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SECU Rapport du Comité

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CHAPITRE 4 : PROPOSITION DE RÉFORME

Il importe de reconnaître d'entrée de jeu que peu de données sont disponibles pour permettre une analyse en profondeur du Programme de protection des témoins fédéral. À part les données générales présentées dans les rapports annuels, il n'existe actuellement aucune donnée nous permettant de prendre connaissance de l'expérience des bénéficiaires du programme ou encore d'évaluer la valeur de leur témoignage dans la poursuite ou l'enquête à l'origine de leur admission. Si la LPPT fournit des renseignements importants concernant les motifs à prendre en considération pour l'admission d'un bénéficiaire, les raisons pouvant justifier une exclusion du programme ou encore les obligations mutuelles du témoin et de la personne chargée d'administrer le programme, force nous est de constater que peu de renseignements sont disponibles concernant les pratiques courantes de la GRC dans le domaine de la protection des témoins. Bien que cette situation ne doit pas nous surprendre, étant donné que la protection des témoins exige la plus grande discrétion, elle constitue néanmoins la plus grande difficulté à laquelle nous avons été confrontés tout au long de notre examen.

Plusieurs de nos questions demeurent d'ailleurs sans réponse dont voici quelques exemples :

  • Qu'advient-il des enfants qui subissent des changements radicaux dans leur vie suite à la collaboration d'un de leur parents avec les autorités?
  • Le programme pourrait-il accueillir un adolescent membre d'un gang de rue dont la sécurité est menacée en raison de sa collaboration avec les autorités?
  • Quel pourcentage des témoins admis au programme ont entretenu des liens avec le monde criminel avant leur collaboration avec la justice? Combien de témoins ont été incarcérés dans le système correctionnel fédéral avant leur changement d'identité?
  • Quel est le taux de récidive criminelle des témoins qui participent au Programme de protection de témoins?

Cela étant dit, nos témoignages indiquent clairement que le programme fédéral de protection des témoins sert surtout à protéger des personnes qui ont fait fonction d'agents ou d'informateurs pour la police et qui, en raison de leur lien avec le milieu criminel, peuvent contribuer au succès d'une enquête ou d'une poursuite criminelle impliquant des crimes graves. Selon les policiers que nous avons rencontrés, le recours aux témoignages de criminels, à titre d'agents ou d'informateurs, est un mal nécessaire pour contrer les organisations criminelles et terroristes qui, en raison de leur nature fermée, se laissent difficilement piéger par les méthodes classiques d'enquête. Si les gouvernements reconnaissent qu'il s'agit d'un moyen essentiel de lutter efficacement contre les formes de criminalité grave, ils doivent être disposés à assumer la protection des informateurs et des agents. Yvon Dandurand a dit au Comité qu'« il importe alors d'assurer la protection de ces personnes, même si elle soulève des difficultés sur les plans pratique, morale et juridique »([51]). Il a aussi noté que la réputation des organismes chargés de la protection des témoins se répercute directement sur la capacité des policiers à recruter de nouveaux informateurs et agents et, partant, à lutter contre la criminalité grave. Selon le commissaire adjoint à la GRC, Raf Souccar, une perte de confiance dans le programme fédéral risquerait de paralyser le travail des autorités policières :

Si les gens du milieu perdaient confiance en notre Programme de protection des témoins, l'effet d'enchaînement serait dévastateur pour la police. Les témoins hésiteraient à se manifester et les agents-sources refuseraient d'éclairer la police sur les enquêtes les plus complexes sur le crime organisé et sur la sécurité nationale([52]).

Les témoinages que nous avons entendus indiquent sans équivoque que le Programme de protection des témoins est un élément essentiel pour lutter efficacement contre la criminalité grave, le crime organisé et le terrorisme. Cela dit, notre examen a permis de relever certaines lacunes qui justifient, croyons-nous, des modifications législatives. Les prochaines sections du chapitre présentent ces lacunes ainsi que les recommandations que nous formulons afin d'y remédier.

