Les comités / Ingérence dans les délibérations d'un comité

Assermentation de témoins; prestation de serment de hauts fonctionnaires; droits et pouvoirs des comités; critique formulée par un ministre à l'égard de la conduite des travaux d'un comité

Débats, p. 4265-4266

Contexte

Le 28 janvier 1987, le Comité permanent du travail, de l'emploi et de l'immigration, qui doit entendre les témoignages de membres de la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, dont celui de M. Gaétan Lussier, président de la Commission et sous-ministre de l'Emploi et de ['Immigration, adopte une motion visant à l'assermentation des témoins ce jour-là[1]. Le 6 mars 1987, un article paru dans le Globe and Mail rapporte que le président du Conseil du Trésor (l'hon. Robert de Cotret) aurait critiqué la décision prise par le Comité d'assermenter les membres de la Commission.

Le 9 mars 1987, M. John Rodriguez (Nickel Belt) soulève une question de privilège à propos des remarques du ministre. Il soutient que par ses remarques, le ministre prête des intentions malveillantes aux membres du Comité, remet en question le droit du Comité de faire prêter serment aux témoins et incite même un haut fonctionnaire à défier le Comité et la Chambre. À la demande du Président, l'étude de cette question est reportée jusqu'à ce que le ministre puisse être présent à la Chambre pour y répondre[2].

Le lendemain, le 10 mars 1987, le ministre et le président du Comité permanent du travail, de l'emploi et de l'immigration (M. Jim Hawkes) prennent la parole pour commenter cette affaire. Après avoir indiqué à la Chambre que le vice-président du Comité, M. Fernand Jourdenais (La Prairie) a aussi soulevé une question de privilège sur ce même sujet, mais a été retenu dans sa circonscription ce jour-là, le Président reporte de nouveau l'étude de cette question[3]. Le 11 mars 1987, M. Jourdenais intervient à son tour pour appuyer les arguments présentés par M. Rodriguez et défendre les droits et pouvoirs du Comité. Le Président prend l'affaire en délibéré[4] et rend une décision le 17 mars 1987. Celle-ci est reproduite intégralement ci-dessous.

Décision de la présidence

M. le Président : Le 9 mars, le député de Nickel Belt a soulevé la question de privilège à la suite de certaines remarques faites par le président du Conseil du Trésor au cours d'une entrevue qu'il accordait à la presse. Le député s'est plaint essentiellement du fait que le ministre ait fait un procès d'intention aux membres du Comité permanent du travail, de l'emploi et de l'immigration, qu'il ait mis en doute le droit du Comité de faire prêter serment à des témoins et qu'il ait semblé conseiller à un haut fonctionnaire de défier le Comité permanent et la Chambre.

Je crois avoir parfaitement saisi la teneur et le sens des observations du député de Nickel Belt.

Un jour ou deux plus tard, le président du Conseil du Trésor s'est présenté à la Chambre et il a reconnu avoir été cité correctement par le Globe and Mail. Je devrais peut-être reprendre les propos exacts qui ont fait l'objet de la plainte:

Il s'agit d'un précédent effrayant. Je ne demanderais jamais à un fonctionnaire de témoigner sous serment. Le comité le traite ni plus ni moins de menteur. Je n'arrive pas à y croire. [...] Selon moi, Gaétan Lussier aurait mieux fait de quitter la pièce.

Il ne semble y avoir aucun doute que le ministre ait tenu les propos en question.

Les députés de Calgary-Ouest et de La Prairie, respectivement président et vice-président du Comité permanent du travail, de l'emploi et de l'immigration, sont tous deux intervenus au cours de la décision pour défendre le droit du Comité de diriger ses travaux comme il l'a fait. Ils ont en outre affirmé clairement qu'en demandant à certains témoins de prêter serment, le Comité ne voulait pas laisser entendre qu'ils n'étaient pas dignes de confiance.

