité économique nord-américaine ne va probablement pas s'étendre au- delà du Mexique vers le sud et certainement pas au cours de la prochaine décennie. Les conflits qui surgissent constamment au sein de l'ALÉNA pourraient faire du tort à l'économie canadienne et devraient être réglés en priorité. Autrement dit, nous considérons que l'ALÉNA représente l'accord commercial préférentiel le plus important pour le Canada.

En troisième lieu, le système multilatéral mondial représente la priorité suivante. Dans la mesure où les intérêts commerciaux du Canada peuvent être protégés au moyen d'un régime fondé sur des règles qui s'étendent au-delà de l'Amérique du Nord, le système bilatéral mondial est le seul qui soit suffisamment robuste pour faire face à nos voisins du Sud. De plus, c'est seulement à ce niveau, soit au sein de l'OMC que nous pouvons gérer nos relations avec les autres grandes puissances économiques mondiales.

• 1605

La deuxième question importante est celle des perspectives actuelles de création d'une zone de libre-échange des Amériques. Tout d'abord, il y a peu d'efforts ou de pressions qui sont actuellement déployés dans ce sens. Nous oublions trop souvent que le projet de zone de libre-échange allant de l'Alaska à Tierra del Fuego a été formulé à la fin des années 80 par le président américain George Bush à une époque où la concurrence était serrée entre les grandes puissances économiques mondiales et où les négociations en vue d'une libéralisation mondiale du commerce étaient dans l'impasse. Le but initial de la ZLEA était de créer un bloc américain pour résister au bloc européen et au bloc Asie-Japon.

Ce contexte a, bien entendu, changé énormément. Il a changé avec la conclusion des négociations de l'Uruguay et l'établissement de l'OMC qui ont dissipé la crainte de voir le monde se diviser en trois blocs opposés. Dans ce nouveau contexte, il est peu nécessaire de procéder à une nouvelle libéralisation au niveau de l'hémisphère, comme en témoigne certainement le manque relatif d'intérêt que le milieu des affaires manifeste pour la ZLEA.

Comme je viens de le dire, il faut accorder la priorité aux négociations commerciales multilatérales qui doivent débuter l'automne prochain aux États-Unis et d'autres initiatives sont peu nécessaires et suscitent peu d'intérêt.

Deuxièmement, pour comprendre quelles sont les perspectives de création d'une ZLEA, il faut tenir compte de ce qui se passe actuellement aux États-Unis et de toute la question de la procédure accélérée. Un président américain va-t-il obtenir cette procédure accélérée? Nous avons vu que les efforts déployés dans ce sens par le président Clinton sont restés vains. Même si la procédure accélérée n'est pas nécessaire pour entamer la prochaine série de négociations de l'OMC, elle présente un intérêt symbolique peut-être plus important depuis que le président Clinton a retiré sa demande à l'automne de 1997. L'Amérique latine a suscité un intérêt bipartisan et a été inscrite par plusieurs présidents américains à l'ordre du jour d'un programme centré sur le leadership politique et économique des États-Unis dans l'hémisphère, mais pour obtenir l'appui du Congrès, il faudrait mener des négociations intensives.

Pour les autres pays de l'hémisphère, la procédure accélérée est un signe d'engagement envers le processus de la part des États-Unis. Même si le débat est centré sur l'autorisation d'opter pour la procédure accélérée, en réalité, il ne porte pas uniquement sur le commerce. Il s'agit plutôt de définir dans quelle mesure les États-Unis sont prêts à influencer le programme international de commerce et d'investissements et quelle est leur stratégie de négociation préférée. Est-elle régionale ou mondiale? Quelle est l'interaction entre les deux? En outre, un programme plus vaste que la simple libéralisation du commerce et de l'investissement et les difficultés économiques des deux principales économies latino-américaines, soit le Mexique et le Brésil, va faire hésiter beaucoup de gens aux États-Unis. Le fait que le Mexique ait connu de graves problèmes économiques depuis la mise en oeuvre de l'ALÉNA, y compris la crise du peso et les retombées actuelles de la chute des cours du pétrole qui a accompagné la crise asiatique, réduit l'intérêt manifesté aux États-Unis pour l'augmentation des échanges avec l'Amérique latine.

Je n'insisterai pas davantage sur ce point, mais il est clair selon moi qu'un président américain aura beaucoup de difficulté à obtenir la procédure accélérée et que les membres de la Chambre des représentants s'intéressent surtout aux questions nationales.

Un autre facteur à considérer est l'augmentation du déficit commercial des États-Unis. Encore une fois, je n'ai pas le temps d'entrer dans les détails, mais nous citons un article publié dans The Economist il y a quelques semaines qui souligne l'accroissement du déficit commercial américain, qui se chiffrait à 254 milliards de dollars US en 1998 et qui grossit de mois en mois en 1999. Apparemment, un article d'un récent numéro de Foreign Affairs porte sur la même question. La croissance du déficit commercial américain pose toutes sortes de problèmes pour les membres du Congrès et réduit leur intérêt à adopter la procédure accélérée.

Curieusement, la région du monde avec laquelle les États- Unis ont un excédent commercial est l'Amérique centrale et l'Amérique du Sud.

Un autre facteur à considérer en ce qui concerne la position des États-Unis vis-à-vis de la ZLEA est l'effet négatif de la crise économique asiatique sur les États-Unis. Tous les marchés émergents présentent moins d'intérêt que par le passé. Il y a eu une perte de confiance dans l'Amérique latine. La façon dont le Mexique, le Brésil et de nombreux autres pays d'Amérique latine géreront leur économie suite à la crise asiatique pourra influencer l'attrait qu'ils présenteront comme partenaires potentiels dans le cadre d'un accord commercial préférentiel.

• 1610

Il n'est pas possible de répondre clairement à cette question pour le moment ou d'ici quelques années.

Mon collègue va maintenant continuer.

[Français]

M. Jean Daudelin (témoigne à titre personnel): Madame la présidente, je vais résumer les principaux points du reste de la présentation en français. Nous n'avons malheureusement pas eu le temps de la traduire, mais je vais essayer de vous brosser un portrait dans la langue de Molière.

Au-delà des problèmes posés au projet d'intégration hémisphérique par les résistances américaines, le projet ne trouve pas beaucoup d'appui en Amérique latine. L'économie la plus importante du continent, le Brésil, n'est pas un apôtre du projet, et ce pays s'était affiché très tôt comme un critique. L'initiative Bush n'y avait pas été accueillie avec plaisir. Les Brésiliens avaient même annoncé qu'ils seraient les avant-derniers à se joindre à une ZLEA, juste avant Cuba.

Il y a plusieurs raisons à cela. La première, c'est que le Brésil donne la priorité au MERCOSUR dans sa politique commerciale, c'est-à-dire à cet arrangement commercial qu'il a établi avec l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay dans le but de constituer le coeur d'un bloc économique relativement bien intégré. De plus, par le biais des accords parallèles, ces pays ont entrepris d'élargir la portée du MERCOSUR en signant des accords d'association avec le Chili et la Bolivie, et en en négociant d'autres avec des pays andins. Le Brésil a une stratégie très sud-américaine et voit d'un mauvais oeil la précipitation de l'administration Clinton, et en particulier celle du gouvernement canadien, à imposer un schéma hémisphérique qui serait inévitablement dominé par les États-Unis.

Par ailleurs, le public brésilien n'est pas particulièrement enthousiaste non plus. Une équipe de l'Université de Sao Paulo a récemment fait un sondage auprès des petites, moyennes et grandes entreprises de la région de Sao Paulo, qui démontre très clairement que si le MERCOSUR est considéré comme très avantageux pour le Brésil, la Zone de libre-échange des Amériques est perçue comme une menace.

De plus, le Brésil a un problème de capacité ou de ressources au niveau de la négociation. On faisait état récemment, dans des revues brésiliennes, du fait qu'alors que les Américains sont capables de mobiliser 50 ou 60 négociateurs pour chaque dossier, les 15 Brésiliens doivent négocier l'ensemble des problèmes. Il existe donc des problèmes de capacité, de volonté politique, de stratégie et d'appui, tant au niveau du secteur privé qu'au niveau des syndicats et des organisations de la société civile.

Par ailleurs, vous savez sans doute que le Brésil a connu une crise financière assez importante au début de l'année, dont découlent des problèmes économiques et sociaux très importants qui s'imposent au gouvernement comme la priorité absolue dans le programme politique, de sorte que la place de la libéralisation commerciale dans le portrait général du programme politique du gouvernement brésilien est tout à fait limitée.

Quant au Mexique, la seconde plus grande économie de l'Amérique du Sud, il n'est pas non plus très intéressé à l'aire de libre-échange des Amériques. Le Mexique a payé très chèrement son accès garanti au marché américain et à l'OCDE à l'époque. La libéralisation totale, en particulier dans le secteur financier, est considérée comme une des causes de la crise du peso et de l'effondrement financier de la première moitié des années 1990. Par ailleurs, dans la mesure où ce pays a payé si cher l'accès garanti au marché américain, il n'est pas particulièrement intéressé à ce que d'autres y entrent, en particulier le Brésil, qui a aussi une industrie automobile et qui pourrait faire une concurrence dangereuse aux Mexique.

Finalement, au-delà de ces pays, la plus grande partie des économies de l'Amérique latine sont assez petites. On oublie souvent, par exemple, que l'économie chilienne a à peu près la même taille que celle de l'île de Montréal et que de nombreuses autres économies sont beaucoup plus petites. Ces gouvernements ont une capacité très limitée en termes de négociations et en termes de politique commerciale, et ils doivent négocier au niveau sous-régional, au niveau global et au niveau de la Zone de libre-échange des Amériques, ce qui leur impose des charges très lourdes.

