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SINT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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SUB-COMMITTEE ON INTERNATIONAL TRADE, TRADE DISPUTES AND INVESTMENT OF THE STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

SOUS-COMITÉ DU COMMERCE, DES DIFFÉRENDS COMMERCIAUX ET DES INVESTISSEMENTS INTERNATIONAUX DU COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 21 avril 1999

• 1535

[Traduction]

La présidente (Mme Sarmite Bulte (Parkdale—High Park, Lib.)): Bonjour, mesdames et messieurs. Bienvenue à la réunion du Sous-comité du commerce, des différends commerciaux et des investissements internationaux.

Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, le sous-comité a reçu pour mandat d'examiner les intérêts prioritaires du Canada dans le processus de création d'une ZLEA. Nous avons tenu des consultations publiques dans l'Est et en Ontario et, la semaine prochaine, le sous-comité se scindera de nouveau en deux pour examiner l'intérêt que présentent tant l'OMC que la ZLEA. Aujourd'hui, nous allons borner nos commentaires à la ZLEA.

Nous souhaitons la bienvenue à tout le monde. Je vois qu'il y a aussi des étudiants de Rencontres. Soyez les bienvenus. J'espère que vous allez aimer la réunion de cet après-midi.

Je demanderais à nos témoins de bien vouloir essayer de limiter leurs observations à dix minutes chacun pour que nous ayons assez de temps pour les questions et les commentaires. On m'a dit aussi qu'il se pourrait qu'il y ait un vote d'ici 17 h 30. Si la sonnerie d'appel se fait entendre, nous devrons vous quitter dans la demi-heure.

J'aimerais souhaiter la bienvenue à chacun d'entre vous. Nous allons demander à M. Allmand de commencer.

Nous sommes très heureux d'avoir parmi nous M. Allmand, du Centre international pour les droits de la personne et le développement démocratique. Allez-y s'il vous plaît, monsieur Allmand.

M. Warren Allmand (président, Centre international pour les droits de la personne et le développement démocratique): Je vous remercie infiniment de nous avoir invités.

Je suis accompagné de Nancy Thede, la coordonnatrice de notre programme de développement démocratique, et de Carole Samdup, la coordonnatrice de notre programme de mondialisation.

Nous sommes ici et nous nous intéressons à cette question parce que nous devons, selon notre Charte, défendre et promouvoir les droits que garantit la Déclaration internationale des droits de l'homme, y compris les droits définis par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et y compris aussi les droits économiques et sociaux. Nous avons donc pour responsabilité, en vertu d'une loi approuvée par le Parlement, de défendre et de promouvoir les droits économiques et sociaux chaque fois que c'est nécessaire.

Nous avons comparu devant le comité plénier le 24 mars 1999 au sujet de l'OMC. Nous lui avons présenté un mémoire très détaillé qui portait sur le commerce et sur la nécessité pour l'Organisation mondiale du commerce de se montrer sensible aux droits de la personne. Nous allons reprendre aujourd'hui un grand nombre des principes que nous avons exposés au comité, mais dans le contexte des Amériques.

Notre principal argument est que les traités sur les droits de la personne, y compris la Charte des Nations Unies, devraient avoir la suprématie sur tous les traités commerciaux. Il est intéressant de noter que les lois commerciales du Canada, toutes nos lois en fait, sont assujetties à la Charte des droits que renferme la Constitution. Aucune loi commerciale, que ce soit la Loi sur la concurrence ou la Loi antidumping, d'une province ou du gouvernement fédéral ne peut l'emporter sur la Charte des droits. Selon nous, les accords commerciaux doivent reconnaître nos lois sur les droits de la personne, les traités sur les droits de la personne que nous avons ratifiés, comme le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, et ces traités devraient avoir la priorité. Nous croyons que les accords et les traités devraient être mis en oeuvre parallèlement et qu'ils devraient être compatibles.

Une question importante en ce qui concerne l'accord sur la zone de libre-échange des Amériques est celle de la consultation de la société civile, des syndicats, bref, de tous les groupes qui seraient touchés par un tel accord. Je dois dire dès le départ que nous sommes sensibles au fait que votre sous-comité et le comité plénier tiennent des consultations, mais nous n'avons pas tellement apprécié les commentaires d'un représentant du gouvernement qui a dit lors d'une audience que les ONG n'arrêtaient pas de se plaindre et que leurs commentaires n'avaient rien à voir avec le commerce.

Je dois vous avouer que nous sommes, quant à nous, déçus que notre intervention ait si peu influencé la politique gouvernementale et que nous sommes très souvent débordés. En fait, c'est la troisième ou quatrième fois que, malgré de très maigres ressources, nous devons témoigner devant des comités où nous sommes souvent opposés à de grandes associations de gens d'affaires qui ont énormément plus de ressources que nous en avons. C'est pourquoi je demanderais au comité de bien vouloir tenir compte du contexte dans lequel les ONG doivent, avec leurs très maigres ressources, préparer leurs mémoires et comparaître.

• 1540

J'étais à Santiago, au Chili, en mai dernier, lorsque les pourparlers ont commencé. J'ai assisté à la réunion des ONG avec d'autres représentants de mon centre, de nombreuses autres ONG et des dirigeants syndicaux de toutes les régions du Canada et des Amériques. Nous avons eu une excellente réunion. MM. Axworthy et Marchi ont accepté de rencontrer les Canadiens qui étaient là et nous avons eu une excellente réunion qui a duré plus de deux heures. Nous avons exposé nos vues directement aux deux ministres et à leurs hauts fonctionnaires.

À cette occasion, M. Marchi a dit que nous ne pourrions pas nous permettre d'entamer le nouveau centenaire avec un accord commercial sur lequel les travailleurs canadiens ne seraient pas d'accord. Il a indiqué—et M. Axworthy a abondé dans son sens—que le Canada était déterminé à tenir de véritables consultations sur la ZLEA pour que la population, non seulement du Canada, mais aussi de tous les autres pays des Amériques, ait son mot à dire et puisse avoir un accord commercial qui respecterait les droits des gens ordinaires et des travailleurs aussi bien que ceux des entreprises.

Soit dit en passant, nous avons confirmé ce qui avait été dit lors de cette réunion. J'étais l'un des signataires d'une lettre qui a été envoyée à M. Marchi le 21 mai 1998 pour confirmer ce dont nous avions convenu et ce qui avait été dit à la réunion de Santiago. Je suis au regret de vous dire qu'il n'a jamais répondu à cette lettre. Je ne sais pas si c'est parce que Sergio a trop de courrier sur son bureau, mais cette lettre remonte à près d'un an et nous n'avons pas encore eu de réponse.

Voici quelques-uns des points que nous considérons comme importants:

Premièrement, la société civile devrait élire ses propres représentants. Les gouvernements ne devraient pas choisir les représentants des syndicats ou des groupes qu'ils souhaitent consulter. C'est pourquoi je dis que la société civile devrait choisir ses propres représentants.

Deuxièmement, les gouvernements devraient répondre aux propositions de la société civile. À quoi nous sert-il de faire des propositions et des suggestions si personne n'y répond jamais et ne nous dit jamais si elles sont bonnes ou mauvaises? Si vous ne les aimez pas, nous devrions savoir pourquoi. Cet échange serait peut-être profitable pour nous aussi.

Troisièmement, dans bien des cas, des ressources devraient être mises à la disposition des ONG pour que les consultations donnent les résultats voulus. Vous ne pouvez pas vous attendre à ce que certaines ONG fassent aussi bonne figure que le National Council on Business Issues, fassent des recherches aussi poussées et présentent le même genre de mémoire si elles n'ont pas les ressources pour le faire.

Enfin, nous pensons que les parlementaires devraient toujours être de la partie.

Nous savons que le Canada a fait preuve d'un certain leadership en essayant d'introduire un processus de consultation dans les discussions au sujet de la zone de libre-échange des Amériques, mais, jusqu'à maintenant, cela n'a rien donné. Pour une raison ou pour une autre, MM. Marchi et Axworthy ont dit en réponse à la question que je leur ai posée à la réunion de Santiago que «non, il ne s'agira pas uniquement d'une boîte aux lettres». Autrement dit, le processus de consultation ne consistera pas uniquement en une boîte aux lettres où on pourra envoyer ses suggestions; il y aura véritablement consultation. Mais ça n'a pas été le cas jusqu'à maintenant. Peut-être que cette question échappe au contrôle du gouvernement canadien. Je n'en sais rien, mais il faudra faire beaucoup plus, selon moi, pour qu'on puisse vraiment parler de consultation.

On peut dire que jusqu'à maintenant un grand nombre d'accords commerciaux internationaux n'ont pas contribué à l'augmentation du bien-être de la population des pays intéressés. Si on prend l'ALENA, on peut voir que certaines entreprises en ont profité, mais il y a plus de gens sans emploi, plus de gens qui sont au salaire minimum, plus de sans abri, plus de gens dans les soupes populaires. C'est ce dont le Canada a été accusé dans un rapport publié l'année dernière à la suite d'audiences devant la Commission des droits économiques et sociaux des Nations Unies. Autrement dit, il y a plus de gens pauvres dans nos pays depuis que ces ententes sont entrées en vigueur, quoiqu'elles aient aussi permis à bien des gens de s'enrichir énormément.

Nous croyons que les accords commerciaux, y compris celui qui est proposé ici, doivent faire allusion aux principales normes du travail, comporter des dispositions au sujet de la consultation de la société civile et renfermer des articles où il est question des autres traités sur les droits de la personne que nous avons signés.

Je dois vous signaler que même si le Canada a adhéré à l'OEA en 1990, il n'a malheureusement pas encore ratifié la convention inter-américaine sur les droits de l'homme. Nous avons exhorté M. Axworthy à faire en sorte que le Canada ratifie cette importante convention sur les droits de la personne avant l'assemblée générale de l'OEA qui doit avoir lieu au Canada en l'an 2000.

• 1545

Le Canada a toujours été un fier défenseur des droits de la personne et, si nous voulons le demeurer, nous devrions appuyer à cent pour cent le régime inter-américain des droits de l'homme, c'est-à-dire la Commission inter-américaine des droits de l'homme et la Cour inter-américaine des droits de l'homme. Cela irait dans le sens de ce que nous avons fait à l'échelle internationale en ratifiant le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

C'est pourquoi nous vous demandons également d'exercer des pressions pour que le Canada ratifie non seulement la convention inter-américaine sur les droits de l'homme, mais aussi le protocole de San Salvador, qui porte précisément sur les droits économiques, sociaux et culturels. Je tiens à vous signaler qu'il ne manque plus qu'une seule signature pour que ce protocole entre en vigueur. Donc, si le Canada ratifiait la convention inter-américaine sur les droits de l'homme et le protocole, celui-ci entrerait en vigueur.

Je vois qu'il ne me reste presque plus de temps et je terminerai en disant simplement...

La présidente: Il vous reste encore trois minutes.

M. Warren Allmand: Ah, merci. Je vais reculer d'une page même si je ne fais que parcourir brièvement mon texte.

Si nous songions à inclure l'investissement dans la nouvelle ZLEA, nous devrions examiner de près le rapport qu'a publié l'année dernière la Sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités des Nations Unies. Elle a analysé l'incidence de l'AMI sur les droits de la personne et les droits des travailleurs et a dit que les gens qui s'occupaient de la négociation de ces accords devraient envisager des moyens de s'assurer que les futures négociations sur l'AMI ou des accords similaires s'inscrivent dans le contexte des droits de la personne. Autrement dit, comme je l'ai dit tout à l'heure, vous ne pouvez pas ratifier des traités sur les droits de la personne, les laisser de côté et commencer à en ratifier de nouveaux sur le commerce comme s'il s'agissait de deux mondes distincts sur deux planètes différentes. Les deux doivent aller de pair: les droits de la personne et le commerce.

Je tiens aussi à attirer votre attention sur le rapport que je viens de mentionner au sujet du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Dans son rapport de juin 1998, la Commission a posé la question suivante au gouvernement canadien: «Quelle est l'opinion du gouvernement fédéral, des provinces et des municipalités du Canada sur l'incidence des accords actuels ou proposés sur le commerce et l'investissement, comme l'ALENA, l'accord sur la zone de libre-échange des Amériques et l'AMI, sur la capacité du Canada de s'acquitter dans le cadre de ces accords de ses obligations en vertu du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, et quelles mesures ont été prises pour revoir ces questions?» Autrement dit, on ne peut pas dissocier ces deux questions.

Je vais maintenant passer à nos six courtes recommandations. La première concerne la primauté des droits de la personne...

[Français]

M. Benoît Sauvageau (Repentigny, BQ): Monsieur Allmand, vous avez été longtemps député et vous savez qu'il faut aller un peu plus lentement pour l'interprétation.

M. Warren Allmand: Certainement. Je m'excuse. Est-ce qu'on a été capable de traduire ce que j'ai dit jusqu'à maintenant?

M. Benoît Sauvageau: Rapidement, oui.

M. Warren Allmand: Je parlerai plus lentement.

M. Benoît Sauvageau: Vous êtes très gentil et compréhensif.

[Traduction]

M. Warren Allmand: C'est parce que j'ai si peu de temps et tellement de choses à dire.

M. Bob Speller (Haldimand—Norfolk—Brant, Lib.): Ça ne vous a jamais arrêté auparavant.

M. Warren Allmand: J'essaie d'obéir à vos règles, Bob.

La présidente: J'aimerais entendre vos recommandations et je suis certaine que d'autres membres du sous-comité aussi.

M. Warren Allmand: C'est parfait. Je vais donc terminer.

Premièrement, la primauté des droits de la personne devrait être un principe directeur dans la négociation d'accords commerciaux, y compris la ZLEA.

Deuxièmement, le Cabinet ne devrait être autorisé à poursuivre les négociations sur la ZLEA que lorsque des études exhaustives sur l'incidence de la libéralisation du commerce et des investissements sur les droits économiques, sociaux et culturels auront été réalisées et évaluées. Autrement dit, il faudrait faire des études d'impact avant de procéder à la négociation de cet accord.

Troisièmement, il faudrait établir un processus transparent de consultation de la société civile au sujet de l'accord commercial que vous envisagez.

Quatrièmement, le Canada devrait ratifier la convention inter-américaine sur les droits de l'homme et le protocole de San Salvador avant que les négociations sur la zone de libre-échange des Amériques se poursuivent.

Cinquièmement, le gouvernement du Canada ne devrait pas entamer de négociations au sujet d'un accord sur l'investissement dans les Amériques à moins que des garanties institutionnelles suffisantes n'assurent la primauté des droits de la personne à l'échelle internationale.

• 1550

Enfin, un tel accord devrait renfermer une clause sur la démocratie semblable à celle qui existe dans l'Union européenne. Soit dit en passant, aucun pays ne peut devenir membre de l'Union européenne ou le demeurer à moins de s'engager à respecter certaines normes minimales en matière de droits de la personne et les principes de la démocratie.

