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FAIT Rapport du Comité

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CHAPITRE 5 : PRIORITÉS DU CANADA POUR
LA PROMOTION DE SES RELATIONS
BILATÉRALES ET TRILATÉRALES EN
AMÉRIQUE DU NORD

5.1 Introduction

Le présent chapitre compte trois grandes sections. La première porte sur une question qui fait depuis longtemps l’objet de l’attention du Canada : les difficultés particulièrement importantes de la gestion de ses relations bilatérales avec les États-Unis. Cependant, dans le contexte plus général de l’élaboration d’une dimension nord-américaine de la politique étrangère du Canada, le Comité estime qu’il serait aussi dans l’intérêt du Canada, à long terme, de nouer des relations plus étroites avec le Mexique et d’étudier sérieusement la possibilité d’instaurer des formes trilatérales de partenariat. Ces deux derniers volets forment la substance des deux autres parties du chapitre.

Avant d’entrer dans ces divers sujets, il convient de souligner que la réalité nord-américaine oblige à aborder la question des relations bilatérales et trilatérales multiples à plusieurs niveaux. Marc Lortie, sous-ministre adjoint (Amériques) au MAECI, explique : « L’Amérique du Nord tient en réalité à quatre relations : trois bilatérales et une trilatérale (Canada-États-Unis; Canada-Mexique; États-Unis-Mexique et Canada-Mexique-États-Unis). La relation Canada-Mexique est la moins connue. Elle croît, mais doit être entretenue. Elle mérite son propre espace de croissance. Il ne faut pas considérer les relations trilatérales comme une solution de rechange à la relation Canada-États-Unis ou Canada-Mexique, mais bien comme une relation qui vient enrichir les autres et les appuyer1. »

Parallèlement, il est indéniable que la relation Canada-États-Unis l’emporte sur les autres en importance et comporte des éléments que le Canada devra prioritairement gérer sur le plan bilatéral. George Haynal, le prédécesseur de M. Lortie, a présenté la chose dans les termes suivants : « Il importe de bien distinguer entre un projet nord-américain et un projet canado-américain, tout comme il est très important pour le Mexique de comprendre ce qu’est un agenda nord-américain et un agenda mexicain […] au fur et à mesure que ce discours progresse, il importera de plus en plus d’introduire la dimension nord-américaine, mais sans la confondre avec le problème fondamental pour nous, qui est de bien gérer notre relation avec les États-Unis, une question de survie. Si nous ne gérons pas bien cette relation, tout le reste importera peu2. »

Le monde des affaires ainsi que l’ancien négociateur commercial du Canada et conseiller en matière de stratégie, Michael Hart, pour ne nommer que ceux-là, souscriraient très certainement à cette évaluation. Le Comité craint toutefois qu’insister d’abord sur les relations bilatérales du Canada avec les États-Unis ne lui fasse négliger les dimensions Canada-Mexique et trilatérales des relations nord-américaines. La force de l’habitude amène souvent à accorder tellement d’attention à la relation Canada-États-Unis qu’on oublie ces autres dimensions ou on n’y pense qu’après coup. Par exemple, la Chambre de commerce du Canada n’a fait nulle part mention du Mexique dans son mémoire écrit. Lors des témoignages de vive voix, Robert Keyes, vice-président de la division internationale de la Chambre, a dit que celle-ci avait institué, pour examiner les problèmes découlant de l’ALENA, un « groupe de travail trilatéral » qui comptait aussi des membres mexicains et américains, mais il a indiqué que le groupe avait par la suite été abandonné et que c’était surtout dû au manque d’intérêt des Américains. Alexander Lofthouse, analyste des politiques de la Chambre de commerce, n’en a pas moins reconnu d’emblée la pertinence d’un travail trilatéral dans certains dossiers précis, lorsqu’il a fait la déclaration suivante :

[…] à mon avis il ne faudrait pas l’envisager sous l’angle d’une alternative : une entente bilatérale ou une entente trilatérale. Les progrès ne seront pas les mêmes sur tous les dossiers en même temps. L’expérience européenne est vraiment instructive sur ce plan. […] En Europe ils ont un concept d’intégration modulée en vertu duquel les partenaires ne sont pas tous intégrés de la même manière et en même temps. […] L’Accord de Schengen sur les frontières intérieures : ils n’en font pas tous partie parce qu’ils ne sont pas tous prêts.

Je crois qu’on pourrait envisager la même chose pour le Canada, les États-Unis et le Mexique. Il y a certains dossiers sur lesquels nous pouvons travailler sur une base trilatérale, comme c’est déjà le cas pour la réduction des tarifs douaniers, les politiques d’investissement et ainsi de suite. Mais dans d’autres dossiers, comme par exemple les mesures de sécurité à la frontière ou la circulation des personnes, on ne peut pas procéder de cette façon. Il ne faut pas s’en faire, car nous parlons ici de trois pays très différents qui fonctionnent dans trois contextes très différents.

En conséquence, s’il y a des dossiers sur lesquels il est préférable de travailler bilatéralement — le Canada et les États-Unis, ou d’ailleurs pourquoi pas, les États-Unis et le Mexique —, qu’il en soit ainsi. Je pense que nous pouvons construire cet espace économique trilatéral tout en réglant les problèmes de certains dossiers sur une base bilatérale. Je ne pense pas que les deux soient mutuellement exclusifs3.

Il y aurait aussi lieu d’éviter une approche trop étroite ou exclusive pour des raisons de politique étrangère au sens large. Tout comme George MacLean l’avait dit à Winnipeg, Brian Stevenson, vice-président de l’université de l’Alberta, a expliqué, à Edmonton, que le Canada pourrait progresser considérablement vers l’atteinte de ses buts multilatéraux dans l’hémisphère en concluant des arrangements régionaux et des arrangements trilatéraux, comme l’ALENA, et que lui et le Mexique pourraient apprendre beaucoup de leur « relation collatérale » respective avec leur voisin commun. M. Stevenson a fait valoir que « les deux situations les moins souhaitables sont des relations bilatérales asymétriques d’une part et des relations multilatérales tout à fait universelles d’autre part. […] elles doivent toutes deux être complétées par un éventail d’options intermédiaires en matière de multilatéralisme et même certaines relations bilatérales stratégiques. Notre menu d’options politiques doit être large, mais il doit commencer par l’Amérique du Nord4. »

Laura Macdonald, de l’université Carleton, selon qui il apparaissait de plus en plus clairement que l’avenir du Canada, « que nous le voulions ou pas, est en Amérique du Nord », a signalé qu’il existait des indices d’une « trilatéralisation inévitable de questions auparavant bilatéra[les] », ajoutant que, sur le « plan politique, les décideurs de Washington auront beaucoup de mal à justifier le fait d’accorder un traitement plus particulier au Canada qu’au Mexique ». Comme elle l’a expliqué, « l’engagement canadien envers l’Amérique du Nord et en faveur d’une authentique relation trilatérale avant le 11 septembre était plutôt tiède. Les relations bilatérales canado-américaines se sont resserrées après le 11 septembre, tant au Canada qu’aux États-Unis. Je dirais, néanmoins, que la notion qui veut que nous nous livrions à une sorte d’approche à deux voies en nous préoccupant uniquement de notre relation bilatérale, excluant ainsi le Mexique, n’est qu’une vision à court terme. Je crois que nous ne serons pas en mesure de récupérer notre ancienne relation privilégiée avec les États-Unis, quelle que soit notre volonté de le faire. […] Lorsque les Américains parlent de l’Amérique du Nord, en général ils pensent au Mexique5. »

Que ce soit vrai ou pas, d’autres témoins estimaient également que le Canada aurait tort de croire qu’il peut se dispenser sans risque de définir la place que le Mexique devrait occuper dans sa stratégie nord-américaine ou reporter l’étude de la question à plus tard. Selon Stephen Blank, la meilleure chose qu’il puisse faire serait de participer à une vaste campagne à l’échelle nord-américaine visant à créer des coalitions et des alliances et à trouver des partisans à l’intégration de l’Amérique du Nord, ajoutant qu’il s’opposait « à cette tendance au bilatéralisme, par opposition au trilatéralisme, qui se manifeste depuis peu dans la politique canadienne6 ». Quant à lui, Guy Stanley a fait valoir l’argument suivant :

Maintenant, le problème est que les Américains ont été attaqués sur leur propre terrain, et les enjeux sont très sérieux. Pour ne pas nous faire imposer une stratégie américaine, il faut que nous ayons quelque chose pour contrebalancer leur stratégie, avec le même sens d’urgence et un point de vue qui tienne un peu compte de nos atouts et de nos traditions différentes, ainsi qu’un répertoire ou une brochette de contributions concrètes que nous pouvons apporter dans le contexte d’une approche commune.

