Que, de l’avis de la Chambre, le gouvernement devrait, conformément à la partie 1 de la Loi sur les enquêtes, ordonner la tenue d’une enquête publique sur le transfert aux autorités afghanes, de 2001 à 2009, des prisonniers afghans sous la garde du Canada.
— Monsieur le Président, je remercie mon collègue, le député de , d'appuyer ma motion.
Le 5 avril 2006, la question suivante a été posée au ministre de la Défense nationale de l'époque par ma collègue, Dawn Black, qui était porte-parole de notre parti en matière de défense. Voici sa question:
Monsieur le Président, le 18 décembre, le chef d'état-major de la défense des Forces canadiennes a signé une entente avec le gouvernement de l'Afghanistan concernant le transfert de prisonniers. Ma question s'adresse au ministre de la Défense nationale.
Le gouvernement libéral était-il au courant de ce protocole d'entente avant qu'il ne soit signé? Comment se fait-il qu'une entente très similaire, conclue avec les Pays-Bas, permette au gouvernement de ce pays de s'assurer du plein respect de toutes les conventions internationales alors que ce n'est pas le cas de l'entente avec le Canada?
Voici ce qu'a répondu le ministre de la Défense nationale de l'époque:
Monsieur le Président, pour autant que je sache, le gouvernement précédent était au courant de cette entente parce qu'elle a été négociée sous sa gouverne.
Pour ce qui est de la seconde question, je signale que l'entente conclue avec le Canada est plus mûrie que celle des Pays-Bas. De plus, rien dans l'entente n'empêche le gouvernement du Canada de demander des renseignements au sujet des prisonniers. Nous sommes plutôt satisfaits de cette entente. Elle protège les prisonniers en vertu de la Convention de Genève et de toutes les autres conventions relatives à la guerre.
Ma collègue a ensuite posé la question complémentaire suivante:
Monsieur le Président, l'entente ne prévoit absolument rien pour empêcher le transfert des prisonniers à une tierce partie. Une fois que les Canadiens ont remis un prisonnier au gouvernement afghan, le Canada se lave les mains de toute l'affaire. C'est tout simplement inacceptable.
Le ministre s'assurera-t-il que les représentants du gouvernement du Canada aient les mêmes droits que ceux des Pays-Bas lorsqu'il s'agira de retrouver et d'interroger des gens et d'éviter les violations des droits de la personne ou la torture?
Quand le ministre remaniera-t-il l'entente pour qu'elle reflète davantage les valeurs canadiennes?
Ce à quoi le ministre de l'époque a répondu ce qui suit:
Monsieur le Président, nous n'avons pas l'intention de remanier l'entente. La Croix-Rouge et le Croissant-Rouge sont chargés de veiller au bon traitement des prisonniers. Comme rien dans l'entente n'empêche le Canada de décider du sort des prisonniers, il n'y a donc pas lieu de la modifier.
Voilà par où je commence, car c'est par là que devraient également commencer les travaux d'une enquête indépendante.
Au moment où nous avons pris place dans cette Chambre en 2006, la transition des opérations militaires en Afghanistan était en cours. Nos forces armées étaient en train de déménager de Kaboul à Kandahar, avec de nouvelles responsabilités. Il y avait certains problèmes associés aux transferts de prisonniers et à l'intensification des activités sur le terrain. Il en a été question, mais, en tant que décideurs, nous avions la responsabilité de nous conformer au droit international.
Nous savons évidemment ce qui s'est produit après les faits évoqués dans l'extrait que je viens de lire. Le gouvernement a admis que l'entente sur le transfert des prisonniers n'était pas aussi complète qu'il le prétend. En fait, notre entente était loin d'être aussi robuste que celle qu'avaient conclue les Néerlandais. Nous n'avions aucune idée de ce qui arrivait aux prisonniers après leur transfert.
Le comité a entendu des généraux, ceux qui sont en service actuellement et ceux qui l'étaient à l'époque. Il a également entendu des diplomates actuels et anciens. Nous avons entendu ceux qui étaient alors sur le terrain, en particulier M. Colvin. Bien qu'une partie de leurs témoignages puisse être mise en doute, une chose est claire et fait l'objet d'un consensus. En effet, tous s'entendent pour dire que nous étions au courant des allégations et des rapports de groupes internationaux de surveillance des droits de la personne, notamment ceux de la Croix-Rouge et de la Commission indépendante des droits de l'homme de l'Afghanistan, à l'effet qu'il y avait des abus dans les prisons afghanes. Tous peuvent s'entendre là-dessus.
M. Colvin a déclaré devant le comité qu'il a tenté d'informer la chaîne de commandement militaire et le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international qu'il y avait des problèmes et qu'il fallait les régler. Pendant plus de 15 mois, ses appels ont été ignorés.
En effet, le gouvernement de l'époque refusait toujours de reconnaître officiellement qu'il y avait un problème en ce qui concernait l'entente, du moins jusqu'au reportage d'un journaliste sur le terrain, Graeme Smith. Après avoir été questionnés par le comité, les généraux ont fini par admettre qu'ils avaient effectivement été mis au courant des abus rapportés par M. Smith, mais que, selon eux, ces abus avaient cessé.
Il est intéressant de noter que, à l'époque où M. Colvin faisait part de ses préoccupations concernant le transfert des prisonniers, les fonctionnaires affirmaient encore en juin 2006 qu'il n'y avait aucune raison de se préoccuper.
C'est une chose que nous devons préciser parce que la motion dont nous sommes saisis aujourd'hui demande la tenue d'une enquête judiciaire indépendante visant à soumettre des documents à une personne pouvant résoudre les divergences d'opinions entre M. Colvin, qui a fait part de ses préoccupations sur le transfert des prisonniers aux autorités afghanes dans des rapports envoyés à plus de 70 personnes, et les généraux, qui ont déclaré qu'une fois transférés aux autorités afghanes, les prisonniers n'étaient plus la responsabilité de l'armée.
Je vais lire le compte rendu de M. Smith paru dans le Globe and Mail, auquel nous avons fait allusion plus tôt. C'est cet article qui a entraîné l'interruption du transfert des prisonniers, d'après un témoignage au comité. On pouvait y lire ceci:
« Avez-vous des faits? », a-t-il demandé dans une entrevue du 2 juin 2006 avec le Globe and Mail. Le commandant canadien a ajouté que ses soldats avaient noué des liens étroits avec les services de sécurité afghans et qu'ils remettaient seulement les prisonniers à des autorités locales sur lesquelles on pouvait compter pour les traiter correctement. « Nous respectons les droits des personnes », a dit le brigadier-général Fraser. « Nous nous assurerons que ces droits soient respectés et que rien de mauvais n'arrive à ces personnes. » L'organisme de surveillance nommé par le Canada a toujours eu moins confiance dans le système afghan. « Le NDS torture les prisonniers », a déclaré Abdul Qadar Noorzai, directeur régional de la CIDHA. « J'ai entendu parler de traces de sang sur les murs. C'est un endroit terrifiant: sombre, sale et sanglant. On ne peut s'empêcher de se sentir mal à l'aise quand on en entend parler. »
Nous sommes aux prises avec un dilemme. D'un côté, les fonctionnaires affirment qu'ils n'étaient pas au courant des problèmes dans les prisons afghanes, plus particulièrement ceux concernant les prisonniers transférés par les Canadiens, mais qu'ils avaient des préoccupations d'ordre général.
D'un autre côté, M. Colvin a très clairement affirmé dans son témoignage qu'il avait tenté d'attirer l'attention de ses supérieurs sur la question. Il a clairement affirmé devant le comité qu'il avait tenté d'attirer l'attention des responsables canadiens. Il avait souligné les lacunes de notre entente et affirmé que l'entente conclue avec les Néerlandais était préférable, comme l'a mentionné ma collègue Mme Black. Il avait affirmé que lorsque nous remettions des détenus, nous n'avions aucun moyen de vérifier ce qui se passait par la suite. Nous n'avions aucun dossier.
Jusqu'à présent, le gouvernement s'est contenté de répondre qu'il est impossible de prouver sans l'ombre d'un doute que les détenus remis par les militaires Canadiens aux Afghans ont été torturés. Le témoignage de M. Colvin indique très clairement qu'il n'y avait aucun moyen de le vérifier et, qu'en fait, le gouvernement n'a pas donné suite aux allégations ni fait enquête tant qu'une nouvelle entente sur le transfert des prisonniers n'a pas été signée.
Ce sont là des lacunes flagrantes. Nous faisons essentiellement face à un trou noir couvrant une période de plus de 15 mois pendant lesquels nous remettions des prisonniers. Au cours de cette période, il n'y a pas eu de contrôle de la situation ni de vérification des allégations et il était donc impossible de recueillir des preuves. Par conséquent, les affirmations du gouvernement n'ont aucune crédibilité. Si nous ne pouvons pas faire enquête, ni contrôler quoi que ce soit, nous ne pouvons rien trouver.
À mon avis, M. Colvin n'est pas un dénonciateur. C'est le gouvernement qui lui a accolé ce qualificatif, parce que cela faisait son affaire.
Si M. Colvin a comparu devant le comité pour fournir un témoignage, c'est qu'on lui a demandé de le faire. Avant cela, il devait témoigner devant la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire et nous savons ce qui s'est passé.
Il n'a pas pu témoigner. La Commission ne tenait pas d'audiences. Je ne me pencherai pas sur le sujet. Je pense qu'on peut dire que le gouvernement ne tenait pas à ce que les gens témoignent. Le gouvernement ne voulait pas que la Commission fasse son travail. Je ne crois pas que qui que ce soit dise le contraire, si ce n'est le gouvernement, bien sûr.
Nous avons demandé à entendre M. Colvin pour tenter de comprendre ce qui s'était passé. Au lieu d'écouter le témoignage de M. Colvin et d'en tenir compte, le gouvernement a préféré, comme nous l'avons vu faire très souvent, tirer sur le messager et attaquer sa crédibilité.
M. Colvin est venu témoigner devant le comité parce qu'on lui a demandé de le faire. Dans le cas de M. Mulroney, il n'a témoigné devant le comité qu'une fois que M. Colvin eut lui-même comparu, et c'est M. Mulroney qui a demandé à comparaître.
Il est intéressant de souligner que, avant le témoignage de M. Colvin, le gouvernement n'était aucunement intéressé à ce que le comité sur l'Afghanistan fasse une telle étude. Il s'est opposé à ce que M. Colvin témoigne devant le comité et a décidé d'appuyer une étude des articles 37 et 38 de la Loi sur la sécurité nationale, mais a voté contre la comparution de M. Colvin devant le comité.
Pourtant, après l'adoption de la motion au comité, il n'a pas inscrit M. Mulroney sur la liste des témoins. Tous les partis peuvent inviter des témoins à comparaître devant le comité et sont même encouragés à le faire. Le gouvernement n'a jamais mentionné qu'il voulait entendre le témoignage de M. Mulroney jusqu'à ce que M. Colvin témoigne lui-même. C'est quelque chose d'assez révélateur parce que cela montre que les déclarations des fonctionnaires ne présentaient aucun intérêt pour le gouvernement. Ce qu'il cherchait plutôt à faire, après le témoignage de M. Colvin, c'était brouiller les pistes.
Je dis cela, malheureusement, parce que le gouvernement devrait reconnaître ce que tout organisme indépendant qui a examiné la question des droits de la personne dans les prisons afghanes a observé, soit que les mauvais traitements y étaient et y sont encore monnaie courante. C'est évident.
Pour une raison ou une autre, le gouvernement a essayé de nier ce fait pourtant bien établi. De fait, un des organismes financés par le Canada, la Commission indépendante des droits de l'homme de l'Afghanistan, et ses représentants, que j'ai invités à venir témoigner devant le comité avant que celui-ci ne soit saisi de la question des prisonniers, avaient affirmé très clairement par écrit que le recours aux mauvais traitements était très répandu.
Fait intéressant, lorsqu'on a demandé aux surveillants et formateurs canadiens de l'armée et de la police afghanes et au sous-ministre s'ils avaient lu le plus récent rapport de la Commission indépendante des droits de l'homme de l'Afghanistan, ils ont répondu qu'ils en avaient entendu parler, mais qu'ils ne l'avaient jamais lu, invoquant comme raison qu'il n'avait pas été traduit.
Je ne sais pas ce que les autres en pensent, mais si j'étais chargé de former des policiers et des agents de correction en Afghanistan et que j'avais donné à la Commission indépendante des droits de l'homme de l'Afghanistan le pouvoir et le mandat de surveiller ce qui se passe dans les prisons, je voudrais lire ce rapport. Je voudrais que mes gens là-bas qui s'occupent de la formation des policiers et des agents de correction afghans l'aient lu pour savoir ce qui se passe dans les prisons. Ils ne le faisaient cependant pas, et c'est une question que j'ai soulevée il y a des mois.
Ce rapport a maintenant été largement diffusé. Il a été traduit en anglais. Il est curieux que le gouvernement n'ait trouvé personne qui sache lire le dari dans le monolithe qu'est la bureaucratie, mais les fonctionnaires ont finalement pu obtenir le rapport. C'est un membre de mon personnel qui a aidé à le traduire.
La question dont nous sommes saisis consiste à enlever au gouvernement et même à l'opposition la question du transfert des prisonniers afghans et de la soumettre à une enquête indépendante.
Malgré ses grands discours, et nous avons tout entendu la semaine dernière, comment le gouvernement peut-il nier les conclusions de tous les éditoriaux du pays et de la plupart des gens qui jettent un regard neutre sur ce dossier? Il doit y avoir une enquête indépendante. De quoi les conservateurs ont-ils peur?
Le s'est contredit à la Chambre. Il a dit qu'il n'avait jamais lu les rapports de M. Colvin, et quelques semaines plus tard, il a dit qu'il avait reçu une pièce jointe à ce sujet. La semaine dernière, le a dit qu'il avait reçu certains de ces rapports, mais qu'ils avaient d'abord été examinés par les généraux et les bureaucrates.
Il y a beaucoup de manigances dans ce dossier, même en ce qui concerne la personne crédible, selon le gouvernement, pour contredire les propos de M. Colvin. Les députés ministériels n'en n'ont pas parlé lorsqu'ils ont cité ses propos à la Chambre, mais il est intéressant de constater ce que Paul Chapin, la tierce partie proposée par le gouvernement, a fait avant de prendre sa retraite. Le s'est servi des propos de M. Chapin pour défendre le manque d'action et les démentis des conservateurs sur la question des prisonniers afghans. Avant de prendre sa retraite, M. Chapin a été l'architecte de la première entente sur le transfert de prisonniers. Aujourd'hui, il travaille pour un groupe de pression.
La seule tierce partie proposée par le gouvernement dans ce dossier n'était même pas indépendante. Elle a joué un rôle important dans la rédaction de l'entente sur le transfert des prisonniers. Voilà sur quoi repose la crédibilité du gouvernement: sur une seule personne, M. Paul Chapin. C'est un homme bien, mais soyons honnêtes. Il est l'auteur de la première entente sur le transfert des prisonniers ou il a participé à sa rédaction, et tout le monde est d'accord pour dire que cette entente était inadéquate.
Qu'en est-il de la crédibilité du gouvernement? Elle est inexistante. Il mise sur ses grands discours. Je n'ai pas besoin de rappeler aux députés que lorsque le gouvernement se met à crier des noms et à accuser les gens d'être du côté des talibans, cela en dit long sur le bien-fondé de ses arguments. Lorsque le gouvernement est incapable de s'appuyer sur des faits et de présenter de bons arguments, il a recours à la bonne vieille tactique qui consiste à s'en prendre au messager. Ce n'est pas nouveau. Non seulement le gouvernement nous attaque-t-il, et nous y sommes habitués de ce côté-ci, mais son comportement des dernières semaines rappelle 2006. Il a tenu les mêmes propos lorsque nous avons amorcé le débat sur ce dossier, nous accusant d'être du côté des talibans et de ne pas appuyer nos troupes.
