Le privilège parlementaire / Droits des députés

Code sur les conflits d’intérêts : ministre offensé par des remarques au sujet d’une présumée violation du Code sur les conflits d’intérêts

Débats, p. 5765-5766

Contexte

Pendant les Questions orales du 13 avril 1987, M. Michael Cassidy (Ottawa-Centre) pose certaines questions au gouvernement afin de déterminer si l’hon. Otto Jelinek (ministre d’État à la Condition physique et au Sport amateur) a transgressé le Code sur les conflits d’intérêts qui s’applique aux ministres lors de la vente d’une participation dans un investissement immobilier mineur du centre-ville d’Ottawa.

Le 14 avril 1987, le ministre soulève une question de privilège à ce sujet. Le ministre déclare que le député a eu recours à « des renseignements dénaturés, à des demi-vérités et à des insinuations gratuites » pour « salir » sa réputation. Il indique que « ces renseignements et tous les autres renseignements pertinents [ont] toujours été de notoriété publique ».

Suite aux commentaires du ministre, M. Cassidy soutient qu’il croyait que les questions qu’il avait posées étaient légitimes à la lumière des lignes directrices relatives aux conflits d’intérêts et du Code de conduite des ministres. M. Cassidy déclare que ses questions n’ont pas laissé entendre que les activités du ministre auraient été illégales, mais il croit que « bien des éléments portent à croire » que le ministre a enfreint le Code de conduite. Il soutient que si les mesures prises par le ministre dans cette transaction sont permises par le Code de conduite, il faut alors apporter des changements à ce Code. À un certain moment, le Président intervient une fois de plus afin d’indiquer que la question à trancher est de savoir si le député, par ses questions, a voulu accuser le ministre d’une faute. M. Cassidy répond qu’il cherchait à se renseigner parce qu’il s’agit d’une importante question de politique publique. D’autres députés interviennent également à ce sujet[1].

Le Président indique alors qu’il examinera très attentivement les arguments invoqués. Le 5 mai 1987, il rend la décision reproduite intégralement ci-dessous.

Décision de la présidence

M. le Président : Je rappelle à la Chambre qu’il y a quelques jours, le ministre d’État à la Condition physique et au Sport amateur a soulevé la question de privilège à propos des questions du député d’Ottawa-Centre.

Je suis maintenant prêt à me prononcer sur la question de privilège soulevée le 14 avril par le ministre d’État (Condition physique et Sport amateur). J’estime que la question soulevée affecte l’essence même des droits et de l’immunité des députés.

Je dois dire que les députés sont protégés par le privilège absolu au sujet de tout ce qui se dit à la Chambre. C’est une notion difficile à comprendre pour le public et c’est pourquoi je tiens à l’expliquer soigneusement.

Seulement deux sortes d’institutions de ce pays jouissent de ce privilège très impressionnant — le Parlement et les Assemblées législatives provinciales d’une part, les tribunaux de l’autre. Ces institutions sont protégées par le privilège absolu parce qu’il faut absolument pouvoir dire la vérité, poser n’importe quelles questions et discuter en toute liberté. Le privilège absolu permet à ceux qui assument leurs fonctions légitimes dans ces institutions très importantes de l’État de ne pas être exposés à d’éventuelles poursuites judiciaires. C’est nécessaire dans l’intérêt national : cette protection est d’ailleurs jugée nécessaire depuis des siècles dans notre régime démocratique. Il permet à notre système judiciaire et à notre système parlementaire de fonctionner en toute liberté.

Un tel privilège donne de lourdes responsabilités à ceux qu’il protège. Je songe en particulier aux députés. Les conséquences d’un abus risquent d’être terribles. Des innocents risquent d’être victimes de diffamation sans avoir aucun recours. Des réputations risquent d’être ruinées par de fausses rumeurs. Tous les députés se rendent compte qu’ils doivent exercer avec prudence le privilège absolu qui leur confère une liberté de parole totale. C’est pourquoi de vieilles traditions visent à prévenir de tels abus à la Chambre.

Tout acte susceptible d’empêcher un député ou une députée de s’acquitter de ses devoirs et d’exercer ses fonctions porte atteinte à ses privilèges. Il est évident qu’en ternissant injustement la réputation d’un député on risque de l’empêcher de faire son travail. Normalement, un député qui juge être victime de diffamation a le même recours que n’importe quel autre citoyen; il peut intenter des poursuites en diffamation devant les tribunaux avec la possibilité de réclamer des dommages pour le tort qui lui a éventuellement été causé. Par contre, il ne peut pas avoir recours à de telles poursuites si la diffamation s’est produite à la Chambre.