1. FAVORISER UNE GESTION EFFICACE ET EQUITABLE DU PROGRAMME

a) Établir une distinction claire entre les enquêtes et les poursuites et le Programme de protection des témoins par la création d'un Bureau indépendant au sein du ministère de la Justice

Les programmes de protection de témoins varient sensiblement d'un pays à l'autre selon les besoins en matière de protection de même que le contexte historique, géographique, juridique et social propre à chacun. Lors des audiences, on a expliqué au Comité que la différence la plus marquante entre les programmes concerne le choix de l'organisme chargé de prendre les décisions concernant l'admission des témoins. Nick Fyfe([53]), un expert dans le domaine de la protection des témoins, a noté :

Il y a des différences importantes, d'un pays à l'autre, en ce qui concerne le rôle que la police, la magistrature et le gouvernement jouent dans la décision d'inclure un témoin dans un programme de protection. Le Royaume-Uni permet que ces décisions soient prises par les chefs de police, comme le Canada et l'Australie, mais si vous prenez un pays comme la Belgique, la décision d'inclure un témoin est prise par un comité constitué de procureurs publics, de policiers et de membres des Départements de la Justice et de l'Intérieur. Si vous prenez l'Italie, il y a une commission centrale présidée par le sous-secrétaire d'État et qui comprend des juges et des experts dans le domaine du crime organisé.

De l'avis des experts qui ont comparu devant nous, les policiers ne sont pas nécessairement les mieux placés pour décider de l'admission des témoins dans les programmes de protection de témoins. Nick Fyfe a noté à ce sujet :

[.] Lorsque nous avons étudié la situation un peu partout en Europe, certains ont été étonnés de voir que dans certains pays, c'est la police qui était autorisée à prendre cette décision. Nous avons estimé [que la police] était peut-être trop près de la procédure d'enquête et qu'il fallait peut-être pouvoir s'en distancer davantage, pouvoir juger, dans une perspective plus large, si le témoin était essentiel pour la poursuite et l'enquête. Dans certains cas, la police semblait trop empressée à faire participer les témoins à des programmes de protection parce que cela lui permettait d'accélérer l'enquête([54]).

Selon le professeur Dandurand, le problème lorsque la police est responsable de cette décision c'est que « la protection est offerte en fonction de l'utilité du témoignage pour la police, pour l'obtention d'une condamnation ou pour faire avancer le procès. Un témoin gravement menacé peut donc être sans valeur comme témoin aux yeux de la police »([55]). Lors de sa comparution, le professeur Dandurand a aussi informé le Comité des résultats d'une étude du Conseil de l'Europe sur les pratiques exemplaires en matière de protection des témoins, dans laquelle le Conseil conclut qu'il est essentiel de dissocier les organismes de protection de témoins des services d'enquête et de poursuite, tant pour le personnel que pour l'organisation, afin d'assurer l'objectivité des mesures de protection et de protéger les droits des témoins([56]).

À l'instar des experts que nous avons rencontré, nous croyons qu'il est essentiel de dissocier l'organisme chargé du Programme de protection des témoins de la police afin d'établir une distinction nette entre les poursuites et les enquêtes et la participation d'un témoin au programme. Cette indépendance nous semble, en outre, essentiel afin d'établir clairement que la protection n'est pas une récompense offerte pour la collaboration du témoin avec les autorités. Nous reconnaissons que certains témoins sont récompensés de leur collaboration avec la justice (i.e. financement, réduction de la peine par suite d'un plaidoyer de culpabilité ou indulgence au moment de la détermination de la peine)([57]). Si les avantages ainsi accordés doivent être fixés dans le temps, la protection doit quant à elle évoluer en fonction du contexte et des besoins des témoins([58]).

Le Comité considère par ailleurs, à l'instar des experts rencontrés, que la décision d'admettre des témoins au programme devrait relever d'une équipe multidisciplinaire du ministère de la Justice, qui pourrait être constituée de policiers, de procureurs de la poursuite, de criminologues et/ou psychologues. Une telle équipe serait mieux placée pour établir un juste équilibre entre l'intérêt du public en ce qui a trait au danger découlant de la participation d'un témoin au programme et l'intérêt de la poursuite dans une perspective policière. Le professeur Fyfe a déclaré :

Lorsque c'est ce genre de groupe qui prend ces décisions, un groupe légèrement à l'écart de la police, il a peut-être un point de vue plus indépendant et plus objectif pour décider qui doit être protégé et qui doit être exclu de ce genre de programmes([59]).

