Le programme quotidien / Affaires courantes

Questions inscrites au Feuilleton : demande de porter certaines questions écrites comme avis de motion portant production de documents

Débats, p. 3023-3026

Contexte

Le 29 mai 1989, M. Albert Cooper (secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes) demande au Président d’examiner un certain nombre de questions inscrites au Feuilleton pour déterminer si elles peuvent être portées comme avis de motion portant production de documents en vertu de l’article 39(6) du Règlement. Faisant remarquer qu’une telle requête n’a pas été faite depuis un bon nombre d’années, que d’autres députés souhaiteraient peut-être intervenir dans ce dossier et qu’il aimerait disposer d’un peu de temps pour examiner la question, le Président indique qu’il ne souhaite pas rendre de décision immédiatement[1]. Le lendemain, M. Cooper et d’autres députés prennent la parole à ce sujet[2]. Le Président examine la question et rend sa décision le 14 juin 1989. Celle-ci est reproduite intégralement ci-dessous.

Décision de la présidence

M. le Président : La présidence est maintenant en mesure de rendre sa décision au sujet de la question soulevée les 29 et 30 mai 1989 en ce qui concerne le recours à l’article 39(6) du Règlement et les questions inscrites au Feuilleton.

Avant de résumer la situation, je voudrais remercier les députés de leurs interventions sur cette question assez complexe. Elle est vraiment complexe et il me faudra un peu de temps pour formuler ma décision.

Il convient, à ce stade, d’exposer succinctement les grandes lignes de la procédure relative aux questions écrites. Les députés qui veulent obtenir du gouvernement des renseignements sur des affaires publiques peuvent faire inscrire au Feuilleton, après un préavis en bonne et due forme de 48 heures, jusqu’à quatre questions écrites en même temps. Plusieurs restrictions s’appliquent à la forme et au contenu de ces questions. Ainsi, les arguments et les faits non indispensables ne sont pas autorisés, non plus que l’expression d’opinions sur une question. En outre, aucune discussion n’est permise lorsqu’une question est inscrite au Feuilleton ou lorsque le gouvernement y répond. Selon le paragraphe 39(2) du Règlement, il incombe au greffier de la Chambre de s’assurer que l’on inscrive au Feuilleton des questions cohérentes et concises.

Enfin le député peut exiger qu’au plus trois de ces quatre questions fassent l’objet d’une réponse verbale à la Chambre, et il peut aussi demander que le gouvernement réponde à la question dans les 45 jours.

Le ministre à qui une question écrite s’adresse y répondra en temps et lieu, en général par l’entremise du secrétaire parlementaire du leader parlementaire du gouvernement. La réponse peut être donnée oralement à la Chambre si l’on a demandé une réponse orale, ou par remise d’un document écrit au greffier au cours de l’étude des Affaires courantes. Que la réponse soit donnée oralement ou par écrit, le texte intégral sera imprimé dans les Débats le même jour. Il arrive parfois, cependant, qu’en raison de la longueur de la réponse, le gouvernement demande que la question soit transformée en ordre de dépôt de document et que la réponse soit déposée à la Chambre à titre de document parlementaire dont les députés peuvent obtenir une copie sur demande.

Je résumerai maintenant le problème de procédure qu’on m’a demandé d’examiner les 29 et 30 mai. En bref, [l’article] 39(6) du Règlement prévoit que le Président examine, à la demande du gouvernement, une ou plusieurs questions données, et, s’il apparaît que la question « est de nature à nécessiter une longue réponse, [il] peut […] ordonner qu’elle soit portée comme avis de motion […] au Feuilleton », avec les modifications de forme que nécessite cette transformation.

Le 29 mai, le secrétaire parlementaire du leader parlementaire du gouvernement a demandé à la présidence d’examiner sept questions inscrites au Feuilleton au regard [de l’article] 39(6) du Règlement, soit les questions nos 45, 52, 53, 62, 64, 83 et 88.

J’ai alors informé la Chambre que la présidence souhaitait réfléchir très attentivement à la question et invitait les députés intéressés à faire des commentaires un autre jour.

Le lendemain, un bon nombre de députés sont intervenus pour aider la présidence dans l’analyse de la question. Ainsi que je l’ai dit, leurs observations ont été fort utiles.

Le secrétaire parlementaire du leader parlementaire du gouvernement a fait une affirmation avec laquelle tous les députés peuvent être d’accord, je crois, à savoir que l’inscription de questions au Feuilleton est un processus très important et fondamental pour la Chambre et pour les députés de part et d’autre de la Chambre et que c’est un processus qui vaut la peine d’être examiné. Il a ensuite fait remarquer que certaines des questions qu’on pose sont si complexes et requièrent de réunir un si grand nombre de données nouvelles qu’il est impossible d’y répondre dans le délai de 45 jours et même d’y répondre du tout dans certains cas difficiles. Il a dit, et je cite ses propres paroles à la page 2338 du Hansard du 30 mai 1989 :

On ne se préoccupe plus du fait qu’il pourrait être impossible de répondre aux questions.