Quand le gouvernement commence à s'en prendre à des fonctionnaires qui ne sont pas des dénonciateurs, mais des témoins convoqués pour témoigner devant le comité afin de fournir des preuves, il s'abaisse plus que jamais. La barre de limbo touche presque le sol et le gouvernement tente de se glisser dessous.
Pour aller au fond des choses et si, comme il le prétend, le gouvernement veut connaître la vérité, pourquoi n'a-t-il pas remis tous les documents? Pourquoi certains journalistes dans ce pays ont-ils accès à des documents auxquels un comité parlementaire n'a pas accès? Pourquoi certaines personnes dans ce pays arrivent-elles à obtenir des renseignements qu'un comité parlementaire ne peut obtenir?
Si nous nous trouvions dans un autre pays, les États-Unis par exemple, et qu'un comité du Congrès demandait à avoir accès à des documents avant la comparution de témoins, il les obtiendrait en un rien de temps. Mais pas avec le gouvernement conservateur. Le gouvernement décide de tirer sur le messager. Peu importe les faits. Comme je l'ai indiqué, les faits qui nous ont été présentés en comité doivent faire l'objet d'un examen plus approfondi. Je le dis en tant que membre du comité. Je veux que cette question fasse l'objet d'une enquête indépendante. Les raisons pour lesquelles le gouvernement n'en veut pas sont évidentes.
Le gouvernement ne veut pas que les Canadiens entendent toute l'histoire. Il veut étouffer la vérité. Il va finir par envenimer et politiser une situation au lieu de l'éclaircir et de demander à quelqu'un d'impartial, c'est-à-dire quelqu'un qui n'appartienne ni à l'opposition officielle, ni au gouvernement, ni à un autre parti d'aller au fond des choses.
Je demande au gouvernement non seulement d'appuyer cette motion, mais aussi d'annoncer son intention d'ordonner la tenue d'une enquête. Si les conservateurs refusent la tenue d'une enquête, ils s'en repentiront et l'histoire ne les présentera pas sous un jour favorable. Ils souhaiteront alors avoir choisi la voie de la transparence et avoir ordonné la tenue d'une enquête publique.
:
Monsieur le Président, je suis heureux de prendre part au débat. Nous venons d'entendre le député d', qui propose au gouvernement du Canada d'ordonner la tenue d'une enquête publique sur le transfert, aux autorités afghanes, des prisonniers talibans qui ont été sous la garde des Canadiens, entre 2001 et 2009, c'est-à-dire pendant toute la mission du Canada en Afghanistan.
Ne nous racontons pas d'histoires. Comme l'ont révélé les premiers mots du député d', dans son intervention, le présent débat est alimenté par la partisanerie et par des allégations sans fondement. J'ai entendu le député dire, il n'y a même pas 30 secondes, que la mission en Afghanistan coûterait 18 milliards de dollars. Or, cette somme a été inventée de toutes pièces. Je peux assurer à la Chambre que ce n'est pas le coût de la mission en Afghanistan. Permettez-moi de faire le tour des autres affirmations du député et de vous donner en même temps l'heure juste.
Une telle enquête serait inutile et constituerait un gaspillage de deniers publics. On répéterait inutilement le travail qui se fait déjà puisqu'un certain nombre d'enquêtes sont en cours exactement sur ce sujet. Je peux d'ailleurs vous parler de trois domaines où les enquêtes sont soit en cours, soit terminées.
[Français]
Tout d'abord, les Forces canadiennes ont convoqué une commission d'enquête sur le traitement des personnes détenues par les Forces canadiennes en avril 2006. La commission a conclu que, sans exception, les membres des Forces canadiennes traitaient les détenus professionnellement et humainement, et que les méthodes employées par les membres des Forces canadiennes pour s'occuper des détenus étaient conformes aux directives en vigueur au moment de leur capture et qu'elles étaient irréprochables.
Pendant les délibérations de la commission, les Forces canadiennes ont apporté des changements importants pour améliorer leur mécanisme de déclaration et d'enregistrement ainsi que le délai d'application et le niveau des directives fournies aux membres des Forces canadiennes sur le terrain.
[Traduction]
Deuxièmement, la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire fait enquête sur les transferts de prisonniers. Le gouvernement du Canada collabore pleinement avec la commission, et la commission agit dans le cadre de son mandat tel qu'établi dans la Loi sur la défense nationale et défini par la Cour fédérale.
La Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire a confirmé que le ministère de la Défense nationale lui avait fourni des centaines de documents et avait produit des dizaines de témoins sur la question des prisonniers. Le travail de la commission est actuellement suspendu à la suite d'une décision du président, qui a choisi d'en appeler de la décision de la Cour fédérale confirmant son mandat.
La troisième enquête sur le transfert de prisonniers est l'étude en cours au comité parlementaire spécial chargé de la mission canadienne en Afghanistan. Dans ce cas-ci également, le gouvernement respecte les demandes du comité spécial, en lui fournissant les documents en temps opportun.
Il existe toutefois une autre raison faisant qu'une nouvelle enquête n'est pas nécessaire.
Le fait que nous ayons amélioré les dispositions régissant le transfert des prisonniers a déjà eu l'effet recherché, en grande partie. Quand nous sommes arrivés au pouvoir et avons découvert les lacunes dans les dispositions prises par le gouvernement précédent, nous avons agi pour à améliorer la situation, et c'est de cela qu'il est vraiment question.
En tant que gouvernement, nous avons hérité de cette mission critique en arrivant au pouvoir, et nous avons agi en conséquence. Nous avons pris des mesures décisives et injecté des ressources, assumant ainsi nos responsabilités. Nous avons commencé à investir pour améliorer une situation difficile. Je pense que même les députés de l'opposition, s'ils pouvaient se défaire un peu de leur esprit de parti, reconnaîtraient qu'il s'agissait là d'une situation particulièrement délicate, et je reviendrai sur cet aspect de la question. Nous avons donc mis en place de nouvelles dispositions.
Je veux faire part à la Chambre de ce qu'a dit le député de au sujet des dispositions mises en place par son gouvernement. Je rappelle que c'est l'un des principaux dénonciateurs sur cette question. Il intervenait alors au sujet d'une motion dont la Chambre était saisie le 10 avril 2006. Voilà ce qu'il avait à dire au sujet des dispositions de transfert prises par son gouvernement:
Monsieur le président, j'ai eu l'occasion de prendre connaissance de l'entente. Je reconnais qu'il s'agit d'une entente importante et, à plusieurs égards, d'une bonne entente. En intervenant à titre de tiers indépendant, la Croix-Rouge ou le Croissant-Rouge peuvent rendre visite aux détenus et veiller à ce qu'ils soient traités conformément aux conventions de Genève. L'entente renvoie aux conventions de Genève et il est important que nous le reconnaissions.
Nous avons modifié l'accord pour faire en sorte que des représentants canadiens puissent avoir accès aux établissements de détention afghans afin d’observer les conditions de détention et de veiller au bien-être des prisonniers talibans livrés par les Forces canadiennes.
Là encore, une importante distinction. Il ne s’agit pas des conditions générales dans les prisons ni du traitement réservé en général à tous les prisonniers livrés aux autorités afghanes. La responsabilité première, dans tout ce débat, est celle que nous avons à l’égard des prisonniers capturés par les Forces canadiennes et ensuite livrés aux autorités. Nous pouvons nous préoccuper, et c’est normal, des conditions générales de détention, et nous cherchons à les améliorer. Toutefois, notre responsabilité première concerne les détenus capturés par les Forces canadiennes et livrés aux autorités.
En ce qui concerne la détention des prisonniers talibans — et le mot « détenus » reviendra souvent dans ce débat —, il s’agit d’individus livrés aux autorités qui ont été capturés dans le feu du combat ou lorsqu’ils installaient ou fabriquaient des bombes artisanales. Ces engins servent à tuer ou à estropier des Afghans, des membres des forces alliées ou des soldats canadiens. Il ne s’agit pas de personnes appréhendées au bord de la route pour excès de vitesse ou arrêtées pour vol à l’étalage. Il ne s’agit pas d’individus édifiants.
Le Canada a une responsabilité à l’égard des allégations de mauvais traitements, et nous les prenons au sérieux. Nous le faisons toujours et le ferons toujours. Lorsqu’il y a eu des allégations précises, nous sommes intervenus rapidement et de façon responsable. Nous avons maintenant un nouvel accord qui nous permet d’intervenir davantage.
Notre mission en Afghanistan consiste à instaurer la stabilité et la sécurité pour que nous puissions travailler davantage dans le domaine de la reconstruction et du développement et dans celui des droits de la personne et de la gouvernance, et pour que nous puissions aider les Afghans à renforcer leurs capacités afin qu’ils se chargent eux-mêmes de beaucoup de choses. C’est là une noble cause que tous les députés appuient, j’en ai l’assurance.
Les Forces canadiennes jouent un rôle essentiel dans ce travail. La partie la plus importante de la mission est l’instauration de la stabilité et de la sécurité d’abord, ce qui nous permettra de mener à bien toutes les autres initiatives importantes.
Les Forces canadiennes traitent les prisonniers talibans de façon humaine malgré les atrocités qu’ils ont pu commettre ou auxquelles ils ont été mêlés. Nos forces ont reçu la formation voulue pour se comporter de la sorte. À cet égard, ce sont des professionnels. Les prisonniers sont traités de la sorte dès leur capture jusqu’au moment où ils sont remis aux autorités afghanes, qu’ils soient capturés sur le champ de bataille ou pendant qu’ils perpètrent un crime odieux.
Je voudrais parler brièvement de la façon dont le Canada traite les détenus et de l’évolution survenue à cet égard depuis que nous nous sommes engagés dans la mission de Kandahar, en 2005, sous le gouvernement précédent. Je voudrais expliquer ce que cela veut dire, être un détenu, lorsqu’un individu est capturé dans un conflit armé.
Il importe de comprendre pour commencer que les détenus afghans ne sont pas des prisonniers de guerre, même s’ils sont traités comme tels. Il n’y a pas de différence de traitement, même s’ils ne répondent pas à la définition. Ils ne portent pas d’uniforme, et ils ne respectent pas les conventions internationales ni les règles d’engagement. Ils ont le comportement le plus affreux qui soit imaginale. Ils cherchent à tuer et à estropier leurs propres concitoyens et des membres des forces alliées qui sont là pour protéger les Afghans et ils usent des tactiques les plus méprisables qui soient.
Malgré tout, nous prenons des mesures, comme nous sommes tenus de le faire, pour que les détenus, les prisonniers talibans, soient traités humainement. Notre politique consiste à les traiter sans égard à leur statut juridique aux termes des lois sur les conflits armés et d’autres lois internationales, à les traiter humainement, conformément aux normes applicables aux prisonniers de guerre et, chose certaine, aux valeurs et principes qui sont chers aux Canadiens.
Qui sont exactement les prisonniers? Cela semble assez confus. Je crois d'ailleurs que la question a été délibérément embrouillée à souhait ces dernières semaines. Permettez-moi d’être clair. Les prisonniers sont des gens qui ont été capturés, qui sont gardés contre leur gré parce qu’ils continuent à causer des ravages dans leur propre pays. Ils sont sous la garde des Forces canadiennes pour toutes sortes de raisons. J’ai déjà mentionné que ce ne sont pas des combattants conventionnels. Ils ne portent pas l’uniforme. Ils se cachent sous des vêtements civils. Ils se déguisent délibérément ou se placent en toute connaissance de cause parmi des citoyens innocents. En général, ils ont commis un acte hostile ou fait preuve d’intentions hostiles envers les Forces canadiennes, les forces alliées ou des civils afghans.
Ne perdons pas de vue que nous avons affaire à des individus qui, comme je l’ai dit, recourent aux tactiques les plus odieuses. Dans certains cas, ils lancent de l’acide au visage d’écolières qui n’ont rien fait d’autre que d’essayer de faire des études. Voilà la culture que nous tentons de changer en Afghanistan. Nous voulons donner aux jeunes un avenir, un espoir, une chance de réussir.
Beaucoup des prisonniers talibans ont directement ou indirectement menacé la vie de Canadiens. Je m’empresse d’ajouter que beaucoup d’entre eux ont le sang de soldats canadiens sur les mains. Ce ne sont pas des gens sympathiques. Dès qu’un individu est détenu, des renseignements sont recueillis pour déterminer la menace qu’il représente. Nous posons des questions et cherchons des preuves de son implication dans un crime. Nous essayons de trouver des résidus de poudre. Nous vérifions la présence d’éléments liés à des explosifs. Nous avons des vidéos de surveillance dans lesquelles certains ont été pris en flagrant délit en train de fabriquer ou de déposer des bombes.
Ces renseignements sont ordinairement transmis aux autorités afghanes lors du transfert des prisonniers pour qu’elles puissent continuer à les détenir conformément au droit pénal afghan. N’oublions pas que nous sommes là pour les aider à constituer des capacités, à bâtir des prisons, à organiser leur système judiciaire et à promouvoir les droits de la personne.
Avant de continuer à expliquer le processus de capture et de transfert des prisonniers talibans, je veux expliquer pourquoi nous les transférons.
Comme dans le cas du gouvernement précédent, le gouvernement actuel n’a pas pour politique de transférer des prisonniers afghans à des tierces parties. C’était le cas lorsque la mission a commencé sous le gouvernement précédent. Le processus a changé. Le transfert à des tiers ne respecte pas la souveraineté afghane et pourrait compliquer nos relations avec nos alliés et compromettre notre capacité d’aider les Afghans à créer leurs propres systèmes et à faire les choses eux-mêmes. Cela serait non seulement coûteux, mais contraire à la souveraineté afghane. Qu’aurait fait le Canada de ces prisonniers au terme de la mission? Nous ne ramenons pas de prisonniers au Canada, comme certains l’ont suggéré.
[Français]
Toutefois, ce qui est peut-être plus important, aucun de ces plans d'action n'aiderait l'Afghanistan à faire progresser le rétablissement de son propre système judiciaire. Il est important que les mesures appropriées soient prises à l'égard des détenus, selon le système judiciaire afghan. La reconstruction d'un État fragile nécessite la prestation d'un soutien aux autorités de cet État, afin qu'elles puissent s'acquitter de leurs responsabilités de détenir et, peut-être, de traduire en justice ceux qui essaient de déstabiliser l'État.
Le FIAS ne dispose pas d'une installation de détention. Le traitement et le transfert de détenus sont des responsabilités nationales. En règle générale, nos alliés à la FIAS ont adopté une approche semblable ou identique à celle du Canada, laquelle consiste à transférer les personnes détenues au gouvernement de l'Afghanistan aux fins de poursuites judiciaires. Cette approche n'est pas exempte de difficultés, mais rien n'est simple dans un milieu aussi complexe que celui de l'Afghanistan.
[Traduction]
Le Canada a mis en œuvre d’importants programmes de création de capacités afin de s’assurer qu’il fait tout son possible pour aider le gouvernement afghan à veiller à la sécurité de son propre peuple et à rendre lui-même justice. C'est le principal objectif. Nous sommes allés en Afghanistan pour aider les gens à créer des capacités, pour investir dans des moyens, donner de la formation, surveiller et bien sûr apprendre aux Afghans à faire les choses eux-mêmes.
D’importantes ressources ont été mises en œuvre dans le cadre de ces programmes pour améliorer les installations de détention et les pratiques correctionnelles. Nous avons investi, dans l’ensemble, 132 millions de dollars dans la création de capacités judiciaires, carcérales et pénales.