• 1615

Donc, tant du côté de l'Amérique latine que des États-Unis, les perspectives pour la Zone de libre-échange des Amériques sont assez mauvaises. Est-ce que le Canada doit continuer d'en faire la promotion aussi énergiquement qu'il le fait de longue date? On a essayé d'examiner les bénéfices, les coûts et les raisons plus strictement défensives qui feraient en sorte que le Canada devrait le faire.

En ce qui concerne les bénéfices, celui qui est généralement évoqué est la possibilité de fournir un contrepoids à l'influence des États-Unis dans la région. Le premier problème est que le pays clé pour faire un contrepoids potable, le Brésil, et le second pays clé, le Mexique ne sont pas intéressés à la formule. C'est donc un peu contradictoire. Si la stratégie de promotion de la Zone de libre-échange des Amériques est de constituer une coalition, il faudrait s'entendre avec les deux principaux membres de la coalition potentielle, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Un autre argument qui est à l'occasion évoqué est celui d'un sandbox, comme on dit en anglais, c'est-à-dire une espèce de petite aire de pratique qui permettrait de discuter de certaines questions qui seront abordées plus tard dans le cadre multilatéral global. C'est un argument qui a son intérêt, mais étant donné la capacité de négociation limitée du Canada, nous ne sommes pas certains que la pratique hémisphérique représente un bon investissement.

Un troisième avantage, dit-on, est que cela nous permet d'améliorer nos relations avec l'ensemble du continent. Nous ne trouvons pas cet argument particulièrement convaincant non plus, parce que, comme je l'ai dit plus tôt, les deux plus gros pays ne sont pas très intéressés. Les petits pays sont débordés et les pays andins, le Venezuela, la Colombie, le Pérou et la Bolivie, qui représentent le troisième groupe pertinent, sont pour l'essentiel en crise politique et économique actuellement et sont susceptibles d'être très peu intéressés par un projet semblable.

Voici une dernière note là-dessus. Le Canada semble oublier à l'occasion que l'enjeu ultime, du point de vue de l'Amérique latine, dans cette négociation, est l'accès au marché américain et que le Canada n'est pas vraiment dans le portrait des attraits d'une Zone de libre-échange des Amériques. On veut l'accès au marché américain et, du point de vue de l'Amérique latine, il est un peu étrange que ce soit le Canada qui en fasse une promotion aussi enthousiaste.

En ce qui concerne les coûts, il est certain que cela nuit à nos relations avec le Brésil, qui sont déjà mauvaises pour d'autres raisons, en particulier le conflit concernant les avions avec Bombardier.

Par ailleurs, dans le contexte de nos relations avec l'Amérique latine, cela renforce l'image du Canada comme un associé étroit des États-Unis. Dans une foule de petits dossiers, le Canada se retrouve du même côté de la table que les États-Unis: dans le domaine des normes de travail, dans le domaine des normes environnementales, dans le domaine de la participation de la société civile, toutes choses sur lesquelles on peut être en parfait accord, mais pour lesquelles les Latino-Américains ne sont pas très chauds.

On présente souvent la Zone de libre-échange des Amériques comme un moyen de se défendre. Il y aurait trois menaces: l'Europe, le Mexique et surtout les États-Unis.

En ce qui concerne la menace européenne, il est douteux, considérant l'importance de l'agriculture dans la structure commerciale de l'Amérique latine et de l'Europe, que les négociations mènent très loin, très vite. Le Mexique n'est pas un compétiteur significatif pour le Canada. Le seul véritable danger, c'est que les États-Unis s'engagent dans une négociation effective avec les pays latino-américains, qui laisserait le Canada de côté, ce que nous ne considérons pas être une possibilité très importante.

Voici la conclusion. Sans même remettre en cause la logique de la politique commerciale du Canada, comme le faisait tout à l'heure M. Campbell, il est difficile de considérer que la Zone de libre-échange des Amériques est un objectif valable pour le Canada. Il nous semble que le Canada a plus à perdre qu'à gagner dans sa promotion de ce projet et que le gouvernement devrait peut-être même envisager d'élaborer une stratégie de retrait ou une stratégie de conversion des efforts engagés jusqu'à maintenant dans les négociations de l'OMC, ce qui soulagerait beaucoup de petits pays débordés et qui faciliterait, dans une mesure sans doute non négligeable, nos relations avec le Brésil et le Mexique.

Merci.

La présidente: Merci beaucoup.

[Traduction]

Madame Screenivasan, s'il vous plaît.

• 1620

Mme Gauri Screenivasan (coordonnatrice, Unité des politiques, Conseil canadien pour la coopération internationale): Merci beaucoup de m'avoir invitée à prendre la parole. Je m'appelle Gauri Screenivasan. Je coordonne l'Unité des politiques du CCCI, le Conseil canadien pour la coopération internationale, qui regroupe des ONG canadiens comme OXFAM et CUSO. Nous sommes ici aujourd'hui avec le Groupe sur les politiques dans les Amériques du CCCI qui chapeaute une quarantaine de nos membres, les Églises, les syndicats et plusieurs organismes humanitaires spécialisés qui travaillent en collaboration avec une centaine de partenaires en Amérique latine et dans les Antilles.

Je voudrais vous parler de trois grandes questions et je pense que mon propos fera peut-être suite à certains points de vue sceptiques ou pessimistes qui ont été exprimés dans les témoignages précédents. Premièrement, nous devons examiner la dure réalité de la disjonction de plus en plus marquée entre les objectifs qui ont été énoncés pour la zone de libre-échange des Amériques et les conditions sociales et politiques réelles de ce secteur où les ONG travaillent quotidiennement. Deuxièmement, nous voulons examiner les possibilités stratégiques qui s'offrent au Canada pour combler cet écart. Et troisièmement, il s'agit de voir quels sont les principaux moyens de le faire, autrement dit, d'améliorer l'intégration des objectifs commerciaux et des objectifs de développement social grâce à une meilleure cohérence politique.

Eleanor Douglas, ma collègue, la coprésidente du Groupe sur les politiques dans les Amériques, vous parlera d'exemples précis dans les Amériques.

J'aborderai donc en premier la question de la disjonction actuelle entre nos objectifs commerciaux et les conditions réelles.

[Français]

Lors des deux premiers sommets des Amériques, Miami en 1994 et Santiago du Chili en 1998, il était clair que l'intégration économique des pays de l'hémisphère avait pour but de relever le niveau de vie des populations, d'améliorer les conditions de travail pour tous et de mieux protéger l'environnement. En outre, il ressort de la Déclaration du Sommet de Santiago que la lutte contre la pauvreté demeure l'enjeu primordial pour notre hémisphère.

À l'issue du premier sommet des Amériques à Miami, les États de l'hémisphère ont adopté un ambitieux programme d'action en 23 points pour assurer des progrès tangibles, non seulement en stimulant le commerce, mais également en favorisant la démocratie, les droits de la personne, la santé, l'éducation, etc.

Malgré un premier cadre de travail exhaustif, la planification de la partie du programme sur l'intégration économique et de libre-échange a dominé toutes les autres questions. Au lendemain du sommet de 1998 et en dépit de l'échec des États-Unis, qui voulaient accélérer le processus, les discussions de la ZLEA sont passées au niveau supérieur de négociation. Celles-ci ont commencé, comme prévu, sous l'égide du Canada, et il est fort probable qu'un accord de services aux entreprises intervienne d'ici à l'an 2000.

[Traduction]

D'un autre côté, les résultats concrets des engagements qui ont été pris au Sommet des Amériques sur le plan du développement social sont beaucoup plus difficiles à trouver. Le reste du plan d'action de 1994 se répartissait en plusieurs séries de questions et était supervisé par le Groupe de suivi du Sommet, le SIRG, qui malgré les 16 réunions qu'il a tenues depuis 1994, n'a toujours pas fait d'analyse approfondie des progrès de la réalisation des objectifs de développement social annoncés à Miami. En fait, les résultats ont déjà été constatés. Des tendances alarmantes observées sur le plan de la sécurité et du développement humain dans les années 90 ont été documentées par des organismes régionaux réputés comme la Banque interaméricaine et l'Organisation panaméricaine de la santé et sont résumées dans l'annexe du mémoire que vous avez sous les yeux. À titre d'exemple, la situation des 35 pays de la région était pire sur le plan des droits civils et politiques en 1996 qu'elle ne l'était en 1992. Près de 19 millions d'enfants travaillent et le revenu par habitant a chuté de 15 p. 100 entre 1980 et 1990.

Dans son rapport de 1997 sur le développement social, la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes indiquait que les espoirs de voir des réformes macro-économiques et institutionnelles stimulées par une croissance vigoureuse avaient été déçus et que malgré la croissance économique de 3 à 4 p. 100 enregistrée dans la plupart des pays de cette zone entre 1995 et 1997, la pauvreté s'était aggravée dans les Amériques en termes absolus dans les années 90. Les statistiques démontrent que le modèle économique basé sur un commerce libéralisé et des économies plus ouvertes, qui est déjà largement appliqué dans l'ensemble de la région, ne donne pas de bons résultats pour des millions de citoyens de l'hémisphère. Une grande partie des riches et de la classe moyenne en bénéficient, surtout ceux qui sont reliés de près à l'économie d'exportation, mais la plupart des citoyens sont de plus en plus exclus des avantages associés au développement économique.