Je pense qu’il nous faut aussi convenir que tel est parfois le cas. Le whip en chef du gouvernement (M. Jim Hawkes (Calgary-Ouest)) remarque, à la page 2340 du Hansard, que « La forme sous laquelle certains présentent leurs questions au gouvernement constitue une sorte de camisole de force. » Il a aussi rappelé à la Chambre, comme je l’ai moi-même signalé plusieurs fois par le passé, que la présidence doit interpréter le Règlement tel qu’il est. Si la Chambre juge les règles peu satisfaisantes à quelque égard, c’est à elle qu’il appartient d’y apporter des correctifs. L’indication par le whip en chef du gouvernement du nombre de questions auxquelles il a été impossible de répondre au cours de la dernière législature met en évidence un problème particulier et j’ai trouvé très intéressant son observation que des adaptations de forme mineures auraient pu permettre de répondre à beaucoup de ces questions assez rapidement.

Le député d’Ottawa—Vanier (M. Jean-Robert Gauthier) a habilement argumenté en faveur du maintien de la pratique actuelle en ce qui concerne ces questions : c’est-à-dire la transformation des questions nécessitant de longues réponses en ordres de dépôt de documents—ces derniers devront être déposés immédiatement, ou à une date ultérieure. Il a insisté sur le rôle de protectrice des droits de tous les députés qui incombe à la présidence : un rôle que la présidence ne doit jamais perdre de vue.

Le député de Kamloops (M. Nelson Riis) a signalé la possibilité que les pratiques de la Chambre aient tellement évolué au cours des 60 dernières années qu’on risque, en invoquant telle quelle une règle tombée en désuétude, d’aller à l’encontre de l’esprit dans lequel elle a été adoptée au départ. Il a, de même que la députée de Hamilton-Est, situé la question dans le contexte des récentes réformes parlementaires qui ont contribué largement à revitaliser la Chambre.

Le député de Okanagan—Similkameen—Merritt (M. Jack Whittaker) a fait remarquer que le Règlement n’indique guère quelle longueur ou quel degré de complexité doit avoir une question. Le député de Mackenzie (M. Vic Althouse) a pu nous faire profiter de son expérience comme membre du comité McGrath, où de telles lignes directrices avaient été examinées.

Il a enchaîné en faisant plusieurs autres remarques, à savoir qu’on devrait laisser aux membres de cette Chambre le soin de décider eux-mêmes de présenter ou non un avis de motion semblable à leur question; que le rédacteur d’une question est un intervenant dans le processus et qu’il devrait s’attendre à ce que la qualité de la question ait un effet marqué sur la teneur de la réponse; et que la plupart des députés jugeraient légitime un refus de répondre motivé.

Enfin, le député de Kingston et les Îles (M. Peter Milliken) a fait observer que l’avis de motion d’un député avait anciennement beaucoup plus de chance qu’aujourd’hui que la Chambre en soit saisie. Il a fait valoir que la proposition du secrétaire parlementaire ou la disposition du Règlement elle-même pourrait être soumise avec profit au comité de la procédure pour qu’il l’étudie et la révise.

La présidence a maintenant eu le temps d’étudier la question à fond. Le fonctionnement de l’article 39(6) du Règlement paraît assez simple au départ; cependant, comme nous l’avons vu, plus on l’examine, plus il devient complexe et insaisissable.

Le dilemme est le suivant : il nous faut concilier les besoins urgents d’informations dont les députés ne peuvent se passer pour fonctionner et la nécessité tout aussi grande d’utiliser de façon rationnelle et honnête les ressources limitées dont on dispose pour fournir les réponses.

En vue d’arriver à cet équilibre, le secrétaire parlementaire a demandé à la présidence, il y a plusieurs jours, de se prévaloir des dispositions de l’article 39(6) du Règlement, qui permet au Président — et je tiens à souligner l’emploi du mot « permet » — de transformer en avis de motion toute question portée à son attention par le gouvernement qui lui paraît nécessiter une « longue » réponse.

Je dois souligner, au départ, que la demande du secrétaire parlementaire est tout à fait légitime et qu’elle rentre bien dans le cadre prévu par notre Règlement. En fait, si cette pratique était mise en œuvre à la Chambre de nos jours, elle contribuerait certainement dans une large mesure à résoudre les problèmes que nous avons passés brièvement en revue. Cela allégerait la pression résultant du délai de 45 jours donné pour répondre aux « longues » questions. Comme ces motions ne seraient pas toutes adoptées, voire étudiées, les heures de travail disponibles pourraient être réparties plus équitablement et plus largement entre des questions des députés qui demandent des réponses plus brèves. Quant à celles converties en motions, ce serait alors, comme l’a fait remarquer le whip en chef du gouvernement, la Chambre qui déciderait s’il y a lieu de fournir ces réponses plus « coûteuses ».