Je dois dire en commençant qu'un comité parlementaire a le pouvoir d'exiger d'un témoin qu'il prête serment. Je reconnais en outre qu'en utilisant le pouvoir en question, un comité ne fait aucune réflexion négative sur le caractère du témoin en cause. Je pourrais prendre l'exemple d'une cour de justice où tous les témoins sont interrogés sous serment. Cette pratique nécessaire ne sous-entend pas que tous les témoins sont malhonnêtes.

Je crois qu'il importe, au cas où il y aurait des malentendus au sujet des pouvoirs et fonctions des comités parlementaires, d'insister sur le fait que les comités constitués par la Chambre ont le droit d'exercer la totalité des pouvoirs que la Chambre leur délègue. Ces pouvoirs comprennent le droit non seulement d'inviter des témoins à comparaître, mais de les convoquer au besoin. Ils comprennent aussi le droit d'interroger des témoins sous serment si le comité le juge nécessaire. Les pouvoirs d'enquête des comités permanents ont été accrus récemment, dans l'esprit de la réforme parlementaire. article 96 du Règlement décrit en détail l'étendue des pouvoirs en question, qui comprennent le pouvoir de faire des études et de présenter des rapports sur toutes les questions liées au mandat, à l'administration et au fonctionnement des services gouvernementaux. La portée des opérations des comités permanents a donc été élargie considérablement et le pouvoir de convoquer des fonctionnaires comme témoins est essentiel à l'exécution efficace du mandat des comités. On peut s'attendre à ce que l'usage du pouvoir en question augmente au lieu de diminuer à l'avenir, et je crois qu'il est salutaire de prévenir tous les intéressés de cette réalité de la vie parlementaire. Je puis donc dire, en réponse à la question posée par le député de Calgary-Ouest, qu'après avoir été convoqué par un comité parlementaire, un témoin serait malavisé de quitter la pièce parce qu'il n'est pas disposé à prêter serment.

Pour ce qui est de l'existence d'une question de privilège, je rappelle à la Chambre que tout acte qui menace la liberté de parole à la Chambre ou qui empêche autrement les députés de s'acquitter de leurs responsabilités enfreint le privilège parlementaire. Dans ses remarques à la presse, le ministre a utilisé certains mots pour exprimer vigoureusement son opinion à l'égard d'un acte posé par le Comité. Ses propos critiquaient sans le moindre doute le Comité. Il n'est cependant pas évident pour la présidence que les propos du ministre aient entravé la liberté d'action du Comité ou d'un député. Le ministre exprimait une opinion et ne donnait pas un ordre à ses fonctionnaires. En fait, le député de La Prairie a félicité le président du Conseil du Trésor d'être prêt à défendre ses employés avec autant d'énergie.

Les propos du ministre, sans aucun doute spontanés, constituaient néanmoins une réflexion au sujet du Comité. Les limites du privilège parlementaire sont très étroites et n'ont jamais été bien définies. Il ne faudrait jamais interpréter le privilège de façon à ce qu'il constitue une entrave à la liberté d'opinion. Par ailleurs, il faut toujours choisir ses mots avec prudence lorsqu'on parle des délibérations légitimes de la Chambre ou de ses comités. Même si la présidence conclut qu'il n'y a pas présomption suffisante en l'occurrence, il est toujours sage d'éviter de froisser les susceptibilités qui peuvent inciter des députés à soulever des plaintes de cette nature.

Je signale aux députés que la présidence a tenu compte avec grand soin du contexte de ces propos. À y regarder de très près, il semble clair, je le répète parce que c'est très important, que le ministre ne donnait aucun ordre à des fonctionnaires. J'espère que les députés étudieront attentivement cette décision et que les comités de la Chambre examineront avec soin la réaffirmation qui y est faite de leurs pouvoirs, obligations et devoirs.

F0910-f

33-2

1987-03-17

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[1] Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent du travail, de l'emploi et de l'immigration, 28 janvier 1987, fascicule n° 20, p. 3-4, 9-14.

[2] Débats, 9 mars 1987, p. 3967.

[3] Débats, 10 mars 1987, p. 4011-4013.

[4] Débats, 11 mars 1987, p. 4049.