Merci beaucoup, madame la présidente. Nous répondrons avec plaisir à vos questions à la fin.

La présidente: Merci, monsieur Allmand.

Nous avons maintenant M. Martin Roy de la Fondation canadienne pour les Amériques.

Mme Lucie Lafrance (directrice des communications, Fondation canadienne pour les Amériques): Je m'appelle Lucie Lafrance et je suis directrice des communications à la Fondation canadienne pour les Amériques. Je remplace en fait Denis Leclerc, le directeur exécutif de la fondation.

Je vais vous donner un bref aperçu de la Fondation canadienne pour les Amériques. Vous avez sûrement reçu la liste des membres de notre conseil d'administration et une télécopie d'une page sur nos organisations.

La Fondation canadienne pour les Amériques est le principal centre d'élaboration de politiques au Canada sur les Amériques. Nous surveillons l'évolution de la situation en Amérique latine et dans les Antilles et nous organisons des conférences et des ateliers avec des experts des affaires hémisphériques. Nous présentons ensuite des analyses et des recommandations aux décideurs sur les questions abordées au cours de ces conférences.

Nous avons eu une conférence importante sur la ZLEA en octobre 1998. Nous avons également organisé un atelier avec

[Français]

l'Institut québécois des hautes études internationales de l'Université Laval. Joël Monfils est un représentant de l'institut.

Sans plus tarder, je vais vous présenter Martin Roy, analyste politique à la FOCAL, qui s'est penché sur la question de la ZLEA. Martin pourra aussi répondre à vos questions.

M. Martin Roy (analyste politique, Fondation canadienne pour les Amériques): Pour commencer, j'aimerais mentionner que dans notre présentation, nous essayons d'aborder des éléments qui ont peut-être été un peu exclus du débat sur la question au Canada, entre autres la façon dont s'articule la politique commerciale canadienne avec la politique étrangère canadienne en général, plus spécifiquement dans les Amériques. Nous avons aussi tenté de faire une revue systématique des objectifs du Canada dans le cadre de la ZLEA, objectifs qui ne sont pas toujours évidents à première vue.

Pour ce faire, nous avons tenté de répondre à trois grandes questions. Quels sont les objectifs que le Canada a poursuivis jusqu'à maintenant dans le cadre de la ZLEA? Dans quelle mesure les positions et les stratégies du Canada dans les négociations appuient-elles ces objectifs? Dans quelle mesure les objectifs sont-ils valables ou peuvent-ils être réalisables?

Pour ce faire, nous avons intégré dans notre réflexion des éléments non traditionnels dans le débat en cours. Par exemple, quelles sont les conséquences des positions du Canada sur son positionnement dans la région? On sait que le Canada veut devenir un acteur important dans la région des Amériques. On a essayé de voir les conséquences de ces positions. On a essayé par ailleurs de confronter au contexte régional, à la réalité des Amériques, les positions du Canada en matière commerciale dans le cadre de la ZLEA. Comme on le sait, spécialement en matière commerciale, il y a plusieurs groupes d'intégration économique, différentes philosophie d'intégration ainsi que différents degrés de développement économique. Donc, on a essayé de voir si la politique canadienne avait un certain point d'ancrage dans le contexte régional à ce niveau-là.

Donc, quels sont les objectifs du Canada? Comme je vous le disais, ce n'est pas toujours évident. C'est par un examen systématique des discours de nos représentants qu'on a pu identifier, grosso modo, trois grands objectifs qui sont sensiblement les mêmes depuis 1994: diversification des relations commerciales et pénétration de nouveaux marchés; promotion du multilatéralisme par l'établissement d'une discipline et de normes commerciales de haut niveau; et accroissement de l'influence du Canada sur la scène régionale et internationale.

Les deux premières considérations sont des considérations qu'on pourrait qualifier de traditionnelles. Dans le cas du Canada, qui est voisin des États-Unis, il s'agit de contrer ou peut-être d'atténuer les effets de sa dépendance par rapport aux États-Unis, et même éventuellement de contrer l'unilatéralisme des États-Unis à l'intérieur d'accords commerciaux. Au niveau du multilatéralisme, le Canada a toujours été un fervent défenseur des institutions multilatérales, car c'est probablement le véhicule qui sert le mieux ses intérêts.

• 1555

Au niveau de l'influence du Canada, on constate que le Canada, à la fin de la guerre froide, est en perte d'influence sur la scène internationale et essaie de regagner une telle influence dans plusieurs régions, tant au niveau politique qu'au niveau commercial. Qu'on pense à l'Europe ou à la région asiatique. Les Amériques, à cause d'un contexte favorable, se sont présentées au Canada comme une plateforme où il pourrait projeter sa politique internationale.

Au niveau des positions que le Canada a développées pour appuyer ces objectifs-là, par rapport à une stratégie de diversification, on sait que le Canada, très tôt dans le processus, avant même les discussions entourant la ZLEA, a essayé d'élargir l'ALENA à d'autres membres, notamment au Chili. Par la suite, devant une certaine réticence des pays latino-américains à accepter le modèle ALENA comme étant un modèle pour l'ensemble des Amériques, le Canada a proposé une ZLEA qui inclurait autant de pays que possible.

Par rapport à la promotion du multilatéralisme, le Canada voit les accords comme l'ALENA et éventuellement celui de la ZLEA comme un modèle, une plateforme, un banc d'essai pour les négociations au niveau commercial dans le cadre de l'OMC. Donc, le Canada voit cela comme quelque chose d'essentiellement complémentaire.

Par rapport à la stratégie de pénétration des marchés, on connaît assez bien les initiatives canadiennes dans ce sens-là. La plus connue est probablement le déploiement de Team Canada en 1994 et 1998. Dans le cadre des négociations en cours, le Canada s'est lié au multilatéralisme et a essayé de faire en sorte qu'on négocie le plus rapidement possible la ZLEA.

Une des premières propositions du Canada en ce sens était de mettre comme date butoir pour la fin des négociations non pas 2005, mais 2003. Par la suite, devant la réticence de plusieurs pays latino-américains, le Canada a préconisé les fameux accords intérimaires. Si, dans certains secteurs, on faisait des progrès suffisants, on pourrait conclure des accords dans ces secteurs, par exemple dans le domaine de l'investissement ou dans le domaine de l'accès aux marchés. C'est une chose que le Canada pousse énormément dans les négociations en cours.

L'observation récente du comportement du Canada dans le dossier du libre-échange suggère cependant deux lacunes apparentes au niveau de la formulation de sa politique commerciale, soit une certaine ambiguïté quant aux objectifs et intérêts à prioriser, ainsi qu'une évaluation encore trop partielle des conséquences des positions mises de l'avant par le Canada par rapport à son positionnement dans la région.

On constate un problème de cohérence au niveau des stratégies et des actions censées appuyer les objectifs.

Il y a aussi le fameux débat sur le bilatéralisme par opposition au multilatéralisme. Alors que, d'une main, le Canada se fait le défenseur du multilatéralisme global par la promotion d'une ZLEA basée sur une discipline commerciale de haut niveau, il multiplie, de l'autre main, les accords bilatéraux afin d'obtenir un accès préférentiel à des marchés latino-américains. Certaines instances, comme le mécanisme d'examen des politiques commerciales de l'OMC, qui a révisé la politique commerciale canadienne encore cette année, s'interrogent sur la portée de ces accords bilatéraux souvent jugés discriminatoires, sur leur compatibilité entre eux, sur leurs effets sur les flux de commerce et, de façon ultime, sur la possibilité d'en étendre les dispositions et les avantages au plus grand nombre de pays possible.

On peut par ailleurs remettre en cause la compatibilité des objectifs de promotion du multilatéralisme et ceux destinés à permettre un plus grand rapprochement avec plusieurs pays latino-américains, dont le Brésil. On doit considérer, à ce chapitre, que le modèle d'intégration régionale privilégié par le Canada dans les négociations en cours a fait en sorte que le Canada a développé des positions de négociation proches de celles des États-Unis, ce qui est probablement normal compte tenu de la similitude des deux économies et de la proximité, mais il faudrait peut-être se demander quelles seraient les conséquences de l'adoption d'une posture proche de celle des États-Unis dans le cadre des négociations par rapport aux stratégies de rapprochement avec les pays latino-américains. Le Canada, dans le cas de Cuba, par exemple, utilise un certain nombre d'instruments pour essayer de démarquer sa politique étrangère de celle des États-Unis à plusieurs niveaux. Dans le domaine de la politique commerciale, cette préoccupation semble absente.

On peut remarquer, par ailleurs, un certain manque de réalisme par rapport à certains objectifs avancés par le gouvernement canadien, comme celui qui stipule que la ZLEA permettrait de contenir davantage les effets de notre dépendance envers les États-Unis ou de contenir l'unilatéralisme des États-Unis. Cela suppose notamment que la ZLEA permettrait d'obtenir des gains qui iraient au-delà de ceux qui ont été réalisés dans le cadre de l'ALENA. Il reste à savoir si les gains auxquels on fait allusion sont de nature institutionnelle, à savoir si on va renégocier les dispositions qui sont incluses dans l'ALENA, par exemple les mesures antidumping, ou si elles ont plutôt trait au nombre de joueurs inclus dans l'accord.

• 1600

Sur le front institutionnel, les gains anticipés seraient minimes, compte tenu des divergences de points de vue entre les pays des Amériques sur la portée envisagée de la ZLEA. Je fais notamment allusion à la présentation d'un collègue, Jean Daudelin, qui faisait exactement la même constatation hier, à savoir que les positions des principaux acteurs de l'heure, les États-Unis et le Brésil, sont assez éloignées et qu'il est peu probable qu'il y ait des progrès à très court terme à cet égard.

Au niveau diplomatique, il serait étonnant que les pays des Amériques puissent contenir l'unilatéralisme des États-Unis lorsque ces derniers jugent leurs intérêts vitaux.

Voilà pour les ambiguïtés et le manque de réalisme de certaines positions. On a fait un constat avant d'en arriver à nos objectifs et à nos propositions. C'est qu'il semble y avoir une certaine ambivalence, dans les positions du Canada, entre le rôle qu'il va jouer au niveau régional et celui qu'il va jouer au niveau global. Est-ce que le Canada veut s'insérer dans la région des Amériques? Est-ce qu'il se définit d'abord et avant tout comme un global trader ou comme un acteur régional? Cela crée certaines tensions.

Dans ce cas-ci, est-ce que nous devons prioriser un niveau de discipline élevé en ayant les yeux tournés vers l'OMC ou si nous devons plutôt nous adapter à la réalité régionale?

À mon avis, il est temps que le Canada priorise ses objectifs et fasse des choix plus objectifs.

La première option pour le Canada serait de prioriser le multilatéralisme. Dans ce cas-ci, si on se sert de la ZLEA comme véhicule ou comme promoteur du multilatéralisme, il faudra que le Canada conserve ses positions relativement rigides en termes de niveau de discipline, mais il faut se rendre compte que cela risque d'entraîner des coûts au plan de son rapprochement avec les pays du MERCOSUR, par exemple.

Étant donné que les négociations commerciales vont plutôt au ralenti, qu'il est peu probable qu'on ait des gains institutionnels avant 2005 et qu'on n'ira pas beaucoup plus vite que l'OMC, le Canada pourrait prioriser une approche qui serait davantage tournée vers son insertion régionale, qui serait davantage sensible aux préoccupations de certains pays latino-américains avec lesquels il veut développer des relations à long terme.

Il y aurait un dernier scénario, une dernière option, qui serait de donner la priorité à un accès rapide au marché. Dans ce cas-ci, le Canada continuerait d'essayer de signer des accords bilatéraux pour prendre le plus de terrain possible avant que les Européens arrivent dans les Amériques. Comme les Américains ne bougent pas beaucoup, il pourrait prendre avantage des marchés, mais dans ce cas-ci, il risquerait de se détourner de l'un des objectifs fondamentaux de la politique commerciale canadienne, à savoir la promotion du multilatéralisme.

Je termine ma présentation là-dessus. Je suis disposé à répondre à vos questions. Merci.

[Traduction]

La présidente: Merci beaucoup.

Je sais que je dois m'en tenir à un horaire serré, parce que nous avons six exposés à entendre, mais n'hésitez pas, si vous ne l'avez pas déjà fait, à remettre vos documents à la greffière pour qu'elle les distribue. Si vous souhaitez aborder un point plus en détail, je vous invite à le faire. Merci.

Nous avons ensuite M. Myers, de l'Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Canada.

M. Jayson Myers (premier vice-président et économiste en chef, Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Canada): Merci beaucoup, madame la présidente.

[Français]

Je m'appelle Jayson Myers et je suis premier vice-président de l'Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Canada. Je veux vous présenter Pamela Fehr, qui est analyste des politiques commerciales internationales à l'alliance.

Nous sommes très heureux d'avoir l'occasion de vous présenter les idées de l'alliance sur l'importance qu'il convient d'accorder à la négociation d'un accord de libre-échange des Amériques, au rôle actuel du Canada en tant que président de ces négociations, ainsi qu'à certaines des questions clés sur lesquelles, à notre avis, les priorités du Canada en matière de négociations devraient être fondées.

• 1605

[Traduction]

Nous sommes ici pour exprimer le point de vue de nos 3 500 membres, que nous avons consultés longuement et intensivement au sujet de l'importance de l'ALEA et aussi, bien sûr, des négociations qui s'en viennent à l'OMC. Comme vous le savez, notre organisation compte non seulement des entreprises de fabrication, mais également des exportateurs de services, de même que les principaux exportateurs canadiens de ressources naturelles.

La majorité de nos membres sont des PME, bien que nous représentions aussi un grand nombre des plus grosses sociétés multinationales qui font des affaires au pays. Nos membres viennent de toutes les provinces. Ensemble, ils assurent plus de 75 p. 100 de la production industrielle du Canada et 95 p. 100 de ses exportations, ainsi que 90 p. 100 des activités de R.-D. au pays.

Nos membres attachent beaucoup d'importance à la participation du Canada aux négociations sur l'ALEA et à la conclusion d'un accord de libre-échange englobant toutes les Amériques d'ici l'an 2005. Cette initiative recueille un large appui, plus large en fait que jamais auparavant, premièrement en raison de la croissance des exportations et des investissements des entreprises canadiennes dans les pays de l'Amérique latine et des Caraïbes, et deuxièmement en raison du potentiel que ces entreprises entrevoient en Amérique latine. Ce marché devrait atteindre 500 millions de personnes, avec un PIB de plus de 2 milliards de dollars US, d'ici l'an 2000. Il faut mentionner également les avantages et les débouchés dont beaucoup de nos entreprises ont profité à la suite de l'ALENA et de l'Accord de libre-échange Canada-Chili.

