Les règles du débat / Décorum

Langage non parlementaire : expressions non entendues par le Président et non consignées dans les « bleus » ou le Hansard électronique

Débats, p. 6218-6219

Contexte

Le 11 décembre 1991, M. David Walker (Winnipeg-Nord-Centre) invoque le Règlement au sujet du langage non parlementaire que, prétend-il, le très hon. Brian Mulroney (Premier ministre) a utilisé. Le député demande au Premier ministre, qui a quitté la Chambre, de retirer ces propos que de nombreux députés de l'opposition ont entendus. L'hon. Harvie Andre (ministre d'État et leader du gouvernement à la Chambre) déclare en réponse qu'il ignore à quels propos le député fait référence et qu'il vérifiera les « bleus ». Après les interventions d'autres députés, M. Nelson Riis (Kamloops) propose de reprendre le débat le lendemain si on ne trouve pas trace des prétendus propos du Premier ministre dans les « bleus ». Le Président exerce alors son pouvoir discrétionnaire pour mettre fin au débat et différer au lendemain le règlement du litige[1].

Le lendemain, le 12 décembre, M. David Dingwall (Cape Breton-Richmond­ Est) demande à la présidence si elle serait en mesure de rendre sa décision dans cette affaire plus tard dans la journée, soit lorsque le Premier ministre sera à la Chambre. M. Andre intervient pour nier « catégoriquement et absolument » que le Premier ministre ait prononcé les paroles qu'on lui a attribuées la veille. Le Président indique qu'il ne veut pas que l'on poursuive le débat à ce sujet.  Il mentionne qu'il a examiné le compte rendu officiel et qu'il ne lui a été d'aucun secours. Il ajoute que tant qu'il n'aura pas eu de nouvelles du Premier ministre, l'affaire ne sera pas complètement classée. M. Andre soutient que, puisque toutes les allégations ont été niées, l'incident devrait être clos. Le Président déclare alors que si M. Dingwall estime suffisant le démenti fait par le Premier ministre à l'extérieur de la Chambre, la présidence sera satisfaite. M. Dingwall rétorque que son parti attendra que le Premier ministre revienne à la Chambre et s'explique. D'autres députés interviennent également pour commenter l'utilité des « bleus », l'imputation de propos à des députés et l'usage régissant les démentis. Après quoi, le Président clôt le débat[2].

Plus tard, le même jour, après la période des questions, M. Dingwall invoque le Règlement pour demander si le Premier ministre entend faire une déclaration. M. Andre nie de nouveau que le Premier ministre ait tenu les propos en question[3]. Le Président indique alors qu'il est prêt à statuer sur la question du point de vue de la procédure. L'intégral de sa décision est reproduit ci-dessous.

Décision de la présidence

M. le Président: Le député de Cape Breton-Richmond-Est a soulevé la question qui nous a occupés hier ainsi que ce matin. Le leader du gouvernement à la Chambre a indiqué très clairement sa position. Je vais essayer de régler la situation dans laquelle nous nous trouvons aussi rapidement que possible.

Hier, les députés de Winnipeg-Nord-Centre, de Glengarry-Prescott­ Russell (M. Don Boudria) et de Hamilton-Est (Mme Sheila Copps) ont tous demandé à la présidence de revoir le Hansard et l'enregistrement en prétextant que le très honorable Premier ministre avait usé d'un langage antiparlementaire et par conséquent avait causé du désordre.

Il y avait d'autres députés qui voulaient être entendus, mais j'ai décidé que j'avais compris la question qui était soulevée et j'ai promis à la Chambre que je consulterais les « bleus » comme on dit ici, autrement dit que je reverrais le Hansard ainsi que l'enregistrement.

Ce matin, quand le [leader parlementaire] de l'Opposition (M. Dingwall) m'a posé la question, je lui ai signalé que j'avais examiné et le Hansard et l'enregistrement et que ni l'un ni l'autre ne m'avaient permis de constater que les prétentions ou les allégations voulant que le très honorable Premier ministre ait usé d'un langage antiparlementaire étaient fondées. Ce matin, le leader du gouvernement à la Chambre a affirmé que le Premier ministre n'avait pas prononcé les mots qu'on lui attribue.

Je prie les députés d'écouter attentivement, car je rends une décision de procédure. Il y a divergence d'opinions concernant ce qui s'est produit. Je sais que certaines déclarations ont été faites à l'extérieur de la Chambre, mais, comme le veut notre tradition, le Président ne peut et ne devrait pas rendre une décision en se fondant sur des observations formulées ailleurs qu'à la Chambre ou aux médias.

Dans une situation comme celle-ci, qui n'est pas facile, je l'avoue, la première condition est d'établir si le Président a entendu des mots ou une expression antiparlementaires. Je signale à tous les députés que la première condition n'est pas remplie, car hier le Président n'a pas entendu lesdits propos présumés.

Certains députés se demanderont peut-être pourquoi je ne les ai pas entendus. Or, le Président ne peut entendre toutes les observations formulées à la Chambre. Tous les députés en conviendront, j'en suis sûr.

La deuxième condition, si le Président n'a pas entendu les propos dont on se plaint c'est de vérifier dans les comptes rendus pour voir si les propos sont notés au Hansard ou sont audibles sur l'enregistrement.

Après avoir consulté ces sources, je n'ai trouvé de trace, ni dans le Hansard écrit ni dans le compte rendu électronique, de propos offensants apparemment utilisés par le Premier ministre. […]

Je dirais à la Chambre que c'est le point où nous en sommes. Je prie les députés de bien m'écouter. C'est là où en sont les choses. Le Président ne peut pas pousser l'affaire plus loin. J'ai fait ce qu'on m'avait demandé de faire, et j'en ai fait rapport. Le Président n'est pas habilité à obliger un député à être présent ni à forcer un député à faire une déclaration.

Je veux qu'il soit bien clair qu'il y a quelques semaines, lorsque malheureusement un député a été appelé à comparaître à la barre de la Chambre, il n'obéissait pas à un ordre du Président. C'est la Chambre qui, après délibération, le lui a ordonné. Il y a là une distinction.

Le Président doit résoudre un conflit, mais il en est incapable. Quand les comptes rendus officiels n'étayent pas les allégations, ce n'est pas au Président, j'en suis convaincu, qu'il incombe d'essayer de résoudre le problème.

En ce qui me concerne, du point de vue de la procédure et en conformité de nos usages, l'affaire est close.

F0723-f

34-3

1991-12-12

[1] Débats, 11 décembre 1991, p. 6142-6144.

[2] Débats, 12 décembre 1991, p. 6167-6169.

[3] Débats, 12 décembre 1991, p. 6218.