À la lumière de ces considérations :

RECOMMANDATION 1 :

Le Comité recommande de modifier la Loi sur le programme de protection des témoins (LPPT) afin de confier la gestion du Programme de protection des témoins à un Bureau indépendant au sein du ministère de la Justice. Une équipe multidisciplinaire du Bureau, qui pourrait être constituée de policiers, de procureurs de la poursuite et de psychologues et/ou criminologues, possédant une cote de sécurité appropriée, devrait être chargée des décisions concernant l'admission des témoins et du suivi des ententes de protection. Les services policiers devraient quant à eux être chargés de l'évaluation de la menace, de la détermination du niveau de sécurité et de la mise en ouvre des mesures de protection.

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b) Prévoir une évaluation psychologique des candidats âgés de 18 ans et plus

Actuellement, l'évaluation des candidats au Programme de protection des témoins est effectuée par des membres de la GRC formés dans le domaine de la protection des témoins. Leur évaluation porte sur un ensemble de facteurs énoncés dans la LPPT, notamment, la nature du risque encouru par le témoin, les risques pour la collectivité résultant de sa participation au programme, la valeur de sa participation à l'enquête et sa capacité d'adaptation. Selon les informations que nous avons recueillies, l'évaluation des candidats ne comporte pas systématiquement une évaluation psychologique visant à déterminer la capacité d'adaptation du candidat et son risque de récidive criminelle.

Gerald Shur([60]) a expliqué au Comité que dans le programme américain la décision d'admettre un témoin se fonde sur un ensemble de renseignements dont une évaluation psychologique du témoin ainsi que de tous les membres de sa famille âgés de plus de 18 ans. Il a noté que cette évaluation vise à déterminer « si le témoin risque ou non de commettre un acte violent, dans quelle mesure il réussira à s'intégrer dans le programme, s'il serait capable de suivre les règles, le genre d'emploi dont il aura besoin, quelles sont ses compétences, etc. »([61]).

Sur la base des témoignages entendus, le Comité estime qu'il serait préférable que les candidats potentiels, y compris les membres de leur famille, subissent systématiquement une évaluation psychologique, étant donné la nature de ce programme de dernier recours et le fait que la plupart des témoins qui y sont admis ont entretenu des liens avec le milieu criminel avant de coopérer avec la justice. La disposition de la LPPT permettant au commissaire à la GRC de fournir une protection urgente pendant une période maximale de quatre-vingt-dix jours à un candidat avec lequel un accord n'a pas été conclu serait, croyons-nous, suffisante pour permettre ce genre d'évaluation sans compromettre les enquêtes et/ou les poursuites criminelles. En conséquence :

RECOMMANDATION 2 :

Le Comité recommande de modifier la Loi sur le programme de protection des témoins de façon à ce qu'une évaluation psychologique des candidats de plus de 18 ans, y compris les membres de leur famille, soit systématiquement effectuée avant l'admission du candidat au programme, principalement lorsque le changement d'identité est envisagé comme mesure de protection.

c) Favoriser des négociations justes et équitables

Présentement, un candidat qui négocie avec la GRC pour assurer sa protection et, dans certains cas, celle de ses proches ne se voit pas offrir les conseils d'un avocat. Certains témoins que nous avons rencontrés ont déploré cette situation, soulignant que l'inégalité des rapports de pouvoir entre le témoin potentiel et les autorités policières justifie la présence systématique d'un avocat à l'étape de la négociation du contrat. M. Barry Swadron, principal associé dans la firme Swadron Associates, a dit au Comité :

Ici vous avez la GRC, ou n'importe quelle autre organisation, qui s'est occupée de ce travail durant des années, et vous avez une personne vulnérable qui n'a jamais été touchée par cette question, et vous vous attendez à ce que celle-ci soit à leur hauteur. Elle peut s'enfoncer jusqu'au cou. Au moins si cette personne pouvait disposer d'un avocat qui lui dirait de surveiller ce dans quoi elle s'engage.([62])

À l'instar des experts rencontrés, le Comité estime que la présence d'un conseiller juridique à l'étape des négociations et de la signature d'un contrat de protection est un élément déterminant pour faire en sorte que les négociations soient justes et équitables et que le bénéficiaire comprenne les conditions et la portée du document qu'il s'apprête à signer. La signature d'un tel contrat est une étape importante dans la vie d'un témoin et de ses proches. Quoique nous ayons recommandé la création d'un Bureau indépendant pour administrer le Programme de protection des témoins, nous considérons néanmoins que les négociations et la signature d'un contrat aussi important nécessite le consentement éclairé des témoins à protéger. En conséquence :

RECOMMANDATION 3 :