Malheureusement, il semble que la solution proposée ici pourrait être source de problèmes d’un autre genre. On a avancé que le recours à cette disposition du Règlement pourrait aboutir à une limitation excessive de la liberté qu’ont les députés de poser des questions; on se demande même s’il n’y aurait pas là atteinte aux privilèges. On a aussi émis l’opinion que l’article du Règlement a survécu tout ce temps sans modification parce qu’on n’y a pas fait appel durant les 60 dernières années; que son utilisation dans le contexte actuel ne correspondrait peut-être pas à l’intention de ses auteurs; et qu’il n’est plus adapté aux conditions de fonctionnement de la Chambre des communes actuelle, et certainement pas à celles qu’ont amenées les réformes du comité McGrath.

Je partage l’opinion exprimée par plusieurs députés que la transformation d’une question écrite en avis de motion, qui pourra en fin de compte être étudiée dans le cadre des Affaires émanant des députés quand elle aura été reportée pour débat, aura pour conséquence directe de diminuer considérablement les chances que [cette affaire] soit jamais soumis[e] de nouveau à la Chambre. Mais il est intéressant de constater que ce problème avait déjà été envisagé dès 1906, au moment où [l’article] 39(6) du Règlement a été adopté par la Chambre. Permettez-moi de citer à cet égard les Débats de la Chambre des communes du 10 juillet 1906, [aux pages 7819 et 7820] :

M. Sproule : Puis, à une certaine phase de la session, il n’est plus possible d’atteindre les avis de motion, et dans le cas d’une question longue, si le gouvernement ne veut pas fournir de renseignement, il peut se contenter de dire : faites une motion. Il est possible qu’il soit trop tard pour présenter une motion, et dès lors l’opposition ne peut plus obtenir le renseignement qu’il lui faut.

Je puis sans aucun doute affirmer à la Chambre qu’une demande de recours [à l’article] 39(6) du Règlement placerait toujours le Président dans une position difficile. Cela obligerait la présidence à rendre une série de décisions sur des questions ne relevant pas de la procédure, au sujet desquelles elle ne disposerait d’aucune information et que le gouvernement est seul en mesure, avec l’aide de son personnel de spécialistes, de juger correctement : la longueur probable de réponses qui n’ont pas encore été produites. Il est également vrai que nous ne disposons d’aucune définition objective du mot « longue »; de toute façon, il serait imprudent de supposer que la difficulté de répondre aux questions variera nécessairement en fonction de leur longueur, ou que la valeur d’une réponse est plus ou moins proportionnelle à sa longueur.

De plus, on ne peut raisonnablement transformer toutes les questions qui sont rejetées, parce qu’il serait impossible d’y répondre, en motions portant production de documents. À moins que la question porte précisément sur un document, il se peut fort bien qu’il soit encore plus difficile d’y répondre d’une façon satisfaisante si on la transforme en avis de motion portant production de documents.

La présidence a aussi quelque difficulté à concevoir qu’on puisse porter au Feuilleton, au nom d’un député de cette Chambre, un avis de motion que celui-ci n’a pas signé et qu’il n’a nullement manifesté d’intérêt à présenter. Comme l’a signalé le député de Mackenzie, si le député dont la question est refusée désire présenter un avis de motion portant sur le même sujet, il est parfaitement capable de le faire lui-même.

J’ai examiné avec beaucoup de soin la demande du secrétaire parlementaire du leader parlementaire du gouvernement et je constate que je ne saurais, pour plusieurs raisons, donner effet aux dispositions du paragraphe du Règlement invoqué dans notre contexte actuel sans porter préjudice au droit des simples députés de contrôler pleinement leurs affaires en choisissant eux-mêmes la meilleure façon de rechercher l’information : soit en faisant inscrire des questions au Feuilleton, et peut-être en demandant que le gouvernement y réponde dans le délai de 45 jours; soit en présentant un avis de motion qui, s’il est choisi au tirage au sort, sera débattu au cours de l’étude des Affaires émanant des députés.

La Chambre comprendra certainement que deux nouveaux éléments récemment incorporés dans la partie du Règlement relative aux questions écrites ont pratiquement éliminé le genre d’abus du temps de la Chambre qu’on connaissait en 1906. Je veux parler du paragraphe (4) de l’article 39 du Règlement, qui limite à quatre le nombre de questions pouvant figurer à n’importe quel moment au Feuilleton au nom d’un même député, et du paragraphe (5) du même article, qui permet à un député de demander au gouvernement de répondre à sa question dans un délai de 45 jours.

