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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 049 
l
3e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 8 mars 2011

[Enregistrement électronique]

  (1305)  

[Traduction]

    Nous sommes suffisamment nombreux pour commencer.

[Français]

    À l'ordre, s'il vous plaît. Aujourd'hui, le 8 mars 2011, le Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international entame sa 49e séance de la 40e législature.
    Nous recevons deux témoins aujourd'hui.

[Traduction]

    Jayne Stoyles est la directrice générale du Centre canadien pour la justice internationale. Matthew Eisenbrandt en est le coordonnateur juridique.
    Chers collègues, je vous demanderais votre indulgence pour traiter d'une question à huis clos à la fin de la séance. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles je suis aussi pressé. Il s'agit d'un dossier que nous connaissons tous, mais je ne peux pas en parler tant que nous ne siégeons pas à huis clos.
    Premièrement, ai-je la permission de le faire? Savez-vous tous de quoi il est question?
    Des voix: Oui.
    Le président: Très bien.
    Je pense que Mme Deschamps et M. Cotler souhaitent intervenir.

[Français]

    Je cède d'abord la parole à Mme Deschamps, puis ce sera à M. Cotler.
    Mon intervention ne s'inscrit pas dans le sujet à l'étude, monsieur le président. En fait, nous arrivons souvent ici à 13 heures et nous sommes un peu bousculés parce qu'une autre réunion de comité se termine, mais si vous me le permettez, j'aimerais profiter du fait qu'on souligne aujourd'hui le 100e anniversaire de la Journée de la femme pour féliciter et encourager tout le personnel féminin qui travaille à la Chambre: nos analystes, les employées de la Chambre, de même que les femmes oeuvrant au sein des différents cabinets et bureaux de députés. Je crois que ça vaut la peine d'être souligné. Je tiens aussi à féliciter nos témoins femmes qui oeuvrent pour faire avancer notre société. Merci beaucoup.

[Traduction]

    Merci.
    C'est très pertinent. Il s'avère que nous avons deux analystes et une greffière à la table, toutes des femmes extrêmement compétentes. Je suis aidé de ma gestionnaire de bureau, Sonia Wayand, qui fait également du très bon travail. Toutefois, je vous prierais de ne pas faire de commentaires sur le sujet, étant donné que nous n'avons pas beaucoup de temps.
    Monsieur Cotler.

[Français]

    Je voulais aussi en parler, mais puisqu'on m'indique de ne pas le faire, je ne partagerai pas mes commentaires.

[Traduction]

    Pourrions-nous également prendre quelques instants pour discuter de la motion sur l'Iran dont nous avons été saisis la semaine dernière?
    Voyons voir. Si tout le monde veut la modifier, je préférerais que nous reportions son étude à jeudi, mais nous allons vérifier.
    Avez-vous eu la possibilité d'y jeter un coup d'oeil? Êtes-vous disposés à l'adopter sans amendement? Sinon, je préférerais que nous y revenions jeudi, compte tenu du peu de temps dont nous disposons aujourd'hui.
    Nous devrions au moins en discuter.
    Très bien.
    Nous pouvons donc réserver la motion jusqu'à jeudi, monsieur Cotler?
    Pourquoi pas demain?
    J'allais en parler à huis clos.
    Merci beaucoup à nos témoins.
    Madame Stoyles, c'est vous qui ouvrez le bal.

[Français]

    Distingués membres de ce comité, je vous remercie beaucoup de nous avoir donné cette occasion de discuter avec vous, encore une fois, de la façon de s'assurer que les survivants des plus graves violations des droits de la personne, comme la torture, ont la possibilité de recourir au système judiciaire canadien quand les autres possibilités ont été épuisées.

[Traduction]

    Je tiens à vous remercier, membres distingués du comité, de me donner la possibilité aujourd’hui de faire le point sur la situation, après que le CCJI eut comparu devant votre comité en avril 2009. J’avais témoigné en compagnie de quelques conseillers du CCJI, de Stephan Kazemi et de ses avocats pour discuter d’une question très importante, la nécessité de modifier la Loi canadienne sur l’immunité des États.
    Pour vous rafraîchir la mémoire, sachez que j’exerce les fonctions de directrice générale au sein du Centre canadien pour la justice internationale ici à Ottawa. Le CCJI est une organisation caritative qui travaille auprès des survivants de la torture, des génocides et d’autres atrocités afin d’obtenir réparation et de traduire les auteurs de ces actes criminels en justice devant des juridictions pénales et civiles, autant au Canada qu’à l’étranger. J’ai d’ailleurs contribué à sa création.
    Je suis avocate et j'ai dirigé la campagne mondiale pour établir la Cour pénale internationale. L’été dernier, j’ai eu l’honneur de recevoir le prix Tarnopolsky des droits de la personne de l’Association du Barreau canadien et de la Commission internationale de juristes. Ce prix qui m’a été décerné démontre une reconnaissance de l’importance et de l’incidence croissante des efforts que nous déployons, nous et d’autres organisations semblables dans d’autres pays, pour mettre un terme à l’impunité des crimes internationaux tels que la torture et le génocide.
    Comme vous vous en rappellerez, en avril 2009, Stephan Kazemi a livré un témoignage très éloquent sur l’importance de la justice face à la torture brutale et au viol de sa mère alors qu’elle travaillait en Iran, en 2003. Elle a succombé à ses blessures, après que Stephan eut tenté en vain de la faire revenir au pays afin qu’elle puisse recevoir les soins nécessaires. Il n’a même pas pu rapatrier son corps afin de lui donner des funérailles décentes. Ni le gouvernement iranien ni les personnes impliquées dans ces atrocités n’en ont été tenus responsables. En fait, l’un de ces responsables a été promu, et il n’y a aucune possibilité d’obtenir justice en Iran.
    Stephan a expliqué avec beaucoup d’émotion à quel point les gens ne peuvent s’imaginer toute la douleur qu'on ressent lorsqu’on perd sa mère et son amour dans des circonstances aussi horribles. Pourtant, nous devons nous l’imaginer, car même si nous sommes tous ici dans le cadre de notre profession, nous avons aussi une famille, une mère, des enfants. Au-delà de ce que nous pouvons penser, cette histoire pourrait être la nôtre.
    Zahra Kasemi est loin d’être la seule personne à avoir été torturée et tuée à la prison bien connue d’Evin et ailleurs en Iran. Au moment où l’on se parle, des Canadiens et d’autres gens ayant une attache au Canada sont victimes de torture, de crimes contre l’humanité et d’atrocités à de nombreux endroits dans le monde. Nous observons la situation au Moyen-Orient ainsi que toute la violence et la brutalité qui sont perpétrées contre des innocents qui cherchent seulement à faire valoir leurs droits les plus fondamentaux, c’est-à-dire mettre fin à une dictature, implanter la démocratie et atténuer la pauvreté extrême.
    La raison pour laquelle ces crimes se perpétuent encore aujourd’hui, c’est que les auteurs de ces crimes en sont rarement tenus responsables devant des tribunaux. Il y a la nouvelle Cour pénale internationale de La Haye, mais sa compétence est limitée, tout comme son financement. Cela découle du fait que la plupart des crimes de torture et de guerre seront jugés devant des tribunaux nationaux partout dans le monde.
    Les tribunaux criminels doivent jouer un rôle très important, mais encore faut-il qu’ils puissent être en mesure de le faire, compte tenu du peu de ressources que le budget fédéral alloue aux procès subséquents sur les crimes de guerre au Canada. Les procès civils donnent la possibilité aux survivants et aux familles des victimes de se présenter eux-mêmes en cour. Ce n’est qu’au moyen d’un réseau mondial de mécanismes de responsabilité que l’on parviendra à dire aux individus comme les dirigeants de l’Iran et de la Libye, Mahmoud Ahmadinejad et Moammar Gadhafi respectivement, qu’ils ne peuvent pas torturer ni tuer des innocentes victimes dans le but de demeurer au pouvoir et d’avoir accès aux ressources et aux richesses de leur pays.
     Lors de notre dernière comparution, nous avons expliqué en détail à quel point les survivants de torture qui ont des liens importants au Canada et les membres de la famille des victimes, tels que Stephan Kazemi, ne peuvent pas intenter de recours en vertu de la Loi sur l’immunité des États du Canada. La loi a pour objectif de permettre aux autorités étrangères d’exercer leurs fonctions officielles sans crainte de poursuites. Toutefois, telle qu’elle est rédigée actuellement, la Loi sur l’immunité des États protège également le gouvernement et ses représentants contre les poursuites, et ce, même s’ils torturent et tuent un Canadien. Même si la loi renferme quelques exceptions, elle ne prévoit pas d’exception à la protection de l’immunité dans le cas d’actes de torture ou d’autres crimes internationaux graves.
     Depuis que nous avons comparu devant le sous-comité en avril 2009, nous avons été témoins de deux initiatives importantes destinées à remédier à la situation. Nous aimerions donc vous en parler aujourd’hui et discuter des prochaines étapes. Tout d’abord, il y a eu le dépôt du projet de loi C-483, Loi sur la réparation de crimes internationaux, qui permettra de s'attaquer au problème. Ensuite, la Cour supérieure du Québec a rendu une décision sur la question de l’immunité des États dans l’affaire Kazemi, vers la fin de janvier, invitant le Parlement à adopter le projet de loi C-483.