• 1625

Le Groupe sur les politiques dans les Amériques voudrait donc souligner cette tendance contradictoire. Nous constatons en effet une désintégration sociale de plus en plus marquée chez les travailleurs et les pauvres qui contraste assez brutalement avec l'intégration croissante de la superstructure commerciale et gouvernementale dans l'hémisphère. Et l'écart est vaste, selon les statistiques que vous examinez. Vous pouvez ou bien montrer un tableau assez rose de l'intégration économique dans les Amériques ou bien un tableau plutôt décourageant.

Une deuxième chose dont nous voulions parler est le rôle que le Canada peut jouer dans l'intégration de l'hémisphère au cours des années à venir.

Nous voulons faire valoir en réalité que le Canada a affiné sa capacité à jouer un rôle politique dans les Amériques à deux niveaux. Au niveau gouvernemental, depuis que le Canada s'est joint à l'OEA il y a 10 ans, le rôle qu'il joue dans les affaires de l'hémisphère s'est accru énormément, au point où c'est maintenant un rôle de chef de file. Ce sera surtout vrai au cours des deux prochaines années étant donné que nous nous préparons à accueillir une réunion des ministres du Commerce extérieur en 1999, l'Assemblée générale de l'OEA, en l'an 2000, et le troisième Sommet des Amériques, en 2000 ou 2001.

Mais il est également essentiel d'attirer votre attention sur le fait qu'au cours de la même décennie et même avant, les organisations de sociétés civiles canadiennes, y compris celles du Groupe sur les politiques dans les Amériques, ont élargi leurs relations avec leurs partenaires d'Amérique latine et des Antilles, ont établi des réseaux hémisphériques complexes qui se penchent non seulement sur les questions de développement communautaires au niveau de la base, mais également sur le contexte politique national et international.

Étant donné les doutes que la mondialisation suscite actuellement dans l'esprit du public, que c'est le moment de repenser à un certain nombre de politiques économiques et de nous prévaloir de l'expérience acquise et des relations de la société civile canadienne dans l'hémisphère, de la position du gouvernement canadien et de son rôle de chef de file dans le processus du sommet, nous croyons que le Canada est bien placé pour jouer davantage le rôle de chef de file de façon à fusionner les objectifs de l'intégration hémisphérique avec la justice sociale, ce qui fera des Amériques un modèle d'intégration différent, qui accordera la priorité au développement humain durable. Comme le ministre des Finances, Paul Martin, l'a déclaré l'année dernière, il a fallu des années pour que la mondialisation se fasse, mais nous devons maintenant apprendre à la faire fonctionner.

En troisième lieu, il s'agit donc de voir comment, avec des relations solides au sein de la société civile et en jouant un rôle de chef de file sur le plan politique, nous pouvons promouvoir une plus grande cohésion politique pour faire en sorte que le commerce contribue à promouvoir et à atteindre nos objectifs de développement.

Le mémoire contient un certain nombre de recommandations plus détaillées, mais je voudrais parler des principales. La première porte sur la façon dont nous pouvons profiter de l'occasion pour relier la conception des accords commerciaux hémisphériques de façon beaucoup plus explicite à des objectifs de développement humain qui tiennent compte de la pauvreté. Ces objectifs doivent être inclus dans le cadre des accords au lieu d'y être ajoutés et il faut des mécanismes applicables pour faire en sorte que l'accroissement du commerce contribue vraiment à réduire la pauvreté et les inégalités et serve à relever le niveau des droits et des normes.

Les accords parallèles de l'ALÉNA sur la main-d'oeuvre et l'environnement poursuivent des objectifs louables, mais ils ont été relégués au second plan pour ce qui est de leur profil politique et de leur application. Ces accords subsidiaires se sont révélés très déficients comme instruments d'amélioration potentiels des normes sociales et environnementales.

Les organisations civiles de tout l'hémisphère ont cherché des solutions de rechange comme celles qui sont résumées dans le document. M. Campbell a déjà cité ce document qui s'intitule Alternatives for the Americas. Plusieurs réseaux travaillent à l'élaboration de divers mécanismes politiques pour atteindre ce genre d'objectifs.

Au cours de ces travaux, nous avons commencé à comparer et à contraster, par exemple, le modèle de l'ALÉNA avec d'autres modèles d'intégration économique comme MERCOSUR ou le Traité de Maastricht de l'Union européenne. Ces accords comportent eux- mêmes de nombreux défauts, mais nous croyons que, pour préparer la zone de libre-échange des Amériques, le Parlement aurait avantage à étudier le modèle existant de l'ALÉNA, ainsi que certains de ces autres modèles, afin de tirer la leçon de l'expérience acquise. Il serait utile d'analyser les caractéristiques de ces accords commerciaux qui ont servi à mieux permettre aux gouvernements et aux sociétés de traduire l'accroissement du commerce en...

La présidente: Madame Screenivasan, si je peux vous interrompre, l'interprète a du mal à vous suivre. Si vous pouviez simplement lui préciser quelle est la page de votre mémoire que vous lisez, elle pourra suivre afin que...

Mme Gauri Screenivasan: Ce n'est pas dans le mémoire, mais dans les notes.

• 1630

[Français]

M. Benoît Sauvageau (Repentigny, BQ): Si on avait eu le document, il n'y aurait pas eu de problème. Le document est-il intitulé Canadian...

[Traduction]

Mme Gauri Screenivasan: Je ne lis pas le mémoire; je lis des notes plus courtes. Je regrette, mais je pensais que vous en aviez une copie. Je vais aller beaucoup plus lentement et ne cherchez pas à suivre dans le mémoire.

Je présente mes excuses au comité. Ce n'est pas le document qui a été remis à l'interprète. Elle a le mémoire beaucoup plus long sous les yeux.

Permettez-moi de récapituler et de laisser ma collègue vous dire quelques mots.

Nous voulons faire valoir la même chose que M. Campbell. En fait, le Parlement peut jouer un rôle important en examinant les leçons à tirer du modèle de l'ALÉNA et d'autres modèles afin de voir quels sont les éléments qui ont diminué notre capacité de protéger les droits de la personne et les normes du travail, et ceux qui l'ont amélioré.

Un deuxième aspect important, en plus de l'évaluation des accords commerciaux que nous avons conclus jusqu'ici, est qu'il faut, comme d'autres l'ont dit, mettre le programme commercial sur une voie beaucoup plus lente et beaucoup plus prudente en attendant que nous puissions prendre des mesures plus concertées pour améliorer la cohérence politique en vue d'atteindre des objectifs de développement humain.

Comment faire? Nous pensons que le Canada doit insister pour qu'il y ait des liens plus prononcés entre les accords et les engagements commerciaux et ce processus SIRG, qui témoigne de notre engagement envers le développement social et les droits humains, et relier explicitement ces deux processus de façon beaucoup plus étroite, tant chez nous qu'au niveau de l'hémisphère. Nous recommandons que le Canada cherche à promouvoir un examen beaucoup plus approfondi des progrès réalisés sur le plan de ces engagements.

À notre avis, un autre domaine doit être examiné: la réforme du système financier international, les contrôles sur les mouvements de capitaux à court terme et la radiation de la dette.

Enfin, nous pensons que le Canada doit jouer un rôle de chef de file en reconnaissant la grande diversité des économies et des niveaux de développement dans l'hémisphère, comme d'autres l'ont souligné. Il faut reconnaître que cette diversité dans les besoins et l'importance du développement exigent des règles commerciales différenciées. Au lieu de travailler à un accord commercial hémisphérique qui sera le même pour tout le monde, nous devons préconiser des politiques et des approches qui conviendront mieux aux économies plus petites, des échéanciers différents pour les pays qui ont un niveau différent d'endettement, par exemple, ou une base d'exportation différente.

Telles sont donc certaines de nos principales recommandations et je demanderais à Eleanor de vous parler de certains problèmes particuliers dans les Amériques.

Mme Eleanor Douglas (coprésidente, Groupe sur les politiques dans les Amériques, Conseil canadien pour la coopération internationale): Je m'appelle Eleanor Douglas. Pour le moment, je copréside le Groupe sur les politiques dans les Amériques.

Nous discutons d'un grand nombre de ces questions avec toute une série de partenaires de la région. Je ne prétends pas les représenter tous, mais les discussions se poursuivent depuis un certain temps, y compris dans le cadre du document intitulé Alternatives for the Americas que Bruce et Gauri ont mentionné.

Gauri a exprimé certaines de nos préoccupations générales concernant la cohérence politique. Je vais essayer de les illustrer au moyen d'exemples très précis dans trois domaines différents soit les droits de la personne, la sécurité alimentaire et la saine conduite des affaires publiques ainsi qu'un rôle important pour la société civile. Il y a quelques recommandations que nous aimerions formuler aujourd'hui dans le cadre de notre exposé.

Sur le plan des droits de la personne, une des principales préoccupations que nous partageons avec nos partenaires de la région vient de ce que les gouvernements et le Canada cherchent à promouvoir le commerce sans commencer par évaluer ses répercussions sur les droits humains fondamentaux. L'un des exemples que j'aimerais citer est celui du Mexique qui a été mentionné à plusieurs reprises cet après-midi.