Nos militaires et d’autres responsables donnent de la formation en matière de droits de la personne à l’armée, à la police, aux services correctionnels et à d’autres membres du personnel de sécurité de l’Afghanistan. Le gouvernement a contribué à l’acquisition de matériel et de services de formation dont le pays avait grand besoin. Il a investi dans des ouvrages d’infrastructure essentiels. Le Canada a beaucoup contribué à l’unité de soutien des droits de la personne au ministère afghan de la Justice.
Notre gouvernement a versé d’importantes contributions à la Commission afghane indépendante des droits de la personne afin d’appuyer son mandat de surveillance, de protection et de promotion des droits et de déclaration des violations aux autorités afghanes. Nous avons déployé du personnel du Service correctionnel du Canada pour aider, former et conseiller le personnel des prisons afghanes.
Nous faisons ça pour des raisons évidentes. Notre gouvernement donne beaucoup d’importance aux droits de la personne, tout comme les Canadiens. Cette très grande priorité que nous accordons aux droits de la personne et à la justice intrinsèque fait partie intégrante de la démarche canadienne. C’est instinctif chez nous, nous appuyons les droits de la personne et nous appuyons un système judiciaire à la fois équitable, inclusif et ouvert à tous les points de vue.
Comme je suis avocat et que j’ai été procureur de la Couronne, je crois dans ce principe et j’y ai toujours adhéré. C’est un principe avec lequel j’ai travaillé. C’est là, je crois, une conviction que partagent beaucoup de députés et certainement beaucoup de Canadiens.
Les militaires et les fonctionnaires canadiens travaillent d’arrache-pied pour aider les Afghans, avec qui ils collaborent pour bâtir en Afghanistan un système juste et axé sur la compassion, un système qui leur permettra de continuer de veiller à ce que tous les prisonniers soient bien traités, qu’ils aient été capturés par les forces de sécurité afghanes, par les alliés ou par les Canadiens.
J’en reviens à la question de notre principale responsabilité, c’est à dire notre devoir envers les prisonniers talibans transférés par les Forces canadiennes.
Je vais vous parler du système tel qu’il se présente à l’heure actuelle, puis je vous expliquerai le chemin parcouru jusque-là. Je dois ajouter que les efforts déployés par le Canada sont considérés comme un modèle à suivre par nos alliés. Il est fréquent que, dans le cadre de leurs missions, les militaires canadiens capturent des prisonniers talibans parce qu’ils sont actifs et mobilisés, et qu’ils évoluent en dehors du périmètre de sécurité. Le nombre de prisonniers varie principalement en fonction du niveau d’activités des insurgés; en effet, plus ils essaient de s’en prendre à des civils ou à nos troupes et plus nous avons de contacts avec eux et plus nous faisons de prisonniers.
Tout de suite après avoir capturé un prisonnier taliban, nous nous assurons que son état de santé permet son transfert. Nous veillons, en tout premier lieu, à lui prodiguer les soins médicaux nécessaires. Nous commençons ensuite à recueillir des informations, des éléments de preuve, à prélever des échantillons à des fins médico-légales ou à collecter d’autres éléments de preuve matérielle destinés à confirmer que le prisonnier constitue bien une menace, cela pour remettre l’ensemble des preuves en même temps que le prisonnier aux autorités afghanes.
Le prisonnier taliban est ensuite amené à l'aéroport de Kandahar où se trouve notre principale base d’opérations. Là, il reçoit d'autres soins médicaux au besoin et il subit un interrogatoire en vue de déterminer pourquoi il a été fait prisonnier dans un premier temps et de voir s’il continue de représenter une menace.
Si l’on considère que le prisonnier taliban ne représente plus de menace, il est libéré par les Canadiens, tandis que ceux qui, selon nos commandants sur le terrain, constituent effectivement une menace pour les Forces canadiennes, les alliés ou les Afghans sont remis aux autorités afghanes. Nous transférons les prisonniers afghans le plus rapidement possible tout en appliquant les principes de la diligence raisonnable dans la façon dont nous les traitons. Selon la directive de la FIAS, le transfert doit intervenir dans les 96 heures suivant la capture. Bien que nous ayons toujours l’intention de respecter ce délai, il arrive que nous n’ayons pas d’autre choix que de garder les détenus plus longtemps, par exemple pour leur prodiguer des soins médicaux ou pour des questions d’ordre logistique ou opérationnel.
Afin de mieux appuyer le système judiciaire afghan, nous cherchons à remettre un résumé des preuves relatives à la menace que présentent les prisonniers et à établir s’ils peuvent corroborer cette information afin d’aider les autorités afghanes dans le cadre d’éventuelles poursuites. Les interrogatoires visent aussi à obtenir des renseignements pour éviter d’autres attaques, que ce soit en empêchant les Talibans de faire peser d’autres menaces ou de commettre d’autres actes de violence contre les collectivités et les citoyens afghans ou contre les alliés.
Les personnes sont ensuite transférées à la Direction nationale de la sécurité de l'Afghanistan, où elles sont généralement remises entre les mains du ministère de la Justice en attendant leur procès. Certaines sont condamnées, d'autres sont libérées. Tout comme de nombreux ministères du gouvernement afghan, le système de justice de ce pays doit faire face à de graves problèmes sur le plan de la capacité.
Cependant, conformément à l'accord de transfert amélioré et à nos obligations internationales, les responsables avisent le Comité international de la Croix-Rouge et la Commission indépendante des droits de l'homme de l'Afghanistan lorsqu'ils prennent en charge un prisonnier. Nous disposons maintenant d'un régime qui nous aide à veiller à ce que les prisonniers transférés par le Canada soient traités convenablement.
Nous devons être convaincus que les autorités afghanes sont disposées à traiter les prisonniers humainement et qu'elles sont en mesure de le faire. Nous assurons un suivi, nous surveillons la situation et nous veillons à ce que tout soit fait en conformité avec les règles. Des Canadiens se rendent dans les prisons pour assumer ces responsabilités. De plus, le commandant de la Force opérationnelle canadienne doit être convaincu qu'il n'existe aucun motif sérieux de croire qu'un prisonnier coure le risque réel d'être torturé ou d'être assujetti à d'autres formes de mauvais traitements de la part des autorités afghanes.
Encore une fois, voici une question critique. On parle de mauvais traitements subis par des Afghans aux mains d'autres Afghans. Nous n'avons jamais eu quelque preuve que ce soit d'actes fautifs commis par les Forces canadiennes à cet égard. Comme je l'ai déjà dit, nous agissons au moyen d'un accord et d'un mécanisme de surveillance officiels, et aussi dans le cadre d'activités de formation, de mentorat et de renforcement des capacités auxquelles participe le Canada. Nous pouvons être fiers de ces améliorations, et il continue d'y en avoir d'autres. Voilà le principe qui sous-tend tous nos efforts. Nous sommes en Afghanistan pour aider les citoyens de ce pays à se prendre en main et nous avons fait d'énormes progrès à cet égard.
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Monsieur le Président, je vais partager mon temps de parole avec le député de .
Je pense qu'il faut se demander si les témoignages, d'un côté comme de l'autre, sont concluants. Le a mis en doute le bien-fondé du témoignage de M. Colvin. D'autres l'ont fait aussi. Je pense que les enquêtes et les procès ont pour but de déterminer de manière concluante qui a raison et qui a tort sur une question particulière.
Il ne s'agit pas d'un problème de portée locale. Il y va de la réputation d'un pays, des valeurs de notre pays, d'un Canada qui est reconnu internationalement pour ses actions nobles. Or, ce Canada est en train de se faire la réputation d'un pays qui ferme les yeux sur la torture et qui refuse de savoir si le gouvernement s'est conduit, oui ou non, d'une manière qui va à l'encontre du droit international.
Permettez-moi de faire deux remarques avant de passer à l’essentiel de mon intervention. Tout d’abord, jamais dans ce que nous disons à la Chambre, mes collègues ou moi ne remettons en question la conduite de nos soldats sur le terrain. Nous remettons plutôt en question la conduite du gouvernement. Celui-ci a délibérément négligé tous les avertissements qui lui ont été adressés pendant 17 mois. Une abondance de preuves montre qu’il a reçu ces avertissements, pas uniquement de M. Colvin, mais aussi d’organisations internationales respectées. Je tenais à le dire bien clairement pour qu’il n’y ait aucun doute que c’est de la conduite du gouvernement et de politiciens dont il est question, et pas de celle de nos militaires sur le terrain.
Deuxièmement, à en juger d’après la façon dont il parle des prisonniers talibans, je crois que le parti ministériel se dit qu’il n’y a pas vraiment de problèmes à ce qu’un taliban risque d’être torturé dans les prisons afghanes et que nous n’avons pas à nous interroger sur notre conduite en la matière. Nous ne pendons pas les salauds et les meurtriers. Quand quelqu’un nous tire dessus sur le champ de bataille, on le tue. C’est légitime. Toutefois, quand le Canada fait un prisonnier, il est tenu à son égard, en vertu des lois internationales, d’appliquer les normes strictes que nous avons contribué à faire adopter par le reste du monde au fil du temps.
Ainsi, peu importe que le prisonnier soit un taliban ou un Afghan ordinaire, nous nous devons de le traiter comme s’il était un prisonnier de guerre. J’estime que c’est là un principe très important.
Je commencerai par dire que le gouvernement n’est pas en quête de la vérité, mais d’un alibi afin de manipuler les faits et de se sortir de l’impasse dans laquelle il s’est lui-même placé. Il nous a démontré qu’il est prêt à toutes les bassesses et à recourir à toutes les tactiques, à salir les réputations ou à écraser tout le monde sur son passage.
Quel triste spectacle que nous ont donné le et le ministre quand ils ont prétendu être les défenseurs des militaires dont ils ont eux-mêmes mis la sécurité en jeu à cause de leur mépris insensible pour la vérité.
Comment le gouvernement a-t-il réagi face à ce grave problème? Comme je l’ai dit, de la façon dont il le fait dans quasiment tous les dossiers. Les Canadiens ne sont pas dupes. Ils connaissent la comédie de ce gouvernement qui nie en bloc, qui joue prudemment et cherche à noyer le poisson. Il salit la réputation d’un fonctionnaire d’expérience. Il sélectionne certaines informations pour les couler à des journalistes de son choix. Il remet en question le patriotisme de ceux qui le critiquent. Tout cela est totalement inacceptable.
Nous sommes en présence d’une telle abondance de preuves dans ce dossier qu’il serait fort simple pour le gouvernement de nous dire: « Nous avons besoin d’une enquête pour régler ce problème. Il nous faut une enquête pour mettre les choses au clair. Il nous faut une enquête pour effacer cette tache faite à la réputation du Canada, ce point d’interrogation posé au sujet de notre réputation, ce point d’interrogation soulevé au sujet du leadership moral du Canada dans le monde. »
C’est là une conclusion fort simple, mais le gouvernement ne la tirera pas parce qu’il demeure résolument sourd aux allégations de torture, aux avertissements qu’il a reçus, pas uniquement de M. Colvin, mais aussi d’organismes internationaux. Il n’a rien fait pendant 17 mois.
Je vais énoncer quelques faits. Ce sont des extraits. Le , s'appuyant sur d'autres témoignages, a dit que les documents de M. Colvin ne contenaient aucune preuve ni aucune mention du mot « torture ». Je vais citer certaines notes de service de l'Afghanistan.
À la page 3 de la note no 278, un détenu a affirmé qu’on lui avait « bandé les yeux puis qu’on l’avait battu avec des fils électriques ».
Voici ce qu'on peut lire à la page 3 de la note no 279:
Pendant l’interrogatoire du NDS, tenu éveillé pendant [censuré] [...] Il a également utilisé les mots battu et torture [...] Quand on lui a demandé ce qui avait été utilisé, il a répondu un câble ou un fil électrique et a indiqué ses côtes et ses fesses.
Voici ce qu'on peut lire à la page 4 de la note no 284:
[Censuré] a dit avoir été arrêté à cause d’un conflit entre clans. Un clan ennemi l’aurait qualifié de [censuré] et accusé d’être un taliban [censuré]. Il a demandé de dire au NDS de ne pas battre les prisonniers, et de les traiter comme des humains et non pas comme des animaux.
Voici un autre passage de la page 4 de la note no 284: « Il a dit avoir reçu un coup de poing à la bouche sans raison apparente [...] il a rapporté avoir été frappé deux fois sur les fesses [...] »
À la page 1 de la note no 287, un détenu a dit qu'ils « avaient été fouettés avec des câbles, avaient reçu des décharges électriques ou avaient été « blessés » pendant qu’ils étaient en garde à vue au NDS [...] »
Voici ce qu'on peut lire à la page 5 de la note no 287:
Quand on l’a interrogé sur son traitement [censuré] il a dit qu'il avait passé « un sale moment. Ils nous ont frappés avec des câbles et des fils. » Il a dit qu'on lui administrait des décharges d'électricité. Il nous a montré un certain nombre de cicatrices sur ses jambes qui, selon lui, ont été causées par des coups.
Toujours à la page 5 de la note no 287, selon un autre prisonnier, « [...] les doigts de trois de leurs codétenus avaient été coupés et brûlés avec un briquet [...] on l'avait frappé aux pieds avec un câble ou « un gros fils » et [...] on l’avait forcé à rester debout pendant deux jours [...] »
Voilà les preuves provenant des documents censurés, biffés ou masqués qui ont été obtenus du gouvernement en vertu de la Loi sur l'accès à l'information et qui sont disponibles sur Internet. Le gouvernement agit de façon absolument honteuse en fournissant des documents à des journalistes choisis. Tout le monde est en possession de documents que le gouvernement voudrait avoir, sauf que celui-ci croit que les députés comme moi et certains autres représenteraient un risque pour la sécurité. Les députés ne peuvent avoir accès à ces documents sous leur forme originale non censurée.
Ce qui compte, c'est que le gouvernement avait été mis au courant des événements par M. Colvin et par d'autres. Je vais citer quelques organismes internationaux. En septembre 2005, Human Rights Watch a noté que « les forces de sécurité ont détenu arbitrairement des civils et se sont livrés à des actes cruels, inhumains et dégradants ».
En mars 2006, l'ONU a publié un rapport sur la situation en Afghanistan où l'on peut lire ceci: « De nombreuses plaintes font état de violations graves des droits de l’homme commises par des représentants des organismes nationaux de sécurité, en particulier des arrestations arbitraires, des détentions illégales et des actes de torture. »
En mars 2006, le Département d'État américain a déclaré ce qui suit:
Il y a encore eu des cas où des forces de sécurité et des factions armées ont commis des meurtres extrajudiciaires ou des actes de torture.
[...] les autorités locales à Herat, Helmand [...] et ailleurs [...] torturent et maltraitent couramment les détenus et les soumettent à la torture. La torture et les mauvais traitements consistaient à arracher les ongles des doigts et des orteils, à infliger des brûlures avec de l'huile bouillante, et à se livrer à des actes d'humiliation sexuelle et de sodomie.
Nous pourrions également citer la Commission indépendante des droits de l'homme de l'Afghanistan et Amnistie Internationale.
Je conviens avec le ministre qu'il y a divers aspects à cette question, qu'il y a désaccord sur les faits, mais aucun député d'en face ne peut nier qu'il vaut la peine de résoudre cette divergence de vues, ne serait-ce que pour rétablir la réputation du Canada dans le monde. Le Canada retrouverait son intégrité. À l'heure actuelle la réputation du Canada est entachée. On se pose des questions au sujet de la conduite, des actes et des omissions du gouvernement actuel. Pour démêler ce fouillis au profit des Canadiens et pour le bien de notre pays, une enquête publique s'impose.
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Monsieur le Président, d'après ce que je comprends de la motion présentée par mon ami d'Ottawa-Centre, celle-ci porte sur la période allant de 2001 à 2009, et pas seulement sur celle suivant l'arrivée au pouvoir des conservateurs.
