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FAIT Rapport du Comité

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CONTRIBUTION AU DIALOGUE SUR LA POLITIQUE
ÉTRANGÈRE

INTRODUCTION

En janvier 2003, le ministre des Affaires étrangères a lancé son Dialogue sur la politique étrangère dans le dessein d’amener les Canadiens à débattre de l’orientation à imprimer à long terme à la politique étrangère du Canada. Le ministre a invité tous les députés à participer à ce dialogue à l’occasion d’assemblées publiques consacrées aux questions de politique étrangère. Il devait par la suite déclarer: «  les comités permanents de la Chambre et du Sénat examinent les aspects de notre politique étrangère et leurs conclusions seront intégrées à ce processus1  ». Plus tard, à l’occasion d’une séance du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce international, il devait déclarer :

… en tant que membres de ce comité, vous avez déjà contribué à ce processus, par l’entremise du rapport que vous avez présenté en décembre dernier sur nos relations nord-américaines […] je crois savoir que votre prochain rapport porte sur un sujet qui se trouve aussi au cœur du dialogue, à savoir la relation qu’entretient le Canada avec le monde musulman2.

Plusieurs ont défendu l’idée d’un examen exhaustif de la politique étrangère canadienne plutôt qu’un dialogue, plus limité. Les membres sont d’accord, et préféreraient que l’on confie un rôle plus officiel au Comité. Toutefois, le Comité se réjouit de l’occasion donnée aux parlementaires de contribuer davantage à cet exercice de dialogue. Afin de contribuer efficacement à ce processus, le Comité a convoqué plusieurs groupes de témoins qui lui ont fait part de leur point de vue expert et l’ont conseillé sur certains des événements les plus importants ayant une incidence sur le rôle que le Canada joue dans le monde ainsi que sur les questions de politique les plus urgentes auxquelles les responsables de la politique étrangère canadienne sont actuellement confrontés. Le présent rapport résume les questions abordées lors de ces réunions et présente un «  instantané  » de nos points de vue à leur sujet :

Besoin fondamental de ressources accrues pour tous les éléments de notre politique étrangère, dont la diplomatie, la défense et l’aide au développement;
Incidence, sur la marge de manœuvre du Canada et du reste de la communauté internationale, de la puissance américaine sans précédent associée à une impression de grande vulnérabilité après les attaques terroristes de septembre 2001;
Confirmation du multilatéralisme comme moyen de réaliser les objectifs de notre politique étrangère.

Par ailleurs, le Comité a réfléchi à ce qu’il croit être l’approche globale nécessaire pour parvenir à efficacement communiquer, représenter et défendre les intérêts et les valeurs du Canada à l’étranger. Bien qu’elles soient rarement débattues en public, des questions comme les liens entre notre politique étrangère, notre politique de défense et notre politique en matière de développement — ainsi que les questions de ressources humaines, organisationnelles et financières que le gouvernement fédéral a mobilisé pour formuler et mettre en œuvre ses politiques dans ces domaines — ne peuvent être exclues d’un débat sérieux portant sur le rôle que le Canada pourrait et devrait jouer dans le monde.

Nos audiences ont eu lieu dans les semaines qui ont précédé et suivi le début de l’offensive en Irak. Comme le Ministre l’a admis devant nous, la guerre a relégué au second plan le dialogue sur la politique étrangère, et a aussi fait ressortir l’importance de certains dossiers à long terme abordés dans ce rapport : changements de la politique étrangère américaine depuis les attentats du 11 septembre, et conséquences pour nos relations bilatérales avec les États-Unis et pour le système mondial. Le Comité estime que ces questions et d’autres doivent être abordées dans un examen exhaustif prochain de la politique étrangère du Canada.

CONTRIBUTION DU COMITÉ À LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE DU CANADA

En 1995, à la suite d’un examen parlementaire très poussé, le gouvernement du Canada a publié son énoncé de politique étrangère sous le titre Le Canada dans le monde, qui précise trois objectifs ou «  piliers  » : la prospérité et l’emploi; la sécurité dans un cadre mondial stable; et la projection à l’étranger de la culture et des valeurs canadiennes. Dans les années qui ont suivi, le Comité a beaucoup travaillé, notamment en tenant des audiences publiques approfondies et en adressant au Parlement certaines recommandations sur les grands éléments de la politique étrangère canadienne, notamment la réforme de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et des autres institutions financières internationales (IFI), le G-8, la politique du Canada sur l’arme nucléaire et les autres armes de destruction de masse ainsi que nos relations avec des pays ou des régions qui revêtent une importance particulière pour nous, plus récemment nos relations avec les États-Unis et le Mexique.

Le gouvernement a déposé sa réponse à chacun de nos rapports sauf au dernier, intitulé Partenaires en Amérique du Nord : Cultiver les relations du Canada avec les États-Unis et le Mexique, ce qu’il compte faire sous peu. Le Comité est d’avis qu’à l’occasion de l’actuel dialogue sur la politique étrangère, le gouvernement doit miser sur notre travail en revisitant les analyses et les recommandations que nous avons formulées dans tous nos rapports. Le Comité croit par ailleurs que son étude actuelle sur les relations entre le Canada et les pays du monde musulman contribuera énormément à alimenter un débat suivi sur l’importance des valeurs culturelles et autres dans nos relations internationales et, dès lors, à la formulation de notre politique étrangère.

LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE CANADIENNE DEPUIS 1995

Dans le document Dialogue sur la politique étrangère, le gouvernement indique ce qui suit :

L’évolution actuelle de la situation mondiale s’accompagne à la fois de nouveaux défis et de nouvelles possibilités qui nous obligent à réévaluer la façon dont nous poursuivons les objectifs de notre politique étrangère. Comme nous ne pouvons pas tout faire et être partout à la fois, nous devons nous préparer à faire des choix pour décider comment nos efforts et nos ressources pourront le mieux servir les valeurs du Canada3.

En réponse aux changements importants constatés dans le monde depuis 1995, le gouvernement doit tenir compte des enseignements, positifs comme négatifs, qu’il a tirés de sa politique étrangère canadienne depuis cette époque. La plupart des observateurs disent avoir constaté une évolution positive de la situation, notamment en ce qui concerne le rôle que le Canada a joué dans la promotion d’un concept élargi de «  sécurité humaine  », axé sur la protection des personnes dans le monde en complément de la sécurité traditionnelle de l’État. En outre, le gouvernement a cherché à parvenir à de nouveaux niveaux de coopération avec les organisations non gouvernementales (ONG) et la société civile — notamment en ce qui a trait à l’interdiction des mines terrestres antipersonnel — et, de plus en plus, avec les ministères fédéraux eux-mêmes.

