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FEWO Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent de la condition féminine


NUMÉRO 017 
l
1re SESSION 
l
39e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 19 octobre 2006

[Enregistrement électronique]

  (1115)  

[Traduction]

    Je déclare ouverte cette 17e réunion du Comité permanent de la condition féminine.
    Pourrions-nous passer en revue les documents que vous auriez dû recevoir en prévision de cette réunion? Vous devriez avoir reçu l'ordre du jour; les documents d'information préparés par la Bibliothèque du Parlement au sujet de nos témoins; et un article de M. Poulin, de l'Université d'Ottawa, qui comparaît ce matin.
    Je veux simplement m'assurer que chacun a reçu tous les documents nécessaires, car sinon, cela peut causer des difficultés pendant la réunion.
    Vous auriez également dû recevoir le calendrier des réunions du comité, qui a été actualisé et indique à présent le nom de tous les témoins qui sont confirmés. Ceux qui sont confirmés sont indiqués en caractères gras, et nous avons donc nos deux témoins.
    Vous auriez également dû recevoir un avis de motion de la part de Mme Mathyssen. Elle nous l'a donné à la dernière réunion, et elle a demandé à parler de sa motion avant que nous n'entendions les témoins, car elle n'est pas certaine de pouvoir rester jusqu'à la fin de la réunion.
    Madame Mathyssen, pourriez-vous nous en parler brièvement?
    Oui, madame la présidente, mais j'ai aussi une question au sujet du calendrier. Je constate que le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien est censé comparaître devant le comité mardi prochain, et qu'il ne sera parmi nous que pendant une heure. C'est bien ça?
    Oui. D'abord, je suis très contente qu'il ait accepté si rapidement notre invitation, et il nous accorde une heure. Il sera donc devant le comité de midi à une heure. La greffière n'a pas pu confirmer d'autres témoins pour cette matinée-là, et nous n'avons pas non plus de questions internes à examiner au comité qui pourraient nous occuper pendant cette heure-là. À moins qu'un membre du comité n'ait une autre proposition à faire, nous allons nous réunir de midi à une heure pour recevoir le ministre seulement.
    Madame Minna.
    Je voulais juste vous rappeler que nous avons été saisis d'une motion proposant que le comité invite un certain nombre de sous-ministres qui pourraient venir nous parler de l'analyse comparative entre les sexes. Nous avons également dit que nous essaierions de trouver un moment pour faire cela au fur et à mesure de nos réunions. Mais s'il nous reste des créneaux, nous pourrions peut-être en profiter pour entamer ce travail-là.
    Une réunion est déjà prévue pour le lundi 6 novembre, afin de rencontrer les différents sous-ministres. Sinon j'aurais demandé à la greffière de leur trouver un créneau.
    Madame Smith.
    En ce qui concerne le 23, je sais qu'il y a des témoins qui voudraient comparaître. Serait-il possible d'aider ces témoins à venir à Ottawa, quitte à attendre quelques jours pour voir si on peut les confirmer ou non? Je ne veux pas chambarder notre emploi du temps, mais je sais que beaucoup de gens m'ont appelée à mon bureau pour me dire qu'ils voudraient venir témoigner. Si on n'arrive pas à parler à quelqu'un de vive voix, il peut ensuite être difficile de confirmer quelque chose par répondeur interposé. Peut-être que nous pourrions aider sur ce plan-là, parce que je crois pouvoir nous obtenir des témoins pour cette journée-là.
    La greffière vient de m'indiquer qu'elle a cherché à trouver des témoins pour cette heure de séance, mais qu'elle n'a pas réussi.
    Aimeriez-vous intervenir à ce sujet, madame Tittley?
    Je peux certainement faire un commentaire au sujet des noms qui figurent sur le calendrier. Si les noms se trouvent déjà sur le calendrier, c'est parce qu'on les a invités à comparaître. Comme vous le constatez, ceux dont le nom est en caractères gras sont déjà confirmés.
    C'est un peu difficile pour le moment. Je n'ai pas encore réussi à trouver quelqu'un pour le créneau horaire précédant la comparution du ministre Prentice. Les membres du comité voudront peut-être proposer le nom de représentants locaux qu'ils désirent inviter à comparaître. Il serait plus facile de contacter ces derniers que de trouver des gens qui habitent plus loin.
    Madame Smith.
    Pourrions-nous simplement attendre un jour ou deux avant de modifier le calendrier? Il y a quelques personnes que j'aimerais appeler, pour voir si elles pourraient comparaître le 24.
    Madame Smith, je vous recommande de donner ces noms à la greffière. Elle va immédiatement essayer de se mettre en rapport avec ces personnes. Ce serait bien de pouvoir trouver des témoins pour l'autre tranche horaire également; donc, donnez-lui les noms le plus rapidement possible et elle va essayer de les contacter.
    Madame Mourani.

[Français]

    Merci, madame la présidente.
    Je souhaite aussi proposer le nom d'un groupe qu'on pourrait peut-être placer dans les sept heures manquantes. Il y a un groupe spécifique que je n'ai pas vu ici et que je souhaiterais voir. Je pourrais vous faire parvenir le nom par courriel.
    La réunion de lundi prévue pour effectuer une analyse comparative me pose problème, car je ne serai pas à Ottawa; j'y serai du mardi au vendredi.

  (1120)  

[Traduction]

    Nous avons organisé cette réunion pour le lundi. Si certains membres du comité ne pourront pas être présents pour la réunion du 6 novembre, il faut que nous le sachions à l'avance. Je me rends très bien compte qu'il s'agit d'une réunion supplémentaire qui pose problème pour bon nombre d'entre nous. Mais veuillez confirmer votre présence à cette réunion à l'avance, pour que nous sachions si nous aurons assez de membres ou non. Sinon, il faudra l'organiser un autre jour.
    Madame Mourani, si vous voulez remettre certains noms de témoins à la greffière, nous allons essayer de les inclure sur la liste.
    Nous revenons maintenant à Mme Mathyssen et à sa motion
    Je vous remercie de me permettre de parler de ma motion maintenant, étant donné que je devrais peut-être quitter la réunion un peu plus tôt, même si je le regrette.
    Quoi qu'il en soit, vous avez les deux motions sous les yeux. Souhaitez-vous que je vous les lise, pour les fins du compte rendu?
    Oui, s'il vous plaît.
    La première motion se lit ainsi:
Que, compte tenu des compressions budgétaires annoncées le 25 septembre 2006, le Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes recommande au gouvernement de maintenir le financement de toutes les activités de Condition féminine Canada au niveau de 2005-2006 ou de le porter à un niveau supérieur et que la présidence fasse rapport de l'adoption de cette motion à la Chambre sans délai.
    Le fait que le personnel de Condition féminine Canada n'ait pas pu nous indiquer d'où proviendront les économies de 5 millions de dollars m'inquiète beaucoup. De toute évidence, on n'a pas beaucoup réfléchi à ce que devra faire le ministère pour poursuivre ses activités en l'absence de ce financement. Il me semble que si l'on s'attend à ce que le ministère remplisse son mandat, il lui faudra du personnel. Ce qui n'a vraiment inquiétée était la réponse donnée à la question de Mme Mourani concernant la possibilité que, sur son effectif de 131 employés, certains finissent par être mis à pied. Voilà qui compromettrait gravement la capacité du ministère de s'acquitter de ses fonctions importantes.
    Voilà donc pour la première motion. Voulez-vous que je passe tout de suite à la deuxième?
    Oui, s'il vous plaît.
    La deuxième motion se lit ainsi:
Que, compte tenu du nouveau mandat conféré dans le cadre du Programme de promotion de la femme de Condition féminine à compter du 27 septembre 2006, le Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes recommande au gouvernement de rétablir le mandat de cinq ans, et que la présidence fasse rapport de l'adoption de cette motion à la Chambre sans délai.
    J'ai de graves préoccupations à l'égard de ce nouveau mandat et le fait qu'il mettra fin aux activités de promotion et de défense des droits qui sont importantes pour les différents groupes dans nos collectivités respectives. Je ne suis pas sûre de comprendre les conséquences réelles ni même les effets possibles de ce mandat. J'aimerais donc recevoir l'opinion d'experts à ce sujet, pour que nous puissions mieux comprendre la nature des changements proposés. Il s'agit de changements importants, et il me semble important que nous en soyons conscients.
    Les membres du comité souhaitent-ils débattre de ces motions?
    Madame Smith.
    Je voudrais tout d'abord que vous nous disiez si vous voulez que l'on en débatte maintenant ou si la motion est simplement déposée.
    La députée l'a déjà déposée la semaine dernière. Normalement, nous l'aurions traitée à la fin de la réunion. Mais comme Mme Mathyssen nous a fait savoir qu'elle ne pourra pas rester jusqu'à la fin, elle a demandé qu'on la traite maintenant.
    Je ne suis en faveur d'aucune de ces motions. Un nouveau mandat est prévu pour Condition féminine Canada. Il a été difficile de faire accepter que le comité examine la question de la traite des personnes, et je suis très contente que nous l'ayons retenue comme sujet d'étude et que nous ayons déjà entamé cette étude. Par contre, nous avons déjà plusieurs années d'étude relative à l'analyse comparative entre les sexes, et par conséquent, nous disposons déjà d'énormément d'information fort utile.
    Vous prenez les membres du comité au dépourvu en déposant ces motions. Nous avons discuté de ce que nous souhaitions faire au tout début, et nous avons établi un plan relatif à Condition féminine Canada, pour être sûrs de pouvoir mener à bonne fin toutes nos activités. Au premier trimestre, c'est-à-dire jusqu'à Noël -- nous devions étudier la question de la traite des personnes. Au deuxième trimestre, nous comptions nous pencher sur certaines questions économiques. Nous avons aussi prévu des réunions supplémentaires pour être à même de traiter d'autres questions en parallèle.
    Pour moi, cette motion n'est qu'un simple stratagème pour nous empêcher de discuter de la question de la traite des personnes, et je trouve malheureux que les allégeances politiques influent ainsi sur notre travail. À mon avis, nous devrions nous en tenir au plan que nous avons établi, et par conséquent, je vais certainement voter contre cette motion.

  (1125)  