Selon le dernier sondage que nous avons effectué auprès de nos membres, l'été passé—nous sommes d'ailleurs en train d'en effectuer un autre—, et auquel 542 entreprises ont répondu, 64 p. 100 d'entre elles considéraient que l'ALENA leur ouvrait des possibilités, alors que 5 p. 100 y voyaient une menace pour leurs affaires. Ces chiffres sont très différents de ce qu'ils étaient il y a cinq ans, puisqu'une majorité de répondants estimaient alors carrément que le libre-échange nord-américain représentait une menace ou un défi pour leur entreprise, plutôt qu'un avantage.

Leur opinion a changé du tout au tout depuis cinq ans. Aujourd'hui, 46 p. 100 de nos membres considèrent que l'Accord de libre-échange Canada-Chili leur ouvre des portes, tandis que seulement 3 p. 100 y voient une menace éventuelle pour leurs affaires ou leurs débouchés.

Il y a une autre raison extrêmement importante pour laquelle nos membres s'intéressent plus que jamais à la négociation d'un accord de libre-échange panaméricain. Je veux parler de la pénétration croissante du marché latino-américain par nos concurrents d'Asie, d'Europe et des États-Unis, sans oublier les importantes négociations en cours à l'intérieur même de l'Amérique latine. Des pays comme le Mexique, le Brésil, l'Argentine et le Chili sont en train de négocier d'autres accords de libre-échange sur une base bilatérale. Cette situation inquiète nos membres, qui cherchent à pénétrer le marché latino-américain et qui ne veulent pas être exclus de ces accords préférentiels.

Selon notre sondage, 79 p. 100 de nos membres appuient la négociation d'un Accord de libre-échange des Amériques, et je ne crois pas qu'il s'agisse simplement d'un soutien passif. Tous s'entendent pour dire que, si les États-Unis et les pays d'Amérique latine négocient un accord de libre-échange, le Canada doit y participer. Nous avons déjà entendu le même argument dans d'autres circonstances.

De plus en plus, nos membres sont en bonne partie d'accord pour que le Canada joue un rôle actif dans les négociations et y poursuive les trois objectifs suivants: premièrement, un accès plus ouvert aux marchés de l'Amérique latine pour les biens et services canadiens; deuxièmement, le traitement non discriminatoire des entreprises et des investissements canadiens dans toute l'Amérique latine; troisièmement, l'établissement d'un ensemble transparent et efficace de règles régissant le commerce et l'investissement régionaux, et le règlement des différends commerciaux dans la région sans application arbitraire de recours commerciaux.

L'Alliance est elle-même très présente dans les dossiers touchant l'ALEA, depuis sa participation au sommet de Miami en 1994. Nous avons pris une part active aux rencontres commerciales tenues parallèlement aux rencontres des ministres du Commerce. Nous sommes membres du réseau d'entreprises pour l'intégration de l'hémisphère et nous continuons à travailler en étroite collaboration avec les associations commerciales comme la nôtre dans l'ensemble des Amériques, afin de défendre les intérêts communs du secteur privé à la veille des négociations en vue d'un ALEA.

Nous entretenons des relations particulièrement étroites avec les associations industrielles comme la nôtre au Mexique, au Chili et en Argentine en vue de promouvoir des liens d'affaires, des débouchés commerciaux, des occasions d'investissement et des mesures d'aide au développement, et aussi d'élaborer des positions communes en vue de l'ouverture du processus de négociations sur l'ALEA. C'est notre travail auprès de ces homologues qui nous a permis de jouer un rôle direct dans les négociations touchant non seulement l'ALENA, mais aussi l'Accord de libre-échange Canada-Chili.

• 1610

Cette année, comme vous le savez, le Canada préside les négociations en vue de la signature d'un ALEA. La prochaine rencontre des ministres du Commerce doit avoir lieu à Toronto en novembre. Ce sera pour le Canada une occasion importante et unique d'influer non seulement sur l'ampleur des négociations, mais également sur leur contenu, et de définir le déroulement des négociations et des consultations que chaque pays devra entreprendre pour l'élaboration d'un accord touchant le commerce et l'investissement dans l'ensemble des Amériques.

Il me semble toutefois important de décrire le cadre dans lequel ces négociations se dérouleront, d'après nous, spécialement par rapport à ce que nous estimons être les deux piliers de notre politique en matière de commerce international: l'OMC d'une part, et l'ALENA de l'autre. Nous estimons que l'ALEA doit certainement être conforme aux règles de l'OMC, mais nous pensons que les négociations en vue de cet accord peuvent en même temps faire avancer plus rapidement l'OMC dans le sens des priorités du Canada relativement au commerce multilatéral et aux investissements.

Certains membres de l'OMC, notamment le Canada et la plupart de nos partenaires des Amériques dans ces négociations, se préparent aussi à lancer une nouvelle série de négociations du «millénaire» sur le commerce multilatéral.

L'Alliance est d'avis que le Canada devrait profiter des négociations sur l'ALEA pour poursuivre ses objectifs en matière de commerce multilatéral sous trois rapports. Il devrait premièrement veiller à ce que tous les pays qui participent à l'ALEA soient signataires des codes de l'OMC, en particulier les codes concernant l'accès aux marchés, et à ce qu'ils aient des dispositifs législatifs et réglementaires appropriés, ouverts, justes et efficaces de mise en oeuvre des règles de l'OMC.

Deuxièmement, je pense qu'il est important de tabler sur les dispositifs de l'OMC et de les améliorer en réduisant davantage ou en supprimant les obstacles inutiles au commerce, en reconnaissant le principe d'un traitement non discriminatoire des investissements et en établissant des règles et processus communs de gestion des différends commerciaux.

Troisièmement, l'ALEA peut à mon avis être avantageux pour les négociations de l'OMC, ou leur permettre d'aller plus loin, en facilitant le commerce régional dans le cadre d'accords et d'actions visant à simplifier les formalités douanières, à harmoniser les normes techniques et, par-dessus tout, à mettre en place des dispositifs réglementaires efficaces et transparents pour l'ensemble des Amériques.

Les négociations en vue d'un ALEA ne doivent donc pas seulement être vues comme une occasion de fixer une norme pour ce que le Canada cherche à réaliser au sein de l'OMC. Elles nous donnent aussi la possibilité d'aller plus loin—sur la voie d'une plus grande libéralisation dans l'ensemble des Amériques, d'une plus grande sécurité d'accès aux marchés, de l'élimination des subventions au commerce et à l'investissement, et du traitement moins discriminatoire des investissements—qu'il ne nous serait vraisemblablement possible de le faire en vertu des règles de l'OMC elle-même.

Le deuxième pilier de la politique commerciale du Canada est l'ALENA, qui reflète l'importance critique de nos relations économiques et commerciales avec les États-Unis. Nous estimons par conséquent que les objectifs que le Canada poursuit dans les négociations en vue d'un ALEA doivent également être compatibles avec ce que nous cherchons à réaliser dans nos rapports bilatéraux avec notre principal partenaire commercial, les États-Unis, et aussi dans le cadre de l'ALENA.

À ce propos, nous trouvons très important d'éviter que l'ALEA n'entraîne une dégradation des avantages dont bénéficient déjà les entreprises canadiennes en vertu de l'ALENA. Encore là, nous ne voulons pas éroder la marge de manoeuvre dont nous disposons dans le contexte de l'ALENA, à titre de pays souverain, pour négocier des accords de libre-échange avec d'autres pays en dehors des Amériques.

Il faut aussi veiller à ce que le processus relativement efficace et objectif de règlement des différends qui est actuellement en vigueur dans le cadre de l'ALENA ne soit pas affaibli.

Il est également important de veiller dans la mesure du possible à ce que l'ALENA serve de modèle à l'ALEA. Le Canada n'a pas intérêt à ce qu'émergent dans les Amériques un ensemble disparate d'accords de libre-échange dont certains de nos partenaires dans l'ALENA seraient signataires, mais pas tous. Donc, il est très important d'avoir des règles uniformes et un accès commun à l'ALEA pour tous les membres de l'ALENA. Le Canada n'a pas intérêt non plus à rouvrir sans cesse les dossiers déjà réglés dans le cadre de l'ALENA. Il faudrait donc, à notre avis, que l'ALEA soit non seulement compatible avec nos obligations dans le cadre de l'ALENA, mais aussi englobantes que possible pour ce qui est des États participants.

• 1615

Enfin, le Canada n'a pas intérêt non plus à ce que les termes de l'ALEA soient définis par une seule grande économie dans les Amériques. Il est donc extrêmement important de nous servir de l'ALEA pour établir un équilibre régional, surtout en ce qui concerne le règlement des différends.

Il est également important de tabler sur l'étendue et la sécurité de l'accès du Canada aux marchés de ses partenaires de l'ALENA. Je pense que nous pouvons arriver au même résultat grâce à l'ALEA. Les questions qui intéressent tout particulièrement nos membres se rattachent notamment à l'élargissement de l'ALENA, ou à l'élargissement du libre-échange à l'intérieur de la zone de l'ALENA, pour englober les services financiers, les services de télécommunications et les services d'expédition, de même que l'entrée plus libre des professionnels et les achats infranationaux. Les efforts visant à encourager l'achat de produits américains posent un problème particulièrement épineux pour bon nombre de nos membres, tout comme l'application des lois relatives aux recours commerciaux et la clarification de certaines règles régissant le traitement des investissements.

Les ministres du Commerce ont déjà défini certaines domaines clés pour les négociations sur l'ALEA. À notre avis, il sera possible d'atteindre certains des objectifs à court terme grâce à des mesures de facilitation du commerce et de simplification des formalités douanières. C'est important.

Les lois sur les recours commerciaux sont également très importantes. Nous vous avons d'ailleurs distribué un mémoire plus détaillé sur certaines des questions liées aux mesures compensatoires et aux mesures antidumping pour lesquelles le régime de l'OMC pourrait à notre avis être élargi.

Je voudrais vous dire en terminant que l'ALEA soulève lui aussi bon nombre des difficultés dont nous avons parlé au sujet de l'OMC. Il faudra notamment tenir compte de la situation de nombreux pays ayant atteint des stades de développement différents sur le plan économique et, surtout, sur le plan politique, ce qui constituera peut-être le principal défi à relever.

Il est extrêmement important à notre avis de veiller à ce que les négociations sur l'ALEA, tout comme celles de l'OMC, ne se déroulent pas uniquement entre délégués commerciaux des différents pays visés, mais qu'elles englobent autant que possible d'autres participants comme les milieux d'affaires et d'autres membres de la société civile, afin de faire en sorte que toutes ces questions soient sur la table.

Je répète que l'ALEA pourrait nous amener plus loin que ce que nous essayons de réaliser à l'OMC et nous fournir—du moins c'est ce que je crois, et que j'espère—, sous le leadership du Canada, un moyen d'améliorer notre accès à notre principal marché, celui de l'ALENA.

Merci.

La présidente: Merci, monsieur Myers.

Nous entendrons maintenant M. Joël Monfils.

[Français]

M. Joël Monfils (Institut québécois des hautes études internationales, Université Laval; témoigne à titre personnel): Je m'excuse, mais nous avons fait une présentation conjointe.

[Traduction]

La présidente: C'est maintenant au tour du représentant du Centre de recherches pour le développement international.

[Français]

Mme Caroline Pestieau (vice-présidente, Direction générale des programmes, Centre de recherches pour le développement international): Merci, madame la présidente. Nous sommes très heureux d'avoir été invités à présenter un mémoire au comité. Je vais passer la parole à mon collègue Rohinton Medhora, qui a préparé ce mémoire. Nous répondrons ensemble aux questions tout à l'heure. Merci.

[Traduction]

M. Rohinton Medhora (administrateur de programmes, Centre de recherches pour le développement international): Je vous remercie moi aussi de m'avoir invité.

Le CRDI est une société d'État créée par le Parlement en 1970. Nous avons pour mandat de renforcer les capacités des pays en développement et nous travaillons dans plusieurs domaines, dont la gestion environnementale, les sciences sociales, l'économie, la santé et la politique d'information.

Le mémoire que nous vous avons remis contient une liste de produits de recherche que nous avons appuyés dans le domaine de la réforme économique et commerciale; nous nous ferons un plaisir de vous les faire parvenir.

Ma présentation se divise en quatre parties. Je vais d'abord vous parler de la position du Canada sur les questions d'aide et de commerce. Je vous dirai ensuite un mot au sujet de l'OMC et des négociations sur la ZLEA, ainsi que de certaines des questions à souligner à cet égard. Troisièmement, je tenterai de situer le débat dans le contexte plus large des relations économiques internationales, avant de passer à ma conclusion.

Je dois ajouter que nous ne sommes pas nécessairement un organisme de promotion. Nous n'avons pas de position ferme sur les questions qui nous intéressent. Nous nous contentons d'appuyer la recherche et la création de capacité ailleurs. Je suis donc ici à bien des égards pour vous résumer les résultats des recherches réalisées par nos partenaires.

• 1620

En ce qui concerne l'aide et le commerce, les pays en développement comptent au total pour le tiers environ des échanges mondiaux, et les pays du Sud qui feraient partie de la ZLEA représentent environ le tiers de ce tiers. Les pays en développement on vu leurs échanges commerciaux augmenter d'une fois et demi de plus que les pays industrialisés, et même davantage dans le cas des pays de la ZLEA, où ils ont à peu près doublé. Ce qui veut dire qu'il s'agit d'une toute petite fraction de l'ensemble, mais d'une fraction très active et très dynamique.

La deuxième chose que je veux vous dire, c'est que même si nous parlons ici d'un volume relativement restreint, nous savons tous que le commerce est beaucoup plus important pour les pays en développement que pour les autres, tout simplement parce que les institutions et les capacités nécessaires pour gérer le changement y sont généralement plus faibles. Donc, une bonne partie de nos efforts visent à modifier le contexte dans lequel les décisions sont prises et les politiques, mises en oeuvre.

Il découle de cette constatation deux questions pertinentes pour notre discussion d'aujourd'hui. La première, c'est que, quand nous recommandons à des pays en développement une libéralisation quelconque, que ce soit dans le secteur du commerce ou dans celui des services financiers, il faut tempérer quelque peu cette recommandation par le fait que ces politiques ou ces suggestions ont des répercussions sur la pauvreté et le développement à court et à moyen termes. Nous devons donc penser aux retombées à long terme de la libéralisation des échanges commerciaux. Mais tout indique—et nous sommes d'accord—que le lien entre libéralisation et développement est plutôt complexe. En fait, le résultat dépend beaucoup de la situation initiale des pays où se passe cette libéralisation, de même que de la qualité des institutions sociales, économiques et politiques chargées de gérer le changement.

Si je le mentionne, c'est parce que tous les pays en développement, y compris ceux de l'Amérique latine, reçoivent des conseils d'un peu partout: pas seulement de l'OMC et des institutions connexes, mais également de pays fournisseurs d'aide bilatérale, du FMI et de la Banque mondiale, où le Canada joue un rôle. Il serait bon que ces conseils soient cohérents, ce qui n'est pas toujours le cas.