Sur une note plus négative, nous craignons qu’à l’occasion de la réduction marquée des budgets des ministères fédéraux dans les années 1990, dans le cadre des efforts déployés pour éliminer le déficit fédéral, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI), l’Agence canadienne de développement international (ACDI) et le ministère de la Défense nationale (MDN) n’aient été particulièrement touchés et que les ressources consacrées à la réalisation des objectifs de notre politique étrangère soient insuffisantes. Beaucoup croient que ces réductions budgétaires, outre qu’elles ont porté atteinte à l’efficacité de notre politique étrangère, ont également amenuisé notre influence dans le monde, situation qu’il conviendra de régler à l’occasion de l’examen de la politique étrangère ou du dialogue tenu à ce sujet.

S’il est vrai que «  nous ne pouvons pas tout faire et être partout à la fois  », nous devons être là où c’est important pour faire entendre la voix du Canada et faire en sorte que nos interlocuteurs tiennent en permanence compte de nos intérêts. Ce genre de raisonnement a été tenu par plusieurs témoins, notamment par Andrew Cohen de l’Université Carleton :

Je ne saurais vous dire, en toute certitude, quel rôle le Canada devrait jouer dans le monde. Ce que je sais, c’est que nous ne sommes plus que l’ombre de nous-mêmes parce que nous avons arrêté d’investir dans nos ressources. Ce que je sais, c’est qu’une des façons d’aborder cette question serait de tenir un débat national, ce que votre comité pourrait faire en vue de faire en sorte que le Canada soit de nouveau présent dans le monde. Le moment est bien choisi; nous sommes en 2003, pas en 1993. Aujourd’hui, nous avons de l’argent, nous avons réalisé des excédents budgétaires et la question est de savoir si nous en avons l’envie.4

Le Comité est d’accord. Aucune ressource ne remplacera jamais une politique, mais sans les ressources nécessaires, il ne sera pas possible de réaliser ni les objectifs ni le potentiel de la politique. Les pages qui suivent énoncent les grands principes qui, selon le Comité, devraient guider le gouvernement dans son examen des divers éléments de la politique étrangère, mais la formulation de cette dernière devra être fondée sur la possibilité d’accéder à des moyens suffisants (ressources humaines, organisationnelles et financières). Les ressources supplémentaires doivent être destinées aux volets diplomatique et commercial du Ministère, principal instrument du développement et de la prestation de la politique étrangère du Canada, mais ne doivent pas s’y limiter. Le Comité rappelle qu’afin de réaliser les objectifs de la politique étrangère du Canada, il sera nécessaire d’augmenter et de maintenir les budgets consacrés aux principaux éléments de cette politique qui sont la diplomatie, la défense et l’aide au développement.

ÉQUILIBRER LES DIFFÉRENTS OBJECTIFS DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE

Reid Morden, ancien sous-ministre des Affaires étrangères et ancien directeur du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), a soutenu ce qui suit devant le Comité :

La mise en œuvre de la politique étrangère et de la diplomatie […] fait appel à une multitude de domaines, de relations politiques, de politiques commerciales et économiques, de questions de défense, d’identité culturelle, d’immigration […] mais, au bout du compte, ces deux aspects sont un instrument mis au service de la protection de la souveraineté nationale, étant entendu que la souveraineté est quelque chose qui se gagne ou qui se perd […] Le problème avec lequel nous sommes aux prises aujourd’hui consiste à savoir comment nous allons exercer notre souveraineté dans les limites d’une marge de manœuvre réaliste.

… un jour, Marshall McLuhan a soumis un petit test à ses étudiants. Ils devaient compléter l’amorce de phrase suivante : «  Je suis Canadien dans la mesure … Le gagnant avait écrit : «  Je suis Canadien dans la mesure du possible et dans la limite des circonstances5  ».

Les membres du Comité divergent d’avis sur certaines questions importantes, mais ils reconnaissent tous qu’en tant que nation commerçante, empreinte d’une forte tradition de multilatéralisme, le Canada doit se doter d’une politique étrangère indépendante appelée à être mise en œuvre dans un système international fondé sur des règles.

Comme nous l’avons vu, dans sa déclaration de politique étrangère de 1995, le gouvernement avait souligné les trois grands buts ou «  piliers  » de cette politique : la promotion de la prospérité et de l’emploi; la protection de notre sécurité, dans un cadre mondial stable, et la projection de la culture et des valeurs canadiennes. Gordon Smith, qui a été sous-ministre au MAECI et ambassadeur du Canada auprès de l’OTAN et de l’Union européenne, a déclaré aux membres du Comité que «  Les trois principes qui devront se retrouver dans ce document sont la sécurité, la prospérité et les valeurs […] ces trois principes devront bien sûr être équilibrés et les vrais problèmes se poseront quand il faudra faire des compromis à cet égard…6  ».

Le professeur Peter Stoett, de l’Université Concordia, a pour sa part recommandé d’apporter des changements bien précis aux «  piliers  », en abandonnant le troisième qui, selon lui, «  … pose le plus de problème, qui est le plus sacrifiable et qui est, en bout de ligne, le plus remplaçable  ». Il devait ajouter : «  Il irait à l’encontre de la diversité canadienne de soutenir qu’il existe un ensemble uniforme de valeurs, à plus forte raison un ensemble uniforme de valeurs qui détermine la politique étrangère. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que nous devrions aussi encourager l’acceptation de la diversité à l’étranger, ce qui revient, ni plus ni moins, à maintenir une politique traditionnelle en matière de droits de la personne pour promouvoir la démocratisation et la tolérance. Il est très embarrassant d’avoir besoin d’un système de “piliers” pour nous le dire  ». Il a proposé de remplacer le pilier en question par le «  développement durable  » qui englobe des thèmes recoupant l’orientation du programme de la sécurité humaine pour ce qui est de l’humanitarisme, de l’écologie et des droits de la personne7.