J’aimerais aussi dire qu’il serait souhaitable d’inclure les Mexicains dans la même discussion ou dans le même débat, parce qu’on ne sait pas exactement ce que sera la direction de la politique américaine dans un proche avenir. Si on veut être en mesure d’encourager ou de décourager certaines choses, il vaudra mieux avoir une contribution considérable et reconnue, un partenaire qui nous appuie ou qui partage un peu la même perspective que nous et qui serait capable, dans le contexte où trois intervenants seraient impliqués, d’ajouter une dimension plus forte, une plus grande valeur que ce qui pourrait se produire si c’était fait unilatéralement. Autrement, je crains les décisions que les Américains pourraient peut-être prendre dans un proche avenir7.

Bref, aborder les relations nord-américaines sur un seul front est insuffisant. Mais la nécessité de répartir correctement notre action entre plusieurs fronts oblige le Canada à se demander quelle serait la meilleure façon de gérer les multiples voies qu’emprunteraient ses relations avec ses partenaires nord-américains. Il faudrait aussi voir quand et comment il y aurait lieu de combiner ces actions et même de les pousser plus loin dans une perspective trilatérale. C’est de ces questions que le Comité va maintenant traiter.

A.  GÉRER LA RELATION CANADA-ÉTATS-UNIS

En raison des multiples liens sur le plan de l’économie, de la sécurité et de l’environnement que nous entretenons avec les États-Unis, la gestion de nos rapports avec ce pays a toujours constitué un véritable défi sur le plan de notre politique intérieure aussi bien qu’extérieure.

Jon Allen, directeur général,
Direction générale de l’Amérique du Nord, MAECI,
Témoignages, réunion no 42, 20 novembre 2001.

[…] le maintien d’une relation efficace avec les États-Unis est le seul impératif réel de la politique étrangère canadienne.

Denis Stairs, université Dalhousie,
Témoignages, réunion no 45, 27 novembre 2001.

Les diplomates canadiens savent depuis 25 ans qu’il n’y a pas de façon infaillible pour gérer les relations avec les États-Unis, puisque dans le système politique américain, le pouvoir n’est pas concentré en un seul et même centre8.

Stephen Clarkson, université de Toronto.

Le Canada a besoin de meilleurs renseignements et de plus grands efforts de sensibilisation aux États-Unis. Nous devons engager les Américains aux niveaux local, régional et des États, où se manifestent les intérêts qui orientent la politique du Congrès et du gouvernement fédéral9.

L’hon. Pierre Pettigrew, ministre du Commerce international.

CE QU’ONT DIT LES TÉMOINS

[…] il est très important de connaître le fonctionnement du système politique américain : quelles personnes possèdent le pouvoir, comment l’ont-elles obtenu, comment font-elles pour le conserver, qui sont leurs amis, quels sont les obstacles — ou s’agit-il d’un sénateur non conformiste qui cherche à être réélu et qui se défoule sur le Canada? Je ne tente pas de justifier le comportement des Américains, mais je crois que le Canada devra adopter une approche beaucoup plus pragmatique dans sa gestion des relations transfrontalières.

Reginald Stuart, université Mount Saint Vincent,
Témoignages, réunion no 59, 26 février 2002.

Nous avons besoin d’une bonne direction politique. Il nous faut également une interaction entre les entreprises, celles qui sont actives aux États-Unis et qui ont des installations des deux côtés de la frontière. Nous avons également besoin de relations bilatérales comme celles que nous avons avec la Chambre de commerce des États-Unis et de relations entre nos chambres locales et les chambres américaines. […] Nous devons également établir de bonnes relations entre nos parlementaires et les législateurs américains, nos provinces et les États, entre nos syndicats, et ainsi de suite. Nous devons agir sur divers fronts et répéter les mêmes messages en adoptant le langage que Washington pourra comprendre. Il faut continuellement se demander si nous visons juste, car ce n’est peut-être pas toujours le cas. Nous devons faire comprendre à nos amis américains que nous avons avec eux d’importantes relations qui servent les intérêts de nos deux pays. De nombreux Américains ne savent pas que le Canada est le principal partenaire commercial de 38 des 50 États. Savons-nous faire valoir cette réalité? Nous devons revoir toute notre stratégie de communication vis-à-vis des États-Unis.

Robert Keyes, Chambre de commerce du Canada,
Témoignages, réunion no 89, 11 juin 2002.

Quelle est la meilleure façon de se faire entendre? Je n’ai pas de réponse simple à cette question, mais il est certain que vous ne réussirez pas à convaincre simplement en ayant des connections avec une poignée de personnes au niveau de l’exécutif. Vous ne ferez pas de vrai progrès en agissant simplement au niveau des ambassades. Vous ne progresserez pas vraiment tant que vous n’aurez pas établi de lien et de pont avec les membres de la Chambre et du Sénat.

Isaiah A. Litvak, Florida Atlantic University
Témoignages, réunion no 87, 4 juin 2002.

Nos meilleurs alliés, nous les trouverons fréquemment à l’intérieur de la population américaine. Ça, c’est un autre trait de la relation canado-américaine. Dans le cas du bois d’œuvre, à l’heure actuelle, nos meilleurs alliés sont les consommateurs américains, qui sont beaucoup plus nombreux que les compagnies américaines qui contestent notre système d’exportation. Les constructeurs de maisons aux États-Unis préfèrent acheter du bois canadien à bon marché. Ça, les ambassadeurs l’ont souvent répété. Je l’ai entendu de la bouche de Raymond Chrétien, il y a quelques années. Quand nous organisons un lobby, que nous avons une question à mettre en œuvre, à favoriser ou un point à défendre auprès du Congrès en particulier, il faut organiser des lobbies, des groupes intérieurs aux États-Unis pour pousser nos idées, surtout auprès du Congrès, qui est constitué de personnes élues qui sont très sensibles à ce que disent leurs électeurs, leur constituency comme ils appellent ça. Donc, nos meilleurs alliés, nous les trouvons fréquemment à l’intérieur de la population américaine.

Louis Balthazar, Université Laval,
Témoignages, réunion no 60, 26 février 2002.

Ce n’est pas que le Canada va avoir autant de pouvoir que les États-Unis, mais la question est de savoir comment on peut se faire prendre au sérieux et se faire entendre quand on a quelque chose d’important à dire. […] je crois qu’il faut essayer d’exercer une influence. Mais je crois que cette influence a souvent plus de poids lorsqu’on se contente de dire qu’on veut aider au lieu de critiquer de l’extérieur avec une intransigeance de puriste. Je crois donc qu’on renforce l’influence des alliés si l’on formule des critiques indépendantes en montrant qu’on est en quelque sorte une opposition loyale, et pas simplement une opposition.

Joseph Nye,
Kennedy School of Government, université Harvard,
Témoignages, réunion no 74, 2 mai 2002.

Traditionnellement, les observateurs des relations canado-américaines estiment que, pour mener à bien une initiative canado-américaine, il faut faire beaucoup de bruit à Washington et très peu de bruit à Ottawa. Autrement dit, la discrétion s’impose à Ottawa et au Canada à cause des susceptibilités du public, mais c’est le contraire aux États-Unis. Je pense que c’est toujours vrai au Canada, mais je crois qu’on exagère aujourd’hui la crainte d’une réaction hostile des Canadiens à une initiative canado-américaine.

Michael Hart, université Carleton,
Témoignages, réunion no 55, 5 février 2002.

5.2   Mieux gérer la relation entre le Canada et les États-Unis

Au cours de l’histoire longue et compliquée des relations canado-américaines, le Canada a toujours dû tenir compte de la puissance visiblement supérieure de son voisin immédiat et concevoir des stratégies diplomatiques propres à lui permettre d’exploiter au maximum sa relation internationale la plus importante10. Les chapitres précédents renfermaient des recommandations relatives à certaines facettes des relations bilatérales entre les deux pays. Mais il importe au moins tout autant de répondre à la question, plus générale, de savoir quelle est la meilleure façon de gérer notre relation intense et changeante avec les États-Unis de manière à ce que leur gouvernement reçoive du Canada le message le plus fort, le plus clair et le plus cohérent possible chaque jour, mais aussi quand des circonstances exceptionnelles surviennent, comme lorsque nous tentons de résoudre un différent commercial ou de faire progresser des initiatives canadiennes.

Comme de nombreux témoins ont surtout parlé des sujets de la seconde catégorie, qui attirent l’attention en haut lieu, une partie importante des témoignages a porté sur le bien-fondé relatif des « grandes idées » par opposition à l’étapisme dans la gestion de ces dossiers avec les États-Unis. Pourtant, si la stratégie arrêtée dans chaque cas dépend du dossier traité, les rouages qui président à l’élaboration d’une position générale et qui permettent de livrer des messages canadiens forts et cohérents en divers points des États-Unis sont les mêmes et sont tous aussi éprouvants. D’où l’avertissement de Michael Hart :

Pour mener à bien des initiatives bilatérales, il est crucial d’apprécier […] les différences fondamentales qui distinguent les institutions politiques et les philosophies des deux pays. L’expérience de l’application de l’ALE, de l’accord sur les pluies acides et d’initiatives du même genre montre que des initiatives canadiennes bien ficelées et bien menées peuvent être couronnées de succès, mais que cela ne se fait pas dans le calme ni rapidement. Il faut pour cela amener des intérêts publics et privés à exercer une pression tout terrain à Washington et dans l’ensemble des États-Unis, avoir l’appui inconditionnel du président, des gros canons de son Cabinet et des membres influents de la Chambre des représentants et du Sénat, appuis qui exigent une longue maturation. Toute entreprise qui ne jouit pas de tels appuis est vouée à l’échec11.

