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ETHI Rapport du Comité

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L’ingérence étrangère et les menaces entourant l'intégrité des institutions démocratiques, de la propriété intellectuelle et de l'état canadien

Introduction

Le 7 décembre 2022, le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique de la Chambre des communes (le Comité) a adopté une motion visant à entreprendre une étude « sur l'ingérence étrangère et sur les menaces entourant l'intégrité des institutions démocratiques, de la propriété intellectuelle et de l'État canadien lui-même qui découle de cette ingérence étrangère ». La motion précisait aussi que le Comité devrait consacrer au moins une réunion à la montée de la xénophobie au Canada en raison des allégations d’ingérence étrangère au pays.

Entre mars et juin 2023, le Comité a tenu 8 réunions publiques au cours desquelles 23 témoins ont été entendus. Le Comité remercie tous ceux et celles qui ont participé à l’étude.

Contexte

Le Comité a décidé de se pencher sur l’ingérence étrangère à un moment où ce sujet faisait l’objet d’une attention médiatique accrue et d’une attention particulière du Parlement, notamment en raison d’allégations relatives au financement de certains candidats aux élections canadiennes de 2019 par la République populaire de Chine[1] (RPC)[2].

Au moment où la motion a été adoptée, deux comités parlementaires de la Chambre des communes étudiaient déjà la question. Le 1er novembre 2022, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre des communes avait entamé une étude sur l’ingérence étrangère dans les élections. Le Comité spécial sur la relation entre le Canada et la République populaire de Chine de la Chambre des communes, qui poursuivait son étude sur les relations entre le Canada et la République populaire de Chine, venait de consacrer trois réunions à l’ingérence étrangère[3].

Conscient des travaux de ces deux comités, le Comité a adopté une motion lui permettant d’étudier l’ingérence étrangère sous un angle différent, notamment en se penchant sur l’impact des allégations d’ingérence étrangère au Canada et sur certaines communautés canadiennes, et en évitant de mettre l’accent sur l’ingérence dans les élections[4].

Le Comité note que d’autres organismes, tels que le Comité parlementaire de la sécurité nationale et du renseignement et l’Agence de surveillance de la sécurité nationale et du renseignement, étudient aussi l’ingérence étrangère[5].

Le Comité note également qu’en mars 2023, le gouvernement du Canada a nommé le très honorable David Johnston au poste de rapporteur spécial indépendant sur l’ingérence étrangère. Le travail du rapporteur spécial indépendant est abordé au chapitre 3.

Structure du rapport

Le rapport est divisé en trois chapitres. Le chapitre 1 traite de l’ingérence étrangère et d’enjeux liés dont la divulgation illicite de renseignement de sécurité nationale et la monté de la xénophobie. Le chapitre 2 offre un survol des cibles de l’ingérence étrangère et des tactiques utilisées par certains acteurs, dont le Parti communiste de Chine et la Russie. Il contient aussi un cas d’étude sur les allégations d’ingérence étrangère par l’entremise d’un don à la Fondation Pierre Elliott Trudeau. Enfin, le chapitre 3 discute des moyens qui permettraient d’améliorer la réponse canadienne aux tentatives d’ingérence étrangère et la confiance des citoyens en ses institutions démocratiques.

Chapitre 1 : L’ingérence étrangère et ses effets

Définition de l’ingérence étrangère

Sécurité Publique Canada indique que l’ingérence étrangère

inclus des activités nuisibles menées par des États étrangers, ou par ceux qui agissent en leur nom, de nature clandestine ou trompeuse ou qui comportent des menaces envers quiconque, visant à servir les objectifs stratégiques des États en question aux dépens des intérêts nationaux du Canada.[6]

Dan Stanton, ancien directeur général du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), a fait référence à la définition d’ingérence étrangère dans la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. Le terme « ingérence étrangère » n’est pas défini à l’article 2 de la Loi, mais l’article définit le terme « menaces envers la sécurité du Canada » comme incluant « les activités influencées par l’étranger qui touchent le Canada ou s’y déroulent et sont préjudiciables à ses intérêts, et qui sont d’une nature clandestine ou trompeuse ou comportent des menaces envers quiconque ». M. Stanton a spécifié que le SCRS ne fait de la surveillance que lorsqu'il détient une preuve d'activité clandestine.

M. Stanton a expliqué qu’il existe deux formes d’ingérence étrangère. En adoptant la première, l’État étranger cible les communautés de la diaspora sur des questions liées à leur pays d’origine. Ce type d’ingérence se fait par la manipulation ou l’intimidation. Le SCRS est en mesure de cibler ce genre d’activités[7]. En adoptant la deuxième forme d’ingérence, l’État cible trois ordres de gouvernement en utilisant des méthodes clandestines : des politiciens, des journalistes et des personnes de différents milieux. Dans ce dernier cas, M. Stanton a insisté sur le fait qu’il est important de distinguer une méthode clandestine d’une activité de lobbying. Selon lui, alors qu’un bref coup d’œil ne permet de voir que du lobbying, il pourrait s’agir d’une activité clandestine plus difficile à cerner et à contrer.

Pour Michel Juneau-Katsuya, ancien chef du bureau Asie-Pacifique du SCRS, l’ingérence étrangère consiste à jouer la carte de la tentation avec certaines personnes ciblées, ce que les failles des systèmes démocratiques permettent de faire et que les agents de la RPC, par exemple, comprennent bien. Il a ajouté que les gens aux pouvoirs et surtout ceux qui sont susceptibles d’être approchés et d’être utilisés, intentionnellement ou involontairement, consciemment ou inconsciemment, sont des cibles et seront utilisés pour de l’ingérence.

L’ingérence étrangère est un sujet complexe. De nombreux témoins l’ont défini à partir de leur propre expérience ou de leur connaissance des différentes tactiques utilisées par d’autres pays. Comme l’a déclaré Ai-Men Lau, conseillère d’Alliance Canada Hong Kong (ACHK), l’ingérence étrangère est « un sujet délicat et nuancé à appréhender. »

Mme Lau a expliqué que la partie délicate que nous devons aborder en discutant de l’ingérence étrangère est que « [c]ette dernière ne se limite pas à la politique et aux bulletins de vote, mais s’étend à nos infrastructures culturelles et sociales et à la recherche. » Elle a ajouté que

Sur le plan de la politique, nous avons certainement observé des efforts visant à augmenter la participation civique, notamment chez des organisations affiliées. Il nous est toutefois très difficile de trouver directement un exemple et de dire qu'il s'agit d'ingérence étrangère.

Selon M. Juneau-Katsuya, il existe une très grande différence entre l’influence et l’ingérence étrangère. Ainsi, pour être en mesure de sévir contre l'ingérence étrangère, il faut savoir la reconnaître et bien l'encadrer. En effet, Artur Wilczynski, chercheur principal de l’École supérieure d'affaires publiques et internationales de la Faculté des sciences sociales de l’Université d'Ottawa, a noté que « la complexité de l'ingérence étrangère nous oblige à comprendre les liens entre un vaste éventail de questions interreliées ».

Raphaël Glucksmann, le président de la Commission spéciale sur l’ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratiques de l’Union européenne (UE), y compris la désinformation, et sur le renforcement de l’intégrité, de la transparence et de la responsabilité du Parlement européen (la Commission spéciale), a pour sa part illustré la différence entre l’influence et l’ingérence étrangère en comparant les États-Unis et la Russie. Selon lui, les États‑Unis mènent des opérations d’influence ou de surveillance, alors que la Russie mène des activités dont l’objectif vise à déstabiliser des institutions dans des états étrangers, ce qui constitue de l’ingérence étrangère.

Artur Wilczynski a toutefois souligné que l’influence peut être tout aussi dangereuse pour les valeurs d’une société démocratique que l’ingérence étrangère. Il a donné l’exemple des actions du gouvernement russe ciblant la communauté 2ELGBTQI+ et visant à miner le soutien canadien et la cohésion sociale autour des droits à l’égalité pour une communauté historiquement marginalisée.

Ingérence étrangère et confiance envers les institutions démocratiques

M. Juneau-Katsuya est d’avis que l’inaction des gouvernements fédéraux à travers les trente dernières années à l’égard des menaces de l’ingérence étrangère au Canada, et ce malgré qu’ils aient tous été informés à un moment donné par le SCRS de ces risques, a contribué au problème et non à la solution.

M. Stanton a aussi dit que le blâme concernant l’inaction du gouvernement canadien ne peut être jeté sur un gouvernement en particulier. Il a rappelé que les services de renseignements produisent des rapports sur l’ingérence étrangère depuis plusieurs années et que personne n’a réagi. Selon lui, « cette menace et la façon dont le gouvernement va réagir ou la façon dont il a réagi par le passé ont transcendé les partis et le temps ». À son avis, la question d’ingérence étrangère ne devrait pas être une question partisane.

M. Wilczynski a lui aussi rappelé que la communauté de la sécurité et du renseignement réagit et parle de la menace que pose l’ingérence depuis des années, mais qu’il a fallu attendre la divulgation illicite de renseignement de sécurité nationale, la réaction maladroite de certains au sein du gouvernement et les accusations hyperboliques lancées contre le gouvernement et ses institutions pour en arriver à avoir une conversation nationale sur l’ingérence étrangère. Selon lui, le ton et le contenu de la conversation ont toutefois ébranlé davantage la confiance des Canadiens envers les institutions démocratiques.

Pour sa part, Cheuk Kwan, le co-président de la Toronto Association for Democracy in China, est d’avis que « le gouvernement devrait adopter un message et une position plus fermes » au sujet de l’ingérence étrangère. Cela enverrait un message clair aux pays hostiles qui mènent des activités d’ingérence étrangère au Canada.

Jonathan Manthorpe, auteur-chroniqueur en affaires internationales, a affirmé que le Canada éprouve un problème de confiance envers ses institutions démocratiques qui va au-delà de l'ingérence étrangère et qui s’est dégradé au cours des 20 ou 30 dernières années pour diverses raisons.

Pour raviver la confiance envers les institutions démocratiques, plusieurs témoins ont souligné que le gouvernement devrait faire preuve de plus de transparence.

Transparence en matière de sécurité nationale

Thomas Juneau, professeur agrégé à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d'Ottawa, a dit que le débat sur la transparence quant aux menaces touchant la sécurité nationale et les institutions démocratiques est très polarisé :

D'un côté, certaines personnes font des déclarations exagérées sur le fait que la survie de la démocratie canadienne est en jeu, ce qui n'est pas le cas, à mon avis. Par ailleurs, d'autres affirment que la menace d'ingérence étrangère est écartée, ce qui, je crois, est une sous-estimation de la menace.
Les représentants du gouvernement doivent faire preuve de beaucoup plus de transparence et fournir un point de vue équilibré, en disant qu'effectivement, il y a un problème, et que c'est un vrai problème, mais en étant aussi précis et équilibré que possible.

Selon M. Juneau, « la transparence est — ou pourrait être, si elle était mieux utilisée — un catalyseur crucial de la sécurité nationale et l'un de nos principaux atouts dans la lutte contre l'ingérence étrangère ». Il a donc identifié trois domaines dans lesquels le Canada devrait s’améliorer pour offrir une meilleure transparence : l’accès à l’information; la déclassification de documents historiques et la surclassification; et la communication du gouvernement avec les Canadiens en matière d’enjeux de sécurité nationale.

Au sujet de l’accès à l’information, M. Juneau a dit :

[L]e système d'accès à l'information du Canada est inefficace et dysfonctionnel, et il n'atteint pas ses objectifs. Cela a plusieurs répercussions négatives en général, mais aussi sur le plan de la sécurité nationale. Elle empêche la tenue d'un débat public plus éclairé qui serait pourtant essentiel pour sensibiliser les Canadiens, y compris les parlementaires, à la sécurité nationale. Nous parlons d'un élément crucial de la résilience sociale qui constitue notre première ligne de défense contre l'ingérence étrangère et d'autres menaces. Ce mauvais fonctionnement du système d'accès à l'information est un symptôme. Cela montre que le gouvernement, aux niveaux politique et bureaucratique, n'accorde pas suffisamment d'importance aux enjeux liés à la transparence.

M. Juneau a ajouté qu’une plus grande importance devrait être accordée à la déclassification de dossiers historiques et au problème de surclassification, qui représentent des obstacles importants à la sensibilisation des Canadiens et des parlementaires, ainsi qu’à la tenue d'un débat public mieux informé sur la nature des menaces à la sécurité nationale et la façon de les atténuer. Il a aussi reproché au gouvernement de ne pas fournir aux médias de l’information de qualité qui permettrait de rehausser le niveau de littéracie des Canadiens en matière de sécurité nationale. À son avis, le gouvernement tend à mettre l’accent sur l’atténuation du risque plutôt que sur la culture de transparence. Selon lui, il faut donc repenser la façon dont le gouvernement communique avec les Canadiens.

M. Juneau a aussi noté que le Canada néglige un outil important à leur disposition : la divulgation stratégique de renseignement. Il a donné l’exemple du Royaume-Uni qui a « habilement utilisé la divulgation stratégique de renseignements pendant la période précédant l'invasion de l'Ukraine par la Russie ». La divulgation stratégique de renseignements fait référence, par exemple, au partage d'évaluations des principaux défis de sécurité nationale par les États afin de sensibiliser le public et de lutter contre la désinformation[8].

M. Stanton, pour sa part, a parlé d’une affaire de 2022 au Royaume-Uni où le MI5, soit l’agence de services de sécurité britannique comparable au SCRS, avait publiquement lancé une alerte contre Christine Lee, une amie et importante donatrice d’un député du parlement britannique, pour avoir facilité le transfert d’argent provenant du Département du travail du Front uni (DTFU) permettant à la RPC d’influencer et de soutenir la campagne du député. Selon M. Stanton, cette affaire comportait des renseignements fiables, mais qui n’atteignaient aucun seuil légal, « alors le mieux que les Britanniques pouvaient faire était d'envoyer un bulletin général à tout le monde, identifiant Mme Lee et disant essentiellement de rester à l'écart de cette dernière parce qu'elle était une actrice d'influence étrangère ».

M. Stanton a toutefois expliqué la raison pour laquelle ce type d’annonce publique, parfois faite par des pays alliés, n’a pas eu lieu au Canada :

Ces communiqués de presse de pays alliés étaient probablement fondés sur des renseignements très convaincants, probablement vérifiables, et ils ont donc publié le communiqué. Toute l'information que nous obtenons des médias, sauf votre respect, ce ne sont que des allégations. Pourquoi le gouvernement canadien ne lance-t-il pas ces avertissements et n'envoie-t-il pas des courriels à tout le monde? C'est peut-être que les renseignements n'étaient pas assez solides ou fiables pour qu'il soit nécessaire de les transmettre aux députés.

Divulgation illicite de renseignements de sécurité nationale

M. Wilczynski a affirmé que les divulgations illicites de renseignement de sécurité nationale ont peut-être attiré l'attention nationale sur l'ingérence étrangère, mais qu’elles ont aussi nui aux efforts visant à faire face à la menace, en plus d’être incompatibles avec la défense de la démocratie.

M. Wilczynski a expliqué les dangers liés à la divulgation illicite de renseignements sur la sécurité nationale. Lorsque des renseignements sont divulgués de manière illicite, les services de renseignement de pays étrangers peuvent déterminer beaucoup de choses. Par exemple, « [i]ls peuvent trouver la source de l'information et savoir qui aurait potentiellement cherché à obtenir ces informations initialement, ce qui compromet ainsi des personnes au sein des services de la sécurité et du renseignement ». Les services de renseignement de pays étrangers peuvent également élaborer des stratégies afin d’éviter des tactiques similaires à l’avenir. Lorsqu’ils évitent ou modifient leurs tactiques, cela élimine ou réduit grandement la capacité de nos services de sécurités et de renseignements à maintenir l’accès, la transparence et la visibilité de leur travail.

Selon M. Wilczynski, le respect des lois est un élément fondamental de la démocratie canadienne. Elles sont mises en place non seulement pour donner un cadre aux agents de la sécurité nationale afin d’effectuer leur travail et d’assurer la sécurité nationale, mais aussi pour maintenir le respect des droits et libertés des Canadiens. Il a expliqué ce qui suit :

Lorsque des fonctionnaires ne suivent pas la loi et ne respectent pas les règles auxquelles nous sommes dûment assujettis au chapitre de la conformité et que nous avons mises en place pour mesurer notre comportement, les effets sont multiples, particulièrement, à mon avis, en ce qui concerne les droits de la personne. Quand un fonctionnaire utilise les pouvoirs et les documents habilitants pour accéder à des informations et ensuite de son propre chef, en dehors du cadre des lois qui nous régissent, qu'il décide de fournir ces informations sans contexte, sans explication et sans analyse dans le domaine public, il viole toute une série de choses. Il s'agit non seulement de leurs obligations... mais les droits des personnes nommées dans ces divulgations — leurs droits à la vie privée et leurs droits à l'application régulière de la loi — sont violés.

M. Wilczynski a aussi dit :

Lorsque des fonctionnaires divulguent du renseignement, ils portent atteinte aux droits de la personne des personnes citées […] Ce renseignement est divulgué sans respect des procédures, sans présomption d'innocence et sans que les personnes concernées puissent se défendre efficacement.

Pour M. Wilczynski, c’est le fait d'agir en dehors de la primauté du droit qui rend les divulgations illicites fondamentalement antidémocratiques.