Peu de témoins se sont demandés ce que sont les principaux «  piliers  » de la politique étrangère canadienne, ce qui implique peut-être qu’ils sont d’accord avec Andrew Cohen pour qui «  notre temple de l’internationalisme […] devait forcément comporter autant de piliers8  ». Les membres du Comité estiment que des notions aussi omniprésentes que le développement durable et les droits de l’homme doivent présider à la politique étrangère canadienne.

COMPRENDRE ET MOBILISER LES ÉTATS-UNIS

Le professeur Andrew Mack de l’Université de la Colombie-Britannique signale la diminution globale du nombre de conflits armés dans le monde — et plus encore la réduction des coûts humains et autres qu’ils entraînent — et le fort accroissement du nombre de démocraties, depuis la fin de la guerre froide9. Depuis notre dernier examen de la politique étrangère, la puissance inégalée des États-Unis constitue l’autre changement fondamental traité dans le document Dialogue et aux audiences du Comité. Il est évident que les États-Unis jouissent actuellement d’une position dominante en qualité de seule superpuissance — et même d’«  hyperpuissance  » comme beaucoup d’observateurs les ont qualifiés — ils se sentent aussi très vulnérables à la suite des attaques terroristes du 11 septembre 2001.

Qui plus est, comme nous l’a indiqué l’année dernière Joseph Nye, professeur à l’Université Harvard et ancien secrétaire adjoint à la Défense où il était responsable de la sécurité internationale, dans un monde d’intégration et d’interdépendance accrues, malgré leur puissance militaire dominante, les États-Unis doivent encore coopérer avec d’autres pays pour faire face à des menaces transnationales de plus en plus importantes, comme le terrorisme, et pour gérer l’économie politique mondiale. Plusieurs témoins ont dit que la Stratégie américaine de sécurité nationale soulève des questions profondes concernant le droit international et le multilatéralisme pour les autres pays. John Noble, diplomate canadien à la retraite, nous a, pour sa part, indiqué que si beaucoup ont critiqué les doctrines de préemption et d’unilatéralisme contenues dans la Stratégie américaine de sécurité nationale déposée en septembre 2002, il demeure que ce document précise aussi ce qui suit : «  … les États-Unis ne pourront obtenir que très peu de résultats durables dans le monde sans la coopération soutenue de leurs alliés et amis, du Canada et de l’Europe  », ce que presque personne n’a cependant relevé. D’après M. Noble :

Cette déclaration n'a rien perdu de sa validité dans les sables irakiens ni dans notre échec à promouvoir à l'ONU une proposition de compromis au sujet de l'Irak. Autrement dit, nous allons devoir engager les États-Unis sur tout un ensemble de dossiers et nous tenir prêts à discuter de leurs préoccupations tout autant que des nôtres. Nous pourrions ainsi combiner l'engagement du Canada envers le multiculturalisme aux efforts déployés en vue d'influencer les États-Unis. Il faut prendre nos voisins au mot, les interpeller, plutôt que de sans cesse les critiquer sournoisement10.

Ce constat n’est pas sans avoir de graves conséquences sur les relations bilatérales canado-américaines et sur la coopération internationale et le multilatéralisme.

Au sujet de nos relations bilatérales, le professeur Denis Stairs de l’Université Dalhousie a rappelé au Comité que, peu après les attaques terroristes du 11 septembre aux États-Unis «  … le seul véritable impératif de la politique étrangère canadienne est de maintenir des relations de travail efficaces avec les États-Unis  ». Si les relations bilatérales sont toujours les plus importantes pour le Canada, pour des raisons économiques et autres, elles demeureront asymétriques, notre voisin étant plus importants pour nous que l’inverse. D’ailleurs, bien des témoins ont abordé la question de la marge de manœuvre dont le Canada dispose à cet égard. Il y a de grandes différences de politique étrangère, qui permettent au Canada de poursuivre des objectifs différents de ceux de son voisin. Cependant, ils ont soutenu que, si le Canada peut et doit effectivement marquer sa différence par rapport aux États-Unis quand il estime qu’il en va de son meilleur intérêt, ce genre de décision doit être prise sur la base d’un débat raisonné et informé, sans négliger le ton général de la relation bilatérale ni la façon dont nos différences sont communiquées à notre interlocuteur. Le Comité est d’accord. Cet effort doit être constant ou, comme un témoin l’a dit, cette question doit faire l’objet d’une attention «  24 heures sur 24, 7 jours sur 7, toute l’année durant  ». L’expression «  diplomatie discrète  » pourra paraître étrange à certains, mais nombre de témoins ont insisté sur le fait qu’elle continue d’être utile pour le Canada.

En décembre 2002, dans la foulée d’audiences très sérieuses tenues à l’échelle du Canada de même qu’aux États-Unis et au Mexique, le Comité a déposé un important rapport intitulé Partenaires en Amérique du Nord : Cultiver les relations du Canada avec les États-Unis et le Mexique. Ce rapport prend acte des nombreux domaines où il conviendra de resserrer la coopération trilatérale dans l’avenir, mais son contenu et ses recommandations portent surtout sur les relations canado-américaines. Le Comité ne doute pas qu’il saura guider le gouvernement dans ce domaine, puisqu’il l’exhorte à prendre au sérieux les relations trilatérales en Amérique du Nord, à consolider et à améliorer nos relations bilatérales tout en recherchant des approches trilatérales, dans la mesure du possible, en plus de lui soumettre près de 40 recommandations à cet égard.

En même temps, les développements des derniers mois, en particulier le dossier irakien, ont terni les relations canado-américaines. Cependant, ces développements viennent également appuyer plusieurs recommandations de notre rapport de décembre 2002, en particulier sur la nécessité d’accroître la représentation diplomatique et autre du Canada aux États-Unis, et de renforcer les relations entre les parlementaires canadiens et leurs homologues de l’Amérique du Nord. Les efforts doivent viser l’étoffement des mécanismes existants comme le Groupe interparlementaire Canada-États-Unis, mais nous en avons évoqué d’autres, comme des réunions conjointes des comités des affaires étrangères ou même des symposiums publics.

