Le privilège parlementaire / Droits des députés

Code sur les conflits d’intérêts : secrétaire parlementaire offensé par une insinuation de conflit d’intérêts

Débats, p. 6141-6142

Contexte

Le 3 décembre 1991, à la suite du report à deux reprises[1] de l’examen de sa question de privilège en raison de l’absence de l’autre député concerné, M. John MacDougall (secrétaire parlementaire du ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources) soulève une question de privilège au sujet des propos tenus par Mme Diane Marleau (Sudbury) lors des Questions orales le 28 novembre 1991.

La question portait sur un appel d’offres pour la construction d’un édifice pour le gouvernement fédéral. Dans sa question, Mme Marleau avait déclaré : « Je veux connaître la vraie raison qui se cache derrière ces belles paroles. Le propriétaire du second emplacement n’est-il pas le beau-frère du député de Timiskaming (M. MacDougall)[2]? »

Le secrétaire parlementaire avait répondu que ce n’était pas le cas. Après avoir souligné que ces « accusations [lui] causent du tort, ainsi qu’à [sa] famille et à la circonscription de Timiskaming », M. MacDougall fait part à la Chambre ce qu’il sait de l’appel d’offres.

En réponse, Mme Marleau donne sa version des faits et explique ce qu’elle en déduit. Dans le cours de son exposé, elle déclare : « Je n’accuse absolument pas le député de méfaits[3]. »

Le Président rend sa décision le 11 décembre 1991. Celle-ci est reproduite intégralement ci-dessous.

Décision de la présidence

M. le Président : Après avoir coopéré avec la présidence en remettant deux fois sa question de privilège à plus tard, le député de Timiskaming a demandé la parole le 3 décembre 1991, pour protester en raison de certains commentaires faits à la Chambre […], par la députée de Sudbury dans un échange de propos survenu au cours de la période des questions le jeudi 28 novembre 1991.

Ce jour-là, la députée de Sudbury a posé, au secrétaire parlementaire du ministre des Travaux publics (M. Dave Worthy), une question au sujet de l’annulation d’un contrat de construction d’un immeuble pour les Affaires des anciens combattants à Kirkland Lake.

Le secrétaire parlementaire a répondu à la question puis à la question supplémentaire suivante posée par la députée de Sudbury :

Je veux connaître la vraie raison qui se cache derrière ces belles paroles. Le propriétaire du second emplacement n’est-il pas le beau-frère du député de Timiskaming?

Le secrétaire parlementaire du ministre des Travaux publics a nié que ce soit le cas.

Le compte rendu des Débats mentionne que quelqu’un a alors crié : « Ça rapportera au beau-frère en tout cas. » De plus une autre députée a dit « Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour la famille. »

Comme je l’ai expliqué aux députés mardi dernier, je m’inquiète non seulement à propos de la question soulevée par la députée de Sudbury, mais aussi de l’atmosphère que la question a créée. La présidence doit déterminer si cette question et ces commentaires constituent seulement un manquement au Règlement ou s’ils comportent une question de privilège.

Le député de Timiskaming a eu, mardi dernier, tout le loisir de répondre à ce qu’il a qualifié « d’accusations » qui « me causent du tort, ainsi qu’à ma famille et à la circonscription de Timiskaming ».

La députée de Sudbury, pour sa part, a dit, en répondant au député de Timiskaming : « Je n’accuse absolument pas le député de Timiskaming de méfaits. »

Notre jurisprudence est très claire à cet égard. Il n’y a eu aucune accusation directe portée par la députée de Sudbury contre le député de Timiskaming, et la députée a nié avoir voulu insinuer quoi que ce soit en ce sens.

Pour ce qui est de la question plus restreinte de savoir s’il y a eu atteinte à un privilège à cause de cela, la présidence ne peut répondre par l’affirmative.

Il y a cependant un aspect plus troublant à toute l’affaire. Elle continue d’avoir un effet débilitant sur les délibérations qui se déroulent ici. En effet, une fois que certaines paroles sont dites, il est très difficile de les rétracter. Le député de Timiskaming a mentionné, dans son intervention de l’autre jour, le tort que les remarques faites à la Chambre lui avaient causé, à lui, à sa famille et à ses commettants. Et il a souligné que pour que la justice règne, il nous faut démentir ces allégations une fois pour toutes et empêcher qu’une telle situation ne se reproduise.

Au moment de trancher cette question de privilège, la présidence se console d’une certaine façon parce qu’il y a eu possibilité de démenti. La prévention est plus difficile à régler. Les paroles qui sont prononcées ici ont une diffusion à la fois considérable et instantanée. À coup sûr, elles laissent une impression. Ces paroles peuvent plus tard faire l’objet d’un démenti, les allégations ou les insultes qu’elles comportent peuvent être retirées, contredites ou expliquées ou faire l’objet d’excuses, mais l’impression quant à elle n’est pas toujours facile à faire disparaître.

La présidence a, à de nombreuses occasions dans le passé, rappelé aux députés l’obligation de respecter les conventions et traditions qui prévalent ici et celle de se conduire avec la courtoisie qui convient à des représentants élus. Cette courtoisie devrait s’appliquer non seulement aux interventions dans les débats, mais aussi aux questions, aux déclarations et même aux commentaires que le compte rendu officiel attribue à « des voix ».

La présidence veut souligner qu’un élément important de cette courtoisie consiste à s’abstenir d’attaquer autrui personnellement. Il y a de bonnes raisons à cette règle. D’abord, d’une manière générale, le respect de la personne est le fondement de notre société. Puis, il y a peu de choses plus susceptibles d’empoisonner l’atmosphère de la Chambre que des attaques personnelles en série, puisqu’elles laissent toujours un relent d’animosité et de malaise.

En conséquence, l’interdiction de se livrer à des attaques personnelles à la Chambre est fondamentale au maintien de l’ordre parlementaire. C’est la raison pour laquelle, moi et mes prédécesseurs sommes si souvent intervenus, par le passé, dans les délibérations, quand il nous semblait qu’une attaque personnelle contre quelqu’un était imminente.

Cependant, même si la présidence a beaucoup de pouvoir, elle n’a pas la science infuse-elle ne peut pas prévoir la tournure que les délibérations, les questions ou les interventions peuvent prendre. En définitive, la présidence doit compter sur la bonne volonté de chacun des députés.

Les déclarations faites ici visent à attirer l’attention, celle de la Chambre, celle des commettants de celui ou de celle qui fait la déclaration, celle des médias et celle du public en général. Il serait malhonnête de prétendre que les députés ne se rendent pas compte de l’impact de ce qu’ils ou elles disent sur l’auditoire qu’ils ou elles rejoignent.

La présidence ne peut utiliser de stratégie, si agressive ou interventionniste qu’elle soit, ni imaginer de réglementation, si complète et si sévère qu’elle soit, qui réussirait à mieux perpétuer les traditions parlementaires canadiennes auxquelles nous sommes attachés que le sens de la justice et de l’équité de chacun des députés. Plus précisément, vu la crise de confiance à l’égard des institutions parlementaires que nous traversons, nos électeurs n’en attendent pas moins de nous.

F0129-f

34-3

1991-12-11

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[1] Débats, 29 novembre 1991, p. 5547, 2 décembre 1991, p. 5648.

[2] Débats, 28 novembre 1991, p. 5508.

[3] Débats, 3 décembre 1991, p. 5682-5684.