  (1310)  

    Le CCJI s’est réjoui lorsqu’on a déposé le projet de loi C-483 en première lecture, le 29 novembre 2009, et lorsqu’on l’a présenté de nouveau le 3 mai 2010. C’est le député libéral Irwin Cotler qui a déposé ce projet de loi d’initiative parlementaire, avec l’appui de députés de tous les partis, soit le député conservateur Scott Reid, le député néo-démocrate Paul Dewar et la députée bloquiste Francine Lalonde.
    Le projet de loi vise à modifier la Loi sur l’immunité des États afin d’empêcher les États étrangers de se prévaloir de l’immunité de juridiction devant les tribunaux canadiens dans les actions portant sur un génocide, un crime contre l’humanité, un crime de guerre ou des actes de torture perpétrés par ces États, lorsqu’on a épuisé toutes les voies de recours au pays. Autrement dit, Stephan Kazemi ou un survivant de torture pourrait poursuivre en justice des pays qui violent les droits de la personne comme l’Iran et chacun des tortionnaires impliqués.
    Dans votre rapport sur la situation en Iran, publié à la fin de décembre 2010, vous avez clairement démontré que vous compreniez l’importance qu'il y a à intenter des poursuites civiles au Canada contre les tortionnaires et les criminels de guerre et que la Loi sur l’immunité des États constituait un obstacle à la justice.
    Le CCJI appuie la recommandation 13 du rapport, selon laquelle le gouvernement du Canada retire complètement l’immunité de la Loi sur l’immunité des États aux fonctionnaires étrangers en cas de violations flagrantes des droits internationaux de la personne et reconnaît que le projet de loi C-483 permettrait d’atteindre cet objectif.
    À la fin de janvier, dans l’affaire Kazemi, la Cour supérieure du Québec a statué qu’il fallait modifier la loi en adoptant rapidement le projet de loi C-483. Cette décision a été rendue suite aux demandes du gouvernement iranien selon lesquelles ni le gouvernement ni ses représentants peuvent subir un procès au Canada pour avoir torturé et tué un Canadien, en vertu de la Loi sur l’immunité des États. Elle a donné lieu à des résultats très mitigés.
    Cela a entraîné des conséquences favorables pour Stephan Kazemi, mais compte tenu de l’approche trop étroite du tribunal, il est peu probable que d’autres victimes puissent avoir droit à un recours au Canada. La cour a accepté d’entendre la demande individuelle de Stephan, et c’est donc quelque chose d’extrêmement positif.
     Comme je l’ai déjà dit, la Loi sur l’immunité des États renferme plusieurs exceptions. L’une d’entre elles s’applique aux préjudices subis à l’extérieur du Canada, et c’est grâce à elle si la cause de Stephan peut être entendue. La Cour supérieure du Québec a statué qu’une demande peut être présentée par une personne au Canada qui a vécu un traumatisme important en raison de la torture d’un proche parent à l’étranger, comme ce fut le cas de Stephan. Il s'agit d’une interprétation très importante de cette exception de la Loi sur l’immunité des États qui, à moins d’être renversée en appel, deviendra le premier procès civil canadien pour torture commise à l’étranger.
    En même temps, la cour a conclu qu’il n’y avait aucune voie de recours pour une victime de torture qui meurt à l’étranger. Le préjudice n’a pas été subi au Canada, par conséquent, cela ne donne pas lieu à une nouvelle exception dans la Loi sur l’immunité du Canada. La cour a explicitement refusé d’y intégrer une nouvelle exception pour la torture. Étant donné que Zahra Kazemi a été torturée à l’extérieur du Canada, aucun recours ne sera possible dans son cas.
    Ce qui est malheureux, c’est que cette décision pourrait inciter les tortionnaires à tuer leurs victimes après les avoir torturées. Si Zahra avait survécu et avait pu revenir au pays, elle aurait probablement souffert de séquelles psychologiques au Canada à la suite de son expérience traumatisante. Elle aurait donc pu intenter des poursuites contre l'Iran, en vertu de cette décision de la Cour supérieure du Québec, en invoquant le fait que ses dommages correspondaient à l'exception prévue dans la Loi sur l'immunité des États.
    La cour a clairement indiqué qu'elle pouvait seulement invoquer les exceptions déjà prévues dans la Loi sur l'immunité des États. En refusant d'aller plus loin, de façon à ce que la décision s'applique au-delà des circonstances uniques de Stephan Kazemi, la cour invitait le Parlement à prendre les devants. Le projet de loi C-483 serait la solution, et les membres du comité qui comprennent l'importance qu'il y a à intenter des poursuites contre des gouvernements comme l'Iran sont les mieux placés pour modifier la loi canadienne à cet effet.
    Étant donné que le projet de loi C-483 n'est pas officiellement à l'étude de votre comité, nous aimerions que vous fassiez tout votre possible pour qu'il soit adopté.
    Premièrement, nous vous demandons de parler à vos chefs de parti respectifs et leur personnel de la nécessité de ce projet de loi.
    Deuxièmement, nous espérons que vous demanderez à d'autres membres de votre parti de parrainer ce projet de loi, et que vous ajouterez leur nom, par l'intermédiaire de la greffière, comme comotionnaires.
    Troisièmement, nous souhaitons que vous sensibilisiez les membres de votre parti à la nécessité d'adopter ce projet de loi. Je vous propose de le faire à l'occasion de réunions de caucus et de réunions de caucus régionales.

