Le privilège parlementaire / Droits des députés

Affiliation politique : demande de fonds de recherche pour le Bloc québécois

Débats, p. 16703-16704

Contexte

Le 26 novembre 1990, l’hon. Jean Lapierre (Shefford) invoque le Règlement pour indiquer que plusieurs mois se sont écoulés depuis que les députés du Bloc québécois ont transmis une demande au Président et au Bureau de régie interne afin d’obtenir des fonds de recherche et qu’ils n’ont pas encore reçu de réponse. Le Président répond qu’il se pourrait fort bien qu’une réponse ait été transmise au député, mais qu’il ne l’ait pas encore reçue[1].

Le 27 novembre, M. Lapierre soulève une question de privilège à ce sujet. Il explique que le Président, au nom du Bureau, a répondu à la demande d’un fonds de recherche pour le Bloc québécois et son chef en lui transmettant une lettre l’informant que le Bureau avait étudié la proposition et « jugé impossible d’approuver une allocation de fonds pour le moment ». M. Lapierre soutient que cette réponse est insatisfaisante parce qu’aucune raison n’est fournie pour ce refus et il demande des éclaircissements sur un certain nombre de passages du texte. Il soutient que le Bureau de régie interne impose par ses règles une « tyrannie de la majorité ».

Le Président intervient afin d’indiquer que les points soulevés ont trait à « l’administration de la Chambre ».

M. Lapierre conclut que pour s’acquitter entièrement de ses responsabilités de député de Shefford, il doit avoir les mêmes droits et privilèges que les autres députés de la Chambre. Il implore le Président de renverser la décision du Bureau et dans le cas contraire, d’avoir « au moins la décence de la justifier ». Après avoir écouté une brève intervention de M. Ian Waddell (Port Moody—Coquitlam), le Président prend l’affaire en délibéré[2].

La question est de nouveau soulevée par M. Lapierre le 12 décembre. Citant deux articles de journaux, M. Lapierre soutient que l’hon. André Ouellet (Papineau—Saint-Michel) et M. Jean-Pierre Hague (Outremont) ont mis à la disposition de quatre personnes des milieux d’affaires certains services de recherche de la Chambre. Ces personnes sont, comme MM. Ouellet et Hogue, membres de la Commission sur l’avenir politique et constitutionnel du Québec (Commission Bélanger-Campeau).

M. Lapierre soutient qu’on a porté atteinte à ses privilèges et à ceux de ses collègues du Bloc québécois puisque le Bureau de régie interne leur a refusé des fonds de recherche tandis que des citoyens non élus du secteur privé ont accès aux services de recherche de la Chambre. M. Lapierre soutient que les actions de MM. Ouellet et Hogue vont à l’encontre du Règlement et des pratiques de la Chambre.

M. Lapierre mentionne aussi un autre fait qui constitue selon lui une forme de discrimination à l’endroit de l’hon. Lucien Bouchard (Lac-Saint-Jean). Selon M. Lapierre, du personnel du Bureau du Conseil privé a été mis à la disposition de M. Ouellet et Hogue afin de recueillir des données objectives. Ces données n’ont toutefois pas été transmises à M. Bouchard, qui siège aussi au sein de la Commission Bélanger-Campeau.

Le Président répond en signalant qu’une partie de l’objection de M. Lapierre concerne une question que la présidence est en train d’étudier et il conclut en déclarant qu’il examinera les propos de M. Lapierre et qu’il en tiendra compte avant de se prononcer « sur les autres questions » qui ont été soulevées[3].

La décision rendue par le Président le 13 décembre 1990 est reproduite au complet dans les lignes qui suivent.

Décision de la présidence

M. le Président : Le mardi 27 novembre 1990, le député de Shefford a soulevé la question de privilège relativement à une demande qu’il avait présentée au Bureau de régie interne et qui visait à ce qu’on alloue des fonds à son groupe pour la recherche et pour le bureau de son chef. En qualité de président du Bureau de régie interne, j’ai informé le député par écrit de la décision du Bureau.

Après avoir lu le texte de ma lettre à la Chambre, le député a mis en doute l’équité de cette décision et réclamé avec ardeur « le même droit et les mêmes privilèges que n’importe quel autre député de cette Chambre », et la même chose pour tous ses collègues. Et il concluait en ces termes : « […] je vous implore de réviser votre décision et si vous ne voulez pas la réviser, s’il vous plaît, ayez au moins la décence de la justifier ».

Ce sont certes là des propos sans équivoque. Il m’apparaît que le député, dans la présentation passionnée de ses arguments en faveur de l’allocation de fonds supplémentaires à son groupe, a laissé entendre que la présidence aurait traité certains députés de façon arbitraire et inéquitable. De plus, ses dires donnent l’impression tout à fait erronée que les députés indépendants de son groupe sont l’objet de discrimination.

Je ne puis, en tant que votre Président, laisser passer ces impressions erronées sans apporter les correctifs nécessaires, car elles laissent planer un doute sur l’impartialité de la présidence et risquent de ternir la Chambre tout entière en la dépeignant sous les traits de l’injustice.

