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AANO Rapport du Comité

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L’administration des testaments et des successions dans les réserves est une affaire complexe ayant des incidences sur la gestion des terres, le régime foncier, la citoyenneté, les biens matrimoniaux, l’adoption et la célébration des mariages, entre autres aspects de la vie dans les réserves.

Le Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord (« le Comité ») a été informé pour la première fois des problèmes entourant l’administration des testaments et des successions dans les réserves lors de son examen du projet de loi C-428, Loi modifiant la Loi sur les Indiens et prévoyant le remplacement de cette loi. Ce projet de loi d’initiative parlementaire a été déposé à la Chambre des communes le 4 juin 2012 par Rob Clarke, député de Desnethé–Missinippi–Rivière Churchill. La mesure législative visait notamment à abroger les dispositions de la Loi sur les Indiens concernant les testaments et les successions. Or, étant donné les lacunes législatives éventuelles et les conséquences imprévues d’une telle décision, le Comité a convenu de retirer cette disposition en attendant une nouvelle étude sur la question.

En partie à cause de ces complications d’ordre juridique et administratif, le Comité n’a pas pu consacrer tout le temps qu’il aurait souhaité à la question des testaments et des successions, incluant  dans le cadre de son étude récente sur la gestion des terres de réserve[1]. Le Comité a reconnu, néanmoins, la nécessité de se pencher là-dessus et s’est engagé à le faire aussitôt l’étude terminée.

L’un des principaux défis portés à l’attention du Comité durant les audiences sur la gestion des terres concerne ce que les témoins ont qualifié de « problèmes hérités du passé ». Ces enjeux surviennent lorsque des intérêts fonciers particuliers ne sont pas documentés ou reconnus juridiquement de manière officielle. Comme on peut donc s’y attendre, ces intérêts fonciers indivis et l’incertitude entourant les droits de tenure des biens fonciers dans les réserves peuvent entraîner de sérieuses complications pour certains membres des Premières Nations quand vient le moment de déterminer la transmission des biens par droit de succession, car cela donne souvent lieu à des conflits difficiles et interminables.

Conscient de l’importance de ces enjeux pour les membres et les communautés des Premières Nations, le Comité a tenu, les 8 et 29 avril 2014, des audiences supplémentaires exclusivement consacrées à la question des testaments et des successions, et a rencontré des responsables ministériels et des juristes spécialisés en la matière.

A. Testaments et successions dans les réserves

Au Canada, habituellement, ce sont les provinces et les territoires qui ont compétence en matière d’administration des testaments et des successions. Or, le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 accorde au gouvernement fédéral la compétence exclusive sur « [l]es Indiens et les terres réservées pour les Indiens ». C’est la raison pour laquelle le gouvernement fédéral exerce ses pouvoirs législatifs sur les « questions testamentaires » dans les réserves[2].

Avec le Règlement sur les successions d’Indiens, les dispositions 42 à 50(1) de la Loi sur les Indiens fixent le cadre législatif applicable aux testaments et aux successions d’« Indiens » décédés ayant résidé ordinairement dans une réserve[3]. Selon le régime de la Loi sur les Indiens concernant les testaments et les successions, le ministre dispose de pouvoirs quasi judiciaires pour prendre des décisions au sujet de la succession d’un Indien décédé, pour surveiller les agissements des exécuteurs testamentaires et des administrateurs de la succession, et pour agir comme administrateur de dernier recours. Alors que les pouvoirs fédéraux en matière d’administration des testaments et des successions ont été transférés aux Premières Nations signataires dans le cadre de la conclusion de plusieurs traités modernes, le pouvoir des Premières Nations de faire des lois régissant les testaments et les successions n’est pas reconnu dans la Loi sur les Indiens[4].