  (1315)  

    Nous avons organisé une activité qui se tiendra ce jeudi, à midi, et à laquelle prendra part Stephan Kazemi. Elle aura lieu au Press Club de la rue Sparks, et nous espérons que vous inviterez vos collègues à venir recueillir plus d'information sur la question. Bien entendu, vous savez mieux que nous comment obtenir le soutien de vos partis, et je suis certaine que vous apporterez beaucoup d'autres idées.
    Lorsque Stephan Kazemi a comparu devant le comité, il y a presque deux ans, il a indiqué que depuis la mort de sa mère, il avait passé tout son temps à essayer d'obtenir justice. Il a clairement précisé qu'il ne voulait absolument pas tirer un avantage financier de sa torture, et que la décision de la cour visait à tenir quelqu'un pour responsable afin qu'il puisse refaire sa vie. Devant les médias, Stephan a expliqué avec éloquence à quel point il avait espéré, et espérait encore, améliorer la situation des autres. Sa mère a défendu les droits des autres dans le cadre de son travail, et elle a payé de sa vie. Stephan veut donc s'assurer qu'il n'y ait pas d'autres gens, d'autres Canadiens, qui seront torturés, violés, battus et tués.
    Le projet de loi C-483 contribuerait énormément à l'atteinte de cet objectif. Nous espérons pouvoir compter sur chacun d'entre vous pour adopter cette mesure législative le plus rapidement possible, de sorte que les tortionnaires et les criminels de guerre ne pourront plus se dégager de toute responsabilité lorsqu'ils ordonneront de tels actes de violence ou y participeront.

  (1320)  

[Français]

    Je vous remercie beaucoup de votre attention et de votre assistance.

[Traduction]

    Merci, madame Stoyles.
    Monsieur Eisenbrandt, allez-y, je vous prie.
    Distingués membres du comité, je tiens également à exprimer mes remerciements sincères pour l'impulsion que vous avez donnée à la nécessité d'assurer aux victimes l'accès aux tribunaux civils canadiens pour poursuivre les gouvernements tortionnaires, comme celui de l'Iran, quand tous les autres recours sont épuisés. Nous vous sommes très reconnaissants de nous donner l'occasion de discuter avec vous de la façon d'atteindre cet objectif.
    Je suis depuis trois ans le coordonnateur juridique du Centre canadien pour la justice internationale, ou CCJI. Avant, j'ai été pendant plus de cinq ans le directeur juridique du Center for Justice and Accountability, un organisme américain sans but lucratif qui travaille aussi à prévenir la torture et d'autres violations graves des droits de la personne en aidant les survivants à faire répondre les auteurs de leurs actes devant la justice.
    J'ai travaillé, comme intervenant désintéressé dans l'affaire Kazemi, sur l'intervention du CCJI, pour laquelle j'ai fourni une analyse juridique de la question de l'immunité des États. En 2008, à l'Université d'Ottawa, j'ai également coordonné un atelier de théoriciens et de praticiens influents du droit, canadiens et étrangers, pour discuter des modifications qu'il fallait apporter aux lois canadiennes pour permettre aux survivants de la torture au Canada d'obtenir justice.
    Nous avons pensé, parce que nous appuyons le projet de loi C-483, que le comité aimerait entendre certains des principaux arguments en faveur du changement législatif qu'il représente et les réponses que l'on peut donner aux éventuelles questions ou craintes soulevées dans vos discussions avec vos collègues.
    Il importe d'abord de noter l'existence d'une tendance mondiale qui consiste à accorder de moins en moins l'immunité contre les poursuites au civil. La plupart des pays — y compris presque tous les pays de droit civil, c'est-à-dire les deux tiers de l'ensemble — n'ont pas de loi qui accorde l'immunité aux États étrangers. Beaucoup aussi autorisent les victimes à intenter des poursuites civiles en même temps que criminelles contre les tortionnaires et les criminels de guerre.
    Aux États-Unis, les tribunaux ont entendu des dizaines de poursuites contre les auteurs de tortures et d'autres atrocités. Dernièrement, la Cour suprême a jugé que la loi américaine sur l'immunité, qui ressemble beaucoup à la loi canadienne, n'accordait pas l'immunité aux agents pris individuellement. En Italie, la Cour suprême a jugé, à plusieurs reprises, que l'Allemagne n'était pas à l'abri des poursuites contre les abus commis pendant la période nazie. Au Royaume-Uni, même si la Chambre des lords a fait jouer l'immunité dans un cas de torture, cette décision est actuellement contestée à la Cour européenne des droits de l'homme.
    Un comité important des Nations Unies a souligné l'existence de la tendance qui fait que l'on accorde de moins en moins l'immunité et il a signalé que le Canada n'honorait pas ses obligations juridiques internationales à cet égard. En 2005, le Comité des Nations Unies sur la torture, qui était chargé de superviser la mise en oeuvre de la Convention contre la torture, a clairement dit qu'elle exigeait de tous les États qu'ils accordent des recours au civil aux survivants de la torture.
    Le Canada et la plupart des autres pays ont ratifié la convention. Le comité a incité vivement le Canada à assurer la possibilité, pour toutes les victimes de torture, d'être indemnisées au civil. Cette sortie suivait de peu un jugement de la Cour d'appel de l'Ontario qui avait constaté que la Loi canadienne sur l'immunité des États interdisait à l'Iranien Houshang Bouzari, maintenant citoyen canadien, le droit d'intenter une action contre l'Iran pour torture. À notre dernière comparution, nous avions décrit cette affaire. Autrement dit, le comité des Nations Unies disait que le Canada ne devait pas accorder l'immunité aux tortionnaires. Ces dernières années, il a réaffirmé auprès de plusieurs autres pays sa position selon laquelle il faut accorder à toutes les victimes de torture, l'accès à la justice, conformément à la convention.
    La tendance consistant à accorder de moins en moins l'immunité au civil fait suite à la même tendance observée dans la plupart des procès criminels contre les auteurs d'atrocités portant atteinte aux droits de la personne, tant à l'étranger qu'au Canada. Le Statut de la Cour pénale internationale ainsi que les lois canadiennes et étrangères qui autorisent des procès au criminel contre les criminels de guerre privent explicitement de l'immunité les fonctionnaires de tous les rangs. Il en découle naturellement que l'immunité n'interdit pas les actions intentées au civil contre les mêmes actes.
    Un deuxième point en faveur du projet de loi C-483 est que les parlementaires canadiens ont déjà reconnu la nécessité d'instituer des exceptions à la Loi sur l'immunité des États, alors qu'elle est déjà assortie de plusieurs exceptions et qu'une autre exception est à l'étude.

