Le processus législatif / Divers

Comité plénier : motion de clôture

Débats, p. 539-541

Contexte

Le 21 décembre 1988, l’hon. Doug Lewis (ministre d’État, ministre d’État (Conseil du Trésor) et président intérimaire du Conseil du Trésor) propose une motion imposant la clôture du débat à l’étape de l’étude en comité plénier du projet de loi C‑2 sur l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. M. Peter Milliken (Kingston et les Îles) invoque immédiatement le Règlement pour faire valoir que la motion et l’avis qui en a été donné sont irrecevables puisque le débat sur certains éléments du projet de loi n’a pas commencé ou a été différé et ne saurait donc être « différé davantage » comme le stipule le Règlement. Après avoir entendu ses arguments et ceux d’autres députés, le président des comités pléniers (M. Marcel Danis) suspend la séance[1]. Plus tard dans la soirée, il rend sa décision qui fait l’objet d’un appel auprès du Président. Sur réception du rapport du président des comités pléniers, le Président suspend brièvement la séance afin d’examiner la question puis revient à la Chambre pour maintenir la décision rendue par le président des comités pléniers.

Le texte complet de la décision du président du comité plénier et celui de la décision subséquente du Président sont reproduits intégralement ci-dessous.

Décision de la présidence

Le président du comité plénier (M. Danis): Je suis maintenant prêt à rendre une décision sur le rappel au Règlement soulevé par certains députés.

Lorsqu’il a invoqué le Règlement plus tôt aujourd’hui, le député de Kingston et les Îles a fait valoir que le ministre d’État au Conseil du Trésor avait prématurément donné avis de la clôture à l’égard du projet de loi C‑2 parce que le débat n’avait pas encore commencé sur un grand nombre d’articles dont il était fait mention dans son avis.

En corollaire, il a allégué que la motion soumise par le ministre à la présidence devrait être rejetée. Étant donné que cette motion découle nécessairement de son avis d’hier, sa recevabilité est aussi contestée.

Le député de Kingston et les Îles et le député de Kamloops (M. Nelson Riis) ont cité à l’appui de leur argument la décision rendue par le Président la semaine dernière, le 15 décembre 1988. Je vais d’abord m’attacher à cet aspect de la question.

Il ne fait aucun doute que l’article 57 du Règlement autorise la présentation d’un avis de clôture à la Chambre ou au comité plénier. Dans sa décision du 15 décembre 1988, le Président a clarifié ce qui semblait être une ambiguïté quant au moment où l’avis devait être donné. Il a précisé que cet avis peut être donné uniquement lorsque le débat sur la question qui doit faire l’objet de la clôture est commencé.

Il ne fait aucun doute non plus que l’étude du projet de loi C‑2 en comité plénier est commencé, le comité en étant à l’examen de l’article 2 du projet de loi. C’est pendant l’étude de l’article 2 que le ministre a donné avis de son intention de mettre fin au débat sur l’article 2 et sur tous les autres articles du projet de loi. À mon avis, le moment qu’a choisi le ministre pour agir est conforme à la décision du Président. Contrairement à ce qui s’est passé la semaine dernière, le ministre a donné son avis après le début du débat en comité plénier.

Les députés de Kingston et les Îles et de Kamloops ont en outre allégué que la motion du ministre est irrecevable sur le plan de la procédure parce qu’elle vise à imposer la clôture, en comité plénier, à des articles du projet de loi qui n’ont pas encore été abordés ou différés.

Le député de Kamloops a raison de dire que la cinquième édition de Beauchesne, page 118, commentaire 334, paragraphe 8 ne nous éclaire pas beaucoup sur ce sujet et que le commentaire en question n’est pas concluant.

Et je cite :

En ce qui concerne la possibilité d’invoquer la clôture dans le cas d’un article qui n’a pas été mis en discussion et renvoyé à plus tard (en comité plénier) la jurisprudence est contradictoire. Par quatre fois (1913, 1917 — deux fois — et 1919) l’examen de tous les articles avait été différé avant l’imposition de la clôture. En revanche, par deux fois (1932 et 1956) celle-ci avait été imposée à des articles non encore pris en considération.

Comme on m’a donné avis de ce rappel au Règlement hier, j’ai pu examiner à fond tous les précédents cités dans ce commentaire et, pour ceux qui n’auraient pas eu le temps de le faire, je crois utile de les résumer.