Jusqu’à présent, la mesure dans laquelle les lois provinciales relatives à l’administration des testaments et des successions s’appliquent aux réserves n’a pas été établie. De façon générale, on estime que les lois provinciales qui n’entrent pas en contradiction avec la Loi et le Règlement sur les successions d’Indiens peuvent s’appliquer au moyen de l’incorporation par renvoi en vertu de l’article 88 de la Loi sur les Indiens[5]. Cependant, des questions demeurent quant à savoir si les dispositions de la Loi sur les Indiens constituent un code testamentaire complet qui exclurait l’application des lois provinciales, et si les lois provinciales concernant l’utilisation des terres ou les intérêts fonciers s’appliquent.

B. Rôle d’Affaires autochtones et Développement du Nord Canada

Affaires autochtones et Développement du Nord Canada (AADNC) considère que l’administration des successions est avant tout une affaire familiale privée, et a donc pour politique de s’assurer que les amis et les parents d’une personne décédée peuvent administrer sa succession. S’il est impossible de nommer un administrateur de l’extérieur du Ministère, ce dernier fera alors office d’« administrateur de dernier recours » et entreprendra les démarches nécessaires pour que la succession soit traitée et distribuée conformément aux politiques, aux règlements et aux lois en vigueur.

Dans le cadre de son Programme des successions des personnes décédées, AADNC aide les membres des Premières Nations à administrer les successions de personnes décédées qui résidaient ordinairement dans une réserve avant leur mort. Ce programme permet également d’épauler le Ministère dans sa responsabilité consistant à s’assurer que les terres de réserve sont transférées aux personnes admissibles[6]. D’après le paragraphe 50(1) de la Loi sur les Indiens, seuls ceux qui sont membres de la même bande que la personne qui est décédée peuvent acquérir le droit d’hériter d’une terre dans cette réserve (paragraphe 50(1)). Ainsi, le programme permet de superviser la vente de terres qui, autrement, reviendraient à un bénéficiaire ou à un héritier qui n’est pas membre de la même bande que le défunt.


Des témoins ont indiqué au Comité que plusieurs problèmes compliquent l’administration des testaments et des successions en vertu du cadre actuel de la Loi sur les Indiens et contribuent souvent à allonger les délais requis pour régler une succession. Parmi les principaux obstacles à l’administration des testaments et des successions, il y a la prévalence des problèmes concernant la certitude des droits de tenure qui touchent les terres de réserve. Comme l’a expliqué John Gailus quand il a comparu devant le Comité, les intérêts individuels dans les terres de réserve sont souvent mal documentés ou ne bénéficient d’aucune reconnaissance juridique. Le manque de documentation concernant les intérêts dans les réserves peut avoir des conséquences importantes sur la détermination de la transmission héréditaire d’une propriété dans le cadre d’une succession et peut aussi mener à des différends entre des membres d’une Première Nation au sujet des droits fonciers[7].

Des témoins ont souligné également les retards parfois inhérents à l’administration des successions[8]. Compte tenu de la compétence et du pouvoir exclusifs du ministre sur les successions en vertu de la Loi sur les Indiens, le ministre et ses fonctionnaires interviennent dans de nombreux aspects de l’administration des successions, notamment dans l’homologation des testaments, la désignation des administrateurs, la détermination des héritiers et la répartition des biens. Des fonctionnaires du Ministère ont indiqué qu’environ 3 600 dossiers de successions sont ouverts chaque année et que quelque 44 employés travaillent à l’administration des successions partout au Canada[9]. Par conséquent, les témoins représentant le Ministère ont fait valoir que les mesures destinées à aider les Premières Nations à maîtriser la question des successions seraient probablement l’unique façon – et la plus efficace – d’améliorer l’efficacité et l’efficience du programme[10].