Je tiens à préciser, au nom de mon parti, que nous appuyons la motion. Nous comprenons que celle-ci porte implicitement que les agissements du gouvernement précédent seront scrutés au même titre que ceux du gouvernement actuel. Il est important que les gens en prennent conscience. Lorsque je dis qu'il ne s'agit pas simplement d'une question partisane, je sais que cela va faire ricaner des députés d'en face. Il n'en demeure pas moins que nous, au sein de notre parti, donnons notre appui à une motion prévoyant la tenue d'une enquête publique sur les agissements de nos gouvernements dans le dossier du transfert de prisonniers afghans.
Le ministre et d'autres députés ont signalé à maintes reprises à la Chambre que l'entente négociée avant 2006 et signée par le général Hillier au nom du gouvernement du Canada pendant la campagne électorale de 2005-2006 laissait à désirer. C'est d'ailleurs la conclusion que l'on tirerait si l'on écoutait les observations que M. Colvin a formulées.
Suite à cette entente, nous avons constaté, après un certain temps, que la Croix-Rouge ne pouvait pas signaler les cas de mauvais traitements aux autorités canadiennes. Elle pouvait seulement en informer les autorités afghanes. Au cours du week-end, la Croix-Rouge a encore répété qu'elle était convaincue que sa crédibilité et sa neutralité étaient liées au fait que cet organisme ne s'immisce pas dans des discussions à caractère politique. Elle a insisté sur ce point. Nous avons aussi constaté que les autorités canadiennes ne pouvaient pas enquêter sur quelque problème que ce soit.
Je dis simplement que le gouvernement ne peut pas jouer sur les deux plans. Il ne peut pas, d'une part, garantir avec une confiance absolue qu'il n'est rien arrivé de malheureux à quelque prisonnier que ce soit qui a été transféré aux autorités afghanes et, d'autre part, dire que l'entente était très imparfaite et qu'il a consacré une année et demie à tenter de la modifier et de l'améliorer, pour ensuite conclure que toute une série de mesures étaient nécessaires pour corriger les « problèmes ».
Des questions se posent. Quels étaient les problèmes? Qu'est-ce qui a amené le gouvernement conservateur à conclure qu'il était nécessaire de modifier l'entente? Qu'est-ce qui a finalement fait comprendre au gouvernement qu'il devait investir de façon importante relativement à l'examen, à l'inspection et aux enquêtes visant la structure en place? Qu'est-ce qui a incité le gouvernement a prendre ces mesures?
Le cafouillage des libéraux. C'était l'entente boiteuse des libéraux.
L'hon. Bob Rae: Monsieur le Président, le député d'en face crie à qui veut l'entendre que c'est une « entente boiteuse ». Il ne fait aucun doute que c'était une entente boiteuse. C'était une entente imparfaite conclue par des personnes qui faisaient leur possible dans les circonstances et qui ne se sont pas rendu compte de ses lacunes.
Je signale au député, qui continue de secouer la tête, qu'il dit en fait que c'était la faute du gouvernement.
Je vais être clair. Nous savons tous comment ces politiques sont élaborées. Elles sont élaborées par des personnes qui sont sur place et par des avocats qui révisent des documents qui, au bout du compte, sont approuvés ou non par le Cabinet. C'est ainsi que les choses se passent.
Un Cabinet libéral.
L'hon. Bob Rae: Oui, un Cabinet libéral, et c'est la décision prise par ce Cabinet qui serait examinée par la commission d'enquête. S'il s'avère que c'était une mauvaise décision, qu'il en soit ainsi.
Les députés conservateurs ne semblent pas comprendre ce que je leur dis. L'enquête viserait tout autant le comportement du gouvernement libéral que celui du gouvernement conservateur.
C'est la réalité de cette guerre. La réalité est que c'est un gouvernement libéral qui a décidé de participer à cette guerre, au nom des Canadiens, en raison de la nature des attentats du 11 septembre. Le Parlement a pris d'autres mesures, aux termes desquelles nous avons accepté de continuer d'appuyer nos troupes.
Nous appuyons nos troupes, que personne n'en doute. Nous appuyons les efforts déployés. Nous appuyons la détermination affichée. Il n'existe aucune allégation, quelle qu'elle soit, selon laquelle un officier ou un soldat canadien aurait maltraité des prisonniers afghans. Ce n'est pas de cela qu'il est question.
Ce dont il est question, c'est de savoir si nous avons bien pris note de l'information, pas des preuves, mais de l'information —, et j'attire l'attention du ministre, le procureur du Manitoba qui est assis en face de moi, sur ce mot — que plusieurs sources ont transmise au gouvernement, pas uniquement M. Colvin. Avec tout le respect que je dois à la Chambre, la question n'est pas de savoir qui, de M. Colvin ou des trois généraux, de M. Colvin ou de M. Mulroney, a raison. Quelle information le gouvernement du Canada avait-il? Qu'a-t-il fait de cette information et comment l'a-t-il traitée? Pourquoi, après avoir été informé des conditions de détention dans les prisons afghanes, a-t-il eu besoin de tant de temps pour décider de quelle manière il allait s'y prendre pour vérifier ce qui se passait réellement dans les prisons? Voilà les vraies questions.
[Français]
Je mentionnerai deux choses.
D'abord, dans la motion que nous appuyons, nous reconnaissons que le travail du gouvernement libéral fera aussi l'objet de l'enquête proposée par le député d'. Ce n'est donc pas une revue partisane. Cette revue touchera autant la conduite de la guerre par le gouvernement libéral que par le gouvernement conservateur. Nous acceptons cette responsabilité et nous le disons clairement.
Ensuite, il y a une contradiction fondamentale dans la position du gouvernement. Celui-ci dit que toutes sortes de problèmes ont nécessité le changement de l'accord entre l'Afghanistan et le Canada. Il ne dit toutefois pas quels étaient les problèmes qui ont forcé ce changement.
Voilà la contradiction et voilà la question qui deviendra, si possible, l'élément central de l'enquête proposée.
[Traduction]
Le dernier point que j'aimerais soulever est le suivant: pourquoi tenir une enquête publique? Comme le sauront les députés s'ils m'ont écouté ne serait-ce qu'un peu au fil des ans, je ne suis pas du genre à vouloir tenir une enquête publique chaque fois que quelque chose ne va pas. Je me suis opposé à la tenue d'enquêtes publiques à plusieurs occasions, mais en l'occurrence, je ne vois pas ce qu'on pourrait faire d'autre. Certaines personnes disent qu'un comité parlementaire pourrait tirer la question au clair. Le problème, c'est que le comité parlementaire compétent est accablé de problèmes ces temps-ci. On ne peut accéder à l'information. On ne peut obtenir les mêmes documents. Ceux-ci sont communiqués clandestinement aux journalistes, qui en font l'objet de leurs reportages. C'est une situation plutôt inhabituelle. Le gouvernement transmet un document à un journaliste, qui va dire ce qu'il veut en fonction de ce qu'on lui a dit, puis le gouvernement prétend que l'information provient du journaliste. De qui ces journalistes auraient-ils obtenu ces renseignements sinon d'une source au sein du gouvernement? D'où ces documents seraient-ils provenus autrement? D'où ces documents non expurgés seraient-ils provenus sinon du gouvernement? D'où seraient-ils provenus autrement?
Je ne dis pas que le secrétaire parlementaire a donné les documents au journaliste. Je demande simplement: d'où seraient-ils provenus autrement? Qui d'autre a accès à ces documents? Il est fascinant de se demander comment ces choses se déroulent.
La situation est donc la suivante: de quel autre moyen disposons-nous pour faire toute la lumière sur cette question? Bien que les députés d'en face n'aiment pas envisager la chose de cette façon, je pense qu'il y a lieu de se poser une question importante à l'égard de la politique étrangère du Canada, de la politique en matière de défense et de notre politique publique: compte tenu de la situation difficile dans laquelle nous nous trouvons, sommes-nous ou non disposés à faire toute la lumière dans le dossier?
Chaque fois que la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire a tenté d'obtenir des renseignements, les avocats du MDN l'en a empêché.
Il ne semble pas y avoir d'autre solution efficace que de tenir une enquête publique pour aller au fond des choses.
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Monsieur le Président, je suis très heureux de prendre la parole aujourd'hui au nom du Bloc québécois sur la demande d'enquête publique qui est devant nous.
Il ne faut pas avoir peur des mots à ce moment-ci. On fait face à une opération de camouflage sans précédent dans l'histoire canadienne. Qui plus est, elle est menée par un gouvernement qui est probablement le moins transparent de l'histoire canadienne.
Dans le contexte actuel, il est un peu normal qu'on soit aux prises avec plusieurs problèmes. Le gouvernement nous cache des éléments et empêche différentes commissions et comités parlementaires d'aller au fond des choses. Il m'apparaît important d'établir la chronologie des événements pour que les gens qui nous écoutent puissent comprendre l'enjeu.
Je pourrais commencer par parler de l'attaque des tours jumelles en 2001, mais je ne le ferai pas. Il n'empêche qu'elle a entraîné l'intervention des Forces armées canadiennes en Afghanistan. Comme dans tout théâtre d'opérations, un problème important et urgent s'est posé: savoir ce qu'on fait des prisonniers.
Je saute plutôt à 2005, 2006 et 2007, alors que l'opposition soulevait des questions à la Chambre, même quand les libéraux étaient au pouvoir. Beaucoup de questions ont été posées à la Chambre sur le sort des prisonniers et sur la façon dont ils étaient traités. On se demandait aussi si la Convention de Genève était respectée concernant les prisonniers. Chaque fois, on nous répondait qu'il n'y avait aucun problème, qu'on respectait la Convention de Genève, qu'il n'y avait pas de torture, qu'un certain contrôle était exercé quant aux gens qu'on remettait aux autorités afghanes et que tout était correct. C'est le message qu'on recevait.
Ce que je ne pouvais pas comprendre, déjà à ce moment-là, c'est pourquoi le gouvernement en place ne demandait pas des renseignements plus officiellement et ouvertement pour rassurer les gens. Tout le monde comprenait l'importance de ce dossier et des valeurs démocratiques qui étaient véhiculées dans cette enceinte et dans tous les parlements occidentaux. C'est très important. On ne peut pas dénoncer certains régimes ni certaines pratiques de torture si nous les appliquons nous-mêmes.
Il y a eu beaucoup de questionnement, et je ne sais pas pourquoi le ministre de la Défense nationale ou le ministre des Affaires étrangères, chaque jour qu'il faisait face à des questions, ne disait pas à son cabinet qu'on lui avait encore posé des questions et qu'il voulait savoir ce qui se passait. Mais ce n'est pas ainsi qu'on a réagi; on a plutôt procédé à une opération de camouflage.
Je parle aussi bien de l'ancien gouvernement que du gouvernement actuel. On nous disait qu'il n'y avait pas de problèmes. Selon mon interprétation, même à cette époque, la population en général considérait que cette situation posait problème, surtout celle du Québec. La population québécoise acceptait très difficilement l'intervention en Afghanistan.
D'ailleurs, je rappelle que le Bloc québécois s'est opposé aux deux dernières demandes de prolongation de la mission en Afghanistan à cause d'un ensemble de problèmes, dont certainement celui-là, qui était central.
Les valeurs du Parlement du Canada et des assemblées législatives du Québec et des autres provinces sont très importantes. Les valeurs démocratiques doivent orienter le travail des députés et, par ricochet, celui des militaires dans le théâtre d'opérations. Tout le monde convient que ce sont les politiciens, ceux qui décident, qui ont le premier et le dernier mot concernant les interventions militaires à l'extérieur du pays.
On a une responsabilité en tant qu'individus. Il est tout à fait dommage qu'on accuse les gens qui veulent aller au fond de l'affaire de ne pas appuyer les militaires. On l'a dit régulièrement et on va le répéter aujourd'hui: nous n'avons absolument rien contre les militaires, qui ne font qu'obéir aux ordres. Le gouvernement leur dit quelle est leur mission, quand ils partiront et quand ils reviendront.
Ce n'est pas aux militaires qu'on adresse des reproches, mais au gouvernement. Le gouvernement, pour masquer sa léthargie ou ses cachotteries et faire taire l'opposition, nous accuse d'être presque des talibans et de ne pas appuyer les troupes. Or c'est faux.
On l'a dit à plusieurs reprises ici et il faut le répéter encore parce que pas plus tard qu'avant-hier, le est allé dire sur une frégate canadienne que lui appuyait les militaires, mais que nous, nous ne les appuyions pas. Ce n'est pas cela. Même les militaires peuvent être poursuivis en vertu de la Convention de Genève si on découvre qu'ils ont transféré des prisonniers alors qu'il existait des risques élevés de torture. Donc, ce sont les valeurs fondamentales qu'on veut défendre.
On veut aussi essayer d'en finir avec cette guerre. On dit guerre, mais dans le fond c'est une insurrection. Là, on adopte des attitudes de cachotteries. La population afghane sait et commence à discuter fortement du fait que les troupes qui sont là sont des troupes d'occupation et non pas des troupes de libération. Si on leur donne des preuves qu'on n'est pas mieux que les Soviétiques ou pas mieux qu'un autre groupe qui torturait les gens, cela a une influence. C'est une lutte contre-insurrectionnelle qu'on doit mener et pour la mener comme il faut, il faut le faire sur la base de valeurs fondamentales. Si la population afghane considère que les choses ne se passent pas de façon correcte, et on en parle là-bas, on aura de la difficulté à régler ce conflit. Les Afghans vont voir que leur famille et leurs amis sont pris comme prisonniers et torturés. Si je me fie à M. Colvin, ce sont des fermiers et des gens qui étaient là au mauvais moment. Après cela, comment voulez-vous leur dire que les valeurs que nous voulons défendre sont vraiment très belles? Ils vont nous répliquer qu'elles ne le sont pas tellement parce qu'ils ont eu une tante, ou un oncle, ou un neveu qui a été torturé.
Cela a une incidence aussi sur la politique internationale du Canada. Quand le va en Chine, comment voulez-vous qu'il défende avec ardeur les droits de la personne? Il va probablement se faire répliquer par le président chinois qu'il doit commencer par regarder chez lui parce qu'à sa connaissance, cela ne va pas très bien. Et les gens qui diraient ça ont raison. Cela affaiblit la position internationale du Canada.
Donc, il est important de dire qu'on s'en est préoccupés. Nous, de l'opposition, nous nous en sommes préoccupés à partir de 2005, de 2006 et 2007. Nous avons posé beaucoup de questions. On a essayé de nous calmer et de dire qu'il n'y avait rien là, alors qu'on sait très bien que oui, il y avait de la torture. Il en existe probablement encore. Peut-être que maintenant, avec la deuxième entente signée avec le gouvernement afghan, on a plus de contrôle, mais il est certain qu'avec l'entente de 2005, on n'avait pas suffisamment de contrôle ni de supervision dans les prisons afghanes, de telle sorte qu'il y a eu de la torture. Peu importe ce que les généraux ou ce que M. Mulroney vont me dire, peu importe ce que les fonctionnaires vont nous dire mercredi après-midi, il y a de la torture dans les prisons afghanes et on n'est pas les seuls à le dire.
Amnistie internationale, la Commission afghane indépendante des droits de l'homme et la Croix-Rouge le disent. Tout le monde le dit. La commission afghane dit qu'il y a de la torture dans 98 p. 100 des cas. Alors, qu'on ne vienne pas nous dire que cela n'existe pas. Il y a à peu près actuellement seulement que le gouvernement, les gens de la fonction publique de ce gouvernement et les gens payés par le gouvernement qui viennent nous dire qu'il n'y a pas de torture. Tous les autres, l'opposition, les diplomates européens, la Commission afghane indépendante des droits de l'homme, Amnistie internationale et la Croix-Rouge conviennent qu'il y en a. Donc, le problème est bien réel.