Andrew Mitrovica, journaliste d’enquête, a décrit la situation des divulgations illicites comme suit : « Une sorte de chasse aux sorcières hystérique est entretenue par des journalistes assoiffés de primeurs et par ce qui est probablement une poignée de membres de la vaste infrastructure du renseignement de sécurité du Canada, qui n’a guère de comptes à rendre ». C’est dangereux selon lui, car la réputation et les moyens de subsistance de certaines personnes peuvent être compromis par ce genre d’allégation.

D’autres témoins ont critiqué la divulgation illicite de renseignements de sécurité nationale. Par exemple, M. Stanton a indiqué que les médias idolâtrent à tort les auteurs de fuite illicite d’information. Selon lui, ils sont « décrits comme des patriotes outrés par cette dissimulation flagrante, et ils vont maintenant protéger les Canadiens en divulguant des renseignements ». Il estime que le portrait peint de ces dénonciateurs ne ressemble pas aux personnes qui travaillent au sein du SCRS. Ainsi, M. Stanton a affirmé ne pas croire que les divulgations illicites publiées dans les médias proviennent réellement du SCRS. Selon lui, la personne à l’origine de la fuite

C'est quelqu'un qui n'a pas accès à l'ensemble du tableau. Il ou elle ne voit pas tout le travail ni tout l'effort qui est nécessaire pour neutraliser certaines menaces. Cette personne ne voit qu'un petit morceau du casse-tête, mais elle a décidé, de sa propre initiative et, je dirais, avec une certaine arrogance, qu'elle avait la prérogative de causer des torts comme elle l'a fait pour soutenir sa cause, peu importe de quoi il s'agit.

M. Juneau-Katsuya et M. Stanton ont tous deux confirmé ne pas connaître l’origine des fuites d’informations récentes et qu’il est difficile d’en déterminer la provenance exacte.

Observations du Comité

Le Comité reconnaît que la transparence contribue à la confiance du public envers les institutions démocratiques et à un débat public sain. Il reconnaît également l’importance du respect des règles entourant la communication de renseignements de sécurité nationale et le travail des agents dans les services de renseignement. Dans le but de trouver un équilibre entre la transparence et les intérêts en matière de sécurité nationale, le Comité fait les recommandations suivantes.

Recommandation 1

Que le gouvernement du Canada améliore le système de déclassification des documents historiques, tel que recommandé dans son rapport sur l’état du système d’accès à l’information publié en juin 2023, et établisse et mette en œuvre des directives de classification plus claires pour les documents portant sur la sécurité nationale.

Recommandation 2

Que le gouvernement du Canada modifie la Loi sur l’accès à l’information afin de préciser que le système d’accès à l’information repose sur une culture d’ouverture et de transparence et qu’il mette en œuvre les autres recommandations du Comité dans son rapport sur l’état du système d’accès à l’information publié en juin 2023.

Recommandation 3

Que le gouvernement du Canada demande un partage accru et régulier d’information pertinente au public par le Service canadien du renseignement de sécurité afin d’augmenter la littéracie en matière de sécurité nationale.

Recommandation 4

Que le gouvernement du Canada renforce les règles et les sanctions encadrant les divulgations illicites d’information concernant la sécurité nationale.

Xénophobie et autres impacts de l’ingérence étrangère sur certaines communautés canadiennes

Xénophobie

La xénophobie se décrit comme un sentiment d’hostilité envers l’étranger[9].

Gabrielle Lim, doctorante au Citizen Lab de la Munk School of Global Affairs and Public Policy à l’Université de Toronto, a tenu à apporter une nuance sur l’ingérence étrangère et l’impact qu’elle peut avoir : prouver que certaines activités ont eu lieu n’équivaut pas à prouver leurs conséquences. Elle a suggéré d’éviter les exagérations dans ce débat, au risque de saper la confiance de la population dans les élections et de semer la discorde, y compris en se mettant à dos certaines communautés et en renforçant la xénophobie.

Mme Lim est d’avis que pour réduire l’impact de la xénophobie au Canada

il faut faire attention à la façon qu'on a de dire certaines choses. Il faut répéter qu'il s'agit des agissements du Parti communiste chinois […] et non de la population chinoise en général... Je crois — et la plupart d'entre vous en êtes bien conscients; ce n'est pas nouveau — qu'il faut être prudent quant aux mots utilisés... Nous devrions critiquer le PCC et mettre en lumière toutes ses activités, mais je voudrais également éviter de me faire cracher au visage ou de me faire crier une insulte raciste dans la rue. C'est une simple mise en garde. Il nous faut être prudents dans notre manière de traiter de ce sujet.

Mme Lim a également recommandé de s’assurer que d’éventuels mécanismes législatifs visant à contrer l’ingérence étrangère tiennent compte de leurs conséquences possibles sur des personnes et des communautés qui sont déjà victimisées ou ciblées par l’ingérence. Selon Mme Lim,

il ne faut pas victimiser à nouveau des personnes qui ont déjà été ciblées. Par exemple, une personne pourrait être ciblée en raison de son appartenance à une diaspora, ce qui pourrait entraîner une surveillance accrue de cette personne par les forces de l'ordre. Ce n'est pas nécessairement souhaitable, car elle peut avoir déjà eu une mauvaise expérience avec la police.

Dans le même ordre d’idées, Mme Wong a argué qu’il est raciste et simpliste de tenir pour acquis que toutes les communautés ethniques chinoises appuient nécessairement le Parti communiste de Chine. Selon elle, ces communautés ne sont pas monolithiques et brillent plutôt par leur vitalité et la diversité de leurs langues, de leurs cultures et de leurs politiques.

En ce qui concerne les points de vue véhiculés par les médias, la sphère politique, et la société en général, Mme Wong a dit être

déçue de constater que les discours des médias, de la sphère politique et de la société font fi des observations des communautés de la diaspora, lesquelles possèdent pourtant de précieuses connaissances qui permettent notamment de faire la différence entre une personne d'intérêt, une cible de l'influence étrangère, un complice consentant, un agent actif et une personne ayant des liens avec le consulat. Certains points de vue sensationnalistes ont suscité des sentiments racistes et xénophobes à l'endroit des Asiatiques au Canada, ne faisant pas les nuances que peuvent apporter les voix dissidentes venant du Tibet, de Hong Kong et des communautés ouïgoures.

Diaspora chinoise et Ouïghours canadiens

Le Comité reconnaît que d’autres communautés peuvent ressentir les effets de l’ingérence étrangère au Canada. Néanmoins, dans le cadre de son étude, le Comité a surtout entendu des témoins parler de ces effets sur la diaspora chinoise du Canada et sur les Ouïghours canadiens (ou « Ouïgours ») qui subissent en quelque sorte un double préjudice en raison de l’ingérence étrangère. Ils font face à une montée de la xénophobie à leur égard et ils sont eux-mêmes visés par les activités du Parti communiste de Chine au Canada. Ces témoignages sont résumés ci‑dessous.

Les membres de la diaspora chinoise subissent de l’intimidation du moment qu’ils résistent aux efforts de contrôle transnationaux du Parti communiste de Chine, a relaté Mme Lau. Elle a donné comme exemple que « les pneus de dissidents sont crevés, des activistes sont harcelés et menacés, les permis d'étudiants étrangers sont refusés et des demandes de passeport sont rejetées »[10]. Le fait de critiquer ouvertement la RPC ou de dénoncer ses efforts d’influence poserait un risque énorme pour les membres de la diaspora chinoise. Ce risque consisterait en la perte de possibilités de carrière, d’occasions d’affaires, de financement pour la recherche, en plus de menacer leur sécurité et celle de leur famille.

Selon Mme Lau, l’efficacité du système mondial de contrôle et de surveillance de la RPC est telle que de nombreux membres de la diaspora chinoise finissent par s’autocensurer. Elle a toutefois noté « qu’il serait naïf de penser que la RPC est le seul pays à s'adonner à l'ingérence étrangère » et encouragé le Comité « à examiner des solutions ne ciblant pas un pays en particulier et à consulter les autres diasporas pour connaître leurs opinions ».

Mme Wong a noté qu’il existe certains risques liés pour les activistes et les membres de la communauté sino-canadienne lorsqu’ils tentent de faire la lumière sur l’ingérence et l’influence étrangère:

Quand il est question d'ingérence et d'influence étrangères, il n'est pas nécessairement facile de détecter ces activités et de pouvoir dire qu'un État étranger intervient dans sa vie.
Par exemple, depuis mon apparition sur CBC vendredi dernier, Internet est extrêmement lent à la maison et j'ai reçu plus d'appels, de courriels et de messages textes frauduleux. Est‑ce un acte d'ingérence ou d'influence étrangères? Je l'ignore, ne possédant pas l'expertise nécessaire pour dire si ces phénomènes découlent de mon apparition dans les médias.
Le principal problème, c'est que la communauté craint d'apparaître dans les médias, car dans certains cas extrêmes, des activistes et des dissidents ont reçu des menaces sur les médias sociaux et en personne. Certains membres de la communauté ont déploré que leurs pneus aient été crevés après avoir participé à un événement organisé pour commémorer le 4 juin.
Il existe tant de menaces et de tentatives d'ingérence que nous ne pouvons pas simplement affirmer « cela s'est produit », sinon nous pourrions identifier le problème. Nous ne sommes pas des experts en sécurité.

Le cas particulier des Ouïghours canadiens a été présenté au Comité par Mehmet Tohti, directeur général du Projet de défense des droits des Ouïghours. Il a expliqué comment les Ouïghours s’efforcent de préserver leur identité ethnique, religieuse et linguistique – qui est distincte de la culture chinoise et qui ne fait pas partie de la diaspora chinoise, tout comme les Tibétains et les Mongols. Le portrait dressé par M. Tohti est sombre. Selon lui, les Ouïghours sont victimes d’un génocide et de crimes contre l'humanité commis par le Parti communiste de Chine.

Selon M. Tohti, les Ouïghours canadiens subissent de nombreuses formes d’intimidation et de harcèlement de la part du Parti communiste de Chine et ce, depuis des décennies. Il a confié au Comité avoir fait l’expérience de toutes les formes d'ingérence imaginables par le Parti communiste de Chine pendant ses 33 ans d’exil, tant dans sa vie personnelle que professionnelle. Il a été isolé de certains membres de sa famille au Turkestan oriental. Il fait aussi constamment face à des menaces, de l’intimidation et du harcèlement. La mésinformation et les attaques contre les groupes de soutien aux Ouïghours dont il a fait partie l’empêchent d’entrer dans de nombreux pays comme la Turquie, le Pakistan, l'Afghanistan, certaines républiques de l'Asie centrale et des pays du Moyen-Orient.

M. Tohti a aussi indiqué que plusieurs années passées, un fonctionnaire de la Commission des affaires étrangères de la RPC l’a sommé d’arrêter d’essayer de gagner la sympathie des Canadiens envers les Ouïghours et de multiplier ses allégations de génocide culturel et de ne pas participer à une conférence internationale rassemblant des groupes ouïghours présents partout dans le monde. Le fonctionnaire en question a menacé de s’en prendre aux membres de la famille de M. Tohti qui étaient alors détenus par la police de la RPC.

Ce harcèlement se poursuit toujours aujourd’hui. M. Tohti a indiqué qu’en janvier 2023, il a reçu un appel de la police d’État d’Urumchi dans la RPC, qui détenait son oncle. On lui a dit que sa mère et ses deux sœurs étaient mortes. Selon M. Tohti, la surveillance, les menaces, l'intimidation et le harcèlement de Pékin sont constants.

M. Tohti a argué que le Parti communiste de Chine tente à tout prix de garder le contrôle sur les Ouïghours et les autres peuples pour ne pas qu’ils manifestent ou témoignent des crimes commis. Même dans un pays démocratique et libre comme le Canada, M. Tohti considère que les Canadiens d'origine ouïghoure ne sont pas vraiment libres en raison de cette pression constante exercée sur eux par le régime du Parti communiste de Chine et des menaces qui les guettent de voir des membres de leurs familles pris en otage.

Qui plus est, selon M. Tohti, les Canadiens d’origine ouïghoure ne sont pas traités comme les autres Canadiens lorsqu’ils interagissent avec le Parti communiste de Chine. Ils se voient plutôt imposer des règles complètement différentes, en RPC comme au Canada. On leur demande par exemple d'être des informateurs pour le Parti communiste de Chine et de lui signaler tout ce qui se produit au Canada[11].

Observations du Comité

Le Comité trouve aberrant que des citoyens canadiens fassent l’objet de telles menaces au Canada. Considérant la montée de la xénophobie au Canada, l’impact de l’ingérence étrangère sur certains citoyens canadiens, notamment de la diaspora chinoise et des Ouighours canadiens, le Comité recommande :

Recommandation 5

Que le gouvernement du Canada s’engage à ce que tous mécanismes législatifs élaborés dans le but de contrer l’ingérence étrangère tiennent compte des conséquences possibles sur des personnes et des communautés qui sont déjà victimisées ou ciblées par l’ingérence étrangère au Canada et qu’il s’engage à inviter ces communautés à participer à l’élaboration des mesures permettant de contrer les effets de l’ingérence qu’elles subissent.

Évolution de la technologie

Certaines inquiétudes quant à l’évolution rapide de l’intelligence artificielle (IA) et son impact sur l’ingérence étrangère ont aussi été soulevées par des témoins. Notamment, M. Juneau‑Katsuya a dit que le développement rapide de l’IA représentera bientôt un énorme défi. Elle risque de permettre au pays utilisant cette technologie de passer à l’offensive et de déterminer plus facilement les cibles auxquelles s’attaquer. Il s’agit d’un réel danger pour la sécurité nationale.

M. Glucksmann a indiqué que l’IA n’a pas encore eu un impact dans sa pleine mesure sur le type ou la portée de l’ingérence étrangère ou la façon de la faire, mais que cela va arriver très vite. Il a mentionné avoir visité le Centre d’excellence de l’OTAN à Riga, où il a pu voir les progrès faits par l’IA et, entre autres, sa capacité à construire des campagnes d’une complexité incroyable, en deux minutes, sans avoir à employer le moindre salarié.

M. Stanton s’est également dit inquiet du fait que la politique en sécurité nationale n’a pas été renouvelée depuis qu’elle a été rédigée en 2004[12]. Selon lui, il est évident que le paysage de la menace au Canada a énormément changé au cours des 20 dernières années, sur le plan qualitatif et qu’il y a « de nouvelles menaces liées à l'intelligence artificielle et à toutes sortes de choses ».

M. Glucksmann, a par ailleurs noté que la Commission spéciale a constaté, grâce à des discussions avec des scientifiques, que la structure des algorithmes favorise la promotion des opinions addictives, c’est-à-dire celles qui sont notamment les plus radicales ou extrêmes. Par exemple, « l'émoticône de la colère sur Facebook a une pondération cinq fois plus importante que l'émoticône pour aimer une publication, l'algorithme favorise ce type de polarisation ». Selon lui, l’agora publique d’aujourd’hui est dans la sphère de la propriété privée. Il a mentionné les efforts de l’UE pour lutter contre le lobbying de certaines plateformes, notamment en adoptant le Règlement sur les services numériques[13].

M. Wilczynski a décrit l’environnement en ligne de plutôt complexe et évolutif. Selon lui, l’important c’est de comprendre ce qu’est un comportement inauthentique, c’est-à-dire lorsque des pays utilisent divers outils pour secrètement amplifier des messages qu’ils savent contraires aux intérêts des pays ciblés, ou encore dans le but d’amplifier leurs propres intérêts. Il peut également arriver que des activités inauthentiques semblent authentiques par le soutien que leur accordent des acteurs légitimes d’un certain État. Selon lui, l’IA rendra la situation de l’ingérence étrangère beaucoup plus complexe. Il a mentionné par exemple la technique du deepfake, ou de l’hypertrucage, une technique de synthèse multimédia permettant de manipuler une image ou une vidéo de sorte qu’il soit très difficile de distinguer le vrai du faux.

M. Wilczynski a aussi dit ce qui suit à l’égard de l’amplification de certains messages:

Je suis particulièrement inquiet à propos des acteurs non étatiques et particulièrement des acteurs non étatiques d'États amis. Je crois qu'il n'est pas difficile de voir comment les organisations extrémistes violentes à caractère idéologique, particulièrement celles basées aux États-Unis, tentent d'amplifier certains messages qui divisent les communautés de minorités ciblées, qu'il s'agisse de promouvoir l'antisémitisme, l'islamophobie, l'homophobie ou la transphobie, et de porter atteinte aux principes et aux valeurs démocratiques. De nombreuses personnes agissent de manière non transparente. Ces dernières ne sont pas des acteurs étatiques; donc, la capacité des gouvernements comme le nôtre de les combattre est un défi. À mon avis, c'est l'un des aspects qui devraient faire l'objet d'une enquête.

Observations du Comité

Considérant que les tentatives d’ingérence étrangère se multiplient et deviennent de plus en plus sophistiquées en raison des avancées technologiques, le Comité recommande.

Recommandation 6

Que le gouvernement du Canada révise et mette à jour la politique en matière de sécurité nationale du Canada et que cette nouvelle politique définisse les règles permettant au Service canadien du renseignement de sécurité d’avertir directement les membres du Parlement canadien de menaces liées à l’ingérence étrangère.

Recommandation 7

Que le gouvernement du Canada utilise pleinement la législation existante, comme la Loi sur la protection de l'information et d'autres lois pertinentes, en tant que ressources et outils d'application de la loi.

Recommandation 8

Que le gouvernement du Canada mette à jour sa politique de sécurité nationale afin d’y inclure une politique sur les menaces causées par l’utilisation de l’intelligence artificielle par des acteurs étrangers.