LE MULTILATÉRALISME

La politique étrangère canadienne est frappée au sceau du multilatéralisme —  notre diplomatie et nos politiques ayant toujours appuyé la création et le maintien d’institutions multilatérales comme l’Organisation des Nations Unies, de même que l’établissement de règles en vue de permettre la réalisation des objectifs fixés. Plusieurs témoins nous ont rappelé que les gouvernements successifs ont décidé que cette approche était la meilleure façon de réaliser les objectifs de notre politique étrangère, plutôt que simplement une fin en soi. On nous a également fait remarquer que, si le multilatéralisme demeure un élément clé de notre politique étrangère, il ne doit pas être intouchable pour autant. Comme nous l’avons vu plus haut, au fil des ans, le Comité a formulé des recommandations concernant des institutions comme l’OMC et le G-8 ou encore l’Organisation des États américains, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et le Conseil de l’Arctique. Nombre de ces recommandations —  surtout celles concernant l’OMC et le G-8 — étaient assorties de suggestions importantes en matière de réforme.

D’ailleurs, les témoignages qu’a recueillis le Comité ont surtout porté sur les conséquences que la crise iraquienne pourrait avoir sur l’Organisation des Nations Unies et, dans une moindre mesure, sur l’OTAN. Les propos de Reid Morden en sont une parfaite illustration. «  J’ai l’impression que, si nous voulons vraiment nous préoccuper d’un des aspects de nos relations multilatérales, nous devrions nous arrêter aux actuelles tensions très importantes qui secouent l’OTAN et qui pourraient devenir un événement charnière de l’histoire de l’après-Seconde Guerre Mondiale, événement qui pourrait être le retrait partiel ou complet des troupes américaines stationnées en Europe11  ».

L’essentiel des débats a porté sur les répercussions graves de la récente crise à l’ONU. Après avoir réitéré qu’il n’exprimait que son avis personnel, l’ancien ambassadeur du Canada auprès de l’ONU, Stephen Lewis, devait ajouter :

Ce qui m’inquiète, moi qui aime le multilatéralisme et qui croit en cette valeur, c’est que dans son obsession pour la paix et la sécurité le Conseil de sécurité en vienne à oublier les deux autres piliers de la Charte des Nations Unies : le développement et les droits de la personne. Ces deux éléments déterminent la façon même dont la plupart des habitants de la planète perçoivent les Nations Unies. Ils n’imaginent pas que les membres de l’ONU vont se disputer éternellement pour déterminer s’il faut aller en guerre ou pas. Pour eux, les Nations Unies ont pour mission de livrer la nourriture quand des populations en manquent désespérément. Ils voient les Nations Unies comme une organisation qui s’occupe d’immuniser les populations, d’éduquer les fillettes, de lutter contre les enfants soldats ou contre le travail des enfants, de s’occuper de tous les phénomènes de l’interaction humaine et d’administrer tous les instruments internationaux régissant les droits de la personne et qui réglementent donc le comportement humain.

… nous devons aussi nous garder de ne pas utiliser les Nations Unies, telles qu’elles sont perçues par le monde entier, comme s’il s’agissait d’une entité distincte, chargée d’intervenir dans tout ce qui ne consiste pas à régir le comportement des États membres. L’ONU est le regroupement des États nations qui la composent et il est toujours possible pour un pays comme la France ou les États-Unis, ou n’importe quel membre ayant envie d’embêter tout le monde, de bloquer le fonctionnement des Nations Unies et ce ne sera pas alors la faute de cette organisation. Ce sera celle des États membres. C’est ainsi que tourne le monde.

M. Lewis devait ajouter : «  … le Canada pourrait remplir un rôle très valable en prenant la tête d’un mouvement destiné à réaffirmer la primauté du caractère internationaliste et multilatéral des Nations Unies12  ».

Si la plupart des témoins ont soutenu que l’ONU doit demeurer l’une des fondations de notre politique étrangère, ils ont aussi reconnu qu’il faudra réformer cette institution dès que les États membres seront prêts à le faire. Comme l’a souligné le professeur Andrew Mack (directeur de la Planification stratégique auprès du secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, jusqu’en 2001), les Nations Unies ne seront jamais parfaites : «  Pour parvenir à réformer l’ONU, il faudra réformer les politiques mondiales13  ». Toutefois, même si l’ONU ne sera jamais parfaite, cela ne revient pas à dire qu’il ne sera pas possible de l’améliorer pour l’amener à être plus efficace.

Selon John Sigler :

… il est important de reconnaître que le Canada, qui connaît très bien les faiblesses et les limites des Nations Unies, a toujours essayé de renforcer cet organisme multilatéral et d’aider à le restructurer de manière à le rendre plus efficace. Le rôle récent joué par le Canada au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies en vue d’essayer de réconcilier les principales divergences au sein des cinq membres permanents correspond à ce qu’il fait depuis très longtemps […] c’est-à-dire rapprocher les deux camps plutôt que prendre parti. Ce qu’il faut faire maintenant, c’est continuer de travailler avec une vaste coalition de personnes animées des mêmes idées pour trouver des moyens de rapprocher les deux camps …14

Selon lui, la crise actuelle pourrait finir par convaincre les États membres qu’il faut donner suite à plusieurs suggestions de réforme de l’ONU, notamment à la série de recommandations «  extraordinairement sérieuses  » formulées par le Comité canadien du 50e anniversaire des Nations Unies. La plus grande difficulté d’ordre pratique sera celle du pouvoir de veto des membres permanents du Conseil de sécurité. Même là, Andrew Mack estime qu’il sera possible de changer les choses : «  … les discussions vont bon train […] pour faire en sorte que les États membres, les États P5, n’utilisent leur veto que dans des situations qui sont vitales pour leurs intérêts nationaux et à condition qu’ils expliquent les raisons de leurs décisions. Cela constituerait une véritable amélioration15  ».

De façon plus générale, Andrew Cohen a souligné que le rapport novateur (La responsabilité de protéger) d’une commission internationale indépendante, établie par le Canada, sur la souveraineté des États et l’intervention humanitaire, doit encore être étudié comme il se doit par les instances onusiennes. Selon lui, le Canada a un mot à dire sur cette question. Les membres conviennent que les Nations Unies doivent demeurer un fondement de notre politique étrangère. En outre, le gouvernement doit intensifier ses efforts pour encourager et réaliser une réforme profonde de l’ONU, afin qu’elle joue un rôle central dans les affaires du monde.