Denis Stairs a signalé au Comité que le Canada a toujours fait appel à une combinaison de macro-stratégies et de micro-stratégies « […] pour essayer d’uniformiser les règles du jeu avec les États-Unis, du moins dans une certaine mesure ». Les macro-stratégies visaient d’abord à diversifier nos relations économiques et autres à l’étranger et à obtenir le plus possible sur le plan multilatéral. M. Stairs a soutenu que ces tentatives ne sont plus aussi efficaces de nos jours et a ajouté que « [l]es micro-stratégies ont surtout visé à arrêter l’escalade politique dans l’ensemble des relations [et qu’elles] englobent plusieurs techniques éprouvées […] », notamment les suivantes : éviter de traiter les dossiers en les liant à d’autres auxquels ils ne sont pas rattachés d’emblée; recourir à la diplomatie discrète lorsque c’est utile; établir des institutions bilatérales régies par des règles; convenir d’être en désaccord sur certaines questions (comme la souveraineté dans les eaux arctiques); faire du lobbying auprès du Congrès et du public américains. Il a ajouté que si ces stratégies sont encore très importantes, « [i]l faut […] reconnaître qu’elles ne seront pas efficaces dans tous les cas où les Américains auront l’impression que leurs intérêts fondamentaux en matière de sécurité sont en jeu12. »

Au fil des décennies, certaines méthodes se sont révélées plus efficaces que d’autres, et nous en avons dégagé plusieurs qui sont d’une importance toute particulière pour la gestion d’une relation qui sera toujours exigeante à cause de la disparité de puissance qui existe entre le Canada et les États-Unis. En raison de cette disparité, beaucoup de témoins ont également soutenu qu’il est généralement préférable, pour le Canada, que les initiatives d’ordre bilatéral émanent du Canada plutôt que de notre voisin13. Enfin, bien qu’il soit souvent plus difficile qu’il ne semble d’établir une corrélation directe entre des faits tels que les fonds que le Canada affecte à la défense et la crédibilité dont il jouit à Washington, le fait de donner suite aux recommandations formulées dans le présent rapport ne pourrait que servir la cause du Canada à ce chapitre dans la capitale américaine.

1.  La nécessité d’une meilleure compréhension de part et d’autre

Étant donné l’intimité et la complexité de la relation en perpétuelle évolution que nous entretenons avec les États-Unis, les témoins convenaient que pour que le Canada puisse émettre des messages clairs qui aient le plus de force  possible aux États-Unis, il faut absolument que les deux pays se comprennent au moins sur trois plans.

Premièrement, il faut comprendre le système politique américain et tenir compte du fait que « la politique est toujours locale », en raison de la concurrence que se font continuellement les multiples intérêts locaux pour capter l’attention, et du rôle clé du Congrès américain. Le politologue James Laxer, de l’université York, avait raison, en 2000, même s’il parlait de manière générale, lorsqu’il a dit que « comprendre les États-Unis est devenu une question primordiale, voire la question primordiale pour le Canada14. »

Reginald Stuart a dit que le Comité devrait recommander au gouvernement de considérer comme prioritaire de faire ce qui suit :

Nous informer de la nature du système politique américain et sensibiliser les Américains à celui du Canada. Les Canadiens qui traitent avec des Américains doivent comprendre comment leur système fonctionne, la séparation des pouvoirs, qui sont pourtant communs, ainsi que le rôle des comités du Congrès, de leurs présidents, de leurs membres et de leur personnel. Trop de Canadiens, même ceux pour qui elles ne devraient pas avoir de secrets, ne saisissent pas les différences qu’il y a entre les systèmes politiques des deux pays, et l’inverse est probablement vrai aussi15.

Deuxièmement — même à supposer qu’Andrew Cohen ait raison quand il dit que « les États-Unis ne font pas de discrimination à l’endroit du Canada; ils n’en savent pas plus long sur les autres pays non plus16 » —, il importe de veiller à ce que les décideurs américains aient de la position du Canada dans certains dossiers et, ce qui est plus important encore, du Canada lui-même, une compréhension fondée sur les faits. Les politiques américains devraient avant tout savoir l’importance économique qu’a le Canada pour l’ensemble de leur pays ainsi que pour près de trois douzaines d’États et des milliers d’entreprises. Ils devraient aussi comprendre le rôle que le Canada joue à l’échelle internationale et, notamment, la capacité qu’il a d’emprunter des voies qui sont parfois fermées aux États-Unis.

Dans une optique plus large, il importe que les Canadiens sachent ce qu’ils veulent obtenir des États-Unis — ou, comme Denis Stairs l’a précisé, « ce qu’ils veulent et que les Américains les empêchent actuellement d’obtenir17. » Il est peut-être relativement facile de déterminer ce que le Canada vise à l’égard de certains dossiers commerciaux ou autres, étant donné le professionnalisme et la compétence des diplomates et autres fonctionnaires canadiens. Mais alors que la réponse finale à cette question au sens le plus large pourrait nous échapper à jamais, on peut dire que dans ce cas-ci, la recherche d’une réponse honnête pourrait être aussi importante que la réponse elle-même.

2.  Augmenter le personnel diplomatique canadien et élargir son action

Les Canadiens à qui il incombe plus qu’à n’importe qui d’autre de faire entendre les messages du Canada et de défendre ses intérêts aux États-Unis sont nos diplomates professionnels. Le directeur général de la FOCAL, Don Mackay, a indiqué au Comité que la grande compétence de nos diplomates — et surtout de nos ambassadeurs à Washington — compte pour beaucoup dans leur efficacité. M. Mackay a déclaré ce qui suit :

[…] l’ambassade du Canada à Washington a toujours été dirigée par un très haut responsable. Que ce soit Derek Berney ou M. Chrétien […] ou l’ambassadeur actuel, Michael Kergin, ce sont là de très hauts fonctionnaires, et cette ambassade n’a qu’un seul objectif, celui de s’assurer que n’importe quelle personne d’importance au sein du gouvernement des États-Unis accepterait l’appel téléphonique de cet ambassadeur canadien. Je ne crois pas que l’accès ait jamais constitué un problème, parce que, selon ce que j’en sais, les présidents et tous les autres, acceptent de répondre aux appels téléphoniques de l’ambassadeur canadien en poste18.

Pourtant, malgré sa très haute qualité, le personnel diplomatique — et militaire — du Canada est sous-financé et, par conséquent, débordé et surmené. Tom Axworthy a affirmé ce qui suit :

Les Américains sont pleins de bonne volonté à l’endroit du Canada, mais il faut abattre une somme phénoménale de travail pour pénétrer leur bureaucratie, apparaître sur l’écran radar du Congrès ou obtenir que nos appels franchissent le central téléphonique de la Maison-Blanche. En fait, il ne suffit pas de faire du lobbying auprès des sénateurs, des députés à la Chambre des représentants ou du personnel de la Maison-Blanche; le personnel de la myriade de comités de la Chambre et du Sénat et celui des politiques eux-mêmes sont également des garde-barrière à ne pas négliger. Washington bourdonne constamment d’activité […] ce n’est pas une poignée de personnes que l’ambassadeur du Canada doit faire bouger, mais littéralement des centaines de personnes, parce que le gouvernement américain est un organisme aux nombreuses ramifications.

M. Axworthy a aussi comparé la représentation diplomatique du Canada aux États-Unis à celle du Mexique dans les termes suivants : « Dans notre poste étranger le plus important […] Washington […] les ressources humaines du Canada font figure d’amateurs à côté de celles du Mexique. Ce pays a des consulats dans une foule de villes américaines, et son ambassadeur à Washington est presque aussi important qu’un membre du Cabinet. Le Canada, au contraire, a quelques avant-postes dans les grandes villes américaines, et son personnel de Washington est surmené19. »

De même, Stephen Clarkson a récemment soutenu qu’à cause de la sous-capitalisation de la diplomatie canadienne et du changement de contexte qui prévaut dans la capitale américaine, « […] Ottawa doit s’en remettre au personnel débordé de son ambassade à Washington, lequel applique les techniques ponctuelles et correctives de gestion de crise qu’il avait mises au point avant le libre-échange, lorsque les intérêts canadiens se ressentaient moins des sautes d’humeur du Congrès ou des tactiques de la Maison-Blanche20. »

Dans une allocution récente devant le Conseil des gens d’affaires Canada-États-Unis, le ministre du Commerce international, Pierre Pettigrew, a semblé reconnaître que le Canada est peut-être insuffisamment représenté à Washington et dans l’ensemble des États-Unis lorsqu’il a parlé de la nécessité « d’entreprendre des efforts plus intelligents de sensibilisation et de représentation aux États-Unis [...] pour garantir et améliorer notre accès et défendre nos intérêts ». Et il a ajouté : « Nous avons besoin de bureaux chargés de favoriser le commerce, de rechercher des investissements et de la technologie et de défendre les intérêts des ministères fédéraux, des provinces et du secteur privé21. »

Le Comité a déjà dit qu’il fallait affecter des ressources accrues à la diplomatie canadienne. C’est particulièrement nécessaire en ce qui concerne les diplomates canadiens aux États-Unis. La représentation du Canada à Washington demeure d’une importance cruciale, mais le Comité croit également nécessaire de multiplier les consulats dans l’ensemble des États-Unis, dont le nombre a été réduit il y a des années pour lutter contre le déficit.