  (1325)  

    L'une des exceptions dont la loi est déjà assortie concerne l'activité commerciale. Une deuxième, celle dont nous discutions, dont s'est prévalue la Cour supérieure du Québec pour accorder à Stephan Kazemi la possibilité d'un recours, réside dans le fait d'avoir subi des blessures ou des dommages matériels au Canada.
    Ces dernières années, on a également tenté, à la faveur de projets d'amendement, les plus récents étant notamment les projets de loi C-35, S-7 et C-408, d'instituer une exception à la doctrine de l'immunité des États pour le terrorisme.
    En juin 2009, le ministre de la Sécurité publique de l'époque, Peter Van Loan, a saisi le Parlement du projet de loi C-35, Loi visant à décourager le terrorisme et modifiant la Loi sur l'immunité des États, dont l'un des principaux objectifs était d'instituer une exception dans la loi pour ne plus empêcher des actions en justice au Canada contre des gouvernements étrangers ayant commis certains actes terroristes.
    Le projet de loi S-7 est un projet identique, déposé après la prorogation du Parlement. Le sénateur Marjory LeBreton l'a déposé au Sénat en avril 2010. Il vient d'être adopté par le Sénat et il a franchi l'étape de la première lecture à la Chambre des communes. Il autorise des actions en justice contre les auteurs d'actes présumés de terrorisme commis depuis le 1er janvier 1985, l'année de l'explosion de l'avion d'Air India, dans laquelle 280 Canadiens ont trouvé la mort.
    Quant au projet de loi C-483, c'est une suite naturelle des dispositions en vigueur. Si on peut poursuivre un État étranger pour ses activités commerciales ainsi que pour les blessures et les morts qu'il cause au Canada, pourquoi pas s'il a torturé et tué des Canadiens à l'étranger? Si on parvient à instituer une nouvelle exception contre le terrorisme, on devrait l'accompagner d'une exception concernant la torture et d'autres infractions de même envergure au droit international.
    Un troisième argument en faveur du projet de loi est sa puissance de dissuasion contre la torture, les crimes de guerre et d'autres atrocités. Tout au long de l'histoire, on a commis ces crimes épouvantables sans crainte de devoir en répondre. Mais, ces dernières années, le vent a commencé à tourner, grâce à la constitution de la Cour pénale internationale et à des actions intentées au criminel et au civil dans le monde entier.
    Si les gouvernements et leurs agents savent qu'ils seront traduits en justice, ils seront moins susceptibles de commettre des abus. On ne pourra pas prévenir complètement la commission de ces crimes internationaux, pas plus que nos lois nationales ne permettent de prévenir la commission de tous les crimes sur notre sol. De la même manière, on peut seulement imaginer combien plus de crimes seraient commis si le pays n'avait ni police ni justice pour appliquer la loi. La même logique joue à l'échelle internationale. S'il était le moindrement possible, grâce à des mesures d'application internationale plus énergiques de contribuer à prévenir d'autres Darfour, Congo ou Birmanie, nous devons faire tout notre possible pour que justice soit faite.
    Enfin, il importe de noter que le projet de loi C-483 lèvera l'immunité et permettra ainsi des poursuites au civil contre quatre atteintes aux droits de la personne déjà criminalisées au Canada, c'est-à-dire la torture, le génocide, le crime contre l'humanité et le crime de guerre. Le Parlement les a déjà criminalisées dans le Code criminel et dans la Loi sur les crimes contre l'humanité et crimes de guerre, adoptée en 2000, en même temps qu'il ratifiait le traité sur la Cour pénale internationale. En amendant la Loi sur l'immunité des États, le projet de loi C-483 permettrait simplement aux survivants d'obtenir réparation, y compris indemnisation, des États qui commettent ces crimes.
    Voilà les principaux arguments que peuvent invoquer les partisans du projet de loi C-483, que ses rédacteurs ont particulièrement veillé à protéger contre d'éventuelles contestations. J'aborderai brièvement deux caractéristiques principales du projet de loi à cet égard.
    D'abord, pourrait-on craindre que l'amendement ne donne libre cours à la marée des rancoeurs accumulées à l'étranger qui, ainsi, inonderaient les tribunaux canadiens de demandes de poursuites contre les atteintes aux droits de la personne? La réponse est non. Le nombre de poursuites sera limité. Comme dans toutes les affaires civiles au Canada, il faudra montrer aux juges l'existence d'un lien avec le Canada et la province où la justice est saisie de l'affaire. Même dans ce cas, la poursuite n'aura lieu que si la meilleure juridiction est canadienne. Si un autre pays est mieux en mesure de connaître la cause, peut-être du fait de l'endroit où se trouvent les éléments de preuve et les témoins, et s'il protège les droits à l'application régulière de la loi, le tribunal canadien peut rejeter la poursuite. Les tribunaux canadiens accepteront donc seulement les causes pour lesquelles ils sont la meilleure juridiction ou le dernier recours.