Des gens ont essayé de régler le problème et c'est là que cela commence à être intéressant car on voit que l'opération camouflage du gouvernement se poursuit. La Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire voulait faire une étude systémique. Elle a regardé les différentes décisions des cours, parce que des groupes, comme Amnistie internationale, sont allés devant la Cour fédérale et devant la Cour suprême. Elle s'est dit qu'elle allait investiguer à cet égard. Donc, le gouvernement a commencé par dire au président que son mandat arrivait à échéance et qu'il n'avait pas l'intention de le renouveler. Je parle ici de M. Tinsley. Cela commence bien mal; on veut casser le rythme. Je sais que des gens commencent à nous dire que pour le remplacement d'un président, comme le président de la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire, il faudrait attendre qu'il finisse son enquête avant de le remplacer. Autrement, c'est trop facile de dire à M. Tinsley, à la date de la fin de son mandat, que c'est terminé pour lui. Là arriverait un nouveau commissaire qui doit recommencer pratiquement à neuf parce qu'il n'a pas écouter les premiers exposés de la preuve. Il faut qu'il se remette dans le climat légal, qu'il relise ce que les témoins ont dit, etc.
Il s'agit du premier signe de blocage de la part du gouvernement. Le fait que certains témoins reçoivent des mises en demeure de ce gouvernement, du plus précisément, qui les menacent de sanctions s'ils témoignent est le deuxième signe de blocage.
Non seulement le ministre les menace-t-il de sanctions, mais il refuse aussi que ces documents soient déposés, parce qu'il s'agit d'une atteinte à la sécurité nationale, selon ce qui est inscrit dans la mise en demeure. On reparlera de la sécurité nationale un peu plus tard car elle est devenue un beau rempart contre lequel ce gouvernement se blottit. Ces ministres de la Couronne se blottissent derrière le mur de la sécurité nationale, et j'en reparlerai plus tard. En somme, il s'agit d'un ensemble de faits qui font qu'on commence à douter. Non seulement avions-nous des doutes lors de notre questionnement de 2006 et 2007, mais cela se confirme maintenant à cause du comportement du gouvernement par rapport à la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire. En effet, le gouvernement a paralysé la commission.
Après de multiple tentatives auprès du gouvernement pour obtenir des documents et pour laisser témoigner des gens, le commissaire a été obligé de dire qu'il arrêtait ses travaux. Or le gouvernement dit maintenant que le commissaire a lui-même arrêté les travaux. Quand les témoins ne peuvent pas témoigner et qu'on n'a pas accès aux documents, que peut-on faire? On est obligé d'arrêter les travaux. C'est le gouvernement qui a mis fin aux travaux de la commission, et non pas la commission elle-même. On commence à comprendre la dynamique gouvernementale de cachotteries et d'absence de transparence.
Je poursuis cette chronologie. Voici ce qui s'est passé. Mes collègues et moi croyions que, dans le but de défendre les valeurs dont j'ai parlé au début de mon intervention, nous serions obligés de prendre la relève. On s'est dit que les conservateurs pouvaient essayer de paralyser une commission, même si c'est sans lien de dépendance avec le gouvernement, comme ils le disent souvent, mais que dans le cas d'un comité de la Chambre des communes, ce serait plus difficile. Or c'est ce qui se passe actuellement.
Quand on est commissaire de la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire, que le gouvernement nous étrangle et nous empêche de fonctionner, il ne nous reste plus qu'à mettre un terme à la commission. On peut se plaindre auprès du public une ou deux fois, mais à un certain moment, cela n'a plus d'effet. Depuis deux ou trois semaines, les députés frappent tous les jours sur le gouvernement. On veut connaître la vérité. Le Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan fait son travail, dans les limites qui lui sont imposées. Toutefois, le gouvernement commence à réduire nos possibilités de découvrir la vérité. On restreint continuellement les possibilités des membres du comité.
C'est le même comportement qui avait été adopté envers la commission. Par contre, c'est plus difficile à faire, puisque, tous les jours, le gouvernement doit répondre aux questions. De plus, tous les mercredis après-midi, la gent journalistique est présente lors des rencontres du Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan. Les journalistes en font rapport dans les journaux. Une certaine pression est donc exercée sur le gouvernement. Toutefois, cela ne l'empêche pas de tenter de nous paralyser.
Tout cela a commencé lorsque j'ai déposé une motion. Mon collègue d' a aussi déposé une motion. Dans cette motion, on disait vouloir aller au fond des choses au sujet des prisonniers afghans. Selon la motion que j'ai moi-même déposée, nous allions même étudier les articles 37 et 38 de la Loi sur la preuve au Canada, soit les deux articles qui concernent la sécurité nationale.
Le première passe d'armes a commencé avec la comparution de notre premier témoin, le général Watkin, qui est le juge-avocat général du gouvernement. C'est lui qui, du côté de la justice militaire, a complète juridiction. À l'arrivée du général, tout a mal commencé. C'est ce qui est d'ailleurs ressorti dans les médias.
Dans ses réponses aux premières questions, le général a dit ne pas pouvoir répondre. C'était justement ce que nous ne voulions pas entendre. Nous voulions mener une enquête pour que des gens répondent à nos questions et pour aller au fond des choses. Or on a reproduit le même comportement que celui adopté lors de la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire. On a dit aux témoins jusque où ils pouvaient aller, et que pour le reste, ils devaient invoquer des raisons pour ne pas répondre. Le général disait qu'il avait un lien privilégié avec son client, et qu'il ne pouvait pas briser le silence parce que son client lui demandait de ne pas le faire.
Il dit qu'il ne peut pas briser le lien de confiance qu'il partage avec son client. C'est alors que la partie de bras de fer a commencé entre le général et moi-même. Nous avions demandé à M. Walsh, le légiste de la Chambre, de nous dire jusqu'où on pouvait aller en comité parlementaire. Peut-on interroger n'importe quel témoin? Ont-ils l'immunité? Peut-on avoir accès à des documents sur demande?
Or, le général a répondu qu'il se contentait des décisions rendues par la Cour fédérale ou la Cour suprême du Canada et qu'il ne voulait pas aller plus loin. Pour sa part, le légiste de la Chambre affirmait que lorsqu'on est en comité parlementaire, on a le droit d'interpréter la loi comme on le veut et qu'il y a obligation de répondre aux questions.
J'ai réglé la situation en suggérant au général de retourner consulter son client, le gouvernement canadien, et de revenir avec la réponse de ce dernier sur l'interprétation que je fais du droit parlementaire, qui a préséance sur les décisions de la cour. On doit être libre de parler et d'avoir accès à tous les documents. Donc, pour le premier témoin, ça partait mal.
Par la suite sont arrivés les généraux qui ont joué sur la même note. On a alors compris combien la situation était incroyable. Ces généraux ne se gênaient pas. Je les ai même trouvés un peu arrogants. Ils disaient avoir accès à tous les documents. Et je ne parle pas de documents caviardés et tout noirs, où on n'a même pas la date en haut et où il n'y a que « bonjour » et « merci » écrits en haut et en bas, et le reste du document tout noirci ou presque. Ça, ce sont des documents censurés.
Les généraux nous ont dit avoir consulté les documents et n'y avoir vu aucun problème. Ils jouaient tous sur la même note. Naturellement, je n'ai jamais vu un général en contredire un autre. Les trois généraux jouaient donc la même symphonie du déni. À leur connaissance, il ne s'est rien passé et rien ne va changer.
On a commencé à douter fortement du sérieux du gouvernement. Ces gens ne vont pas s'auto-accuser. De plus, ils ont une version qu'on ne peut pas vérifier. C'est comme si, en cour, l'avocat de la défense avait entre ses mains des documents dont l'avocat de la Couronne ne dispose pas. Certains affirment détenir certaines informations dans leurs documents, mais nous ne pouvons agir puisque nous n'avons pas vu ces documents. Nous ne pouvons pas nous défendre à armes égales dans une telle situation.
On a demandé à voir les documents, mais tout le monde nous dit qu'il n'y aura pas de documents. Voilà deux semaines qu'on demande au gouvernement de nous fournir les documents non censurés. Je ne sais pas si ces documents sont disponibles aujourd'hui, mais en date d'hier, on ne les avait toujours pas reçus. L'enquête avance. Le juge en chef, les généraux, M. Colvin et M. David Mulroney se sont présentés en comité, mais on n'a toujours pas de documents en main. On est donc obligés d'y aller à l'aveuglette, à tâtons. A-t-on déjà vu cela? Ça fait dur. On nous empêche vraiment de faire notre travail, tout simplement.
Continuons avec la suite des événements. M. Colvin s'est présenté en comité et ce fut l'explosion. À mon avis, il a fait un bon témoignage. Je pense qu'on peut dire malheureusement pour lui, mais heureusement pour nous. Puisqu'on m'annonce qu'il me reste qu'une minute, je vais y aller plus rapidement. Je m'étais préparé pour plus que cela.
M. Colvin a donc fait exploser la baraque. On est maintenant aux prises avec le besoin d'une enquête publique. On n'a pas le choix, on ne peut pas accéder aux documents. Nos témoins sont bâillonnés et on dispose de sept minutes pour interroger les témoins. Aussitôt qu'on a fini, on passe à un autre parti qui dispose de sept minutes et ainsi de suite. Nos témoins peuvent se défiler tant qu'ils le veulent, mais une enquête publique est nécessaire, tout comme un juge indépendant qui accédera aux documents et qui obligera les témoins à faire leurs dépositions en toute immunité.
C'est ce qu'on n'a pas actuellement, et c'est ce qu'on demande. C'est pourquoi on va soutenir la tenue d'une enquête publique.
:
Monsieur le Président, c'est avec plaisir que j'interviens pour parler de la motion que j'ai appuyée et qui dit ce qui suit:
Que, de l’avis de la Chambre, le gouvernement devrait, conformément à la partie 1 de la Loi sur les enquêtes, ordonner la tenue d’une enquête publique sur le transfert aux autorités afghanes, de 2001 à 2009, des prisonniers afghans sous la garde du Canada.
J'aimerais tout d'abord souligner qu'il est évident que les dates qui sont mentionnées ici coïncident avec le début de l'activité canadienne en Afghanistan depuis 2001, jusqu'à ce jour, ce qui correspond au plus long engagement militaire auquel le Canada ait participé. La Seconde Guerre mondiale a été plus courte que cela, de même que la Première. Le Canada participe depuis longtemps à des activités et des combats militaires à l'étranger.
Il est important de souligner qu'en tant que pays, nous devons dans ces cas respecter nos obligations face à nous-mêmes, à la communauté internationale et plus important encore, à nos soldats à qui l'on demande de faire ce travail très dangereux et très important dans le cadre des obligations internationales du Canada dans le domaine des droits de la personne. Nous devons toutefois savoir si nous avons mis en place les systèmes dont nous avons besoin pour satisfaire à ces obligations.
Je commencerai par une citation du brigadier-général Ken Watkin, juge-avocat général qui a comparu devant le Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan le 4 novembre dernier. Il a établi le cadre juridique de cette obligation dont nous nous préoccupons. Il a dit « L'interdiction de pratiquer la torture est une norme de droit international impérative à laquelle on ne peut déroger », et voici le hic:
Le transfert de détenus vers un endroit où il y a un risque réel de torture ou de mauvais traitement est contraire au droit international humanitaire — le DIH —, que l'on appelle aussi droit de la guerre ou le droit des conflits armés. Il s'agit de l'ensemble des règles spécialisées qui régissent la conduite des Canadiens, des fonctionnaires et des membres des Forces canadiennes dans le cadre du conflit armé en Afghanistan
Cela permet d'éviter toute discussion sur la pertinence de la Convention de Genève, sur le fait de considérer ces gens comme des prisonniers de guerre ou non, ou sur l'une ou l'autre des tactiques de diversion adoptées de temps à autres par des députés ministériels qui sont même allés jusqu'à prétendre au cours d'un débat tenu à la Chambre qu'il ne s'agissait pas d'une guerre du tout. C'est certainement un écart par rapport à la réalité, comme l'a souligné le brigadier-général Watkin devant le comité sur l'Afghanistan.
Il nous faut une enquête pour savoir si les systèmes que le Canada a mis en place respectent nos obligations juridiques internationales. Le gouvernement essaie de brouiller les enjeux en mettant en doute le patriotisme de députés qui posent des questions à un général. J’ignore quand est apparu ce pharisaïsme et depuis quand on manque de patriotisme parce qu’on critique un général. C’est le type de discours qu’on entendrait plutôt dans un État plus militariste que le Canada ne l’est.
Nous avons le droit de discuter de ces questions. Non pas que je mette en doute telle ou telle déclaration d’un général. Toutefois, le Canada est sûrement un pays où les parlementaires et l’autorité civile sont l’autorité la plus importante. Nous honorons et respectons le travail des soldats et les sacrifices qu’ils consentent. Nous avons vu partout au Canada des effusions sincères au cours de la semaine du 11 novembre: tous les Canadiens reconnaissent la valeur des soldats.
La question n’est pas là, toutefois. En lançant et exécutant ensuite cette mission en Afghanistan, la responsabilité première du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international était de veiller à ce que nos obligations juridiques internationales soient honorées. Les plus hauts responsables sont les autorités militaires supérieures au ministère de la Défense nationale et le titulaire de ce ministère. La question est la suivante: l’accord de 2005, universellement considéré comme insuffisant, et nos pratiques actuelles sont-ils conformes à nos obligations internationales?
En réclamant une commission d’enquête, nous voulons faire la lumière dans un cadre où il y aura un examen objectif et indépendant des faits et circonstances qui étaient connus ou auraient dû être connus du gouvernement au moment des faits. Il ne s’agit pas de s’en prendre à des fonctionnaires comme on le fait régulièrement à la Chambre et dans le grand public. Il faut une personne objective et une évaluation objective des enjeux et des principes.
Il ne s’agit pas nécessairement de preuves. À écouter le , on croirait qu’il s’agit de poursuites pénales entreprises par Richard Colvin. Il faisait son travail, qui était de rendre compte aux autorités canadiennes de ce qu’il était chargé d’observer. Il a fait appel aux sources qui étaient à sa disposition dans le cadre des activités normales d’un diplomate ou d’un spécialiste politique canadien dans la situation qui était la sienne.
N’oublions pas que Richard Colvin a remplacé le diplomate canadien Glynn Berry, tué quatre mois auparavant par une bombe artisanale. M. Colvin a été un Canadien courageux qui est allé faire un travail pour son pays en Afghanistan, mais le gouvernement le diffame quotidiennement aux Communes. C’est un scandale.
David Mulroney -- et c’est tout à son honneur -- a reconnu le courage, la bravoure et la compétence dont Richard Colvin a fait preuve dans son travail à Kandahar pour le gouvernement canadien. Dans son témoignage, M. Mulroney l’a admis. En fait, il a dit que lorsque des changements ont été apportés en 2007, on s’était appuyé sur le travail fait par M. Colvin pour se faire une idée générale de la situation en Afghanistan.
M. Mulroney ne partage pas le point de vue du et d’autres membres du gouvernement qui ont sali la réputation de M. Colvin, mais pas assez pour persuader les Canadiens qu’une enquête n’est pas nécessaire. En fait, d’après un sondage récent, la majorité des Canadiens croient à la nécessité d’une enquête publique indépendante sur ce qui s’est produit au sujet des détenus.
De temps en temps, nous entendons des gens se demander si tout cela a vraiment de l’importance puisqu’il ne s’agit, après tout, que de l’Afghanistan, un pays reculé, que tous ces gens sont des talibans n’ayant aucune considération pour la vie des Canadiens et que les Canadiens ne devraient donc pas se soucier d’eux. Cela fait partie d’un thème qui s’oppose à l’appel lancé en faveur d’une enquête et à la notion que les Canadiens s’inquiètent de la situation.