Le deuxième point—et je ne fais que répéter les questions évoquées par les porte-parole de l'Institut Nord-Sud devant le comité au complet il y a environ un mois—, c'est qu'il y a toute une gamme de mesures de libéralisation que les pays industrialisés, et en particulier le Canada, pourraient prendre pour augmenter leurs importations de biens et de services en provenance des pays latino-américains et des autres pays en développement. C'est vraiment un prolongement logique de ce que bon nombre d'entre nous jugent nécessaire, c'est-à-dire d'encourager le commerce plutôt que de fournir de l'aide.

Le défi, pour le Canada, consistera donc à user de son influence dans les tribunes comme le G-7, le FMI, la Banque mondiale, l'OMC et les négociations sur la ZLEA pour tempérer certains des conseils de libéralisation à outrance que ces pays reçoivent parfois, tout en profitant de sa bonne réputation auprès des pays du Sud pour s'assurer que ses propres programmes d'aide bilatérale et multilatérale débouchent sur la mise en place de politiques judicieuses.

Je voudrais maintenant vous dire quelques mots au sujet du programme des négociations sur la ZLEA et des négociations de l'OMC. Ce que je tiens à souligner à cet égard, c'est que le processus est évidemment beaucoup plus avancé à l'OMC qu'en ce qui concerne la ZLEA, et qu'il y a des leçons à tirer des deux côtés.

Les pays en développement auront un certain nombre de difficultés à surmonter—nous en mentionnons trois dans notre mémoire—dans un monde dominé par la ZLEA et l'OMC. La première, c'est que, quand on décide de signer un accord—même si ce n'est pas toujours par choix—, il faut apporter divers changements à ses politiques commerciales et industrielles afin de les aligner sur celles des autres pays signataires. La deuxième, c'est que beaucoup de pays en développement doivent maintenant déterminer s'ils veulent appartenir à l'OMC plutôt qu'à un groupe commercial régional. La troisième, c'est que l'appartenance à ces organisations comporte des privilèges, mais aussi des obligations.

Le deuxième point, à savoir si, comment et quand un pays devrait signer un accord commercial régional ou multilatéral, est un élément sur lequel le Canada ne peut guère avoir d'influence. Mais il peut en avoir sur le premier et le troisième points, et c'est pourquoi j'aimerais vous en parler quelques instants.

Quand on dit que les pays doivent faire certains ajustements s'ils veulent se joindre à l'OMC ou signer un éventuel accord sur la ZLEA, il y aura probablement beaucoup de domaines, notamment sur le plan de la politique budgétaire—en ce qui concerne par exemple l'harmonisation fiscale et l'élimination des subventions à l'exportation tout en maintenant des politiques visant à promouvoir la compétitivité—, dans lesquels le Canada a beaucoup d'expérience. Il faut mettre cette expérience à profit, mais pas nécessairement à l'ancienne mode, par des projets et des séjours de courte durée dans les pays visés. Il y a beaucoup de place pour de sérieux efforts de création de capacités comme ceux que nous déployons dans ces pays. Permettez-moi de vous les décrire brièvement.

• 1625

Ce que je vais vous dire maintenant s'inspire de l'analogie que le premier témoin a faite avec quelque chose qui existe au niveau national, mais pas au niveau international, à savoir que les lois doivent être conformes à la charte des droits. Ce que vous avez voulu dire, je pense, c'est que ce n'est pas nécessairement le cas au niveau international. En voici un autre exemple, comme il y en a plusieurs. Nous estimons aussi que tout le monde doit avoir le même accès au système judiciaire. C'est un principe que nous acceptons au niveau national, mais qui n'est pas reconnu de façon concrète au niveau international.

Je pense en particulier au mécanisme de règlement des différends à l'OMC. Il y a eu un certain nombre de propositions qui ont circulé au sujet de la possibilité de fournir aux petits pays pauvres les ressources juridiques, financières et techniques nécessaires pour soumettre des litiges à ce mécanisme de règlement des différends. Il me semble que, quand nous élaborerons une ZLEA, nous devrions penser à cet aspect et l'inclure dès le départ, sans quoi tout le monde n'aura pas le même accès à ce mécanisme. C'est une chose à laquelle nous attachons beaucoup d'importance, avec notre petite économie ouverte; nous tenons à vivre dans un système dont les règles sont respectées. Il s'agit donc d'une question tout à fait pratique que le Canada peut appuyer.

Le CRDI lui-même a entrepris en Amérique latine un certain nombre de projets qui visent à bâtir la capacité nécessaire pour gérer le changement et la réforme économique dans le domaine du commerce international. Nous travaillons de concert avec les pays du MERCOSUR pour analyser les répercussions qu'ont les uns sur les autres les différents aspects du MERCOSUR. Nous avons également dans plusieurs pays un important réseau de chercheurs et de décideurs qui examinent l'ensemble du programme futur de l'OMC au sujet de l'Amérique latine. Nous avons aussi des projets similaires en Asie et en Afrique.

La troisième partie de ma présentation porte sur le contexte général dans lequel s'insèrent certaines de ces questions. En un sens, j'ai déjà parlé de ce contexte général, c'est-à-dire du fait que les questions commerciales sont en concurrence avec de nombreuses préoccupations relatives au développement et aux finances dans beaucoup de ces pays. L'autre aspect de la question, c'est chaque pays a des moyens différents pour régler ces questions commerciales.

Ce que nous avons constaté pendant le Cycle d'Uruguay, c'est que, même s'il existait un cadre général appelé Cycle d'Uruguay, le groupe de Cairns a émergé presque spontanément; il s'agissait d'une coalition très souple de pays qui s'étaient regroupés autour d'une cause bien précise et qui n'avaient probablement pas grand-chose en commun à part l'agriculture. Même si le groupe de Cairns n'a pas complètement atteint son but, il était en quelque sorte annonciateur du genre de négociations commerciales que nous risquons de voir à l'avenir. Je veux parler de coalitions visant un but unique, qui seraient fluides et flexibles et qui se formeraient en vue du règlement de questions particulièrement irritantes, que ce soit dans le cadre de la ZLEA, de l'OMC, de l'ALENA ou ailleurs. C'est le genre de coalitions pour lesquelles les pays ont besoin au départ d'une bonne capacité d'analyse des politiques, afin de déterminer leur position et de décider s'ils veulent ou non s'y joindre.

Permettez-moi pour conclure de vous faire une suggestion. Si les petits pays pauvres doivent effectivement participer aux négociations sur la ZLEA et aux travaux de l'OMC, ils devront répondre à trois critères. Premièrement, ils devront permettre un débat ouvert et accepter la critique de la société civile. Deuxièmement, ils devront posséder sur place les capacités analytiques nécessaires pour évaluer les changements de politiques. Et, troisièmement, ils devront bénéficier des ressources financières, techniques et humaines voulues pour s'adapter à ces changements. Le rôle du Canada et des organisations comme le CRDI consistera donc à les aider à répondre à ces critères.

Merci.

La présidente: Merci beaucoup.

J'invite maintenant le directeur général du Conseil des Canadiens, M. Peter Bleyer. Bienvenue.

M. Peter Bleyer (directeur général, Conseil des Canadiens): Merci, madame la présidente, et merci au comité d'avoir accepté de nous entendre.

J'étais en compagnie d'Anna Dashtgard, la responsable de notre campagne sur les questions commerciales. Je suis sûr qu'elle est très occupée à mener sa campagne dans les corridors de la Chambre des communes. Elle ne voulait pas perdre son temps pendant que nous étions ici.

La plupart d'entre vous connaissent déjà le Conseil des Canadiens.

Je pensais que c'était peut-être Anna qui entrait, mais c'est Jayson Myers, qui soutient lui aussi le travail de son organisations dans les couloirs de la Chambre des communes.

• 1630

Le Conseil des Canadiens est un groupe national d'intérêt public sans but lucratif, qui compte actuellement environ 100 000 membres. Nous croyons que l'augmentation du nombre de nos membres est imputable au moins en partie au fait que, même si certains secteurs de la société canadienne apprécient sans doute les gains qu'ils ont réalisés grâce à l'ALENA, la vaste majorité des Canadiens s'inquiètent beaucoup de la libéralisation du commerce et de l'investissement.

C'est une question qui intéresse le Conseil depuis sa création en 1985. Nous avons participé très activement au débat sur l'AMI et au travail qui s'est fait à ce sujet-là, comme la plupart d'entre vous le savent, puisque vous avez vous aussi été mêlés d'une façon ou d'une autre à ce débat. Nous croyons que notre campagne amorce maintenant une nouvelle phase, qui inclut ce que nous appelons l'enquête sur l'AMI. Nous espérons vous présenter notre rapport à ce sujet-là d'ici quelques semaines.

D'ici la fin de la semaine, les ministres du Commerce du Canada, du Mexique et des États-Unis se rencontreront à Ottawa pour discuter de diverses questions touchant l'ALENA. Nous croyons que ce serait un moment tout à fait approprié pour que vous et tous les Canadiens réfléchissiez à la question de la ZLEA et de la participation du Canada à cet égard. Il y a maintenant cinq ans que l'ALENA est en vigueur, et il a probablement pavé la voie au modèle de mondialisation du commerce et de l'investissement qui avait commencé à se répandre depuis un certain temps déjà, du moins jusqu'à tout récemment. Et la ZLEA a de fortes chances de s'inspirer des accords existants comme l'ALENA. Comme d'autres l'ont déjà souligné, il semble que le gouvernement canadien y voie un modèle parfait, à étendre à tout l'hémisphère.

Depuis plus d'un an maintenant, nous entendons des gens du monde entier, des dirigeants d'entreprise et des hommes d'État, qui se sont faits les champions de ce modèle. Évidemment, il s'agit probablement surtout d'hommes d'État, mais c'est un problème qui sera sans doute corrigé. Et ces gens-là eux-mêmes, ou du moins certains d'entre eux, mettent ouvertement en doute l'utilité de continuer plus loin dans la voie qu'ils préconisaient jusqu'ici. Je ne veux pas laisser entendre que tous les dirigeants des milieux d'affaires ont changé d'idée. On nous a dit clairement que ce n'était pas le cas. Mais l'édifice commence à se lézarder.

Néanmoins, les Canadiens craignent que leur gouvernement actuel soit déterminé à nous engager encore plus loin dans la voie de la libéralisation du commerce et de l'investissement, ce qu'il cherchait déjà faire avec l'AMI.

Les Canadiens s'inquiètent de cette éventualité parce qu'ils ont vraiment souffert, individuellement et collectivement, des conséquences du modèle imposé d'abord par l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis et ensuite par l'ALENA, qui est vraiment devenu l'arme de choix pour les entreprises, et en particulier les entreprises américaines, qui cherchent à contourner et à contester les lois canadiennes pour leur propre avantage économique. Pendant la dernière année seulement, quatre entreprises américaines ont intenté des poursuites contre le Canada. Un des exemples les plus connus dont vous avez entendu parler, et que vous avez examiné, est celui de l'Ethyl Corporation, qui a réussi à obliger notre gouvernement à lever son interdiction sur le MMT, un additif pour l'essence soupçonné d'être particulièrement nocif pour les jeunes enfants. Et évidemment, pour couronner le tout, non seulement le gouvernement canadien a accordé un dédommagement à l'Ethyl, mais il lui a envoyé une lettre pour lui présenter ses plates excuses au nom de ses citoyens.

En ce moment, nous nous intéressons de près à la question de l'eau. La société Sun Belt Water Inc. a été la troisième entreprise américaine en moins d'un an à poursuivre le Canada sous le régime de l'ALENA, à la suite d'une décision du gouvernement de la Colombie-Britannique qui l'empêchait d'exporter des milliards de litres d'eau fraîche de cette province vers la Californie.

Pendant la dernière année seulement, les contestations en vertu du chapitre 11 de l'ALENA et les décisions de l'OMC... Nous avons véritablement affaire, comme certains observateurs l'ont déjà souligné, à un ensemble d'accords et de tribunes visant la libéralisation du commerce et de l'investissement. Donc, les décisions de l'OMC, les contestations en vertu de l'ALENA et divers autres événements ont mis en péril la capacité fondamentale des Canadiens, en tant que citoyens d'une nation souveraine, à promouvoir leur propre culture, à protéger leur environnement et leur santé, et à soutenir l'investissement productif et la création d'emplois dans leur pays. Vous connaissez tout comme moi les cas où cela s'est produit.

Il faut reconnaître que, pour les gens de certains autres pays, la libéralisation du commerce et de l'investissement a eu des conséquences beaucoup plus désastreuses que pour nous. Le Conseil des Canadiens est loin de prétendre que les Canadiens ont été les principales victimes de cette libéralisation. Ce n'est pas du tout le cas. Mais ce n'est pas une raison pour que nous appuyions ce modèle.

• 1635

Le modèle de libéralisation du commerce et de l'investissement cherche en effet à ramener les normes sociales et environnementales au plus bas dénominateur commun, et même plus bas. Par conséquent, la pauvreté est endémique dans la plupart des pays du monde, et la faune, la flore, l'air et l'eau sont de plus en plus menacés sur toute la planète.

C'est un modèle qui pousse les pays en voie de développement à dépendre toujours davantage des exportations, et l'importance qu'ont prise certaines cultures commerciales délicates destinées à l'exportation vers le Nord a entraîné dans ces pays une aggravation de la pauvreté et de la faim, ainsi que la dégradation de l'environnement. Encore là, vous pouvez choisir votre continent: les exemples ne manquent pas.

Ce modèle crée des zones franches industrielles où les travailleurs vivent dans des conditions horribles et souvent horrifiantes. Évidemment, dans le cas de l'ALENA, c'est la situation dans les maquiladoras qui nous préoccupe le plus, mais ce genre de chose est de plus en plus répandue dans le monde entier.

Ce modèle facilite les mouvements de capitaux, ce qui permet aux spéculateurs de réaliser d'énormes profits aux dépens des salaires réels de la majorité des gens.

Il pousse les gouvernements du Nord—et le nôtre en est un bon exemple—comme ceux du Sud à sabrer dans les dépenses visant à répondre aux besoins sociaux légitimes de leurs citoyens.

Dans ces circonstances, nous avons vraiment du mal à comprendre pourquoi notre gouvernement continue de négocier des accords commerciaux comme ceux-là, ce qui inclut l'accord sur la ZLEA, et en particulier pourquoi nous devrions chercher à étendre ces accords à l'investissement et à ce qu'on appelé, dans le cas de la ZLEA, les «priorités à court terme».

Pour l'essentiel, nos recommandations sont très simples. Nous estimons que le gouvernement canadien devrait mettre fin aux entretiens visant à pousser plus loin la libéralisation du commerce et de l'investissement, ce qui inclut les négociations sur la ZLEA, et qu'il devrait plutôt s'engager dans un véritable dialogue avec les Canadiens au sujet des conséquences sociales, économiques et écologiques de ce modèle de mondialisation.