  (1330)  

    La terminologie employée dans le projet de loi C-483 confirme explicitement que les poursuites contre les crimes de torture et d'autres crimes internationaux graves ne seront autorisées qu'une fois tous les recours invoqués et épuisés dans le pays où ces crimes ont eu lieu. Tout avocat plaidant au civil, au Canada, avertira son client de ces limites.
    Le nombre de poursuites sera également limité par le fait que la preuve nécessaire est souvent difficile à rassembler, à cause de la mauvaise volonté évidente des autorités du pays visé. Il est également difficile de trouver des témoins et d'assurer leur protection. Les traumatismes psychologiques subis par la plupart des survivants à la torture constituent un autre obstacle, et beaucoup de personnes n'ont pas les ressources pécuniaires nécessaires.
    Le nombre de cas dont on a autorisé l'instruction, à l'étranger, dans les pays qui permettent les poursuites au civil contre la torture et d'autres atrocités a été limité, probablement en raison de la réunion de certains de ces facteurs. En même temps, beaucoup de survivants avec qui nous sommes en rapport parlent de l'importance que l'on sache que les tribunaux canadiens sont disposés à accueillir ce genre de poursuites, même si, eux-mêmes, n'en intenteront pas.
    Un autre argument contre l'amendement de la Loi sur l'immunité des États découlerait des conséquences perçues pour les relations diplomatiques et commerciales du Canada si le Parlement manifestait l'intention de poursuivre les gouvernements étrangers et leurs agents de manière individuelle. Pour y répondre, on peut mentionner, comme je l'ai fait, que la plupart des pays n'ont pas de loi comparable à la Loi sur l'immunité des États, qui protège les États étrangers contre les procès et que des tribunaux civils ont refusé d'appliquer l'immunité contre des poursuites visant les violations les plus graves des droits de la personne. Manifestement, ces pays ne sentent pas que leurs intérêts commerciaux et diplomatiques sont menacés par la possibilité qu'un de leurs citoyens poursuive l'Iran ou d'autres pays qui bafouent les droits de la personne.
    Les modèles américain et italien montrent que, bien que certains pays aient protesté contre les poursuites qui les visaient, eux ou leurs agents, peu de choses indiquent qu'elles ont conduit à d'importantes représailles diplomatiques. En outre, le nombre de cas contre les alliés du Canada qui assurent des recours convenables par leurs propres tribunaux n'a pas explosé. Comme je l'ai mentionné, les tribunaux canadiens peuvent refuser d'entendre ces affaires. Quant aux pays qui ne sont pas nos bons alliés et qui ne respectent pas les droits de leurs citoyens, les poursuites au civil constituent un autre moyen efficace de les convaincre de changer leurs méthodes.
    Si, de la sorte, on atteint l'objectif qui est de décourager désormais les abus, les Nations Unies et les ministères des Affaires étrangères des différents pays devront s'occuper d'un moins grand nombre de situations de violation des droits de la personne susceptibles de créer des imbroglios diplomatiques.
    Vous pourrez aussi signaler à vos collègues que la Loi sur l'immunité des États, dans sa version actuelle, a permis de plonger le gouvernement du Canada dans une situation très embarrassante et franchement scandaleuse. Votre comité a entendu Stephan Kazemi, un Canadien, décrire comment la torture et la mort de sa mère canadienne lui avaient causé, alors qu'il était dans la fleur de l'âge, tant d'années de souffrance et de douleur. La même année, il s'est adressé aux tribunaux pour obtenir justice, au prix d'un coût émotif important, avec l'appui des maigres ressources de deux organismes caritatifs canadiens, le CCJI et Amnistie Internationale. Il devait affronter, pour faire reconnaître son droit à poursuivre les auteurs des tortures et du meurtre de sa mère, le gouvernement canadien qui, avec l'argent des contribuables, se sentait obligé de défendre sa loi, la Loi sur l'immunité des États.
    Le Canada s'est donné beaucoup de peine pour expliquer qu'il ne tolérait pas la série d'atteintes aux droits de la personne qu'avait commises le gouvernement de l'Iran, mais en pratique, sa conduite contribue à la commission d'abus contre les droits de la personne. En ce moment même, on viole, on bat et on tue dans les prisons iraniennes. Plutôt que de chercher à obtenir le rejet de ces affaires qui mériteraient d'être poursuivies, le Canada a le pouvoir et l'obligation de contribuer à mettre fin à ces abus.
    Nous espérons que la signification, en nombre de vies humaines, du projet de loi C-483 sera l'image que vous en conserverez et que vous agirez sans esprit de parti pour en assurer la prompte adoption. Nous avons apporté des documents et la copie de nos déclarations pour vous aider dans votre travail.
    Merci beaucoup de l'occasion que vous m'avez offerte de discuter de cette question très importante avec vous.

  (1335)  

    Merci à nos deux témoins.
    Comme le temps va nous manquer — il est déjà 13 h 35 — il faudra limiter la durée de chaque intervention, y compris les réponses, à six minutes. Prière donc de ne pas oublier. Je serai inflexible à cet égard, en raison de l'autre question dont nous devons discuter et du temps qu'exige la poursuite de la séance à huis clos.
    Nous commençons avec M. Cotler.
    Merci, monsieur le président.
    Je féliciterai d'abord les témoins, non seulement pour leur témoignage d'aujourd'hui, mais également parce qu'ils sont, après toutes les discussions et tous les échanges sur la question, une source d'inspiration pour moi, pour l'adoption du projet de loi C-483. Toutes mes félicitations pour votre engagement indéfectible à l'égard de ce type d'initiative législative.
    Comme vous l'avez dit, à l'échelle mondiale, on protège de moins en moins l'immunité. Si vous me permettez une citation de votre témoignage: « La plupart des pays n'ont pas de loi qui accorde l'immunité aux États étrangers. Beaucoup aussi autorisent les victimes à intenter des poursuites civiles en même temps que criminelles contre les tortionnaires et les criminels de guerre ».
    Vous avez mentionné les États-Unis, l'Italie et le Royaume-Uni. Pouvez-vous nous en dire davantage sur les leçons que nous pouvons tirer de ces pays? Vous n'avez pas mentionné le fait que le nombre de problèmes diplomatiques n'avait pas explosé, ce qui est une complication que peuvent craindre certains de mes collègues. Ces affaires, le traitement qu'on leur a réservé ou le jugement récent de la Cour suprême des États-Unis ont-ils donné lieu à des enjeux juridiques particuliers qui pourraient nous aider à montrer la nécessité d'une telle loi au Canada?
    Ces affaires soulèvent de nombreuses questions juridiques. Le principal obstacle, dans tous les cas, est l'immunité. Un obstacle que le projet de loi C-483 supprimerait immédiatement, ce qui nous permettrait ensuite de passer à d'autres problèmes juridiques.
    Prenons la Cour suprême des États-Unis. Elle a pu examiner le long historique des poursuites civiles intentées dans ce pays contre ceux qui foulent aux pieds les droits de la personne et décider, bien à l'aise, que la Foreign Sovereign Immunities Act n'assurait pas l'immunité, que les relations diplomatiques n'avaient pas souffert et que le nombre de poursuites aux États-Unis n'avait pas explosé. En une vingtaine d'années, il s'est créé une jurisprudence importante pour les survivants à la torture et à d'autres atrocités, mais elle s'appuie sur un nombre limité d'affaires de portée limitée. La cour a pu examiner la question et décider qu'il n'y avait aucune justification pour l'immunité en vertu de la loi en question. En Italie, on arrive à une conclusion encore plus importante, c'est-à-dire que ces crimes ne peuvent tout simplement pas procurer l'immunité. C'est ce que nous-mêmes essayions de faire valoir, et c'est un point essentiel — il ne s'agit pas d'actes de souveraineté. Le but de la notion d'immunité est de protéger les autres gouvernements contre les poursuites touchant des actes de souveraineté. Cependant, la torture, le crime de guerre et le génocide sont interdits au souverain. Les tribunaux italiens ont franchi un pas énorme quand ils ont reconnu cela.