    Madame Minna.
    Madame la présidente, je voudrais dire tout d'abord que je comprends que les députés de la majorité ne soient pas disposés à voter en faveur de cette motion, étant donné qu'elle est contraire à leur propre politique. Cependant, ce que vient de dire Joy n'a rien à voir là-dedans. Ce que le comité a établi comme plan de travail et comme priorité, notamment la question de la traite des personnes, n'a rien à voir avec la décision du gouvernement de réduire le budget et de changer le mandat de Condition féminine Canada; c'est une toute autre question.
    Les membres du comité ont tout de même le droit de déposer des motions, tout comme nous. Nous donnons un avis de motion de 48 heures afin de faire savoir au gouvernement que nous sommes contents ou mécontents de quelque chose ou encore que nous souhaitons changer d'orientation en ce qui concerne cette autre activité, ce qui n'a rien à voir avec le plan de travail du comité: il n'y a pas de lien entre les deux.
    Le plan de travail concerne nos activités -- c'est-à-dire, l'étude que nous menons sur tel sujet. Le mandat de Condition féminine Canada est une toute autre question.
    Évidemment, madame la présidente, je compte voter en faveur de cette motion, et j'espère que mes collègues d'en face feront de même, parce qu'elle concerne ce que l'on peut considérer comme la clé de voûte de la programmation féminine au Canada. Je ne vais pas en parler en détail maintenant, pour éviter de faire perdre du temps à nos témoins, mais il conviendrait peut-être de voir dès maintenant qui est pour et qui est contre, madame la présidente, et de la mettre aux voix immédiatement.
    Monsieur Stanton.
    Merci, madame la présidente. Je voudrais demander un éclaircissement à Mme Mathyssen, par votre entremise.
    Quand vous parlez du « mandat » de Condition féminine Canada, je présume que vous parlez des modalités du Programme de promotion de la femme approuvé par le Secrétariat du Conseil du Trésor.
    Non, je parle plutôt des paramètres du programme et de la façon dont les groupes féminins obtiennent leur financement.
    Grâce à l'information qui nous a été transmise par divers témoins et dans le cadre de différents rapports -- je songe, entre autres, au rapport présenté au comité par la ministre -- nous avons su que les modalités du Programme de promotion de la femme avaient été renouvelées et approuvées par le Secrétariat du Conseil du Trésor. Je ne suis donc pas sûr de savoir quelle est la procédure à suivre dans ce contexte. Étant donné que ce mandat a déjà été approuvé, que devrions-nous faire si nous souhaitions le réexaminer?
    Il faudra simplement qu'il y ait un vote à ce sujet à la Chambre, et le gouvernement devra alors déterminer s'il compte respecter ou non les voeux de la Chambre. C'est tout.
    Merci pour cette éclaircissement.
    Eh bien, comme Mme Minna le sait déjà, je ne suis pas en faveur de cette motion. Les compressions budgétaires visent l'ensemble des activités du gouvernement. Comme on nous l'a déjà expliqué, il s'agit de s'assurer que les fonds affectés à ce programme ne finissent pas par être consacrés à des dépenses administratives, des recherches inutiles, ou l'organisation de colloques et de choses de ce genre.
    Nous espérons par conséquent qu'il sera possible de faire des économies, mais sachez qu'il n'est pas du tout question de priver de financement les programmes destinés aux femmes. En fait, à la dernière réunion, quand nous avons discuté du Budget principal des dépenses, nous avons bien constaté que les sommes affectées aux différents programmes -- soit le Programme de promotion de la femme, dont le budget était établi à 10,8 millions de dollars, et l'initiative Soeurs d'esprit, qui aura 1 million de dollars -- bénéficient en réalité d'une augmentation des fonds accordés directement aux programmes en faveur des femmes.
    Je peux confirmer que le gouvernement est tout à fait en faveur de l'affectation des fonds et des ressources aux programmes et initiatives qui permettront de maximiser leurs retombées positives sur la collectivité. Il y a déjà eu d'innombrables rapports et études sur ces questions. Il est donc temps que nous affections les deniers publics aux programmes qui donneront lieu à des effets et des résultats positifs, afin d'atteindre les objectifs qui ont été fixés, comme nous l'a dit la ministre.
    C'est tout ce que j'ai à dire au sujet de la motion, mais je comprends que cette dernière découle d'un sentiment tout à fait sincère. Merci.

  (1130)  

    Merci, monsieur Stanton.
    Madame Neville.
    Je ne veux pas prolonger indûment la discussion, madame la présidente, mais ces motions n'influent aucunement sur le calendrier de travail du comité. Si j'ai bien compris, le travail du comité se réalisera comme prévu.
    Deuxièmement, la vraie question dont nous sommes saisis concerne l'établissement de nouveaux critères, bien que le financement du programme reste inchangé. Ce sont de nouveaux critères qui auront pour résultat d'éliminer de nombreux organismes pour qui Condition féminine Canada est une source de financement. Ayant rencontré des dizaines de femmes dans ma localité la semaine dernière, je peux vous assurer, madame la présidente, que cela préoccupe gravement les intéressées.
    Si les membres du comité n'ont plus d'interventions à faire sur la question, nous pouvons passer à nos témoins, et je voudrais d'ailleurs remercier tout le monde d'avoir été bref. À mon avis, nous devrions régler la question rapidement pour pouvoir entendre nos témoins, qui sont déjà présents.
    Plaît-il au comité de mettre la question aux voix?
    Des voix: D'accord.
    La présidente: Souhaitez-vous que ce soit un vote par appel nominatif?
    Des voix: D'accord.
    Voulez-vous en faire une seule motion, ou souhaitez-vous qu'on les mette aux voix séparément?
    Je voudrais qu'on les mette aux voix séparément, si vous n'y voyez pas d'inconvénients.
    La première motion se lit ainsi:
Que, compte tenu des compressions budgétaires annoncées le 25 septembre 2006, le Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes recommande au gouvernement de maintenir le financement de toutes les activités de Condition féminine Canada au niveau de 2005-2006 ou de le porter à un niveau supérieur et que la présidence fasse rapport de l'adoption de cette motion à la Chambre sans délai.
    Il y a égalité des voix.
    S'agissant de prolonger le débat ou de maintenir le statu quo, je ne souhaite pas que le débat soit prolongé, étant donné que deux témoins sont déjà présents qui sont venus nous faire un exposé sur une question importante. Donc, je n'ai pas l'intention de voter dans le sens d'une prolongation du débat. Je peux voter soit pour, soit contre, et j'ai décidé de voter en faveur de la motion.
    (La motion est adoptée par six voix contre cinq)
    La deuxième motion se lit ainsi:
Que, compte tenu du nouveau mandat conféré dans le cadre du Programme de promotion de la femme de Condition féminine à compter du 27 septembre 2006, le Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes recommande au gouvernement de rétablir le mandat de cinq ans, et que la présidence fasse rapport de l'adoption de cette motion à la Chambre sans délai.
    C'est la même chose encore, c'est-à-dire qu'il y a égalité des voix; je vais donc voter en faveur.
    (La motion est adoptée par six voix contre cinq)
    Maintenant nous pouvons passer à notre ordre du jour...
    Monsieur Poulin, madame Jeffrey, veuillez accepter mes excuses pour le retard. Merci infiniment.
    Je peux céder la parole soit à M. Poulin, soit à Mme Jeffrey, selon la personne qui préfère commencer.
    Merci beaucoup.

  (1135)  

[Français]

    Je vous remercie pour l'invitation. Je ne répéterai pas le texte qui vous a été distribué en français et en anglais, dans lequel on estime que la traite des êtres humains à l'échelle internationale varie entre 700 000 et 4 millions de personnes, plus vraisemblablement 4 millions par année. C'est peut-être une sous-estimation, car une partie de la traite est légale. L'an passé, par exemple, le Japon a délivré 77 000 visas d'artiste danseuse pour son industrie du sexe. Cela n'est pas pris en compte pour ce qui est de la traite des êtres humains, puisque c'est légal et que souvent, on considère la traite uniquement d'un point de vue criminel.
    Au cours des trois dernières décennies, les pays de l'hémisphère Sud ont connu une croissance vertigineuse de la prostitution et de la traite des femmes et des enfants à des fins de prostitution. Depuis plus d'une décennie, c'est le cas aussi dans d'anciens pays dits socialistes, tels que l'Union soviétique, l'Europe de l'Est et les Balkans. Mais le même phénomène de croissance des industries du sexe et, partant, de la traite, affecte les pays d'Europe de l'Ouest et du Pacifique Sud qui ont légalisé la prostitution dans les années 1990 et 2000.
    Les êtres humains victimes de la traite internationale à des fins de prostitution sont nettement plus nombreux que ceux qui font l'objet d'un trafic aux fins d'exploitation domestique ou de main-d'oeuvre à bon marché. Les organisations internationales, comme l'Organisation internationale du travail, OIT, estiment que 92 p. 100 des personnes victimes de la traite le sont à des fins de prostitution, et que 98 p. 100 d'entre elles sont des jeunes femmes et des fillettes. Les 2 p. 100 restants sont des garçons et des travestis.
    Plus l'industrie de la prostitution se développe, plus les personnes prostituées sont jeunes, qu'elles soient victimes de la traite ou non, c'est-à-dire recrutées à l'étranger ou localement. Selon l'Organisation internationale pour les migrations, de nos jours, les victimes sont plus jeunes qu'auparavant et les enfants sont de plus en plus présents dans le processus.
    La prostitution et la traite à des fins de prostitution ne sont pas des phénomènes nouveaux. Ce qui est nouveau, c'est leur internationalisation et leur industrialisation. Par conséquent, la demande de femmes et d'enfants pour les industries du sexe est en croissance pratiquement partout dans le monde.
    La légalisation ou la réglementation de l'industrie de la prostitution, proxénétisme y compris, a pour effet d'engendrer une croissance importante des industries du sexe et, par conséquent, entraîne une expansion de la traite à des fins de prostitution. Les Pays-Bas sont un bon indicateur de l'expansion de l'industrie du sexe et de la croissance de la traite à des fins de prostitution.
    Il y avait 2 500 personnes prostituées en 1981; en 2004, le gouvernement évalue leur nombre à 30 000. En 1960, 95 p. 100 des personnes prostituées des Pays-Bas étaient néerlandaises. En 1999, elles n'étaient plus que 20 p. 100. Autrement dit, 80 p. 100 des personnes prostituées proviennent de l'étranger, et 70 p. 100 d'entre elles sont sans papiers.
    Le même phénomène peut être observé en Allemagne. Dans le milieu des années 1990, on estimait le nombre de personnes prostituées en Allemagne à 200 000; aujourd'hui, le gouvernement l'estime à 400 000. Donc, en quelques années, le nombre de personnes prostituées a doublé. En Allemagne, de 85 à 90 p. 100 des personnes prostituées proviennent de l'étranger, donc sont des victimes d'une traite à des fins de prostitution.
    La traite des êtres humains est une conséquence du système de la prostitution. L'officialisation institutionnelle, c'est-à-dire la légalisation des marchés du sexe, renforce les activités de proxénétisme et celles du crime organisé, mais surtout, elle légitime l'inégalité entre les hommes et les femmes.

  (1140)  

    Là où cette industrie est légitime depuis des décennies, on a assisté à ce qu'on pourrait appeler une « prostitutionnalisation » du tissu social. Je ne crois pas que le mot existe en anglais; je souhaite bonne chance à l'interprète.
    Je vais prendre l'exemple de la Thaïlande. À la fin des années 1950, plus précisément en 1957, on dénombrait 20 000 personnes prostituées en Thaïlande. Aujourd'hui, on en compte plus de 2 millions, dont au moins le tiers est constitué d'enfants, surtout de fillettes. Je rappelle que quand j'emploie le terme « enfant », j'utilise la définition internationale de l'enfance, c'est-à-dire une personne âgée de moins de 18 ans. Dans ce pays, la quasi-totalité des jeunes femmes et des fillettes prostituées, qu'elles aient été victimes d'une traite à des fins de prostitution ou non, qu'elles soient donc originaires de l'étranger ou non, ont été intégrées à cette industrie à un âge mineur. Quelque 75 p. 100 des hommes sont désormais des clients occasionnels ou réguliers de personnes prostituées. Pour 5,4 millions de touristes sexuels par an en Thaïlande, on compte désormais 450 000 clients locaux par jour.
    Dans les tribus du nord du pays, on célèbre la naissance d'une petite fille parce que sa prostitution anticipée est promesse de revenus futurs. Cette société a été largement « prostitutionnalisée », devenant l'un des endroits les plus importants du monde pour les touristes sexuels de tout acabit. La Thaïlande est un pays important de destination et de transit de la traite des êtres humains. En fait, ce pays a été transformé en paradis sexuel pour les clients internationaux et locaux, les proxénètes et les trafiquants, et en enfer sexuel pour les femmes et les enfants, non seulement du pays mais également des nations limitrophes de toute la région du Mékong. Aujourd'hui, plus du tiers des femmes et des fillettes du nord de la Thaïlande souffrent du sida.
    La prostitution et la traite à des fins de prostitution sont des activités traditionnelles du crime organisé, et l'explosion des marchés sexuels est largement contrôlée par le crime organisé. On ne peut pas imaginer la traite des êtres humains, y compris celle qui a un caractère légal, comme celle des visas d'artiste ou de danseuse exotique, telle que pratiquée par de nombreux pays, dont le nôtre, sans que celle-ci soit organisée de façon criminelle. Des femmes et des enfants sont achetés, vendus, revendus par des réseaux organisés sur les marchés locaux, régionaux et internationaux, et à chaque étape de leur transport d'un pays à un autre, ils sont loués aux clients. Ces femmes et ces enfants sont achetés, vendus et transportés clandestinement ou, selon les circonstances, ouvertement et légalement à l'intérieur et au-delà des frontières nationales sur le marché du sexe du monde entier, des pays les plus pauvres vers les pays les moins pauvres et jusqu'aux pays les plus riches.
    Un tel trafic à l'échelle mondiale ne se fait pas au petit bonheur la chance. Il exige des pots-de-vin, de la corruption du plus bas au plus haut niveau de la société. Il exige également des moyens qui vont de l'achat des femmes et des enfants sous de fausses représentations à l'enlèvement, de la tromperie aux faux papiers. Ce sont des réseaux internationaux de proxénètes qui opèrent ce commerce bien organisé. Ces réseaux disposent de complicités politiques et de ressources économiques, tant dans les pays d'origine et de transit que de destination.
    À l'échelle planétaire, la prostitution et la traite des femmes et des enfants à des fins de prostitution ne sauraient donc être spontanées. Des mouvements de population qui concernent des centaines de milliers voire des millions de personnes chaque année supposent obligatoirement des organisations bien structurées aux ramifications internationales, aux complicités innombrables, aux moyens financiers énormes, avec ses lots de recruteurs, de rabatteurs, de convoyeurs, de gardes-chiourmes, de « dresseurs » — je vais vous expliquer ce que cela veut dire —, de tôliers et de tueurs. Des filières criminelles recrutent les femmes et les enfants sur place, fournissent les visas et les faux papiers et organisent leur transport.