Comme M. Colvin a été le premier à soulever cette question dans son témoignage, je ne peux pas faire mieux que de reprendre la question hypothétique qu’il a posée et à laquelle il a répondu devant le comité. Il a demandé: Même si les prisonniers afghans étaient torturés, pourquoi les Canadiens devraient-ils s’en soucier? Il a ensuite donné cinq raisons impérieuses: Premièrement, nos prisonniers ne sont pas ce que les services de renseignement appelleraient des « cibles d’une grande valeur », comme les gens qui fabriquent les IED, les terroristes d’Al-Qaïda ou les commandants talibans.
Autrement dit, les gens pris n’avaient pas nécessairement été arrêtés par suite d’activités de renseignement. Il n’était pas question d’individus appréhendés à cause d’informations obtenues par les services de renseignement. Ils avaient été arrêtés par les forces conventionnelles au cours d’opérations militaires de routine. Beaucoup d’entre eux, comme l’a signalé M. Colvin, n’avaient pas fait l’objet d’enquêtes.
Cela a été confirmé au cours de rencontres ultérieures avec des responsables afghans de la sécurité, qui se sont plaints parce qu’ils devaient relâcher beaucoup des gens qui leur avaient été remis pour manque de preuves ou absence de renseignements sur les motifs de leur arrestation. Ce n’étaient pas des talibans. Il semble bien que les services de sécurité afghans, que ce soit la NDS ou d’autres, peuvent déterminer avec une grande exactitude qui est ou n’est pas taliban. Sa conclusion, c’était que beaucoup d’innocents pourraient avoir été remis aux autorités et avoir été sévèrement torturés.
M. Colvin a ajouté que la deuxième raison de s’en faire, c’est que l’arrestation de gens et leur transfert à des autorités qui les torturent constituent de graves violations du droit canadien et international. Il a dit que le Canada a toujours fermement défendu le droit international et les droits de la personne, que c’est là un fondement de notre identité comme Canadiens et de ce que nous avons toujours défendu. Il a ajouté qu’agir ainsi serait contraire à nos politiques déclarées. En avril 2007, le premier ministre avait dit en public que les officiers canadiens n’envoient jamais personne se faire torturer. C’était effectivement notre politique, mais, de l’avis de M. Colvin, ce n’était malheureusement pas ce que nous faisions sous le couvert du secret militaire. Il a dit que même si tous les prisonniers afghans avaient été des talibans, il aurait été répréhensible de les torturer.
Les Forces canadiennes assurent fièrement des services de qualité. Elles bénéficient d'une formation approfondie sur les règles de la guerre et le traitement des prisonniers. Il convient de se demander à quel point nous connaissions, à ce moment-là, les autorités gouvernementales et les forces armées de l'Afghanistan. Était-ce suffisant d'émettre un avis selon lequel les prisonniers risquaient véritablement d'être victimes de torture ou de mauvais traitement s'ils étaient transférés? C'est une question à laquelle il faut répondre, et ce n'est pas à moi de le faire ni au gouvernement actuel. Nous avons entendu l'opinion de certaines personnes là-dessus. Nous avons entendu l'opinion de M. Mulroney. Nous avons entendu l'opinion des généraux. La question n'est pas de savoir s'il existe des preuves qu'un prisonnier particulier ait été torturé après avoir été transféré aux autorités afghanes par le Canada. On ne veut pas savoir s'il existe des preuves qu'une personne en particulier a été torturée. En fait, avec le système en place, il était presque impossible d'obtenir une telle preuve.
Ce que M. Mulroney a dit au comité la semaine dernière est que, après avoir signé la deuxième entente, et l'on est alors en mai 2000, une base de données sur les prisonniers a été mise au point. Autrement dit, M. Mulroney a confirmé ce que M. Colvin et d'autres avaient dit, soit que, avant cela, nous ne faisions ni suivi ni surveillance des prisonniers et que nous ne pouvions donc pas répondre nous-même à cette question. À qui peut-on se fier pour déterminer si oui ou non il existe un véritable risque de torture?
Dans une déclaration assermentée à la CEPPM, M. Colvin a dit à propos de la rédaction de ses rapports, du travail qu'il avait à faire, qu'il devait bien se fier aux sources qu'il pouvait trouver. Il a dit::
[...] j'ai obtenu de l'information sur les prisonniers d'un large éventail de sources, notamment des diplomates d'autres ambassades, des ONG [ou organisations non gouvernementales], des représentants de la MANUA, [la Mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan], des officiers militaires de la FIAS, des organismes de défense des droits de la personne, des journalistes...
...et nous avons vu de leurs articles...
...et les services du renseignement. Il est normal, dans ce contexte, que je me fie à de telles sources dans le cadre de mes fonctions. C'est même nécessaire. Toute cette information m'a été confiée de façon confidentielle, et je ne peux pas nommer mes sources dans une déclaration assermentée.
Il a dit la même chose au comité. Qu'est-il arrivé? Le gouvernement l'a attaqué pour avoir dit cela, se plaignant qu'il ne nous avait même pas dit qui étaient ses sources. Bien sûr, le nom de la source est confidentiel, on peut le comprendre.
Pourquoi faut-il une enquête publique? Parce que les organisations qu'il a mentionnées et les éléments de preuve qui ont été présentés — et les députés qui ont parlé avant moi y ont fait allusion — indiquaient que le département d'État des États-Unis, Human Rights Watch, la Commission indépendante des droits de l'homme de l'Afghanistan et d'autres agences ont confirmé que la torture et les mauvais traitements étaient, selon le mot de certains, courants dans les prisons afghanes,
Existait-t-il un risque réel de torture? C'est une question à laquelle il faut apporter une réponse objective. Avions-nous des procédures pour empêcher que des prisonniers soient soumis à la torture? Il est clair que nous n'en avions pas. De toute évidence, les changements qui ont été fait le démontrent et M. Colvin a aussi fait certaines déclarations en ce sens.
La semaine dernière, le Globe and Mail mentionnait quatre questions dans un éditorial et nous croyons que le seul moyen d'y répondre, c'est dans le cadre d'une commission d'enquête indépendante.
Voici ce qu'on lisait dans cet éditorial:
La dissimulation par le gouvernement fédéral des mauvais traitements infligés aux prisonniers afghans après que les Forces canadiennes les aient transférés est maintenant évidente.
Le gouvernement doit rendre des comptes et il doit répondre à ces questions: Que savait-il et quand l'a-t-il appris?
C'est la question fondamentale à laquelle on n'a pas répondu. Tout ce que nous avons obtenu, ce sont des attaques contre des députés de l'opposition et contre des diplomates qui ont fait leur travail en tentant de communiquer l'information.
On demande aussi dans l'éditorial qui d'autre, au sein du gouvernement, a exprimé des inquiétudes. Le gouvernement affirme que M. Colvin a été le seul. Je n'arrive pas à croire que M. Colvin a été la seule personne à exprimer des inquiétudes au sujet du traitement des prisonniers dans les prisons afghanes. Comment pouvons-nous le savoir? Nous ne découvrirons pas la réponse en posant des questions au hasard en comité parlementaire, mais nous pourrions la découvrir au moyen d'une enquête publique complète qui permettrait d'aller au fond des choses.
On demandait également dans l'éditorial quelle a été la portée et le résultat de l'enquête qui a été faite. On y parlait d'informations connues avant avril 2007. Une autre question portait sur l'ampleur de la culture du secret. Nous savons que d'autres pays, dont le Royaume-Uni et les Pays-Bas, qui transféraient aussi des prisonniers avaient des politiques ouvertes, transparentes et complètes. Ils avaient des procédures de suivi des prisonniers et produisaient des rapports de qualité.
Pendant que tous les renseignements étaient gardés secrets, le ministre de la Défense en poste en 2006-2007 disait qu'il n'y avait pas de problème parce que le Comité international de la Croix-Rouge, le CICR, assurait le suivi des prisonniers et que cet organisme nous informerait de tout problème. Cette rengaine a été répétée à la Chambre pendant des mois, jusqu'au jour où le CICR en a eu assez et a déclaré publiquement que non seulement il n'assurait pas le suivi des prisonniers, mais qu'il ne pouvait pas le faire. Tout ce que le comité fait c'est d'informer le gouvernement afghan des irrégularités qu'il constate.
Je crois que le gouvernement conservateur ne pouvait même pas informer la Croix-Rouge des prisonniers capturés par nos soldats, compte tenu que ses dossiers n'étaient pas tenus correctement, et...
M. Laurie Hawn: Vous parlez du gouvernement précédent.
M. Jack Harris: Monsieur le Président, le député dit qu'il s'agissait du gouvernement précédent. Si c'est vrai, si le député dit la vérité, dans ce cas l'enquête ferait aussi la lumière sur cet aspect.
M. Ed Fast: Jack, vous devez trouver la vérité.
M. Jack Harris: Monsieur le Président, un député d'en face dit qu'il faut trouver la vérité. C'est exactement ce que nous devons faire. La Chambre ou les comités parlementaires ne devraient pas être le lieu d'échanges partisans concernant cette question. Une enquête objective est nécessaire.
À quoi servirait une enquête? Quelle serait son utilité? Récemment, un distingué professeur de droit a dit qu'une enquête publique doit satisfaire à cinq critères importants, à savoir: l'indépendance, l'efficacité, un mandat approprié, des pouvoirs d'enquête et la transparence.
L'indépendance est sans doute le critère le plus important. Peu importe à quel point je suis raisonnable ici aujourd'hui — et je pense que je suis très raisonnable —, il va de soi que les députés d'en face, et probablement aussi certains députés des autres partis, me perçoivent comme n'étant pas complètement indépendant, comme ayant un certain parti pris. C'est là une réalité politique. Évidemment, ce constat vaut aussi pour les ministres d'en face, qui peuvent avoir un intérêt quelconque lié au fait que des erreurs aient pu ou non être commises dans le passé. Ils ont eux aussi un parti pris. L'indépendance est donc un critère très important.
Pour ce qui est de l'efficacité, une commission d'enquête publique serait beaucoup plus en mesure de faire du bon travail qu'un comité parlementaire, notamment pour ce qui est d'interroger des témoins.
Les Canadiens veulent des pouvoirs d'enquête, une transparence et une ouverture comme ceux qui caractérisent une commission d'enquête, et c'est ce dont ils ont besoin.
:
Monsieur le Président, en abordant la question du transfert de prisonniers talibans par le Canada aux autorités afghanes, j'estime que je dois commencer par rappeler à certains députés ici présents que le Canada mène des opérations en Afghanistan dans un milieu difficile et complexe sur le plan de la sécurité.
Il s'agit en effet de l'un des pays les plus dangereux et les plus pauvres du monde.
Nos militaires, diplomates, travailleurs humanitaires, policiers, services correctionnels et autres mettent leur vie en danger afin de bâtir un monde meilleur et plus sécuritaire pour les Afghans, les Canadiens et la communauté internationale.
En ce qui a trait au transfert des prisonniers talibans, il importe de rappeler qu'il arrive que les Forces canadiennes capturent des personnes durant leurs opérations militaires.
Si elles agissent de la sorte, c'est pour se protéger du danger, offrir une meilleure protection et stabilité aux citoyens afghans, et empêcher des attaques terroristes contre le Canada et la communauté internationale.
Les Forces canadiennes transfèrent ces prisonniers aux autorités afghanes en vertu d'une entente supplémentaire conclue le 3 mai 2007 entre les gouvernements du Canada et de l'Afghanistan.
[Traduction]
Je tiens à être très clair. Il n'y a jamais eu une seule allégation de mauvais traitement contre un prisonnier taliban transféré par les Forces canadiennes qui a été prouvée. Tout cela a trait à ce que des Afghans auraient fait subir à d'autres Afghans. Cela n'a rien à voir avec nos courageux militaires qui prennent part aux opérations en Afghanistan.
Nous l'avons dit plus tôt et nous continuerons de le répéter. Dès que les militaires et les diplomates ont obtenu des preuves corroborées et crédibles, ils ont pris les mesures qui s'imposaient.
[Français]
Je tiens à réitérer à la Chambre que le gouvernement du Canada veille, comme il l'a toujours fait, à ce que les prisonniers qu'il transfère aux autorités afghanes soient traités de façon humanitaire et conforme à ses obligations, ainsi qu'à celles de l'Afghanistan aux termes des lois internationales.
Quand des doutes ont été émis, nous avons agi. Nous avons renforcé l'entente de transfert inadéquate de 2005.
[Traduction]
Quand des allégations ont été présentées, nous avons agi. Nous avons renforcé l'entente de transfert inadéquate de 2005.
[Français]
De plus, aux termes de l'entente supplémentaire, le Canada profite de l'un des plus rigoureux mécanismes de surveillance des prisonniers et d'accès à ceux qu'il transfère aux autorités afghanes, et ce, pour assurer le respect de leurs droits.
Une fois que les détenus sont transférés, ce sont les autorités afghanes qui détiennent la responsabilité ultime en ce qui concerne leur traitement.
Mais ce qui est tout aussi important, c'est qu'il permet de bâtir une capacité essentielle là où il n'y avait rien de prévu auparavant.
Je rappelle que l'Afghanistan est un État souverain et indépendant et que, en définitive, il appartient à son gouvernement de protéger ses citoyens, de faire appliquer la loi et de veiller au respect des droits de la personne.
Dans cet esprit, le Canada s'efforce de contribuer au respect des droits des prisonniers, notamment des personnes qu'il capture et transfère aux autorités afghanes.
Les efforts du Canada poursuivent deux objectifs: fournir des programmes généraux pour développer une capacité, afin d'améliorer les conditions de tous les détenus afghans; et maintenir un système de suivi et de surveillance rigoureux et efficace, pour empêcher le mauvais traitement des détenus transférés par le Canada.
Notre gouvernement a investi massivement dans l'amélioration de la capacité du gouvernement afghan à détenir des insurgés afghans et autres, à mener des enquêtes à leur sujet, à les poursuivre et à les faire condamner, conformément aux responsabilités incombant au gouvernement afghan et à ses obligations internationales.
En particulier, le Canada a donné son appui à la réforme du secteur correctionnel à Kandahar et partout en Afghanistan grâce à la prestation d'activités de mentorat et de formation stratégique, ainsi qu'à son aide pour améliorer l'infrastructure et l'équipement connexes.
Comme les députés ici présents le savent, notre gouvernement a négocié et conclu une entente supplémentaire avec le gouvernement de l'Afghanistan, qui est entrée en vigueur le 3 mai 2007.
Selon l'entente supplémentaire, les représentants canadiens peuvent avoir un accès complet, privé et non limité à tous les prisonniers transférés par le Canada aux autorités afghanes.
[Traduction]
Notre entente supplémentaire fournit l'une des meilleures garanties de contrôle et de protection des droits des prisonniers remis par le Canada aux autorités afghanes, soit le système de visites.
[Français]
Depuis 2007, quand le Canada a obtenu le droit d'accès aux détenus capturés par ses forces en vertu de l'entente supplémentaire, les responsables canadiens ont rendu presque 200 visites à ces détenus. Ils les ont souvent visités une ou deux fois par semaine pour des entretiens privés, malgré le risque personnel considérable auquel de telles visites pouvaient les exposer.
Si pendant ces visites ou par quelque autre moyen, les responsables canadiens prennent connaissance d'allégations notables de mauvais traitements, le Canada prévient aussitôt le Comité international de la Croix-Rouge et la Commission afghane des droits de la personne et soulève la question auprès des plus hautes autorités gouvernementales afghanes pour obtenir une enquête en bonne et due forme.