Il y a aussi une autre condition préalable à la tenue de ce débat de fond. Plutôt que d'élargir le modèle en négociant une ZLEA... Le cas de l'OMC est tout aussi préoccupant, de même que la multitude de négociations bilatérales auxquelles nous participons; en fait, il y en a trop pour que je sois au courant de toutes, et à plus forte raison que je vous les énumère. Il y en a tous les jours. Les bureaucrates canadiens, et parfois aussi les élus, travaillent à la signature de ces accords. Nous devons insister sur la nécessité d'une évaluation approfondie des répercussions des accords existants, tant pour les Canadiens que pour les autres peuples du monde, ainsi que des conséquences que l'extension de ces accords pourrait avoir sur la situation socio-économique, l'environnement, la démocratie et la transparence des processus de décisions politiques. Franchement, ces accords ont concentré de plus en plus de pouvoir entre les mains des sociétés transnationales. Ils ont exclu non seulement la société civile, mais vous également.

Mel Watkins est un de mes économistes canadiens préférés; certains parmi vous seront sans doute d'accord avec moi. En 1988, quand ceux d'entre nous qui s'opposaient à l'époque à l'accord de libre-échange canado-américain ont été invités à présenter une solution de remplacement, Mel a exposé la situation de façon très succincte, à mon avis. Si je me rappelle bien, il a dit que, quand on est sur le point de sauter du haut d'une falaise, la décision de ne pas sauter représente une excellente solution de remplacement.

Je pense que nous n'en sommes aujourd'hui qu'à la première étape, qui n'en est pas moins d'une importance critique. Si vous ne franchissez pas cette première étape, vous vous fermez toutes les autres voies. En vous jetant du haut de la falaise, vous limitez les options dont vous disposez par la suite. La première chose à faire, si vous décidez de ne pas sauter, c'est de reconsidérer vos objectifs. D'autres témoins qui ont comparu aujourd'hui vous ont déjà parlé de ces objectifs.

Essentiellement, le commerce et l'investissement ne doivent pas être des fins en soi, mais des moyens d'atteindre un développement équitable et durable. Nous avons entendu beaucoup trop souvent nos leaders politiques—notre gouvernement—nous vanter les mérites inhérents à l'augmentation des exportations, aux accords commerciaux et à la libéralisation des échanges, mais ils ne nous ont pas assez parlé de la façon dont ces accords nous permettraient d'atteindre un développement équitable et durable.

Les politiques doivent viser à promouvoir la souveraineté économique, à assurer le bien-être des citoyens et à réduire les inégalités. Elles doivent permettre aux gouvernements de veiller à ce que l'activité économique soit durable sur le plan de l'environnement. Elles ne doivent pas miner la capacité des États-nations à répondre aux besoins sociaux et économiques de leurs citoyens, ou à protéger leur santé ou la viabilité de leurs communautés. Et, pour finir, elles doivent protéger les droits fondamentaux de tout le monde.

Merci de votre attention.

• 1640

La présidente: Merci beaucoup.

Chers collègues, il nous reste 50 minutes pour la période de questions. Je vous demande, tout comme témoins qui vont répondre... Je voudrais donner dix minutes au maximum à chacun des membres du comité de façon à ce que nous puissions terminer d'ici 17 h 30. Je vous demande aussi de garder vos questions et vos réponses courtes pour que nous puissions couvrir un certain nombre de sujets.

Monsieur Penson, s'il vous plaît.

M. Charlie Penson (Peace River, Réf.): Merci, madame la présidente.

Je remercie nos témoins d'être venus. J'ai trouvé vos présentations très intéressantes; j'y ai certainement puisé matière à réflexion sur de nombreux sujets.

J'ai trouvé particulièrement fascinant d'entendre M. Myers affirmer, dans sa présentation au nom de l'Alliance des manufacturiers et des exportateurs, qu'un certain nombre de membres de cette organisation ont indiqué en réponse à un sondage que l'accord de libre-échange était nettement mieux accepté qu'au début. À mon avis, cette constatation s'applique également à l'ensemble des Canadiens. Les sondages réalisés auprès de la population canadienne révèlent des chiffres similaires. Le nombre de gens qui croient que c'est bon pour le Canada a augmenté depuis cinq ans, pour atteindre environ 80 p. 100. Donc, pour en revenir à l'évaluation dont M. Bleyer a parlé, je pense qu'elle a déjà été faite en bonne partie par les Canadiens, qui constatent les avantages de ces accords commerciaux.

Pour ce qui est de la pauvreté et des perspectives d'avenir, je pense que l'expérience de l'Accord de libre-échange Canada-Chili et, avant lui, le passage à l'économie de marché... Je suis allé là-bas il y a trois ans environ, et on m'a dit que le taux de pauvreté au Chili était d'environ 20 p. 100. C'était encore relativement élevé, mais six ans auparavant, il était de 30 p. 100. Il y a donc différentes méthodes pour sortir les gens de leur pauvreté et, d'après les gens de là-bas, cet accord leur a donné une chance. Je pense que c'est ce qui compte. Les pays en voie de développement recherchent la possibilité d'exporter leurs produits et d'avoir accès à certains des grands marchés du monde.

Je voudrais poser quelques questions à nos témoins au sujet de la participation de la société civile aux négociations sur la ZLEA. Je pense que c'est un aspect particulièrement difficile pour les pays en voie de développement. Comment peut-on assurer la participation de la société civile dans certains de ces pays, au lieu de laisser des représentants démocratiquement élus affirmer qu'ils parlent au nom de la population?

Monsieur Allmand, puisque vous représentez le Centre international pour les droits de la personne et le développement démocratique... Il me semble que c'est là qu'est la contradiction. Lors d'un sommet récent à Miami, les leaders de certains pays en voie de développement d'Amérique du Sud et d'Amérique centrale ont souligné qu'ils représentaient la population et qu'ils avaient été élus démocratiquement pour discuter de ces questions. Pourtant, vous nous dites que cela ne suffit pas, et que ces représentants élus vont devoir nous donner l'assurance qu'ils ont l'appui de la société civile. Pouvez-nous expliquer pourquoi?

M. Warren Allmand: Oui. Je dois souligner que nous travaillons en collaboration très étroite avec divers groupes de la société civile dans tous les pays où nous sommes implantés—au Pérou, au Guatemala, au Mexique, au Pakistan—dans le monde entier. Les groupes avec lesquels nous travaillons dans ce domaine, en Amérique latine, sont nettement en faveur d'une consultation entre la société civile et les gouvernements, ainsi qu'au sein de la ZLEA qui sera créée; ce serait en quelque sorte un groupe de représentation.

Au Canada, vous êtes tous des représentants du peuple, bien sûr, mais vous ne songeriez jamais à adopter un projet de loi sans avoir consulté le grand public dans le cadre d'audiences de comités, de commissions d'enquête... Ou du moins, j'espère que vous ne le feriez pas; vous ne le faisiez pas quand j'étais ici, et j'ai l'impression que ça n'a pas changé. Hier encore, ma collègue Carole Samdup a participé à une rencontre de consultation avec des fonctionnaires au sujet de questions commerciales. Autrement dit, le gouvernement canadien juge que, même si nous avons des assemblées législatives élues aux niveaux fédéral et provincial, nos représentants du peuple ne savent pas tout sur tout. Par conséquent, dans certains dossiers bien précis, ils doivent consulter les milieux d'affaires, les ONG, les groupes de recherche, et ainsi de suite. Donc, ce n'est pas incompatible. En fait, vous l'avez probablement fait vous-mêmes.

Je me rends très souvent en Europe, où il existe des mécanismes de consultation très bien établis pour différents types de projets de loi. Ce que nous réclamons, c'est qu'il y ait des mécanismes semblables pour la ZLEA, même si les gens de nombreux pays d'Amérique latine n'en ont pas l'habitude. Je vous dirai bien franchement que les gens de la base, par l'intermédiaire de leurs associations—que ce soient des associations professionnelles, des églises, des syndicats ou des ONG—, estiment que, si quelque chose doit avoir une influence sur leur vie, ils doivent être consultés. Il ne leur suffit pas d'élire tout simplement des représentants à un congrès ou à un parlement.

• 1645

M. Charlie Penson: Monsieur Allmand, la démocratie est plutôt fragile dans certains de ces pays d'Amérique du Sud et d'Amérique centrale. Elle n'a pas toujours existé. Est-ce que nous ne devrions pas chercher à encourager ces pays à pousser plus loin leurs efforts de démocratisation, plutôt que de leur mettre des bâtons dans les roues? Ils nous disent qu'ils trouvent cette exigence très difficile à respecter et qu'ils ne participeront peut-être pas aux négociations si nous leur imposons ce critère. Il est certain que les choses se passent de cette façon-là au Canada, même si ça n'a pas toujours été le cas. Cette idée de consulter la société civile est assez récente chez nous, et certains diront même qu'elle est en bonne partie artificielle.

Ce que je voudrais savoir, c'est si c'est à votre avis une condition essentielle à la signature d'un accord commercial, à savoir que ces pays garantissent la participation de la société civile. J'aimerais avoir votre avis là-dessus, et aussi celui de M. Myers.

M. Warren Allmand: Pour vous répondre rapidement, je vous dirais qu'on contribue au développement de la démocratie plus qu'on ne lui nuit en obligeant les pays à agir avec l'appui de leur population. Nous avons plus de chances de conclure un accord commercial acceptable pour les populations du Brésil, de l'Argentine, du Chili et du Pérou si leur demandons leur avis que si nous élaborons cet accord sans consulter personne.

M. Charlie Penson: Monsieur Allmand, voulez-vous dire que ces gouvernements ne consultent pas leur population en ce moment? Les représentants démocratiquement élus...

M. Warren Allmand: Oui, c'est ce que je veux dire. Nous avons des contacts étroits avec les gens de là-bas. J'étais au sommet du peuple à Santiago, juste avant le sommet des gouvernements. Il y avait là des gens de presque tous les pays de la région comprise dans une éventuelle ZLEA, et ils nous ont dit qu'à bien des endroits, il n'y avait pas de consultation de ce genre. Dans beaucoup de ces pays, il n'y a aucune consultation comme celle à laquelle vous vous livrez aujourd'hui. En fait, nous avons amené des membres de la communauté indigène du Pérou à une rencontre avec les ministres. C'était la première fois que ça se produisait. Nous avons aidé à mettre en place ce type de consultation dans le cadre du processus démocratique.

Soit dit en passant, ce n'est pas nous qui avons eu cette idée, monsieur Penson. Nous défendons simplement les idées avancées par les gens avec qui nous travaillons en Amérique latine. Nous appuyons leurs propositions. Nous hésiterions à suggérer quelque chose pour un pays d'Amérique latine, quel qu'il soit, si la population n'en voulait pas elle-même. Ce sont les gens de ces pays-là qui cherchent à développer leur démocratie de cette façon.

La présidente: Monsieur Myers, M. Penson voulait avoir vos commentaires.

M. Jayson Myers: De façon très générale, je pense qu'il faut bien sûr mettre en place un processus de consultation aussi efficace que possible, et recueillir des appuis aussi solides que possible dans la population pour tout ce que les gouvernements cherchent à réaliser. C'est peut-être encore plus important aujourd'hui qu'il y a cinq ans, quand nous avons négocié l'ALENA.

Je me pose cependant un certain nombre de questions au sujet de la confiance que nous accordons à la société civile. Nous devons être certains que les commentaires que nous font ces organisations reflètent véritablement la situation économique de ces sociétés, et qu'ils sont conformes à la réalité. Nous ne nous lançons pas dans ces négociations sur le libre-échange à partir de zéro. Il y a beaucoup de pays, en particulier les grands pays d'Amérique latine, qui ont déjà conclu des accords de libre-échange, et qui fonctionnent dans le cadre du MERCOSUR. Le gouvernement chilien a déjà signé un certain nombre d'accords de ce genre, et le gouvernement mexicain est en train d'en négocier un avec l'Union européenne. Le processus est enclenché de toute façon.

Du point de vue des entreprises, nous aimerions évidemment voir en place des accords de libre-échange efficaces. C'est ce que les gouvernements négocient actuellement, et ils ont besoin pour ce faire de l'appui des différents groupes de la population, là où c'est dans leur intérêt de le faire. Mais je ne pense pas que ce soit dans notre intérêt d'imposer à ces gouvernements une norme en matière environnementale ou sociale dont ils ne voudront pas discuter et qui les empêchera d'entamer les négociations.

La présidente: Vous pouvez poser une question très courte.

M. Charlie Penson: J'ai une petite question pour M. Medhora du CRDI. Il me semble que l'approche adoptée par votre organisation est très utile pour le processus. J'aimerais connaître votre point de vue sur les négociations qui se déroulent actuellement, compte tenu de l'échelle différente des économies, et savoir si les petits pays dont l'économie est plus modeste seront en mesure de respecter le même échéancier, ou au contraire si vous prévoyez d'accorder des conditions spéciales en fonction des différentes situations, pour permettre à ce genre d'économies de s'adapter plus tard aux critères de la ZLEA.

• 1650

M. Rohinton Medhora: Vous avez frappé en plein dans le mille.

Il y a deux points que j'aimerais soulever. Le premier est que la ZLEA pourrait bien être beaucoup plus inéquitable que les négociations du millénaire le seront jamais, tout simplement en raison de la grande variété sur le plan de la puissance et de la taille des économies. Le GATT et l'OMC ont procédé exactement de la manière que vous suggérez en proposant des critères préférentiels permettant aux économies plus pauvres de s'adapter. Je suppose que ce type d'arrangement devrait être négocié dans le cas de la ZLEA, mais je n'en ai aucune certitude.

Mon second point est que les économies d'échelle ou les regroupements en matière de recherche confèrent, si vous voulez, une certaine sécurité. Certaines petites économies des Antilles ou d'Amérique centrale n'ont pas d'autres choix que de conjuguer leurs efforts de négociation. C'est là qu'intervient le renforcement des capacités et cela ne concerne pas uniquement les Canadiens ou les Américains. Il y a le Mexique, le Brésil et l'Argentine qui sont des puissances régionales à part entière.

Par conséquent, vous avez tout à fait raison de vouloir nuancer plutôt que d'imposer à tous une même date de négociation.

La présidente: Merci beaucoup.

[Français]

Monsieur Sauvageau, avez-vous des questions?

M. Benoît Sauvageau: Merci à tous nos témoins pour leurs judicieux commentaires qui vont sûrement nous permettre de rédiger un rapport plus complet.

Ma première question s'adresse au groupe FOCAL, à M. Roy et aux autres intervenants. Ce que vous dites ressemble effectivement à ce que M. Daudelin nous a dit hier, mais je voudrais avoir quelques précisions.