  (1145)  

    Les méthodes de recrutement varient, mais les trafiquants utilisent pratiquement toujours la tromperie et la violence. La méthode la plus répandue consiste à faire paraître des petites annonces proposant un emploi dans un autre pays comme coiffeuse, gardienne d'enfants, domestique, serveuse, jeune fille au pair, mannequin ou danseuse.
    Une autre méthode consiste à les recruter au moyen de bureaux de placement, d'agences de voyages, d'agences de rencontres et de mariage, qui sont souvent de simples paravents pour les rabatteurs.
    Des victimes de la traite ont également été vendues par leur famille, leur petit ami ou des institutions comme des orphelinats.
    Une fois recrutée, la personne est placée dans une situation de dépendance tout au long de sa traite. Cette personne passe alors de main en main jusqu'à son arrivée dans le pays de destination.
    Les trafiquants se succèdent lors du déplacement des victimes de la traite, mais le sort des filles ne varie pas. Les viols et les autres formes d'assujettissement sont fréquemment employés, même pour la minorité de jeunes femmes qui connaissent le but de leur traite, à savoir la prostitution.
    Sitôt arrivées dans le pays de destination, ces personnes voient leurs papiers confisqués par les trafiquants et sont immédiatement mises sur les marchés du sexe. Au Canada, c'est la prostitution, la danse nue, etc. Les récalcitrantes passent par un camp de dressage. Il y en a plusieurs en Europe qui sont connus; en Italie, entre autres, mais aussi en France. Elles y sont violées par les proxénètes, puis elles doivent subir 50, 60 ou même davantage de clients par jour, jusqu'à ce qu'elles soient cassées psychologiquement.
    La traite des êtres humains à des fins de prostitution est une source de gains très importante pour les organisations criminelles, qui se sont toutes lancées, selon les différentes sources policières internationales — Interpol, Europol, etc. — dans ce commerce hautement lucratif. Les profits, qui sont souvent recyclés dans les activités licites, débouchent sur la création de sociétés-écrans et, dans les pays qui ont légalisé la prostitution, ces sociétés-écrans poursuivent leurs affaires dans les industries du sexe, mais les profits blanchis sont également utilisés pour des activités illicites.
     Dans le pays de destination, la victime de la traite, qu'elle soit ou non une personne déjà prostituée dans son pays, verra son passeport et ses autres papiers confisqués par ceux qui organisent sa prostitution. Elle devra rembourser la dette du voyage. À cela s'ajoutent les frais de logement, de nourriture, d'habillement, de maquillage, de préservatifs, lesquels sont déduits de ses revenus. Une fois tous les frais payés, il ne lui reste pratiquement rien. Une récente enquête de l'Organisation internationale du travail évaluait que la personne prostituée victime de la traite gardait à peu près 20 p. 100 des revenus, le reste allant au proxénète.
    Si la prostituée ne rapporte pas assez d'argent, elle sera menacée de vente à un autre réseau de proxénètes, à qui elle devra à nouveau rembourser une dette. On la changera fréquemment de lieu, on menacera de représailles sa famille restée au pays, elle subira de la violence psychologique, physique et sexuelle, et si elle réussit à échapper au proxénète, elle risque l'expulsion en tant qu'immigrante illégale. Elle est complètement vulnérable, et rares sont les pays qui donnent des services à ces personnes et qui les protègent contre les proxénètes.
    Un autre rapport de l'Organisation internationale pour les migrations soulignait que l'expulsion vers le pays d'origine des personnes prostituées victimes de la traite parce qu'elles étaient immigrantes illégales ne faisait que renforcer le phénomène de la traite. Ce n'est donc pas une solution.
    Quelle est la situation au Canada? On n'en sait pas grand-chose. Il y a eu deux grandes commissions d'enquête dans les années 1980 sur la prostitution et la pornographie, et une autre sur les enfants victimes des industries du sexe, entre autres.

  (1150)  

    Aucune de ces commissions d'enquête n'a pu évaluer l'ampleur de l'industrie de la prostitution et de la pornographie et, par conséquent, de l'industrie de la traite. On ne sait pas trop pourquoi. Statistique Canada, qui peut nous dire de quelle couleur étaient les sous-vêtements des immigrants de la Sicile en 1951 ou faire des évaluations importantes sur l'économie au noir du pays, n'a jamais pu ou voulu nous dire quel était l'état de l'industrie de la prostitution au Canada. On ne connaît donc ni le nombre de personnes prostituées ni les revenus de cette industrie.
    Je vais vous parler de certains faits que nous connaissons un peu. Nous savons qu'en matière de traite des êtres humains à des fins de prostitution et de pornographie, le Canada est un pays de destination, de transit, mais qu'il est également un pays émetteur, ce que peu d'analystes mettent en évidence. En 1999, par exemple, le gouvernement de la Colombie-Britannique a révélé l'existence d'un circuit faisant la traite d'enfants à des fins de prostitution à partir de cette province vers des villes de l'Alberta, de la Saskatchewan et de l'Ouest des États-Unis. En 2001, le rapport du Département d'État américain sur la traite des êtres humains affirmait qu'un certain nombre de personnes mineures d'origine canadienne étaient victimes de la traite à des fins d'exploitation sexuelle. La destination était les États-Unis.
    Un groupe criminel de Vancouver, les West Coast Players, était connu pour ses activités de traite à des fins de prostitution d'adolescentes. La destination était, dans ce cas, Los Angeles. En septembre 1997, on apprenait que chaque semaine, 12 jeunes femmes asiatiques âgées de 16 à 30 ans et munies de visas de tourisme étaient victimes de traite à des fins de prostitution au Canada. Elles étaient vendues à des propriétaires de bordels à Markham, Scarborough, Toronto et Los Angeles. Elles étaient asservies par une dette de 40 000 $.
    En 1999, le Human Rights Report du Département d'État américain signalait que des fillettes du Costa Rica, transportées à travers l'Amérique Centrale et le Mexique, étaient prostituées aux États-Unis et au Canada. La même source rapportait que des Malaises étaient victimes de la traite pour être prostituées au Canada. Dans son rapport de 2003 sur la traite des êtres humains, le Département d'État américain affirmait que des jeunes filles et des fillettes du Honduras, de la Slovénie et de la Malaisie étaient victimes de la traite à des fins de prostitution au Canada.
    À la fin des années 1990, les mafias chinoise et vietnamienne ont accru leurs opérations dans les bordels de Toronto et ont embrigadé des femmes et des fillettes de toute l'Asie du Sud-Est. Les femmes victimes de cette traite étaient achetées par les recruteurs au coût de 8 000 $ ou moins et vendues 15 000 $ aux proxénètes. Plusieurs douzaines de femmes asiatiques ont été « libérées de leur esclavage sexuel » après une série de raids de la police de Toronto qui, à ce moment-là, a fermé 10 bordels. La police a estimé que le réseau de proxénètes fournissait chaque trimestre entre 30 et 40 femmes à 15 bordels de Toronto.
    La police canadienne a également arrêté plus de 40 personnes liées à un réseau de prostitution et de traite internationale qui a vendu des centaines de femmes asiatiques en Amérique du Nord. Mais on ne connaît pas exactement le nombre de personnes victimes de la traite. Selon la Gendarmerie royale du Canada, environ 800 personnes, surtout des femmes et des enfants, sont victimes chaque année de la traite à des fins de prostitution au Canada. Or, des organisations non gouvernementales évaluent ce nombre à 15 000. Vous pouvez constater qu'entre 800 et 15 000, il y a un écart considérable. Mais déjà en 1998, selon un rapport soumis au solliciteur général du Canada, on estimait qu'entre 8 000 et 16 000 personnes, un autre très large écart, entraient chaque année au Canada avec l'aide de passeurs.
    Pour conclure, disons que la croissance effrénée des industries du sexe a pour effet une remise en cause des droits humains fondamentaux, notamment ceux des femmes et des enfants qui sont traités comme des marchandises sexuelles.
    On peut dire que le statut des femmes et des enfants à l'échelle internationale a même gravement régressé. Désormais, dans de nombreux pays, sous l'impact de politiques d'ajustement structurel, les femmes et les enfants sont devenus ce qu'on appelle en anglais, new raw resources, c'est-à-dire de nouvelles matières brutes exploitables et exportables dans le cadre du développement du commerce national et international. La mondialisation des industries du sexe renforce de façon considérable un système d'oppression des femmes et leur asservissement aux plaisirs sexuels d'autrui, aux plaisirs masculins.
     En réduisant les femmes et les fillettes à une marchandise susceptible d'être achetée, vendue, louée, appropriée, échangée ou acquise, la prostitution et la traite à des fins de prostitution affectent les femmes en tant que groupe. Elle renforce l'équation entre femmes et sexe, établie par la société machiste, réduit les femmes à une humanité moindre et contribue à les maintenir dans un statut inférieur.
    La lutte contre la traite des être humains ne peut connaître le succès que si elle s'attaque à la cause même de cette traite: la prostitution. Une telle lutte s'inscrit dans l'objectif plus général du combat pour l'égalité des femmes et des hommes. Et cette égalité restera inaccessible tant que les hommes pourront acheter, vendre et exploiter sexuellement des femmes et des enfants en les prostituant.
    Je vous remercie.

  (1155)  

[Traduction]