Pour devenir membre de l'ALÉNA et de l'Organisation mondiale du commerce, le Mexique a dû apporter des changements radicaux à sa législation sociale et ses façons de faire, démanteler ses systèmes historiques de terres communales, supprimer le soutien accordé aux agriculteurs pour les céréales de base, lever le contrôle des prix sur les articles de première nécessité et laisser les spéculateurs étrangers entrer et sortir des milliards de dollars du pays. Nous avons constaté sur le terrain, au Mexique, que la situation s'est aggravée sur le plan de la sécurité de la personne. Les droits humains n'ont pas été défendus dans le cadre de ce processus.

• 1635

Bien entendu, nous voudrions que la protection des droits fondamentaux des gens devienne la principale priorité dans tout accord commercial. L'un des membres de notre organisation qui fait partie du Comité inter-Églises des droits humains en Amérique latine a déclaré que si notre adhésion à l'ALÉNA ne nous permet plus de nous porter publiquement à la défense des droits humains ou de la paix au Mexique, il y a lieu de s'inquiéter sérieusement de ce qui pourrait se passer dans d'autres pays avec la ZLEA.

Une question qui va, bien entendu, de pair avec celle des droits de la personne est celle des droits des travailleurs. Comme le Congrès du travail du Canada, qui est membre du Groupe sur les politiques dans les Amériques, va vous présenter un mémoire ou l'a déjà fait, nous n'entrerons pas dans les détails aujourd'hui en ce qui concerne les droits des travailleurs, mais je dirais simplement que les emplois officiels et protégés ont cédé la place à des emplois précaires apportant un salaire moins élevé, moins d'avantages sociaux et moins de sécurité.

Un exemple clair et récent est celui de l'usine Van Heusen, au Guatemala. Les travailleurs se sont battus pour se syndiquer et ont fini par signer une convention collective en 1998. Elle prévoyait une hausse de salaire de 5 $ à 9 $ par jour et l'amélioration des conditions sanitaires dans l'usine. Un an plus tard, cet établissement a été fermé. C'est un message décourageant pour tous ceux qui travaillent dans ce genre de maquiladoras ou d'usines.

L'une des recommandations que nous voudrions formuler au sujet de la protection des droits de la personne est que le Canada et les autres pays de la région qui ne l'ont pas fait signent et ratifient la Convention américaine relative aux droits de l'homme de 1978 et le Protocole de San Salvador sur les droits économiques, sociaux et culturels, de 1988. Nous savons qu'il ne s'agit pas d'instruments parfaits, mais c'est un bon début et nous invitons le gouvernement canadien à les examiner de près et à les ratifier.

En ce qui concerne le Protocole de San Salvador, 10 pays l'ont ratifié jusqu'ici, soit seulement un de moins que les 11 requis pour que cet instrument entre en vigueur. Il s'agit d'une des questions dont nous avons discuté au sein du Groupe sur les politiques dans les Amériques et qui a l'appui d'un certain nombre d'organisations membres. Nous recommandons que le Canada signe et ratifie ces deux accords.

Dans le domaine des droits de la personne, nous craignons également de voir les droits des sociétés consolidés aux dépens de la protection des droits fondamentaux des citoyens. Je suppose que vous avez entendu parler du chapitre 11 de l'ALÉNA. Je voudrais y faire très rapidement allusion.

Nous appuyons l'appel lancé par le ministre, M. Marchi, pour modifier le chapitre 11 de l'ALÉNA, mais nous irions encore plus loin. Il faut négocier ou renégocier entièrement ce chapitre. Tout nouvel accord sur l'investissement devrait refléter la nécessité de protéger la capacité des gouvernements de réglementer et appliquer des politiques dans l'intérêt public.

La deuxième question que nous avons examinée pour ce qui est des conséquences concrètes sur le terrain en Amérique latine est celle de la sécurité alimentaire. Nous croyons qu'elle a été sérieusement compromise par le processus de libéralisation économique. En fait, les gouvernements font la promotion à grande échelle d'une agriculture d'exportation hautement technique, telle que la culture des fleurs et des fruits qui sont destinés aux consommateurs du Nord, tandis que leur soutien aux producteurs locaux, qui produisent des aliments pour la consommation locale, a été réduit ou supprimé. Les droits de douane ont été abaissés, ce qui permet l'importation de produits alimentaires subventionnés d'autres pays. Ces changements ont eu des effets négatifs importants pour les petits agriculteurs et les petits producteurs de produits alimentaires.

Nous avons des chiffres provenant du Brésil selon lesquels près de trois millions de travailleurs agricoles ont perdu leur travail à cause de la baisse du prix des céréales de base. Le Mexique, qui est connu comme producteur de maïs, importe maintenant de grandes quantités de maïs des États-Unis et cette tendance est à la hausse étant donné que les importations se sont accrues de 120 p. 100 en un an.

• 1640

Notre recommandation—qui a également été mentionnée—est qu'il faut négocier plus lentement et plus prudemment, surtout en ce qui concerne le commerce agricole, dans la zone de libre- échange des Amériques. Le Canada devrait proposer une façon équilibrée d'aborder le commerce agricole au sein du groupe de négociation sur l'agriculture en reconnaissant le droit à la sécurité alimentaire et la nécessité de soutenir les petits agriculteurs.

Le dernier aspect que je mentionnerai est toute la question de la saine conduite des affaires publiques et du rôle que doit jouer la société civile dans les discussions concernant le commerce dans les Amériques. Le Canada a certainement reconnu la nécessité d'une participation plus vaste de la société civile à la politique étrangère. Le gouvernement l'a clairement exprimé. Toutefois, un certain nombre d'ONG qui s'intéressent aux Amériques estiment que les discussions n'ont pas été suffisamment ouvertes et transparentes. Un document préparé pour le compte du Centre canadien pour le développement de la politique étrangère au sujet des sommets de Vancouver et de Santiago disait que, jusqu'ici, tout ce sujet de discussion a déçu pratiquement tout le monde, les ministres et les fonctionnaires autant que les ONG.

Pour obtenir une rétroaction de la société civile, vous devez procéder assez lentement. Vous devez garantir que les gens seront informés et prévoir les ressources nécessaires pour qu'ils puissent comprendre quels sont les problèmes et pour qu'ils puissent fournir une véritable rétroaction et des opinions constructives. En plus d'améliorer les consultations publiques chez nous au sujet de la ZLEA, nous espérons et nous souhaitons que le Canada va promouvoir une plus grande consultation du public dans l'ensemble de l'hémisphère.

Nous reconnaissons aussi qu'à la réunion ministérielle qui a eu lieu au Costa Rica en mars 1998, notre ministre du Commerce international a invité ses collègues de la région à constituer un comité sur la participation de la société civile à la ZLEA. Ce qui s'est passé n'était toutefois pas entièrement satisfaisant. En fait, une série de suggestions ont été formulées et recueillies dans un bureau de Washington. C'est ce que les ONG ont appelé la boîte à suggestions; il n'y a pas eu de mécanisme réel pour discuter de ces suggestions. Nous exhortons donc le Canada à en faire un processus régulier, permanent et transparent avec les autres pays de la région.

En dernier lieu, nous disons simplement que les réseaux canadiens vont organiser une tribune sociale avant la réunion ministérielle de novembre à Toronto et nous voudrions recommander, comme mesure concrète pour accroître la participation de la société civile et favoriser de nouvelles propositions au niveau de l'hémisphère, que le gouvernement canadien fournisse des ressources afin que cette tribune sur la société civile puisse effectivement se dérouler. Nous croyons que le Parlement du Canada devrait également jouer un rôle actif, non seulement en guidant notre propre gouvernement, mais aussi en analysant ce qui se passe vraiment dans l'hémisphère et en en discutant avec les autres parlements de la région.

Enfin, je dirai simplement que seule une faible minorité des 800 millions d'habitants des Amériques ont entendu parler de tout ce processus et comprennent le concept de la ZLEA. Afin d'informer le public, il faut disposer du temps, de l'espace et des ressources nécessaires et c'est important pour qu'un public informé puisse aider le gouvernement à mettre en place ce qui sera le mieux pour toutes nos sociétés.

Merci.

La présidente: Merci beaucoup, madame Douglas et merci à tous.

Je vais maintenant donner la parole à mes collègues. Comme nous devons voter dans une demi-heure, je pourrais peut-être demander à mes collègues de se contenter de cinq minutes pour le premier tour. Je demanderais également aux témoins...

M. Richard M. Harris (Prince George—Bulkley Valley, Réf.): Je serai très rapide.

La présidente: ...de répondre brièvement afin que nous puissions poser un certain nombre de questions.

Monsieur Harris, je voudrais commencer par vous.

M. Richard Harris: Merci de vos exposés.

• 1645

Lorsque nous examinons les accords de libre-échange ou, dans ce cas, une ZLEA, l'une des premières questions que nous devons nous poser en tant que parlementaires est quel avantage le Canada aurait-il à être signataire de ces accords? J'estime que la réponse à cette question doit sans doute être donnée par les entreprises canadiennes, qui chercheront à se prévaloir de tout nouvel accord pour prendre de l'expansion en fournissant des biens ou des services aux pays membres ainsi que par les consommateurs canadiens étant donné les produits qui peuvent être importés au Canada dans le cadre d'accords commerciaux. Je comprends vos préoccupations au sujet des droits de la personne et des problèmes sociaux, mais selon moi, un accord commercial porte uniquement sur le commerce de biens et de services entre des pays. Si c'est un bon accord pour le Canada, les entreprises canadiennes et les consommateurs canadiens nous diront s'ils pensent que nous devrions le conclure.