Vous avez parlé de trois choix que le Canada peut faire: le multilatéralisme, l'insertion régionale et la priorité accordée à l'accès rapide aux marchés. Ai-je bien compris?

M. Martin Roy: Oui, tout à fait.

M. Benoît Sauvageau: Lequel de ces trois choix préconisez-vous? On dit souvent: Qui trop embrasse, mal étreint. Si on n'oriente pas nos négociations vers la Zone de libre-échange des Amériques, pensez-vous qu'on devrait les orienter vers un groupe comme le MERCOSUR, le Pacte andin ou le CARICOM? M. Daudelin nous disait hier de diminuer notre enthousiasme. Devrions-nous tout simplement nous retirer? C'est mon premier commentaire.

Ma deuxième question s'adresse à M. Myers et à Mme Fehr. Elle m'est aussi inspirée par M. Daudelin. Dans votre document, on peut voir qu'une des raisons qui nous encouragent à négocier est la croissance des exportations et des investissements des entreprises canadiennes dans les pays d'Amérique latine et des Caraïbes. Avez-vous des chiffres? Est-ce qu'il y a effectivement croissance? Vous savez, il y a parfois une croissance de 100 p. 100, mais cela ne veut rien dire. Si on faisait pour un million de dollars d'exportations et qu'on en fait maintenant pour deux millions de dollars, on a une augmentation de 100 p. 100, mais c'est quand même 100 p. 100 de rien. Donc, avez-vous des chiffres?

Vous dites un peu plus loin que l'Accord de libre-échange avec le Chili a ouvert des portes et que 46 p. 100 de vos membres considèrent que c'est bien. Est-ce que les exportations vers le Chili ont crû et, si oui, de combien? Ce sont mes deux questions. J'en aurai d'autres s'il me reste du temps.

M. Martin Roy: Je vais laisser mon collègue répondre. On est sur la même longueur d'onde.

M. Joël Monfils: En ce qui concerne la deuxième partie de votre question, nous ne suggérons certainement pas au Canada de se retirer des négociations sur la ZLEA, simplement à cause des coûts qu'entraînerait cette défection. D'abord, ce serait dommageable par rapport aux efforts qu'on a déjà déployés dans la région, à l'OEA ou dans d'autres forums, pour s'intégrer à la région.

En ce qui concerne l'option qu'on préfère, nous avons sciemment présenté trois options différentes. Notre position est que le Canada doit faire un choix, mais nous n'avons pas voulu faire ce choix à sa place.

M. Benoît Sauvageau: Tout en diminuant son enthousiasme.

M. Joël Monfils: Diminuer son enthousiasme est un des choix qui s'offrent à lui. Le Canada peut décider de poursuivre un meilleur accès aux marchés. Dans ce cas, ce pourrait être ce dont vous parliez tout à l'heure, c'est-à-dire essayer de trouver des moyens de s'entendre avec des groupes régionaux et de conclure des accords bilatéraux qui seraient plus rapides que la ZLEA. D'un autre côté, il pourrait continuer de chercher à atteindre un niveau de normes ou un niveau discipline élevé. Nous disons qu'il doit faire un choix et qu'il doit continuer à tenir compte des conséquences. S'il veut un niveau de discipline élevé, cela va ralentir le processus d'accès aux marchés.

• 1655

M. Benoît Sauvageau: Merci beaucoup.

[Traduction]

M. Jayson Myers: Je n'ai pas sous la main aujourd'hui les statistiques concernant l'augmentation des activités commerciales des entreprises canadiennes en Amérique latine, mais je serais très heureux de vous les faire parvenir.

La présidente: S'il vous plaît. Je crois que ce serait très important, car, d'après les témoignages que nous avons entendus hier, ces activités sont limitées. Par conséquent, ce serait très important que vous nous fassiez parvenir ces statistiques.

M. Jayson Myers: C'est juste. Les activités sont relativement réduites si l'on en juge par les niveaux actuels des exportations et des investissements, mais elles augmentent rapidement. On le constate immédiatement lorsqu'on consulte... Je recommande aux membres du comité d'être prudents dans l'utilisation des données fournies par Statistique Canada au sujet de nos exportations, car ces données font état du port d'embarquement, du premier pays que traversent les exportations, mais pas nécessairement de la destination finale. Par conséquent, toutes nos exportations livrées par camion au Mexique à travers les États-Unis paraissent être des exportations pour le marché américain plutôt que pour le marché mexicain. Mais ces chiffres eux-mêmes révèlent une augmentation des exportations et des investissements en Amérique latine.

Par contre, l'enthousiasme de certaines entreprises canadiennes a peut-être été tempéré—et je pense en particulier au cas du Mexique—par certains problèmes qu'elles ont rencontrés pour le passage de leurs produits aux douanes mexicaines, puisqu'elles ont dû se plier aux règlements concernant les investissements. Nous avons un accord de libre-échange avec le Mexique, mais dans la pratique, l'application des règles laisse à désirer et je crois que c'est quelque chose de très important à prendre en considération lorsqu'on parle de renforcement des capacités.

Aujourd'hui, le Canada est le deuxième plus grand investisseur au Chili. Les investissements au Chili ont occasionné une croissance des exportations sur ce marché, mais également une augmentation des investissements, en particulier dans le secteur minier. On peut faire les mêmes constatations en Argentine et au Brésil.

Certaines statistiques globales de la SEE reflètent peut-être un peu plus l'enthousiasme. Quant aux sondages que nous avons effectués auprès de nos membres, ils révèlent que ce n'est pas la majorité d'entre eux qui considèrent l'Amérique latine comme leur marché privilégié ou comme le marché offrant le plus de possibilités; ils continuent de considérer que c'est le marché américain. Mais 15 à 20 p. 100 affirment vouloir étendre leurs activités au Mexique ou en Amérique latine. Nous nous ferons un plaisir de vous fournir également ces statistiques.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Malheureusement, on doit prioriser nos questions. J'en avais pour tous les groupes. Si on a un deuxième tour, j'en poserai d'autres.

Vous dites dans votre rapport, à la page 5, qu'on doit veiller à ce que l'ALENA serve de modèle à à la Zone de libre-échange des Amériques. Il me semble qu'on nous a dit tout à l'heure que ce n'était pas un bon modèle à suivre. Pensez-vous qu'on doit se servir de l'ALENA comme modèle pour négocier la Zone de libre-échange des Amériques ou d'un autre modèle parmi d'autres?

[Traduction]

M. Jayson Myers: Je pense que nous devons être très prudents si nous utilisons l'ALENA comme modèle, en particulier dans les négociations avec les petites économies. Je sais que lorsque la question de la règle d'origine a été soulevée au moment de la négociation de l'accord de libre-échange avec le Chili, le résultat n'était pas le même selon que l'on utilisait la règle de l'ALENA ou la règle d'origine bilatérale, la différence étant énorme aussi bien pour le Canada que pour le Chili lorsque l'on utilisait la règle d'origine bilatérale.

Je ne prétends pas que l'ALENA doit être le modèle absolu à suivre pour la négociation de la ZLEA, mais tout simplement que la ZLEA doit permettre de conclure un accord comparable à celui que nous avons en vertu de l'ALENA et que nous ne voulons pas négocier dans le cadre de la ZLEA des conditions qui ne seraient pas aussi favorables que celles que nous offrent actuellement nos partenaires de l'ALENA.

• 1700

Nous pouvons peut-être, comme nous l'avons fait au Chili, négocier la fin du régime antidumping et un accord visant à mettre fin aux différends commerciaux et aux mesures antidumping par la négociation. Ce serait à mon avis un résultat extrêmement précieux de la ZLEA. Ce serait différent de l'ALENA. C'est justement un aspect de l'ALENA que nous aimerions modifier, surtout en ce qui a trait à nos relations avec les États-Unis.

La présidente: Merci.

Monsieur Assadourian.

M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.): Merci beaucoup.

Il y a quelques semaines, nous avons entendu de la part du Conseil des Canadiens un témoignage semblable à celui que vient de livrer un peu plus tôt Peter Bleyer. À l'époque, je n'avais pas eu l'occasion de poser la question au témoin. Bien entendu, ma question se rapporte au libre-échange. Dans le système parlementaire, les députés de l'opposition ne posent jamais les bonnes questions. Ils essaient toujours de nous faire paraître ridicules. Je vais donc faire comme eux et renverser les rôles.

La comparaison entre la situation actuelle et celle qui existait en 1988 aux États-Unis et au Canada nous indique qu'avec le libre-échange, le chômage s'élevait à 11,5 p. 100 au Canada alors qu'il est actuellement de 7,8 p. 100. Les taux d'intérêt étaient de 14 ou 15 p. 100 alors qu'ils se situent maintenant à 6 ou 7 p. 100. Le déficit atteignait 42 milliards de dollars alors que nous disposons actuellement d'un surplus de 10 milliards de dollars. Les exportations sont à la hausse. L'inflation est à la baisse, de 10 p. 100 à 1 p. 100. Et vous prétendez que le libre-échange ne fonctionne pas. Dites-moi donc pourquoi il ne fonctionne pas. Si le libre-échange est si mauvais, donnez-nous les chiffres concernant les investissements à l'intérieur et à l'extérieur du Canada au cours des trois dernières années, si vous les connaissez.

M. Benoît Sauvageau: Et vous saurez pourquoi le gouvernement était contre le libre-échange auparavant.

Une voix: Ça doit bien fonctionner puisque les libéraux sont maintenant pour le libre-échange.

La présidente: Monsieur Bleyer, prenez le micro s'il vous plaît.

M. Peter Bleyer: Je suis ravi d'avoir tant d'appuis.

Je suppose que je pourrais invoquer la clause Maude Barlow. Je ne peux prétendre en effet donner des réponses aussi concises et appropriées que l'aurait fait notre présidente d'alors quand elle s'est adressée à vous. Je pourrais également invoquer la clause Jayson Myers et dire comme lui que je n'ai pas les données sous la main, mais que je me ferai un plaisir de vous les faire parvenir—bien que je ne sois pas certain de pouvoir trouver les données que vous me demandez, puisque vous semblez insinuer...

M. Sarkis Assadourian: Est-ce que vous contestez les chiffres que je vous ai donnés?

M. Peter Bleyer: Pas les chiffres concernant le chômage et les taux d'intérêt, bien qu'on pourrait toujours chipoter. Mais je pense que l'on ne fait pas que chipoter lorsqu'il s'agit des véritables taux d'intérêt, puisque ce sont des questions fondamentales qui se rapportent à ce qu'est un intérêt et un taux d'intérêt réel. De toute façon, le point que vous avez soulevé est important.

Sur le plan de l'emploi, une des questions que nous pouvons nous poser concerne le type d'économie que nous mettons en place en vertu de ce modèle de libéralisation des investissements commerciaux. Au Sud, il y a le miracle américain dont la comparaison n'est pas en notre faveur sur le plan de l'emploi. Je ne plaide pas en faveur du miracle américain. Je veux simplement indiquer que les normes sociales, les niveaux d'emploi, les types d'emploi, etc., que produit cette nouvelle économie libérale sont parfois désignés comme des conditions d'emploi «à la McDo».

M. Sarkis Assadourian: Quel est le rapport avec le libre-échange?

M. Peter Bleyer: Ce n'est pas simplement le libre-échange, mais l'ALENA est un élément central de ce modèle de libéralisation des investissements commerciaux qui fait lui-même partie d'un modèle plus vaste de libéralisation. Je ne prétends pas que la seule raison pour laquelle le gouvernement canadien, que ce soit votre gouvernement ou celui de vos prédécesseurs, les progressistes conservateurs—je suppose qu'ils n'ont pas de députés à envoyer aux audiences du comité...

M. Sarkis Assadourian: Ils ne sont pas intéressés.

M. Peter Bleyer: Peut-être.

Ce que nous disons, c'est que malheureusement l'ALENA est la cause des dommages subis par l'infrastructure socio-économique de notre pays. Par exemple, prenons le cas de l'assurance-chômage. Le fait que le taux de chômage ne soit pas beaucoup plus élevé qu'il l'était lorsque nous avons signé l'accord de libre-échange ne compense pas le fait que parmi les chômeurs, beaucoup moins peuvent espérer une certaine forme d'aide de l'État, un programme d'assurance.

Nous n'imputons pas cela à l'ALENA, mais nous disons que c'est un modèle que l'ALENA et d'autres accords ultérieurs qui seront susceptibles d'être adoptés, tels que la ZLEA...

M. Sarkis Assadourian: Que proposez-vous pour remplacer l'ALENA?

M. Peter Bleyer: Je suis content que vous ayez posé cette question, parce que j'avais justement en main un document que j'espérais pouvoir... Je suis certain que d'autres témoins vous ont présenté ou vous présenteront ce document.

• 1705

Lorsque j'ai fait allusion à la remarque de Mel Watkins refusant de sauter en bas de la falaise, je ne voulais pas dire qu'il suffit de dire non. De fait, les Canadiens de la société civile et les autres qui ont participé au débat entourant le libre-échange depuis 1988 sont parvenus à la conclusion qu'il ne suffit pas de dire qu'il faut éviter d'adopter des mauvaises mesures. Ils se sont associés à d'autres personnes dans le monde entier pour élaborer toute une gamme de solutions possibles, par exemple dans ce livre intitulé Des alternatives pour les Amériques: Vers un accord entre les peuples du continent, qui est publié conjointement par des organisations du Québec, du Canada, du Mexique, du Chili et des États-Unis.

Par conséquent, il existe d'autres solutions. Nous avons fait un choix. Nos gouvernements ont fait un choix. Notre secteur privé a fait un choix. Et notre secteur privé, franchement, a eu bien des occasions d'influencer le choix de nos gouvernements.

La présidente: Monsieur Bleyer, nous avons ces documents. M. Bruce Campbell nous les a donnés hier. Nous en avons des exemplaires pour tous les membres du comité.

M. Peter Bleyer: Très bien.

La présidente: Monsieur Myers, vous avez également des commentaires à faire?

M. Warren Allmand: Est-ce que plusieurs d'entre nous pouvons commenter cette question de mon bon ami Sarkis?

La présidente: Absolument. Il vous suffit de lever la main.

M. Warren Allmand: Je ne vais pas y manquer.

M. Sarkis Assadourian: Je connais votre point de vue.

La présidente: Si vous avez des commentaires à formuler, faites-le moi savoir et je vous donnerai la parole.

Monsieur Myers et ensuite monsieur Allmand.

M. Jayson Myers: J'aimerais souligner qu'à la fin des années 80, au moment de la signature de l'accord de libre-échange avec les États-Unis, puis de l'ALENA, beaucoup de critiques de l'accord ont dit que le secteur manufacturier canadien qui était à la pointe de la concurrence ici, connaîtrait une énorme décroissance et que beaucoup de secteurs manufacturiers seraient totalement anéantis. En réalité, la production manufacturière est aujourd'hui en hausse de 150 milliards de dollars par rapport à 1989. Ce secteur emploie 100 000 personnes de plus qu'en 1989. Le taux de chômage du secteur manufacturier est de 5 p. 100, par opposition à 7,5 ou 8 p. 100 dans l'économie en général.