Recommandation 9

Que le gouvernement du Canada investisse dans les connaissances et les capacités numériques stratégiques du Canada et de ses agences de sécurité nationale afin d’améliorer les capacités à détecter et contrer les activités d’ingérence étrangère menées avec l’aide de l’intelligence artificielle.

Chapitre 2 : Cibles et techniques d’ingérence étrangère

M. Juneau-Katsuya et M. Stanton sont d’avis que le travail et l'ampleur des services de renseignement de la RPC sont extraordinaires. M. Juneau-Katsuya a expliqué que la RPC est probablement l'opposant le plus formidable de l'histoire de l'humanité auquel nous sommes confrontés, à cause des moyens dont elle dispose, de la subtilité avec laquelle elle travaille et de l'ampleur de ses opérations. Il a toutefois rappelé que ce n'est pas le seul État qui exerce ce genre d'opérations. Beaucoup de pays font de même.

M. Stanton a souligné ce qui suit :

Nous avons observé un changement dans l'ingérence iranienne: le pays fait maintenant appel à des entreprises du secteur privé. Les médias au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni en parlent. Ils utilisent des enquêteurs privés pour suivre les gens. Il y a eu quelques changements dans la manière dont ils procèdent; il y a du harcèlement et la situation des dissidents se détériore.
La Russie a toujours été un acteur, mais la Russie est très forte au niveau du renseignement et de ses services de renseignement. Elle procède un peu différemment de la Chine.
Un autre pays selon moi est l'Inde. L'Inde fait de l'ingérence étrangère au Canada. Nous l'avons constaté, et nous l'avons vu dans les médias.
Il existe un certain nombre d'États étrangers. Comme le déclare l'un de mes collègues, ils ne sont pas nécessairement tous hostiles envers les intérêts du Canada. Certains d'entre eux sont neutres, si je puis dire. Certains pourraient être des alliés.

M. Juneau-Katsuya a ajouté quelques exemples additionnels, tels que le Rwanda et l’Arabie saoudite. Il a également souligné que l’ingérence étrangère peut aussi être perpétrée par des alliés internationaux.

Néanmoins, au moment où les témoins ont été entendus par le Comité, les deux acteurs principaux en matière d’ingérence semblaient être la RPC et la Russie. Les témoignages entendus portaient donc davantage sur ces deux pays et les techniques d’ingérence étrangère qu’ils utilisent.

Les techniques communes de la République populaire de Chine et de la Russie

M. Glucksmann a noté que l’ingérence est un danger pour toutes les démocraties. Selon lui, il faut accepter que des régimes comme ceux présents en RPC et en Russie sont philosophiquement, idéologiquement et viscéralement hostiles aux démocraties libérales et qu’ils ont comme but de les affaiblir et d’instaurer ce que Xi Jinping et Vladimir Poutine ont appelé un nouvel ordre mondial. Ainsi, selon lui, une démocratie comme celle du Canada n’est probablement pas épargnée des menaces qui touchent d’autres démocraties.

Selon M. Glucksmann, la Russie et le Parti communiste de Chine utilisent certaines techniques communes en matière d’ingérence étrangère. Elles sont décrites ci-dessous.

Capture d’élite

D’après M. Glucksmann, la première stratégie commune de la Russie et du Parti communiste de Chine est la capture d’élite qui permet d’assurer le contrôle des réseaux et de compromettre le processus décisionnel[14]. M. Baxendale, directeur général de la China Democracy Foundation et d’Optimum Publishing International, est d’avis que la capture d’élite est l'une des plus grandes menaces et tactiques utilisées par le Parti communiste de Chine. « Il s'agit d'amener des leaders et des personnalités publiques à percevoir les actions et les objectifs du [Parti communiste de Chine] de manière positive et à adopter des positions favorables à la République populaire de Chine dans leurs sphères d'influence ».

M. Juneau-Katsuya a indiqué qu’il y a des agents et même des diplomates étrangers qui, dans le cadre d'activités de renseignement à l’étranger, peuvent cerner et même envoyer des gens qui seront en mesure d’agir comme taupe dans un service de renseignement ou dans un gouvernement. Il ne s’agit pas de nouvelles techniques.

M. Baxendale a aussi noté que la capture d’élite n’est pas un phénomène nouveau. Elle se manifeste depuis les années 1980 et 1990.

M. Baxendale a identifié trois catégories de personnes ciblées par la capture d’élite : « celles qui sont déjà amies, celles qui sont neutres et pourraient avoir une prédisposition positive envers la République populaire de Chine, et celles qui sont ennemies de l'État ». Il a expliqué

Certaines de ces personnes peuvent être soudoyées ou être victimes de chantage, mais dans la plupart des cas, elles sont simplement courtisées ou soutenues dans leur carrière par des membres du [Parti communiste de Chine] ou des agents travaillant pour le Front uni, ou elles se lient d’amitié avec eux. Elles deviennent alors, sciemment ou non, des agents du [Parti communiste de Chine].

M. Baxendale a expliqué que la capture des élites, est un processus que le Parti communiste de Chine déploie par l'intermédiaire de son DTFU, qui compte 44 000 employés dans le monde entier.

Ses opérations au Canada ne sont pas négligeables. Elles se font par l'intermédiaire des groupes d’amitié parlementaires. On peut évidemment penser que ces personnes et ces organisations sont ici pour nouer des liens culturels avec le Canada et pour établir des relations harmonieuses avec nous tous. Je crois que cela fait effectivement partie de leur modus operandi.
Toutefois, le Front uni mène des opérations de désinformation et de mésinformation à l'intérieur du Canada. La RPC contrôle effectivement 56 organes de presse au Canada, et la manipulation des élites se fait de différentes manières. Dans la plupart des cas, elle consiste à rapprocher des intérêts personnels de ceux d'une relation gagnant-gagnant positive pour le Canada et la RPC.

En ce qui l’approche russe à la capture d’élite, M. Glucksmann a donné l’exemple de la réorientation du système énergétique allemand en fonction d’intérêts russes[15]. Il a expliqué que quelques jours avant la défaite électorale de l’ancien chancelier, ce dernier a signé une entente pour le projet Nord Stream avec Vladimir Poutine, et quelques semaines après sa défaite électorale, il est allé travailler pour Gazprom, une société d’État russe. Selon lui, cette affaire illustre bien pourquoi la dépendance de l’Europe au gaz naturel russe n’a fait qu’augmenter entre 2005 et 2022. M. Glucksmann a ajouté que le Parti communiste de Chine applique les mêmes stratégies, à l'exception près que la dépendance qu'il nourrit ne se limite pas à l'énergie: elle alimente une dépendance totale.

En effet, M. Glucksmann a expliqué que la Commission spéciale a constaté que des entreprises étrangères, telles Huawei ou Gazprom, peuvent offrir aux élites de l’argent pour travailler avec eux. Cela permet ces acteurs étrangers d’avoir de l’influence sur les décisions politiques du pays. Il a reconnu que ces techniques s’apparentent aux techniques utilisées par le colonialisme.

Au sujet de l’affaire Huawei, M. Manthorpe a dit qu’elle aurait dû mettre fin à l’optimisme aveugle espérant que les politiques, l'administration et le droit canadiens constituent des modèles de réforme pour le Parti communiste de Chine. Cette affaire « aurait dû clairement montrer que nous n'avons pas les mêmes valeurs que le Parti communiste chinois et que nous ne pouvons pas avoir une relation normale avec un régime dont le premier réflexe est de prendre des otages lorsqu'il y a un problème ».

M. Glucksmann a expliqué qu’il est important de comprendre qu’une entreprise canadienne n'est pas l'équivalent d'une entreprise du système communiste de la RPC. Bien que sur papier, il s'agisse de deux entreprises privées, en pratique lorsqu’une entreprise privée de la RPC atteint une certaine taille, elle n'est plus privée car elle « dépend du Parti communiste, elle doit se soumettre à la Loi sur le renseignement national et avoir, dans son conseil d'administration, un représentant du Parti communiste ». Une solution proposée en Europe pour remédier à la capture d’élite est la légifération de la collusion.

Dans un rapport qu’elle a remis au Comité, l’ACHK lamente le fait qu’il n’existe pas de mécanismes de transparence ou de normes de réglementation des acteurs étrangers au Canada, ce qui fait qu’il est extrêmement difficile pour les Canadiens de cerner les acteurs étrangers affiliés à un État.[16]

Observations du Comité

Reconnaissant que le Canada ne soit pas à l’abri de la capture d’élite, le Comité fait la recommandation suivante :

Recommandation 10

Que le gouvernement du Canada s’assure que le Service canadien du renseignement de sécurité offre davantage de formation et d’information aux parlementaires et fonctionnaires canadiens sur les menaces que représentent l’ingérence étrangère au Canada, les différentes tactiques utilisées par des acteurs étrangers et les moyens de se protéger contre celles‑ci.

Espionnage par voie de coopération institutionnelle

M. Glucksmann a souligné que le deuxième élément de la stratégie de la Russie et du Parti communiste de Chine en matière d’ingérence étrangère est l’espionnage, qui est facilité par la coopération institutionnelle, par exemple au niveau des universités et des établissements scientifiques, de recherche et de développement. Il a expliqué que la Commission spéciale qu’il préside a constaté l’ampleur du pillage de technologies qui a été effectué par la RPC, par exemple en recrutant des gens formés par les États européens qui partent avec tous leurs acquis et leur travail pour les mettre au service du régime du Parti communiste de Chine. Une résolution adoptée par le Parlement européen le 9 mars 2022 parle notamment de l’instrumentalisation des migrants[17].

Comme la capture d’élite, la coopération institutionnelle n'est pas un phénomène nouveau. Mme Wong a expliqué que depuis les années 1990, les diasporas dissidentes vis-à-vis le régime du Parti communiste de Chine ont tenté d’attirer l'attention sur l'influence étrangère qui a lieu dans toutes les facettes de la société canadienne, y compris dans les élections, la recherche, la société civile, le milieu universitaire et les entreprises privées.

Mme Wong a aussi mentionné l'influence exercée dans le milieu universitaire et les vulnérabilités des mécanismes de transfert de propriété intellectuelle. Elle a noté qu’en raison de la vulnérabilité des processus de financement au Canada, « le PCC utilise souvent ses capitaux et ses ressources pour financer des activités de recherche précises au sein des établissements canadiens. À terme, le Parti communiste de Chine peut alors acheter la propriété intellectuelle des résultats de recherche à très faible coût. » Elle a rajouté que le sous-financement de la diaspora et des communautés racisées les oblige à aller chercher des fonds ailleurs. Ils développent ainsi une dépendance envers des sources de financement peu fiables ou douteuses, ce qui les rend particulièrement vulnérables.

En réponse à une question portant sur le cas de deux scientifiques de la diaspora chinoise qui ont été congédiés d’un laboratoire de Winnipeg après avoir perdu leur cote de sécurité pour avoir collaboré avec des scientifiques de la RPC, M. Stanton a expliqué que le SCRS avait probablement fourni des conseils concernant les cotes de sécurité de ces deux scientifiques, mais que la décision de renouveler ou d’octroyer une côte de sécurité relève du sous-ministre du ministère. Ce dernier décide de ce qu'il faut faire; la décision n'appartient pas au SCRS.

Selon M. Manthorpe, la situation du laboratoire de Winnipeg s’inscrit dans une tendance observée depuis les années 1940 et 1950, et en particulier depuis la reconnaissance diplomatique de 1970, qui a permis d’instaurer des dispositions permettant les échanges étudiants. Il a fait remarquer qu’à l’époque « les Canadiens qui sont allés en Chine étaient là pour étudier la langue et la culture, alors que les Chinois qui venaient ici se sont plutôt dirigés vers les facultés de technologie des universités et d'autres institutions, et ils le font toujours ». Il a ajouté qu’on voit une augmentation du financement d’organisations affiliées à la RPC ou au Parti communiste de Chine pour effectuer des recherches au Canada, afin d'utiliser l’expertise canadienne à leurs propres fins, et souvent, les brevets issus de la recherche vont à la RPC. Selon lui, la RPC déploie des efforts soutenus depuis un certain temps pour utiliser nos universités à ses propres fins. Il a rajouté que pour certaines universités canadiennes, plus de la moitié des revenus découlant des frais de scolarités proviennent d’étudiants étrangers et dans certains cas, la majeure partie de ces fonds provient de la RPC.

En revanche, Mme Lim a rappelé qu’il faut faire attention de ne pas présumer que certains perturbateurs sont automatiquement influencés et dirigés par le Parti communiste de Chine simplement parce qu'ils s'opposent, par exemple, à une conférence d’activistes ouïghours sur un campus universitaire. Il faudrait qu’il y ait davantage de preuves pour tirer cette conclusion.

Dans le rapport qu’elle a remis au Comité, l’ACHK souligne également que la vulnérabilité des établissements d’enseignement et de recherche canadiens découle de la règlementation fédérale canadienne, qu’elle considère inadéquate et du manque de sensibilisation[18]. Elle a rappelé que les opérations d’influence du Parti communiste de Chine visent principalement les capacités de recherche et de développement des établissements universitaires.

Observations du Comité

Pour répondre au manque de transparence des investissements d’agents liées à des États étrangers, le Comité recommande l’instauration d’un registre des agents étrangers au prochain chapitre du rapport qui porte sur les mesures proposées pour contrer l’ingérence étrangère. Le Comité fait également la recommandation suivante.

Recommandation 11

Que le gouvernement du Canada mette sur pied un programme de sensibilisation sur l’ingérence étrangère à l’usage des établissements d’enseignement et de recherche.

Campagnes de désinformation

Le troisième élément de la stratégie d’ingérence étrangère de la Parti Communiste de Chine et la Russie est la désinformation. M. Glucksmann a souligné que ce n’est pas contre la diffusion d’opinions étrangères par des individus qu’il faut agir, c’est plutôt contre les acteurs étrangers qui utilisent ces opinions dans des campagnes de propagande qu’ils financent. Pour tenter de remédier à la désinformation et mésinformation, l’UE a entre autres imposé une réglementation aux plateformes numériques, avec l’adoption du Règlement sur les services numériques[19]. Selon lui, une telle loi serait utile au Canada.

Pour bloquer la désinformation, M. Glucksmann a soulevé l’importance des sanctions. Il a donné l’exemple de Russia Today, qui est visé par des sanctions et un blocage financier en Europe et ne peut plus y exercer ses activités. Il faut selon lui sanctionner les réseaux et mener des luttes cohérentes et victorieuses contre la désinformation et la manipulation de l’information. Il a donné l’exemple des autorités taiwanaises qui travaillent en ce sens pour contrer les attaques constantes du Parti communiste de Chine.

M. Glucksmann a convenu que le fait de ne pas reconnaître la différence entre une radio publique, comme Radio-Canada, et un réseau de télévision, comme Russia Today, et de qualifier toutes ces entités comme étant des médias parrainés ou financés par l’État sans distinction, est une erreur typique commise par des dirigeants européens. Selon lui, un tel étiquetage masque la vérité à propos de Russia Today, qui sert réellement d’outil de propagande. Il a ajouté que « nos radios et nos télévisions publiques sont des médias. Russia Today est un outil de propagande engagé dans une guerre. Par conséquent, si on ne voit pas la différence entre les deux, il y a là un vrai problème ».

M. Glucksmann a aussi noté l’existence de manœuvres qui consistent à fournir de fausses informations ou de fausses primeurs à des journalistes. Il a toutefois reconnu que certains journalistes sont employés par les régimes de Moscou ou de Pékin.

Selon Kenny Chiu, ancien député conservateur à la Chambre des communes, entre 2019 et 2021, et un membre de la diaspora chinoise, pour la circonscription de Steveston–Richmond-Est, c’est justement une campagne de désinformation orchestrée par la RPC contre sa proposition d’un registre des agents d’influence étrangers[20] qui lui aurait coûté sa défaite aux dernières élections.

Selon Victor L.M. Ho, rédacteur en chef à la retraite du Sing Tao Daily, édition Colombie-Britannique, le moyen le plus efficace pour le Parti communiste de Chine de contrôler les médias en langue chinoise est de s'approprier la haute direction de l'entreprise ciblée. Ainsi, la politique éditoriale de ce média sera assurée de suivre la ligne de parti du Parti communiste de Chine.

En effet, selon le rapport qu’a soumis l’ACHK au Comité, le DTFU s’engage dans divers moyens d’influence plus sophistiqués en ayant recours à un mélange de stratégies populaires et médiatiques. En plus d’orchestrer de la désinformation populaire dans les médias locaux, le DTFU crée et mobilise des groupes fictifs, comme des organismes à but non lucratifs enregistrés et des groupes sociaux, pour imiter des programmes et activités communautaires légitimes d’une société démocratique[21].

M. Kwan a lui aussi indiqué que les agents du Parti communiste de Chine créent de fausses organisations au Canada, qui publient des communiqués de presse et organisent des conférences de presse pour propager l’idéologie favorable au Parti communiste de Chine. Il s’agit selon lui de désinformation planifiée.

Mme Lim a toutefois rappelé l’importance de différencier les allégations générales de campagnes d'influence en ligne, du harcèlement très ciblé. Les effets du harcèlement ciblé « sont très évidents » et ils « perdurent dans le temps ». En revanche, elle s’est dit « plus ambivalente en ce qui concerne l'incidence et l'efficacité des vastes campagnes de mésinformation ou des activités cherchant à influencer autrui » puisqu’il est plus difficile de cerner précisément leurs effets. Selon elle, le Canada aurait intérêt à « présenter les événements avec la plus grande prudence et seulement dénoncer les effets et résultats ».