Le Comité recommande de modifier la Loi sur le programme du protection des témoins de sorte que les candidats potentiels se voient offrir systématiquement l'aide d'un conseiller juridique, possédant une cote de sécurité appropriée, lors des négociations entourant leur admission au Programme de protection des témoins et la signature du contrat de protection. Les honoraires du conseiller juridique devraient être pris en charge par le Bureau indépendant chargé de la protection des témoins du ministère de la Justice.

d) Prévoir un processus de règlements des différends

Nous avons appris au cours de notre étude que les bénéficiaires insatisfaits du programme doivent contacter leur coordonnateur désigné([63]) pour discuter de leurs insatisfactions ou encore des raisons pour lesquelles ils ne sont pas en accord avec une décision prise par la GRC. Tout au long de notre examen, des témoins ont déploré cette situation, soulignant qu'il n'est pas sain de demander à l'individu insatisfait du traitement qu'il reçoit de contacter la personne chargée de sa protection et de son suivi.

Actuellement, la Commission des plaintes du public contre la GRC est habilitée à recevoir des plaintes concernant le Programme de protection des témoins. Le président de la Commission, Paul E. Kennedy, a toutefois informé le Comité que la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada([64]) limite les examens de la Commission en permettant, notamment, à la GRC de s'abstenir de divulguer certains renseignements. De l'avis de M. Kennedy, cette disposition constitue un obstacle important au mécanisme de surveillance civile.

Tel que nous l'avons vu dans le chapitre précédent, la Commission a reçu peu de plaintes concernant la gestion du Programme de protection des témoins depuis l'adoption de la LPPT en 1996. Du 20 juin 1996 au 30 mai 2007, la Commission a traité 21 plaintes concernant ce programme et a procédé à 5 examens. Pour expliquer cette donnée, M. Kennedy a soutenu que la Commission n'est pas un organisme bien connu de la population en générale et sans doute n'est pas bien connu non plus chez les bénéficiaires du programme.

Les bénéficiaires insatisfaits des décisions de la GRC peuvent aussi faire appel à la Cour fédérale pour la révision des décisions. Malgré cela, des témoins qui ont comparu devant nous estimaient que les bénéficiaires n'ont pas accès à un mécanisme raisonnable pour porter en appel les décisions rendues par les responsables du programme ou pour faire valoir leurs plaintes. À cet égard, le professeur Dandurand a souligné « qu'il est temps d'établir un mécanisme de règlement des plaintes et de recours pour les témoins à risque et pour les témoins protégés qui sont en danger ou dont les droits peuvent être bafoués à cause de mauvaises pratiques de protection »([65]). À la lumière de ces considérations :

RECOMMANDATION 4 :

Le Comité recommande de modifier la Loi sur le programme de protection des témoins de façon à charger la Commission des plaintes du public contre la GRC de traiter les plaintes des candidats et des bénéficiaires du Programme de protection des témoins. La Commission devrait avoir accès à tous les documents qu'elle juge nécessaire pour mener à bien son examen, à l'exception des documents confidentiels du Cabinet assujettis aux mesures de protection appropriées. Le Comité estime par ailleurs que les candidats et les bénéficiaires devraient être systématiquement informés de ce recours lors des négociations entourant leur admission au Programme de protection des témoins.

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2. Faciliter L'ACCÈS AU pROGRAMME de protection des témoins

a) Régler la question du financement

Si, en théorie, le Programme de protection des témoins est un programme national permettant à tous les corps policiers du Canada de réinstaller des témoins sur l'ensemble du territoire canadien, dans les faits, le Comité a été informé que plusieurs services de police n'ont pas les moyens financiers pour en bénéficier. Cette situation s'explique par le fait que le Programme de protection des témoins est fondé sur un principe du recouvrement des coûts. Les dépenses reliées à la protection d'un témoin ayant collaboré avec un organisme d'application de la loi autre que la GRC sont actuellement facturées à cet organisme. Lors de sa comparution, un représentant de l'Association canadienne des chefs de police, Gordon B. Schumacher, a fait observer ce qui suit :

Lorsque les services de police envisagent de recourir au programme national [de protection des témoins] pour faciliter la réinstallation et la protection d'un témoin, ils constatent qu'ils doivent surmonter des difficultés importantes, dont la moindre n'est pas le coût. Le coût associé à la participation d'un individu au programme national peut être important et dépasse souvent les moyens de la plupart des services de police canadiens.