La présidence craint grandement que le fait d’accéder à la demande du gouvernement de transformer une question en avis de motion soit perçu comme un recul au chapitre de l’évolution de la procédure régissant les questions écrites et soit contraire au dessein de la réforme McGrath d’instaurer une méthode plus efficace pour disposer des questions.

Ainsi que l’ont indiqué plusieurs députés, il existe de longue date une pratique qui permet au gouvernement de demander à la Chambre, dans le cas où il faudra donner une longue réponse, de transformer la question en ordre de dépôt de documents. Les documents sont alors déposés soit immédiatement, si la réponse est prête, soit à une date ultérieure, une fois la réponse complétée.

Selon une autre pratique parfaitement acceptable sur le plan de la procédure — et beaucoup de députés ont en fait donné à entendre qu’il était tout à fait légitime que le gouvernement procède de cette façon — on peut simplement déclarer qu’il est impossible de répondre à la question en raison du temps et des ressources humaines ou financières que cela demande rait. Les députés pourront se reporter, par exemple, aux questions nos 8, 11, 12, 13 et 14, auxquelles Je gouvernement a déjà répondu de cette façon au cours de la présente session.

Le gouvernement peut continuer de refuser simplement de répondre aux questions qui imposent, à son avis, une charge trop lourde, en expliquant sa décision. Il pourrait aussi expliquer, au cours de la période réservée aux Affaires courantes, qu’il n’a pas été possible de répondre à certaines questions dans le délai alloué et, peut-être, indiquer pourquoi. Il faut comprendre que le gouvernement n’est pas obligé de donner une réponse parfaite; il n’est tenu que de donner une réponse honnête. Par sa façon de rédiger sa question, le député assume une partie de la responsabilité en ce qui concerne la qualité de la réponse.

Il est possible que les problèmes devant lesquels nous nous trouvons résultent en partie des réformes effectuées récemment. Le comité McGrath avait prévu certaines de ces difficultés et remarquait ce qui suit à la page 48 de son rapport : « Pour éviter que les députés n’essaient de contourner cette règle en posant des questions comportant de nombreuses subdivisions, toutes les questions écrites devront être transmises au greffier pour que celui-ci les soumette à un examen rigoureux sur le plan du fond et de la forme[3]. »

À cet égard, le greffier de la Chambre doit appliquer avec une rigueur accrue les dispositions de l’article 39(2) du Règlement et, ainsi que le précise la recommandation 7.10 du rapport du comité McGrath :

[…] refuser ou […] scinder les questions qui comprennent plusieurs questions secondaires sans rapport direct avec la question principale.

On pourrait sans doute explorer aussi un bon nombre d’autres possibilités de solution. Il me semble que le sujet mérite un examen plus élaboré que celui que nous avons pu lui consacrer ici. En fait, la présidence serait heureuse de bénéficier à cet égard des conseils du Comité permanent des élections, des privilèges, de la procédure et des affaires émanant des députés. Le mandat du Comité lui permet de le faire; d’autre part, si la Chambre le préfère, un ordre de renvoi en ce sens pourrait être donné au Comité, ainsi que l’a suggéré le député de Kingston et les Îles. En tout cas, en tant que Président, je tiens à souligner fortement aux membres de ce Comité que leurs recommandations sur cette question seraient extrêmement utiles à la présidence. Peut-être avons-nous lieu d’espérer que le Comité nous fera bénéficier de ses conseils en cette matière.

Entre-temps, il me faut toutefois déclarer, à regret, que la présidence ne peut accéder à la demande du secrétaire parlementaire.

Je voudrais ajouter que la présidence reconnaît qu’il y a plus d’un aspect à la question. Si les députés veulent bien lire attentivement le texte de ma décision, ils se rendront compte que je tiens, en ma qualité de Président, à ce que tous les partis soient traités de façon équitable dans ce qui est clairement en train de devenir un problème pour les deux côtés de la Chambre. J’espère que la Chambre s’efforcera, comme je l’ai laissé entendre, de trouver une solution. Je remercie les députés de leur attention.

Post-scriptum

Aucune mesure officielle n’a été prise par le Comité permanent des élections, des privilèges, de la procédure et des affaires émanant des députés à la suite des suggestions formulées par le Président.

F0333-f

34-2

1989-06-14

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[1] Débats, 29 mai 1989, p. 2228.

[2] Débats, 30 mai 1989, p. 2333-2344.

[3] Troisième rapport du Comité spécial sur la réforme de la Chambre des communes, déposé à la Chambre le 18 juin 1985 (Journaux, p. 839).