    Merci beaucoup, monsieur Poulin. Vous nous avez fourni énormément d'information à assimiler. Merci infiniment de l'intérêt que vous portez à cette question.
    Madame Jeffrey, vous avez la parole.
    Merci, madame Sgro, et permettez-moi de remercier le comité de m'avoir invitée à comparaître aujourd'hui.
    Je vais commencer par vous faire part de certaines réserves, et ensuite je vais développer mes principaux arguments. D'abord, il y a un certain nombre d'éléments qui nous incitent à faire preuve de circonspection dans toute discussion de la traite des personnes. Premièrement, il faut se rappeler que le concept de la traite des personnes pose encore problème et fait l'objet d'énormément de débats. En général, on considère que cela suppose le recours à la force ou à la tromperie afin de transporter des personnes qui seront ensuite exploitées dans le cadre d'un certain travail ou service. Voilà la définition générique. Mais la définition de ce en quoi consiste le recours à la force et l'exploitation demeure problématique.
    Deuxièmement, il faut se rendre compte que nous ne savons que très peu de choses sur la traite des personnes et sur l'ampleur de ce problème, étant donné qu'il s'agit d'un phénomène essentiellement caché et clandestin, et que la définition est si vague. Si vous examinez les différents documents, vous allez voir que les chiffres qu'on y présente varient énormément. L'Organisation internationale du travail a publié un certain nombre de documents qui remettent en question les méthodologies qu'on emploie ici.
    Troisièmement, nous avons tendance à mettre l'accent sur les femmes qui se livrent au commerce du sexe, alors que la traite des personnes peut viser de nombreux secteurs différents qui dépendent du travail des migrants, tels que l'agriculture, le secteur du vêtement, et le travail ménager. Par conséquent, le groupe concerné est beaucoup plus important.
    Enfin, il faut bien se rendre compte que les mesures de lutte contre la traite des personnes, qui existe depuis déjà un moment, ont tendance à se transformer en mesures antimigration, et surtout en mesures antimigration de femmes, plutôt qu'en instruments de protection des droits de la personne. En conséquence, je voudrais voir ce qu'on peut faire pour adopter une approche différente qui s'attaque aux problèmes que soulève la traite des personnes en renforçant le droit des victimes en tant que migrants et travailleurs.
    D'abord, j'insiste sur le fait que la traite des personnes fait partie intégrante du phénomène beaucoup plus généralisé qu'est la migration mondiale des travailleurs. De plus en plus, ce sont les femmes à la recherche d'un travail mieux rémunéré leur permettant de gagner leur vie et de faire vivre également leur famille qui sont à l'origine de ce phénomène de migration.
    En même temps, il devient de plus en plus difficile de s'assurer que cette migration se fasse de façon indépendante et sécuritaire, et avec facilité. Il convient de se rappeler que la grande majorité des travailleurs migrants, y compris les travailleurs du sexe ont cherché à s'établir ailleurs pour travailler -- ils cherchent du travail -- mais ont pu évidemment être exploités par des gens qui ont facilité le processus de migration. Ces derniers peuvent donc se retrouver dans une situation où on les exploite sur le plan du travail mais à laquelle ils peuvent difficilement échapper.
    Donc, le premier élément du problème concerne les obstacles à la migration pour les fins du travail -- encore une fois, notamment pour les femmes. Si la traite des personnes et la migration clandestine se développent comme phénomène, c'est à cause du manque de concordance entre la demande de travailleurs dans les pays riches et la capacité des travailleurs des pays pauvres à accéder à ces emplois. La demande de travailleurs de ce genre et la nécessité pour ces travailleurs d'obtenir ces emplois dépassent de très loin la disponibilité des migrants à l'heure actuelle en passant par la filière normale. Ainsi il est devenu normal, pour les travailleurs migrants qui cherchent un emploi à l'étranger, de se faire aider par des intermédiaires ou de passer par la filière irrégulière. Les personnes qui facilitent le processus de migration peuvent être des membres de la famille, des agences de recrutement, ou encore des groupes de crime organisé.
    Par exemple, si une femme décide, devant les différentes possibilités qui s'offrent à elle pour gagner sa vie et soutenir sa famille, que le travail dans l'industrie du sexe dans un pays riche constitue la meilleure option, souvent il lui est tout à fait impossible d'obtenir ce travail de façon indépendante. En conséquence, les travailleurs migrants de l'industrie du sexe peuvent se trouver dans une situation de servitude pour dettes. Ces derniers peuvent effectivement contracter des dettes de l'ordre de 30 000 $ ou de 40 000 $ auprès des agents qui organisent leur voyage et leur obtiennent des documents. Ces dettes peuvent ensuite être transmises à des propriétaires de bar ou des patrons qui défalquent les sommes dues des salaires des femmes concernées, sans qu'un contrat ne soit jamais négocié.
    Ces femmes peuvent également se trouver en situation d'irrégularité en ce qui concerne leur statut d'immigration au Canada, par exemple, ce qui signifie qu'elles devront toujours craindre d'être arrêtées et expulsées. Les propriétaires peuvent ainsi menacer d'informer les autorités de leur statut d'immigrant clandestin, afin d'obtenir encore plus de travail gratuitement ou à bon marché.
    Quand les femmes peuvent migrer vers d'autres pays en toute légalité et en toute indépendance, le trafic diminue. Certains analystes de l'Union européenne ont signalé que, même si des femmes d'origine hongroise, polonaise, tchèque et slovaque étaient souvent victimes de bandes de trafiquants il y a quelques années, depuis que ces pays ont réussi à devenir membres de l'Union européenne les chiffres relatifs à la traite des personnes ont chuté de façon dramatique. Les femmes peuvent à présent profiter de leur accès facile aux pays de l'Union européenne pour trouver du travail informel, quelle qu'en soit la nature, et peuvent ensuite s'en aller si la situation devient difficile, sans craindre de ne pouvoir réintégrer leur pays pour gagner de l'argent.

  (1200)  

    Donc, il existe un problème d'obstacles à la migration, et le deuxième élément du problème est les conditions de travail déplorables dans bon nombre des secteurs où existe ce genre d'exploitation. Encore une fois, il peut s'agir de l'industrie du vêtement, qui est connue pour cela; du travail agricole, du travail ménager, et du commerce du sexe.
    Comme la traite des personnes dépend de l'existence de conditions de travail insuffisantes ou illégales, ce phénomène est surtout présent dans le contexte du travail informel ou non réglementé. C'est là que les trafiquants peuvent en profiter le plus sans craindre de faire l'objet de sanctions -- il n'y a pas de syndicats pour les forcer à respecter certaines conditions de travail, par exemple. Comme les femmes ont normalement moins de possibilités professionnelles et que la plupart des débouchés se trouvent dans les secteurs du travail non réglementé ou informel, comme le travail ménager et l'industrie du sexe, les femmes sont plus susceptibles de faire l'objet d'exploitation.
    De nombreux travailleurs du sexe migrants au Canada finissent par travailler dans le secteur criminalisé mais toléré du commerce du sexe à l'intérieur. Dans ce contexte, elles se trouvent confrontées à de multiples problèmes, comme le non-respect des contrats, de longues heures de travail, et surtout des conditions de travail dangereuses. Les travailleurs du sexe migrants peuvent avoir conclu des accords informels au sujet de leur travail. Ils peuvent avoir signé des contrats qu'ils n'ont pas compris, et ils n'ont aucun moyen de faire respecter ces contrats, de se plaindre, ou d'obtenir réparation s'il y a de la violence, s'ils ne sont pas payés, ou s'ils deviennent des esclaves sexuels. Il n'y a personne à qui s'adresser.
    Par conséquent, les travailleurs migrants de l'industrie du sexe, tout comme les travailleurs du sexe qui sont ressortissants du pays ont intérêt à pouvoir faire respecter leurs contrats, à pouvoir revendiquer une juste rémunération, à contrôler le rythme de leur travail, à choisir les clients qu'ils ont envie de voir, et à demander d'être protégés contre la violence qui, comme vous le savez fort bien, présente un problème de taille dans l'industrie du sexe. Cependant, en raison de la nature criminalisée du travail sexuel au Canada, tout cela est pour ainsi dire impossible, et ne fait qu'accroître les risques de violence qui sont déjà endémiques au travail sexuel au Canada.
    Nous avons déjà adopté des mesures qui touchent notre régime pénal et la sécurité à la frontière, et de nombreux pays sont déjà signataires de la nouvelle convention transnationale sur le trafic. Mais cela peut en réalité aggraver les problèmes, et cela correspond justement à ce que nous observons en ce moment. Le trafic est surtout considéré comme un problème pénal ou de sécurité, plutôt qu'une question des droits de la personne, si bien que les mesures adoptées jusqu'à présent ont surtout visé à arrêter et à punir les trafiquants et à stopper le mouvement des victimes de ce trafic.
    Or de telles mesures peuvent en soi contribuer à aggraver le problème, étant donné qu'elles créent des obstacles encore plus insurmontable à la migration, et donc, un plus grand besoin d'assistance et un potentiel d'exploitation accrue. Donc, en raison de restrictions plus strictes touchant l'obtention des visas, de plus fréquentes vérifications de sécurité touchant les migrants, et le recours accru à la détention et à l'expulsion, qui sont devenus monnaie courante, les migrants qui ne possèdent pas les moyens juridiques de migrer de façon indépendante se voient bien obligés de payer des frais plus importants et de chercher davantage pour obtenir de l'aide. Ils finissent par avoir une dette plus importante, si bien qu'on peut plus facilement en profiter.
    De plus, les tentatives des forces policières ou des agents d'immigration pour retrouver les victimes de la traite des personnes et leur venir en aide ont peut-être eu des conséquences négatives. Les descentes sur les établissements ou se pratique le commerce du sexe, par exemple, ont souvent pour résultat de faire expulser les femmes, même si elles n'ont pas envie de quitter le pays. Certaines d'entre elles veulent bien souvent continuer à travailler, mais dans de bien meilleures conditions, et elles veulent également être rémunérées.
    Dans plusieurs pays, les personnes qui se chargent de faire de l'action sociale indiquent qu'elles ont perdu tout contact avec les personnes qui font l'objet de ce trafic, étant donné que les descentes ont forcé les établissements à se cacher encore plus, de sorte que les travailleurs du sexe sont plus difficiles à rejoindre. Ces descentes peuvent en réalité perturber le bon travail accompli par les organismes d'action sociale pour ce qui est de la promotion de la santé, la prévention de la violence, et l'établissement de liens de communication avec les travailleurs migrants de l'industrie du sexe, qu'ils soient ou non victimes de la traite des personnes.
    Au cours des 10 dernières années pendant lesquelles nous n'avons cessé d'instaurer des mesures criminelles de plus en plus strictes, nous avons continué à entendre parler d'un nombre de plus en plus important de personnes qui sont victimes du trafic des personnes. Or très peu de gens ont fait l'objet de poursuites pour la traite des personnes, y compris aux États-Unis, ce qui prouve que ces mesures n'ont pas eu l'effet escompté.
    Il y a pourtant d'autres solutions. Nous avons adopté certaines mesures criminelles; il ne nous en faut pas davantage. Par contre, pour nous attaquer aux problèmes dont il est question dès lors qu'on parle de la traite des personnes, nous pourrions chercher à accroître les débouchés et les choix qui s'offrent aux travailleurs migrants et à réduire l'influence du crime organisé, plutôt que de mettre l'accent sur les mesures pénales ou punitives.
    Dans un premier temps, il convient d'accroître la capacité des femmes de migrer vers d'autres pays de façon indépendante et en toute sécurité en leur fournissant de l'information et un accès accru aux filières de migration sécuritaires. Le trafic des personnes est surtout présent là où les femmes ne savent guère ce qu'il faut faire pour venir au Canada afin de se procurer un travail, quel qu'il soit, qui soit à la fois sécuritaire et légal.

  (1205)  

    Vu la demande grandissante, je crois, de travailleurs migrants au Canada, notamment dans le contexte du boom économique que connaît actuellement l'ouest du pays, de plus en plus de travailleurs migrants voudront décrocher des emplois dans cette région, et il importe donc qu'on leur donne la capacité d'y accéder de façon indépendante et en toute sécurité.
    Une analyse différenciée selon les sexes de notre politique sur la migration constituerait peut-être une intervention opportune nous permettant de déterminer dans quelle mesure et de quelle façon la politique canadienne sur l'immigration limite la capacité des femmes de migrer vers d'autres pays à titre de travailleuses indépendantes dans un domaine comme dans l'autre. Les mesures visant à prévenir la traite des personnes -- et elles sont courantes -- en les dissuadant d'opter pour la migration ne font que dresser des obstacles injustes qui compromettent la capacité des femmes de réaliser l'égalité économique.
    De plus, le Canada doit absolument s'attaquer au problème du statut des migrants irréguliers par l'entremise des mesures que propose la Convention des Nations Unies sur la protection des travailleurs migrants, convention dont nous ne sommes pas encore signataire.
    Deuxièmement, il nous faut nous attaquer au problème des conditions de travail déplorables dans l'industrie du sexe et dans les différents secteurs du travail informel au Canada -- soit l'industrie du vêtement, le travail ménager, etc. -- afin que les femmes qui accomplissent ce type de travail soient moins facilement exploitées. Par exemple, la nature criminalisée et clandestine du commerce du sexe au Canada fait que ce travail est potentiellement très dangereux et que les travailleurs peuvent facilement être exploités par les gérants et les propriétaires de maisons de prostitution et de bars.
    Le comité voudra peut-être s'inspirer du travail effectué par le comité d'examen de la Loi sur le racolage, et des rapports établis par le Réseau juridique canadien du VIH/sida, la société Pivot en Colombie-Britannique, l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, et tous les organismes représentant le commerce du sexe au Canada. Au Québec, par exemple, Stella a fait un excellent travail dans ce domaine. Cet organisme prépare des rapports sur la façon de rendre l'industrie du sexe plus sécuritaire et moins axée sur l'exploitation, et sur ce qu'il faut faire pour que les travailleurs du sexe eux-mêmes -- y compris les migrants -- aient le droit et la capacité de se battre pour obtenir des conditions de travail sécuritaires et justes et de s'assurer que ces conditions sont respectées.
    Dans cet ordre d'idées, il convient de soutenir le travail accompli par les organismes d'action sociale qui travaillent auprès des travailleurs du sexe et qui ont pris contact avec les femmes migrantes et les femmes qui sont victimes de la traite des personnes, et ce afin qu'ils puissent poursuivre leur travail. Il est certain qu'aucune mesure de lutte contre la traite des personnes ne devrait être prise sans que l'on consulte les travailleurs du sexe et les groupes de défense des droits des migrants.
    En conclusion, il faut se rappeler que les préoccupations soulevées dans le contexte d'une discussion sur la traite des personnes concernent le fait que d'autres contrôlent et exploitent les femmes. Par conséquent, il faut trouver des solutions qui aideront les femmes -- y compris les travailleuses de l'industrie du sexe -- et les femmes migrantes à mieux contrôler leur propre vie. Il faut habiliter les femmes, plutôt que l'inverse.
    Deux chercheurs hollandais ont bien résumé la situation, à mon avis, en disant que seule la justice permet de réparer une injustice. Je vous remercie.