Les secteurs dont on craignait qu'ils ne soient anéantis, comme ceux du meuble et du vin, connaissent actuellement la plus forte croissance de l'industrie canadienne, en termes de pourcentage. Je ne dis pas que cela s'est fait sans mal—il a fallu faire beaucoup de choix difficiles et procéder à de nombreuses restructurations—c'est tout à fait vrai—mais ces restructurations ont permis de se tourner vers les produits de plus grande valeur qui sont à l'origine de l'élan que connaît actuellement le secteur manufacturier.

Le véritable problème de notre économie, ce n'est pas le secteur commercial; ce n'est pas le secteur lié à l'économie globale de l'investissement et du commerce. Sa véritable faiblesse, ce sont les secteurs qui visent l'économie intérieure, les secteurs qui n'ont pas d'économie de croissance et qui ne connaissent pas des améliorations de la productivité. Ce sont les petits secteurs, en grande partie les secteurs de service et le secteur public qui sont réduits en raison des problèmes financiers qu'ont rencontrés les gouvernements, tant fédéral que provinciaux, bien avant le libre-échange.

Je pense que les statistiques économiques sont tout à fait favorables, mais elles sont aussi un reflet de la restructuration et les choses ne sont plus comme avant dans l'industrie canadienne.

La présidente: Monsieur Allmand, une réponse rapide.

M. Warren Allmand: Comme l'a dit M. Assadourian, il est vrai que le chômage a diminué cette année par rapport au début des années 90 et à la fin des années 80. Mais la pauvreté a augmenté à mesure que diminuait le chômage, tout simplement parce que la plupart des nouveaux emplois résultant de l'ALENA sont des emplois de services dont beaucoup sont rémunérés au salaire minimum, sans avantages sociaux et sans protection syndicale. Le résultat, c'est que la productivité est plus grande au Canada, probablement grâce au commerce, mais la répartition de la richesse est de plus en plus inéquitable.

À titre de comparaison, si le taux de chômage a baissé par rapport à 1988, au moment de la signature de l'accord de libre-échange, il est toujours supérieur à ce qu'il était dans les années 70, 60 et 50, avant le libre-échange et lorsque le pouvoir d'achat du Canadien moyen était beaucoup plus élevé en chiffres relatifs.

J'aimerais rappeler au comité que le Sud des États-Unis ne connaissait absolument pas le chômage lorsqu'il pratiquait l'esclavage.

La présidente: Aviez-vous une autre petite question, monsieur Assadourian?

M. Sarkis Assadourian: Dans leurs remarques, M. Allmand et M. Bleyer ont omis de prendre en considération le fait que l'économie a changé depuis les années 50. On ne veut pas revenir au bon vieux temps des années 50. Désormais, les choses ont changé et nous devons nous adapter à la nouvelle situation.

Que proposez-vous comme solution de rechange au libre-échange? Vous n'avez pas répondu à ma question.

J'ai relu ce livre, mais je pense que tous les pays vont constituer des blocs commerciaux—l'Europe, l'Asie du Sud, l'Amérique du Sud. Nous devons nous aussi nous unir pour constituer un bloc. Si nous ne le faisons pas, nous serons laissés pour compte.

M. Peter Bleyer: Est-ce que vous me permettez de répondre brièvement?

La présidente: Oui.

• 1710

M. Peter Bleyer: Nous ne disons pas que nous n'avons pas besoin de règles et que nous devrions nous replier sur nous-mêmes. Le Conseil des Canadiens n'a jamais adopté une telle position, même en 1988.

Nous estimons que nos objectifs doivent préciser clairement ce que nous cherchons à atteindre par le commerce et maintenant par les investissements. Est-ce que nous souhaitons atteindre la croissance la plus rapide possible dans certains secteurs des entreprises et les taux de profit les plus élevés dans ces mêmes secteurs? Ou visons-nous plutôt, comme je l'ai dit auparavant, un développement juste et durable qui aurait des incidences sur les droits et les avantages de tous les citoyens au sein de la société? Il est possible d'obtenir un tel résultat en appliquant des règles et des accords à différents niveaux, qu'ils soient continentaux ou autres. Nous assistons en fait à l'éclosion d'une autre façon de voir la question. Il ne s'agit pas de s'asseoir entre Canadiens pour discuter des différentes possibilités; c'est la population de tout l'hémisphère qui en discute. Il me semble que ce document est précieux et que le processus mérite que l'on s'y attarde.

La présidente: Nous y reviendrons si nous avons le temps. Merci monsieur Assadourian.

Avant de passer à M. Calder, monsieur Allmand, avez-vous une référence à nous donner pour certaines des statistiques que vous avez citées? Le comité aimerait vraiment recevoir des exemplaires de ces documents.

M. Warren Allmand: Vous voulez parler des taux de chômage dans les années 70, 60 et 50?

La présidente: Oui.

M. Charlie Penson: Donnez-nous également des statistiques sur la dette canadienne.

La présidente: Non, simplement les autres statistiques.

M. Warren Allmand: C'est certain que la dette canadienne était beaucoup moins importante dans les années 50 et 60.

La présidente: Non, je veux simplement...

M. Bob Speller: [Note de la rédaction: Inaudible]

M. Warren Allmand: Oui, ce genre de document serait très utile au comité.

M. Bob Speller: Très bien.

La présidente: Ce serait très utile.

Monsieur Calder.

M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.): Merci beaucoup, madame la présidente.

Warren, dans votre exposé, j'ai noté trois points dont deux sont liés: les droits de la personne et le fait qu'il soit possible d'aider les petits pays grâce aux négociations de l'OMC et de la ZLEA.

Sur le plan des droits de la personne, je dois préciser qu'il y a environ trois semaines, je me trouvais à Taiwan, pays qui est actuellement très intéressé à devenir membre de l'OMC. La Chine aussi est intéressée. Actuellement à Taiwan on pense que l'adhésion de la République populaire de Chine à l'OMC entraînera immédiatement des problèmes au sein du gouvernement communiste, puisque ce serait contradictoire pour un tel gouvernement de vouloir appliquer les principes de l'économie de marché.

J'aimerais avoir votre point de vue à ce sujet—étant donné que de plus en plus de pays veulent devenir membres de la communauté mondiale et de l'OMC en particulier, quelle que soit l'incidence que cela pourrait avoir sur les problèmes liés aux droits de la personne qui existent dans ces pays, à mesure que les populations prendront conscience de la situation dans le monde occidental. À Taiwan actuellement, le gouvernement est sincèrement persuadé qu'il peut absorber la République populaire de Chine.

M. Warren Allmand: J'aimerais préciser tout de suite que nous ne sommes pas contre les ententes commerciales. Nous tenons simplement à ce que les ententes commerciales respectent les autres droits humains, les autres traités que nous avons signés. Autrement dit, les traités commerciaux doivent prendre en compte les normes relatives aux droits humains contenus dans les autres traités, pas uniquement ceux que nous avons signés, mais ceux des nombreux pays de la zone de libre-échange des Amériques. Je sais que la Chine n'a pas non plus ratifié la convention internationale.

Nous demandons aux gens de respecter les obligations qu'ils ont contractées, pas nécessairement des normes exigeantes, mais des normes minimales. Les pays qui ne le font pas risquent, à l'instar de l'Indonésie et d'autres pays, de se trouver aux prises avec des situations terribles d'agitation sociale, de bouleversement et même de révolution.

D'après moi, Taiwan a fait des progrès considérables sur le plan économique et même sur le plan démocratique. Je ne travaille pas à Taiwan, mais je crois pouvoir dire que cela risquerait de causer un problème grave en Chine. La Chine n'a pas encore respecté plusieurs de ses obligations internationales. Je ne parle pas des normes canadiennes, mais des normes internationales.

M. Murray Calder: Mais toutes ces normes sont interdépendantes.

M. Warren Allmand: Bien sûr, et ce que nous souhaitons, Murray, c'est que ces clauses soient intégrées dans les accords commerciaux, à l'instar des clauses qui sont incluses dans l'accord commercial européen qui contient des clauses démocratiques.

• 1715

Aucune de nos nations ne sont de parfaites démocraties, mais nous nous donnons au moins un idéal démocratique que nous nous efforçons d'atteindre dans des délais raisonnables. En revanche, les pays qui agissent comme la Chine l'a fait il y a quelques mois en emprisonnant des gens qui se sont contentés d'exprimer leurs opinions politiques, comme cela s'est passé également à Cuba, font du tort au commerce et nuisent à l'application de normes démocratiques minimales.

M. Murray Calder: Ce qui, bien entendu, les force à envisager de changer.

M. Warren Allmand: Ce n'est pas seulement cela, car malgré tout le respect que je dois aux entreprises, certaines d'entre elles ont tendance à rechercher le maximum de profits. Aussi, elles ont tendance à s'installer dans des pays où les ouvriers sont exploités, travaillant 12 heures par jour pour un salaire de misère. Des boycotts ont été organisés contre Nike, Levi Strauss, Shell au Nigeria, et contre d'autres sociétés se livrant à ce genre d'exploitation. Depuis, ces entreprises ont toutes pris des mesures visant à remédier à la situation.

[Français]

La présidente: Monsieur Roy, avez-vous une réponse?

M. Martin Roy: J'aimerais faire un commentaire en relation avec la question que M. Calder avait posée à M. Allmand.

Je pense que personne ne va s'opposer à l'inclusion de clauses qui prendraient en compte les droits de la personne dans les accords commerciaux, mais on évacue souvent du débat la façon dont on se sert de ces normes pour faire du protectionnisme déguisé, par exemple. On l'a vu au niveau des normes sanitaires et phytosanitaires et au niveau environnemental aux États-Unis. On impose des normes techniques tellement élevées qu'aucun pays en voie de développement n'est capable de les rencontrer. On leur dit que, comme ils n'ont pas ces standards, on va imposer des mesures compensatoires ou des choses comme ça. Il serait intéressant de discuter dans le débat de la façon dont les droits de la personne peuvent être intégrés dans les accords commerciaux. Est-ce une clause? Est-ce que c'est parallèle? C'est un débat qui est en cours à l'heure actuelle.

[Traduction]

M. Murray Calder: J'ai une autre question pour vous, Warren. C'est à mon avis un secteur où le Canada peut intervenir et vraiment changer les choses. Nous avons vu, au cours des négociations de l'Uruguay Round, que certains pays dépêchaient un seul représentant qui devait être à la fois un expert de l'agriculture, de l'industrie et de la culture, tout simplement parce que son pays n'avait pas les moyens d'envoyer d'autres délégués. Je pense que la situation est probablement la même actuellement, puisqu'il y a 134 pays signataires et que 97 d'entre eux sont des nations importantes. À votre avis, que pourrait faire le Canada pour aider certains de ces pays à présenter leurs points de vue aux négociations, ou quelles sont les possibilités dans ce domaine?

M. Warren Allmand: Est-ce que la question s'adresse à moi?

M. Murray Calder: Oui, c'était pour vous.

M. Warren Allmand: Excusez-moi, je ne savais pas. Je réfléchissais à la réponse que la FOCAL a donnée à la dernière question. Excusez-moi.

M. Murray Calder: Je vais vous résumer rapidement ma question. Beaucoup de petits pays n'ont pas les moyens d'envoyer une grosse équipe de négociateurs à la prochaine série de négociations. Serait-il possible ou non pour le Canada d'aider ces pays à présenter leur point de vue aux négociations?

M. Warren Allmand: Je ne suis pas un porte-parole de l'ACDI, mais je sais que cet organisme aide les pays dans leur développement économique. Cette assistance pourrait faire partie de l'aide au développement économique. Je dois reconnaître que, comme vous l'avez soulevé, certains petits pays des Antilles et d'Amérique centrale n'ont pas participé aux réunions à Santiago l'an dernier et qu'ils n'étaient pas représentés non plus par leur société civile. En revanche, des représentants des sociétés civiles et des gouvernements du Brésil et de l'Argentine étaient présents. Beaucoup de petits pays étaient absents.

M. Rohinton Medhora: Permettez-moi de souligner que le but visé par le programme commercial du CRDI est justement d'habiliter les négociateurs et de donner plus de poids à la base d'informations sur laquelle ils s'appuient. Comme je l'ai dit dans mon exposé, nous tentons, en Amérique latine, de mettre l'accent sur l'OMC et sur le MERCOSUR. En Afrique, nous tentons de créer un esprit de corps parmi les économistes qui conseillent ensuite leur gouvernement. C'est, je crois, l'objectif principal de notre programme.

M. Murray Calder: J'ai posé cette question parce que je pense que si nous aidons ces pays à présenter leur point de vue, nous pourrions également les aider à négocier des conditions favorables, compte tenu de ce qui nous semble être le but recherché des négociations commerciales.

• 1720

M. Rohinton Medhora: La connaissance en général est une forme de pouvoir et nous ne cherchons pas à influencer la position des négociations. Nous sommes le CRDI. Notre mission consiste à favoriser le développement des compétences techniques et analytiques, même si elles risquent de se retourner contre nous plus tard.

M. Murray Calder: En effet.

M. Rohinton Medhora: Mais dans l'ensemble, les petits pays veulent des informations complètes et un système équitable pour tous les pays, y compris le Canada.

M. Murray Calder: Monsieur Medhora, j'ai une petite question pour vous. Vous avez parlé dans votre exposé d'harmonisation des subventions. Par exemple, l'ALENA permet actuellement aux États-Unis d'imposer des tarifs pour la production de sucre et de betteraves à sucre, alors que le Canada n'impose aucun droit de douane sur le sucre. Le même principe pourrait sans doute s'appliquer aux arachides. Comment envisagez-vous une harmonisation avec les États-Unis alors que nous n'imposons aucun droit de douane sur ces produits? Comment imaginez-vous que les États-Unis puissent supprimer les tarifs douaniers sur les produits d'une de leurs principales industries?

M. Rohinton Medhora: C'est là qu'intervient la résolution des différends. Dans la mesure où l'on ne dispose pas d'une structure juridique qui permet à deux parties d'avoir accès au même processus et de faire appliquer les décisions du tribunal chargé de la résolution des différends, les petits pays n'ont aucun moyen de convaincre les grands pays de modifier leurs politiques.

La présidente: Nous aurons le temps de prendre une petite pause, mais auparavant, j'aimerais poser une ou deux questions avant de passer au deuxième tour de questions.

Monsieur Bleyer, j'aimerais revenir à ce que vous avez dit un peu plus tôt. Si mes notes sont exactes, voici ce que vous avez dit: «le commerce et l'investissement ne doivent pas être des fins en soi, mais des moyens d'atteindre un développement équitable et durable». Je pense que personne autour de cette table ne pourrait contester une telle affirmation.