3.  Porter une attention particulière au Congrès

Tous les gouvernements modernes sont complexes, mais le système politique américain a précisément été conçu de manière à l’être, il y a plus de 200 ans, afin de diviser le pouvoir et, ainsi, de comporter des freins et des contrepoids. Selon le professeur américain Stephen Blank, « [l]es Américains sont des gens difficiles. Leur régime politique est complexe. Il suffit de regarder [la série télévisée, À la Maison-Blanche (version française de West Wing)] pour avoir une bonne idée du fonctionnement de ce régime. Est-il possible de remporter des victoires partielles? Oui, à condition de travailler ensemble dans le cadre d’une stratégie concertée22. »

Michael Hart fait  toutefois la mise en garde suivante :

[…] à Washington les choses ne fonctionnent pas de la même façon qu’au Canada. Au Canada, nous sommes habitués à un gouvernement où le pouvoir vient du centre et se diffuse à partir de ce centre. À Washington, c’est exactement le contraire. Le pouvoir vient de la base et se concentre progressivement au centre23.

Le président est sans conteste l’homme le plus important de Washington, et il importe donc d’avoir une interaction efficace avec l’Administration. Heureusement, ainsi que Denis Stairs l’a signalé, en général, « [n]ous pourrons satisfaire la branche exécutive américaine par l’application d’une collaboration quotidienne suivie […]24. »

Au Congrès, c’est différent. À titre d’institution, le Congrès est non seulement beaucoup plus complexe, mais il est probablement plus important pour les Canadiens que le président. Le Comité a demandé à Alexander Lofthouse, de la Chambre de commerce du Canada, en juin 2002, si le fait qu’un parti contrôle la Maison-Blanche plutôt que l’autre avait une incidence sur les relations entre le Canada et les États-Unis. M. Lofthouse  a répondu qu’une « grosse partie du programme politique est dirigée par le Congrès. Même dans les domaines qui relèvent clairement de l’Administration, comme la politique commerciale, c’est le Congrès qui dicte souvent les actes de la Maison-Blanche. C’est une réalité, que ce soit le même parti qui contrôle les deux branches de l’exécutif ou que les rôles soient partagés25. »

Il peut être exaspérant de traiter avec des représentants et des sénateurs américains étant donné, d’une part, le pouvoir très réel qu’ils ont et, d’autre part, le fait qu’ils doivent faire presque continuellement campagne, ce qui privilégie les intérêts locaux. Le personnel politique du Canada et d’ailleurs a certainement repris à son compte la devise de l’ancien président de la Chambre des représentants, Tip O’Neil, selon lequel « la politique est toujours une affaire locale ». Ce n’est nulle part plus vrai qu’aux États-Unis. Comme Isaiah Litvak l’a déclaré au Comité :

[…] si les États-Unis sont une puissance économique et politique mondiale, leur politique se fait au niveau local. Par conséquent, quand vous prenez, par exemple, la Chambre des représentants et même le Sénat, où l’on retrouve certains des hommes d’État les plus éminents des États-Unis, on a quand même une politique qui se fait à l’échelle locale.

Je n’ai pas besoin de vous parler de la séparation des pouvoirs […] Le problème, ce sont les élections. Ce sont les intérêts locaux qui comptent à ce moment-là. Ce sont les intérêts locaux qui l’emportent bien souvent sur ce qui devrait à notre avis être les intérêts nationaux de l’Amérique26.

Cela a des implications importantes pour le Canada. Comme Allan Gotlieb, ancien ambassadeur du Canada aux États-Unis, l’a écrit, « à Washington  […] une puissance étrangère n’est qu’un intérêt spécial de plus, et d’ailleurs pas tellement spécial en fait ». « Le gouvernement étranger doit bien comprendre qu’il est sérieusement désavantagé face à d’autres intérêts spéciaux pour la simple raison que les intérêts étrangers n’ont ni sénateurs, ni membres du Congrès, ni agents du personnel pour les représenter à la table des négociations. Ils n’ont ni vote ni comités d’action politique27 », ajoute-t-il. Pour cette raison, notamment, un certain nombre de témoins ont fait état de la difficulté de se faire remarquer aux États-Unis, alors que d’autres convenaient avec Stephen Clarkson que « moins les Américains pensent à nous, mieux c’est. […] À mon avis, il vaut mieux que les Américains ignorent certaines choses qui nous distinguent, plutôt que d’en être trop conscients28. »

4.  Forger des coalitions

Le travail des diplomates canadiens en poste aux États-Unis a évolué au cours des deux dernières décennies, puisqu’ils ont élargi leur mire au Congrès ainsi qu’à l’exécutif29. Bien qu’il soit crucial que leur champ d’action soit aussi étendu, ce n’est toujours pas suffisant. Comme Stephen Blank l’a souligné, il y a des années,

[…] les ambassadeurs canadiens à Washington n’avaient de contacts qu’avec le gouvernement, jamais avec le Capitole, parce qu’ils jugeaient que cela ne se faisait pas. Ensuite, après les ambassadeurs Gotlieb et Chrétien, les Canadiens ont enfin découvert le Capitole.

Permettez-moi de vous parler de ce qu’il y a à découvrir, c’est-à-dire du reste du pays. La réalité, c’est que […] le processus politique américain est long, local et perméable, mais qu’il faut des efforts pour y participer.

M. Blank a surtout insisté sur les États frontaliers qui s’intéressent naturellement au Canada du fait qu’ils font déjà du commerce avec lui et qu’ils sont en étroite interaction avec des Canadiens. Il a affirmé ce qui suit :

vous ne passez pas un temps suffisant à former les réseaux et les coalitions qu’il vous faut pour avoir de l’influence aux États-Unis. L’idée que le Canada est un intervenant secondaire et le fait qu’il soit traité comme tel sont autant dus aux Canadiens qu’à n’importe qui d’autre. […] Le Canada n’est pas petit et n’est pas insignifiant, mais il doit participer à un processus complexe d’élaboration de politiques30.

Le professeur Don Barry nous a prévenus, à Calgary, qu’il ne sera toutefois pas facile de former ces coalitions, pour les raisons suivantes :

[…] un problème c’est qu’il n’y a pas vraiment de groupes d’intérêts canadiens comme tels aux États-Unis. Nous avons une influence sectorielle et régionale, ce qui nous impose un certain type d’approche. À cause de cette influence sectorielle ou régionale, la perception américaine du Canada se concentre rarement au niveau national. En fait, certains présidents ont même décrit le Japon comme le principal partenaire commercial des États-Unis. Reagan et Nixon l’ont tous deux fait. De plus, Condeleesa Rice, la conseillère du président en matière de sécurité nationale, ne savait même pas que le Canada était le principal partenaire commercial des États-Unis.

Le genre de diplomatie que nous utilisons nous est imposé par la nature de notre influence sur les États-Unis. Nous sommes presque obligés de recommencer chaque fois qu’un problème se pose, parce qu’il nous faut trouver les alliés appropriés sur chaque question. On ne peut pas toujours compter sur le même groupe31.

Le professeur Litvak a déclaré que l’établissement de liens avec les membres du Congrès, les États et les pouvoirs locaux aux États-Unis devrait faire partie intégrante d’une stratégie canadienne proactive pour « faire de vrais progrès » en ce qui concerne les questions d’intérêt régional et national32 :

… il est certain que vous ne réussirez pas à convaincre simplement en ayant des connections avec une poignée de personnes au niveau de l'exécutif. Vous ne ferez pas de vrai progrès en agissant simplement au niveau des ambassades. Vous ne progresserez pas vraiment tant que vous n'aurez pas établi de lien et de pont avec les membres de la Chambre et du Sénat. Ce que je trouve très positif en 2002, ce sont les rencontres croissantes des dirigeants des gouvernements provinciaux avec leurs homologues américains. […] La meilleure façon de sensibiliser des personnes qui vont ensuite exprimer quelque chose de plus important à Washington, de façon à mieux faire connaître le point de vue des Canadiens, c'est d'établir des alliances et des partenariats solides au plan local. Il faut donc agir au niveau régional, mais sans toutefois exclure les intérêts nationaux.