Financement politique et ingérence électorale

La quatrième stratégie commune à la Russie et la Parti Communiste de Chine en matière d’ingérence étrangère touche le financement politique. M. Glucksmann a par exemple indiqué que la Russie a participé au financement de mouvements politiques et extrémistes en Europe et utilisé des organisations à but non lucratif ou des groupes de réflexion qui mettent en cause l’existence des institutions européennes.

M. Glucksmann a confirmé qu’en ce qui concerne le financement de partis politiques par un pays étranger, l’acteur principal est la Russie. Selon lui, en Europe, il n’y a pas de financement des mouvements politiques provenant du Parti Communiste de Chine ni de jeux politiques ouverts de manière aussi directe. Il y a toutefois des personnalités politiques qui sont dans l’orbite de la RPC et des laboratoires d’idées ou des instituts de recherche qui participent à la vie publique et qui reçoivent des financements directs ou indirects.

L’ACHK a noté dans le rapport qu’elle a soumis au Comité que plusieurs incidents d’influence politique inappropriée et excessive du Parti communiste de Chine ont eu lieu au Canada. La stratégie d’influence politique du Parti communiste de Chine repose largement sur les incitations économiques et l’ingérence électorale. Elle repose aussi sur la capture d’élite[22].

M. Juneau-Katsuya a expliqué qu’au fil des ans, certaines circonscriptions fédérales canadiennes ont été ciblées davantage, particulièrement celles occupées par un grand nombre de résidents canadiens d'origine chinoise. Les circonscriptions visées pouvaient aussi varier par exemple lorsqu'un député ou un candidat précis se prononçait contre le Parti communiste de Chine. Il a noté que le travail d’ingérence électorale est majoritairement accompli par les fonctionnaires consulaires.

La Russie et le Parti Communiste de Chine utilisent aussi d’autres techniques qui leur sont particulières afin de mener leurs activités d’ingérence étrangères. Ces dernières sont décrites ci-dessous.

Techniques particulières à la Russie

M. Glucksmann a expliqué que la Commission spéciale qu’il préside a minutieusement analysé les actions de la Russie en Europe. Cette analyse a permis de discerner le but ultime de la Russie, soit de semer le chaos dans les démocraties.

Il a décrit l’approche de la Russie de « guerre hybride » contre l’Europe puisqu’elle inclut des cyberattaques contre les hôpitaux et les institutions, la pénétration dans les réseaux sociaux à l’aide d’armées de trolls et de robots qui, dans toutes les langues de l'UE, tente de favoriser les points de vue les plus extrêmes et la polarisation des sociétés. Par exemple, il a décrit qu’en Espagne « des acteurs russes favorisent à la fois les indépendantistes catalans et les ultranationalistes du parti d'extrême droite Vox, c'est-à-dire les deux pôles les plus opposés du débat politique, avec comme but de polariser le débat et qu'il devienne chaotique ».

M. Glucksmann a précisé que l’argent représente la principale méthode d’ingérence de la Russie, mais qu’il y en a d’autres. Pour supporter ce fait, il a donné l’exemple de la Géorgie, qui a subi une invasion militaire et le démembrement de sa nation, dont 20% des territoires sont maintenant occupés par la Russie. Avant cette invasion militaire, la Géorgie avait été la cible de campagnes de propagande contre les droits des personnes 2ELGBTQI+, ce qui avait semé la controverse sur la scène politique. Lorsque la Commission spéciale a analysé la source de la propagande en Géorgie, elle a découvert qu’une opération financée par la Russie était à son origine.

M. Glucksmann est d’avis que toutes ces approches, en plus des techniques communes avec la RPC mentionnée ci-dessus, créent un écosystème dont le but est la déstabilisation des démocraties.

Bien que M. Glucksmann a indiqué que la Commission spéciale n’a trouvé aucune preuve que des intérêts de la Russie influençaient les mouvements ou les doutes quant aux exportations canadiennes, il a mentionné l’importance de réduire les dépenses aux ressources d’autres États et aux fournisseurs à haut risque[23] :

Jusqu'ici, nous étions totalement dépendants de l'énergie russe et on se rend compte à quel point nous sommes, aujourd'hui, dépendants des productions chinoises, y compris dans les secteurs les plus stratégiques.

Il a rajouté que bien que l’Europe ait réussi à se détourner de la Russie, ce processus a été trop long et trop coûteux. Maintenant l’approche européenne se résume à la diversification des fournisseurs et surtout le développement de l’énergie renouvelable.

Observations du Comité

Tenant compte de ce qui précède, le Comité fait la recommandation suivante :

Recommandation 12

Que le gouvernement du Canada, en collaboration avec les agences de sécurité nationale, établisse des mécanismes rigoureux visant à s'assurer que tout accord contractuel entre le Canada et des fournisseurs étrangers ne crée pas de risque élevé pour la sécurité nationale.

Techniques particulières au Parti communiste de Chine

Tactiques diverses

M. Ho a décrit plusieurs tactiques habituellement employées par le Parti communiste de Chine dans les communautés chinoises locales au Canada :

La première est la propagande. Auparavant, de courtes émissions radiophoniques de propagande préparées par le Département du travail du Front uni étaient diffusées sur la radio AM1320 à Vancouver. Ces efforts ont été étendus à des publicités pleine page dans les journaux chinois locaux pour démontrer un appui massif aux politiques draconiennes de la RPC.
La deuxième est l'intégration de personnel des médias pro-RPC dans divers médias de langue chinoise pour parler en bien des récits de la RPC. Ils influencent les PDG et les rédacteurs en chef des médias en langue chinoise en les invitant à prendre le thé dans l'enceinte du consulat chinois et en utilisant l'argent de la publicité comme levier.
Troisièmement, on crée un sentiment de nationalisme déformé à l'égard de la mère patrie en exploitant certaines parties de l'histoire de la Colombie-Britannique pour renforcer les idées d'impérialisme, de colonialisme ou de racisme occidental à l'égard des Chinois de souche.
La quatrième est la politique identitaire. Les gens d'une race et d'une culture particulières élaborent des programmes politiques fondés sur ces identités. La politique identitaire est intimement liée à l'idée que certains groupes de la société sont opprimés, et commence par l'analyse de cette oppression.
Cinquièmement, on amplifie les récits et les succès de la RPC et propage le mantra du [Parti communiste de Chine] selon lequel nous entrons dans une ère d'ascension de l'Orient et de déclin de l'Occident.
Sixièmement, la désinformation. Ils accusent l'Occident de considérer des hypothèses comme des faits et d'être jaloux du succès de la Chine au point de recourir à des pratiques commerciales déloyales — comme, par exemple, Huawei et TikTok — et de stigmatiser l'ensemble de la communauté chinoise avec la suggestion récente d'un projet de loi sur le registre des agents d'influence étrangers, etc.
Septièmement, on polarise et divise la communauté en choisissant des commentateurs pro-RPC qui ridiculisent ou répètent les échecs de l'Occident, et en faisant référence à la présence de patriotes et de traîtres dans le contexte de Hong Kong.
La huitième est d'aider durant les élections en appuyant les candidats favorisés par la RPC et en n'interviewant pas les candidats qui critiquent le [Parti communiste de Chine], comme Kenny Chiu.
Neuvièmement, il s'agit d'établir les propres médias de langue chinoise du [Parti communiste de Chine] en sol canadien.

Le rapport soumis par l’ACHK au Comité identifié également la plupart des tactiques mentionnées par M. Ho[24].

M. Glucksmann a noté que, depuis le début de la pandémie, l’Europe a remarqué un changement dans les méthodes du Parti communiste de Chine qui deviennent de plus en plus semblables à celles de la Russie. Mais la grande différence demeure l'importance que le Parti communiste de Chine attache aux acteurs économiques plutôt qu’aux acteurs politiques, considérant l’importance du marché de la RPC pour plusieurs joueurs commerciaux en Europe.

Nous nous sommes rendu compte aussi que, par exemple, au Parlement européen et dans les institutions européennes, les autorités chinoises n'avaient pas besoin d'engager des lobbyistes puisque les grandes compagnies européennes, dont les ventes ont besoin du marché chinois et dont les productions ont besoin de l'appareil productif chinois — elles sont donc complètement liées à la Chine —, faisaient le lobbying et la pénétration en lieu et place des autorités chinoises pour leur compte.

Selon M. Bill Chu, le porte-parole du Chinese Canadian Concern Group on the Chinese Communist Party’s Human Rights Violations, l’expression « guerre sans restriction » d’écrit bien l’approche du Parti communiste de Chine qui n’utilise pas des armes traditionnelles, mais plutôt des armes furtives comme « la désinformation dans les médias, l'influence achetée grâce aux pots‑de‑vin, au sexe, aux échanges commerciaux, à la gloire, aux menaces et autres manœuvres, ainsi que le cyberpiratage, la collecte de données et l'espionnage intellectuel ».

M. Stanton a conclu que le Parti communiste de Chine « fait très bien les choses. Vraiment. Il s'agit d'une approche pangouvernementale qui concerne l'ensemble de la société. » Il a rappelé les effets de Loi sur le renseignement national adoptée par la RPC en 2017, selon laquelle toute personne ayant le statut de citoyen de la RPC, où qu'elle se trouve dans le monde, doit coopérer avec le gouvernement.

Intimidation et harcèlement

M. Kwan a donné un exemple d’incident qui illustre la force de la loi du Parti communiste de Chine au Canada et la façon subtile dont ce régime exerce son contrôle à l’étranger en suscitant la peur au sein des communautés chinoises et ouïghoures canadiennes. Il a expliqué

Un agent peut vous appeler pas seulement en pleine nuit… et vous dit ceci: « Alors, comment vont vos parents au Sichuan, en Chine? » … Cela signifie que si vous ne vous comportez pas bien, les numéros de téléphone et l'adresse de vos parents pourraient être compromis ou même que le bien-être physique de vos parents pourrait être menacé.

Mme Lim a attiré l’attention du Comité sur la répression transnationale numérique, qui correspond aux activités numériques dirigées par des États étrangers qui ciblent des membres des diasporas au Canada. Il peut être question de harcèlement, de menaces, d'attaques fondées sur le sexe, ce qui est souvent le cas, de tentatives de piratage et d'autres formes d'intimidation. Un document soumis par M. Baxendale confirme que du harcèlement est fait au nom du régime du Parti communiste de Chine[25].

Certains témoins ont aussi soulevé la question des postes de police de la RPC en territoire canadien. M. Kwan a expliqué que Safeguard Defenders, une organisation non gouvernementale espagnole qui défend les droits humains, a découvert le lien entre des postes de police de la RPC et le Parti communiste de Chine. M. Kwan a expliqué que cette tactique est utilisée dans de nombreux autres pays. Notamment, le Safeguard Defenders a rapporté avoir découvert 100 postes de police dans le monde. Au Canada seulement, on compterait au moins trois postes à Toronto, deux à Montréal et un à Vancouver.

Par rapport à l’origine de ces postes de police, M. Baxendale a expliqué :

Sous le gouvernement Harper, un certain nombre de protocoles d'accord ont été conclus directement avec la GRC. Cela a permis à quelque 25 agents communistes chinois — que nous appellerons « agents de police » — d'entrer dans le pays pour chercher à rapatrier en Chine de soi-disant criminels vivant au Canada. Un certain nombre d'entre eux ont été expulsés au cours de cette période — soit environ 290. En outre, 2 900 citoyens se sont laissé « influencer », dirons-nous. On leur a suggéré qu'il serait dans leur intérêt de revenir en Chine, car certains membres de leur famille étaient menacés par le régime.

Selon M. Baxendale, ces « opérations de surveillance et de répression de la diaspora chinoise se sont déroulées pendant près de vingt ans de manière organisée, et elles se poursuivent aujourd'hui ».

Isolement ethnique et linguistique

M. Chiu a expliqué qu’associer tout effort de lutte contre l'ingérence étrangère au racisme anti-asiatique fait partie d’une tactique du Parti communiste de Chine. Il s’agit également d’un commentaire raciste en soi « puisqu'il laisse entendre que le Parti communiste de Chine ne corrompra que les Chinois de souche ».

M. Chiu s’est dit d’accord avec les propos du rapport de l’ACHK selon lesquels le Parti communiste de Chine s’est emparé du cœur et de l’esprit des communautés de la diaspora chinoise au Canada en prenant le contrôle des médias ethniques chinois, soit par une prise de contrôle complète, soit par des intérêts commerciaux. À long terme cette tactique perpétue selon lui « une fausse histoire d'équivalence complète entre le Parti communiste de Chine et la RPC, l'État et la race chinoise » transformant toutes critiques contre le Parti communiste de Chine en racisme anti-chinois.

M. Chiu a noté que le Parti communiste de Chine ne cesse de répandre des mensonges similaires à l’échelle mondiale en utilisant le nationalisme comme arme. Le Parti communiste de Chine propage un discours selon lequel il subsiste un racisme colonial impérialiste anti-asiatique dans les démocraties occidentales et que seuls les intérêts du Parti communiste de Chine s'alignent sur le bien-être et l'amélioration de la situation des Chinois de souche à l'échelle mondiale.

Selon M. Ho, le principe essentiel du Parti communiste de Chine est d’intimider les opinions hostiles envers ce parti au sein de la communauté chinoise. Pour se faire, il manipule l’information et crée de fausses informations sur les médias sociaux comme WeChat et TikTok. Cela permet de répandre la propagande officielle et détourner l'attention du problème principal. Par exemple, pendant la pandémie de COVID-19, ils ont propagé une campagne de haine contre les Asiatiques qui faisait de la COVID une question raciale plutôt qu'une question de santé publique.

M. Chiu a expliqué que certaines communautés de la diaspora se sentent plus à l’aise de consommer du contenu de médias ethniques en raison des barrières linguistiques et des défis culturels rencontrés au Canada. Les technologies monolithiques populaires approuvées par le Parti communiste de Chine, comme WeChat, offrent une occasion en or à ce parti pour juguler la dissension ou promouvoir et répandre la désinformation. Il est d’avis que l’absence de ressources fiables et réputées pour vérifier les faits dans leur langue aggrave le problème de communication.

Dans la même veine, en ce qui concerne plus particulièrement les médias de langue chinoise, M. Chu a argué qu’ils n'offrent aucune diversité de points de vue et que les perspectives deviennent de plus en plus étroites. Selon lui, la communauté chinoise est exposée à une philosophie, à une idéologie et à des discours différents des autres Canadiens[26].

M. Juneau a recommandé de travailler beaucoup plus et beaucoup mieux avec les médias locaux et ethniques — et non seulement avec les médias nationaux — afin de sensibiliser à l'ingérence étrangère les groupes vulnérables qui en sont la cible.

Observations du Comité

Le Comité reconnaît les défis majeurs que posent les activités d’ingérence étrangère au Canada, particulièrement pour la diaspora chinoise et les Ouïghours canadiens. Il fait donc la recommandation suivante.

Recommandation 13

Que le gouvernement du Canada collabore avec les communautés linguistiques minoritaires affectées par les activités d’ingérence étrangère au Canada afin de leur fournir, dans la langue qu’elles comprennent le mieux, des informations fiables sur le processus démocratique canadien, y compris des informations sur les politiques et les programmes gouvernementaux qui peuvent les concerner et que le gouvernement engage un dialogue avec les médias locaux et ethniques pour fournir cette information.

Cas d’étude : Allégations d’ingérence étrangère par l’entremise d’un don à la Fondation Pierre Elliott Trudeau

Contexte

Des allégations qu’un don offert à la Fondation Pierre Elliott Trudeau (la Fondation) par deux hommes d’affaires ayant les liens avec la RPC aurait été une opération d’influence étrangère de la part du Parti communiste de Chine au Canada ont été publiées dans un article de journal le 28 février 2023[27]. Puisqu’un lien existe entre la Fondation et le gouvernement du Canada compte tenu de l’origine du fonds de dotation dont elle est responsable et de son modèle de gouvernance, le Comité s’est intéressé à ces allégations. Il a consacré quatre réunions et demie à ce cas d’étude.

Le Comité note que certains témoins ont partagé avec le Comité des détails concernant les discussions internes qui ont eu lieu entre la gestion de la Fondation et son conseil d’administration (C.A.) dans les semaines qui ont suivi la publication de l’article susmentionné. Celles-ci portaient notamment sur le besoin d’une enquête indépendante sur le don[28]. Le conflit interne qui semble avoir découlé de ces discussions et mené à la démission de la présidente et cheffe de direction et de plusieurs membres du C.A. s’éloigne du vif du sujet de l’étude : l’ingérence étrangère au Canada.

Par conséquent, le présent cas d’étude se concentre sur les allégations d’ingérence étrangère relatives au don plutôt que sur la crise de gouvernance qui a eu lieu au sein de la Fondation.

La Fondation Pierre Elliott Trudeau

Création et mode de gouvernance

La Fondation est un organisme qui offre des bourses doctorales, des fellowships et du mentorat. Elle a été créée en 2001. Avec l’appui de la Chambre des communes, le gouvernement du Canada lui a versé une dotation de 125 000 000 $ afin qu’elle puisse établir et gérer le Fonds de recherches avancées dans les humanités et les sciences humaines. Elle a commencé ses activités en mars 2002. Son modèle de gouvernance est le suivant : une assemblée des membres et un C.A.[29].

Pascale Fournier, ancienne présidente et cheffe de la direction de la Fondation, a expliqué que l’assemblée des membres de la Fondation compte aux plus 30 membres. Six postes à l’assemblée sont réservés aux membres nommés par le ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique du Canada (ISDE). Trois postes sont réservés aux représentants de la famille de l’ancien Premier ministre Trudeau. Elle a confirmé qu’actuellement, une seule personne nommée par le gouvernement est membre de l’assemblée des membres[30].