[.] Je ne saurais trop insister sur ce point puisque c'est un des principaux problèmes que soulève la loi fédérale. Son utilisation est tout simplement beaucoup trop coûteuse.([66])

Ce problème ne date pas d'hier. Le Comité a été informé que l'Association canadienne des chefs de police et l'Association des chefs de police du Manitoba avaient recommandé, dans un document présenté aux ministres de la Justice en 2005, la création d'un programme de financement.([67]) Pendant notre examen, l'Association canadienne des chefs de police a réitéré la nécessité de créer un programme fédéral de financement s'adressant à tous les services policiers canadiens désireux de réinstaller des témoins. L'Association estime que l'absence de financement risque de faire en sorte que certaines villes et municipalités canadiennes deviennent des « refuges pour les criminels ». Un représentant de l'Association, M. Gordon Schumacher, a noté ce qui suit :

Le crime organisé et les crimes graves ne font pas de distinction entre les frontières géographiques. On retrouve ces activités dans toutes les provinces et toutes les villes du Canada. Si l'on s'abstient de lutter contre ces groupes dans les petites collectivités, on les transforme en refuges pour les criminels; il faut donc faciliter la participation aux programmes de protection des témoins si l'on veut contenir les organisations criminelles et ceux qui commettent des crimes graves contre la population canadienne.([68])

Le Comité estime nécessaire de régler cette question du financement afin d'assurer que le Programme de protection des témoins soit véritablement un programme national et donc accessible à tous les Canadiens et Canadiennes dont la sécurité est gravement menacé en raison de leur collaboration, ou celle d'un de leur proche, avec la justice. En conséquence :

RECOMMANDATION 5 :

Le Comité recommande aux ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux responsable de la justice et de la sécurité publique d'élaborer un accord de financement pour la participation au Programme de protection des témoins qui reconnaît la responsabilité partagée des gouvernements en matière de justice. Cet accord devrait viser à rendre le Programme de protection des témoins accessible à l'ensemble des services policiers canadiens.

b) Encourager la collaboration de toutes les instances engagées dans la protection des témoins

À l'instar des témoins rencontrés, le Comité estime que le dégagement de ressources financières ne peut suffire à garantir l'accès au programme. L'engagement des gouvernements à l'égard de la protection des témoins vulnérables et menacés doit également se traduire par une mobilisation des instances engagées dans la protection des témoins. Pour ce faire, le Comité estime qu'il importe d'encourager l'élaboration de protocoles d'entente entre les différentes instances engagées dans la protection des témoins. De tels protocoles d'entente pourraient être établis, notamment, entre le Service correctionnel du Canada, les services correctionnels provinciaux/territoriaux et la GRC ou encore avec les gouvernements provinciaux et territoriaux afin de faciliter la prise en charge et le respect des droits des témoins vulnérables et menacés. Cette collaboration est indispensable pour mener à bien la plupart des ententes de protection du fait que certains témoins protégés doivent purger une peine d'incarcération dans le système correctionnel provincial ou fédéral, que la plupart seront réinstallé dans une autre province ou territoire et que dans plusieurs cas un changement d'identité est jugé nécessaire.

Pendant notre examen, des policiers ont suggéré de modifier la LPPT de façon à permettre à l'organisme chargé de l'administration du Programme de protection des témoins de conclure des protocoles d'entente avec les gouvernements provinciaux sur le financement des témoins. À l'heure actuelle, les services policiers qui n'ont pas les moyens de rembourser les frais de protection à même leur budget régulier doivent garantir le financement de leur témoin avec les ministères responsables de la justice de leur province avant même de faire une demande d'admission au programme de protection des témoins([69]). Permettre aux ministères de conclure directement des ententes avec l'organisme chargé de la protection des témoins ou avec le gouvernement fédéral aurait l'avantage d'accélérer le traitement des dossiers de protection et d'alléger le processus. À la lumière des témoignages entendus :

RECOMMANDATION 6 :

Le Comité recommande de modifier la Loi sur le programme de protection des témoins de manière à ce que la GRC ou le Bureau indépendant chargé de la protection des témoins du ministère de la Justice puisse conclure directement des ententes avec les gouvernements provinciaux et territoriaux afin d'accélérer le traitement des dossiers de protection de témoins. En attendant que des protocoles d'entente soient élaborés, la GRC devrait continuer à conclure des ententes avec les services policiers.