5.  Coordonner des relations multiples

Les diplomates canadiens continueront de constituer la « première ligne » dans les relations du Canada avec les États-Unis, mais aucune voie de communication ne peut donner à elle seule de bons résultats dans une relation aussi complexe. Le gouvernement doit donc coopérer davantage avec les entreprises canadiennes et d’autres groupes du Canada, y compris des entreprises issues de maillages entre les secteurs public et privé, et des groupes américains aux intérêts similaires. Il pourrait par ailleurs décider d’appuyer directement des associations industrielles canadiennes dans des secteurs clés. Il se peut que, pour que les organismes industriels canadiens puissent plus facilement concurrencer les lobbies américains, le Canada doive mieux les appuyer. Par exemple, dans le domaine agricole, Larry Hill, de la Commission canadien du blé, a fait état de l’organisation très perfectionnée des intérêts agricoles américains :

Le gouvernement accorde des subventions aux associations d’agriculteurs qui font le lobbying et celles-ci ont par conséquent les moyens d’engager des professionnels de haut calibre. [...] Il y a la National Association of Wheat Growers, le U.S. Wheat Associates, le Wheat Export Trade Education Committee. Tous ces groupes sont très sophistiqués; ils ont des représentants à Washington et sont financés en partie par le gouvernement américain. En fait, le gouvernement subventionne les lobbyistes avec l’argent des contribuables33.

Outre ces associations, les provinces sont un élément clé dans la formation de coalitions aux États-Unis et l’envoi de messages cohérents. À ce propos, Isaiah Litvak, universitaire canadien vivant maintenant aux États-Unis, a déclaré ce qui suit au Comité :

La meilleure façon de sensibiliser des personnes qui vont ensuite exprimer quelque chose de plus important à Washington, de façon à mieux faire connaître le point de vue des Canadiens, c’est d’établir des alliances et des partenariats solides au plan local. Il faut donc agir au niveau régional, mais sans toutefois exclure les intérêts nationaux. […]

[…] à mon avis il est important de travailler avec les gouvernements provinciaux et de reconnaître qu’ils peuvent contribuer de façon importante à renforcer les liens commerciaux […] Plus [les provinces et les États américains] deviendront interdépendants, plus ils deviendront dépendants les uns des autres et plus la voix du Canada se fera entendre à Washington34.

De toute évidence, le gouvernement fédéral et les provinces ne seront pas toujours d’accord en tous points, mais le fait d’envoyer des messages clairs comporte tellement d’avantages qu’ils devraient s’efforcer de mieux coordonner leurs efforts.

6.  Multiplier les rencontres entre les législateurs

Les rencontres entre les parlementaires canadiens et leurs homologues américains constituent une voie de communication unique. D’après Jayson Myers, de Manufacturiers et Exportateurs du Canada, « […] des relations étroites entre les décisionnaires canadiens et américains, la recherche d’alliés du Canada aux États-Unis et parmi d’autres partenaires commerciaux influents, sont plus importantes que jamais dans la définition de notre politique par rapport aux États-Unis35. »

Un Groupe interparlementaire Canada-États-Unis existe depuis des années. Dernièrement, ce groupe bilatéral a commencé à dépasser la formule traditionnelle prévoyant une rencontre par année pour l’étude approfondie des dossiers importants. Plus loin dans le présent chapitre, le Comité traite de la possibilité de créer un groupe interparlementaire trilatéral incluant le Mexique. Mais il est possible d’innover même dans le cadre du groupe bilatéral actuel. Par exemple, des ministres canadiens pourraient, dans des circonstances exceptionnelles, faire partie des délégations et les aider à approcher et à sensibiliser les législateurs américains importants.

Denis Stairs a expliqué, de manière plus générale, ce qui suit :

[…] les parlementaires canadiens auraient eu pour principal objectif d’essayer d’intervenir auprès des membres du Congrès pour mettre un terme aux malentendus concernant le Canada et améliorer la communication officieuse dans toute la mesure du possible afin que tout membre du Congrès se posant des questions sur une politique canadienne puisse appeler un de ses homologues au Canada et lui demander ce que fait le Canada ou pour se faire expliquer certaines choses et ainsi de suite. Cela vous paraîtra certainement fort peu, mais je ne pense pas qu’on puisse attendre plus d’une relation directe entre les membres du Congrès et les parlementaires. D’un autre côté, une telle relation serait très intéressante et, si vous voulez promouvoir ce genre de contact, je ne peux que vous inviter à travailler dans ce sens, autant que faire se peut36.

Le professeur Andrew Cooper, de l’université de Waterloo, a dit, quant à lui, que le Comité lui-même pourrait entreprendre la démarche suivante :

 [… se] tourner vers des organisations comme […] le Center for Strategic and International Studies, ou comme le Woodrow Wilson International Center for Scholars, qui vous donnent accès à tout un éventail de gens. Par ailleurs, faites des tournées. Même Jesse Helms est allé à Mexico avec un comité. Pourquoi ne pas retenir l’attention de différentes façons en établissant certains liens? Cette stratégie présente des risques, mais elle est aussi porteuse de possibilités. Une vieille idée de la politique étrangère canadienne est celle des questions d’énergie ainsi que des relations nord-sud, une idée qui remonte au début des années 80 mais qui pourrait retrouver toute sa pertinence37.

Le Comité relève le défi. Il a déjà participé à la première réunion mixte des comités canadien et mexicain des affaires étrangères dans le cadre de la présente étude, et il compte récidiver dans le cas des comités correspondants mexicains et américains.

7.  Employer l’information pour assurer la réception des messages du Canada

Une composante importante de la gestion de la relation bilatérale entre les deux pays consiste à fournir de l’information pour aider les Canadiens à comprendre les États-Unis ainsi que ses politiques et faire en sorte que les Américains comprennent le Canada, ce qui est encore plus important. Divers témoins ont rappelé que selon certains commentateurs américains, les terroristes qui ont perpétré les attentats du 11 septembre 2001 venaient du Canada, et ils ont signalé que dans la populaire émission de télévision À la Maison-Blanche, il est question de terroristes traversant une frontière Ontario-Vermont fictive, ce qui témoigne des stéréotypes qui sont véhiculés aux États-Unis et de la méconnaissance du Canada chez les Américains. La visite personnelle que le vice-premier ministre Manley a rendue à la sénatrice américaine Clinton a sans aucun doute été utile, mais il pourrait s’avérer nécessaire d’élaborer aussi une stratégie plus vaste.

Le Comité a entendu à maintes reprises l’opinion qu’il faut mieux promouvoir les intérêts commerciaux du Canada afin de prévenir ou de résoudre les différends commerciaux comme celui qui paralyse l’industrie du bois d’œuvre. Un certain nombre de témoins ont soutenu que pour y arriver, il faudra intervenir au-delà des voies diplomatiques de Washington, et s’adresser directement aux consommateurs et aux associations industrielles des États-Unis. Comme Gordon Gibson l’a fait remarquer, « Washington tend à être une ville favorable aux producteurs plutôt qu’aux consommateurs. Si c’était une ville favorable aux consommateurs, il est évident que l’intérêt des consommateurs américains pour le bois d’œuvre aurait réglé ce problème38. »

Certains témoins ont donc suggéré de lancer une campagne d’information aux États-Unis. Denis Stairs a affirmé ce qui suit :

[…] j’ai l’impression qu’il nous faudrait mener une importante campagne de [publicité] et de relations publiques aux États-Unis afin de lutter contre les idées fausses que les Américains, pensons-nous, entretiennent à notre égard. Pour cela, nous devrons recourir à une aide professionnelle de premier ordre. Pour le moment, je ne vous recommanderai pas de façon de s’y prendre, pas plus que les termes à choisir ou les cibles à retenir. Cependant, je pense que nous allons devoir y consacrer d’importantes sommes, pour obtenir le genre d’assistance qu’il nous faut afin de [mener] une telle campagne. Cependant, si le travail est bien fait, le jeu en vaudra la chandelle39.

Les fonds mis à la disposition du MAECI pour la défense des intérêts canadiens ont été augmentés, et le Ministère a lancé une petite campagne de publicité, à l’automne dernier, après les attentats du 11 septembre. Une telle stratégie serait compliquée en raison de la diversité des États-Unis, mais le Comité croit qu’une campagne plus vaste pourrait être utile si elle ciblait précisément les auditoires essentiels. Pour que la campagne ait le plus d’incidence possible, le gouvernement du Canada devrait mettre à profit l’expérience des associations industrielles qui traitent avec les États-Unis.