LES TROIS PILIERS DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE

La sécurité

Les attaques terroristes de septembre 2001 ont donné lieu à un regain d’intérêt pour la sécurité, puisque cette question, qui était la deuxième des trois priorités de l’énoncé de politique étrangère de 1995, est passée en première place dans le document sur le dialogue de janvier 2003. Du point de vue pratique, la réaction du gouvernement du Canada à l’impression de plus grande vulnérabilité que ressentent les Américains après ces attaques, a consisté à consacrer nettement plus de ressources aux activités de renseignement et de sécurité à la frontière et à négocier un accord de frontière intelligente avec son voisin.

Le renseignement, le maintien de l’ordre et d’autres types de collaboration portent davantage fruit dans le combat contre le terrorisme que la coopération militaire. Le Comité a d’ailleurs formulé plusieurs recommandations en vue d’inciter le Canada à renforcer sa capacité sur ce plan, notamment par la création d’un comité du Cabinet sur la sécurité nationale et d’un comité permanent de la Chambre des communes de la sécurité et du renseignement. À cause de cette insistance accrue accordée aux questions de sécurité, on a assisté à une augmentation des critiques relatives au sous-financement des Forces canadiennes, situation dont l’actuel ministre des Finances a pris acte quand il était ministre des Affaires étrangères. Dans son rapport de décembre 2002, Partenaires en Amérique du Nord, le Comité reconnaît la contribution importante des Forces canadiennes dans la réalisation de nos objectifs de politique étrangère et demande au gouvernement de «  s’engager à augmenter substantiellement le budget du ministère de la Défense nationale et à lui assurer un financement stable pendant plusieurs années16  ». Le budget de 2003 prévoit effectivement des augmentations budgétaires pour la défense nationale, mais les témoins qui ont comparu devant le Comité se sont tous entendus pour dire qu’il fallait plus d’argent encore.

Outre fournir des ressources, le gouvernement doit également agir pour accroître l’efficacité des forces militaires canadiennes. Au niveau le plus large, il faudra soit augmenter l’effectif — option favorisée par la plupart des membres — soit réduire les demandes auxquelles on répond. En outre, il faut améliorer la capacité de déploiement rapide dans les zones de conflit. Cela peut signifier simplement un accès rapide au transport adéquat, mais la question peut être abordée à un niveau plus général. John Sigler a souligné qu’«  au sein même des Forces armées canadienne, nous avons pu voir d’importants changements dans la formation et les déploiements. On insiste en effet sur le travail avec les organismes d’aide humanitaire et d’aide au développement, qu’ils soient officiels et non gouvernementaux17  ». Les alliés de l‘OTAN ont convenu de poursuivre la transformation de leurs forces pour en accroître la capacité, et le Canada a fait beaucoup de travail avec la Norvège, les Pays-Bas et d’autres pays pour développer des «  forces de réaction rapide  ». Le Comité estime que le gouvernement devrait continuer d’accroître la capacité de nos forces militaires. Il faudra tenir compte de ces questions lors de l’étude de la politique étrangère canadienne que nous préconisons.

Enfin, le rapport du Comité de 1997, Le Canada et l’univers circumpolaire : relever les défis de la collaboration à l’aube du XXIe siècle explorait les enjeux sociaux, environnementaux, scientifiques et autres des pays circumpolaires, tout en reconnaissant les souverainetés et les questions de sécurité. En plus de recommander que le gouvernement réaffirme sa revendication de souveraineté sur l’archipel arctique canadien, et qu’il «  envisage la possibilité d’avoir recours à d’autres mécanismes techniques et voies diplomatiques pour faire valoir sa position en matière de souveraineté18  ». Une façon de renforcer la revendication des eaux arctiques, c’est d’accroître notre présence militaire dans le Nord, solution peut-être plus à propos aujourd'hui qu’en 1997, dans le contexte des conséquences du réchauffement climatique et des besoins énergétiques.

Les discussions qui ont eu lieu au cours des deux dernières années ont souligné la nécessité de maintenir des forces militaires suffisantes, outre qu’elles ont porté sur les dangers des armes nucléaires, chimiques et biologiques. Dans son rapport de 1998, intitulé Le Canada et le défi nucléaire, le Comité reconnaissait que, s’il convient effectivement de renforcer le Traité de non-prolifération nucléaire ainsi que les autres mécanismes internationaux visant à lutter contre la prolifération de ce genre d’armes, la communauté internationale doit continuer de travailler dans le sens d’une réduction progressive et de l’élimination ultime de ce genre d’armement.

Dans son rapport de juin 2002, publié avant le Sommet de Kananaskis sous le titre Assurer le progrès de l’Afrique et du reste du monde : rapport sur les priorités canadiennes en vue du Sommet du G-8 de 2002, le Comité formule plusieurs recommandations en vue de prévenir le terrorisme nucléaire, notamment par le biais d’un accroissement du financement consenti à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ainsi que par la récupération et l’élimination de matières fissiles en Russie et dans d’autres pays. Lors du sommet, les pays du G-8 ont fait d’importantes annonces à ce sujet et, s’il reste encore beaucoup à faire, il convient déjà de reconnaître que ce genre de coopération est indispensable. Nonobstant le conflit indo-pakistanais, la crise nucléaire la plus immédiate est sans doute celle qui menace dans la péninsule coréenne. Les membres on accueilli avec soulagement la décision du gouvernement de la Corée du Nord de s’engager dans des pourparlers multilatéraux visant à désamorcer la crise, mais notent que ses provocations influeront sur d’autres débats, comme sur celui de la défense antimissiles.

Outre qu’elles nous ont rappelé la nécessité d’accroître les ressources des Forces armées canadiennes et de continuer à lutter contre la production et la prolifération des armes de destruction massive par le biais de la coopération multilatérale, les 10 dernières années nous ont aussi rappelé l’importance qu’il y a de tenir compte des aspects non militaires de la sécurité. Andrew Mack, de l’Université de la Colombie-Britannique, est d’avis que cette décennie d’expérience et de recherches a prouvé qu’il était important, pour le Canada et les autres pays, de continuer à favoriser des «  politiques orientées sur la sécurité humaine  », comme la négociation de la paix, la reconstruction après les conflits, l’appui à la démocratisation et à la bonne gouvernance, la réforme du secteur de la sécurité et l’instauration de mécanismes de justice transitoires. Le grand défi consiste surtout à continuer de resserrer la coopération entre les ministères fédéraux œuvrant dans le domaine des affaires étrangères. Comme le ministre des Affaires étrangères l’a déclaré au Comité, le gouvernement a réagi à cette situation et qu’il «  … travaille à sa propre manière à renforcer les capacités du Canada en matière de politique étrangère, en améliorant la planification et la coordination entre les nombreux ministères dont les activités touchent aux affaires internationales19  ». La ministre de la Coopération internationale a été plus précise encore en stipulant ce qui suit aux membres du Comité : «  Je me suis entretenue dernièrement avec mes collègues du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et du ministère de la Défense nationale en vue de travailler en plus étroite collaboration. Nous visons à articuler nos interventions autour de ce que l'on appelle les « trois D »: la diplomatie, la défense et le développement20  ».