  (1340)  

    Vous dites également que, au Canada, en 2000, nous avons criminalisé le crime de guerre, le crime contre l'humanité et le génocide. Pourtant, nous n'avons pas adopté de lois analogues en matière civile ou en matière de recours. Les gouvernements tendent à s'appuyer sur l'avis juridique de leurs ministères de la justice et des affaires extérieures pour déterminer s'ils doivent s'engager dans cette voie. Avez-vous tenu des discussions avec le ministère de la Justice ou celui des Affaires étrangères sur ces questions? Avez-vous observé une évolution de leurs mentalités? Peut-être qu'en 2000 ils n'étaient pas prêts, mais l'évolution observée au cours de la dernière décennie, à l'échelle internationale et dans les tribunaux canadiens, vous amène-t-elle à penser qu'ils sont maintenant mûrs?
    Malheureusement, il ne vous reste que 90 secondes.
    Je crois que l'adoption de la nouvelle loi sur les crimes de guerre remonte à 2000, bien sûr, parce que le Canada avait ratifié le traité sur la Cour pénale internationale et avait l'obligation de mettre en oeuvre les dispositions du traité dans la loi canadienne. Par conséquent, on a examiné les affaires criminelles et l'expérience du Canada en matière de poursuites criminelles et, avec cette loi, on a suivi la tendance mondiale pour ce type de crimes, tendance voulant très clairement que personne ne jouisse de quelque immunité que ce soit. Ce n'est pas parce qu'il n'y a pas eu, à l'époque, d'affaires civiles que la question ne suscitait pas d'intérêt; on venait tout simplement de ratifier un traité international et il fallait le mettre en oeuvre.
    Lorsque nous avons soulevé ces problèmes devant le ministère des Affaires étrangères, nous avons senti une nette ouverture à la discussion. Il y a eu une rencontre au cours de laquelle nous avons discuté de certaines questions, comme celles abordées dans ce comité. Je crois que la principale préoccupation concerne l'incidence éventuelle sur les affaires étrangères, les relations diplomatiques et le commerce. Je pense que nous avons des réponses très claires à ces questions, comme nous l'avons expliqué. Il nous suffit donc d'assurer un suivi. Bien sûr, si vous cherchez à obtenir des conseils auprès de ces gens, nous fournirons le même type de matériel.
    Je crois qu'on a très bien expliqué que, tout au long de cette période, les dossiers entourant le statut du droit international en matière d'immunité dans les causes civiles ont beaucoup progressé. Il y a des chances que les choses bougent et qu'on soit davantage porté à appuyer ce genre d'initiative.

[Français]

    Madame Deschamps, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    D'entrée de jeu, j'aimerais dire que notre parti va appuyer le projet de loi de M. Cotler.
    Comme vous l'avez précisé, madame Stoyles, en 2005, ma collègue Francine Lalonde demandait déjà au gouvernement de modifier la Loi sur l'immunité des États pour permettre aux victimes de torture dans des pays étrangers de réclamer des dédommagements.
    Si ma mémoire est exacte, en 2005, le Comité contre la torture, des Nations Unies, reprochait déjà au Canada son inaction sur le plan législatif pour ce qui est de venir en aide aux victimes de torture.
    J'aimerais reprendre le cas de Mme Kazemi, si vous me le permettez. Les avocats de M. Hashemi, qui est son fils, plaident l'inconstitutionnalité de la loi actuelle, et les engagements internationaux du Canada pour lutter contre la torture devraient l'obliger à lever l'immunité des États tortionnaires.
    Le juge Robert Mongeon, de la Cour supérieure, est actuellement saisi de la cause et devra décider si la loi, dans sa forme actuelle, viole la Charte canadienne des droits et libertés. Si c'était le cas, que cela pourrait-il signifier dans la suite des choses?

[Traduction]

    Il reste à savoir si la Loi sur l'immunité des États, dans sa forme actuelle, est constitutionnelle et conforme aux normes internationales. Comme vous l'avez indiqué, lorsque le Comité contre la torture des Nations Unies a dit, au sujet d'une affaire antérieure — l'affaire Bouzari —, que le Canada était en contravention de ses obligations en vertu de la convention contre la torture parce qu'il n'accordait pas d'indemnisation à toutes les victimes, il réagissait à la décision de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Bouzari.
    C'est la même chose dans l'affaire Kazemi, même si les circonstances sont légèrement différentes, parce que bien sûr, Mme Kazemi était Canadienne à l'époque où elle a été violentée. Cette cause est d'ailleurs toujours en appel. Comme nous l'avons expliqué, Stephan a été autorisé à aller de l'avant. Mais on n'a pas tenu compte des mauvais traitements qu'avait subis Zahra Kazemi, à l'époque, pour se prévaloir d'un droit en vertu de la Loi sur l'immunité des États, parce que le tribunal avait refusé de reconnaître l'exception qui s'applique dans les cas de torture. On va interjeter appel de toutes ces décisions. Par conséquent, rien n'est encore joué.
    Qu'est-ce que cela signifie pour nous? Cela nous permettra de donner à un certain nombre de clients qui viennent nous consulter l'espoir d'obtenir réparation. Le nombre de cas n'est pas énorme, mais quelques clients pourraient avoir droit à une réparation. Dans la plupart des cas, l'absence de témoins, le traumatisme psychologique, le manque de ressources financières et d'autres facteurs sont autant d'obstacles au lancement de procédures judiciaires. En même temps, les clients qui viennent nous voir et qui ont subi ce genre d'abus ou qui viennent de pays comme l'Iran, où les droits de la personne sont constamment bafoués, veulent simplement voir si justice peut être rendue, si les tribunaux canadiens défendront leurs droits et s'il y a moyen de lancer des procédures au Canada.
    Je crois que cela redonnerait espoir à de nombreux survivants au Canada. Il y a au moins un million de personnes, dans notre pays, touchées par ces problèmes. Cela enverrait un signal puissant sur le parti qu'a pris le Canada de défendre les droits de la personne dans le monde et non ceux des tortionnaires.