Un accord de libre-échange avec les Amériques réunirait certainement plusieurs pays très divers. Certains de ces pays financent leur gouvernement au moyen de lourds impôts sur le revenu, comme c'est le cas du Canada, tandis que d'autres, comme certains pays des Antilles, n'ont pas d'impôt sur le revenu et financent principalement leur gouvernement au moyen de droits de douane élevés.

Il sera déjà suffisamment difficile de mettre au point un accord commercial qui mettra uniquement l'accent sur les tarifs et les subventions sans avoir en même temps à s'attaquer aux nombreuses concernant les travailleurs et l'environnement. Vous avez répondu tout à l'heure à ma question, madame Douglas, et d'autres auront peut-être quelque chose à ajouter. Ne serait-il pas préférable de laisser les questions concernant le travail à un organisme comme l'OIT ou d'ajouter un accord parallèle comme dans le cas de l'ALE? Que voyez-vous de mal à l'une ou l'autre de ces deux solutions?

La présidente: Madame Douglas, voulez-vous répondre à cela?

M. Richard Harris: Autrement dit, aborder les questions de main-d'oeuvre et les questions sociales dans des accords parallèles comme celui que nous avons actuellement dans le cadre de l'ALE.

La présidente: Monsieur Harris, votre question s'adresse-t- elle à Mme Douglas ou à n'importe qui?

M. Richard Harris: Elle s'adresse à n'importe lequel des témoins qui voudra y répondre.

La présidente: Qui désire répondre? Madame Molot.

Mme Maureen Molot: Je crois que vous avez soulevé là deux questions. La première concerne les intérêts des sociétés. L'une des choses que M. Daudelin et moi-même avons tenté de faire valoir est que, pour le moment, les entreprises canadiennes ne s'intéressent pas beaucoup à la ZLEA parce qu'elles n'ont pas beaucoup d'activités en Amérique latine et qu'à quelques exceptions près, elles n'en auront probablement pas à l'avenir. Lorsque cette question a été soulevée pour la première fois, le milieu des affaires a manifesté un certain intérêt. Mais comme vous le savez, les entreprises ont souvent une capacité d'attention limitée. La plupart des sociétés canadiennes s'intéressent surtout aux questions nationales comme le laissent entendre nos journaux en ce qui concerne les impôts, et la plupart d'entre elles ne s'intéressent pas énormément aux accords commerciaux. Voilà pour votre première question.

Pour ce qui est de la deuxième, en ce qui concerne l'attention que le milieu des affaires porte au commerce extérieur, comme nous l'avons mentionné, la prochaine série de négociations de l'OMC est pour bientôt. Nous sommes nombreux à penser qu'elles revêtent une importance cruciale pour le Canada en ce qui concerne un grand nombre de questions qui seront mises sur le tapis, mais il a été très difficile de retenir l'attention du secteur privé. S'il ne s'intéresse pas à une série de négociations qui abordera des questions présentant énormément d'intérêt pour lui, à quel point va-t-il s'intéresser à un accord de libre-échange avec une région du monde avec laquelle il a peu d'interaction?

Pour ce qui est d'un accord parallèle, nous avons essayé de faire valoir que ces questions préoccupent vivement les gouvernements de nombreux pays d'Amérique latine qui voudraient séparer les questions économiques des questions concernant la main-d'oeuvre, l'environnement et d'autres sujets du même genre. Le problème est que ces questions ont été regroupées à la suite des positions adoptées par le Canada, les États-Unis et de nombreux ONG. Je crois que sur ce plan, les gouvernements de la plupart des pays de l'hémisphère seraient d'accord avec vous.

La présidente: Monsieur Campbell.

• 1650

M. Bruce Campbell: Très brièvement, je crois qu'un des aspects positifs de ce débat par rapport au débat des années 80—et j'étais là pour cette période très animée de l'histoire du Canada—est que le gouvernement reconnaît mieux que les accords dits commerciaux portent sur bien d'autres choses que le simple commerce. Ils portent sur l'investissement. Il s'agit de constitutions économiques et, dans un certain sens, il s'agit par défaut de constitutions sociales et environnementales, surtout pour ce qui est du genre d'accords auxquels nous participons. Ces accords s'orientent vers la libéralisation du capital et de l'investissement et cela met en branle une dynamique très puissante de la part des sociétés qui peuvent agir beaucoup plus rapidement dans l'espace économique. Cela peut déclencher une surenchère entre deux pays. En l'absence de règles communes, cela peut favoriser une véritable foire d'empoigne.

Lorsque vous ne disposez pas d'une série de règles détaillées, mais seulement de règles partielles, ce genre de pression est inévitable. Les pressions s'exercent sur l'environnement, les droits de la personne, les travailleurs et les collectivités. Il n'est donc pas seulement question ici des entreprises et des consommateurs, mais des gens, des citoyens, des travailleurs et des collectivités. Tout le monde est touché et tout le monde a des intérêts en jeu.

La présidente: Monsieur Harris, avez-vous une autre question?

M. Richard Harris: Je voudrais seulement remercier M. Campbell de ses observations. J'apprécie vos opinions. Je crois toutefois qu'en réalité, les accords commerciaux internationaux cherchent à servir l'économie des pays en cause. Comme Mme Molot l'a mentionné, le milieu des affaires du Canada n'a pas manifesté beaucoup d'intérêt pour cette ZLEA. J'espère que le gouvernement écoute et que, s'il ne voit pas les fabricants ou les fournisseurs de services canadiens manifester de l'intérêt, il ne poursuivra pas ce projet de façon très énergique.

Je pense qu'en fin de compte les décisions seront surtout prises du point de vue économique. Lorsque vous participez à des accords commerciaux, c'est sans doute avant tout dans cette optique qu'il faut examiner leurs avantages.

Nous ne serons sans doute pas d'accord quant aux avantages de l'ALE et c'est tout à fait acceptable.

Je n'ai pas vraiment d'autres questions.

La présidente: Monsieur Harris, je crois que M. Daudelin et Mme Screenivasan voudraient répondre. Veuillez le faire très rapidement, car nous allons manquer de temps.

M. Jean Daudelin: J'ai seulement quelques mots à dire. Gauri Screenivasan a mentionné qu'il vaudrait la peine de ralentir les négociations commerciales. Le gouvernement canadien pourrait reconnaître qu'étant donné les très faibles pressions exercées et la forte résistance qui s'oppose tant ici qu'en Amérique latine au genre d'accord que la ZLEA semble vouloir être, c'est l'occasion de consacrer plus de temps à l'examen d'un plus grand nombre de questions au lieu de promouvoir un projet qui n'a pas beaucoup d'appuis ici et qui suscite beaucoup d'opposition en Amérique latine et dans la société civile canadienne. Je crois qu'il faudrait voir là l'occasion de ralentir les choses.

• 1655

Mme Gauri Screenivasan: À ce propos, vous avez demandé si les objectifs concernant les droits sociaux ou humains ne sont pas du ressort de l'OIT ou d'autres accords parallèles. Nous avons tenté de faire valoir que, pour la ZLEA, c'est une série de politiques beaucoup plus vastes que les accords commerciaux comme tels qu'il va falloir examiner au cours des années à venir. Je voulais expliquer tout à l'heure que nous avons mis en lumière toute une série de questions que nous présentons comme nos objectifs d'intégration et qui se rapportent aux engagements pris sur ces mêmes questions, sur les droits sociaux et humains.

Je crois que la consolidation de l'Organisation internationale du travail pourrait être une stratégie très efficace au sein d'une stratégie qui examinera l'ensemble d'instruments politiques dont nous disposons pour poursuivre ces importants objectifs. Le problème que nous essayons de mettre en lumière est une situation dans laquelle la politique commerciale et les objectifs commerciaux définis étroitement en termes économiques sont ce qui retient surtout l'attention sur le plan politique, ce qui ne nous permet pas de poursuivre une série de politiques plus approfondies et cohérentes pour obtenir une série de résultats.

Mais je soulignerais également, comme l'a fait M. Campbell, que même en ce qui concerne les objectifs commerciaux ou économiques que nous poursuivons, comme vous l'avez dit, nous ne le faisons pas uniquement en fonction du commerce des biens et services; nous les poursuivons pour obtenir des résultats économiques précis qui se rapportent à l'emploi et à l'augmentation du revenu. C'est donc en fonction de ces résultats plutôt que d'une simple mesure des échanges de biens et services que nous devons évaluer nos politiques économiques.

La présidente: Merci.

[Français]

Monsieur Sauvageau, avez-vous des questions?

M. Benoît Sauvageau: Oui, madame la présidente, mais j'aimerais d'abord, si vous me le permettez, vous faire un commentaire, ainsi qu'au greffier et au personnel par votre entremise.

Il serait peut-être utile de rappeler à nos témoins de nous présenter dans la mesure du possible des documents dans les deux langues officielles pour que nous puissions suivre plus facilement leurs interventions. Lorsqu'on convoquera d'autres témoins, on pourra porter une attention particulière à cet aspect si possible. Je suis sûr que Mme Folco partage mon opinion, peut-être pas à d'autres niveaux, mais certainement à celui-ci.

[Traduction]

La présidente: Merci, monsieur Sauvageau. Nous allons le souligner au greffier.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Voici maintenant mes deux questions aux trois groupes de témoins.

Vous semblez dire, à différents niveaux, qu'il faudrait à la limite se retirer des négociations de la Zone de libre-échange des Amériques. C'est ce que j'ai cru comprendre. Si j'ai mal compris, vous me corrigerez. Si vous pensez, chacun d'entre vous, que le Canada doit s'en retirer, quelle devra être sa position de repli? Je pense que c'est M. Daudelin qui a dit qu'on devait trouver une position de repli, mais il n'a pas défini cette position de repli. Donc, est-ce que, selon vous, on doit se retirer des négociations ou les poursuivre?