Tout aussi valable que soit le concept de sécurité humaine, le terme lui-même a plutôt prêté à la controverse ces dernières années parce que certains l’associent à une négligence de la sécurité, prise au sens traditionnel du terme, et à un défaut de financement de la politique étrangère. Les membres du Comité se sont accordés sur le fait que la politique étrangère doit traiter de tous les aspects de la sécurité, et seule l’action du gouvernement quant aux ressources consenties et à l’amélioration de la coordination pourra dissiper cette perception.

La prospérité

Le Canada est la septième nation commerçante du monde, comme Reid Morden l’a signalé : «  nos intérêts commerciaux […] nous amènent à prendre des décisions à trois niveaux en matière de politique étrangère : au niveau bilatéral avec les États-Unis, au niveau régional avec l’ALENA et sans doute un jour dans le cadre de la zone de libre-échange des Amériques, et au niveau mondial et multilatéral par le truchement de l’Organisation mondiale du commerce  »21. Le Comité, dont le mandat porte autant sur le commerce international que sur les affaires étrangères, a fait un travail considérable dans tous ces domaines : il a examiné la question de l’OMC à l’occasion de deux rapports22, celles de la ZLEA et des relations commerciales dans les Amériques dans deux autres rapports23, et celle de l’ALENA ainsi que des relations canado-américaines dans Partenaires en Amérique du Nord, qui a été déposé en décembre 2002 et qui a, depuis, été traduit en espagnol et distribué aux États-Unis et au Mexique.

Le volume des échanges commerciaux avec les États-Unis a considérablement augmenté depuis notre dernier examen de la politique étrangère. Il représente maintenant 87 % de toutes les exportations canadiennes et environ 35 % de notre PIB. Cette relation économique est et demeurera le fondement de la prospérité économique du Canada. Le gouvernement continue d’intervenir au niveau de l’OMC pour libéraliser les règles de commerce à l’échelle mondiale. Beaucoup sont d’avis qu’il le fait aussi pour essayer d’amener les États-Unis (et d’autres pays) à utiliser moins fréquemment les recours commerciaux, puisqu’il n’a pas réussi à obtenir d’exemption contre ce genre de pratique, pas plus dans l’Accord de libre-échange canado-américain que dans l’ALENA. Toutefois, le gouvernement s’est fixé comme priorité de se concentrer sur nos liens économiques avec les États-Unis et de consolider les gains réalisés dans le passé tout en cherchant à les améliorer chaque fois que c’est possible. Dans son rapport de décembre 2002, le Comité formule plusieurs recommandations à cet égard.

Bien que John Noble et d’autres aient souligné que la géographie ainsi que d’autres facteurs font obstacle à la diversification à grande échelle des marchés clients du Canada, le Comité croit que nous devons nous montrer plus dynamiques dans le développement de nouveaux marchés. Pour cette raison, son sous-comité du commerce international, des différends commerciaux et de l’investissement a étudié des façons de renforcer nos relations commerciales avec l’Europe et les pays d’Amérique latine24, et il est en train de faire la même chose pour les pays d’Asie-Pacifique.

Les valeurs

Qu’elles doivent constituer ou non un «  pilier  » distinct, tous les témoins s’entendent sur le fait que les valeurs que partagent les Canadiens doivent continuer d’alimenter tous les aspects de notre politique étrangère. De son côté, le professeur Stoett a souligné que des valeurs comme les droits de la personne, la démocratie et la bonne gouvernance sont répandues, mais d’autres ont indiqué que le grand point fort du Canada, le pluralisme, l’est beaucoup moins. Dans son témoignage, John Sigler a cité l’Aga Khan, qui, en 2002, affirmait :

Le Canada est actuellement la société la plus pluraliste de la planète […] c’est là un trait unique au Canada et un incroyable atout pour l’humanité. C’est incroyable ce qu’on peut accomplir quand on y met le soutien économique, les services sociaux, le dialogue, le rapprochement au sein de la communauté et l’accord sur l’espoir dans l’avenir plutôt qu’un regard désespéré sur le passé25.

Beaucoup croit que l’expression la plus directe des valeurs du Canada en matière de politique étrangère est l’aide au développement. De nombreux témoins ont parlé de cet aspect, à la fois d’un point de vue qualitatif et d’un point de vue quantitatif. La ministre de la Coopération internationale a indiqué aux députés : «  Soyez en convaincus, je ne manquerai pas de faire valoir les arguments voulus afin que la coopération et le développement demeurent un pilier central de notre politique étrangère. Mais cela ne devrait pas être une tâche difficile. Tous les sondages nous indiquent que les Canadiens veulent contribuer à corriger les inégalités flagrantes que l’on observe aujourd’hui à l’échelle mondiale26  ».

Le mandat de l’ACDI consiste à appuyer le développement durable afin de réduire la pauvreté et de contribuer à un monde plus sûr, plus équitable et plus prospère. À cette fin, il doit souvent œuvrer dans un contexte de conflits, de corruption, et de capacité insuffisante sur place. Les crises imprévues exigeront toujours une intervention humanitaire et autre, et notre sous-comité des droits de la personne et du développement international se penche actuellement sur la crise humanitaire en Afrique. Mais, comme nous l’a dit récemment un responsable de l’ACDI, quand il y a aide humanitaire, c’est que le développement a échoué. Si le développement avait réussi, nous n’aurions pas besoin d’aide humanitaire. Voilà une importante mise au point27.