Mme Fournier a aussi expliqué que le C.A. de la Fondation compte un maximum de 18 administrateurs. Deux administrateurs peuvent être nommés par le ministre d’ISDE. Deux administrateurs représentent la famille de l’ancien premier ministre du Canada. Le reste des membres sont nommés par l’assemblée des membres[31]. Elle a confirmé qu’aucune personne nommée par le gouvernement ne siège présentement au C.A.[32]. Elle a indiqué que le gouvernement n’a soumis aucune candidature dans les dernières années.

Mme Fournier a donc fait remarquer que sur toutes les nominations gouvernementales possibles, un seul poste est pourvu, soit celui d’un membre de l’assemblée des membres. Elle a aussi confirmé que dans son rôle à la Fondation, elle n’avait aucun lien avec le gouvernement fédéral, sauf avec ISDE, à qui la Fondation doit soumettre des rapports, et avec l’Agence du revenu du Canada (ARC), aux fins d’impôts.

Mme Fournier a également indiqué que sous sa gouverne, la Fondation n’a eu aucun lien avec le Cabinet du premier ministre. Elle a toutefois noté qu’en révisant des documents internes de la Fondation, elle a vu un échange de courriels entre la directrice générale de la Fondation de l’époque et le Bureau du premier ministre concernant un communiqué de presse de la Fondation relatif au don, à la suite de la publication d’un article de journal le concernant en 2016.

Morris Rosenberg, le président et chef de la direction de la Fondation de 2014 à 2018, a dit que la Fondation est non partisane et indépendante. Il a confirmé, comme Mme Fournier, que personne à la Fondation ne faisait du lobbying ou ne participait à des événements politiques partisans durant son mandat. Edward Johnson, président du conseil d'administration de la Fondation, et Alexandre Trudeau, membre de la fondation, ont également affirmé que la Fondation est non partisane. M. Trudeau a par ailleurs rappelé que dès que son frère est devenu leader d’un parti politique, il a cessé d’être impliqué avec la Fondation[33].

M. Rosenberg a dit que durant son mandat, le premier ministre n’a jamais reçu d’invitation ni de documents concernant l’assemblée des membres, les réunions du C.A. ou les comités de gouvernance. Il a aussi dit ne jamais avoir organisé de réunion entre la Fondation et le Bureau du Premier ministre.

Au sujet d’une rencontre à laquelle la Fondation a participé dans l’édifice du Bureau du Premier ministre et du Conseil privé à Ottawa avec cinq sous-ministres lorsqu’il en était président et chef de direction, M. Rosenberg a précisé que l’objet de la rencontre entre la Fondation et des sous-ministres portait sur les avantages économiques de la diversité, un sujet sur lequel un boursier et un mentor de la Fondation travaillaient à l’époque[34].

Enfin, Mme Fournier a dit ne pas avoir remarqué de tentative d’influence étrangère pendant qu’elle était en poste à la Fondation. M. Johnson a aussi affirmé qu’il n’y a jamais eu d’opération d’influence étrangère à la Fondation[35]. Il a refusé de reconnaître que celle-ci ait pu être la cible d’une telle influence.

Financement

Mme Fournier a indiqué que seule une faible proportion des revenus de la Fondation provient de dons de bienfaisance[36]. Elle a précisé que la Fondation reçoit généralement de petits dons. Les dons majeurs étaient exceptionnels[37]. Elle a par ailleurs expliqué que la Fondation vit sur les intérêts accumulés sur le fonds de dotation de 125 000 000$ qui lui a été octroyé par le gouvernement fédéral et que cet argent est investi. Bref, la Fondation ne fait pas de grandes campagnes de financement[38]. Elle a aussi confirmé que la Fondation ne reçoit généralement pas de dons de citoyens d’autres pays qui n’ont aucun lien avec la Fondation.

M. Rosenberg a confirmé que peu de dons étrangers sont faits à la Fondation. L’une des seules exceptions est un don important reçu d’une fondation enregistrée en Suisse au nom de John McCall MacBain et de son épouse, qui sont des Canadiens. M. Johnson a lui aussi mentionné un don de M. McCall MacBain de plus d’un million de dollars et celui d’un autre administrateur qui travaillait en Californie comme ayant été classé comme don étranger. Il a expliqué que la majeure partie des dons privés reçus par la Fondation proviennent des membres de la Fondation.

M. Trudeau a contredit l’affirmation que les dons étrangers à la Fondation auraient monté en flèche après l’élection du premier ministre actuel. Il a dit que c’est le don de M. McCall MacBain, alors le président du C.A., qui a fait augmenter les « dons étrangers » de la Fondation. Considérant la valeur du don de M. McCall MacBain, il a fait remarquer qu’un don de 140 000$ (montant reçu par la fondation en l’espèce) n’était pas très significatif[39]. Il a aussi rappelé au Comité que la Fondation a environ 145 millions de dollars en banque, ce que M. Johnson a confirmé.

En ce qui concerne l’investissement des fonds de la Fondation, Madeleine Redfern, ancienne membre du C.A. qui siégeait au comité des finances, a mentionné que la Fondation a investi dans deux sociétés de la RPC, ce qui représenterait 0,07% du total des investissements de la Fondation. Elle a toutefois indiqué avoir été rassurée par les membres du comité des finances et de la société d’investissement qui aide la Fondation, que les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance guident les investissements de la Fondation.

Faits relatifs au don

Provenance du don

M. Trudeau, qui était membre du C.A. à l’époque et demeure membre de la Fondation aujourd’hui, a expliqué que c’est l’Université de Montréal (UdeM) qui l’a d’abord approché concernant la possibilité d’un don qui viserait à commémorer Pierre Elliott Trudeau à titre d’ancien étudiant et ancien professeur. Il a reçu une lettre du secrétariat de la Faculté de droit de l’UdeM en décembre 2013, qui expliquait avec une certaine urgence qu’il y avait une possibilité de don par des hommes d’affaires qui voulaient faire un don à l’UdeM en l’honneur de l’ancien premier ministre.

M. Trudeau a confirmé avoir rencontré le recteur de l’UdeM et M. Zhang Bin en juin 2014[40]. Il a indiqué que des agents consulaires traduisaient ce que M. Zhang Bin disait pendant cette rencontre, qui se résumait à être enthousiasmé à l’idée de faire quelque chose à l’UdeM semblable à ce qu’il avait fait avec son don à l’Université de Toronto en l’honneur de Norman Bethune. M. Trudeau a noté que des agents consulaires sont souvent là pour offrir des services de traduction diplomatique gratuits. Il a fait remarquer qu’au départ, les donateurs n’étaient pas intéressés à ce que la Fondation soit impliquée. Toutefois, il a expliqué que depuis la création de la Fondation, tous les efforts de collecte de fonds au nom de Pierre Elliott Trudeau doivent passer par cette dernière.

M. Trudeau a souligné que pendant la rencontre de juin 2014, il a avisé le recteur de l’UdeM et M. Zhang Bin qu’un nouveau président et chef de direction entrerait sous peu en poste à la Fondation et que ce dernier aurait le mandat de gérer et de négocier les dons.

M. Rosenberg a offert certains autres détails concernant l’origine du don. Il a indiqué que c’est l’ambassadeur du Canada en RPC de l’époque, Guy Saint-Jacques, qui a présenté M. Zhang Bin à l’ancien vice-recteur aux affaires internationales et à la Francophonie de l’UdeM, Guy Lefebvre. À l’époque, selon M. Rosenberg, M. Lefebvre aurait été au courant du don de M. Zhang Bin à la faculté de médecine de l’Université de Toronto en 2013[41].

M. Rosenberg a dit que c’est M. Lefebvre qui a invité la Fondation à participer à une rencontre avec les deux donateurs à Montréal en septembre 2014. M. Rosenberg était présent lors de cette rencontre[42]. Il a noté que pendant la réunion, M. Zhang Bin a déclaré que le don d’un million de dollars que M. Gensheng et lui souhaitaient faire servirait à créer des bourses d’études pour les étudiants de la faculté de droit de l’UdeM et peut-être, par la suite, pour des étudiants d’autres facultés de droit au Canada. En novembre 2014, l’UdeM a annoncé qu’elle avait reçu un don d’un million, sans mentionner la Fondation.

M. Rosenberg a expliqué que ce n’est qu’en septembre 2015, après plusieurs discussions entre l’UdeM, la Fondation et M. Zhang Bin, que les donateurs ont finalement décidé de réserver 200 000 $ du don d’un million de dollars destiné à l’UdeM comme don à la Fondation[43]. Il a noté que la cérémonie d’annonce du don devait à l’origine avoir lieu en septembre 2015, mais qu’elle a finalement été repoussée en 2016.

M. Rosenberg a aussi tenu à rappeler au Comité qu’il est important d’évaluer le don du point de vue des relations du Canada avec la RPC à l’époque où il a été fait, et non par rapport au contexte actuel beaucoup plus négatif. Il a noté qu’à l’époque, les universités, les entreprises et les gouvernements cherchaient tous à renforcer les liens avec la RPC. Il a par exemple mentionné la signature d’un accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers par le gouvernement du Canada à cette époque. Dans ce contexte, le don était considéré comme normal, souhaitable et conforme aux priorités de la Fondation[44].

Rappelant que le contexte de l’époque n’était pas le même qu’aujourd’hui, M. Rosenberg a dit ne pas avoir trouvé bizarre que la Fondation se fasse offrir un don de 200 000$ avant une élection fédérale[45].

M. Trudeau a confirmé qu’il n’a pas participé aux négociations qui ont mené à l’entente de don. Il a toutefois reconnu qu’on a demandé son autorisation, à titre de membre de la famille de l’ancien premier ministre Trudeau, pour utiliser le nom de son père afin de lancer un programme de bourses à l’UdeM.

M. Trudeau a aussi indiqué qu’après sa rencontre avec l’UdeM et M. Zhang Bin en juin 2014, il n’a revu M. Zhang Bin qu’à la cérémonie de signature de l’entente de don. Il a d’ailleurs noté que c’est à cette cérémonie qu’il a rencontré M. Gensheng, le second donateur, pour la première fois.

Objectif du don

Mme Fournier a expliqué que le don ne devait servir qu’à la tenue de conférences sur la RPC et la relation entre le Canada et la RPC. Elle a rappelé que la Fondation se consacre au savoir académique et que l’on pourrait imaginer l’organisation de conférences sur la RPC ou d’autres pays ou régions dans des milieux universitaires. Sur cet aspect, elle n’y voyait aucun inconvénient.

M. Rosenberg a confirmé que selon l’entente relative au don, les conférences devaient porter sur des questions globales concernant le Canada et la RPC. Il revenait à la Fondation, en collaboration avec la Faculté de droit de l’UdeM, de décider de la nature des conférences. Il a dit qu’à l’époque, l’idée d’organiser des conférences sur la RPC était très séduisante.

M. Trudeau a lui aussi noté qu’en 2013, la diplomatie à caractère universitaire avec la RPC était très intéressante. Il a rajouté qu’en 2014, il ne cachait pas qu’il trouvait important que les universités canadiennes participent à la diplomatie universitaire. Il a rappelé, comme M. Rosenberg, qu’à l’époque, la RPC n’était pas l’endroit difficile qu’elle est devenue aujourd’hui.

Montant du don et utilisation

Comme indiqué ci-dessus, le montant prévu du don à la Fondation était de 200 000$. Mme Fournier a confirmé que le don devait être reçu en trois versements. Elle a aussi confirmé que la Fondation n’a jamais reçu ni réclamé le troisième versement. Au total, 140 000 dollars ont été reçus par la Fondation.

Mme Fournier a indiqué que les deux versements que la Fondation a reçus n’ont jamais été utilisés puisque le don ne pouvait servir qu’à la tenue de conférences et qu’aucune conférence n’a été organisée[46]. Mme Fournier et M. Rosenberg ont tous deux confirmé n’avoir jamais subi de pression quelconque pour organiser des conférences[47]. Mme Fournier et M. Rosenberg ont aussi confirmé n’avoir jamais été obligés de choisir des boursiers d’origine de la RPC pendant leur mandat respectif.

Questions relatives au don

Mme Fournier a dit avoir pris connaissance des allégations d’ingérence étrangère relatives au don dans un article de journal publié le 28 février 2023. M. Rosenberg a rappelé que l’information dans cet article, selon laquelle le SCRS aurait été avisé d’un plan de don à la Fondation en 2014, repose sur une source anonyme et ne s’appuie sur aucun document. Il s’agit donc d’un renseignement qui peut être inexact, partiel ou incomplet, et non d’une preuve. Selon lui, le renseignement pourrait provenir de détenteurs d’autorisations « top secret » d’une autre organisation que le SCRS. Considérant ces facteurs, il a contesté la valeur du renseignement soulevé dans cet article.

M. Rosenberg a par ailleurs indiqué que jamais le SCRS ne l’a informé d’un tel renseignement lorsqu’il était à la tête de la Fondation. M. Johnson a lui aussi confirmé qu’à sa connaissance, la Fondation n’a jamais été alertée par le SCRS.

Néanmoins, Mme Fournier, après avoir pris connaissance des allégations rapportées dans l’article de journal susmentionné, a dit avoir cherché à reconstruire ce qui s’était passé à l’aide de documents internes à sa disposition. N’ayant pas été là à l’époque où le don a été fait, elle a reconnu n’avoir eu accès qu’à des informations partielles. En tentant de reconstruire les événements, elle a identifié certaines questions concernant le don.

Signature de l’entente

Mme Fournier a expliqué qu’une politique sur l’acceptation des dons était en place à la Fondation lorsque l’entente pour le don a été signée[48]. Selon elle, cette politique prévoyait que pour tout don d’un million de dollars et moins, le président et chef de la direction de la Fondation devait signer l’entente de donation. Elle a donc dit ignorer pourquoi Alexandre Trudeau, qui siégeait à l’époque au C.A., a signé l’entente, alors que les reçus aux fins d’impôts ont été signés par M. Rosenberg. Ses recherches ne lui ont pas parmi de trouver une résolution du C.A. ou de mention dans les procès-verbaux des comités ou du C.A. indiquant que M. Trudeau avait l’autorité de signer une entente de don. Elle a toutefois reconnu à nouveau en discutant de la signature de l’entente de don, qu’elle n’était pas là à l’époque et qu’elle ne pouvait pas se prononcer sur le passé.

Dyane Adam, ancienne vice-présidente du C.A. de la Fondation, a dit qu’elle s’était elle aussi demandé pourquoi M. Trudeau avait signé l’entente de don. Elle n’était pas membre du C.A. à l’époque du don.

En réponse à la question de Mme Fournier, M. Rosenberg a expliqué que conformément à la politique de don en vigueur à l’époque, c’est lui qui a approuvé le don à titre de président et chef de la direction. Toutefois, il a précisé que contrairement à ce que Mme Fournier avait indiqué, la politique de don ne prévoyait pas que le président doive apposer sa signature sur toute entente de don. Comme le don était en l’honneur de l’ancien premier ministre Trudeau, qui a établi des relations diplomatiques entre le Canada et la RPC, il a été déterminé qu’il serait plus approprié que son fils, Alexandre Trudeau, représente la Fondation lors de la cérémonie de signature de l’entente du don et qu’il signe cette dernière.

M. Rosenberg a confirmé qu’à sa connaissance, c’est la seule occasion où M. Trudeau a été impliqué de la sorte à l’égard d’un don. Il a indiqué que M. Trudeau signait rarement des ententes, notant qu’une grande partie des dons à la Fondation ne font en fait pas l’objet d’une entente de don ni de cérémonie officielle. La Fondation reçoit simplement le don et remet un reçu.

M. Trudeau a confirmé que la seule entente de don qu’il a signé au nom de la Fondation depuis sa création est celle relative au don faisant l’objet du présent cas d’étude. Il a toutefois noté qu’il avait un pouvoir de signature à l’époque et qu’il signait régulièrement des chèques de la Fondation[49]. Il a expliqué, comme M. Rosenberg l’a fait, que ce sont les circonstances particulières qui ont fait en sorte qu’il signe cette entente. Il a dit avoir signé l’entente de don à la demande de M. Rosenberg. Il a noté que c’est le seul don à la Fondation qui impliquait une tierce partie, soit l’UdeM. Il a fait l’hypothèse que s’il y avait eu d’autres dons où la famille Trudeau devait prêter son nom à un autre organisme, comme l’UdeM, il aurait probablement signé de telles ententes de don aussi.

M. Johnson a de son côté indiqué que les dons qui ne sont pas significatifs ne sont pas signalés en temps réel au C.A. Il est prévenu par l’entremise d’un bulletin d’information distribué aux membres du C.A. Ginger Gibson, une ancienne administratrice de la Fondation a confirmé qu’un comité pourrait examiner la nature de dons individuels, mais qu’au niveau plus général des administrateurs, les questions relatives aux dons individuels n’étaient pas examinées.

Reçus aux fins d’impôts

Mme Fournier a souligné que les parties identifiées dans l’entente de don sont l’UdeM, la Fondation et les deux donateurs, M. Zhang Bin et M. Gensheng. Dans l’entente, les donateurs semblent être identifiés comme particuliers, avec une adresse personnelle en RPC. Compte tenu de ce qui précède, Mme Fournier s’est posé des questions à l’égard des reçus émis aux fins d’impôts.