Deuxièmement, vous avez parlé du rôle de la société civile. Je partage votre opinion sur le rôle de la société civile dans ces négociations. Vous savez que nous avons aussi des préoccupations quant au rôle des parlementaires. Oui, la société civile doit avoir son mot à dire, mais aussi les parlementaires.

Il y a une organisation qui a été créée, qui s'appelle la Conférence parlementaire des Amériques, la COPA, où les parlementaires peuvent intervenir dans le processus de négociation. Certains intervenants souhaiteraient que l'Organisation des États américains, l'OEA, prenne le relais de la COPA. Selon vous, quel devrait être le rôle des parlementaires et à quel endroit ce rôle pourrait-il être le mieux exercé? Je vous remercie.

[Traduction]

La présidente: Qui désire commencer?

[Français]

M. Jean Daudelin: Concernant la position de repli, nous croyons que le Canada ne devrait pas, comme il le fait actuellement, être le promoteur enthousiaste, pour ne pas dire agressif de l'aire de libre-échange des Amériques. Il est certain que le Canada ne peut pas se retirer des tables de négociations telles qu'elles sont conçues actuellement. Le processus est en marche, et ce serait extrêmement embarrassant et coûteux. On n'a pas élaboré de stratégie et on n'a pas de propositions précises. On pourrait travailler à une stratégie de conversion du processus de négociation de la ZLEA en quelque chose d'autre, par exemple des groupes de négociations pour l'OMC ou quelque chose du genre dans des domaines particuliers. Cela pourrait faire l'objet d'une discussion lors du sommet canadien, en l'an 2001.

• 1700

Il y a actuellement, dans le processus, une inertie qui fait en sorte que, politiquement, il serait extrêmement coûteux de s'en retirer, bien que cela ferait probablement l'affaire de tout le monde. Nous ne disons pas que le Canada doit s'en retirer, mais qu'il n'a pas intérêt à en faire une promotion agressive comme il le fait depuis 1994.

M. Benoît Sauvageau: Merci.

La présidente: Madame Screenivasan.

Mme Gauri Screenivasan: Concernant votre question sur le rôle des parlementaires, nous n'avons pas soulevé ce point verbalement, mais il se trouve dans le mémoire. Vous avez absolument raison de dire qu'il est nécessaire d'élaborer des stratégies pour la participation de la société civile et de donner un rôle aux parlementaires.

On dit souvent que les négociations sur le libre-échange ont un déficit démocratique, en ce sens qu'il n'y a pas moyen que les citoyens, directement ou par l'entremise de leurs représentants, aient une voix au chapitre des négociations.

Nous n'avons pas d'idée précise sur l'endroit où les parlementaires pourraient s'insérer dans le processus, mais il serait bon que le gouvernement du Canada élabore une position et un rôle pour les parlementaires au plan hémisphérique, un rôle de surveillance et même d'approbation des politiques d'interaction dans l'hémisphère. Donc, nous sommes d'accord qu'il faut trouver un rôle pour les parlementaires, non seulement un rôle de surveillance, mais également un rôle dans le processus d'élaboration des positions.

M. Benoît Sauvageau: Merci.

La présidente: Monsieur Campbell.

[Traduction]

M. Bruce Campbell: Très brièvement, quant à savoir si le Canada devrait se retirer, je crois que dans les circonstances, c'est ce que je préférerais. Il faudrait accorder la priorité aux nombreux problèmes et défauts de l'ALÉNA. Il y a déjà fort à faire de ce côté-là, qu'il s'agisse des accords parallèles, de la question des différends entre l'investisseur et l'État ou des problèmes que posent les mécanismes de règlement des différends. Telle devrait être la priorité. Idéalement, du moins à mes yeux, l'OMC devrait résoudre de plus en plus ces questions et marginaliser l'ALÉNA.

Quant au rôle des parlementaires ou du moins le rôle du Parlement canadien, j'aurais seulement une suggestion à faire. Il s'agit de renforcer la capacité du Parlement ou de la Chambre des communes et du Sénat d'effectuer le genre de recherche et d'évaluation indépendante qui s'imposent, car il n'y en a pas vraiment. Cette capacité est faible au sein des ministères et vous ne pouvez vraiment pas qualifier cela d'évaluation indépendante. Je recommande donc que vous vous votiez plus d'argent pour faire des recherches indépendantes et solides, peut-être constituer une commission indépendante... Je pense au modèle américain, au modèle du Congrès. Il est beaucoup mieux en mesure de faire ce genre de travail que nous.

La présidente: Merci.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: J'aimerais avoir un complément de réponse. Dans le cadre de votre position de conversion, envisagez-vous la négociation avec des blocs régionaux comme le MERCOSUR ou le Pacte andin?

M. Jean Daudelin: Je pense que cela n'en vaudrait pas la peine. Au MERCOSUR, il y a des tensions internes épouvantables. Quant au Pacte andin, vous n'avez qu'à regarder les pays un à un: le Venezuela est en crise politique et économique, la Colombie est en train de se diviser en trois et l'Équateur est en crise politique et économique; le seul pays qui semble fonctionner est le Pérou, mais il a des problèmes extrêmement sérieux. Donc, il n'y a rien à court ou moyen terme.

En ce qui concerne l'OEA et le rôle des parlementaires, votre question est très importante et déborde nettement le problème des négociations commerciales. Il s'agit de toute la problématique de la démocratisation du processus et de l'élaboration de la politique étrangère au Canada.

• 1705

Il est clair qu'il est nécessaire d'intégrer les mécanismes de consultation comme le Centre canadien pour le développement de la politique étrangère et les comités comme celui-ci pour intégrer le rôle du Parlement à une participation accrue de la société civile. C'est un problème beaucoup plus général.

M. Benoît Sauvageau: Merci.

[Traduction]

La présidente: Monsieur Calder.

M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.): Merci beaucoup, madame la présidente.

Je crois que nous devons examiner la situation dans son ensemble et je commencerai par l'OMC et je remonterai en arrière. Il y a actuellement 134 pays qui font partie de l'OMC et une trentaine d'autres qui veulent s'y joindre. Compte tenu du fait que l'économie canadienne dépend à 40 p. 100 des exportations, c'est une organisation à laquelle nous devons appartenir, dont nous devons faire partie.

Il faut également tenir compte du fait que la Communauté économique européenne s'est finalement entendue pour adopter une monnaie commune. C'est l'eurodollar. Si tous ces pays peuvent s'entendre sur une monnaie commune, combien de temps leur faudra- t-il pour s'entendre sur une politique commerciale commune?

Deux choses que les États-Unis vont sans doute dire—et le Comité permanent de l'agriculture était à Washington il y a un mois et demi. J'y étais parce que je suis le vice-président de ce comité. Ce sont précisément les questions que nous avons posées. Les États-Unis pourraient commencer à exercer des pressions en faveur d'une monnaie commune sur le continent américain et ils pourraient commencer à réclamer une politique commerciale commune. Je crois que la ZLEA pose certainement des problèmes et c'est ce qui m'a amené à me lancer en politique.

En même temps, je crois qu'il y a là un tas de choses auxquelles il est certainement possible de remédier. Ce n'est pas parfait, mais encore une fois, quand nous avons commencé à négocier l'OMC, lors des négociations de l'Uruguay, en commençant avec le GATT, il nous a fallu près de 7 ans pour en arriver là où nous en sommes actuellement.

La prochaine série de négociations que nous allons entamer va permettre d'affiner les règles du jeu.

Je ne vois pas vraiment comment nous pouvons nous retirer d'un processus déjà entamé. Au sein de la communauté agricole, nous travaillons actuellement à établir nos positions de négociation et à les soumettre au gouvernement. Le secteur visé par la gestion de l'offre—je suis aussi agriculteur—a déjà établi sa position et elle a été adoptée par la Fédération canadienne de l'agriculture. Ces positions ont déjà été communiquées au gouvernement. Nos négociateurs savent donc où nous en sommes sur ces questions. En même temps, je crois que l'industrie en fait sans doute autant.

Vous avez parlé de l'article 301, de la procédure accélérée aux États-Unis. Si cette mesure est présentée seule, je ne pense pas qu'elle aboutira, mais si elle faisait partie d'un projet de loi omnibus, elle aurait des chances d'être adoptée et c'est un document très important.

Si quelqu'un veut dire ce qu'il en pense, c'est ce que je vois.

La présidente: Qui veut la parole? Madame Molot.

Mme Maureen Molot: Je ne sais pas exactement quelle était la question.

M. Murray Calder: Il n'y a pas de question. C'était une simple observation. C'était un aperçu général de la situation.

Mme Maureen Molot: Très bien. La nouvelle série de négociations de l'OMC revêt une importance cruciale pour le Canada, sans aucun doute. L'expérience passée a démontré que c'est au moment où l'on établit l'ordre du jour des négociations que nous pouvons avoir une influence sur le résultat plutôt que lors du déroulement des négociations étant donné que nous sommes trop petits à l'échelle mondiale. L'Union européenne a déjà négocié collectivement aux négociations de l'Uruguay et le fera encore au cours des prochaines négociations qui, vous avez raison de le dire, seront très longues. Mais les principaux partenaires de ces négociations seront les Européens, les Américains et probablement les Japonais.