Gordon Smith, qui préside également le Conseil des gouverneurs du Centre de recherches pour le développement international, abonde dans le sens des approches à long terme et soutient qu’il faut accroître la capacité des pays en développement : «  … outre que la chose est moralement discutable, il est maintenant presque impossible d'être bien nourri dans un monde qui a faim, d'être en bonne santé dans un monde malade et d'être riche dans un monde où règne la pauvreté28  ».

L’aide canadienne au développement peut effectivement changer les choses mais des témoins ont laissé entendre que l’ACDI était aux prise avec le pire des deux mondes. D’un côté, elle manque de ressources. Bien qu’il ait accepté l’objectif international d’APD équivalente à 0,7 % du PIB, comme l’avait recommandé Lester Pearson il y a plus de 30 ans, le Canada ne s’est jamais approché de cet objectif et il se classe maintenant parmi les bailleurs de fonds les moins généreux de l’OCDE. D’un autre côté, l’ACDI continue d’apporter une aide à une centaine de pays.

Ces dernières années, nous avons assisté à une amélioration des ressources consacrées à la reconstruction et à une meilleure focalisation des efforts déployés même si, d’après certains témoins, il reste encore beaucoup à faire. Le gouvernement a maintenant décidé de doubler son budget d’aide d’ici 2010. S’il s’agit d’une bonne nouvelle, le Conseil canadien de coopération internationale estime tout de même qu’au taux actuel d’augmentation du financement, il faudra attendre 2040 pour atteindre l’objectif de 0,7 % du PIB. En mars 2003, la ministre de la Coopération internationale a précisé au Comité :

Le Canada a indiqué qu’il entendait, pour le moins, continuer d’augmenter son budget d’aide à raison de 8 % par an. C’est une bonne nouvelle. Dépassera-t-il cet objectif? Cela dépendra bien évidemment de la volonté des Canadiennes et des Canadiens […] de l’efficacité dont nous serons capables dans la limite des budgets actuels […] Je suis convaincue que nos budgets d’aide auront plus que doublé d’ici 2010.

Dans son rapport de juin 2002 sur le progrès en Afrique, le Comité affirmait que le Canada devrait encourager ses partenaires du G8 à accroître substantiellement leur aide au développement en Afrique, et proposait un calendrier réaliste pour atteindre la cible de 0,7 %29.

S’agissant de la focalisation de ses efforts, en 2000, l’ACDI annonçait quatre priorités en matière de développement social : la santé et la nutrition, le VIH/sida, l’éducation de base et la protection de l’enfance, l’égalité des sexes étant un thème commun à ces quatre priorités. En 2002, il énonçait de nouvelles politiques visant à améliorer l’efficacité de notre aide au développement, notamment le déliement de l’aide, le resserrement de la coopération avec les bailleurs de fonds et le début de l’augmentation des ressources destinées aux pays qui pratiquent une bonne gouvernance et utilisent leurs propres ressources au service du développement. Si le ministre a affirmé au Comité qu’il ne s’agissait «  que d’un début  », plusieurs témoins ont réclamé un changement plus fondamental, comme une nette réduction du nombre de pays assistés ou une augmentation du soutien accordé à certaines régions.

Parlant du VIH/sida, Stephen Lewis nous a déclaré que cette maladie pandémique «  … éclipse tout ce que nous avons connu dans l’histoire humaine30  » quant à ses conséquences et, même si nous savons comment l’enrayer, aucun pays — surtout pas parmi les membres du G-8 — n’a décidé de prendre les rênes en main sur la scène internationale. Selon lui, le Canada devrait augmenter très nettement son niveau d’engagement envers le nouveau fonds mondial onusien de lutte contre le sida, la tuberculose et la malaria et se faire le champion de cette cause à l’échelle internationale en exhortant les membres du G-8 et d’autres pays à l’imiter.

Le Comité se réjouit à la fois de l’orientation beaucoup plus claire que le gouvernement entend donner à l’aide canadienne au développement et de son engagement à doubler son budget d’aide d’ici 2010; il estime cependant qu’il faut faire plus encore et se joint à l’appel unanime des témoins pour une augmentation substantielle du budget de développement. Les récentes décisions sont autant de pas dans la bonne direction, mais le gouvernement devrait continuer de se servir des ressources de l’ACDI, promouvoir la bonne gouvernance et le développement des capacités, et enfin s’engager à hausser l’aide au développement afin de parvenir le plus vite possible à l’objectif de 0,7 %. Le Comité est également d’accord avec Stephen Lewis qu’un domaine où le Canada pourrait faire une vraie différence, c’est en menant le combat mondial contre le VIH-sida, la tuberculose et la malaria.

TRANSPARENCE, REDDITION DE COMPTES ET LEADERSHIP POLITIQUE

Enfin, si plus de ressources et une meilleure coordination entre les ministères concernés s’imposent pour que notre politique étrangère traduise efficacement les valeurs des Canadiens, cela ne suffira pas à s’assurer que cette politique tiendra compte des avis de nos concitoyens et qu’elle bénéficiera de leur confiance à long terme. Depuis 1995, nous assistons à une augmentation positive du niveau de consultation publique à propos de la politique étrangère, surtout avec les ONG. Pourtant, en qualité de représentants élus de la population, les parlementaires sont investis d’une mission unique : ils doivent démarcher les Canadiens, communiquer avec eux et évaluer leur point de vue ainsi que celui du gouvernement. Au fil des ans, le Comité a certes joué un rôle sur ce plan, par exemple à l’occasion de ses audiences publiques et, plus officiellement, en instituant la comparution annuelle devant lui de l’ambassadeur du Canada pour le désarmement, et en recommandant — avec succès — la tenue de consultations annuelles entre le gouvernement et la société civile au sujet des politiques concernant l’arme nucléaire et les autres armes de destruction de masse.

Toutefois, les consultations ne sont pas une panacée et elles peuvent cacher d’autres problèmes pour ne pas dire qu’elles risquent d’en créer. Annette Hester, directrice du Latin American Research Centre de l’Université de Calgary, nous a signalé que, si le gouvernement du Canada consulte maintenant beaucoup plus dans le domaine de la politique étrangère, il le fait sans pour autant assurer un financement de base à la recherche universitaire, à l’éducation et à la formation par le truchement d’un processus fondé sur des règles :

… cela s’est fait sans qu’aucun fonds n’ait été alloué à la recherche dans ce domaine. Dans l’immédiat, c’est la qualité et la quantité des exposés pouvant être faits devant les différentes tribunes qui sont grandement compromises. À plus longue échéance, on risque de se retrouver avec toute une génération qui n’aura pas appris à raisonner sur la position stratégique du Canada mais à qui on demandera un avis sur la question. Inutile de dire que c’est la porte ouverte aux interventions intempestives des groupes d’intérêts spéciaux qui pourront faire dévier l’opinion avec le risque éventuel d’une polarisation de l’opinion publique qui sera mal informée31.