En 1913, le comité plénier a été saisi du projet de loi [no] 21 relatif aux forces navales de l’Empire. Le 28 février 1913, il amorce le débat sur ce projet de loi de cinq articles. L’article 1 est adopté; les articles 2 à 5 sont débattus et reportés. Le premier ministre Borden propose alors d’ajouter au projet de loi un article 6, lequel est débattu et reporté. Le 8 mai 1913, le premier ministre donne avis d’une motion de clôture. Le 9 mai 1913, il propose :

Que la suite de la discussion sur les articles 2, 3, 4, 5 et sur l’article 6 ajouté soit la première affaire dont le comité devra s’occuper, et ne sera plus renvoyée[2].

Cette motion visait tous les articles restants du projet de loi et le nouvel article 6. La motion a été adoptée à 71 voix contre 44. Aucune objection de procédure n’a été soulevée.

Il convient de noter que le premier ministre Borden avait un but bien précis en reportant l’examen de tous les articles avant d’invoquer la clôture. En vertu de notre Règlement, les nouveaux articles sont pris en considération seulement après tous les autres. Je renvoie les députés à la cinquième édition de Beauchesne, citation 765.

En conséquence, si le premier ministre avait agi autrement, il n’aurait pas pu proposer son nouvel article 6 au projet de loi relatif aux forces navales de l’Empire, étant donné que la clôture aurait empêché le comité plénier d’aborder à l’article 5 avant l’heure prévue pour l’interruption des travaux.

En 1917, la clôture a été invoquée à deux reprises à l’étape du comité plénier. Les quatre articles du projet de loi [no 125, Loi du Chemin de fer du Nord, 1913] et les cinq articles et l’annexe du projet de loi [no] 133, Loi des élections en temps de guerre, ont été d’abord différés avant que la clôture ne soit invoquée. Ni les Débats ni les Journaux ne nous expliquent pourquoi on a agi ainsi et cette façon de faire n’a suscité aucune objection ou discussion relative à la procédure[3].

Le cas de 1919 ressemble davantage à celui de 1913. Le comité plénier était saisi du projet de loi [no] 70, Loi sur [la Canadian National Railway Company]. Le comité avait adopté certains articles et en avait différé d’autres dans son étude de ce projet de loi qui en contenait 30. Comme en 1913, le premier ministre a été obligé de demander le report de tous les articles parce qu’il souhaitait, lui aussi, présenter deux nouveaux articles, soit les articles 31 et 32. À l’instar du premier ministre Borden, en 1913, s’il avait procédé différemment et s’il avait invoqué la clôture plus tôt, il n’aurait probablement pas pu présenter des amendements[4].

Il a ensuite fallu attendre jusqu’au 1er avril 1932 pour que la clôture soit de nouveau invoquée à l’étape du comité plénier. Le premier ministre Bennett a proposé :

Avant que nous passions à l’ordre du jour, monsieur le Président, je tiens à proposer la motion dont j’ai donné avis, hier soir : savoir, que la suite de la discussion du titre et des articles 1, 2 et 3 du [projet de loi] concernant l’allégement du chômage et l’aide à l’agriculture soit le premier objet des délibérations du comité et ne soit pas reportée davantage[5].

Cette motion portait sur tous les articles du projet de loi, même si l’article 1 seulement avait été officiellement mis à l’étude et débattu. La motion a été mise aux voix et adoptée et personne n’a contesté, sur le plan de la procédure, le fait que certains articles n’avaient pas été mis à l’étude ou différés. Ce précédent est pratiquement identique à la situation dans laquelle se trouve maintenant le comité.

L’exemple le plus récent de clôture au comité plénier remonte au 24 mai 1956, au début du débat sur le projet de loi [no] 298, Loi établissant la Société de la Couronne Northern Ontario Pipe Line. Les articles 1 à 3 ont été différés; l’article 4 a été débattu et les articles 5 à 7 n’ont jamais été mis à l’étude. Le 30 mai 1956, le premier ministre St‑Laurent a donné avis de la clôture. Le 31 mai 1956, il a proposé :

Que, à la présente séance du comité plénier, relativement au [projet de loi] no 298, Loi établissant la société de la Couronne Northern Ontario Pipe Line à la suite de la discussion sur les articles 1, 2, 3, 4, 5, 6 et 7, le titre dudit [projet de loi] et tout amendement proposé soit la première question que le comité devra examiner et ne soit plus ajournée[6].

La motion de clôture visait tous les articles du projet de loi, même si les articles 5 à 7 n’avaient jamais été mis à l’étude ou débattus. Confronté à un rappel au Règlement, le président du comité plénier a décrété que la motion était recevable en se fondant sur le précédent de 1932. On en a appelé de sa décision auprès du Président, qui l’a confirmée. La décision du Président a elle-même été contestée. En effet, à l’époque, la Chambre pouvait interjeter appel des décisions du Président.