Mme Fournier a noté que deux reçus ont été remis et signés par M. Rosenberg. Sur le premier reçu (pour le premier versement de 70 000$), on trouve une adresse en RPC, à Hong Kong, et le nom de la société Millennium Golden Eagle International (Canada) Inc. (MGE Canada). Le nom des deux donateurs identifiés dans l’entente de don n’y figure pas. Sur le deuxième reçu, préparé en 2017 (pour le deuxième versement de 70 000$), on trouve le nom de la société MGE Canada, avec une adresse au Québec et le nom des deux donateurs.

Mme Fournier a dit qu’elle s’était demandé pourquoi l’un des reçus semblait être pour un don international, dont l’argent semblait venir de la RPC, et que l’autre reçu contenait une adresse québécoise. Elle a rappelé qu’en 2016, M. Rosenberg a publiquement dit que la Fondation ne considérait pas le don comme un don étranger puisqu’il a été fait par une entreprise enregistrée au Canada. Mme Fournier a aussi souligné qu’habituellement, lorsqu’un reçu est remis à un donateur, il doit aussi être envoyé à l’ARC. Elle a fait remarquer qu’alors que le reçu émis en 2016 (le premier reçu) contient une adresse en RPC, le rapport annuel de la Fondation indique que le don provient du Canada.

En réponse aux questions soulevées par Mme Fournier, M. Rosenberg a dit qu’un reçu a été remis à la société MGE Canada, parce que c’est l’entité qui a fait le don. Il s’agit d’une société canadienne dont le siège social se trouve au Québec. M. Rosenberg a donc insisté sur le fait qu’il ne s’agisse pas d’un don étranger. En ce qui concerne l’inscription du nom des deux hommes d’affaires au rapport annuel plutôt que le nom de la société MGE Canada, M. Rosenberg a simplement dit qu’il apparaissait normal que la Fondation ait voulu honorer ces deux individus dont le nom était associé aux futures conférences[50].

M. Trudeau a lui aussi dit que le don provenait d’une entreprise privée en règle au Canada, qui a un compte bancaire à la Banque de Montréal et doit respecter des règles strictes en matière de blanchiment d’argent. Il a précisé que les deux premiers versements du don provenaient du même compte de banque de MGE Canada à la Banque de Montréal.

Le Comité note que dans une correspondance datée du 10 mai 2023, Peter Sahlas, membre du C.A. de la Fondation, a indiqué au Comité qu’au début avril 2023, la Fondation a confirmé auprès de la Banque de Montréal (BMO) l’origine des deux versements de 70 000$ reçu par la Fondation en 2016 et 2017. La lettre indique que la BMO a confirmé que la Fondation a reçu deux versements par transfert électronique de la part de la personne morale canadienne indiquée sur les reçus, soit MGE Canada, et que l’argent provenait du compte de banque de cette société canadienne à la BMO, qui est toujours ouvert et en règle[51].

M. Johnson a aussi fourni au Comité une copie d’une lettre de la BMO à la Fondation datée du 23 juin 2023, qui confirme que la source des fonds des virements reçus le 25 juillet 2016 et le 28 juillet 2017 était un compte bancaire canadien[52].

En plus de ses questions relatives aux reçus, Mme Fournier a indiqué qu’elle avait découvert, en révisant des documents internes, que la China Cultural Industry Association (CCIA) avait été en communication avec la Fondation à l’époque du don pour donner des directives sur le reçu aux fins d’impôts. Elle a indiqué que les directives portaient sur les noms à inscrire sur le reçu et l’adresse à laquelle envoyer ce dernier[53]. Selon elle, la demande de la CCIA était inhabituelle.

À savoir si le don provenait en fait que la CCIA, Mme Fournier n’a pas voulu se prononcer. Elle a toutefois indiqué que l’un des deux donateurs fait partie de la CCIA, qui entretient des liens avec le gouvernement de la RPC. Elle a indiqué que c’est pour ça qu’elle voulait qu’une vérification judiciaire sans restriction soit faite.

M. Rosenberg a dit ne pas avoir souvenir d’avoir été au courant que des interactions entre des employés de la Fondation et la CCIA avaient lieu au sujet du reçu. Il a toutefois reconnu que l’un des donateurs, M. Zhang Bin, présidait la CCIA et souligné qu’il s’était présenté ainsi à l’UdeM et lorsqu’il a fait un don à l’Université de Toronto. Selon lui, il n’y avait donc rien de répréhensible à ce que des employés de son organisation contactent la Fondation à des fins administratives pour fournir une adresse postale pour l’envoi d’un reçu. Il a confirmé que l’adresse postale fournie à la Fondation pour le premier reçu était en RPC. Il a dit qu’à sa connaissance, il s’agissait de l’adresse de M. Zhang Bin en sa qualité d’administrateur de la société MGE Canada.

Vérification diligente

Mme Fournier a dit qu’il ne semblait pas y avoir eu de vérifications faites à l’égard des deux donateurs lorsque la Fondation a accepté le don. Elle a noté que sous sa gouverne, pour tout don important, un bureau d’avocats devait valider qui était le donateur, d’où il venait et quelles étaient ses intentions[54]. La même vérification est aussi faite pour les boursiers, mentors et fellows depuis 2018. Elle a dit que la politique de dons de l’époque prévoyait une obligation pour la Fondation d’obtenir un avis juridique sur le contrat de don et sur l’origine des donateurs. Dans le cas du don, elle a constaté que les donateurs se faisaient pratiquement absents. Les communications entre les donateurs et la Fondation semblaient se faire par l’entremise de la CCIA.

Mme Adam a confirmé qu’en mars 2023, une certaine confusion régnait à l’égard de l’identité des donateurs, ce pour quoi elle souhaitait qu’un audit indépendant ait lieu[55].

Mme Fournier a mentionné qu’en 2016, un membre du C.A., Farah Mohammad, qui ne siège plus au C.A. mais qui est toujours membres de l’assemblée des membres de la Fondation, aurait avisé la haute direction de la Fondation que le vrai donateur n’était pas la personne sur le reçu livré aux fins d’impôts. M. Rosenberg a dit qu’il n’a jamais été informé d’un tel fait par un membre du C.A en 2016. Il a dit ne jamais avoir eu de raison de penser que le don n’était pas fait par MGE Canada. Il a affirmé qu’il ne voyait pas comment le don aurait pu être une opération d’influence.

M. Trudeau a lui aussi dit qu’il n’y avait jamais eu de doute quant à l’identité des deux donateurs et l’entreprise qui a fourni les versements du don.

M. Rosenberg a indiqué qu’aucune évaluation particulière n’avait été faite en ce qui concerne l’envoi d’un reçu à une adresse en RPC puisque seule l’entreprise identifiée sur le reçu, soit une entreprise canadienne, MGE Canada, pouvait l’utiliser. Il a rappelé qu’un reçu aux fins d’impôts ne peut pas être utilisé par une personne qui ne paie pas d’impôts au Canada. Il a fait l’hypothèque que ce qui s’est passé dans le cas du premier reçu est similaire au scénario où un retraité canadien, qui habite à l’étranger quelque mois par année, demande qu’un reçu pour un don fait à une société canadienne lui soit envoyé à son adresse à l’étranger afin qu’il puisse faire ses impôts.

M. Rosenberg a confirmé qu’aucune enquête approfondie sur les donateurs, la source du don ou les conditions du don n’a eu lieu en 2016. Il a toutefois rappelé que M. Zhang Bin a été présenté à M. Lefebvre par l’ancien ambassadeur du Canada en RPC, Guy Saint‑Jacques, qui était parfaitement au courant des liens que M. Zhang Bin avait avec la CCIA à l’époque[56]. M. Rosenberg a dit ce qui suit :

À l'époque, nous n'étions pas naïfs de faire affaire avec des personnes liées au gouvernement chinois, parce qu'à peu près tout le monde le faisait. Là où nous étions naïfs, c'était de croire que faire affaire avec eux pourrait nous donner un levier de persuasion.

M. Rosenberg a aussi rappelé que dans les années 2010, le Canada et les États-Unis pensaient, à tort, qu’incorporer la RPC au système économique international ferait progresser la démocratie dans ce pays. De la même façon, la Fondation se disait à ce moment-là qu’organiser des conférences auxquelles assisteraient sûrement des étudiants de la RPC fréquentant l’UdeM, pourrait avoir un impact positif sur la RPC.

Remboursement du don

M. Johnson a indiqué que Mme Fournier et lui ont convenu qu’en raison des allégations soulevées dans les médias, il était préférable que la Fondation retourne le don. M. Johnson a expliqué que l’attention médiatique entourant la publication de l’article a exercé une pression énorme sur la Fondation et son équipe, et sur le C.A.[57].

Mme Fournier a dit qu’elle a tenté de retourner les 140 000$ en envoyant un chèque à ce moment par la poste à MGE Canada, mais que le chèque n’a pas pu être livré. Il a été retourné à la Fondation le 23 mars 2023[58].

Toutefois, M. Johnson a indiqué au Comité que le donateur a été remboursé. Par correspondance envoyée au Comité le 10 mai 2023, Peter Sahlas, membre du C.A. de la Fondation, a confirmé que le 12 avril 2023, un chèque de 140 000$ a été livré à la succursale du centre-ville de la Banque de Montréal de la société MGE Canada. Selon cette correspondance, le chèque a été fourni au gestionnaire du compte de la société MGE Canada, qui l’a déposé immédiatement et confirmé le dépôt par écrit[59].

Accès potentiel au Premier ministre ou au Bureau du premier ministre

M. Rosenberg, a précisé qu’à aucun moment les donateurs n’ont demandé à la Fondation de les mettre en relation avec le gouvernement fédéral ou des responsables politiques. En ce qui concerne le fait que M. Zhang Bin ait pu participer à une soirée-bénéfice pour le premier ministre du Canada en mai 2016, y compris prendre une photo avec ce dernier, M. Trudeau a parié qu’il voulait une photo avec le premier ministre pour la montrer à ses amis. Il a rappelé au Comité que le processus qui a mené au don a débuté en 2014.

Conclusion

Considérant ce qu’il a entendu, le Comité ne peut se prononcer de façon définitive sur ce cas.

Chapitre 3 : Mesures proposées pour contrer l’ingérence étrangère

Mesures législatives

Comme plusieurs autres témoins, M. Chiu est d’avis que l'ingérence étrangère et la répression transnationale sont des enjeux géopolitiques complexes qui exigent une réaction immédiate du Canada. Selon lui, l’instauration de mesures législatives aurait pour effet de mieux protéger le Canada et ses nombreuses communautés culturelles.

M. Glucksmann est également d’avis que les pays démocratiques devraient réagir plus rapidement et plus durement aux tentatives d’ingérence étrangère. Selon lui, l’absence de sanctions et de conséquences a contribué aux agressions répétées d’États étrangers en Europe. Il a affirmé que « dès qu’il y a une attaque sur une infrastructure stratégique, dès qu’il y a preuve de corruption, il doit y avoir une sanction ». Il a dit :

Notre principale mission, en tant que législateurs, est de permettre aux démocraties que nous avons reçues en héritage d'être transmises dans les mêmes conditions de sécurité que nous les avons reçues. Nous devons donc adapter en permanence nos législations pour protéger nos démocraties contre les ingérences. Celles-ci peuvent prendre différentes formes, et ces formes évoluent selon les époques.

M. Stanton a souligné la nécessité de se doter d’outils législatifs pour protéger la démocratie canadienne. Il y a un effet dissuasif lorsque des lois sont en place, ce qui permet d’atténuer la menace. Cependant, la menace n’est pas identique d’un pays à l’autre. C’est pourquoi une solution commune risque de ne pas être suffisante pour contrer les différentes approches et techniques d’ingérence. Selon lui, il faut donc accorder de l’importance aux différentes approches et techniques des pays qui effectuent de l’ingérence.

Sanctions pénales

Aucune mesure punitive particulière pour l’acte général d’ingérence étrangère ne figure au Code criminel ou dans toute autre loi fédérale. Par conséquent, la GRC doit utiliser différentes sanctions que l’on trouve dans le Code criminel, la Loi sur la sécurité de l’information ou d’autres lois pour intenter des poursuites criminelles liées à des activités d’ingérence étrangère, selon les circonstances.

M. Juneau-Katsuya est d’avis qu’il existe de grandes lacunes dans les lois canadiennes, surtout quand il s’agit d’imposer des peines. Il a expliqué qu’il ne s’agit pas seulement d’États étrangers, mais également d'agents qui sont Canadiens, qui sont recrutés par des États étrangers et qui agissent en leur nom. Selon lui, il est impératif de se doter d’une loi pénale sur l’ingérence étrangère, qui définirait les activités considérées comme illicites et prévoirait les sanctions pouvant s'appliquer.

Pour sa part, M. Stanton est d’avis que le Canada possède déjà le marteau législatif nécessaire pour frapper l’ingérence étrangère. Selon lui, la Loi sur la protection de l'information est un outil législatif important qui permet d’attraper les intermédiaires des agents étrangers. Il a expliqué que les articles 3 et 20(1) de la Loi sur la protection de l’information permettraient d’intenter des poursuites pour ingérence étrangère comme suit :

Selon le paragraphe 3(1), il existe « un dessein de nuire à la sécurité ou aux intérêts de l'État » dans les cas où la personne commet, en vue de contribuer à la réalisation d'un objectif politique ou dans l'intérêt d'une entité étrangère, une infraction à une loi punissable d'une peine d'emprisonnement maximale de deux ans ou plus.
Si nous passons au paragraphe 20(1), nous voyons qu'il s'agit d'une infraction si « pour [le] profit d'une entité étrangère », une personne « incite ou tente d'inciter » une personne à faire accomplir quelque chose soit « en vue d'accroître la capacité d'une entité étrangère » ou « qui portera vraisemblablement atteinte aux intérêts canadiens ».

Comme le paragraphe 20(3) établit que quiconque commet une infraction au paragraphe 20(1) est coupable d’acte criminel passible de l’emprisonnement à vie, M. Stanton est d’avis qu’il est donc déjà possible d’intenter des poursuites criminelles pour une bonne partie des infractions d’ingérence étrangère qui sont assujetties à la Loi sur la protection de l’information.

Modernisation de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité

M. Juneau-Katsuya est d’avis que le Canada pourrait s’inspirer de mesures législatives de ses alliés pour créer sa propre approche législative. Par exemple, il a indiqué que la loi australienne adoptée en 2018, serait un bon point de départ et pourrait inspirer le Canada[60]. Cette loi permet entre autres aux services de renseignements australiens d’exiger, dans certaines circonstances, que des entreprises offrant des services de messageries chiffrés leur donner accès aux messages chiffrés de certains utilisateurs.

M. Juneau-Katsuya a également mentionné que les États-Unis et le Royaume-Uni ont adopté des mesures législatives qui pourraient inspirer une approche législative canadienne, sans toutefois offrir des détails sur ses textes législatifs.

Réglementer la mésinformation, la désinformation et les plateformes numériques

Concernant la possibilité de réglementer la mésinformation, Mme Lim a noté qu’il est en fait dangereux de se limiter aux moyens législatifs pour freiner la mésinformation et l’ingérence étrangères en ligne.

Mme Lim a expliqué que ces collègues du Citizen Lab ont documenté la situation dans plus d’une soixantaine de pays ayant adopté des lois concernant la mésinformation ou les activités étrangères en ligne, sans pour autant y découvrir de preuve de leur efficacité. Au contraire, ces lois ont tendance à faire l'objet de critiques de la part de militants et de groupes de défense des droits qui affirment qu'elles ont pour effet d'étouffer les critiques et des voix importantes. Selon elle, si le Canada resserre son contrôle de l'Internet, il va légitimer les lois permettant la censure adoptée par des gouvernements antilibéraux et à tendance autoritaire.[61].

Mme Lim a expliqué qu’il existe des facteurs de risque qui rendent des gens vulnérables à la mésinformation étrangère ou aux activités d'ingérence étrangère. Il s’agit d’une question d’offre et de demande : d’un côté il y a des acteurs étrangers qui offrent du contenu qui cible certaines communautés canadiennes, alors que d’un autre côté l’on retrouve des communautés ou des personnes qui sont prédisposées à recevoir et à croire cette information fausse ou trompeuse étant donné leur rattachement culturel ou linguistique. Cette prédisposition peut découler d'une discrimination ou d'autres formes de marginalisation et d’inégalité envers l’accessibilité de ces communautés à de l’information fiable. C’est pourquoi il faut faire preuve de prudence au moment d'envisager une mesure législative visant à légiférer la mésinformation.

Selon Mme Lim, la mise en place de mesures de contrôle de l’information par voie législative pose certains risques pour la démocratie canadienne sans pour autant être suffisante pour empêcher l’ingérence étrangère. Elle a affirmé que « lorsqu'on cède les droits démocratiques à la libre expression et à l'accès à l'information à des contrôleurs, on va à l'encontre d'un Internet ouvert et des normes démocratiques sur lesquelles la réputation du Canada repose ». Elle donc recommandé d'envisager d'autres politiques, comme trouver des moyens de renforcer la confiance à l'égard des institutions et des médias, d’établir de meilleurs liens avec les diasporas, de soutenir certaines personnes et de chercher des façons de s'attaquer aux modèles à but lucratif de l’écosystème médiatique.

Toutefois, M. Glucksmann a de son côté soutenu qu’il est essentiel de réglementer les plateformes numériques pour lutter contre la désinformation et leur imposer une responsabilité pour la diffusion d’information problématique. Selon lui, il faut aussi comprendre l’importance de la presse et des organisations non gouvernementales au sein de l’écosystème démocratique et permettre à ces organes de recevoir une aide constante.