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3. ÉTABLIR DES NORMES MINIMALES CANADIENNES POUR LA PROTECTION DES TÉMOINS

Tel que nous l'avons vu au deuxième chapitre du rapport, certaines municipalités et provinces canadiennes possèdent leurs propres programmes de protection des témoins. Bien que le Comité n'ait pas étudié en profondeur le fonctionnement de ces programmes, les témoignages recueillis portent à croire qu'il y a des divergences importantes en ce qui a trait à leur fonctionnement et à leur administration. Le programme fédéral de protection des témoins est actuellement le seul programme qui est gouverné par une loi. Des témoins qui ont comparu devant le Comité ont déploré cette situation. Barry Swadron a soutenu :

Mis à part la Loi sur le programme de protection des témoins du Parlement, il n'y a pas d'autre loi ailleurs au Canada. À mon sens, lorsqu'il n'y a pas de loi, il n'y a pas de normes minimales. Je suis certain qu'il y a des normes, mais ces normes pourraient être inférieures aux normes. De plus, on pourrait les modifier à volonté. ([70])

M. Swadron a exhorté le Comité à recommander que le Parlement établisse par voie législative des normes minimales s'adressant à l'ensemble des programmes de protection des témoins au pays, soulignant qu' « [i]l n'y a pas de raison que le Parlement ne puisse légiférer systématiquement. Il réglemente le Code criminel et le Code criminel est examiné par les corps policiers provinciaux et municipaux »([71]).

Les membres de la GRC qui ont comparu devant le Comité se sont aussi dits inquiets de l'absence de normes minimales. Il faut voir qu'en juin 2007, la protection et le suivi d'environ 300 bénéficiaires inscrits dans le programme fédéral de protection des témoins étaient entièrement assurés par des services de police provinciaux ou municipaux([72]), selon le cas. Le surintendant principal Ogden a expliqué au Comité pourquoi il en est ainsi :

Lorsqu'un autre organisme d'application de la loi nous demande strictement des documents protégés, mais veut s'occuper du témoin et s'acquitter de toutes les obligations en matière de protection, ce témoin est en principe désigné bénéficiaire du Programme de protection des témoins. Dans ce cas, notre participation se résume à la communication des documents protégés. À partir de là, nous comptons sur l'autre service de police pour nous informer en cas de violation ainsi que sur les mesures de suivi qui ont été prises.([73])

Le plus inquiétant, c'est que la GRC ne semble pas en mesure d'assurer l'uniformité du traitement offert à l'ensemble des bénéficiaires inscrits dans son programme. Il est d'ailleurs fort probable que les bénéficiaires confiés et surveillés par d'autres services de police ne reçoivent pas un traitement similaire, selon le service de police qui assure leur protection. Le surintendant principal Ogden a indiqué que dans certains cas, la GRC n'est même pas informée quand les autres services de police décident de mettre fin à la protection d'un bénéficiaire, ni même des raisons qui ont mené à cette décision. Dans de tels cas, la GRC n'est donc pas en mesure de s'assurer que la protection a pris fin conformément aux normes établies par la GRC.([74])

Pour pallier cette lacune, le commissaire adjoint de la GRC Raf Souccar a proposé la création d'un programme unique de protection des témoins. Le modèle qu'il propose prévoit la création d'unités intégrées, composées de représentants des différents organismes chargés de l'application de la loi au pays, qui seraient chargées d'assurer la protection et le suivi des bénéficiaires. La supervision des unités et l'administration du programme serait assurée par le commissaire de la GRC, comme c'est le cas dans le programme actuel. Ce programme permettrait, selon lui, une uniformité dans le traitement des cas de protection de témoins au Canada en assurant, notamment, une formation standardisée des policiers appelés à travailler avec des agents sources et des informateurs.

Nous sommes d'accord avec les témoins que des normes minimales s'appliquant au Programme de protection des témoins doivent être mises en place le plus rapidement possible. Les corps policiers doivent respecter les dispositions du contrat de protection lorsqu'ils admettent leurs témoins dans le programme fédéral. Nous croyons par ailleurs que l'ensemble des programmes de protection des témoins devraient respecter des normes minimales de protection. En conséquence :

Recommandation 7 :

Le Comité recommande aux ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux responsable de la justice et de la sécurité publique d'élaborer des normes minimales canadiennes pour assurer l'uniformité dans le traitement de tous les témoins admis dans des programmes de protection de témoins.  Et cela inclurait, dans la mesure du possible, un élargissement des options prévues à l'article 486 du Code criminel, et tout texte législatif provincial, territorial et municipal équivalent, afin de faciliter le témoignage de témoins d'actes criminels qui ne souhaitent pas profiter d'un programme officiel de protection des témoins.

