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FAAE Rapport du Comité

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RÉALITÉS EN CONFLIT : RÉFORMES, RÉPRESSION ET DROITS HUMAINS EN BIRMANIE

SOMMAIRE

A. Le défi

Le Canada et le monde ont réagi aux changements de l’année écoulée en Birmanie avec un optimisme prudent. Or, comme l’ont souligné les témoins qui se sont présentés devant le Sous-comité, la Birmanie sort de 60 ans d’un régime militaire répressif marqué par de graves violations des droits humains, le non-respect de la primauté du droit, des conflits armés internes persistants et de faibles niveaux de développement humain et économique. Selon M. Greg Giokas, directeur général, Asie du Sud et du Sud-Est et Océanie, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI), il est peu probable que les droits humains en Birmanie progressent sans le moindre heurt ou du jour au lendemain[1]. Le renforcement des capacités du pays à mettre en œuvre les réformes proposées reste un grand défi. Le Sous-comité convient avec M. Giokas qu’il y a chez les réformateurs du gouvernement civil birman « un effort très sincère d'ouverture du pays aux institutions démocratiques pour assurer la prospérité » du peuple[2].

Le Sous-comité croit nécessaire cependant de tempérer cet optimisme par une vigilance sans faille en matière de droits humains. Comme le déclarait en avril Daw Aung San Suu Kyi[3], figure emblématique de la démocratie en Birmanie et chef de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), si l’on devait mesurer le développement démocratique de la Birmanie sur une échelle de 1 à 10, les récentes réformes « rapprochent le pays de un[4] ». Pour le moment, le Sous-comité ne croit pas que les modestes progrès de la Birmanie sur la voie de la démocratie soient irréversibles. Il reste à voir si ces réformes seront durables et si le bilan des droits humains du pays s’améliorera dans les années à venir.

Dans cet esprit, le Sous-comité salue les réalisations importantes du processus de réforme birman et, notamment l’élection au Parlement en avril de Daw Aung San Suu Kyi et des autres candidats de la LND. Nous tenons par contre à mettre en garde contre un optimisme prématuré ou irresponsable et à dénoncer l’absence de contrôle civil sur les militaires, qui a des conséquences très sérieuses pour les droits humains et pour le droit humanitaire. Les progrès récents ne s’étendent pas encore à toutes les régions ni à toutes les populations du pays. Aussi croyons-nous important que la communauté internationale regarde au-delà de la Birmanie centrale lorsqu’elle évalue la profondeur et la sincérité des réformes. C’est dans la mesure où le gouvernement et les forces armées de Birmanie respectent les droits humains et le droit international dans les régions à minorité ethnique qu’on pourra vraiment juger de l’évolution du pays et que le Canada devrait décider ou non de lever définitivement les sanctions.

B. Évolutions positives

Depuis les élections générales de 2010, le gouvernement birman a lancé un programme de réformes démocratiques. Un président civil est entré en fonction et le fer de lance de la démocratie et la prisonnière de conscience la plus célèbre, Daw Aung San Suu Kyi, a été libérée de son assignation à domicile peu après les élections de 2010 et autorisée à voyager en Birmanie et à l’étranger. Chose remarquable, dans le cadre d’élections partielles qui semblent avoir été largement libres de violence et d’intimidation, elle a été élue au Parlement en avril 2012 avec 42 autres membres de la LND. D’importantes réformes juridiques sont en cours ou à l’étude, beaucoup de prisonniers politiques ont été libérés, le carcan des médias a été desserré, les protestations et les expressions de désaccord sont mieux tolérées et le gouvernement s’emploie à réformer l’économie et à obtenir la coopération internationale pour améliorer la vie des gens[5].

Tout en regardant ces réformes d’un œil prudent, le Sous-comité tient à saluer les changements très réels qui ont eu lieu dans la partie centrale du pays au cours desdeux dernières années. Même si ces évolutions sont loin de mettre la Birmanie au niveau des normes internationales des droits humains, le Sous-comité reconnaît qu’elles sont non négligeables compte tenu du passé autoritaire du pays. Nous souhaitons sincèrement que le gouvernement birman poursuive la démocratisation et étende les réformes récentes aux régions frontalières.