Nous nous penchons sur l'ALENA. M. Campbell nous a dit qu'il faudrait réexaminer l'ALENA. M. Myers préconise de prendre l'ALENA pour modèle. J'opterai pour une approche différente. Au lieu de suivre l'ALENA, si nous jugeons que l'ALENA ou son application est cause de problèmes et nous empêche d'atteindre le développement durable, quelles sont les leçons que nous pouvons en tirer pour améliorer la situation?

Je pense que personne ne peut contester la pertinence de votre déclaration. Je ne pense pas que ces accords envisageaient le commerce comme des fins en soi. Par conséquent, si nous acceptons votre thèse et que nous reconnaissons que le but visé était le développement durable, pourquoi ne pas utiliser les leçons apprises de l'ALENA afin de les intégrer dans la ZLEA, d'autant plus que nous arrivons à l'examen quinquennal de l'ALENA?

M. Peter Bleyer: C'est une très bonne question. Je la reprends à mon compte. Si vous voulez savoir pourquoi nous n'adoptons pas ces objectifs afin de les intégrer dans tous nos accords présents et futurs en matière de commerce et d'investissement, c'est justement une question que je souhaiterais, en tout respect, vous demander de poser à votre propre gouvernement. En effet, dans la pratique, l'ALENA n'a pas été conçu pour viser un développement équitable et durable. Il n'a pas poursuivi de tels objectifs.

Nous avons parlé d'accès au marché. L'accès au marché est un concept très différent du développement équitable et durable. L'accès au marché consiste simplement à pouvoir vendre certains produits dans un certain secteur. C'est ce genre de dynamique qui amène les paysans sans terre du Mexique à produire des récoltes commerciales. C'est le commerce. Ce n'est peut-être pas le commerce pour le commerce, mais le but visé est de favoriser les intérêts de certaines entreprises ou certains secteurs. Ce principe était à la base même de l'ALENA.

Le chapitre de l'ALENA sur les investissements nous en donne d'ailleurs une preuve évidente. Pour connaître les répercussions du chapitre sur les investissements, il suffit de se pencher sur ce qui s'est passé dans le cas du MMT ou du développement durable. Vous voulez me faire constater que le gouvernement canadien est incapable de légiférer afin de protéger l'environnement et la santé des enfants ou d'autres personnes en limitant l'accès au marché d'une société américaine et vous vous demandez ce que prévoit à cet effet l'ALENA. L'accord confère aux entreprises l'accès au marché et prévoit de sanctionner tout gouvernement qui leur refuse un tel accès.

La présidente: Mais vous ne voulez sans doute pas affirmer que nos accords commerciaux ne peuvent pas servir à appliquer le principe du développement durable. Ce n'est certainement pas ce que vous voulez dire.

M. Peter Bleyer: Non.

La présidente: Si je vous ai bien compris, vous recommandez donc que nos négociateurs ne fassent pas la promotion du commerce comme une fin en soi, au moment des négociations de la ZLEA, mais l'utilisent comme un moyen de réaliser un développement durable?

• 1725

M. Peter Bleyer: Dans un sens, c'est exactement ce que nous disons. Nous avons la preuve jusqu'à présent que les accords que nous avons signés ne vont pas dans cette direction. Aussi, plutôt que de donner à nos négociateurs le mandat de discuter et de présenter tour à tour leurs différents arguments jusqu'à ce qu'ils les aient épuisés, nous préférons réfléchir et effectuer les études d'impact dont nous avons parlé et lancer un débat de société sans croire que d'ici une semaine ou deux ou l'automne prochain, nous serons prêts à envoyer des négociateurs qui comprennent ces objectifs. Nous ne disposons pas des études d'impact dont nous avons besoin. Nous devons mieux connaître les impacts au pays ainsi que dans l'hémisphère et dans le monde entier.

Je crois qu'il ne faut pas se leurrer sur la façon dont le Canada est perçu à l'échelle internationale à la table des négociations de l'OMC. Beaucoup de petits pays sont sans doute heureux de bénéficier de l'aide du CRDI, mais quand ils ont à traiter avec les représentants canadiens, ils se rendent bien compte que ces derniers travaillent main dans la main avec les Américains et souvent avec l'Union européenne et le Japon, en faveur de la libéralisation au niveau de l'OMC.

Je crois avoir débordé un peu de votre question. Je ne suis pas contre le principe selon lequel les accords commerciaux devraient nous permettre de viser un développement équitable et durable. Cependant, les accords que nous avons signés ne nous ont pas permis jusqu'à présent d'aller dans ce sens et c'est pourquoi nous ne pouvons pas continuer ainsi.

La présidente: J'ai une toute petite question pour M. Allmand. Vous avez parlé de société civile et d'autres pays qui ne sont pas engagés. Ce commentaire faisait suite à la question que M. Penson vous avait posée au début. Avez-vous des recommandations pratiques à formuler sur la façon dont le Canada pourrait les inciter à participer? Vous avez dit que le Canada ne peut pas se livrer à une sorte de télésurveillance. Cependant, je sais que les Canadiens ont en quelque sorte innové en créant un site Web auquel on peut adresser des messages électroniques. Quoi d'autre le gouvernement canadien peut-il faire pour encourager d'autres pays à participer?

M. Warren Allmand: Notre centre aide la société civile de plusieurs pays à développer sa capacité afin de pouvoir négocier et imposer ses propres droits. Mais l'ACDI, qui est un organe du gouvernement canadien, fait la même chose.

M. Marchi et M. Axworthy nous ont dit à Santiago que leur but était d'inclure dans le nouvel accord de la ZLEA une sorte de consultation avec la société civile de tous les pays. Le problème est que les gouvernements de certains pays d'Amérique latine ne veulent absolument pas en entendre parler. Ce que nous demandons à M. Axworthy—en essayant parallèlement d'obtenir un soutien politique dans ces divers pays, c'est de convaincre les gouvernements des pays A, B et C d'encourager une plus grande consultation.

J'aimerais préciser que lorsque nous parlons de normes, il n'est pas question que les salaires et avantages sociaux d'un pays d'Amérique latine respectent des normes équivalentes à celles qui s'appliquent au Canada et aux États-Unis. Nous parlons de normes telles que le droit à la syndicalisation et le droit aux négociations collectives. Les travailleurs du Canada et des États-Unis accepteraient des salaires beaucoup plus bas dans ces pays s'ils faisaient l'objet d'une négociation entre les travailleurs et leurs employeurs. Il n'y a rien à redire dans la mesure où il y a eu négociation. Par contre, on ne peut pas accepter qu'il n'y ait pas de véritables négociations collectives. Voilà le genre de norme minimale que nous voulons inclure dans ces accords commerciaux. Nous ne réclamons pas l'application de normes de salaires, de pensions, etc., mais nous souhaitons que les travailleurs aient le droit sur le plan politique et grâce aux négociations collectives, de négocier des conditions de travail qui leur paraissent raisonnables.

La présidente: Merci, monsieur Allmand.

Il nous reste à peu près deux minutes et il y a deux autres personnes qui souhaitent poser des questions. Que diriez-vous de 30 secondes chacun?

M. Charlie Penson: Est-ce que je peux moi aussi poser une autre question?

La présidente: Très bien. Monsieur Penson, monsieur Sauvageau et monsieur Speller, rapidement.

M. Charlie Penson: J'aimerais simplement demander une précision à M. Medhora. Je connais le groupe Cairns qui a participé à l'Uruguay Round, tout au moins sur les questions d'agriculture. Mais que vouliez-vous dire exactement lorsque vous avez parlé du groupe Cairns? J'aimerais savoir si vous vouliez envisager d'aider les petites économies à se regrouper afin d'avoir les moyens de négocier ou de les aider à mieux comprendre l'accord? Pourriez-vous nous expliquer rapidement?

M. Rohinton Medhora: Je voulais tout simplement dire que dans les prochaines négociations commerciales, que ce soit celles de l'OMC ou de la ZLEA, on n'assistera pas à une confrontation entre les pays en voie de développement et les pays développés, si vous voulez. Ce ne sera pas une confrontation entre les grands et les petits pays. On assistera plutôt à une coalition de grands et de petits pays faisant bloc sur une certaine question, tandis que des puissances intermédiaires comme le Canada et l'Australie auront un rôle très important à jouer. Voilà ce que je voulais dire.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Monsieur Bleyer, je veux bien comprendre pour que ce soit bien écrit dans le rapport. Je ne voudrais pas que cela semble redondant. Vous ne proposez pas qu'on se retire des négociations de la Zone de libre-échange des Amériques, n'est-ce pas?

• 1730

M. Peter Bleyer: Nous proposons en ce moment que le Canada ne procède pas à la signature de documents ou de traités qui feraient avancer le processus de libéralisation en matière de commerce ou d'investissement. On peut s'asseoir à la table, mais on ne doit pas signer d'accords.

M. Benoît Sauvageau: Oui, mais étant donné que cela doit se terminer en l'an 2005, on n'est pas sur le point de s'asseoir pour signer.

M. Peter Bleyer: Est-ce que cela traduit bien l'idée de Mel Watkins? Que ce soit en 2005 ou en en 2010...

M. Benoît Sauvageau: Oui, mais pour signer quelque chose, il faut s'asseoir.

M. Peter Bleyer: Oui, on peut s'asseoir, mais nous ne voulons pas qu'on s'assoie à la table sans avoir fait d'études d'impact et sans savoir que le gouvernement du Canada est prêt à ne pas signer.

M. Benoît Sauvageau: Est-il simpliste de dire que la grande question était le fait que le Canada avait interdit l'importation de MMT, mais non la production interne de MMT?

M. Peter Bleyer: Ce serait dans le genre de la question du projet de loi C-55. On s'est départi de tellement d'outils pour se protéger et pour légiférer qu'on se retrouve toujours dans ces situations où on doit se dire qu'on a utilisé le mauvais processus pour aboutir là où on veut. On en parle dans les revues. Est-ce que le gouvernement aurait dû passer par ce processus, utiliser cet outil ou un autre? Finalement, on s'est départi de tellement de chose par ces accords qu'il ne faut pas attribuer cela au fait qu'on a pris la mauvaise option. Il faut plutôt attribuer cela au fait qu'on s'est départi de ces outils.

M. Benoît Sauvageau: Monsieur Myers, vous avez dit qu'il était plus facile de faire du commerce avec les autres pays qu'à l'intérieur du Canada, qu'il était plus facile de faire du commerce entre pays souverains. Ai-je bien compris? J'apprécie votre commentaire et je vous en remercie.

[Traduction]

M. Jayson Myers: Oui.

La présidente: Monsieur Speller.

M. Bob Speller: Merci, madame la présidente.

Je remercie tous les témoins pour leurs exposés. C'est agréable de revoir ici M. Allmand. Quant à M. Myers c'est la deuxième fois qu'il vient témoigner.

La présidente: La troisième fois.

M. Bob Speller: Bien entendu, nous avons aussi le Conseil des Canadiens pour qui j'ai justement une question, puisque j'ai commencé à consulter l'ouvrage Des alternatives pour les Amériques que vous nous avez distribué. J'ai une question sur l'agriculture.

Mais auparavant, à la lecture des remerciements, je me suis demandé si le Conseil des Canadiens, organisme que je pensais très nationaliste, considère que nous avons quatre pays en Amérique du Nord? Je vois que l'ouvrage cite le Québec, les États-Unis, le Mexique et le Canada. Je voulais simplement signaler au passage mon étonnement.

Des voix: Ha, ha!

M. Bob Speller: C'est M. Sauvageau qui aimerait cette question.

Dans le domaine de l'agriculture, vous affirmez que des mesures continentales devraient également appuyer une plus grande harmonisation de l'aide financière à l'agriculture, sous forme de pourcentage du PIB. Est-ce que vous voulez parler d'une aide intérieure ou d'une aide aux exportations?

M. Peter Bleyer: Pour des raisons évidentes, je vais d'abord répondre à votre deuxième question.

Vous remarquerez tout d'abord qu'aucun remerciement ne s'adresse, dans cet ouvrage, au Conseil des Canadiens. Nous faisons partie de Common Frontiers, un des groupes qui a participé à la rédaction de cet ouvrage. Nous n'en sommes pas les auteurs—toujours pour répondre à la deuxième question plutôt qu'à la première. Je ne suis pas un expert dans tous ces détails, en particulier au sujet de la politique agricole, aussi, je vous renvoie aux auteurs du rapport lui-même.

Pour répondre à votre autre question qui me paraît légèrement plus intéressante—à 17 h 30, les questions comme celle-là paraissent plus intéressantes—je souligne tout d'abord que nous avons aussi inclus le Chili. Le Chili a participé. Nous ne définissons pas l'Amérique du Nord comme... Les Chiliens ne sont pas mentionnés dans les remerciements, n'est-ce pas? Par contre, l'Amérique centrale est citée.

La question est de savoir comment les communautés se protègent elles-mêmes? Quelle que soit la façon dont on définit les communautés, il y avait la référence au commerce interprovincial qui peut faire l'objet d'un gros débat. Mais comment les communautés—qu'elles se définissent elles-mêmes comme des unités nationales, infranationales ou comme des unités qui deviendront un jour nationales—protègent-elles leurs propres intérêts, ceux de leurs citoyens?

• 1735

Nous acceptons de discuter avec n'importe quel groupe d'Amérique du Sud et d'Amérique du Nord ayant un gouvernement élu, quel que soit le palier, disposant des outils nécessaires pour diriger lorsqu'il est élu pour exercer le pouvoir—et qui conserve ces outils afin d'oeuvrer au nom de ses citoyens. Voilà ce que je peux vous dire à ce sujet.

M. Bob Speller: Merci. Je ne connaissais pas ces détails.

La présidente: Merci, monsieur Speller.

M. Benoît Sauvageau: Merci, monsieur Speller.

La présidente: Mesdames et messieurs, je vous remercie encore une fois pour vos exposés très instructifs. Les deux heures ont passé très vite. Je sais que nous manquons toujours de temps. Nous avons beaucoup appris aujourd'hui.

Pour ceux d'entre vous qui sont ici pour la première fois—je ne m'adresse pas à M. Myers ni au Conseil des Canadiens—j'aimerais préciser que nous en sommes au début de nos consultations. C'est le début du processus. Si vous estimez que le comité devrait soulever d'autres questions, n'hésitez pas à les soumettre à notre greffière. Vous voyez les membres du comité. Communiquez directement avec nous. Ce n'est pas la fin d'un processus, mais le début. Nous vous invitons à nous faire parvenir vos points de vue. Cela vous permettra d'être mieux préparés pour examiner l'accord.

La séance est levée et reprendra lundi à Vancouver pour certains d'entre nous. Merci beaucoup.