Enfin, le Comité estime que les provinces et territoires qui souhaitent créer leur propre programme de protection des témoins doivent être encouragés à le faire. De plus, le Comité ne voit pas d'inconvénient à ce que les provinces et territoires prennent charge de la réinstallation et du changement d'identité de leurs propres témoins, à condition que les règles minimales soient respectées.

4. FAVORISER LA TRANSPARENCE

La protection des témoins requiert le respect de la confidentialité. Le Comité est conscient que la publication de données détaillées pourrait compromettre la sécurité des bénéficiaires et l'intégrité du Programme de protection des témoins. Il nous semble néanmoins qu'il est possible de rendre le programme plus transparent en permettant la réalisation de recherches indépendantes dans le respect de la confidentialité des dossiers, en améliorant les informations contenues dans les rapports annuels et en assurant une surveillance indépendante des activités de la GRC.

a) Permettre la recherche indépendante

La recherche indépendante est difficile à réaliser, vu la nature du programme, mais elle n'est pas impossible. Nick Fyfe a donné l'exemple d'une recherche réalisée au Royaume-Uni qui a portée sur l'expérience des bénéficiaires. Lors de sa comparution, Yvon Dandurand a aussi informé le Comité de cette possibilité.

[O]n procède généralement soit en accréditant un chercheur ou une équipe de recherche dans le cadre d'un processus fort rigoureux destiné à faire en sorte qu'on ne rende pas les témoins vulnérables, et c'est quelque chose qui est compliqué, certes, mais néanmoins possible. Cela s'est déjà fait. En second lieu, il s'agit de fonctionner et de poser les questions aux témoins par l'entremise de leur responsable de cas ou alors des gens qui sont chargés d'assurer leur protection.([75])

Lors de sa comparution, le professeur Dandurand a aussi souligné le récent travail de la Commission d'enquête relative aux mesures d'investigation prises à la suite de l'attentat à la bombe commis contre le vol 182 d'Air India en ce qui a trait à la protection des témoins. Le paragraphe b.v. du mandat de la Commission prévoit que le commissaire analyse la question suivante : Les pratiques et la législation en vigueur assurent-elles une protection adéquate des témoins contre l'intimidation au cours d'enquêtes ou de poursuites portant sur des actes terroristes? Il a aussi noté que la Commission a distribué un questionnaire à certains témoins qui bénéficiaient du Programme de protection des témoins de la GRC afin de connaître leurs points de vue. Le Comité félicite l'initiative de la Commission et est impatient de prendre connaissance de ses conclusions.

À l'instar des témoins rencontrés, le Comité juge que la recherche indépendante est un élément important pour assurer le bon fonctionnement du programme et sa crédibilité.

RECOMMANDATION 8 :

Le Comité recommande au Bureau indépendant de la protection des témoins du ministère de la Justice (une fois établi) d'encourager et de permettre la recherche indépendante dans le domaine de la protection des témoins (évaluation de l'efficacité du programme fondée sur l'analyse des poursuites; analyse des réactions exprimées par les bénéficiaires, de l'implication criminelle des bénéficiaires, du succès de leur réinstallation, etc.). Le Bureau devrait aussi colliger des données de façon systématique concernant le Programme de protection des témoins, tout en respectant la confidentialité des bénéficiaires.

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b) Améliorer l'information contenue dans les rapports annuels déposés au Parlement

Pendant notre examen, certains témoins ont dénoncé la piètre qualité des données présentées dans les rapports annuels sur le Programme de protection des témoins. Certains ont noté que les données ne permettent pas d'évaluer l'ensemble des coûts du programme. La somme publié dans les rapports annuels ne comprend pas les salaires des agents de la GRC, le coût des enquêtes ou encore les frais judiciaires subséquents. Un témoin a aussi noté qu'aucune donnée ne permet de déterminer où l'argent est dépensé et, partant, d'évaluer les résultats produits pour chaque dollar dépensé. Impossible de savoir, par exemple, le pourcentage des fonds destinés aux compensations, par rapport aux fonds destinés à la réinstallation, à la protection physique des témoins, au suivi psychologique, etc. Reconnaissant cette lacune, la GRC a informé le Comité qu'elle entend présenter des données plus détaillées concernant les coûts du programme dans son rapport annuel 2006-2007.