L’un des éléments fondamentaux pour conserver l’appui et la confiance des Canadiens dans le cas de la politique étrangère consistera à améliorer la transparence dans la formulation et la mise en œuvre de cette politique. Le Canada a assumé un rôle de premier plan à cet égard à l’échelle internationale, par exemple en convainquant ses partenaires de la ZLEA de publier l’ébauche du texte. Malgré tout, la transparence à l’échelle internationale seulement ne suffit pas.

Reid Morden a déclaré au Comité : «  …vous pouvez revoir et réécrire la politique étrangère dans la limite de votre marge de manœuvre, mais vous ne retrouverez pas le respect que ce pays a, je crois, gagné dans ses relations internationales sans un certain engagement, une constance dans le propos et sans le leadership politique qui est le plus important32  ». Les membres du Comité ont pris bonne note de la responsabilité des parlementaires qui doivent encourager un débat informé dans ce domaine et qui doivent y participer. Il demeure que le gouvernement est tenu, pour sa part, de continuer à améliorer la transparence.

Les consultations devront être combinées à un examen parlementaire permanent afin de s’assurer que les responsables de la politique étrangère continuent de rendre des comptes aux Canadiens, par la voix de leurs représentants élus. Cette forme de reddition de comptes est plus nécessaire que jamais, à une époque où la mondialisation s’accélère et se fait beaucoup plus sentir sur la capacité des États nations — le Canada tout autant que les autres — de décider, seuls de leur côté, de leur politique et de leur programme. Voilà pourquoi ce comité favorise le dialogue avec les Canadiens sur les questions de politique étrangère et qu’il a décidé de ne pas se limiter au travail en cours pour contribuer au processus de dialogue du gouvernement. Pour favoriser l’exercice du contrôle parlementaire dans ce domaine, il conviendrait que le ministre des Affaires étrangères comparaisse devant le Comité dès que possible afin de s’entretenir avec lui des résultats et des conséquences de l’exercice de dialogue.

NÉCESSITÉ D’UNE RÉVISION DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE

Engager les Canadiens dans un dialogue sur la politique étrangère est certes un exercice valable, mais le Comité estime qu’un examen exhaustif et transparent de notre politique étrangère demeure essentiel. Nous avons déjà traité de plusieurs sujets devant faire partie de cette révision. Les audiences ont souligné la nécessité d’en analyser plusieurs de façon détaillée : les conséquences de la guerre en Irak, tant sur les relations canado-américaines que sur les fondements du droit international et des institutions multilatérales comme les Nations Unies; les conséquences de la Stratégie américaine de sécurité nationale de 2002; l’avenir de l’aide officielle au développement; la défense antimissiles; les moyens de mieux intégrer les trois D de la diplomatie canadienne : diplomatie, défense, développement.

Reid Morden a eu bien raison d’affirmer : «  ce monde a beaucoup plus d’influence sur nous que nous pouvons en avoir sur lui33  ». Toutefois, moyennant un financement adapté, un appui généralisé et davantage de transparence, la politique étrangère canadienne permettra non seulement de servir les intérêts des Canadiens dans ce contexte, mais elle nous permettra peut-être d’aller plus loin.


1Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, Dialogue sur la politique étrangère, Ottawa, 2003, p. 2.
2Témoignages, séance no 25, 25 mars 2003.
3Dialogue sur la politique étrangère, p. 3.
4Témoignages, séance no 25, 25 mars 2003.
5Témoignages, séance no 31, 10 avril 2003. Selon Peter Gzowski, cette phrase provenait d’un auditeur de la CBC.
6Témoignages, séance no 26, 27 mars 2003.
7Témoignages, séance no 25, 25 mars 2003.
8Ibid.
9Témoignages, séance no 31, 10 avril 2003.
10Témoignages, séance no 26, 27 mars 2003.
11Témoignages, séance no 31, 10 avril 2003.
12Témoignages, séance no 27, 1er avril 2003.
13Témoignages, séance no 31, 10 avril 2003.
14Témoignages, séance no 23, 18 mars 2003.
15Témoignages, séance no 31, 10 avril 2003.
16Partenaires en Amérique du Nord : Cultiver les relations du Canada avec les États-Unis et le Mexique, décembre 2002, p. 115.
17Témoignages, séance no 23, 18 mars 2003, p. 94.
18Le Canada et l’univers circumpolaire : relever les défis de la collaboration à l’aube du XXIe siècle, 1997, p. 92.
19Témoignages, séance no 25, 25 mars 2003.
20Témoignages, séance no 24, 20 mars 2003.
21Témoignages, séance no 31, 10 avril 2003.
22Le Canada et l’avenir de l’Organisation mondiale du commerce : Pour un programme du millénaire qui sert l’intérêt du public (1999) et Pour un nouveau cycle de négociations efficace à l’OMC : Les grands enjeux du Canada (2002).
23La Zone de libre-échange des Amériques : Pour un accord qui sert les intérêts des Canadiens (1999) et Renforcer les liens économiques du Canada avec les Amériques (2002).
24Traverser l’Atlantique : Élargir les relations économiques entre le Canada et l’Europe (2001).
25Témoignages, séance no 23, 18 mars 2003.
26Témoignages, séance no 24, 20 mars 2003.
27Sous-comité des droits de la personne et du développement international, Témoignages, séance, no 5, 8 avril 2003.
28Témoignages, séance, no 26, 27 mars 2003.
29Assurer les progrès de l’Afrique et du reste du monde : Un rapport sur les priorités canadiennes en vue du sommet du G8 de 2002, 2002, p. 16.
30Témoignages, séance no 27, 1er avril 2003.
31Témoignages, séance no 29, 8 avril 2003.
32Témoignages, séance no 31, 10 avril 2003.
33Ibid.