Mme Lim était aussi d’avis qu’il faudrait impliquer la participation du secteur privé étant donné que beaucoup de harcèlement se perpétue sur des plateformes comme Twitter, Facebook, Telegram, WeChat et plusieurs autres. Elle a proposé d’explorer l’idée de sanctions ciblées à l’endroit d'entreprises qui exportent ou vendent des produits technologiques à des pays qui mènent des activités d’ingérence étrangère.

Observations du Comité

Considérant les recommandations variées des témoins le Comité estime que certaines mesures législatives proposées devraient être adoptées. Il fait donc les recommandations suivantes :

Recommandation 14

Que le gouvernement du Canada insère dans le Code criminel des mesures pénales qui englobent toutes les activités d’ingérence étrangère, y compris le harcèlement et l’intimidation au nom d’État étranger, et qu’il prévoit des sanctions adéquates pour y répondre.

Recommandation 15

Que le gouvernement du Canada clarifie l’objectif des dispositions de la Loi sur la protection de l’information visant à contrer les activités d’ingérence étrangère et des mesures de sanction afférentes, et qu’il émette une politique permettant aux Canadiens de mieux comprendre comment la Loi sur la protection de l’information permet de protéger le Canada de l’ingérence étrangère.

Le Comité croit fermement dans l’importance de la liberté d’expression au Canada. Il reconnaît toutefois que la diffusion et l’amplification de désinformation par les algorithmes de certaines plateformes en ligne ne devraient pas être permises, surtout lorsque cette désinformation est diffusée par des pays étrangers à des utilisateurs qui sont citoyens d'autres États. Il fait donc les recommandations suivantes.

Recommandation 16

Que le gouvernement du Canada tienne les plateformes numériques responsable pour la diffusion d’information fausse ou trompeuse et qu’il élabore des politiques de soutien de l’écosystème médiatique dans les diasporas et autres communautés linguistiques minoritaires et non représentées par les grands médias afin de s’assurer que les communautés vulnérables ne soient pas revictimisées.

Recommandation 17

Que le gouvernement du Canada, en collaboration avec les agences de sécurité nationale, explore la possibilité d’imposer des sanctions ciblées à l’endroit d'entreprises canadiennes qui exportent ou vendent des produits technologiques à des pays qui les utilisent pour mener des activités d’ingérence étrangère.

Registre des agents étrangers

La création d’un registre des agents étrangers a été proposée à de maintes reprises dans les dernières années, mais aucun projet de loi n’a été adopté[62]. Plusieurs pays alliés ont mis en place un registre des agents étrangers[63].

En mars 2023, le ministre de la Sécurité publique a annoncé le lancement de consultation publique pour guider le gouvernement dans la création d’un registre sur la transparence de l’ingérence étrangère au Canada[64]. Les consultations se sont terminées le 9 mai 2023. Le gouvernement a annoncé son intention de présenté un projet de loi. Au moment de l’adoption du présent rapport, aucun projet de loi sur le sujet n’a été présenté.

Plusieurs témoins se sont prononcés sur la création d’un registre des agents étrangers au Canada. M. Chiu a soutenu que le registre des agents étrangers est un outil cohérent avec ce que le SCRS conseille aux dirigeants du pays et que :

Le soleil est le meilleur désinfectant, et l'ouverture et la transparence est la meilleure façon de lutter contre l'ingérence étrangère et aussi de regagner une grande partie de la confiance perdue des Canadiens et des Canadiennes envers nos institutions. Cela permettrait aussi d'éliminer la partisanerie politique de tous ces enjeux.

M. Manthorpe a signalé que ce n’est pas seulement le RPC qui dépasse les limites du lobbying en se livrant à de sérieuses ingérences dans la vie publique canadienne. Il s'agit d'un problème général. Il est donc lui aussi d’avis que le Canada devrait instaurer un registre des agents étrangers.

Selon M. Glucksmann, chaque État démocratique devrait instaurer un registre des agents étrangers. Un tel registre n’existe pas encore en Europe.

L’UE s’est toutefois dotée d’un registre de transparence[65]. M. Glucksmann a expliqué que divulguer la source du financement d’un organisme à but non lucratif peut être important pour que les parties prenantes puissent comprendre pourquoi cet organisme se concentre sur un enjeu particulier. Il a noté que ce registre de transparence ne représente pas un système parfait, car il n’est pas toujours bien mis en œuvre. Selon lui, les exigences de divulgation de l’information sur les stratégies indirectes de lobbying dans le registre de transparence de l’UE n’est pas très efficace à l’heure actuelle. Le Parlement européen travaille à la reformulation de cette exigence pour la clarifier et accroître son efficacité. Il a précisé que la réforme inclura aussi un registre sur les conflits d’intérêts. Il a expliqué que la Commission spéciale s’intéresse particulièrement aux conflits d’intérêts des élus et de l’ingérence d’intérêts privés.

M. Stanton a quant à lui argué que bien qu’un registre des agents étrangers comporte des avantages, il ne faut pas nécessairement le prioriser au détriment de l’approche législative. Il est d’avis qu’une grande partie de l'ingérence étrangère la plus préjudiciable est clandestine et qu’un registre ne permettrait pas d’atténuer ce type d’ingérence étrangère. Selon lui, la proposition du registre des agents étrangers tel que présenté dans le projet de loi S-237 a un certain mérite. Il n’était pas contre son adoption.

M. Kwan s’est dit d’accord avec les nombreuses critiques qui soutiennent qu’un registre des agents étrangers ne serait peut-être pas efficace à cent pour cent. Cependant, il a expliqué qu’il permettrait au Canada de démontrer à son peuple et aux pays impliqués dans l’ingérence, comme la RPC, la Russie et l’Iran, que le Canada tente activement de protéger l'intégrité de ses élections et de sa communauté. M. Kwan a également souligné qu’il ne faut pas croire l'argument selon lequel la création d'un registre est une attaque contre la communauté chinoise du Canada. Il s’agit là, selon lui, du message habituel véhiculé par le Parti communiste de Chine, qui n’a pas intérêt à ce qu’un tel registre voie le jour, dans le but d’effrayer les Canadiens.

Mme Lim est également sceptique en ce qui concerne l’efficacité d’un registre des agents étrangers, car il n’existe pas de preuve solide démontrant que le fait de coller l'étiquette d'agent étranger ou d'entité étrangère à ces acteurs peut changer l'opinion de la population à leur égard. Elle a donné l’exemple de YouTube qui s’est doté d'une procédure d'étiquetage pour tout contenu qui provient d’une société d’État. Les gens ont continué de consommer de tel contenu malgré l’étiquetage. Elle a aussi noté qu’un bon nombre des opérations d’ingérence étrangère sont secrètes ou clandestines, il y a donc une possibilité qu’ils trouveraient des moyens d'échapper à leur inscription au registre ou de le contourner.

Observations du Comité

Le Comité reconnaît que l’instauration d’un registre des agents étrangers ne peut être établie dans l’optique qu’il règlera tous les problèmes d’ingérence, mais il est d’avis qu’il s’agit d’une bonne mesure de protection qui permettrait d’assurer une plus grande transparence à l’égard des acteurs étrangers qui opèrent au Canada. Ainsi, le Comité fait la recommandation suivante :

Recommandation 18

Que le gouvernement du Canada mette en place un registre des agents étrangers le plus rapidement possible.

Combattre l’intimidation et le harcèlement : ligne d’urgence nationale

M. Kwan a souligné qu’un rapport corédigé par la Coalition canadienne pour les droits humains en Chine et Amnistie internationale Canada en 2017, exhorte le gouvernement canadien à mettre en place, pour l'ensemble du pays, une ligne téléphonique d'urgence où l'on peut signaler les incidents de harcèlement et d'intimidation par des états étrangers qui sont autrement ignorés par la police locale ou la GRC[66]. Son organisation appuie la mise en place d’une telle ligne téléphonique nationale.

Tout comme M. Kwan, Mme Lim est d’avis que la mise en place d'une ligne téléphonique d'intervention rapide est une idée qui mérite d’être explorée. Une telle ligne téléphonique pourrait permettre aux personnes ou communautés de recevoir de l’aide lorsqu’elles sont victimes d’harcèlement en ligne, en hors ligne, ou les deux à la fois. Selon elle, le gouvernement du Canada pourrait s’inspirer de la ligne d’urgence du Federal Bureau of Investigation américain, ou FBI, ou encore de l’approche de la police du Royaume-Uni qui a trouvé moyen d’offrir sa protection à la diaspora iranienne.

Réforme de l’appareil de sécurité nationale pour contrer l’ingérence étrangère

Lacunes du système actuel

M. Kwan a indiqué que la diaspora chinoise au Canada est témoin de bien des cas de pression du gouvernement de la Parti communiste de Chine, mais que bon nombre de ces activités de harcèlement et d’intimidation ne sont pas signalées ou, s'ils ont été signalés auprès de la police locale ou de la GRC, ils ne font pas l'objet d'enquêtes parce que les preuves sont insuffisantes.

M. Chu a affirmé qu’un manque de coopération entre la GRC et le SCRS contribue au dysfonctionnement de l’approche actuelle. Selon lui, « les deux organisations sont censées travailler ensemble ». Il a rajouté que la plupart des Canadiens de la diaspora chinoise ne savent pas exactement quel est le rôle du SCRS et c’est pourquoi ceux qui reçoivent des menaces s’adressent habituellement à la GRC. Comme ces démarches s’avèrent infructueuses, ils finissent par ne plus faire confiance au système. Ainsi, selon lui, « il est important de rebâtir la confiance ».

Selon M. Stanton, le SCRS est l’entité qui a pour rôle de fournir un large éventail de rapports de renseignement, qu'il soit question d'évaluations ou de la loi. Il a toutefois indiqué ne pas savoir la manière par laquelle cette information est transmise au premier ministre ou au conseiller en matière de sécurité nationale. Il a également rappelé que le SCRS ne surveille pas les élections. Il surveille la cible d'une menace, la personne qui peut présenter sa candidature ou quiconque présente sa candidature. Il ne mène pas d'enquêtes pour surveiller les communautés et les politiques actuelles.

M. Juneau-Katsuya a fait écho aux commentaires de M. Stanton, en rajoutant que le Canada fait l’objet d'ingérence de différents États depuis longtemps, mais qu’il ne semble toujours pas disposer d’outils nécessaires pour mener des enquêtes efficaces sur le sujet. Il a dit retenir des doutes quant aux effets réels des 50 millions de dollars récemment versés à la GRC pour s'attaquer la question du harcèlement en lien avec l’ingérence étrangère. Selon lui, « ni la GRC ni le SCRS ne sauraient être les organismes d’enquête, puisque leur structure actuelle ne leur a pas permis d’inciter les gouvernements à agir en 30 ans ».

Création d’un bureau national de lutte contre l’ingérence étrangère

M. Juneau-Katsuya a salué l’initiative du gouvernement visant à créer un bureau national de lutte contre l’ingérence étrangère[67]. Cependant, selon lui, il n’est pas approprié de le placer sous la tutelle du ministre de la Sécurité publique. Il a dit :

Ce bureau devra donc être indépendant, distinct du Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS, et de la Gendarmerie royale du Canada, la GRC, et devra se rapporter directement à la Chambre de Communes, qui nommera son directeur. Une loi devra confier à ce bureau les pouvoirs d’enquêter, de perquisitionner, de procéder à des arrestations, de poursuivre en cour pénale sans avoir à demander la permission à qui que ce soit et de pouvoir informer le public sans que le politique interfère. De plus, un budget de 13,5 millions de dollars répartis sur cinq ans est insuffisant. Il doit y avoir des enquêteurs pouvant couvrir toutes les régions du Canada et, pour ce faire, il faut des bureaux locaux qui travailleraient non seulement pour le fédéral, mais aussi pour assister les provinces et les municipalités.

M. Juneau-Katsuya a rajouté qu’un tel bureau permettrait de ramener l’intégrité dont notre système démocratique a besoin, que ce soit auprès de nos alliés internationaux ou des Canadiens et Canadiennes. Il a rajouté qu’un tel bureau pourrait assurer plus de transparence, et que « [p]endant trop longtemps, ce manque de transparence a empêché le Canada de transmettre des avertissements à la population[68] ».

Mme Lim a également supporté la création d’une agence indépendante, distincte des organismes d'application de la loi comme l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) ou le SCRS, qui se pencherait précisément sur la répression transnationale. Selon elle, il faudrait également considérer offrir une formation sur le monde numérique et une formation de base sur la sécurité. Par exemple, les représentants d’une agence fondée pour s'attaquer précisément à la répression transnationale, devraient être formés afin qu’ils comprennent ce que vivent les victimes de cette répression.

Bien qu’il ait reconnu les défis actuels dans la gestion de l’ingérence, M. Wilczynski a toutefois souligné que la création d’un bureau national de lutte contre l’ingérence étrangère comporte des risques :

Il faut reconnaître qu'il existe déjà un corps policier indépendant et qu'une loi régit les actions du Service canadien du renseignement de sécurité. Or, lorsqu'on crée un nouvel organisme avec de nouveaux mandats, il y a toujours le risque que les objectifs qu'on lui assigne soient plus difficiles à atteindre que si l'on revoyait l'orientation d'organismes déjà en place, comme le [SCRS] ou la Gendarmerie royale du Canada.

Gouvernance et ressources humaines

M. Juneau a dit être d’accord qu'une réforme de la gouvernance de l'appareil de sécurité nationale s'impose pour mieux faire face aux menaces d’ingérence étrangère et problèmes de transparence. Selon lui, il faudrait un comité de sécurité nationale au sein du Cabinet pour axer le débat politique de haut niveau sur les questions de sécurité nationale. Le gouvernement a aussi besoin d'un appareil bureaucratique plus rigoureux pour soutenir ce comité, ce qui signifie un conseiller plus fort en matière de sécurité nationale et de renseignement auprès du premier ministre au sein du Bureau du Conseil Privé. Une réforme au niveau des ressources humaines est aussi requise. Il a noté que des problèmes au niveau du recrutement, de la rétention, des autorisations de sécurité et des cheminements professionnels.

En ce qui concerne les ressources humaines, M. Wilczynski et M. Juneau ont soulevé le manque de diversité dans le milieu du renseignement et de la sécurité nationale. M. Wilczynski a indiqué :

Au sein du service du renseignement de sécurité, nous avons besoin d'une plus grande diversité dans nos rangs, précisément afin d'être capables de comprendre le contexte linguistique et culturel, et d'être en mesure de fournir le genre d'information qui est essentiel. Quand les membres de ces communautés sentent que nous n'avons pas respecté la primauté du droit et que nous ne les avons pas protégés dans la mesure nécessaire, notre capacité à les inciter à nous rejoindre et à devenir membres du service de renseignement de sécurité est alors compromise. Cela affecte également notre capacité de protéger efficacement les intérêts nationaux du Canada.

Selon M. Juneau, la diversité dans le milieu du renseignement et des forces armées est une nécessité opérationnelle :

Lorsque ces services ne sont pas diversifiés, ils se tirent une balle dans le pied. Ils excluent du recrutement de vastes secteurs de la population. Ils ne sont pas en mesure de remplir certaines fonctions, qu'il s'agisse des relations civilo-militaires du côté militaire, de l'obtention de renseignements et du recrutement de sources humaines dans certaines collectivités du côté des services de renseignement, etc. La diversité de ces organisations est essentielle à leur mission.

M. Juneau a rajouté que le milieu de travail au SCRS, à la GRC et à l’ASFC soit meilleur aujourd'hui qu'il y a 10 ou 20 ans, et que le CST est probablement en avance, mais qu’il reste encore beaucoup de progrès à faire à ce niveau. Il a proposé de régler ce problème par la mobilisation des collectivités marginalisées afin d'instaurer un climat de confiance et d'ouvrir des voies de communication.

Observations du Comité

Le Comité reconnaît qu’aucune mesure unique ne puisse éliminer complètement les effets de l’ingérence étrangère. Il a noté que les recommandations des témoins semblaient parfois antinomiques, mais que certains enjeux demeurent importants à adresser. C’est pour ces raisons que le Comité fait les recommandations suivantes :

Recommandation 19

Que le gouvernement du Canada modifie la Loi sur le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement pour exiger que chaque rapport annuel présenté à chaque chambre du Parlement comprenne un examen annuel des menaces d'ingérence étrangère au Canada, telles que le harcèlement et l'intimidation de certaines communautés canadiennes par des États étrangers.

Recommandation 20

Que le gouvernement du Canada créé un comité du Cabinet chargé de la sécurité nationale.

Recommandation 21

Que le gouvernement du Canada renforce les mécanismes de signalement pour les victimes de harcèlement ou d'intimidation par des entités étrangères, pour assurer une meilleure coordination de la réponse du gouvernement à de tels incidents et la prise d’actions appropriées à l’égard des plaintes individuelles.

Enquête publique indépendante

Le 15 mars 2023, le très honorable David Johnston a été nommé rapporteur spécial indépendant sur l’ingérence étrangère. Les paramètres du mandat de ce rapporteur prévoyaient que ces travaux se termineraient le 31 octobre 2023, et qu’un rapport provisoire serait publié le 23 mai, dans lequel ces recommandations pourraient inclure la tenue d’une enquête publique officielle. Dans son rapport provisoire, M. Johnston n’a pas recommandé la tenue d’une enquête publique indépendante distincte[69].