Il est certainement crucial pour le Canada de jouer un rôle dans l'établissement de l'ordre du jour et il est certain que nous subirons fortement les conséquences des résultats. La rapidité avec laquelle tout cela aboutira dépendra en partie de ce que les Américains obtiendront ou non la procédure accélérée et si c'est au cours de la dernière année du gouvernement Clinton ou s'il faut attendre un nouveau président. Vous savez sans doute que les négociations de l'Uruguay ont démarré sans la procédure accélérée et que celle-ci a été approuvée en cours de route.

• 1710

Nous avons notamment essayé de faire valoir qu'il y a une différence entre négocier au niveau mondial, lorsque divers intervenants ont des intérêts en jeu et donc avantage à poursuivre les négociations et négocier un accord commercial préférentiel dont les parties prenantes poursuivent des intérêts différents.

M. Murray Calder: Je dirais seulement que, lorsque nous sommes allés aux États-Unis, nous avons constaté qu'on se préoccupait beaucoup de l'intégration verticale. C'est peut-être une chose que vous ne savez pas.

Mme Maureen Molot: Les Américains ne se préoccupent de leur intégration croissante avec nous?

M. Murray Calder: Non. Dans l'industrie américaine de la transformation des aliments, on s'inquiète de l'intégration verticale, de la base jusqu'aux élus politiques.

Mme Maureen Molot: Faux. Si vous le permettez, je ne pense pas que ce soit une inquiétude nouvelle aux États-Unis étant donné que les grandes entreprises agro-alimentaires existent depuis un certain temps. Il se peut qu'avec la réduction de la protection, les agriculteurs se voient dans une situation plus précaire, mais je ne pense pas que l'intégration verticale comme telle soit un phénomène très nouveau.

M. Murray Calder: Ils constatent que les entreprises de transformation des aliments sont de moins en moins nombreuses et de plus en plus grosses. Par conséquent, vous avez actuellement à l'extrémité inférieure du cycle agricole deux systèmes féodaux. Et on s'en inquiète au Congrès comme au Sénat.

Mme Maureen Molot: Pour en revenir à la procédure accélérée, c'est une des nombreuses choses qui alimentent les hésitations. Ce n'est pas que l'incapacité d'obtenir la procédure accélérée empêchera le genre d'intégration dont vous parlez, mais que les gens pensent qu'en s'occupant davantage de la situation interne et en étant soumis à des contraintes sur le plan de la libéralisation, ils arrêteront le processus. Je ne suis pas certaine que ce soit le cas.

M. Murray Calder: Je pourrais en dire plus, mais je crois que Jean a quelque chose à ajouter.

La présidente: Oui, mais j'ai encore M. Speller et la sonnerie va retentir dans trois minutes environ.

Mme Gauri Screenivasan: En fait, j'ai une brève observation à faire au sujet de ce que vous avez dit.

Vous avez décrit un scénario assez exact dans la mesure où le Canada est un pays commerçant actif, que l'OMC existe, que nous devons y appartenir et qu'on se demande comment nous pouvons maintenant reculer. Je voudrais dire qu'un certain nombre d'ONG qui oeuvrent dans le domaine du développement—et les recommandations que nous venons de formuler... Nous ne dirions pas que cela revient à nous replier. En fait, la pire chose que nous pourrions faire serait de ne pas chercher à améliorer le régime commercial mondial. La planète est dans un état de crise virtuelle. Si vous prenez le nombre de gens qui vivent dans la pauvreté, les conflits, la dégradation des ressources environnementales, tout cela est relié dans une large mesure à des problèmes tels que l'intégration verticale de l'industrie alimentaire et ce que cela signifie pour les agriculteurs par opposition aux consommateurs d'aliments.

Le public se pose énormément de questions quant à savoir comment assurer, dans le cadre de nos accords commerciaux, davantage d'emplois stables pour un grand nombre de citoyens et élargir le nombre de gens qui bénéficient des accords commerciaux. Nous estimons donc qu'il faut agir sur ce plan de toute urgence, mais nous ne comprenons toujours pas suffisamment bien la façon dont nous pouvons poursuivre une politique économique et commerciale pour garantir le genre de résultats sociaux et politiques que nous attribuons à la politique commerciale à savoir plus d'emplois pour plus de gens, et un niveau de vie plus élevé. Ce ne sont pas vraiment les tendances que nous constatons globalement.

Nous sommes donc d'accord avec vous pour dire que ce n'est pas le moment de reculer, mais plutôt de songer sérieusement à repenser le processus de négociations commerciales et la façon dont nous abordons les résultats que nous recherchons sur le plan de la politique économique et de la politique sociale. Nous devons y songer sérieusement et si nous poursuivons sur la voie de la libéralisation du commerce comme nous l'avons fait pendant des années, cela ne tiendra pas compte de la crise dans laquelle se trouvent un grand nombre de nos sociétés.

La présidente: Monsieur Speller.

M. Bob Speller (Haldimand—Norfolk—Brant, Lib.): Je m'excuse également d'être... Je serai très bref, madame la présidente. Je voudrais simplement remercier le groupe pour ses exposés et surtout ses documents, que nous allons lire après la réunion. Je vais certainement les parcourir et si j'ai d'autres questions, je communiquerai avec vous.

• 1715

Le but de notre gouvernement est certainement de consulter au maximum la société civile. Comme le sait M. Sauvageau, le comité a été chargé de sillonner le Canada pour rencontrer le plus grand nombre de groupes cibles. Vous pouvez comprendre les difficultés que cela pose dans un pays aussi vaste. C'est pourquoi nous essayons de passer le maximum de temps ici, à Ottawa, pour rencontrer des groupes comme le vôtre qui représentent un ensemble d'intérêts et d'opinions. J'apprécie certainement votre venue ici aujourd'hui.

J'ai toutefois une question et je sais, Jean, que vous l'avez abordée dans votre mémoire. Pensez-vous que le Canada peut s'unir avec d'autres petites économies pour contrebalancer non seulement la puissance économique des États-Unis, mais également la puissance qu'elle a dans ces régions? Dans ce genre d'accord, ne serait-il pas utile de former une coalition avec certains de ces petits pays pour échanger des idées sur des questions comme les droits de la personne?

Je sais que vos organisations et vous-même le faites déjà. Il y a déjà cette coalition nord-sud entre divers groupes. Ce genre d'accord commercial pourrait être une autre façon de le faire. Voyez-vous là un moyen de réunir différentes opinions, non seulement sur le plan économique, mais aussi sur le plan social.

La présidente: Qui veut la parole?

[Français]

M. Jean Daudelin: C'est un vieux mythe avec lequel on fonctionne. Il n'y a pas moyen d'avoir des contrepoids suffisants pour contenir les États-Unis à l'échelle hémisphérique. La seule avenue possible est un système de règles globales et contraignantes auxquelles les États-Unis soient forcés de se soumettre. Pour ce qui est des contrepoids politiques, il faut mettre une croix là-dessus assez rapidement.

En ce qui concerne le dialogue avec les petits pays et même la coopération, l'ACDI a déjà des programmes de formation pour des négociateurs commerciaux, en particulier d'Amérique centrale. Il est certain que c'est une contribution très importante au développement de la capacité de ces pays et c'est sûrement une avenue que le gouvernement devrait poursuivre dans le cadre de l'OMC ou dans le cadre d'une aire de libre-échange des Amériques. Le dialogue sur les autres points est déjà engagé, comme les autres l'ont évoqué, avec le processus du sommet et tous ces agendas infinis. En fait, j'ai l'impression qu'il est engagé sur un peu trop de tables de négociations pour qu'il puisse être vraiment pris au sérieux.

[Traduction]

Mme Eleanor Douglas: Vous présentez là un argument valide. Vous voyez déjà, dans la région, des petits pays qui ont peur de se faire avaler dans le processus. Par exemple, les pays d'Amérique centrale se sont réunis pour examiner leurs relations commerciales en tant que bloc et c'est la même chose dans le Sud. Si le Canada pouvait s'engager dans ce processus et prêter l'oreille aux inquiétudes de ces pays, ce serait constructif. Le processus est déjà entamé et je crois que le Canada pourrait jouer un rôle utile en prêtant une oreille attentive.

La présidente: Monsieur Campbell.

M. Bruce Campbell: Il y a toutes sortes de possibilités d'échanges et de regroupements sur un vaste éventail de questions. Pour la ZLEA comme pour l'ALÉNA, le fait est que les États-Unis représentent 75 p. 100 du PIB de cette zone et qu'ils possèdent trois fois leur puissance économique combinée. Le reste des 33 pays possèdent les 25 p. 100 restants. Dans ces circonstances, les possibilités de rééquilibrage sont limitées.

• 1720

C'est la même chose pour ce qui est de l'ALÉNA. Je crois que l'OMC est la seule tribune où cette puissance se trouve limitée. C'est dans cette tribune que le Canada devrait chercher à former ce genre de coalitions. Vous pourriez sans doute prendre l'exemple de l'AMI, une tribune ou un regroupement d'intérêts gouvernementaux qui avaient des réserves quant à la façon dont l'AMI se déroulait et les conséquences qu'il commençait à avoir pour eux. C'était une tribune où ces pays et ces groupes pouvaient effectivement adopter des positions plus progressistes qu'au sein de l'ALÉNA où les possibilités réelles sont limitées selon moi.

La présidente: Nous allons entendre rapidement M. Daudelin, puis ce sera M. Sauvageau.