Permettez-moi d’abord de préciser que les décisions du Bureau de régie interne sont prises par le Bureau lui-même et non par votre Président. En ma qualité de Président de la Chambre j’assure la présidence du Bureau et je préside les délibérations des députés de part et d’autre de la Chambre qui y siègent avec droit de vote. Ce sont la vice-présidente de la Chambre (l’hon. Andrée Champagne), le leader parlementaire du gouvernement (l’hon. Harvie Andre), le président du Conseil du Trésor (l’hon. Gilles Loiselle), le leader parlementaire de l’opposition officielle (M. Jean-Robert Gauthier), le leader parlementaire du Nouveau Parti démocratique (l’hon. Nelson Riis), le whip en chef du gouvernement (M. Jim Hawkes), le whip de l’opposition officielle (M. David Dingwall) et le député de Lachine—Lac-Saint-Louis (l’hon. Bob Layton).

Le Bureau a examiné la demande présentée par le député de Shefford qui visait à l’allocation de fonds supplémentaires à son groupe pour la recherche et pour le bureau du chef du groupe. Le Bureau a décidé de ne pas faire d’exception dans ce cas et de ne pas allouer de fonds supplémentaires à ce moment-ci. Le Bureau aurait pu en décider autrement. Pour le moment, la décision tient et je ne peux que le réaffirmer.

Cela dit, toutefois, il est important de noter que cette décision ne signifie pas que les députés de ce groupe soient empêchés de participer pleinement aux travaux de la Chambre ni qu’ils soient privés des ressources nécessaires pour bien représenter leurs circonscriptions. Le député de Shefford soutient que les neuf députés indépendants au nom desquels il parle ont besoin de ressources additionnelles. Chaque député de la Chambre reçoit un budget global qui couvre les salaires de base du personnel, les dépenses normales de fonctionnement du bureau de circonscription et certains frais de voyage. Il est important de noter que chacun de ces députés, comme tous les autres députés de la Chambre, a l’entière flexibilité d’utiliser ces ressources financières comme bon lui semble. Par exemple, dans le cadre de ce budget global, la plupart des députés emploient jusqu’à cinq personnes à qui ils confient des tâches administratives ou de recherche, à Ottawa ou dans la circonscription, selon leurs besoins. Le total des budgets globaux des neuf députés en question atteint près de 1,5 million de dollars.

En plus du budget global, la Chambre fournit à chaque élu un bureau entièrement payé, à Ottawa, et couvre des frais accessoires importants tels les frais de téléphone, de poste, d’impression et de voyage. Tel est donc le niveau de soutien qu’offre la Chambre des communes à tout individu qui a été dûment élu député. C’est dans ce contexte que la requête de l’honorable député de Shefford doit être examinée.

On peut fort bien comprendre les raisons que le député peut avoir de presser le Bureau de la régie interne de les reconnaître, lui et ses collègues, comme une entité et de leur allouer en conséquence des fonds supplémentaires. Jusqu’à ce jour, ces efforts ont été infructueux, mais de là à conclure à l’abrogation des droits et privilèges de ces députés, il y a une marge et une marge qu’il est dangereux de dépasser.

La consultation des Débats révélera au contraire que le député de Shefford et ses collègues ont bénéficié de toute l’obligeance possible de cette Chambre et que la présidence a sauvegardé leur participation aux travaux selon des modalités tout à fait conformes à la procédure et aux pratiques de cette Chambre.

Durant la période des questions, le groupe a été autorisé à poser des questions dès la rentrée de la Chambre en septembre et il a obtenu la parole la plupart des jours où il voulait poser des questions au gouvernement ou faire des déclarations conformément à l’article 31 du Règlement.

Ces brèves observations visaient à expliquer aux députés — et au public qui observe — les ressources financières et l’infrastructure de soutien mises à la disposition du député de Shefford et de ses collègues. J’espère qu’elles dissiperont toute fausse perception de la situation et clarifieront le fait que les ressources financières et autres mises à la disposition des simples députés, indépendamment de leurs convictions politiques, sont également mises intégralement à la disposition des députés qui se sont désignés comme le « Bloc québécois ».

Il existe de profondes divergences d’opinions quant à la meilleure solution aux dilemmes politiques et constitutionnels auxquels nous faisons face actuellement. La conviction profonde qui s’attache à ces opinions et la complexité des questions qui nous occupent créent, quelquefois, une situation extrêmement explosive. La présidence promet de faire tout en son pouvoir pour servir cette Chambre d’une manière aussi équitable et impartiale que possible. Pendant ce temps, je sollicite la collaboration soutenue de tous les députés afin que les travaux de cette Chambre, quelles que soient la vigueur et l’âpreté de nos luttes politiques, soient marqués du sérieux et de la civilité auxquels nos électeurs sont en droit de s’attendre.

F0132-f

34-2

1990-12-13

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[1] Débats, 26 novembre 1990, p. 15716-15717.

[2] Débats, 27 novembre 1990, p. 15799-15801.

[3] Débats, 12 décembre 1990, p. 16636-16637.