  (1210)  

    Merci beaucoup, madame Jeffrey. Votre exposé était fort intéressant, et là nous avons entendu deux points de vue.
    Nous allons donc ouvrir la période des questions. Le premier tour sera de sept minutes.
    Vous avez la parole, madame Minna.
    Je vous remercie tous les deux pour vos exposés.
    Jusqu'à un certain point, vous nous avez présenté des renseignements à la fois nouveaux et intéressants, même si je connais déjà bien le domaine grâce au travail que j'ai fait par le passé et aux discussions auxquelles j'ai participé sur le sujet, ayant fait partie d'un groupe de défense des travailleurs domestiques pendant un certain temps avec une collègue du nom de Judith Ramirez. Vous avez peut-être déjà entendu parler d'elle par rapport à son travail de défense des droits des femmes immigrantes, etc.
    Monsieur Poulin, vous, aussi, vous nous avez fourni de bonnes informations dans votre exposé, mais ce qui m'a le plus frappée, c'est votre affirmation selon laquelle il nous faut nous attaquer aux causes profondes de la prostitution. Jusqu'à un certain point, Mme Jeffrey dit la même chose, à savoir que la réification des femmes et des enfants pose problème et que pour permettre l'égalité des hommes et des femmes, il va falloir démolir ce schéma en s'y attaquant directement.
    Et c'est justement dans ce contexte que je voudrais faire publiquement l'observation suivante: cela concerne les motions dont nous discutions tout à l'heure. Ce qui m'a le plus découragée, c'est la décision du gouvernement la semaine dernière de priver Condition féminine Canada et les femmes canadiennes de cet outil, comme si nous avions déjà réalisé l'égalité des sexes. Voilà ce que le gouvernement nous dit: les femmes au Canada sont égales, et par conséquent nous n'avons plus à nous préoccuper de ce problème.
    Or ce sont les organismes qui ne seront plus du tout financés qui mènent les recherches qui sont nécessaires pour informer les femmes de leurs droits, pour habiliter les femmes et les inciter à défendre leurs droits, et pour nous attaquer aux problèmes causés par leur plus faible situation économique.
    Je trouve que ce que vous dites, et c'est justement l'une des questions que nous débattons autour de cette table depuis un moment... vous dites qu'il faut s'attaquer aux causes profondes de la prostitution et de la traite des personnes. Mais dans le fond, il faut aussi s'intéresser à la culture qui sous-tend notre système judiciaire, car il s'agit de s'assurer que les femmes et les hommes sont sur un pied d'égalité et que les femmes se sentent habilitées, comme on l'a dit récemment. Malheureusement, le gouvernement actuel préfère aller dans le sens inverse au Canada.
    J'ai donc des questions pour vous deux.
    La première vous semblera peut-être injuste, mais je dois vous la poser parce qu'elle nous permettra justement d'explorer les causes des problèmes actuels. Que pensez-vous de l'orientation actuelle au Canada, eu égard à ce qui est prévu pour Condition féminine Canada, qui constitue en réalité notre principal outil pour nous attaquer à ces problèmes? C'est une question politique, et je m'en excuse. Vous pouvez toujours décider de ne pas y répondre, si vous préférez, mais je dois vous la poser. Telle sera l'incidence des compressions budgétaires et des changements annoncés dernièrement sur la capacité des femmes canadiennes de faire des recherches, de s'informer sur leurs droits, et de se battre pour les défendre et pour arriver à prendre elles-mêmes le contrôle?
    C'est une question chargée, j'en conviens. Si vous préférez ne pas y répondre, je peux vous en poser d'autres.

[Français]

    Vous avez pris connaissance de deux interprétations possibles de la question de la traite. Malheureusement, Condition féminine Canada n'a financé pendant longtemps que des recherches voulant légitimer la prostitution. On alléguait qu'il s'agissait d'un simple travail du sexe.
    Il n'est pas absolument certain que Condition féminine Canada ait toujours une bonne orientation, mais affaiblir cet organisme n'aidera pas pour autant à prendre une bonne direction. Je crois qu'affaiblir ce programme en particulier est sans doute une erreur de la part du gouvernement. Je suis toutefois mal placé pour l'affirmer, puisque comme chercheur, il ne s'agit pas de ma sphère de compétence. C'est davantage l'impression d'un citoyen qui écoute les débats et qui se dit qu'une telle mesure risque plus de créer des problèmes que d'en résoudre
    Toute institution peut faire face à des problèmes. Des choix sont faits par des fonctionnaires et des commandes sont placées par des politiciens. Pour ma part, j'ai eu des problèmes dans le cas des recherches financées. Ça donnait lieu à un déséquilibre.
    Les abolitionnistes, c'est-à-dire ceux qui sont favorables à la décriminalisation des activités des personnes prostituées mais en faveur de la criminalisation du proxénétisme — et non de la décriminalisation du proxénétisme, comme c'est le cas des personnes favorables au travail du sexe — militent pour qu'on s'attaque à cette industrie, qui est la cause de la traite. C'est un point fondamental qui les distingue des autres. Ces gens ne confondent pas le trafic des personnes et la traite des personnes. En anglais, on parle de smuggling et de trafficking.
    Le trafic des personnes, je le rappelle, est inscrit dans la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, que le Canada a ratifiée. La traite des personnes touche essentiellement trois secteurs: les personnes qui sont victimes de la traite à des fins d'exploitation sexuelle, le travail forcé et le trafic des organes. Le motif de la traite est, dans 92 p. 100 des cas, l'exploitation sexuelle, c'est-à-dire prostitution, pornographie, etc. Quand on parle du trafic des personnes, qu'on appelle en anglais smuggling, il s'agit essentiellement des migrants clandestins.
    Bien sûr, l'abolitionniste accorde beaucoup d'importance à la traite à des fins de prostitution, tandis que la personne favorable au travail du sexe, en l'occurrence qui considère la prostitution comme un travail du sexe, essaye de minimiser systématiquement le phénomène de la traite pour la réduire à une question de migration internationale, donc de smuggling. Je crois qu'il s'agit là d'un clivage fondamental. C'est à vous de décider quelle conclusion vous voulez tirer de cela. Il reste que ce clivage existe au sein des groupes, chez les universitaires et sans doute aussi chez les députés.

  (1215)  

[Traduction]

    Merci, monsieur Poulin.
    Je sais que ce sujet est à ce point complexe qu'on peut difficilement vous demandez de parler plus vite ou plus lentement, et ce pour que les membres obtiennent l'information la plus essentielle. Mais je vous demande de faire les réponses un peu plus succinctes, afin que tous puissent vous poser des questions. Je vous en remercie.
    Votre temps est écoulé, madame Minna. Désolée.
    Madame Mourani, vous avez la parole.

[Français]

    Merci, madame la présidente.
    Je remercie nos deux invités d'être venus nous exposer leurs points de vue qui, on a pu le constater, sont diamétralement opposés.
    Ma question s'adresse à Mme Jeffrey.
    J'avoue ne pas avoir bien compris votre exposé. Je vais vous dire pourquoi. Par exemple, vous avez employé le mot « traite » et vous l'avez relié au mot « travailleur ». En tant que novice, je me demande comment quelqu'un qui fait l'objet de traite peut être un travailleur. Un travailleur est une personne qui donne son consentement, ce qui n'est pas le cas d'une personne faisant l'objet de traite.
     Vous utilisez des mots comme « traite » et « migration des travailleurs dans le monde ». Je n'ai peut-être pas bien compris, mais j'ai l'impression que pour vous, quelqu'un qui fait l'objet de traite est une personne consentante qui s'est déplacée dans le monde parce que certains États condamnaient ou criminalisaient cette pratique, bref y faisaient obstacle. C'est ce que j'ai cru comprendre.

[Traduction]

    Non. C'est justement ça le problème que pose la définition du terme « traite ». Nous n'arrivons pas à nous entendre sur la réalité qu'elle décrit.
    Il est très facile de dire que ce sont des gens qui sont enlevés, forcés à travailler, envoyés à l'étranger, et qui deviennent des esclaves. Mais ces personnes correspondent à une toute petite proportion, à moins que vous ne croyiez que toute la prostitution soit forcée, et que les gens sont toujours obligés de se prostituer. Ça, c'est l'aspect du débat auquel on peut facilement appliquer le terme « traite ».
    Bien sûr, il arrive des choses horribles aux travailleurs migrants; il peut leur arriver d'être gardés comme esclaves, d'être forcés à rembourser des dettes, de se faire enlever leur passeport, ou encore de se faire dire qu'ils doivent travailler gratuitement. Voilà des choses qui arrivent aux travailleurs migrants dans le secteur agricole, mais également dans l'industrie du sexe.
    Mais quand nous parlons de traite, les gens vont dire: « Voyez-vous, c'est ça la traite; c'est lorsqu'on enlève le droit d'un travailleur de donner son consentement. » Et là on fait intervenir la question de la prostitution, qui constitue, pour certains, de l'esclavage pur et simple. Donc, il devient difficile dans ce contexte de définir le vrai problème.
    Si le problème est celui de la prostitution, et si vous estimez que la prostitution ne peut être que de l'esclavage, à ce moment là, tous ceux qui s'adonnent à la prostitution sont victimes de la traite des personnes. C'est très simple. Mais si vous parlez aux personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe, la grande majorité d'entre elles vous diront: « Vous savez, ce n'est peut-être pas le genre de travail que je souhaitais faire, mais dans les circonstances actuelles, c'est tout ce qui me permet de gagner beaucoup d'argent. »
    J'ai passé une année en Thaïlande, pendant laquelle j'ai beaucoup parlé avec les travailleurs d'action sociale et les travailleurs de l'industrie du sexe, et voilà ce qu'ils m'ont dit. Ils me disaient: « Je pourrais travailler dans une usine, où je toucherais un salaire de misère, où on m'enfermerait la nuit et on abuserait de mes droits, ou encore je peux travailler dans l'industrie du sexe, gagner plus d'argent, et peut-être un jour devenir coiffeuse. Voilà les choix qui s'offrent à moi. Je fais le choix de travailler dans l'industrie du sexe. Ces choix ne sont pas bien intéressants, mais ce sont les seuls qui s'offrent à moi. »
    Donc, si vous estimez que cette personne qui m'a dit: « Ce sont les seuls choix qui s'offrent à moi » est une victime de la traite des personnes, à ce moment-là, la police intervient et lui dit: « Sortez d'ici, vous êtes une victime. » Et elle répondra: « Non, j'essaie simplement de gagner ma vie. Vous allez me renvoyer dans mon village, où je n'aurai ni emploi, ni argent. Je vais m'endetter. Vous prétendez me secourir, mais ce n'est pas ce que je considère comme du secours. »
    Par contre, d'autres organismes, y compris l'Organisation internationale du travail et l'Organisation internationale pour les migrations, ont plutôt essayé de déterminer, non pas quelles personnes sont victimes de la traite, mais quels actes correspondent à la traite, y compris le fait de profiter de personnes qui essaient de migrer vers d'autres pays pour trouver du travail. À l'heure actuelle, la grande majorité des travailleurs migrants, qui ne font pas partie d'un programme spécial, doivent avoir recours à une autre personne pour les aider à traverser la frontière. Et ces aides leur diront: « J'ai un emploi pour vous au Canada ou au Royaume-Uni. » Il peut ou non s'agir d'un mensonge, et ces aides peuvent ou non profiter des gens. Mais certains le font -- et c'est ça la traite des personnes.