C. Préoccupations subsistantes

Malgré les progrès réalisés dans les grandes villes comme Rangoon et Mandalay, la Birmanie a encore beaucoup à faire en matière de droits humains. Parmi les principaux problèmes relevés par les témoins, le Sous-comité trouve ceux-ci particulièrement préoccupants :

  • la Constitution soustrait entièrement ou presque les forces armées au contrôle civil;
  • les réformes menées dans le centre de la Birmanie n’ont pas encore touché les régions frontalières du pays, en particulier les secteurs comme l’État du Kachin où des groupes ethniques sont en guerre contre le gouvernement central depuis des décennies;
  • il est urgent de réformer l’appareil judiciaire pour en garantir l’indépendance;
  • la primauté du droit et les institutions civiles restent faibles;
  • l’exercice de droits humains individuels comme la liberté d’expression, d’association et d’assemblée reste assujetti à des restrictions et le travail forcé subsiste;
  • les prisonniers politiques continuent d’être soumis à des conditions non conformes aux normes dans des prisons et des camps de travail disséminés sur le territoire, et la détention arbitraire, la torture et les mauvais traitements se pratiquent toujours;
  • l’accaparement des terres est un problème croissant;
  • la Birmanie n’a pas la réglementation voulue pour que le développement économique, notamment dans le secteur de l’extraction des ressources, profite à sa population, et la corruption demeure endémique.

Des témoins ont aussi expliqué au Sous-comité comment les projets industriels, miniers et hydroélectriques contribuaient aux violations et abus des droits humains ainsi qu’aux conflits armés dans les régions à minorité ethnique. Ces projets vont de l’avant le plus souvent sans consultation des autorités locales sur des terrains confisqués sans juste indemnité. En outre, ils ne procurent pas en général d’emplois ou de bienfaits sociaux ou économiques aux populations locales. Ceux qui en profitent presque exclusivement sont les forces armées ou certains personnages étroitement liés au gouvernement central. Le gros de la production hydroélectrique et une bonne partie des ressources naturelles sont exportées à l’étranger et profitent aux populations de pays comme la Chine. Le Sous-comité croit qu’à long terme la Birmanie ne progressera vers la démocratie et le respect des droits humains universels que si les populations locales et les minorités ethniques ont leur mot à dire dans la conception et l’exécution des projets d’infrastructure et de mise en valeur des ressources.

Les témoins ont dit et redit au Sous-comité que les griefs de longue date des minorités ethniques, qui sont à la source de décennies de conflits armés intérieurs, ont pour cause la négation des droits politiques, les perceptions d’injustice et une discrimination généralisée[6]. Nous sommes convaincus qu’il faut inclure dans le processus de réforme démocratique les membres de tous les groupes ethniques et religieux de Birmanie, y compris les Rohingyas de l’État du Rakhine.

Le Sous-comité a entendu des témoins oculaires parler de violations et d’abus des droits humains ayant lieu dans les régions frontalières et de violations du droit de la guerre (ou droit international humanitaire). Les services d’éducation dans ces régions laissent énormément à désirer et sont souvent fournis d’une manière discriminatoire ou attentatoire à d’autres droits individuels. On nous a fourni des preuves convaincantes sur la situation dans les États du Kachin au nord-est du pays et du Chin au nord-ouest, dans des régions peuplées par les Karens à l’est et au sud et dans l’État du Rakhine au sud-ouest. Dans toutes ces régions et dans certaines régions frontalières dominées par d’autres groupes ethniques minoritaires, les forces armées birmanes mèneraient un programme de persécution religieuse et ethnique marqué par des crimes de guerre et de flagrantes violations et abus des droits humains.

Des témoins ont affirmé au Sous-comité qu’après avoir été déplacés, des milliers d’habitants de ces régions vivent dans les conditions désespérées de camps de personnes déplacées ou dans des camps de réfugiés situés à l’étranger. Ces personnes déplacées ont cruellement besoin de secours humanitaires, mais les Nations Unies et d’autres organisations humanitaires se sont vu refuser l’accès pour leur apporter une aide suffisante[7]. Il faut que cela change.

Il faudra qu’un règlement politique négocié fondé sur le respect mutuel et la reconnaissance des aspirations de tous les groupes ethniques intervienne pour éviter que les réformes démocratiques récentes ne soient rendues inopérantes par les conflits armés et la violence. Alors que le gouvernement birman tente de consolider les réformes démocratiques et les protections des droits humains, un défi important pour ce dernier sera de veiller à ce que les groupes ethniques minoritaires et les populations locales obtiennent leur juste part des bienfaits du développement économique.