[Français]

M. Jean Daudelin: Il ne faut pas faire une lecture simpliste de la question des contrepoids.

[Traduction]

Il ne faudrait pas faire une lecture simpliste de la question des contrepoids.

[Français]

Sur beaucoup des questions qui sont chères au gouvernement canadien, notamment la société civile et ainsi de suite, il y a une très forte conjonction de vues entre les États-Unis et le Canada. Je pense à la question des standards environnementaux, à celle des standards dans le domaine du travail et à celle de la participation de la société civile.

En fait, le gouvernement canadien est beaucoup plus proche du gouvernement des États-Unis que des gouvernements du reste de la région. La question des contrepoids peut se poser quelquefois, mais pas sur toutes les questions.

[Traduction]

M. Bob Speller: J'étais le cadet de trois garçons et j'ai toujours été au milieu. C'est toujours moi qui devais protéger mon petit frère contre mon grand frère. Le Canada a peut-être un rôle de ce genre à jouer, en aidant certains petits pays sous- développés dans ce genre de relation.

La présidente: Monsieur Sauvageau.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Le Canada est votre jeune frère, monsieur Speller? Is Canada your young brother?

M. Bob Speller: Non.

M. Benoît Sauvageau: Okay, sorry.

M. Speller parlait de la société civile. Peut-être avons-nous, au Canada, une forme de consultation qui pourrait être agréable et correcte pour certains individus et certains groupes, mais on nous a dit que c'était insuffisant. Il y a plus de 30 autres pays, et je serais curieux de savoir comment, en Colombie, au Salvador et dans les autres pays, les membres de la société civile peuvent influencer leur gouvernement et faire des présentations devant des comités comme celui-ci. Si on veut négocier avec 30 et quelques autres pays, il ne faut pas dire que nous sommes bons, fins et gentils. Nous devons regarder comment les choses se passent dans les 30 et quelques autres pays.

Je vais vous poser une question à laquelle vous pourrez répondre par oui ou non. Pensez-vous que dans notre rapport, nous devrions recommander au gouvernement canadien d'encourager les parlementaires à rester dans une organisation comme la COPA, la Conférence parlementaire des Amériques, pour accompagner et influencer le processus de négociations? Je ne sais pas si vous pouvez ou si vous voulez vous prononcer là-dessus. Vous l'avez fait pour la société civile. Je vous le demande maintenant pour les parlementaires.

M. Jean Daudelin: Juste oui ou non?

M. Benoît Sauvageau: Allez-y.

M. Jean Daudelin: Je ne crois pas que la COPA est susceptible de jouer un rôle important, sinon en termes d'information. Je pense qu'il y a de meilleurs moyens d'informer les parlementaires.

M. Benoît Sauvageau: Comme?

M. Jean Daudelin: Comme des comités parlementaires, l'ouverture à des ressources pour de la recherche et un meilleur accès à l'expertise et aux connaissances qui sont disponibles dans les sociétés nationales.

En ce qui concerne la capacité de recherche, il y a des efforts en coopération internationale qui peuvent être faits pour donner aux parlements des pays latino-américains des moyens de s'appuyer sur les ressources disponibles. Je ne pense pas que la COPA en tant que telle soit un investissement très rentable.

M. Benoît Sauvageau: Quel est le rôle des parlementaires dans cet investissement de recherche? Ils ne sont là que pour recevoir l'information?

[Note de la rédaction: Inaudible]

M. Jean Daudelin: ...dans le cadre du système politique. Il faut intégrer les mécanismes de démocratisation de la politique étrangère dans les institutions déjà existantes, les comités parlementaires et ainsi de suite.

M. Benoît Sauvageau: D'accord.

• 1725

[Traduction]

La présidente: Je pourrais peut-être poser moi aussi une ou deux questions.

Madame Molot, vous avez dit que l'Union européenne vote en bloc. C'est certainement ce qu'elle semble faire. L'Union européenne semble adopter la même attitude protectionniste dans ses négociations. Pourquoi notre propre bloc hémisphérique ne pourrait-il pas négocier de bloc à bloc? Pourquoi les Européens peuvent-ils le faire, mais pas nous?

Mme Maureen Molot: C'est une excellente question, mais je ne pense pas qu'on puisse comparer notre hémisphère et l'Europe en ce qui concerne la similarité des niveaux de développement économique ou la similarité des structures industrielles.

Premièrement, comme vous le savez, l'Union européenne a débuté en 1958 et ses politiques ont évolué graduellement. C'est seulement à la suite de certaines menaces et difficultés que l'Europe peut maintenant négocier en tant que bloc et c'est le résultat d'énormes négociations internes sur des questions très complexes comme l'agriculture.

Il est pratiquement impossible de comparer l'Union européenne et ce que vous voyez dans l'hémisphère, pour un certain nombre de raisons. J'ai mentionné les différences dans les niveaux de développement économique, l'infrastructure industrielle et divers autres aspects. Il y a aussi le fait qu'aussi puissante l'Allemagne soit-elle en Europe, sa puissance n'est pas la même que celle des États-Unis dans notre hémisphère.

De plus, et j'aurais peut-être dû le préciser au départ, l'Europe compte des institutions qui permettent de former un certain genre d'opinion collective. Nous n'avons aucune institution de ce genre au sein de l'ALÉNA et encore moins dans l'hémisphère. Autrement dit, ce que vous avez en Europe, c'est ce que nous appelons un marché commun. Je vous épargnerai tous les détails complexes.

Ce que nous avons dans le cas de l'ALÉNA, c'est un accord de libre-échange et qui ne prévoit pas d'institutions décisionnelles communes. Il prévoit une série de mécanismes pour le règlement des différends. Et ce n'est pas du tout la même chose. Je ne peux pas non plus imaginer que le Canada, les États-Unis et le Mexique pourraient s'orienter dans la voie de ce que la Communauté économique européenne a décrit dans le Traité de Rome. Ce n'est pas possible.

Il a été question tout à l'heure d'une monnaie commune et c'est certainement un sujet qui revient régulièrement sur le tapis, mais cela provoquerait un débat énorme. Nos trois pays n'ont pas de tarif douanier commun pour les importations de l'extérieur. Autrement dit, même si nous échangeons des marchandises dans le cadre de l'ALÉNA, chaque pays a ses propres droits de douane, par exemple pour les automobiles importées de l'extérieur de l'Amérique du Nord. Nous avons des droits de douane distincts pour toutes sortes de choses. Le simple établissement d'un tarif commun pour les importations de l'extérieur inciterait les pays à protester contre la perte de leur souveraineté, sans même songer à aller aussi loin que la formulation d'une position commune pour l'OMC.

[Français]

M. Jean Daudelin: C'est une très bonne question parce qu'elle met en évidence la position difficile du Canada dans les négociations de l'OMC. Il faut qu'il y ait une certaine communauté d'intérêts. Le seul bloc véritable dont le Canada pourrait faire partie serait l'Amérique du Nord. Cependant, s'il y avait un bloc nord-américain qui votait et négociait d'une voix à l'OMC, on entendrait peut-être de petits bruits d'arrière-fond canadiens, mais la grosse voix ne viendrait pas d'ici. C'est le dilemme qui confronte le Canada.

[Traduction]

La présidente: Permettez-moi de vous poser une autre question. Soustrayons les Américains de l'équation, ce qui n'est pas possible, dites-vous. Ne pourrions-nous pas nous servir de la ZLEA pour nous allier à d'autres pays pour les questions dont nous avons discuté et celles dont nous n'avons pas parlé dont la culture? Les Américains ne se mettront pas d'accord avec nous au sujet de la culture, que ce soit à l'OMC, dans la ZLEA ou ailleurs. Ne pensez-vous pas que la ZLEA serait l'occasion de trouver des alliés dans les Antilles, dans les petits pays d'Amérique latine et que nous pourrions ensuite poursuivre ces alliances à l'OMC?

• 1730

[Français]

M. Jean Daudelin: Le problème, c'est que les Amériques, c'est une abstraction. Il y a un bloc nord-américain culturel et économique bien intégré, auquel se rattache le Mexique par des liens économiques, mais le vrai bloc, c'est le Canada et les États-Unis, et cela de façon croissante. Le reste est une construction artificielle. Les Latino-Américains ne voient pas le Canada. Ils ne seraient pas contents si le Canada gagnait la Coupe du Monde, comme je le dis aux étudiants. Cela ne fait pas partie du même bloc.

Dans cette perspective, les coalitions ne devraient pas se faire d'un point de vue hémisphérique, mais bien d'un point de vue global. C'est ce que le Canada a traditionnellement fait à l'OMC: des coalitions qui débordent nettement les questions hémisphériques, qui sont fondées sur des convergences d'intérêts et qui sont souvent beaucoup plus fortes que les convergences qui existent au niveau hémisphérique.

[Traduction]

La présidente: Merci beaucoup.

Malheureusement, nous devons répondre à l'appel de la sonnerie. J'espère que c'est seulement le début de nos consultations. Vous avez témoigné devant nous, mais nous vous demandons de continuer à partager vos idées avec nous. Vous avez entendu certaines questions et j'aimerais également savoir ce que vous en pensez.

Je tiens à vous remercier de vos exposés. Mais surtout, s'il y a d'autres sujets que vous voudriez aborder devant le comité, je vous invite à le faire. Si vous avez d'autres documents à nous présenter, si vous voulez faire participer d'autres collègues à ce débat, veuillez nous aider en portant ces questions à notre attention.

Merci beaucoup à tous d'être venus.

La séance est levée.