  (1345)  

[Français]

    Je ne sais pas si monsieur voulait ajouter quelque chose à ce sujet.

[Traduction]

    Je trouve que Jayne a bien expliqué le problème et l'espoir que la résolution de ces affaires pourrait susciter, même chez les gens qui ne se lanceront pas personnellement dans des poursuites judiciaires. Comme nous l'avons dit, le nombre d'affaires qui aboutiront, si on se fie à l'expérience d'autres pays, sera relativement modeste, mais l'incidence sur les autres survivants ainsi que sur les actions menées dans d'autres pays seront très importantes.
    Et j'aimerais ajouter, à propos de la réponse du Comité contre la torture face à la position du Canada dont vous avez fait état, que le comité en question a insisté sur l'obligation d'accorder réparation et de donner accès à la justice à tous les survivants d'actes de torture. Le comité a réitéré sa position auprès de plusieurs autres pays, après l'affaire impliquant le Canada, de sorte qu'il ne s'agissait pas d'une conclusion circonstancielle. Cela a été répété à de nombreuses occasions par la suite.

[Français]

    Me reste-t-il du temps?
    Le président: Vous disposez d'encore 45 secondes.
    Mme Johanne Deschamps: Afin d'éviter qu'on se confonde dans cet aspect juridique et constitutionnel, si je puis dire, j'aimerais savoir si cela pourrait permettre, par exemple, à des citoyens d'autres pays de poursuivre le Canada à partir de leur pays d'origine.

[Traduction]

    Les poursuites judiciaires contre le gouvernement du Canada sont régies par un ensemble de règles totalement différent. Cette mesure législative s'applique à des situations survenues à l'étranger, et l'amendement dont nous parlons viserait des gouvernements étrangers.
    Mme Johanne Deschamps: Merci.
    Monsieur Marson, allez-y, s'il vous plaît.
    Je vous remercie pour votre exposé. C'est un plaisir que de vous revoir parmi nous.
    Je suis très impressionné par le travail que fait cette organisation, aux côtés d'Amnistie Internationale, dans la bataille qu'elle a entreprise. Le fait qu'on puisse envisager qu'une nation souveraine ait le droit souverain de torturer des gens, et qu'on doive même en discuter est, en soi, absolument abject.
    Nous avons un réel problème. Le projet de loi C-7 attend d'être débattu en Chambre. Le projet de loi C-35 est mort au Feuilleton lors de la prorogation. Le projet de loi C-483 risque de subir le même sort en raison du déclenchement possible d'élections. Mais je tiens à dire, au nom de mon parti, que s'il y a des élections et que si les braves gens d'Hamilton Est—Stoney Creek me réélisent, je vais travailler, je suppose, avec les membres de ce comité pour que le projet de loi C-483 renaisse de ses cendres.
    Mais je crois que nous devons également discuter de la possibilité de rendre cette mesure législative aussi complète que possible, en incluant les éléments positifs qui se perdent quand un gouvernement minoritaire est au pouvoir. C'est très important, et je tenais à prendre cet engagement devant vous aujourd'hui. Je viens de regarder mes collègues d'en face, et je vois mes amis hocher la tête en guise d'approbation.
    L'autre question que nous, membres du Parlement, devons régler, c'est la détermination des priorités. Parce que quand on veut déposer un projet de loi d'initiative parlementaire, comme moi, attendre d'arriver à 163, c'est long... Nous devrions donc nous assurer qu'un projet de loi de cette importance sera traité en priorité; et je m'engage également à travailler avec mon leader parlementaire afin d'obtenir le consentement unanime de mes collègues pour que cette mesure législative soit examinée plus tôt, quelle que soit la liste des priorités.
    Je voudrais savoir si on a tenu compte des risques auxquels seraient exposés les Canadiens travaillant dans des pays comme l'Iran, la Libye ou peut-être la République démocratique du Congo — j'ai vraiment du mal à parler de république « démocratique » pour le Congo — , si ces changements dans la loi étaient adoptés. A-t-on une idée du type de réactions que cela pourrait provoquer? Cela m'inquiète et j'aimerais avoir une réponse, s'il vous plaît.

  (1350)  

    Permettez-moi, pour commencer, de vous remercier de tout mon coeur pour vos manifestations d'appui.
    Nous savons qu'il y a des élections dans l'air et que les gens commencent à se préparer à cette éventualité. Mais nous avons pensé qu'il était très important de saisir l'occasion de venir vous rencontrer. Nous savons que votre comité a entendu parler de ce problème auparavant, qu'il a examiné la situation et qu'il s'est prononcé en faveur du projet de loi C-483. Nous espérons poursuivre sur notre lancée après les élections, s'il y en a, et si vous êtes tous réélus, vous travaillerez encore avec nous, tous partis confondus, et nous soutiendrez dans la cause que nous défendons.
    C'est vraiment l'espoir que nous avions aujourd'hui, sachant que vous avez déjà appuyé cette mesure législative; et nous vous demandons de songer à travailler activement sur ce projet de loi, à le défendre et à en faire une priorité, comme vous l'avez dit. Je vous suis très reconnaissante de ce que vous faites.
    Quant à savoir si des mesures de représailles pourraient être prises à l'encontre de ressortissants canadiens, je crois que la chose la plus importante à retenir, c'est que nous parlons ici de supprimer l'immunité pour les cas de torture, de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de génocide. Un autre pays pourrait se pencher sur la décision du Canada et dire: « Eh bien, vous avez créé une exception dans votre Loi sur l'immunité des États pour ces questions, et nous allons en faire autant ». Nous parlons toujours de Canadiens impliqués dans les crimes les plus sérieux qui soient aux yeux de la communauté internationale. Bien sûr, le Canada a l'obligation de faire enquête au sujet de ces allégations et de traduire les responsables en justice, si ces allégations s'avéraient. Cette obligation existe déjà en vertu de nombreux autres traités.
    Ce qui me préoccupe, c'est que si vous prenez un pays comme l'Iran, actuellement, au lendemain d'élections et avec l'arrivée des dirigeants de l'insurrection — comme ils les appellent... Le régime applique des lois antidrogue pour briser la jeunesse. Il pend une personne toutes les huit heures. Alors, c'est bien beau et important de parler de ce que font nos tribunaux, mais pendant ce temps, sur le terrain, les risques sont énormes face à des gens prêts à tout et à n'importe quoi.
    La Libye est un autre exemple; quand on voit ces avions, à la télévision, bombarder et mitrailler les populations civiles... On se rend compte qu'on a affaire à un leader — et je n'aime pas l'appeler ainsi — qui tient son pays d'une main de fer et qui est prêt à éliminer ses propres concitoyens. C'est ce genre de protagonistes, un peu partout dans le monde, qui nous inquiètent. Vous disiez qu'ils se débarrassaient des victimes pour détruire toutes les preuves. C'est très préoccupant.
    Je suis d'accord avec vous que nous devons poursuivre la bataille, parce que la dynamique est enclenchée. Notre pays a hésité à signer les accords sur la torture. Il a pris énormément de temps à le faire, ce qui nous a mis dans l'embarras. Mais le moment est propice pour agir.
    Je n'ai pas d'autres questions, monsieur le président.
    Je vous remercie beaucoup, monsieur Marston.
    Je pense que M. Hiebert est le prochain sur ma liste.
    Je vous remercie pour cet exposé si détaillé. J'ai pris beaucoup de notes. Honnêtement, je n'ai pas beaucoup de questions, parce que vous avez répondu à la plupart de mes interrogations.
    Quels sont les arguments contre les changements proposés au projet de loi C-483? Il me semble que les gens autour de cette table, et même au-delà des murs de cette salle, sont favorables à ces modifications. Qui pourrait être contre l'idée d'étendre l'application de la Loi sur l'immunité des États aux responsables qui ont permis ou commandité ces atrocités?
    Sans vouloir me répéter, je dirais que les deux éléments dont j'ai parlé à la fin de mon exposé sont vraiment ceux qui ont le plus suscité de discussions. Le premier consiste à savoir si cela aura pour effet d'ouvrir les vannes et d'entraîner un déluge de procédures. D'après mon expérience, je crois qu'il n'en sera rien.
    D'un autre côté, comme l'a souligné M. Cotler, il est question de l'incidence que cela pourrait avoir sur les relations diplomatiques et commerciales. Je crois vraiment, à la lumière de l'expérience de pays comme l'Italie ou les États-Unis, que la possibilité que cela se produise est très limitée. Il a pu y avoir des plaintes sur des cas particuliers, ici et là, mais il n'y a pas eu de répercussions majeures.
    De plus, si nous craignons que nos alliés soient traînés devant la justice, ici au Canada, il existe de nombreux outils à la disposition des tribunaux, que ces derniers n'ont pas du tout honte d'utiliser s'ils considèrent qu'un cas devrait être traité ailleurs ou qu'un autre pays serait mieux placé pour s'en occuper. Les tribunaux sont très bien équipés pour ce genre de choses.
    Je ne sais pas si vous aviez une question plus précise à ce sujet ou si cette réponse vous satisfait.