Le Sous-comité croit fermement que réconciliation nationale et démocratie resteront de vains mots si les violations alléguées passées et présentes du droit international humanitaire et des droits humains internationalement reconnus ne font pas l’objet d’une enquête indépendante et impartiale. Les victimes ont le droit de savoir la vérité sur ce qui leur est arrivé et la société birmane tout entière doit faire son deuil de la violence, de la discrimination et du racisme qui entachent son passé. Selon le Sous-comité, cette enquête doit être assortie d’un processus crédible de compte rendu des résultats.

D. Le rôle du Canada

Le Sous-comité se réjouit des réformes enclenchées en Birmanie. Étant vivement conscients, comme parlementaires, du rôle important de l’assemblée législative dans la gouvernance démocratique, nous appuyons le ministre des Affaires étrangères Baird dans son projet d’échanges interparlementaires et d’efforts de renforcement des capacités mettant à contribution des parlementaires canadiens et birmans.

Selon les témoins du Sous-comité, les lourdes sanctions économiques du Canada ont contribué à pousser les forces armées birmanes à jouer la carte de la démocratie. Nous notons avec plaisir que le Canada s’est dit prêt à réimposer les sanctions si les réformes promises ne se matérialisent pas. Les élections de 2015 serviront de pierre de touche de la sincérité de ces réformes de même que la mesure dans laquelle le gouvernement parviendra à négocier une solution politique aux conflits armés avec les minorités ethniques, y compris les Rohingyas, ainsi qu’à respecter et à protéger leurs droits humains. Il faudrait pour cela, entre autres que leur statut de citoyen soit régularisé conformément aux normes internationales. Pour atteindre ces objectifs, la Birmanie devra cesser de discriminer comme elle le fait depuis longtemps contre son propre peuple pour des motifs de religion, d’ethnicité ou d’opinions politiques. Le succès à long terme des réformes démocratiques passe aussi par le développement et l’enracinement de la primauté du droit.

Le Sous-comité estime que le gouvernement du Canada doit continuer de presser le gouvernement birman de se conformer aux normes internationales des droits humains. Le Canada doit veiller à ce que les sanctions économiques restantes demeurent à jour et efficaces et faire publiquement savoir qu’il tiendra compte des progrès de la Birmanie sur le front des droits humains lorsqu’il décidera du moment de lever ou non définitivement les sanctions.


[1]              Témoignages, réunion no 33, 1re session, 41e législature, 26 avril 2012 (M. Greg Giokas, directeur général, Asie du Sud et du Sud-Est et Océanie, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international [MAECI]).

[2]              Ibid.

[3]              En langue birmane, « Daw » est un titre de respect réservé aux femmes.

[4]              Témoignages, réunion no 36, 1re session, 41e législature, 8 mai 2012 (M. Aung Din, directeur exécutif, U.S. Campaign for Burma), citant Daw Aung San Suu Kyi. Les propos de Daw Aung San Suu Kyi sont rapportés par Zoya Phan, « Aung San Suu Kyi’s victory does not bring Burma freedom », dans The Guardian, 2 avril 2012.

[5]              Témoignages, ibid. (M. Aung Din). Quarante-cinq sièges étaient en jeu aux élections partielles d’avril 2012 et la LND a remporté 43 des 44 circonscriptions où elle présentait un candidat.

[6]              Témoignages, réunion no 40, 1re session, 41e législature, 29 mai 2012 (M. James Humphries, fondateur et directeur, Project L.A.M.B.S. International); Témoignages, réunion 44, 1re session, 41e législature, 19 juin 2012 (M. Wakar Uddin, président, directeur général, Arakan Rohingya Union, The Burmese Rohingya Association of North America); Témoignages, réunion no 37, 1re session, 41e législature, 10 mai 2012 (M. William Davis, directeur, Projet en Birmanie, Médecins pour les droits de l'homme); Témoignages, réunion no 36, 1re session, 41e législature, 8 mai 2012 (M. Aung Din, directeur exécutif, U.S. Campaign for Burma).

[7]              Témoignages, réunion no 40, 1re session, 41e législature, 29 mai 2012 (M. James Humphries); Témoignages, réunion no 44, 1re session, 41e législature, 19 juin 2012 (M. Wakar Uddin); Témoignages, réunion no 37, 1re session, 41e législature, 10 mai 2012 (M. William Davis); Témoignages, réunion no 36, 1re session, 41e législature, 8 mai 2012 (M. Aung Din).