Divers témoins ont également insisté sur la nécessité de doter le Canada d’un plus grand nombre de lobbyistes. Michael Hart a fait remarquer que, dans le contexte de Washington, beaucoup d’agences du gouvernement américain ont une source d’influence très indépendante et que par conséquent, « les Canadiens doivent agir très activement non seulement auprès du président et des principaux responsables de son administration, mais aussi auprès des principaux membres du Congrès et des principaux représentants de toutes sortes de groupes d’intérêt qui partagent nos intérêts, mais auxquels il est important de le rappeler40. » Laura Macdonald, de l’université Carleton, a suggéré d’affecter des fonds pour monter une opération de lobbying efficace. Elle a signalé que les « Mexicains ont été d’une très grande efficacité en engageant des conseillers cher payés à Washington et en permettant à leurs gens de pouvoir rencontrer les représentants au Congrès41. » Gordon Gibson, stagiaire de troisième niveau à l’Institut Fraser, a souligné la nécessité de « doubler et redoubler nos activités de lobby », étant donné que « Washington est une ville de lobby. Il y a quelque 20 000 lobbyistes enregistrés42. »

Recommandation 33

Le gouvernement du Canada devrait augmenter le nombre de fonctionnaires du MAECI en poste à Washington et le nombre de consulats dans des lieux stratégiques  aux États-Unis. Il devrait aussi grossir de nouveau les fonds mis à la disposition du MAECI pour la défense des intérêts canadiens et consulter les groupes industriels et autres en vue de concevoir des campagnes d’information ciblées et coordonnées.

8.  Éviter les liens à court terme et mettre les institutions à profit

Répondant à une question au sujet des problèmes relatifs à la création de liens entre des dossiers qui ne sont pas liés d’emblée, le sous-ministre d’Industrie Canada, Peter Harder, a admis que « chaque fois que nous traversons une période dans laquelle certains dossiers sont difficiles et longs à régler, comme c’est le cas actuellement, la question est posée ». Il a toutefois ajouté que « l’expérience nous montre qu’à long terme, il n’est pas avantageux pour nous [de lier un dossier à un autre auquel il n’est pas rattaché d’emblée] 43 ».

Le professeur Joseph Nye, de l’université Harvard, reconnu à la fois à titre de spécialiste des relations canado-américaines et à titre d’ancien haut fonctionnaire du gouvernement américain, a abondé dans le même sens :

Sur la question de la solidarité automatique, une des choses qui m’a frappée dans mon étude des différends canado-américains, c’est que les Canadiens réussissent très bien lorsqu’ils ne sont pas liés automatiquement. Lorsqu’un problème se posait à vous et que vous l’avez jugé au cas par cas, vous avez généralement obtenu de très bons résultats. Le Canada a souvent obtenu du succès dans son lobbying auprès de Washington, ou alors il trouvait un groupe d’intérêt américain ou une entreprise qui était prête à faire des efforts en son nom au Congrès et ainsi de suite. Dans les cas où vous êtes lié par solidarité automatique, le déséquilibre entre la taille des deux pays s’impose. Lorsqu’il y a solidarité automatique, la réalité s’impose : la population des États-Unis est 10 fois plus grande que celle du Canada. Je crois donc que la solidarité automatique n’est pas la stratégie indiquée. Dès que vous êtes liés, essentiellement, cela devient une question de la taille globale des États, tandis qu’au cas par cas, vous pouvez gagner quelquefois et perdre quelquefois, mais vous constaterez que, dans bien des secteurs, vous êtes tout à fait en mesure de défendre vos intérêts44.

Quant à la capacité du Canada de défendre ses intérêts, le recours à certaines institutions (surtout au niveau binational, notamment des structures telles la Commission mixte internationale et le NORAD) est un autre élément de la gestion de la relation bilatérale entre le Canada et les États-Unis. Ajoutant à ce que Denis Stairs avait dit au sujet des institutions multilatérales et que nous citons plus haut, Stéphane Roussel a soutenu que dans le contexte bilatéral, « […] ces institutions nous ont aidés dans le passé à protéger la souveraineté canadienne plus qu’elles ne l’ont mise en péril45. » Outre la nécessité de tirer le maximum des institutions actuelles, le Canada pourrait aussi demander que l’on renforce les institutions crées aux termes de l’ALENA, comme nous le recommandions au chapitre 4, et que l’on songe à élargir les structures et les filières d’influence nord-américaines, comme nous le proposons plus loin dans le présent chapitre. Comme Brian Stevenson l’a dit au Comité :

Je pense que nous devons utiliser tous les outils à notre disposition. L’un d’eux, bien entendu consiste à élaborer des coalitions avec les Américains qui ont un intérêt commun avec nous et je pense que c’est une chose très sensée à faire. Cependant, je crois qu’à long terme — nous n’allons nulle part et nous allons donc être ici à long terme — nous devons élaborer des institutions et des processus non seulement pour le commerce, mais pour un certain nombre d’autres questions que nous voulons aborder avec les Américains.

9.  Les politiques doivent donner le cap à suivre

La relation Canada-États-Unis est si complexe qu’elle ne peut relever d’un seul ministre. En outre, comme Stephen Clarkson l’a récemment soutenu, la responsabilité en est maintenant encore plus partagée qu’à l’habitude du fait que le vice-premier ministre, John Manley, est demeuré chargé de la coopération avec les États-Unis en matière de sécurité lorsqu’il a cessé d’être ministre des Affaires étrangères. Le cas de M. Manley résulte d’une combinaison de circonstances qui ne se reproduiront probablement pas.

Or, comme nous l’avons indiqué au chapitre 1, le gouvernement du Canada doit s’attacher particulièrement à élaborer une stratégie claire à l’égard de ses relations avec les États-Unis. Le nouveau Comité des relations nord-américaines que nous avons recommandé de créer au sein du Cabinet devrait surtout faire en sorte que les États-Unis sachent exactement à quoi s’en tenir au sujet du Canada. De plus, si le processus de sécurité Manley-Ridge donne de bons résultats, il se pourrait que le fait de déléguer des pouvoirs à des hauts fonctionnaires des deux pays dans des dossiers clés permettent d’en faire progresser d’autres. Il serait irréaliste d’espérer que ce processus fasse aboutir des différends commerciaux importants, mais il se pourrait que l’attention qu’il permettra d’accorder à des problèmes décrits dans les chapitres précédents aide à les régler.

Recommandation 34

Le gouvernement du Canada devrait, par l’intermédiaire du nouveau Comité des relations nord-américaines que nous avons recommandé de créer au sein du Cabinet, établir dans quels domaines une coopération accrue serait indiquée. Il devrait plus précisément amener les États-Unis à désigner un représentant politique de haut niveau et devrait appliquer la formule de coopération élaborée en matière de sécurité par l’actuel vice-premier ministre canadien et l’actuel directeur de la sécurité nationale aux États-Unis, proposé comme secrétaire du nouveau Département de la sécurité nationale.

B.  RESSERREMENT DES RELATIONS CANADO-MEXICAINES

5.3   Au-delà des limites du passé

À Mexico, en mars 2002, le jour même où le Comité tenait des audiences, l’ancien président du Comité, le ministre des Affaires étrangères, Bill Graham, affirmait dans une allocution au ministère des Affaires étrangères du Mexique « que nos pays ont des échanges commerciaux plus nourris, […] nos secteurs privés investissent davantage, […] nos gouvernements, nos parlements et les nombreux acteurs non gouvernementaux apprennent à se connaître mieux, d’une façon tout à fait inédite. Mais nous ne faisons pas qu’apprendre à nous connaître. Nous sommes aussi témoins d’une convergence autour d’un ensemble de valeurs et d’aspirations que nous partageons de plus en plus, entre voisins46. » En effet, la volonté des deux parties d’entretenir des relations plus étroites a été clairement exprimée la veille avec la télédiffusion de la rencontre historique des membres du Comité avec leurs homologues du Congrès mexicain47.

Les relations que le Canada entretient avec le Mexique dans le cadre de l’ALENA depuis presque 10 ans maintenant, le tournant décisif de l’élection démocratique de Vicente Fox à la présidence du Mexique en 2000, la promotion par son Administration d’une plus grande coopération avec l’Amérique du Nord, le rapprochement continental dans le sillage des événements du 11 septembre sont tous des éléments qui se conjuguent pour favoriser le resserrement des liens entre le Canada et le Mexique. Il y a lieu de souligner que l’ALENA est issu d’une initiative bilatérale Mexique-États-Unis, que le Canada avait accueillie avec réserve — la professeure Laura Macdonald a fait remarquer que, avant l’ALENA il était « […] difficile de trouver au Canada des experts sur le Mexique […] Presque personne ne s’intéressait au Mexique. Il y avait cette énorme montagne entre nous, les États-Unis, et nous ne pouvions pas lorgner de l’autre côté de cette montagne48 ». Ou, si l’on s’intéressait au Mexique, c’était habituellement en passant un commentaire tel que le « Canada et le Mexique, comme on dit, n’ont qu’un problème en commun. Ce problème, naturellement, est leur relation avec les États-Unis49 ».

Encore aujourd’hui, ces préoccupations bilatérales distinctes, si elles sont parallèles, ne datent pas d’hier et ont tendance à dominer. Il est plus difficile d’entretenir des relations politiques durables dans un contexte où les relations bilatérales entre le Canada et le Mexique ainsi que les relations trilatérales ne sont pas encore clairement définies. Antonio Ocaranza, directeur de Public Strategies Inc., a décrit au Comité à Mexico un « paradoxe difficile : la coopération entre le Mexique et le Canada est le plus efficace si elle joue un rôle significatif dans les relations qu’entretient chaque pays avec les États-Unis. Du même coup, c’est le poids significatif des États-Unis qui empêche le Mexique et le Canada d’être plus efficaces dans l’élaboration de leurs relations bilatérales50 ».