  (1355)  

    J'avais relevé ces deux interventions à la fin de votre exposé. Je me demandais seulement si on pouvait invoquer d'autres arguments. Vous me dites, en substance, qu'il n'y aurait aucune autre raison valable de s'opposer à l'adoption de ces amendements.
    Comme l'a fait remarquer M. Marston, on se préoccupe parfois de ce qui pourrait arriver aux ressortissants canadiens à l'étranger, et de la situation en Iran, en Libye et ailleurs. Je crois que la réaction est pratiquement à l'opposé de ce à quoi on s'attendait. Actuellement, nous sommes en train d'assister à la perpétration d'actes de violence, exactement comme ceux qu'a subis Zahra Kazemi dans la prison Evin à de multiples reprises. Et comme nous pouvons l'observer, la Lybie et d'autres sont en train de commettre ce genre de violations des droits de la personne, de façon aveugle et sur une grande échelle.
    Nous pouvons vraiment envoyer un message fort pour dire que ce ne sera plus toléré, désormais. C'est très nouveau. Cela ne fait que 10 ou 15 ans que nous nous sommes dotés d'institutions internationales pour appliquer ces lois. Il y a la Cour pénale internationale et quelques instances pénales nationales qui s'occupent de ces questions. L'idée d'engager des poursuites civiles donne une autre opportunité, particulièrement lorsqu'on n'a pas les ressources nécessaires pour entreprendre des poursuites criminelles, parce que ce sont les gouvernements qui les financent. Les poursuites civiles permettent d'enclencher un autre mécanisme pour traduire les responsables en justice, leur demander des comptes et envoyer un message clair.
    Je crois que c'est vraiment la réponse la plus importante que nous puissions donner. Nous avons l'occasion de faire des économies, dans nos budgets, et de ne pas réagir trop timidement ni trop tard aux atrocités commises dans le monde. Nous avons la possibilité de sauver des vies grâce à ces mesures dissuasives.
    Avant de céder le temps qu'il me reste à M. Sweet, je vais vous poser une question brève.
    Pensez-vous qu'il pourrait être difficile d'appliquer des jugements favorables aux plaignants, dans ces poursuites civiles?
    Il ne fait aucun doute que l'application des décisions de justice et l'imposition de mesures de réparation sont toujours difficiles. Mais il y a quelques aspects différents à prendre en compte dans ces cas, qui sont importants, même s'ils ne s'appliquent pas toujours. Il se produit un effet dissuasif dès qu'un pays ou un responsable de ce pays doit se présenter devant un tribunal et répondre à des allégations à son sujet. L'effet dissuasif est encore plus fort quand les plaignants peuvent obtenir réparation et que les pays se voient imposer des sanctions pécuniaires.
    Quant à l'importance que cela revêt aux yeux des survivants de ces crimes, je vous dirais que j'ai travaillé avec beaucoup de survivants qui m'ont dit que même si la justice ne leur donnait pas raison, d'une manière ou d'une autre, le simple fait de pouvoir s'adresser aux tribunaux pour raconter leur histoire constituait une victoire énorme et une étape de plus dans leur processus de reconstruction personnelle. Par conséquent, la possibilité de s'adresser aux tribunaux, dans un pays comme le Canada, de raconter son histoire et d'avoir accès à un système judiciaire équitable qui rendra une décision, est à leur yeux plus important que tout.
    Pour ce qui est de l'application des dispositions du jugement, il suffit de voir ce qui se passe dans n'importe quel autre pays dans le monde où ces États ont des intérêts. La plupart d'entre eux ont des intérêts au Canada, aux États-Unis et en Europe de l'Ouest, de sorte qu'il est possible de faire appliquer les jugements. Même si on ne peut pas le faire dans le pays lui-même, il y a toujours moyen de s'en prendre à d'autres avoirs et de faire appliquer le jugement, c'est-à-dire d'obtenir des réparations pour les survivants.

  (1400)  

    Nous venons d'arriver au terme des six minutes allouées au Parti conservateur. Monsieur Sweet, vous ne pouvez donc pas poser de questions supplémentaires.
    Je tiens à remercier nos témoins d'être venus aujourd'hui. Vous avez été très précis dans vos interventions. Nous vous sommes vraiment reconnaissants de votre participation.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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