Des témoins ont aussi noté que les informations qui circulent publiquement sur le Programme de protection des témoins sont quelquefois erronées. Pendant son examen, le Comité a pris connaissance d'une de ces perceptions erronées voulant que les personnes admises au Programme de protection des témoins se voient offrir une immunité pour tout acte criminelle qu'elles pourraient commettre dans l'avenir. Le commissaire adjoint Souccar a noté à cet égard que :

Cette perception voulant qu'un participant au Programme de protection des témoins vive dans une bulle d'invulnérabilité est complètement erronée. Il n'existe pas de telle bulle qui permettrait de commettre des crimes en toute impunité. Les témoins doivent se soumettre à toutes les lois canadiennes, comme n'importe qui d'autre. Leur casier judiciaire les suit. S'ils commettent un crime, ils laissent des preuves derrière eux. Leurs empreintes digitales n'ont pas changé. Leur ADN non plus. Une enquête sera instituée et des poursuites seront entamées. Ils peuvent être incarcérés, comme n'importe quel autre contrevenant. Leur participation au programme ne les met pas à l'abri. Mais pourtant c'est la perception qui semble circuler.([76])

À la lumière de ces propos :

RECOMMANDATION 9 :

Le Comité recommande d'améliorer les informations contenues dans le rapport annuel sur le Programme de la protection des témoins de façon à mieux expliquer le programme, sa raison d'être et les obligations des bénéficiaires.

c) Prévoir une surveillance civile des activités de la GRC

Au cours des dernières années, la GRC a fait l'objet de nombreux examens. En décembre 2007, le rapport du Groupe de travail sur la gouvernance et le changement culturel à la GRC a jugé nécessaire de recommander la création d'un nouvel organisme responsable des plaintes et de la surveillance de la GRC. Des témoins qui ont comparu devant nous ont aussi défendu la nécessité de mettre en place un organisme de surveillance civile des activités de la GRC. Paul E. Kennedy, président de la Commission des plaintes du public contre la GRC a présenté au Comité les modifications législatives qui permettraient de donner ce rôle à la Commission qu'il préside.

Quoique le Comité soit conscient de l'importance de ces questions, nous considérons qu'elles dépassent notre mandat. De plus, le gouvernement a déjà entre les mains les recommandations qui ont été proposés à ce sujet.


([51])     Yvon Dandurand, Témoignages, 4 février 2008.

([52])     Raf Souccar, commissaire adjoint, Opérations fédérales et internationales à la GRC, Témoignages, 19 avril 2007.

([53])     Directeur, Scottish Institute for Policing and Research et professeur de géographie humaine, Témoignages, 31 mai 2007.

([54])     Témoignages, 31 mai 2007.

([55])     Yvon Dandurand, Témoignages, 4 février 2004.

([56])   Ibid.

([57])   Yvon Dandurand, Notes de discours déposé au Comité, 4 février 2004.

([58])    Anne-Marie Boisvert, La protection des collaborateurs de la justice : éléments de mise à jour de la politique québécoise, juin 2005. (Disponible en français seulement)

([59])     Témoignages, 31 mai 2007.

([60])     Gerald Shur, Directeur adjoint principal à la retraite, Office of Enforcement Operations, Criminal Division, United States Department of Justice, Témoignages, 31 mai 2007.

([61])    Ibid.

([62])     Témoignages, 5 juin 2007.

([63])     Les coordonnateurs du Programme de protection des témoins sont des membres de la GRC qui ont reçu une formation spécialisée dans le domaine de la protection des témoins.

([64])   L.C. 2003, c.22.

([65])     Notes de discours, 4 février 2008.

([66])     Gordon B. Schumacher, Témoignages, 8 mai 2007.

([67])     Ibid.

([68])     Ibid.

([69])     Ibid.

([70])     Témoignages, 5 juin 2007.

([71])     Ibid.

([72])      Témoignages, 19 avril 2007.

([73])     Ibid.

([74])     Témoignages, 7 juin 2007.

([75])     Témoignages, 4 février 2008.

([76])    Raf Souccar, Témoignages, 19 avril 2007.

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