Un peu d’histoire nous situe quelque peu dans le contexte de l’état actuel des relations. Avant les années 1990, les relations qu’entretenait le Canada avec le Mexique (en fait avec les pays de l’Amérique latine dans le reste de l’hémisphère) étaient à la fois très restreintes et occultées par l’importance particulière que chaque pays accordait aux États-Unis. Comme l’ont expliqué plusieurs universitaires en parlant de cette période : « Alors qu’il est sans aucun doute injuste de s’attendre à une expérience équivalente à celle que nous avons connue avec les États-Unis, il y a quand même lieu de souligner que les liens bilatéraux Canada-Mexique sont demeurés sous-développés, au mieux, ou oubliés, au pire51. »

La décision prise par le Canada en 1990 de devenir membre en règle de l’Organisation des États américains (OEA), suivie de sa décision de participer aux négociations commerciales Mexique-États-Unis qui ont débouché sur l’ALENA trilatéral, a signalé une importante réorientation politique. L’ALENA, en particulier, a porté la relation à un autre niveau. Dans un document qu’il a rédigé avant l’élection du président Fox et avant les activités de diplomatie active menées par Jorge Castaneda, le ministre des Affaires étrangères du Mexique, Julian Castro Rea, professeur au Centre de recherche sur l’Amérique du Nord à l’université autonome du Mexique et à l’université de l’Alberta, a décrit la situation dans les termes suivants :

L’ALENA a aidé le Canada et le Mexique à se découvrir l’un l’autre après de nombreuses décennies de relations que l’on pourrait décrire comme de « l’indifférence polie ». Les cinq dernières années ont vu les relations canado-mexicaines s’approfondir comme jamais auparavant. Aujourd’hui, les deux pays collaborent dans toute une série de domaines qui débordent nettement du cadre des relations commerciales et englobent un programme évalué conjointement chaque année par leurs équipes ministérielles. Le Canada se classe désormais au premier rang des solutions de rechange en vue de répondre au désir des Mexicains de diversifier leurs relations étrangères au détriment de l’immense priorité qu’ils ont toujours accordée aux États-Unis52.

Les premiers indices post-ALENA attestant de l’élargissement et du renforcement des relations bilatérales se trouvent dans la « Déclaration d’objectifs sur les rapports Canada-Mexique » et le « Plan d’action » signés par les deux chefs de gouvernement en juin 1996. De plus, malgré les répercussions de la crise financière du Mexique au milieu des années 1990, le commerce bilatéral et les investissements ont affiché une croissance remarquable au cours de la seconde moitié de la décennie53. Alors que les échanges commerciaux entre le Canada et le Mexique représentent encore une infime partie du total des échanges commerciaux de l’ALENA, les tableaux statistiques figurant au chapitre 2 montrent qu’ils ont plus que quintuplé depuis 1990. En effet, la valeur des exportations du Canada au Mexique a augmenté de 93 % entre 1997 et 2002, comparativement à une augmentation de 44 % de ses exportations aux États-Unis au cours de la même période. Les secteurs d’exportation jugés prioritaires par le gouvernement canadien relativement au Mexique sont, notamment, la fabrication de pointe et les technologies de l’information, la modernisation de l’agriculture, les produits automobiles ainsi que les installations pétrolifères et gazières et les services.

Outre l’essor de ces liens commerciaux, les relations civiles avec les ONG mexicaines connaissent une essor considérable, de même que la coopération dans les secteurs de l’enseignement supérieur, la formation et la recherche. Quant aux échanges interpersonnels, le sous-ministre adjoint du MAECI pour les Amériques, Marc Lortie, a indiqué au Comité que « près de un million de touristes canadiens se rendent au Mexique tous les ans tandis que plus de 180 000 touristes mexicains visitent le Canada. Les maisons d’enseignement canadiennes reçoivent plus de 10 000 étudiants mexicains tous les ans et 11 000 travailleurs agricoles saisonniers mexicains viennent au Canada54 ». Les échanges parlementaires avec le Canada, entamés officiellement en 1975, se sont également intensifiés. Les occasions de profiter de ces échanges sont aussi plus grandes étant donné les pressions exercées sur le Mexique pour qu’il procède à des réformes démocratiques, et le rôle accru que joue le Congrès mexicain, notamment en matière de politique étrangère.

Malgré ces progrès, Wood et MacLean, à la fin des années 1990, ont relevé plusieurs obstacles à surmonter pour que le rapprochement entre le Canada et le Mexique se confirme55. Le premier, et le plus évident, est l’énorme écart de développement entre les deux pays. C’est un problème chronique qui se manifeste par des inégalités socioéconomiques et régionales au Mexique et qui s’est aggravé malgré les gains globaux réalisés en matière d’échanges commerciaux et d’investissements découlant de l’ALENA. Ces défis de nature politique et sociale ainsi que sur le plan de l’économie et du développement empêchent le Mexique de devenir un véritable partenaire nord-américain. Ils ont été maintes fois évoqués comme source de préoccupation sous-jacente lors des réunions que le Comité a tenues à Mexico en mars 2002.

La politique canadienne vis-à-vis du Mexique offre un début de solution. Comme Marc Lortie l’a indiqué au Comité : « Le Mexique considère maintenant le Canada comme un partenaire important dans ses efforts pour faire face aux défis nombreux profondément enracinés auxquels il est confronté dans les domaines social, politique et économique. La coopération en matière de gouvernance a donné une nouvelle dimension aux relations bilatérales. […] Le Canada est clairement engagé à aider le Mexique à réformer ses institutions gouvernementales pour qu’il puisse s’attaquer à la pauvreté et à la disparité régionale. De plus, l’ACDI, principalement à travers la [Direction générale du partenariat canadien], a octroyé au Mexique en moyenne 7 millions de dollars par année au cours des trois dernières années. Cela comprend le Fonds canadien d’initiatives locales, fonds de financement de projets populaires annuel de 500 000 $. Le plus clair de cette somme est alloué aux États les plus pauvres du sud du Mexique56. »

Bon nombre de Mexicains ont clairement indiqué que l’ALENA avait laissé beaucoup de questions sans réponse57. Ils verraient aussi d’un bon œil la multiplication de partenariats avec le Canada (le secteur privé, les organisations non gouvernementales et les gouvernements), tant bilatéraux que trilatéraux, pour régler les problèmes de développement régional d’un Mexique de plus en plus intégré à l’Amérique du Nord.

Wood et MacLean ont relevé deux autres obstacles subtils au resserrement des relations : l’absence de compréhension véritable des grandes valeurs culturelles et sociales qui distinguent les deux pays; les divergences historiques entre les objectifs de leur politique étrangère respective en matière de sécurité et relativement à des questions plus délicates comme les droits de la personne. Il est possible de surmonter le premier graduellement grâce à des programmes de sensibilisation et aux échanges interpersonnels mentionnés plus haut (y compris un plus grand nombre de Canadiens apprenant l’espagnol58, car contrairement aux États-Unis, le Canada n’a pas une importante population d’origine mexicaine ou hispanique), de meilleures communications et de meilleurs liens avec les médias ainsi que davantage de diplomatie publique, notamment des rencontres fréquentes entre les législateurs canadiens et mexicains.

Le second, le resserrement de la coopération et de la coordination dans le domaine des affaires internationales, a pris un autre tournant sous l’Administration Fox et depuis le 11 septembre 2001. Le Mexique était déjà converti à la libéralisation des échanges commerciaux, et il a signé 10 accords de libre-échange avec 31 pays, dont des membres de l’Union européenne. Quant à sa présence ailleurs sur la scène internationale (et il y a lieu de souligner que le Mexique siège à l’heure actuelle au Conseil de sécurité des Nations Unies pour un mandat de deux ans), sous la direction du ministre des Affaires étrangères, Jorge Castaneda, le Mexique abandonne sa politique traditionnelle de non-intervention en faveur d’une politique qui se rapproche beaucoup de celle du Canada. Comme l’a affirmé M. Castaneda : « Nous sommes convaincus qu’il est dans le meilleur intérêt du Mexique de s’adapter au nouveau système international axé sur les règles. Nous souscrivons donc à l’argument que certains principes sont universels et au-delà de la souveraineté de l’État59. »

Pour ce qui est des questions de sécurité continentale, toutefois, le Mexique n’a pas eu l’occasion de profiter des rapports étroitement intégrés qu’entretient le Canada avec les États-Unis par le truchement de l’OTAN et du NORAD. Les rapports qu’entretient le Mexique avec les États-Unis le long de sa frontière septentrionale sont également épineux à cause de l’immigration illégale et du trafic de la drogue. Au lendemain des attentats terroristes du 11 septembre, la région frontalière du Mexique — qui a connu le plus grand essor économique même si elle est toujours affligée de problèmes sociaux et environnementaux — a rapidement senti les effets négatifs des nouvelles mesures de sécurité adoptées par les États-Unis60, une situation avec laquelle les Canadiens peuvent certainement sympathiser. Alors que les représentants canadiens ont tendance à considérer que la résolution des problèmes frontaliers entre le Canada et les États-Unis relève d’un débat bilatéral distinct, pour sa part, le gouvernement mexicain a proposé une approche nord-américaine plus globale pour assurer la sécurité des frontières continentales sans mettre en jeu la croissance des échanges commerciaux et des déplacements dans les pays de l’ALENA. À l’heure actuelle, il existe deux volets aux enjeux bilatéraux. Le Canada a été le premier à réagir en négociant un accord dit de « frontière efficace » en 30 points avec les États-Unis en décembre 2001. Le Mexique, pour sa part, s’est servi de cet accord comme modèle pour conclure son propre accord de « frontière efficace » en 22 points avec les États-Unis, accord qui a été signé par les présidents Bush et Fox à Monterrey en mars 2002 lors du Sommet des Nations Unies sur le financement pour le développement.