Le 31 mai 2023, la Chambre des communes a adopté une motion demandant à David Johnston de se retirer de ses fonctions de rapporteur spécial et au gouvernement d’établir d’urgence une commission d’enquête publique sur l’ingérence étrangère au Canada. Le 9 juin 2023, M. Johnston a annoncé son intention de quitter son poste de rapport spécial indépendant en raison du climat hautement partisan qui régnait. Il devait soumettre un court rapport final au Premier ministre, ce qu’il a fait le 26 juin 2023. Ce rapport final est confidentiel[70].

La question de la nécessité d’une enquête publique indépendante a été abordée par plusieurs témoins durant l’étude, avant la sortie du rapport final de M. Johnston.

M. Juneau-Katsuya a dit que l’idée de tenir une commission d’enquête n’était pas la bonne avenue à prendre. Selon lui :

Une commission publique va inévitablement révéler les méthodes d'enquêtes de nos services de sécurité et ainsi diminuer notre efficacité à détecter et à neutraliser la menace, tout en mettant des sources humaines à risque. Déjà, avec les révélations dévoilées, nous avons aidé les services chinois à nous contrer. Il y a tout à parier que, dans le climat politique actuel, l'attention sera donnée à la chronologie des événements, cherchant à rendre coupable le gouvernement alors que ses prédécesseurs ont tous fait la même chose. Il est temps de donner la priorité à la sécurité nationale, de manière non partisane, et de protéger le futur de la nation.

Pour M. Juneau-Katsuya, la seule façon qu’une enquête publique peut être utile est si elle ne se transforme en lutte partisane.

M. Wilczynski a dit soutenir les appels en faveur d’une enquête publique. Une telle enquête permettrait d’examiner ce qui s'est passé et pour nous assurer que nous disposons des outils nécessaires pour préserver la résilience de nos institutions démocratiques. Il a toutefois noté qu’une telle enquête devrait être coordonnée avec les examens effectués par d’autres instances comme l'Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement et le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement. Elle devrait aussi formuler des recommandations qui tiennent compte de l'ensemble de la menace, et pas seulement de ce qui s'est passé en 2019 et en 2021.

Mme Wong a confirmé qu’il est essentiel de rétablir la confiance envers les institutions démocratiques en permettant au public de voir et de comprendre ce qui se passe. Cependant, les gens de la diaspora chinoise qui voudraient possiblement participer à cette conversation et à cette enquête ne se sentent peut-être pas en sécurité de le faire dans une formule publique et ouverte. C’est pourquoi elle recommande de consulter les gens de la diaspora afin de mieux comprendre sous quel format ils se sentiraient à l’aise de participer à une enquête sur l'ingérence et l'influence étrangères au Canada.

M. Stanton est aussi d’avis que les Canadiens d'origine chinoise devraient avoir une place pour être entendus :

Ils doivent pouvoir s'exprimer, et pas simplement dans le cadre d'un exercice de relations publiques visant à savoir ce qu'ils pensent de temps à autre. Ce sont les gens qui sont dans la ligne de mire du régime de la République populaire de Chine depuis 30 ou 40 ans, et ce sont eux qui doivent se manifester. Ils doivent avoir la confiance qu'il y aura des résultats et un suivi s'ils prennent un risque et qu'ils viennent nous dire ce qui se passe. Non seulement le gouvernement doit-il écouter, mais les Canadiens doivent écouter la communauté sino-canadienne pour une fois et entendre ce qu'elle a à dire.

M. Kwan et M. Wilczynski, qui sont tous deux en faveur d’une enquête publique indépendante, sont d’avis qu’il est important de préconiser une approche ouverte et inclusive qui permettrait d’entendre les différentes communautés visées par l’ingérence étrangère. Mme Lau a abondé dans le même sens. Selon M. Kwan, les gens comme lui, qui parlent la langue, connaissent la culture, comprennent le modus operandi du Parti communiste chinois ainsi que de leurs mandataires, sont plus à l’affut de ce qui se passe sur le terrain.

Mme Lau a aussi rappelé que la diaspora chinoise n'est pas la seule communauté à être confrontée à la répression transnationale étrangère. Les Syriens, les Iraniens ou les Ukrainiens vivent la même chose. Il est donc important de consulter ces communautés aussi. Elle a rajouté que l’ingérence atteint plusieurs milieux et risque de continuer d’atteindre les plus vulnérables s’ils n’ont pas la chance d’être entendus. De plus, elle a expliqué qu’une personne ciblée par la répression transnationale étrangère peut se sentir très isolée et qu’une discussion ouverte permettrait à certains de constater qu’il s’agit d’un problème réel pour d’autres personnes aussi. Ça permettrait de renforcir la résilience de la communauté.

Mme Lim a proposé que la responsabilité soit l'un des éléments à prendre en compte. Selon elle, le fait de véritablement rappeler les représentants à l'ordre est important que ce soit en convoquant les diplomates des pays concernés; en émettant des déclarations publiques condamnant ce type d'agissements; et en rassemblant les preuves nécessaires pour mettre en lumière les événements.

Le 7 septembre 2023, le ministre de la Sécurité publique, des Institutions démocratiques et des Affaires intergouvernementales, Dominic LeBlanc, a annoncé la mise en place d'une enquête publique sur l’ingérence étrangère dans les processus électoraux et les institutions démocratiques fédérales. L’enquête est menée par l’honorable Marie-Josée Hogue, juge puînée de la Cour d’appel du Québec, qui est en fonction à titre de commissaire depuis le 18 septembre 2023.

Observations du Comité

Compte tenu des divers témoignages entendus au sujet de la possibilité de tenir une enquête publique sur l’ingérence étrangère et du besoin de s’assurer d’inclure les communautés pertinentes dans toute étude relative à ce type d’activités, le Comité fait la recommandation suivante.

Recommandation 22

Que le gouvernement du Canada consulte les membres des communautés affectées par les activités d’ingérence étrangère au Canada dans toute enquête portant sur l'ingérence étrangère.

Conclusion

Le Comité constate que l’ingérence étrangère est un phénomène qui affecte plusieurs démocraties à travers le monde. Il ‘agit d’une menace réelle et de plus en plus insidieuse qui porte atteinte non seulement la démocratie et aux institutions canadiennes, mais également aux droits et libertés de certains Canadiens et Canadiennes. Le Comité considère donc que toute attaque ou tentative d’attaque contre la démocratie canadienne par un état étranger est inacceptable et doit être prise au sérieux.

C’est pourquoi le Comité fait plusieurs recommandations dans le présent rapport visant à permettre au Canada de mieux faire face aux tentatives d’ingérence étrangère et d’offrir davantage de support aux citoyens canadiens qui sont affectés par de telles activités.

Le Comité estime qu’en mettant en œuvre les recommandations contenues dans ce rapport, le Canada pourra mieux protéger la sécurité nationale, la démocratie canadienne, ainsi que tous les Canadiens et Canadiennes.


[1]              Dans ce rapport, la République populaire de Chine (RPC) et le Parti communiste de Chine sont des termes utilisés par les témoins de manière interchangeable. Le Parti communiste de Chine gouverne la RPC depuis 1949, tandis que la RPC désigne l'État chinois ayant pour capitale Beijing.

[2]              Voir: Chambre des communes, Débats, 21 novembre 2022, 1450 (Michael Chong).

[3]              Comité spécial sur les relations entre le Canada et la République populaire de Chine de la Chambre des communes Une menace pour la souveraineté canadienne : Les dimensions de la sécurité nationale de la relation entre le Canada et la République populaire de Chine, rapport intérimaire, 17 mai 2023. Le chapitre 1 du rapport porte sur les cibles de l’ingérence étrangère au Canada.

[4]              Chambre des communes, Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique (ETHI), Réunion 50, Réunion 51 et Réunion 52.

[6]              Sécurité publique Canada, Lutte contre l’ingérence étrangère.

[7]              ETHI, Témoignages, Dan Stanton (ancien directeur général, Service canadien du renseignement de sécurité, à titre personnel).

[8]              Voir par exemple : Groupe de travail sur la sécurité nationale de l’École supérieure d’affaires publiques et internationales, Une stratégie de sécurité nationale pour les années 2020, rapport, Faculté des sciences sociales, Université d’Ottawa, mai 2022.

[9]              Le glossaire du Réseau européen des migrations sur l’asile et la migration définit le terme xénophobie comme suit :« les attitudes, préjugés et comportements qui rejettent, excluent et souvent vilipendent les personnes, sur la base de la perception qu'elles sont étrangères à la communauté, à la société ou à l'identité nationale [traduction]».

[10]            ETHI, Témoignages, Ai-Men Lau (conseillère, Alliance Canada Hong Kong).

[11]            ETHI, Témoignages, Mehmet Tohti (directeur général, Projet de défense des droits des Ouïghours).

[12]            Gouvernement du Canada, Protéger une société ouverte : la politique canadienne de sécurité nationale, avril 2004.

[15]            ETHI, Témoignages, Raphaël Glucksmann (président, Commission spéciale sur l’ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratiques de l’Union européenne, y comprit la désinformation, et sur le renforcement de l’intégrité, de la transparence et de la responsabilité).

[16]            Alliance Canada Hong Kong, In Plain Sight : Beijing’s Unrestricted network of Foreign Influence in Canada, mai 2021 [disponible en anglais seulement].

[17]            Parlement européen, Ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratiques de l’Union européenne, Résolution du Parlement européen du 9 mars 2022 sur l’ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratiques de l’Union européenne, y compris la désinformation (2020/2268(INI)).

[18]            Alliance Canada Hong Kong, In Plain Sight : Beijing’s Unrestricted network of Foreign Influence in Canada, mai 2021, p. 16 [disponible en anglais seulement].

[20]            Pendant cette étude, les termes « registre des agents d’influence étrangers » et « registre des agents étrangers » ont été utilisés de manière interchangeable lors des témoignages. Néanmoins, ce rapport utilise le terme « registre des agents étrangers ».

[21]            Alliance Canada Hong Kong, In Plain Sight : Beijing’s Unrestricted network of Foreign Influence in Canada, mai 2021, p. 29 [disponible en anglais seulement].

[22]            Alliance Canada Hong Kong, In Plain Sight : Beijing’s Unrestricted network of Foreign Influence in Canada, mai 2021, p. 6 [disponible en anglais seulement].

[24]            Alliance Canada Hong Kong, In Plain Sight : Beijing’s Unrestricted network of Foreign Influence in Canada, mai 2021, p. 4 [disponible en anglais seulement].

[25]            ETHI, Correspondance au Comité, 1 juin 2023.

[26]            ETHI, Témoignages, Bill Chu (porte-parole, Chinese Canadian Concern Group on the Chinese Communist Party’s Human Rights Violation).

[27]            Robert Fife and Steven Chase, “CSIS uncovered Chinese plan to donate to Pierre Elliott Trudeau Foundation,” The Globe and Mail, 2 mars 2023.

[28]            ETHI, Témoignages, Pascale Fournier (ancienne présidente et cheffe de la direction, Fondation Pierre Elliott Trudeau, à titre personnel); Alexandre Trudeau (ancien administrateur et membre de l’assemblée des membres, Fondation Pierre Elliott Trudeau, à titre personnel); Edward Johnson (président, Fondation Pierre Elliott Trudeau); Dyane Adam (ancienne vice-présidente, Fondation Pierre Elliott Trudeau, à titre personnel); Ginger Gibson (ancienne administratrice, Fondation Pierre Elliott Trudeau, et directrice, The Firelight Group, à titre personnel); Madeleine Redfern (ancienne administratrice, Fondation Pierre Elliott Trudeau, à titre personnel). Seuls deux des témoins entendus étaient administrateurs au moment où l’entente de don a été négociée : Alexandre Trudeau et Edward Johnson. M. Johnson ne tenait pas la présidence du C.A. à l’époque.

[29]            Fondation Pierre Elliott Trudeau, Rapport annuel 2021-2022, pp. 53–54, 62; Fondation Pierre Elliott Trudeau, Rapport annuel 2002-2003, pp. 4–5, 19; ETHI, Témoignages, Johnson.

[30]            Fondation Pierre Elliott Trudeau, Rapport annuel 2021-2022, p. 53.

[31]            Fondation Pierre Elliott Trudeau, Rapport annuel 2021-2022, p. 53. Voir aussi : ETHI, Témoignages, Fournier.

[32]            ETHI, Témoignages, Johnson. M. Johnson a confirmé que le conseil d’administration ne compte pas de membres nommés par le gouvernement depuis un certain nombre d’années.

[33]            ETHI, Témoignages, Trudeau.

[34]            ETHI, Témoignages, Rosenberg.

[35]            ETHI, Témoignages, Johnson.

[36]            ETHI, Témoignages, Fournier.

[37]            ETHI, Témoignages, Fournier.

[38]            ETHI, Témoignages, Fournier.

[39]            ETHI, Témoignages, Trudeau.

[40]            ETHI, Témoignages, Trudeau.

[41]            Voir aussi : ETHI, Témoignages, Trudeau. Le don à l’Université de Toronto était de 800 000$.

[42]            Voir aussi : ETHI, Témoignages, Rosenberg.

[43]            Voir aussi : ETHI, Témoignages, Rosenberg; ETHI, Témoignages, Rosenberg.

[44]            Voir aussi : ETHI, Témoignages, Rosenberg; Gouvernement du Canada, Traités, Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la République populaire de Chine concernant la promotion et la protection réciproque des investissements. L’accord a été ratifié et est entré en vigueur en 2014. Il a été signé en 2012.

[45]            L’élection de 2015 a eu lieu le 19 octobre 2015.

[46]            Voir aussi : ETHI, Témoignages, Fournier.

[47]            Voir aussi : ETHI, Témoignages, Fournier.

[48]            Voir aussi : ETHI, Témoignages, Johnson. M. Johnson a indiqué qu’une politique de dons était en place à la Fondation Pierre Elliott Trudeau depuis 2003.

[49]            ETHI, Témoignages, Trudeau.

[50]            ETHI, Témoignages, Rosenberg.

[51]            ETHI, Correspondance au Comité, 10 mai 2023.

[52]            ETHI, Correspondance au Comité, 30 juin 2023.

[53]            ETHI, Témoignages, Fournier.

[54]            ETHI, Témoignages, Fournier.

[55]            ETHI, Témoignages, Adam.

[56]            ETHI, Témoignages, Rosenberg.

[57]            ETHI, Témoignages, Johnson.

[58]            ETHI, Témoignages, Fournier.

[59]            ETHI, Correspondance au comité, 10 mai 2023.

[60]            Australian Government, Telecommunications and Other Legislation Amendment (Assistance and Access) Act 2018, 8 Décembre 2018.

[61]            Mme Lim a fourni l’exemple du gouvernement du Kirghizistan qui a adopté une loi très vaste lui permettant de retirer ou de censurer tout contenu qui lui déplaît. Cette mesure législative a été inspiré par le livre blanc du Royaume-Uni sur les méfaits en ligne ainsi que le projet de loi allemand NetzDG.

[62]            En avril 2021, l’ex-député de Stevenson — Richmond-Est, Kenny Chiu, a déposé le projet de loi C-282, Loi établissant le registre des agents d’influence étrangers, à la Chambre des communes pour une première lecture. Le projet de loi C-282 est mort au feuilleton suite à l’élection fédérale de septembre 2021. En février 2022, projet de loi S-237, la Loi établissant le registre des agents d’influence étrangers et modifiant le Code criminel, a été déposé par l’honorable sénateur Leo Housakos. Les mesures proposées en vertu des articles 1 à 8 du projet de loi S-237 sont généralement identiques au projet de loi antérieur, C-282, de sorte qu’elles prévoient l’obligation aux personnes agissant au nom d’entités étrangères de produire une déclaration et en établissant un registre public. De nouvelles mesures proposées à l’article 9 du projet de loi S-237 modifient l’article 423 du Code criminel concernant l’intimidation pour y inclure certaines activités d’ingérence étrangère.

[63]            Par exemple, la Foreign Influence Transparency Scheme Act 2018 (FITS) (Loi sur le régime de transparence des influences étrangères de 2018) de l’Australie, la Foreign Agents Registration Act (FARA) (Loi sur le registre des agents étrangers) des États‑Unis et le Foreign Influence Registration Scheme (FIRS) (Programme d’enregistrement des agents d’influence étrangers) proposé du Royaume-Uni.

[65]            Commission européenne, Registre de transparence. Le registre de transparence de l’Union européenne est une base de données des groupes d’intérêts qui cherchent à influer sur l’élaboration des politiques et de la législation européennes. Il ne s’agit pas d’un registre des agents étranger.

[66]            Coalition canadienne pour les droits humains en Chine et Amnistie internationale Canada, Harassment and Intimidation of People in Canada Working on China-Related Human Rights Concerns, mars 2020 [disponible en anglais seulement].

[67]            Le budget de 2023 propose un financement de 13,5 millions de dollars sur cinq ans, à compter de 2023–2024, et 3,1 millions de dollars par année, à Sécurité publique Canada pour établir un Bureau national de lutte contre l’ingérence étrangère.

[68]            ETHI, Témoignages, Michel Juneau-Katsuya (ancien chef du bureau Asie-Pacifique, Service canadien du renseignement de sécurité).

[69]            M. Johnston a plutôt recommandé « que l’on mène un processus public, et non une enquête publique en vertu de la Loi sur les enquêtes, pour aider le gouvernement et le Parlement à élaborer rapidement des politiques. Le processus public devrait mettre l’accent sur le renforcement de la capacité du Canada à repérer, dissuader et contrer l’ingérence étrangère dans nos élections et la menace que représente cette ingérence pour notre démocratie. » Le très honorable David Johnston, Premier rapport, 23 mai 2023, p. 34.