Par ailleurs, le faible taux de participation des membres des Premières Nations à la planification successorale peut aussi compliquer l’administration des successions[11]. En effet, la vaste majorité des membres des Premières Nations vivant dans les réserves meurent sans avoir laissé de testament, ce qui complique et allonge souvent le processus successoral[12]. Celui-ci se complique davantage lorsque des membres de la famille ou de la communauté ne déclarent pas le décès au Ministère dans les délais impartis ou omettent simplement de le signaler. Même si AADNC n’est responsable des biens successoraux qu’après avoir été informé d’un décès, le Ministère a plus de difficulté à protéger et à répartir les biens provenant de la succession à cause des déclarations de décès faites en retard[13]. Par exemple, des biens successoraux peuvent être « offerts en cadeau » ou distribués selon la tradition avant qu’AADNC n’ait été informé du décès et ait pu protéger les biens en question.

Le Comité a également appris que le cadre actuel de la Loi sur les Indiens régissant les testaments et les successions n’est pas aussi complet que celui des lois provinciales. Des témoins ont toutefois prévenu que le simple fait de remplacer le système actuel par les régimes provinciaux applicables aux testaments et aux successions ne serait pas nécessairement un gage d’efficacité. En fait, cela risquerait même d’alourdir le fardeau financier et administratif qui pèse sur les membres des Premières Nations, en plus d’entraîner des coûts supplémentaires pour le Ministère. Des témoins ont aussi averti que certains aspects des lois provinciales pouvaient être inapplicables, compte tenu de la nature des terres de réserve, ce qui pouvait donner lieu à deux régimes différents fonctionnant en parallèle. D’autres ont laissé entendre que plusieurs éléments de l’actuel cadre de la Loi sur les Indiens pouvaient être mieux adaptés à la réalité des Premières Nations. Par exemple, le fait que la Loi contienne des dispositions relatives aux testaments olographes signifie que les personnes vivant dans des communautés rurales, éloignées ou isolées n’ont pas à parcourir des centaines de kilomètres pour faire exécuter des dispositions testamentaires.

C. Observations

Même si les témoins ayant comparu devant le Comité ont convenu que les dispositions sur les testaments et les successions de la Loi sur les Indiens et de son règlement connexe n’ont jamais été aussi complètes et à jour que celles prévues dans les régimes provinciaux, ils ont insisté sur le fait que toute réforme en profondeur doit se faire avec le plus grand soin et avec le concours actif des Premières Nations. Étant donné les conséquences très personnelles que cela peut avoir sur la vie des gens et, éventuellement, sur les liens de parenté, et compte tenu aussi du fait que ces questions ont de tout temps été réglées selon les traditions culturelles, le Comité admet que toute réforme approfondie doit se faire dans le respect des traditions des Premières Nations.

À ce propos, la Première Nation crie de Muskeg Lake a mis sur pied une initiative du genre consistant à bâtir une structure de gouvernance novatrice et axée sur la culture. Ces dernières années, la Première Nation crie de Muskeg Lake, en Saskatchewan, a travaillé en étroite collaboration avec des aînés et des enseignants de la communauté pour définir les lois, les valeurs et les principes fondamentaux des Cris, afin de les incorporer dans leur constitution[14].

Le Comité reconnaît qu’une réforme complète exigera du temps et des ressources, et que c’est aux Premières Nations que revient la gestion des initiatives en ce sens. Ainsi, plutôt que de faire des recommandations spécifiques, le Comité invite AADNC à consulter les Premières Nations intéressées au sujet des mesures susceptibles de moderniser les politiques et la réglementation applicables et d’envisager des solutions de rechange au cadre en vigueur — comme l’élargissement des pouvoirs d’adoption de règlements administratifs consentis aux Premières Nations en vertu de la Loi sur les Indiens, afin qu’ils portent également sur l’administration des testaments et des successions, ou bien l’application des régimes provinciaux ou des systèmes juridiques traditionnels des Premières Nations — avant d’entreprendre toute réforme ou modification de la politique du Ministère relative aux testaments et aux successions. À cet égard, les témoins ont proposé que l’on envisage, par exemple, l’établissement de lignes directrices pour les administrateurs testamentaires des familles, la détermination des seuils appropriés en ce qui concerne la répartition des biens dans les cas de successions ab intestat, l’identification des failles administratives et réglementaires et le recours à des mécanismes de règlement des différends axés sur la communauté.