Quand ses enquêtes ont révélé des allégations plausibles de mauvais traitements de prisonniers afghans transférés par ses forces, nous avons agi. Nous n'avons recommencé à transférer des prisonniers qu'en février 2008, après nous être assurés que les conditions nécessaires avaient été rétablies selon nos exigences.
[Traduction]
Nous pouvons être fiers des militaires canadiens dans ce cas comme dans tous les autres cas. Nous ne devrions pas essayer de nous faire du capital politique avec la mission difficile de ceux qui nous protègent. Il n'est pas nécessaire de tenir une enquête publique dans ce dossier. Le Comité parlementaire spécial sur l'Afghanistan a entrepris une étude sur la question du transfert des prisonniers. Des témoins ont comparu, et il y en aura d'autres dans les semaines à venir.
Grâce aux témoignages des généraux Hillier, Gauthier et Fraser ainsi que de M. David Mulroney, entendus la semaine dernière par notre comité, on a pu saisir pleinement la difficulté et la complexité du travail accompli de même que la détermination qu'il nécessite. On a pu voir que, malgré les difficultés, les Forces canadiennes sont toujours demeurées conscientes de leurs responsabilités lorsqu'elles ont transféré des prisonniers aux autorités afghanes. Voilà un élément crucial que la Chambre ne devrait pas perdre de vue alors qu'elle poursuit ce débat aujourd'hui.
Lors des séances du comité, l'opposition a pu faire comparaître des témoins, comme ce fut le cas avec M. Colvin. Les séances ont été diffusées à la télévision dans tout le pays, ce qui a permis aux Canadiens de les voir. Qu'ont-ils pu constater? Ils ont pu entendre les témoignages convaincants de trois généraux canadiens distingués et d'un diplomate de haut rang, M. David Mulroney, ancien haut fonctionnaire au Bureau du Conseil privé, qui était alors chargé de coordonner nos efforts en Afghanistan.
Qu'ont-ils entendu? Ils ont entendu les témoins affirmer sans équivoque que les Forces canadiennes n'ont jamais transféré des prisonniers lorsqu'elles avaient des raisons de croire qu'ils risquaient vraiment d'être torturés. Tous les témoins l'ont affirmé, sauf M. Colvin.
Le général à la retraite Rick Hillier a déclaré: « Nous n'avons pas agi sur la foi des gens qui affirmaient que tous les prisonniers étaient torturés. Quelle déclaration ridicule de la part d'une personne qui ne possède pas les connaissances voulues pour affirmer de telles choses! Nous n'avons certainement vu aucune preuve pouvant étayer une telle affirmation. »
M. Mulroney a déclaré: « Je peux affirmer que nous ne détenons aucune preuve qu'un seul prisonnier transféré par les Canadiens ait été torturé. »
Est-il possible que tous les autres témoins aient tort? L'opposition est-elle en train de dire qu'il y a des gens qui mentent?
Permettez-moi de rappeler les faits. Quand est-ce que nous avons été informés pour la première fois, preuves écrites à l'appui, qu'il y avait vraiment lieu de s'inquiéter? C'était en novembre 2007. Nous avons alors mis fin aux transferts. Si nous avons pu avoir connaissance de ce qui se passait, c'est qu'en mai 2007, notre gouvernement a établi un mécanisme de surveillance plus robuste, qui a remplacé ce qui avait été prévu par les libéraux dans l'accord de 2005. Cela s'est passé il y a deux ans et demi. C'est incontestable. Les Canadiens le savent.
[Français]
Le gouvernement a offert sa pleine coopération à la commission; il a présenté des milliers de pages de documents pertinents et de nombreux fonctionnaires ont déjà présenté leur témoignage.
Le Comité parlementaire spécial sur la mission canadienne en Afghanistan a également entrepris d'étudier la question du transfert des détenus. Des témoins ont déjà comparu et d'autres témoignages sont prévus dans les semaines à venir.
Je me suis rendu en Afghanistan à deux reprises et j'ai rencontré des dizaines de soldats, de policiers et de fonctionnaires canadiens. À chaque fois, j'ai été impressionné par le courage, la sérénité, la force de caractère et le patriotisme sincère de toutes ces personnes. Ils sont la gloire de leur génération, comme l'ont été à une autre époque les héros de Vimy, de Dieppe et de tant d'autres théâtres de guerre où les armes ont défendu nos valeurs et nos libertés. Ces hommes et ces femmes mettent aussi leur vie en danger pour assurer un meilleur avenir à un pays qui tente de repousser la menace du totalitarisme, du sectarisme et de l'extrémisme.
Les pires excès, les pires cruautés que nous avons vus depuis des générations ont été commis en Afghanistan par le régime odieux des talibans et de leurs complices terroristes.
Les députés de l'opposition officielle, dont le parti a décidé de notre engagement militaire dans cette région — et notre parti les a appuyés —, savent très bien que nous faisons face à un ennemi cruel et sans scrupule.
En terminant, je les invite à songer à cette réalité lorsqu'ils sont tentés de critiquer ceux et celles qui défendent notre honneur contre les forces de la barbarie.
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Monsieur le Président, je partagerai mon temps de parole avec le député d’.
Le Canada est militairement présent en Afghanistan depuis 2001 et cela fait des années qu’on pose des questions au sujet des détenus.
Selon des rapports du département d’État américain et de Human Rights Watch qui sont accessibles, la torture a été et est encore couramment pratiquée dans les prisons afghanes.
Amnistie Internationale et la British Columbia Civil Liberties Association avaient réclamé une injonction judiciaire pour faire interrompre les transferts de prisonniers. Or, le premier matin des audiences, en mai 2007, les conservateurs signaient un nouveau document régissant le transfert de prisonniers.
Cet accord reprenait de nombreux éléments que les néo-démocrates avaient réclamés, soit le droit d’inspecter les prisons afghanes, le droit de suivre les transferts et de limiter les prisons où les détenus pouvaient être transférés.
Toutefois, depuis 2007, le gouvernement n’a publié presque aucun document sur les inspections ou missions de suivi qui ont eu lieu ou pas. Les seuls documents de ce genre ont été préparés durant l’été 2007 et ils reprennent les allégations de torture apparues dans des comptes rendus de fonctionnaires canadiens. Ces témoins ont dit avoir vu des blessures causées par des mauvais traitements.
Le gouvernement a refusé de divulguer tout document relatif aux inspections effectuées ou pas à la suite des différentes interruptions de transferts.
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire a fait enquête sur les violences faites aux détenus transférés, mais le gouvernement n’a pas publié une seule page à ce sujet depuis février 2008.
Il s’agit là très clairement d’une tentative de camouflage. Comme les membres de l’opposition posent des questions et veulent que la vérité soit établie, les conservateurs les accusent de ne pas appuyer nos soldats. Il n’y a rien de plus faux. Le gouvernement se réfugie derrière cet argument pour éviter d’avoir à rendre publics des documents et à répondre à des questions.
Le gouvernement tenait des propos du même ordre quand il nous disait que la guerre était destinée à protéger les femmes et les enfants. Il a en effet prétendu que nos soldats sont là-bas pour défendre la veuve et l’orphelin. Il nous l’a dit une centaine de fois. Pourtant, la situation de beaucoup de femmes et d’enfants afghans ne s’est pas améliorée. Ça fait longtemps qu’on invoque le respect des droits des femmes pour justifier l’intervention militaire en Afghanistan, ça remonte en fait à la formation de la coalition dirigée par les États-Unis en réaction aux événements du 11 septembre et au nom de la légitime défense après que le régime taliban eut permis à Al-Qaïda d’établir des bases dans ce pays.
Des groupes de défense des droits des femmes et des femmes parlementaires afghanes ont déclaré que les droits de leurs consœurs ne se sont pas améliorés en Afghanistan et que cette question n’est pas prioritaire pour leur gouvernement. D’ailleurs, à en croire des rapports coulés par le gouvernement du Canada, les droits des femmes ne se sont pas améliorés depuis la chute des talibans. Le régime taliban a commis des atrocités et il a privé les femmes des droits humains les plus fondamentaux.
Cependant, les talibans n’ont pas l’apanage en matière de violation des droits des femmes. D’autres groupes armés, comme l’Alliance du Nord, ont un lourd passif au titre de l’oppression des femmes. Les anciens seigneurs de guerre de l’Alliance du Nord sont devenus des gouverneurs locaux ou font partie du gouvernement Karzaï.
En fait, après l’élection de M. Karzaï, le ministère afghan du vice et de la vertu a été réinstitué. Ce ministère tristement célèbre a été responsable d’un grand nombre d’atrocités commises sous le régime taliban.
De plus, dans leur lutte contre les talibans, les forces internationales ont conclu des accords avec des seigneurs de guerre notoires et avec des milices armées complices des violences faites aux femmes. Cela veut dire que les femmes ne peuvent même plus se tourner vers les forces qui sont censées les protéger.
En juin 1997, le porte-parole du NPD en matière de défense a déposé un rapport minoritaire sur la participation du Canada en Afghanistan, rapport qui explique notamment que les Afghanes n’étaient pas suffisamment protégées ou soutenues par la présence militaire internationale dans leur pays. Notre gouvernement n’a absolument pas tenu compte de ce document.
La Commission indépendante des droits de l'homme de l'Afghanistan a publié un rapport dans lequel elle indique que les femmes et les jeunes filles continuent de faire l’objet de menaces et d’être privées de leurs droits humains. Le tout premier des droits fondamentaux est le droit à l’éducation.
Actuellement, il y a 1,8 million d'écolières inscrites, mais elles ne représentent que 35 p. 100 de l'effectif scolaire total de l'Afghanistan. En première année, elles représentent environ 40 p. 100 des élèves. Ce pourcentage diminue progressivement et tombe à environ 34 p. 100 en milieu de scolarité, et au niveau de la 12e année, elles ne sont plus qu'un quart des élèves. Celles qui vivent en milieu rural ont beaucoup plus de difficulté à aller à l'école que celles des villes.
D'après la commission, il y a un cercle vicieux parce que culturellement leurs professeurs doivent être des femmes. Comme il n'y a pas d'enseignantes, les jeunes filles ne sont pas scolarisées, donc on ne peut pas former d'enseignantes pour éduquer les jeunes filles. Ce cercle vicieux est profondément ancré dans la société afghane et il est peu probable que la situation évolue beaucoup dans un avenir proche. Seulement 28 p. 100 des enseignants sont des femmes, et 80 p. 100 d'entre elles travaillent en milieu urbain.
La commission souligne aussi que les attentats contre des établissements d'enseignement progressent de façon dramatique depuis quelques années. En 2007, il y a eu 55 menaces et plus de 180 attaques contre des écoles qui ont fait 108 morts et 154 blessés. Au cours des trois premiers mois de 2008, il y a eu 5 menaces et 24 attentats, qui ont fait deux morts.
La situation est particulièrement critique dans le Sud où les insurgés sont le plus puissants. Les attaques contre les écoles sont généralement l'ultime étape d'un long processus d'intimidation pour écarter les enfants afghans, surtout les filles, de l'école. Il y a bien d'autres types d'attaque et d'intimidation: les lettres de menaces, les menaces d'enlèvement, les agressions contre les enseignants, l'intimidation des autorités locales et les attaques de jeunes filles qu'on asperge d'acide sur le chemin de l'école. On l'a vu à la télévision: des jeunes filles à la peau brûlée par l'acide.
À cause de ces attaques, il a fallu fermer plus de 200 écoles en 2007. Les principales cibles ont évidemment été les écoles où des garçons et des filles se côtoient dans les classes ou dans un édifice. Quand les enquêteurs de la commission ont cherché à savoir pourquoi la famille empêchait des jeunes filles d'aller à l'école, on leur a expliqué que la raison principale, c'était leur sécurité.
Les femmes sont aussi privées d'accès aux services de santé. Selon la Commission indépendante des droits de l'homme de l'Afghanistan, une femme meurt toutes les 30 minutes en Afghanistan durant sa grossesse ou en accouchant. Cela représente 60 décès pour 1 000 naissances vivantes, soit 60 p. 100 de plus que dans le monde industrialisé, alors que 80 p. 100 de ces décès pourraient être évités.
Les récentes études menées par la commission montrent que les raisons pour lesquelles les femmes n'ont pas accès aux soins de santé sont classiques: inexistence ou pénurie de centres de santé, économie délabrée, manque d'autonomie, manque de participation à leurs propres affaires, indifférence des familles aux questions de santé, violence domestique et analphabétisme. D'après les études de la commission, 24,6 p. 100 de la population, en majorité des femmes, n'ont pas accès à des services de santé corrects . En outre, 54,8 p. 100 de la population ne peut pas accéder aux soi-disant centres de santé parce qu'ils sont trop loin.
L'accessibilité des services de santé n'est pas constante. Dans le Sud-Ouest, seuls 5 à 7 p. 100 des femmes ont accès à ces services. Dans certains districts du centre de l'Afghanistan, on ne trouve pas de femmes médecins et pas de travailleurs de la santé. Cette situation demeure la même, malgré des lois nationales et des conventions internationales insistant sur le fait que les femmes doivent avoir accès aux services de santé.
La commission a aussi mentionné le mariage forcé comme une grave entorse aux droits des femmes en Afghanistan. Ces mariages se font pour différentes raisons. Il se peut que ce soit pour régler un différend, parce qu'il y a eu intimidation ou pour des questions de dot. Ces mariages peuvent se faire avant que l'âge du mariage soit atteint. Une enfant peut être forcée d'épouser un homme plus âgé ou peut être fiancée au moment de sa naissance. Les veuves sont encore considérées comme un héritage et n'ont pas le droit d'épouser un autre homme de leur choix.
Enfin, la Commission indépendante des droits de l'homme de l'Afghanistan rapporte que la violence à l'endroit des femmes est chose courante. La participation des femmes à la vie publique en Afghanistan est encore relativement faible et, la plupart du temps, la violence envers les femmes se produit dans le cercle familial. Selon UNIFEM, cela se passe au sein de la famille dans 80 p. 100 des cas. La violence familiale est un grave problème. Elle représente le tiers de l'ensemble des infractions commises à l'endroit des femmes. Souvent, cette violence est tellement insupportable que la femme choisit de se sauver et de se faire mettre en prison plutôt que de tolérer les mauvais traitements.
Mauvais traitements, suicides, violence familiale, prostitution forcée, dépendance aux stupéfiants, tout cela existe en Afghanistan. Que font nos militaires sur le terrain? Qu'est que le gouvernement tente de cacher? Pourquoi n'y a-t-il pas moyen de savoir la vérité?
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Monsieur le Président, nous débattons aujourd'hui d'une motion présentée par notre formation politique, le Nouveau Parti démocratique, qui vise à créer une commission d'enquête, en vertu de la Loi sur les enquêtes du Canada, pour ce qui est du transfert des détenus qui étaient sous la garde du Canada lors du conflit actuel en Afghanistan.
On vise particulièrement la période de 2001 à 2009. On remarquera que cette période couvre effectivement deux gouvernements. Cela couvre plusieurs années, surtout des années du gouvernement libéral et les années au cours desquelles les conservateurs étaient au pouvoir dans cette Chambre à titre de gouvernement minoritaire.
Il importe dans un premier temps de bien situer le débat en ce qui concerne la torture en tant que telle et pourquoi il est si important de savoir si nos forces armées étaient complices lors de transferts de détenus à une force, c'est-à-dire au gouvernement afghan, qui aurait pu se livrer à des sévices ou à de la torture contre eux. On sait qu'il est interdit aux termes d'ententes internationales, notamment aux termes des ententes de Genève, de transférer un détenu en temps de guerre vers quelqu'un qui risque de le torturer.