La question a été mise aux voix pour que la Chambre se prononce, et la décision selon laquelle le ministre pouvait imposer la clôture à l’égard d’articles qui n’avaient pas encore été mis en discussion a été approuvée par 143 voix contre 50[7].

Pour ce qui est du point soulevé par le député de York-Sud—Weston, je signale au Comité que la terminologie employée par le ministre aujourd’hui est la même qui avait été utilisée lors de tous les cas mentionnés précédemment.

Comme je le disais tout à l’heure, le paragraphe 344 de la cinquième édition de Beauchesne n’est pas des plus précis, mais une analyse des précédents semble nous fournir quelques indications.

Dans deux cas, en 1913 et en 1919, il semble que l’étude des articles ait été différée pour des raisons de stratégie procédurière. Dans deux autres cas, tous les deux en 1917, on a simplement différé l’étude de tous les articles et les débats ne permettent pas de savoir pourquoi on a procédé ainsi. Les deux dernières fois que l’on a imposé la clôture, en 1932 et en 1956, certains articles des projets de loi en cause n’avaient pas encore été mis en discussion et, dans le dernier cas, le président du comité plénier et le Président de la Chambre avaient tous deux décidé que la motion de clôture était recevable, et leur décision avait été approuvée par la suite par la Chambre elle-même.

La quatrième édition de l’ouvrage de Beauchesne, publiée en 1958, nous donne davantage matière à réflexion. Les membres du Comité se rappelleront qu’avant 1968, la plupart des projets de loi de subsides et de voies et moyens devant être étudiés par le comité plénier étaient précédés d’une résolution sur laquelle devait d’abord se pencher le comité plénier.

Le commentaire 167 de la 4e édition de Beauchesne dit en partie :

Si, sous l’empire de cet article, l’avis s’applique à plusieurs résolutions différentes, toutes les séances allouées à l’examen ne peuvent porter que sur quelques-unes d’entre elles, et il faut que la Chambre tranche toutes celles qui restent, même si aucune n’a fait l’objet d’une discussion. En ce qui a trait à ces dernières résolutions, la règle abolit le droit à la liberté de discussion.

Il est évident, d’après ce passage, que dans la quatrième édition de Beauchesne datant de 1958, on envisageait tout au moins la possibilité d’imposer la clôture au comité plénier à l’égard de parties d’un projet de loi n’ayant pas encore été mises en discussion.

Le ministre d’État au Conseil du Trésor a soulevé un argument fort pertinent quand il a signalé que le précédent de 1956, qui confirme le précédent de 1932, est d’un poids non négligeable, puisqu’il a fait l’objet d’une décision du président du comité plénier, confirmée par une décision du Président de la Chambre et par une décision de la Chambre elle-même au moyen d’un vote inscrit.

Le député de Peace River (M. Albert Cooper) a rappelé à juste titre que toutes les discussions qui ont eu lieu dernièrement sur les réformes de la procédure n’ont rien changé à la clôture.

Par conséquent, compte tenu du commentaire de Beauchesne de 1958, des précédents de 1932 et de 1956 et de l’absence de toute nouvelle décision de la Chambre à ce sujet depuis 1956, je dois décider que l’avis donné hier par le ministre est valable et que sa motion est recevable.

Note de la rédaction

Et les députés ayant interjeté appel relativement à la décision du président du comités plénier :

M. le Président : J’ai suivi de près les délibérations. J’ai écouté la décision du président [du comité plénier] et j’ai pesé les arguments présentés par les deux côtés de la Chambre. Pendant la pause qui vient de se terminer, j’ai lu la décision du président, et les deux précédents mentionnés, ceux de 1932 et de 1956, me paraissent convaincants. Je déclare que le président les a correctement appliqués à la question à l’étude. Je confirme donc la décision de la présidence.

Post-scriptum

À la suite de l’appel interjeté auprès du Président, la motion est mise aux voix et adoptée.

F0502-f

34-1

1988-12-21

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[1] Débats, 21 décembre 1988, p. 532-538.

[2] Débats, 9 mai 1913, p. 9717.

[3] Débats, 28 août 1917, p. 5180, 11 septembre 1917, p. 5882-5897.

[4] Débats, 28 avril 1919, p. 1873.

[5] Débats, 1er avril 1932, p. 1599.

[6] Débats, 31 mai 1956, p. 4662.

[7] Débats, 1er juin 1956, p. 4738.