  (1220)  

[Français]

    Ce que je retiens des statistiques de M. Poulin, c'est qu'une très grande part des personnes utilisées pour la traite le sont à des fins de prostitution, et que dans 48 p. 100 des cas, il s'agit de mineurs.
    Considérez-vous que ces 48 p. 100, ces personnes de moins de 18 ans, ont le choix quand elles sont vendues par leur famille? D'après ce que j'ai compris de l'exposé de M. Poulin, avoir une fille est considéré comme une richesse par ces sociétés, à cause de l'argent qu'elle pourra rapporter. Il s'agit donc ici de sociétés qui, en quelque sorte, valorisent la prostitution. Est-ce qu'on peut vraiment parler de choix?
    Par ailleurs, il faut se demander si on peut acheter ou vendre un être humain. Est-ce que l'être humain est une chose comme n'importe quelle chaise dans cette salle?
    Au Canada, il est interdit de vendre ou d'acheter du sang, et il en va de même pour les organes, même si la personne est consentante. Ce n'est pas le cas, semble-t-il, pour le sexe des femmes.

  (1225)  

[Traduction]

    Je voudrais soulever deux points en ce qui concerne les mineurs.
    Les chiffres actuels ne sont pas très fiables. Les méthodologies posent également problème, à cause de l'écart entre les différentes définitions. Si vous estimez que toutes les personnes qui s'adonnent à la prostitution font l'objet de traite, à ce moment-là, les chiffres sont faramineux. Mais si vous ne parlez que des personnes qui sont forcées de se prostituer ou qui sont victimes d'une combine, à ce moment-là, les chiffres sont bien inférieurs.
    Je dois passer à l'intervenante suivante. Peut-être en répondant à Mme Smith vous pourriez développer votre argument.
    Je trouve cette discussion fort intéressante. Pendant 10 ans, j'ai oeuvré pour contrer le phénomène de la traite de personnes, et j'ai aussi un fils qui est membre de la GRC et qui travaille dans l'unité de CEI. C'est la même lutte que dans ce comité. Il a été si difficile de faire accepter la traite des personnes comme sujet d'étude.
    Mais c'est une industrie en pleine expansion. Monsieur Poulin, votre exposé est l'un des meilleurs que j'ai jamais entendus, alors que j'ai voyagé dans le monde entier et que j'ai visité trois continents. Je l'ai trouvé excellent et tout à fait honnête. Même vos observations sur ce qu'il faut faire sont grandement appréciées. Nous parlons essentiellement d'une lutte qui repose sur la philosophie humaine du bien et du mal.
    Je voudrais vous poser une question. Premièrement, à votre avis, l'industrie du sexe constitue-t-elle une véritable industrie, et convient-il de la traiter comme telle? Deuxièmement, que pensez-vous de la possibilité de légaliser la prostitution? Le gouvernement actuel n'accepterait jamais de faire cela. À notre avis, il ne s'agit pas d'une activité saine ni pour les Canadiens, ni pour leurs collectivités. Mais un autre témoin nous a parlé de ça. D'ailleurs, je suis aussi perplexe que ma collègue, Mme Mourani. Tout cela m'est complètement étranger, vu mon expérience du travail dans les refuges, et sur le terrain.
    Je vous invite tous les deux à répondre. Monsieur Poulin, peut-être pourriez-vous commencer, et ensuite, ce sera à Mme Jeffrey.
    Je vais reprendre mon intervention de tout à l'heure. À mon avis, ma réponse concerne la même question. Je sais que cela peut être difficile à comprendre, car les gens ont tendance à réagir moralement à la prostitution. Mais rappelez-vous que nous parlons de traite à l'égard de toutes sortes de travailleurs -- agricoles, domestiques, etc. Cela ne veut pas dire que ces personnes veulent qu'on les exploite. En parlant de la traite des personnes, nous parlons nécessairement de l'exploitation des travailleurs, mais c'est seulement quand nous abordons la question de la prostitution que l'on propose comme solution de mettre fin au travail, de secourir les travailleurs, et de les renvoyer chez eux.
    Si nous parlions de travailleurs domestiques qui faisaient l'objet de trafic, qui voulaient venir au Canada mais n'arrivaient pas à obtenir un visa légal...
    Pourrais-je préciser ma question? Votre explication ne correspond pas tout à fait à la question que je vous ai posée.
    Quand nous parlons de la traite des personnes, nous parlons nécessairement de l'exploitation sexuelle des enfants et des femmes. Nous parlons aussi du droit d'une femme d'être respectée et d'avoir des chances égales sur le marché du travail. Je voudrais envisager cette problématique sous l'angle de l'exploitation sexuelle. Nous ne parlons pas de travailleurs d'usine. Nous parlons d'exploitation sexuelle.
    Mais vous devez vous rappeler que...
    Une seconde, madame Jeffrey. Le comité devra peut-être tirer cette question au clair.
    Quand nous avons entamé notre étude, nous parlions de la question plus générale de la traite des personnes. C'est donc une question plus large que celle de l'exploitation sexuelle. À mon avis, nous ne sommes pas obligés de nous pencher sur cet élément en particulier. Pour moi, il ne s'agissait pas de nous borner à cet aspect-là du problème. Évidemment, si tel est le souhait du comité, très bien. Mais au départ, nous parlions de la traite des personnes dans un sens plus large.
    Peut-être devrons-nous en discuter après.
    Non, madame la présidente, c'est moi qui interroge le témoin, et ma question concerne l'exploitation sexuelle.
    D'accord. Je voulais dire simplement que les paramètres de notre étude ne sont pas aussi étroitement définis.
    Madame Jeffrey, pourriez-vous répondre à ma question?
    Je vous fais remarquer que le Canada est signataire du protocole à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, qui ne définit pas la traite des personnes comme correspondant exclusivement à l'asservissement sexuel. La définition comprend aussi d'autres types de travail, de même que les greffes d'organes. Donc, la définition officielle et internationale de la traite des personnes, et même celle adoptée par le gouvernement canadien lui-même, englobe beaucoup plus que la notion d'asservissement sexuel. Mais je vais répondre à votre question au sujet des choix.
    Il va sans dire que même les organismes qui représentent les travailleurs sexuels reconnaissent que dès lors qu'il s'agit de mineurs, c'est-à-dire de personnes âgées de moins de 18 ans, la situation est claire. Ces mêmes organismes estiment que les personnes âgées de moins de 18 ans ne devraient pas travailler dans l'industrie et qu'il faut trouver des solutions appropriées.
    Et dans la pratique, voici le problème qui se pose: si nous décidons que tous les travailleurs de l'industrie du sexe qui migrent vers d'autres pays sont des victimes de la traite des personnes, il arrivera exactement la même chose que pour le projet Orphelins, dont vous vous souvenez certainement. En vertu des lois en vigueur au Canada, si vous n'êtes pas en mesure de dire que vous n'avez pas voulu venir au Canada et que vous n'avez pas voulu travailler dans l'industrie du sexe, vous ne pouvez être considéré comme une victime de la traite des personnes, et vous serez inculpé, comme l'ont été certaines personnes dans le cadre du projet Orphelins. Le projet Orphelins désigne l'enquête menée à Toronto vers la fin des années 80 et au début des années 90 qui a donné lieu à l'arrestation de bon nombre de femmes thaïlandaises et malaisiennes qui avaient été maltraitées, qui n'avaient pas été rémunérées, et qui avaient été gardées comme esclaves. Donc, dans ce cas-là, il s'agissait bien de victimes de la traite des personnes. Mais elles ont également dit qu'elles voulaient venir au Canada pour travailler dans l'industrie du sexe, afin de gagner plein d'argent et de ramener cet argent dans leur pays. Par conséquent, elles ont immédiatement été arrêtées pour avoir été présentes dans une maison de prostitution, et elles ont fini par être renvoyées en Thaïlande.
    C'est dans ce contexte que les travailleurs d'action sociale là-bas, comme « Empower » en Thaïlande, nous a accusés de les avoir renvoyées chez elles avec un blâme dans leur visa. Elles ne pourront donc plus jamais obtenir un emploi en Thaïlande. Elles ne voulaient pas qu'on les renvoie chez elles de cette façon. Elles ont été arrêtées, et vous dites que c'est une bonne façon de régler le problème de la traite des personnes?
    Voilà le problème que pose la politique actuelle dans la pratique. On finit par laisser le soin à la police -- et c'est injuste -- de déterminer qui est victime et qui ne l'est pas, quand les victimes elles-mêmes déclarent ne pas vouloir cesser nécessairement de travailler dans l'industrie du sexe. Certaines ne veulent pas y être. Il y en a vraiment un certain nombre qui ne veulent pas y être et auraient dû être secourues dans ce sens-là. En Australie, les organismes qui représentent les travailleurs de l'industrie du sexe ont déterminé, de concert avec le gouvernement, qu'il y a de nombreux travailleurs étrangers qui sont venus en Australie légalement et ont ensuite décidé de travailler dans l'industrie du sexe, qui est légale dans certaines régions de l'Australie. Il y en a d'autres -- entre 200 et 400, mettons -- qui signent un contrat afin d'être admis en Australie. Ces personnes auraient voulu travailler dans l'industrie du sexe, mais le contrat leur pose des problèmes. Et il y en a une dizaine qui n'ont pas voulu travailler dans l'industrie du sexe et qui peuvent donc être considérées comme des victimes de la traite des personnes. Mais c'est un nombre infime.

  (1230)  

    Madame Smith, il vous reste 40 secondes si vous voulez que M. Poulin...
    Oui, j'aimerais bien entendre M. Poulin là-dessus.
    Merci pour cette réponse, madame Jeffrey.

[Français]

    Je serai bref. Selon le même protocole, la Convention des Nations Unies sur la criminalité transnationale organisée qui a été ratifiée par le Canada, la question du consentement pour définir une victime de la traite n'est pas pertinente. Cette idée est toujours remise en avant par ceux qui défendent le point de vue du travail du sexe, mais la convention ne souscrit pas à cette idée de consentement, ce n'est pas de cette façon qu'on définit la traite.
    D'autre part, que veut dire « consentement »? L'âge moyen de l'entrée dans le monde de la prostitution au Canada est de 14 ans. Il est encore plus bas dans les pays du tiers monde. Peut-il y avoir consentement à 14 ans? La dernière enquête sur les personnes prostituées à Vancouver révélait que 95 p. 100 d'entre elles souhaiteraient quitter le monde de la prostitution si elles le pouvaient. La même enquête a été faite au Québec, et le taux y est de 92 p. 100.
    Le problème que nous avons, au Canada, est qu'il n'y a aucun service pour les personnes prostituées qui veulent arrêter de se prostituer. Il n'y a rien pour les aider ou pour leur permettre de compléter leurs études secondaires, car, bien sûr, la majorité de ceux et celles qui ont commencé à 14 ans n'ont pas complété leurs études secondaires. Dans ces conditions, elles continuent à oeuvrer dans l'industrie du sexe tout simplement parce que c'est ce qui leur donne des revenus. Quand vous n'avez pas de diplôme de l'école secondaire, quel revenu pouvez-vous espérer toucher sur le marché du travail? Est-ce cela, le consentement? Il n'y a pas de contrainte économique, sociale etc.
    Je vous rappelle que 80 p. 100 des personnes prostituées au Canada commencent à se prostituer alors qu'elles sont encore mineures. C'est vrai aussi pour les personnes prostituées en Thaïlande et ailleurs. Par conséquent, la question du consentement n'est pas pertinente.

[Traduction]

    Merci beaucoup. C'est très utile.
    Madame Mathyssen.
    Merci, madame la présidente.
    Je tiens à vous remercier pour votre travail et pour vos exposés.
    À mon avis, il existe un certain nombre de structures oppressives qui entraînent la réification des femmes et minent leur véritable égalité et leur autonomie économique. À votre avis, si nous habilitons les femmes en leur garantissant la sécurité économique, sera-t-il possible de surmonter l'obstacle que constituent ces structures oppressives? On nous a présenté énormément d'information ici. Mais les causes profondes de cette tragédie nous échappent-elles encore? Avons-nous négligé quelque chose d'évident, comme l'autonomie économique des femmes?