Je signale aux députés que j’ai dit il y a un certain temps qu’à l’origine, lorsque le privilège absolu dont jouissent les députés a été mis en application à la Chambre des communes britannique, à une époque où ce qui se disait à la Chambre avait peu de chance d’être répété dans tout le royaume, la situation était très différente. À l’heure actuelle, à cause de la télévision et de la diffusion électronique, tout ce qui se dit à cet endroit est entendu dans la rue, dans toutes les régions du pays, et il ne faut pas l’oublier. On peut dès lors s’attendre à ce qu’un député se sente lésé dans ses privilèges et veuille se défendre avec acharnement. Je signale que pour des déclarations ou des insinuations faites ici, les députés ne peuvent pas intenter de poursuites devant les tribunaux et réclamer des dommages, même si elles ont été entendues à l’extérieur au moment même où elles ont été faites ici.

Une grave responsabilité incombe alors à la présidence dans de tels cas. La présidence ne tranche pas bien sûr la question. Seule la Chambre peut le faire. La présidence doit cependant déterminer, en s’appuyant sur les preuves disponibles, s’il faut accorder à la question la priorité sur toutes les autres affaires. Lorsque la présidence décide que c’est le cas, on propose une motion et il en résulte habituellement que la question est soumise au Comité permanent des élections, des privilèges et de la procédure. La présidence a un rôle crucial à jouer à cet égard.

En l’occurrence, certaines questions ont été posées qui, de l’avis du ministre, ont porté sérieusement atteinte à son intégrité et donc terni sa réputation. Voilà la position du ministre. J’ai examiné attentivement les questions ainsi que les interventions qui ont suivi la déclaration du ministre et je dois avouer qu’elles m’ont beaucoup troublé.

Peut-être, comme certains l’ont prétendu, les questions n’allaient-elles pas directement à l’encontre des usages de la Chambre en ce qui concerne le fait de porter des accusations. Je rappelle aux députés que j’ai écouté attentivement les questions et que je les ai autorisées. Néanmoins, je suis sûr que tous les députés comprendront la préoccupation de l’honorable ministre.

La Chambre a entendu la déclaration du ministre. Selon un usage de longue date de la Chambre, on doit croire un député sur parole. Compte tenu de toutes les circonstances de cette affaire, je suis sûr que cela n’empêche pas le ministre de jouer son rôle de député de la Chambre et de ministre. Je signale aux députés qu’il s’agit là d’une vraie question de privilège même si manifestement d’autres questions entrent en ligne de compte dans cette affaire, mais la présidence doit examiner attentivement la question de privilège proprement dite.

En ce qui concerne les questions dont s’est plaint le ministre, si légitimes soient-elles, j’ai déjà avoué avoir été troublé par leur contenu. J’exhorte tous les députés à faire très attention lorsqu’ils formulent ce genre de questions. Les questions concernant les lignes directrices sur les conflits d’intérêts sont tout à fait justifiées, bien entendu. Les députés ont le droit de fonder leurs questions sur les renseignements qu’ils ont réussi à obtenir et à vérifier.

Je rappelle toutefois à la Chambre qu’on ne peut porter une accusation directe à l’égard d’un député qu’au moyen d’une motion de fond dont il faut donner préavis. Il s’agit d’un autre usage de longue date destiné à éviter que l’on porte un jugement en faisant des insinuations malveillantes et que l’on abuse de notre privilège absolu de liberté d’expression. L’un de mes éminents prédécesseurs, M. le Président Michener, a déclaré dans une décision rendue le 19 juin 1959 et qui a été souvent invoquée à la Chambre, que cet usage découle des simples principes de justice[2].

J’estime donc, encore une fois compte tenu des circonstances et après avoir attentivement examiné les preuves qui m’ont été soumises, que cette question ne doit pas avoir priorité sur toutes les autres affaires de la Chambre. J’exhorte les députés à prendre bien garde de respecter les privilèges de leurs collègues à la Chambre.

Post-scriptum

Le 12 mai 1987, au début de la séance, M. Cassidy demande la permission de faire une déclaration à ce sujet. Il souhaite ainsi qu’on ajoute au compte rendu des renseignements complémentaires et explique que lorsqu’il a étudié le dossier en question, un élément d’information essentiel manquait, c’est-à-dire une lettre du sous-registraire général adjoint garantissant que la transaction avait été conclue conformément au Code de conduite. M. Cassidy déclare qu’il tient à « reconnaître qu’en ce qui a trait à la transaction d’Ottawa, le ministre d’État à la Condition physique et au Sport amateur a bel et bien agi de façon correcte en s’assurant qu’il respectait le Code de conduite des ministres ». Le ministre (M. Jelinek) remercie M. Cassidy de cette déclaration. Le Président remercie ensuite les deux députés pour leur conduite dans cette affaire[3].

F0127-f

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1987-05-05

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[1] Débats, 14 avril 1987, p. 5124-5134.

[2] Débats, 19 juin 1959, p. 5167-5170.

[3] Débats, 12 mai 1987, p. 5983.