Enfin, les membres du Comité sont conscients que même le régime le plus solide et le plus moderne d’administration des testaments et des successions ne peut permettre de résoudre les différends territoriaux découlant d’intérêts non réglés et divis quant à savoir qui est propriétaire ou a le droit d’être propriétaire d’une parcelle de terrain. Cette incertitude entourant les droits de tenure dans les réserves, quand il n’y a souvent pas de documents prouvant à qui appartiennent les terres, a des conséquences néfastes sur la transmission des propriétés par succession. Le Comité invite donc les autorités fédérales à mettre en œuvre sans délai la recommandation énoncée dans son rapport de 2014 sur la gestion des terres, qui vise à clarifier les ententes relatives aux droits de tenure dans les réserves au moyen de documents officiels sur les droits fonciers coutumiers et de systèmes d’enregistrement des terres fondés sur des titres de propriété.



[1]              Rapport du Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord, Étude sur la gestion des terres et du développement économique durable sur les terres des réserves des Premières Nations, mars 2014.

[2]              Les « questions testamentaires » incluent toutes les questions entourant l’octroi et la révocation de lettres d’homologation de testaments ou de lettres d’administration.

[3]              Les dispositions de la Loi sur les Indiens relatives aux « testaments et aux successions » et du règlement afférent ne s’appliquent pas aux Indiens vivant à l’extérieur des réserves (ou ne résidant pas sur des terres de la Couronne), conformément au paragraphe 4(3) de la Loi. En général, les Indiens vivant à l’extérieur des réserves sont assujettis aux lois provinciales régissant les testaments et les successions, sauf en ce qui a trait aux legs (p. ex., les cadeaux et biens personnels) de biens réels dans les réserves.

[4]              Des traités modernes, notamment en Colombie-Britannique, transfèrent la compétence sur les testaments et les successions aux Premières Nations signataires, de sorte que les dispositions de la Loi sur les Indiens ne s’appliquent pas. Jusqu’à présent, à l’exception de la transmission de biens culturels par droit de succession, les Premières Nations ont choisi de ne pas exercer ce pouvoir, préférant s’en remettre aux lois provinciales en la matière.

[5]              Jack Woodward, Native Law, vol. 2, chapitre 16 [disponible en anglais seulement].

[6]              D’après l’article 50 de la Loi, seuls ceux qui sont membres de la même bande que la personne décédée peuvent acquérir le droit d’hériter d’une terre dans la réserve (paragraphe 50(1)). Les héritiers et les bénéficiaires qui ne sont pas membres de la même bande à laquelle la terre de réserve est associée ne pourront recevoir que le produit de la vente de cette terre (paragraphe 50(2)). Si la vente n’a pas été effectuée dans un délai de six mois, le droit sur cette terre de réserve revient à la bande, libre de toute réclamation de la part des héritiers (paragraphe 50(3)).

[7]              Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord (AANO), Témoignages, 1re session, 41e législature, 12 juin 2012 (John Gailus, avocat).

[8]              AANO, Témoignages, 2e session, 41e législature; voir également, Assemblée des Premières Nations de Colombie-Britannique « Wills and Estates » Governance Toolkit [disponible en anglais seulement].

[10]           L’évaluation du Programme des successions des personnes décédées faite par le Ministère en avril 2013 va également dans le sens de cette conclusion.

[11]           Selon l’évaluation du programme faite par le Ministère en avril 2013, à peine 8 % des membres des Premières Nations décédés dans une réserve avaient fait un testament, et près que 90 % sont morts intestat. Dans bien des cas, il n’y a pas de membres de la famille ou de la communauté disponibles pour administrer la succession du défunt, ce qui fait d’AADNC l’administrateur par défaut.

[13]           Ibid.

[14]           Nation crie de Muskeg Lake, nêhiyaw wiyasowêwina (loi crie) [disponible en anglais seulement].