  (1235)  

    Il est évident que cette problématique se réduit à une question économique en fin de compte. Pour bien des femmes, ce genre de travail est le seul qui leur soit accessible en raison de la division du travail selon les sexes. C'est ça la réalité. Et c'est certainement ce que m'ont dit les femmes en Thaïlande. C'est également ce que m'ont dit des femmes dans les provinces maritimes, où j'ai interrogé 64 d'entre elles qui travaillent justement dans l'industrie du sexe. Elles m'ont dit que c'est le meilleur travail qu'elles puissent faire, étant donné l'argent que cela leur permet de gagner. Et cela comprend des personnes qui travaillent dans la rue. Ce n'est peut-être pas le genre de travail qu'elles auraient voulu faire en fin de compte -- pour certaines d'entre elles, oui -- mais c'est le travail qui leur permettait de gagner le plus.
    Bien entendu, plus nous réussissons à régler le problème de l'iniquité économique des femmes, moins nous nous heurterons à des problèmes comme la traite des personnes, où l'on profite de personnes qui essaient simplement de gagner de l'argent afin de trouver un meilleur emploi par la suite.
    Pour ce qui est des politiques les plus appropriées à adopter dans ce contexte, ce qu'il y a d'ironique dans les programmes de prévention et antitraite actuels, c'est que les programmes de formation professionnels dans le secteur manufacturier et autres dispensés actuellement par l'ACDI en Thaïlande et ailleurs passent peut-être un petit peu à côté, car les personnes les plus susceptibles de migrer vers d'autres pays sont les personnes qui ont tout de même certaines qualifications. Il ne s'agit pas des personnes les plus pauvres. Les personnes les plus pauvres ne quittent pas leur pays. Celles qui s'en vont un peu d'éducation et se disent qu'il existe peut-être un meilleur monde ailleurs. Voilà donc ce qu'il y a d'ironique dans la réalité actuelle.
    Quoi qu'il en soit, pour moi, des mesures globales de prévention axées sur l'aspect économique vont certainement nous permettre de nous attaquer aux difficultés que nous deux avons recensées.
    En vous écoutant, je songeais aux accords commerciaux que nous avons conclus à l'échelle internationale. Vous avez parlé du fait qu'il y a des femmes et des enfants qui travaillent comme des esclaves pratiquement pour des compagnies comme Nike, Wal-Mart et d'autres multinationales qui sont implantées ici au Canada, et qu'ils finissent par être enfermés la nuit et devenir victimes de la traite des personnes. Il me semble que nous avons certaines obligations en ce qui concerne les compagnies avec lesquelles nous acceptons de traiter et les pays avec lesquels nous concluons des accords commerciaux. Avez-vous des conseils à nous donner à ce sujet?
    À mon avis, les accords commerciaux y sont pour beaucoup. Dans un monde idéal, si l'on veut vraiment éliminer l'iniquité économique, il faut absolument s'attaquer au problème des relations commerciales. Le fait que nous ne payons qu'un infime pourcentage du coût réel d'une tasse de café est assez éloquent. Ici, nous payons 1,50 $ ou 2 00 $ la tasse de café. Donc, il faut que le commerce se fasse dans des conditions plus équitables, et qu'il y ait de meilleures conditions pour les femmes qui travaillent dans toutes sortes d'industrie, y compris l'industrie du vêtement. L'industrie du vêtement pose gravement problème, d'ailleurs. Si on estime que la traite des personnes correspond à l'exploitation des travailleurs migrants, et à leur détention dans des conditions qu'ils n'ont jamais acceptées, même s'ils ont peut-être accepté de travailler, eh bien, il convient de s'intéresser à la situation de l'industrie du vêtement au Canada. Voilà un problème qu'il faut absolument régler, et la solution passe par les accords économiques et commerciaux que nous concluons avec d'autres pays.
    Vous soulevez justement un problème que nous avons découvert en Ontario, à savoir que les nouveaux immigrants admis au Canada pour travailler dans l'industrie du vêtement sont exploités par les sous-traitants. Les autorités se sont rendu compte que ces gens-là gagnaient une misère comme travailleurs à la pièce, et qu'ils étaient littéralement prisonniers de leur employeur. Afin de régler ce problème, on a envisagé de modifier la législation du travail pour leur accorder le droit à la négociation collective et à un salaire équitable ou suffisant. Bien sûr, nous n'avons pas réussi à faire accepter ces propositions législatives. Devrions-nous par conséquent examiner notre législation du travail au Canada afin de prévoir que les femmes, les travailleurs migrants, et les personnes qui occupent ces emplois très faiblement rémunérés aient accès à la négociation collective et au genre de liberté qui va les empêcher de se retrouver dans une situation tragique?
    Et en partie, c'est ce que j'exhorte le gouvernement à faire... encore une fois, le gouvernement canadien n'a pas signé la Convention sur les travailleurs migrants, qui comporte une formule fort intéressante selon laquelle tous les gouvernements sont responsables même des travailleurs migrants sans documents et sont tenus de respecter leurs droits fondamentaux. Être migrant sans papiers pose nécessairement problème, mais si nous souhaitons que les migrants puissent régulariser leur situation et faire partie du groupe admis légalement au pays, il ne faut pas les punir; il faut plutôt les encourager.
    Donc, la Convention demande aux gouvernements signataires de prévoir les protections de base, mais si un travailleur obtient des papiers de façon à pouvoir se joindre au rang des travailleurs légaux, ils bénéficient automatiquement de protections additionnelles. Ainsi les travailleurs en situation régulière ont accès à des programmes comme l'assurance-emploi, par exemple. C'est donc une approche positive, plutôt que négative, et on les encourage ensuite à devenir membres d'un syndicat de façon à pouvoir défendre leurs droits comme travailleurs migrants.
    Encore une fois, il me semble injuste de parler uniquement de l'industrie du sexe alors que ce genre de conditions de travail abusives existent pour les travailleurs agricoles migrants; et cette situation pose gravement problème au Canada, notamment pour les travailleurs de l'industrie du vêtement, les travailleurs domestiques, qui sont surtout des femmes, et les travailleurs de l'industrie du sexe. Si nous axons toutes nos mesures sur les travailleurs sexuels en prévoyant que tous ceux qui viennent au Canada sont nécessairement victimes de la traite des personnes; on les traite tous comme des victimes qui n'ont pas voulu faire ce travail, et on les renvoie chez eux; à ce moment-là, on exclut tous les travailleurs migrants qui veulent travailler et qui veulent bénéficier de certaines protections dans leur secteur particulier.

  (1240)  

[Français]

    Excusez-moi, je crois que ne considérer la question de la traite des êtres humains et de la prostitution que sous l'angle des inégalités économiques est une grave erreur. Que la prostitution soit féminine — fillettes, jeunes femmes, femmes de tout âge — ou qu'elle soit masculine — garçons, jeunes hommes, travestis, transsexuels —, ce sont essentiellement des hommes qui utilisent les personnes prostituées. C'est un rapport social de pouvoir au profit des hommes; ce n'est pas qu'une inégalité économique.
    On peut expliquer pourquoi les pays du tiers monde sont plus exploités dans le domaine de la prostitution par les inégalités économiques, mais la prostitution ou la traite des personnes n'est pas une question d'inégalité économique, c'est une question de rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes, c'est une question d'inégalité sociale profonde entre les hommes et les femmes. Cela se traduit par des inégalités économiques, certes, mais réduire la question de la traite des êtres humains au problème économique de la migration des travailleurs du sexe signifie gommer le fait que cela profite à un système de domination masculine.

[Traduction]

    Merci, monsieur Poulin.
    Nous passons maintenant au prochain tour de questions.
    Mme Minna a cinq minutes, et elle sera suivie de M. Stanton.
    Merci.
    Je voudrais revenir sur ce que M. Poulin vient de dire.
    Bien que je comprenne et accepte l'idée selon laquelle le commerce du sexe et la prostitution des enfants et des femmes s'articulent autour du pouvoir et du contrôle qu'exercent les hommes par rapport aux femmes, et que ce n'est pas simplement une question économique, je me dis aussi qu'à la base, il s'agit bien, malgré tout, d'une question économique. Comme d'autres l'ont déjà dit, dans les pays d'Europe de l'Est, une fois qu'elles avaient accès à un emploi, elles n'avaient plus besoin de...
    Dans certains cas, elles sont venues au Canada en se disant qu'elles pourraient y travailler, mais elles ont fini par être victimes de la traite des personnes à la place et être obligées de s'adonner à cette activité, comme vous l'avez expliqué tout à l'heure. Ou alors, elles se sont peut-être dit qu'elles pourraient travailler comme danseuses exotiques parce qu'elles n'obtiendraient rien de mieux, et que cela leur permettrait de contourner les lois sur l'immigration. Autrement dit, ces personnes ne peuvent venir ici, car nos lois en matière d'immigration sont telles que les femmes originaires de certains pays, surtout si elles n'ont pas d'éducation ou de compétences particulières, ne seront pas admises au Canada pour travailler. Par conséquent, elles y entrent illégalement.
    Donc, à la base, c'est le même problème pour les femmes. Par contre, la motivation des hommes et des gens qui sont les auteurs de ce trafic est différente. Ces derniers sont cupides et sont à la recherche du pouvoir. Mais je comprends que la motivation des femmes peut être assez semblable à certains égards.
    Voilà qui m'amène à revenir sur certains éléments soulevés par Mme Jeffrey, au sujet des lois sur l'immigration. Nous savons pertinemment que nous avons besoin de travailleurs domestiques au Canada. Nous savons également qu'il nous faut des travailleurs temporaires, et qu'il nous en faudra encore davantage à l'avenir. Or nous dressons des obstacles devant les femmes qui veulent obtenir un visa d'immigrante normal, afin d'être en situation régulière et de pouvoir travailler. Au contraire nous les forçons à opter pour des situations qui ne sont pas sécuritaires et qui ne leur offrent aucune protection en vertu de nos lois canadiennes. Comme vous nous l'avez signalé, les travailleuses domestiques peuvent ne pas avoir été forcées à travailler dans une maison de prostitution, mais elles peuvent subir des sévices sexuels aux mains de leur employeur, auquel cas elles ne sont toujours pas libres même s'il s'agit d'un trafic d'un autre genre.
    Lorsque j'étais au Sri Lanka, par exemple, j'ai rencontré des femmes qui changeaient de pays tous les trois mois. Elles allaient travailler en Arabie saoudite, où elles n'arrêtaient pas de faire l'objet d'abus sexuels et d'être victimes de la traite des personnes aux mains de types qui avaient de l'argent, et ce en plus de leur travail dans les usines. Elles n'en parlaient jamais quand elles rentraient chez elles. Elles allaient travailler dans les usines parce qu'on avait besoin de femmes là-bas, et les hommes restaient à la maison pour s'occuper de la famille. Donc, pour moi, la traite des personnes n'est pas quelque chose de linéaire.
    Madame Jeffrey, pourriez-vous nous faire parvenir par écrit le nom d'organismes comme Stella que nous devrions consulter, selon vous? Je pense qu'il serait bon qu'on essaie d'en parler avec autant d'organismes de ce genre que possible.
    De plus, pourriez-vous nous dire quelles modifications nous devrions peut-être apporter à nos lois en matière d'immigration? Il semble que lorsqu'on découvre qu'une femme a été victime de la traite des personnes, il ne convient pas de l'inculper et de la renvoyer chez elle. Il nous faudrait adopter des lois qui infligent des sanctions criminelles aux hommes canadiens qui sont à l'origine de ces activités.
    Si vous prenez de la cocaïne ou autre chose, vous serez inculpé comme consommateur. Comment se fait-il que les hommes échappent aux sanctions criminelles alors qu'ils exploitent les femmes et les enfants? Il faudrait que ce soit l'inverse. Ce sont les hommes qui devraient faire l'objet de sanctions criminelles. Si les juges, les avocats et les hommes puissants qui ont recours à leurs services finissaient par voir leur nom sur l'acte d'accusation, et s'ils savaient que leur nom y figurerait et qu'ils feraient l'objet de sanctions criminelles, si les femmes connaissaient leur nom ou arrivaient à les décrire, peut-être serait-il possible de faire diminuer le niveau d'activité dans cette industrie.
    J'ai deux choses à dire à ce sujet: il faut inculper les hommes, et il faut donner aux femmes le droit de rester au Canada, au lieu de les renvoyer chez elles. Par conséquent, je me dis que ce serait tout de même utile de modifier nos lois sur l'immigration.