Dans un premier temps, cela se situe sur le plan totalement humain. La torture est inadmissible. Ensuite, c'est problématique, car même si on ne pense pas à l'autre, on devrait au moins penser à soi-même. Nos propres soldats et les membres de nos forces armées risquent de se retrouver dans la même situation un jour. Il serait très difficile pour nous de citer la Convention de Genève si nous avons nous-mêmes un très mauvais dossier en ce qui concerne le traitement des prisonniers.
Pour ce qui est de la première partie, lorsque j'ai parlé de l'aspect plutôt moral, il est important dans ce débat de bien situer certains écrits de l'actuel chef libéral qui, lorsqu'il était aux États-Unis, ne s'est pas gêné pour écrire à plusieurs reprises des justifications des sévices et des mauvais traitements. Je dirais même que l'actuel chef libéral s'est rendu complice du gouvernement américain de George W. Bush et de Dick Cheney, du haut de son standing de professeur d'université à Harvard, en leur fournissant carrément la terminologie qui a servi de justification à la torture.
Un peu à l'instar de George Orwell qui nous a dit qu'il suffisait juste de changer la terminologie, le new speak du chef libéral lui faisait dire ceci: « Il ne faut plus parler de torture, il faut plutôt parler de méthodes d'interrogation renforcées », par exemple. Qu'avons-nous vu tout de suite après? On a vu le président américain, on a vu son vice-président Cheney et on a vu les autres dans son gouvernement dire que si on faisait des noyades simulées, du water boarding en anglais, cela pouvait être correct. Il y avait des critères qui étaient établis par l'ancien chef libéral. Il ne fallait pas qu'il y ait du dommage permanent, corporel et ainsi de suite.
Comme on n'a pas de GPS côté morale, on arrive à écrire des choses comme cela et c'est malheureusement le cas du chef du Parti libéral.
La torture, c'est de la torture, c'est de la torture. Un point c'est tout. Cependant, c'était devenu une sorte de pierre de touche. Était-on assez tough pour vivre dans un monde où on savait, d'après l'analyse, qu'il y avait un vaste complot de terroristes qui visait à déstabiliser nos gouvernements. J'oserais dire que la chose qui a le plus déstabilisé nos gouvernements, c'est la perte de notre autorité morale dans le monde parce que nos gouvernements, nos démocraties, sont basés sur des valeurs et une de nos valeurs, c'est qu'on ne tolère pas la torture et qu'on ne peut pas sous-traiter la torture. On ne peut pas la léguer à quelqu'un d'autre pour qu'il le fasse faire.
Dans le cas qui nous occupe, il y a plusieurs versions différentes, parfois des versions différentes de la part d'une même personne. L'actuel s'est tellement contredit au cours des dernières semaines avec des versions qui se contredisent les unes après les autres qu'il est nécessaire, pour voir clair dans ce dossier, de tenir une commission d'enquête.
Le a déjà dit une chose en cette Chambre et, le jour même, il est allé devant les caméras, ici dans le corridor derrière nous, et a dit le contraire pour les nouvelles télévisées. Alors, le public est en droit de savoir deux choses. Premièrement, pour le gouvernement, la torture et le transfert de détenus vers des gens qui risquent de les torturer continuent-ils d'être interdits aux termes du droit canadien? Deuxièmement, va-t-on respecter le droit international, notamment en ce qui concerne la Convention de Genève? Si oui, si on va respecter cela, on a le droit de savoir ce qui s'est passé en Afghanistan.
Au lieu de jouer franc-jeu et d'admettre que face à des versions contradictoires, la meilleure chose à faire était de mettre un peu de lumière sur ce dossier navrant, on a vu des attaques personnelles contre des gens de la plus haute crédibilité et du plus haut calibre. Quelle a donc été notre surprise de voir le gouvernement s'attaquer à M. Colvin. On aura l'occasion de voir ce que les conservateurs font avec les gens qui disent le contraire de ce qu'ils veulent entendre. Au risque de sa propre carrière, évidemment, il a eu le courage d'écrire à maintes reprises qu'il était très préoccupé parce que, de toute évidence, selon toute l'information dont il disposait, des gens étaient torturés dans les prisons afghanes.
Non, il n'était pas présent aux séances de torture, sinon ce serait un autre sujet. Les conservateurs n'arrêtent pas de dire qu'il n'a pas vu la torture. Bien sûr qu'il ne l'a pas vue, comme si un officier canadien allait rester là. Cependant, d'après toutes les informations disponibles, il savait qu'il y avait de la torture. Il l'a donc écrit et il est venu ici.
Il s'est fait attaquer sans merci par le . Quelle honte! Le même M. Colvin venait d'être nommé par les conservateurs au plus haut poste stratégique de cueillette d'informations, de service de renseignements et de sécurité aux États-Unis. Après cela, ils viennent nous dire qu'il n'a maintenant aucune crédibilité et qu'il ne faut pas croire un mot de ce qu'il dit. Pas de problème, ils vont chercher un autre diplomate senior du Canada et l'amènent par la peau du cou en comité parlementaire. Il fallait voir cela. Cet autre diplomate savait ce que le gouvernement attendait de lui, mais il a quand même réussi à dire que les préoccupations exprimées par M. Colvin étaient véridiques et fondées.
Une instance a été créée pour entendre de telles choses. Il existe une commission d'enquête permanente au sein des Forces armées canadiennes concernant la police militaire qui est chargée, aux termes d'une loi de ce Parlement, de la lourde responsabilité de garder un oeil critique sur le travail de nos militaires pour savoir si, effectivement, on respecte l'ensemble des règles de déontologie en matière de guerre. Or, que s'est-il passé? Le gouvernement a fait de l'obstruction systématique, à tel point que le président de cette commission d'enquête permanente des forces armées sur la police militaire et sur le comportement de nos forces armées a été obligé de suspendre les travaux. Est-ce que cela les gêne? Pas du tout. Que font-ils? Ils disent que c'est lui qui a décidé de ne plus tenir ses audiences. Il avait expliqué qu'il ne pouvait plus tenir ses audiences parce qu'on lui mettait des bâtons dans les roues.
Qu'est-il arrivé avec la grande scientifique responsable de la sécurité nucléaire? Elle avait sonné l'alarme en disant qu'on allait manquer d'isotopes. Ils l'ont licenciée. Qu'est-il arrivé avec la responsable des enquêtes au Bureau de la concurrence qui a dévoilé ce qui se passait dans le domaine du pétrole? Ils l'ont licenciée. La semaine dernière, c'est le responsable de la révision de la déontologie de la Gendarmerie royale du Canada qui osait dire des choses contraires à ce que le gouvernement voulait entendre. Ils l'ont licencié. C'est cela le dossier et le bilan des conservateurs. Quand quelqu'un qui est droit se tient debout et ose dire ce qu'ils ne veulent pas entendre, ils essaient de le licencier. Ils ont fait la même chose avec M. Page, le directeur parlementaire du budget, qui ose dire la vérité et qui a invariablement raison.
En terminant, pour toutes ces raisons, la seule manière de voir clair, c'est la tenue d'une commission d'enquête publique selon les règles de l'art. Nous saurons alors qui, entre le et des gens hautement crédibles, dit la vérité. J'ai hâte de voir cela.
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Monsieur le Président, je suis heureux de prendre part au débat. Je tiens tout d'abord à dire que j'appuie la motion à l'étude.
Le débat n'a absolument rien à voir avec le soutien des soldats canadiens sur le terrain. Je suis allé en Afghanistan à deux reprises et je peux affirmer que nos soldats sont compétents et respectent des normes élevées et qu'il méritent et ont, je le sais, le soutien de tous les députés à la Chambre.
La question a trait au comportement du gouvernement du Canada. Il s'agit de l'orientation adoptée par le gouvernement. Je suis vice-président du Comité de la défense et aussi du Comité spécial sur la mission en Afghanistan et je trouve très troublant que nous ne puissions pas obtenir les documents nécessaires pour faire notre travail. Apparemment, d'autres ont le droit d'avoir ces documents, notamment d'anciens généraux et des représentants de la presse, mais les membres du comité, qui ont la responsabilité d'examiner les questions et les allégations, n'ont pas les documents.
En 2008, le Parlement a adopté une motion dont je vous lis une partie:
a) s'engager à respecter les normes les plus élevées de l'OTAN et de la communauté internationale en ce qui concerne la protection des droits des détenus, ne procédant aux transferts que lorsqu'il sera en mesure de croire qu'il le fera en respectant les obligations internationales du Canada.
La Chambre des communes a adopté cette motion et nos vis-à-vis ont aussi voté en faveur de cette motion. Nous avons une responsabilité morale et aussi une responsabilité juridique, tant en vertu de la Convention de Genève qu'en vertu du code de justice militaire.
Nos vis-à-vis ont affirmé que l'entente de 2005 était inadaptée et que les conservateurs en avaient mis en place une version plus rigoureuse plus tard. Personne ne conteste cela. Toutefois, après avoir entendu les généraux au comité ainsi que M. Mulroney et d'autres personnes, il semble que nous ne savions pas dans quoi nous nous embarquions en 2005, mais clairement, s'il y avait un problème, pourquoi le gouvernement a-t-il décidé de modifier l'entente? S'il n'y avait pas de mauvais traitements, ce que personne ne peut affirmer catégoriquement, pourquoi l'entente a-t-elle été modifiée? Il a fallu la modifier parce qu'il y avait de toute évidence des problèmes.
Dans un des documents caviardés — et je répète que nous lisons des textes en grande partie couverts de noir, ce qui nous rend la tâche très difficile — donc, dans ce document qui est une note de service de M. Colvin envoyée à M. Mulroney, à Collen Swords et à d'autres, mais dont je ne sais pas la date parce qu'elle a malheureusement été biffée, on lit sous le numéro 19:
À part l'impossibilité d'accéder aux installations de détention, la principale difficulté auxquelles nous étions confrontés était d'identifier correctement « nos » prisonniers. [Censuré] ont expliqué qu'ils n'avaient pas de liste de prisonniers « canadiens ». [...] En outre, les renseignements en notre possession étaient assez restreints. Les noms étaient écrits seulement en anglais, pas en pachto. Nous n'avions pas de photos ou d'autres descriptions des prisonniers, seulement leur âge et le nom de leurs villages (même pas le district) dans [censuré]. De [censuré], seulement [censuré] [...]
Et cela continue ainsi. Il existe deux possibilités: soit il y avait quelque chose à cacher, soit nous ne savions pas qui nous transférions. Cependant, il est évident que la Croix-Rouge internationale, les États-Unis et d'autres, eux, le savaient. Je suis sûr qu'ils ont exercé des pressions sur le gouvernement, et que c'est pour cette raison qu'il a décidé de modifier l'accord.
L'accord qui a été conclu en 2005 avait pour objectif de répondre aux exigences que nous avions à l'époque. Il est clair que des allégations avaient été faites par M. Colvin et d'autres personnes. M. Colvin est un fonctionnaire respecté. Les généraux qui ont comparu devant nous sont tous très respectés eux aussi. Personne ne met cela en doute.
Les questions que nous nous posons sont les suivantes. Qu'est-ce que le gouvernement savait, et quels renseignements possédait-il? Qu'a-t-il fait de ces renseignements quand il les a reçus? Si le gouvernement n'a rien à cacher, pourquoi n'autorise-t-il pas la tenue d'une enquête publique complète? Cela serait très utile tant pour les deux camps qu'affrontent que pour les membres du comité qui — et je pense qu'il est très important de le souligner — ont de la difficulté à trouver des réponses parce qu'ils ne possèdent pas les documents nécessaires et qu'ils disposent de seulement sept minutes pour poser des questions. Il est bien difficile de poser une question et d'obtenir une réponse en sept minutes. Je sais que c'est une situation difficile, du moins pour les membres du comité.
Peut-être que des députés d'en face ont vu ces documents dans leur intégralité. Ils prétendent que ce n'est pas le cas, mais nous demandons maintenant la tenue d'une enquête publique, parce que nous sommes incapables de fonctionner. En fait, on se croirait dans un scénario hollywoodien. Des témoins comparaissent et certains députés sont informés des renseignements présentés au comité. Les députés font leur possible, mais au bout du compte nous n'avons pas l'information dont nous avons besoin. C'est aussi une question d'ordre moral.
Nous avons, envers les Canadiens, l'obligation morale d'être parfaitement transparents. Si le gouvernement avait quelque chose à cacher, il rendrait certainement ces documents disponibles, du moins aux membres du comité, mais il ferait aussi preuve d'honnêteté et reconnaîtrait qu'il existe une contradiction ici. D'une part, un ancien ministre de la Défense dit qu'il ne savait rien de ce qui s'est passé, alors que 19 notes de service ont été envoyées au gouvernement pour l'informer du fait que l'on était préoccupé par des cas de torture.
D'autre part, le ministre actuel change d'idée de temps en temps, suivant l'évolution de la situation. Ma mère avait coutume de dire, « ne joue jamais avec la vérité parce que, à un moment donné, tu vas devoir te souvenir de ce que tu as dit ou n'a pas dit ». Mieux vaut dire la vérité d'emblée. Malheureusement, nous ne semblons pas pouvoir obtenir les réponses dont nous avons besoin. Le gouvernement s'adonne-t-il à une opération de camouflage? Si les ministériels ne sont pas disposés à fournir les documents demandés, s'ils ne sont pas prêts à faire preuve de franchise, c'est la seule conclusion à laquelle nous pouvons en arriver.
En ce qui a trait à nos responsabilités internationales, nos soldats font de l'excellent travail sur le terrain. Nous savons qu'on leur enseigne très précisément ce qu'ils doivent faire lorsqu'ils capturent un prisonnier. Ce qui nous préoccupe, c'est ce qui se passe lorsque ces prisonniers sont transférés aux prisons afghanes. Personne ne dit qu'une prison afghane est un palace. C'est plutôt un enfer. Nous le savons et c'est la raison pour laquelle les transferts ont été interrompus au moins trois fois. S'ils n'avaient pas été interrompus, nous aurions conclu que tout allait bien, mais il est évident qu'ils ont été interrompus en raison des allégations de torture. À titre de député, j'ai peine à croire que le gouvernement ne savait pas ce qui se passait. En effet, il n'aurait pas interrompu cette pratique si tout s'était déroulé normalement.
Nous, de ce côté-ci de la Chambre, écoutons lorsque des ministériels s'expriment. Lorsque c'est notre tour de prendre la parole, nous avons droit au chahut. Si nous voulons vraiment avoir un débat complet et approfondi, il faut que les députés d'en face écoutent, même s'ils n'aiment pas entendre ce que nous avons à dire. Au comité, nous essayons de faire preuve de la même courtoisie envers les gens d'en face, mais le gouvernement, quant à lui, fait de l'obstruction. Nous avons vu ce qui s'est passé dans le cas de la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire. Là encore, le comité a été empêché de faire son travail.
Je signale que je vais partager mon temps de parole avec mon collègue et ami, le député d'.
Je tiens à souligner que le comité spécial sur l'Afghanistan n'est pas en mesure de s'acquitter de son mandat, parce qu'il n'a pas les outils pour le faire. Malheureusement, même si tous les membres du comité ont de bonnes intentions, ils ne peuvent faire leur travail. Il s'ensuit que nous sommes maintenant dans une situation où certaines personnes disent une chose et d'autres, une autre. Une enquête publique complète s'impose afin d'avoir les documents nécessaires, d'obtenir des réponses — en disposant de plus que sept minutes — et de faire toute la lumière sur ce dossier.
Encore une fois, je reviens à la résolution adoptée par le Parlement sur la protection des droits des prisonniers. Il faut joindre le geste à la parole. Nous ne pouvons pas adopter une résolution, puis ne pas tenir compte de son contenu. Nous avons une responsabilité et je demande au gouvernement, s'il n'a rien à cacher, d'ordonner la tenue d'une enquête publique. Il faut obtenir les faits, afin que non seulement le Parlement mais aussi tous les Canadiens sachent ce qui s'est passé.