  (1245)  

    Madame Minna, il ne reste guère de temps pour obtenir une réponse.
    Je suis désolée de vous interrompre, mais je dois vous demander d'être brève.
    Je vais essayer.
    Le problème, c'est que vous êtes le Comité de la condition féminine. Si nous déterminons que la priorité doit être de punir les hommes ou d'examiner cette problématique dans une perspective globale, il est clair que certains changements s'imposent -- le traitement inéquitable des femmes par rapport aux hommes, l'inégalité économique, l'inégalité sexuelle, l'abus sexuel des femmes aux mains des hommes, etc.; tout cela devrait changer, mais comme nous le savons fort bien, cela risque de prendre très longtemps. Donc, au niveau global, il faut effectivement s'attaquer aux causes profondes de cette problématique. Mais à un niveau inférieur, il nous faut également nous intéresser aux aspects pratiques de notre politique. En tant que politicologue, c'est ce que j'essaie de faire.
    Par exemple, nous avons constaté que si l'on adopte une loi comme celle qui est en vigueur en Suède, qui criminalise les hommes ou quiconque achète des services sexuels, mais non la femme, eh bien, malheureusement, cette loi ne s'est pas vraiment révélé... et là je parle de l'opinion de la police. Ce sont les organismes policiers en Suède qui se plaignent de cette loi. Selon eux, elle n'a rien donné. Au lieu d'accorder plus de droits aux femmes, elle force les policiers à aller retrouver les hommes qui font appel à leurs services. Mais aucune aide supplémentaire n'est assurée aux femmes.
    Selon moi, il faut faire les deux.
    Oui, peut-être, mais dans l'exemple que je vous cite, la multiplication des descentes de police sur les établissements n'a fait qu'aggraver la clandestinité de cette activité. Les organismes d'action sociale et la police en Suède ont donc beaucoup plus de mal à présent à retrouver les instigateurs, même si on sait qu'ils sont là. Rappelez-vous que les téléphones cellulaires ont rendu le commerce du sexe pratiquement invisible.
    Donc, tout dépend des priorités qu'on décide de retenir. Et quand il s'agit de la traite...
    Je suis désolée, mais je dois vous interrompre. M. Stanton attend depuis un moment, et vous avez eu plus de cinq minutes.
    Merci, madame la présidente, et permettez-moi de remercie nos deux témoins pour leur présence aujourd'hui.
    J'ai une question à vous adresser, monsieur Poulin, et je m'excuse d'avance d'avoir à vous la poser en anglais, car mon français est

[Français]

un « travail en cours ».

[Traduction]

    D'abord, les statistiques que vous nous avez fournies sur le degré d'institutionnalisation de la prostitution dans certaines régions du monde, comme l'Allemagne -- vous nous avez également donné des chiffres pour la Thaïlande -- m'ont vraiment surpris.
    Pourriez-vous nous dire si des études ont été menées ou si vous êtes au courant de données qui permettraient peut-être d'établir un lien...? Si la prostitution s'institutionnalise à ce rythme-là dans le monde, on peut supposer que les hommes canadiens profitent également de cet accès accru à des services de ce genre. Jusqu'à quel point cette activité-là joue-t-elle un rôle dans la réification, pour reprendre le terme de Mme Minna, des femmes et des enfants dans notre société?
    De toute évidence, cette activité est en expansion. A-t-on cherché à établir un lien entre l'impact que cela peut avoir sur nos attitudes et notre culture ici au Canada? J'étais surpris de constater à quel point ce phénomène se généralise dans les pays du monde.

[Français]

    Il est difficile de le savoir. En Thaïlande, la prostitution a été institutionnalisée depuis 40 ans. On est donc plus à même d'en faire le bilan. Au cours des années 1990 et au tournant des années 2000, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, la Suisse, la Grèce, l'Allemagne et les Pays-Bas ont légalisé la prostitution en pensant que cela protégerait les femmes, en disant que cela ferait en sorte que le contrôle de la prostitution échapperait au crime organisé. Actuellement, la mairie d'Amsterdam est en train de remettre en question l'existence du Red Light District parce que les gens se sont aperçus que le contrôle du crime organisé avait été renforcé.
    Le Canada est un pays où des citoyens canadiens font du tourisme sexuel, mais il est aussi un pays qui attire les touristes pédosexuels. Les villes de Vancouver et de Toronto sont reconnues pour leurs kiddie strolls qui attirent les touristes sexuels. Il y a des journaux à Vancouver qui publient les bonnes adresses pour les touristes pédosexuels et qui sont financés par le gouvernement canadien par le biais de mesures fiscales.
    On évalue depuis quelques années les liens entre ce qu'on peut appeler la banalisation ou la normalisation de la prostitution — y compris dans notre société, notamment par des discours selon lesquels ce n'est qu'un travail comme un autre — et des phénomènes comme l'hypersexualisation des fillettes, le phénomène de la sexualisation précoce. Les liens sont donc en train d'être établis.
    Je rappelle qu'au Canada, il n'y a pas eu d'enquête sur les industries du sexe, notamment sur la pornographie et les effets de la consommation de la pornographie, depuis 1985, alors qu'il y a eu la Commission Badgley et la Commission Fraser. La pornographie a connu une explosion pendant les années 1990. Elle constitue, en quelque sorte, une forme de propagande en faveur de la prostitution. Il n'y a pas d'enquête sur les effets de sa consommation sur les personnes, et encore moins sur les jeunes. J'ai mené une enquête, qui devra être poursuivie, mais on sait déjà que les jeunes consomment de la pornographie vers l'âge de 12 et 13 ans en moyenne, soit avant même d'avoir atteint une maturité sexuelle.
    Quelle influence cela a-t-il sur leur vision du monde? Quelle influence cela a-t-il sur leur rapport au corps, leur rapport à la sexualité et sur le fait de trouver normal qu'on puisse acheter le sexe d'une femme? On n'en sait pas beaucoup encore, mais il faut effectuer des recherches à ce sujet. Évidemment, s'il s'agit d'un simple travail du sexe, on n'a pas besoin de faire de recherches là-dessus, on a seulement besoin de mieux appliquer les lois sur le travail.

  (1250)  

[Traduction]

    Très bien. Merci beaucoup. Il vous reste 13 secondes si vous voulez...
    Non, ça va. Merci.
    Très bien.
    Je ne pense pas que vous ayez le temps de commencer un tour, madame Davidson, à moins d'avoir une question très rapide.
    Premièrement, je voudrais remercier grandement nos deux conférenciers. J'ai trouvé la diffusion très intéressante.
    Monsieur Poulin, vous avez parlé du fait que nous n'avons pas vraiment de données sur la situation ici au Canada. D'abord, serait-il possible d'obtenir de telles données ou s'agit-il d'une industrie trop clandestine?
    Deuxièmement, vous avez dit qu'entre 92 et 95 p. 100 des personnes qui s'adonnent à la prostitution veulent en sortir, mais qu'il n'y a pas de stratégie leur permettant de le faire, pour ainsi dire. En quoi pourrait consister une telle stratégie?
    Donc, je vous invite à répondre à ces deux questions.

[Français]

    Oui, il est possible et facile de faire une évaluation de l'ampleur de l'industrie et du nombre de personnes prostituées au Canada, y compris des mineurs prostitués. Vous n'avez qu'à ouvrir le bottin téléphonique et vous verrez toutes les agences d'hôtesses, les salons de massage, etc., qui s'y trouvent. On sait combien de personnes travaillent dans ces agences. Il s'agit de comptabiliser cela de l'Atlantique au Pacifique. Je peux le faire pour la ville d'Ottawa, je peux le faire pour la ville de Montréal, mais je n'ai pas les moyens de faire cela tout seul pour l'ensemble du Canada. Statistique Canada pourrait mener une telle enquête. Je sais, parce que j'enseigne à des statisticiens de Statistique Canada, qu'à chaque année le projet de faire cette évaluation est remis sur la table, puis mis de côté parce que ce n'est pas une priorité. Il y a d'autres priorités, ce qui est compréhensible. Mais oui, c'est possible.
    Il existe une partie de la prostitution dite « clandestine », mais il s'agit de prostitution de rue, essentiellement. Encore là, les forces policières municipales savent très bien ce qu'il en est. Il s'agit de centraliser les informations.
    Ce qui manque au Canada, ce sont des centres de refuge pour les personnes prostituées, qu'elles soient nées au Canada ou qu'elles proviennent de l'étranger. On n'a pas de tels refuges, on n'a pas de programmes de formation professionnelle et scolaire, on n'a rien. Une personne prostituée à Gatineau ou à Ottawa qui tente de quitter la prostitution va devoir passer par des centres de désintoxication, parce que les services sociaux n'ont rien à leur proposer. Or, les personnes prostituées ne sont pas toutes intoxiquées. On a un problème parce qu'on a toujours considéré les personnes prostituées comme étant les responsables de la prostitution, et non pas comme les victimes du système de prostitution. On n'a jamais mis sur pied des services pour ces personnes. C'est la première chose. La convention de 1949 dit qu'une des choses les plus importantes à faire est de créer des services de réinsertion sociale, professionnelle, etc. En tout cas, si on ne leur offre pas ces services, elles ne pourront pas quitter la prostitution, et elles y resteront, car elles n'auront pas le choix.

  (1255)  

[Traduction]

    Merci beaucoup, monsieur Poulin.
    Je voudrais attirer votre attention sur un programme à Toronto dont vous devez connaître l'existence, qui s'appelle StreetLight. C'est moi qui ai lancé ce programme. C'était mon programme à Toronto; c'était ma façon de régler certains problèmes de la rue. Vous voudrez peut-être vous mettre en rapport avec les responsables de ce programme pour voir un peu ce qu'ils font là-bas.
    Je voudrais maintenant vous remercier tous les deux pour les informations très précieuses que vous nous avez transmises aujourd'hui. Au fur et à mesure de notre étude, nous voudrons peut-être vous inviter à revenir, ou encore nos analystes voudront peut-être se mettre en rapport avec vous pour obtenir un complément d'information. Donc, merci infiniment à vous deux pour ces données très importantes -- c'était une séance très informative aujourd'hui.
    Maintenant, pour la gouverne des membres du comité, je précise que nous avons parlé de la possibilité d'obtenir certains témoins. Mme Smith propose certaines personnes pour jeudi qui vient. Je pense également que nous devrions peut-être prendre le temps de discuter de l'opportunité ou non de limiter l'ampleur de notre étude. À mon avis, il faut absolument que les membres du comité aient l'occasion de se pencher sur cette question, car nous pourrions décider que la portée de notre étude sera très large, ou nous préférerons peut-être en réduire l'ampleur pour nous concentrer davantage sur la question de l'exploitation sexuelle. La portée de notre étude pourrait être assez importante si nous décidons d'examiner la question plus globale de l'exploitation des travailleurs migrants, qui influe sur les femmes, ou peut-être préférons-nous être plus sélectifs.
    Je propose par conséquent que nous nous réunissions de nouveau mardi à 11 heures, selon notre pratique normale si nous réussissons à faire venir un autre témoin. Mais il nous faut réfléchir à nos priorités et l'opportunité ou non de limiter le champ d'application de cette étude; peut-être pourrions-nous nous pencher sur tel aspect de la question cette fois-ci et tel autre aspect la fois suivante. Ce n'est qu'une suggestion.
    Cela vous convient-il?
    À mon avis, c'est une bonne suggestion. Si nous avons un témoin lundi, peut-être pourrions-nous réserver une demi-heure pour le témoin et une demi-heure pour notre discussion sur la façon de limiter la portée de notre étude.
    Merci.
    Merci à vous tous.

[Français]

    Madame la présidente, je constate que des motions ont été adoptées en début de journée et que je n'ai pas eu la chance de poser des questions lors du deuxième tour. Je ne serai donc plus très favorable à des motions en début de journée, parce que cela me pénalise.

[Traduction]

    Nous aurions mis fin à la réunion à l'heure normale. Normalement nous réservons les 15 dernières minutes pour traiter ce genre de questions. Donc, nous l'aurions fait soit au début, soit à la fin -- il s'agit simplement de faciliter la vie aux membres.
    La séance est levée.