Comme l’ont observé Wood et MacLean, il est intéressant de souligner que le gouvernement canadien, il y a quelques années, semblait être le plus grand partisan du « trilatéralisme » (le ministre des Affaires étrangères d’alors, Lloyd Axworthy, en particulier, a vanté l’idée d’édifier « une communauté nord-américaine » qui pourrait également constituer « un important modèle de coopération régionale »)61, tandis que le gouvernement mexicain était perçu comme étant très sceptique et méfiant, craignant une intrusion possible dans les affaires internes du Mexique62. Quelques années plus tard, les rôles semblent inversés alors que la nouvelle administration mexicaine de Vicente Fox a exposé sa « Vision 20/20 » à long terme pour une communauté continentale, vision qui a « été accueillie avec un scepticisme poli à Ottawa » lors de la première visite du président mexicain au Canada en août 200063.

Le Canada semble maintenant mieux disposé à collaborer avec le Mexique relativement à certains aspects d’une intégration nord-américaine. Parlant au nom du MAECI, Marc Lortie a déclaré au Comité avant sa visite au Mexique ce qui suit : « Le gouvernement appuie l’établissement d’une relation nord-américaine. Le président Fox a dit que l’établissement d’une devise commune et d’une union douanière sont des objectifs à long terme. À court terme, nous nous penchons sur les questions qui seraient le mieux réglées au niveau trilatéral64. » Du même coup, le gouvernement mexicain actuel est nettement plus enthousiaste quant à la perspective d’examiner des approches nord-américaines trilatérales et l’aspect « communautaire ». En effet, à Monterrey, les Mexicains ont proposé au Canada et aux États-Unis d’étudier plus en profondeur des initiatives ambitieuses dans cette veine65. Plusieurs hauts dirigeants du gouvernement mexicain qui ont parlé au Comité en mars ont également suggéré de mettre sur pied un groupe de spécialistes ou une commission qui ferait rapport aux trois gouvernements afin de faire avancer le projet de coopération trilatérale.

Le Comité examinera plus en profondeur ces propositions dans la prochaine section de ce chapitre, mais il y a plusieurs mises en garde à faire au départ. D’abord, le président Fox et son Parti d’action nationale (Partido de Acción Nacional ou PAN) ne sont pas majoritaire au Congrès, fait qui a été souligné de façon qui n’est pas passée inaperçue au Canada le 9 avril 2002 lorsque le Sénat mexicain a voté 71 contre 41 pour empêcher le président d’effectuer une tournée dans l’Ouest du Canada (Vancouver et Calgary) et aux États-Unis66. C’était la première fois que cet obscur pouvoir était invoqué par le Sénat mexicain. C’était moins une question de politique étrangère qu’un symptôme des difficultés qu’éprouve M. Fox à faire approuver, par le Congrès, ses multiples programmes, qui ont peut-être soulevé des attentes irréalistes67.

Il existe une autre raison pour laquelle le Canada devrait réfléchir avant de décider de resserrer ses liens avec le Mexique dans le contexte nord-américain. En effet, il y a lieu de se demander s’il est sage d’embrasser une vision par trop générale ou un nouveau concept institutionnel pour les relations nord-américaines, comme l’a proposé M. Fox. À l’heure actuelle, non seulement la situation de M. Fox au Mexique est-elle incertaine, mais aussi une telle vision semble soulever peu d’intérêt dans les milieux gouvernementaux aux États-Unis et au Congrès. Le rapprochement entre le Canada et le Mexique aurait plus de chance de réussir si l’on se concentrait sur des progrès concrets dans des secteurs particuliers, notamment ceux qui répondent davantage aux objectifs de développement du Mexique et son désir exprimé d’atteindre un niveau de « convergence économique » avec ses partenaires de l’ALENA. À cet égard, Stacey Wilson-Forsberg (FOCAL), dont le témoignage en juin 2002 devant le Comité a surtout porté sur les relations canado-mexicaines, a fait valoir ce qui suit : « Le mieux que pourrait faire le Canada serait d’accroître la capacité du Mexique à relever ses propres défis en lui accordant un soutien financier si possible et, fait plus important, une aide technique sous forme de partage de connaissances et de mise en valeur de ses ressources68. »

5.4   Ce que les Mexicains nous ont dit

Bien qu’elles se soient limitées à quelques jours, les séances que le Comité a tenues au Mexique ont été très enrichissantes. Elles ont convaincu le Comité d’un intérêt croissant au Mexique pour un approfondissement des relations avec le Canada, non seulement sur le plan bilatéral mais aussi social et économique par le truchement de partenariats nord-américains. Alors que l’ambassadeur du Canada au Mexique, Keith Christie, a fait remarquer que la relation trilatérale est « peut-être l’enfant pauvre », compte tenu des exigences plus urgentes des relations qu’entretient chaque pays avec les États-Unis, il a également souligné « le sentiment très net que le Mexique fait partie de l’Amérique du Nord69. » D’après un analyste, « le Mexique croit que le Canada pourrait faire contrepoids au pouvoir des États-Unis et que dans un futur lointain le peuple mexicain acceptera de faire partie de “l’Amérique du Nord” plutôt que des États-Unis70. » C’est en même temps une époque dans les relations nord-américaines où ni le Mexique ni le Canada ne devrait tenir quoi que ce soit pour acquis dans leur relation respective l’un avec l’autre ou avec la superpuissance qui est leur voisin71.

À la séance du 13 mars 2002, en présence du Comité des relations étrangères du Sénat du Mexique, à laquelle d’autres membres du Congrès mexicain ont participé, le président du Comité, le sénateur Fernando Margain Berlanga, entre autres, a exprimé le désir des Mexicains de resserrer les liens d’amitié et de coopération avec le Canada au sujet de questions touchant les frontières, la migration et l’environnement. Il a mentionné les quelque 35 accords bilatéraux conclus entre le Mexique et le Canada. La discussion a débordé sur un éventail de domaines qui pourraient profiter de cette coopération : le tourisme, les échanges culturels, l’enseignement, la formation, les travailleurs saisonniers, la migration et les questions frontalières.

Quant à elle, la sénatrice Sylvia Hernández, présidente du Comité de l’Amérique du Nord, a affirmé que le Canada et le Mexique entretenaient toujours « une relation paradoxale » qui n’a pas encore réalisé son plein potentiel en raison de l’obsession que nourrit chaque pays à l’égard des États-Unis. Et malgré les défis communs que comporte la gestion des importantes asymétries en Amérique du Nord, ou le problème du protectionnisme commercial américain, ni l’un ni l’autre ne s’est vraiment donné la peine de former des « alliances stratégiques » autour de certaines questions ou de convaincre les États-Unis des bienfaits du trilatéralisme. Mme Hernández a affirmé qu’il était temps de songer à de nouveaux types d’engagements trilatéraux outre les engagements bilatéraux que l’on connaît, particulièrement à tous les échelons parlementaires. À cet égard, elle espère également que les démarches interparlementaires seront axées sur des programmes concrets qui continueraient de s’articuler autour d’intérêts et d’objectifs communs.

Alors que les impératifs de la sécurité ont dominé les séances du Comité à Washington, les interlocuteurs mexicains ont accordé relativement peu d’importance à cette question. La plupart d’entre eux voulaient s’assurer que, outre les échanges commerciaux prévus dans le cadre de l’ALENA, la coopération nord-américaine comprendrait une dimension sociale ou humaine — afin de régler le problème de la pauvreté et des disparités chroniques — ainsi que la promotion de la participation démocratique et de la responsabilisation publique. La population relativement jeune du Mexique, comparativement à celle du Canada, pourrait être une source d’avantages démographiques à l’avenir. Toutefois, la création de meilleurs emplois et l’amélioration des salaires représentent également un défi comme l’est la réalisation des attentes des Mexicains évoluant dans une économie de plus en plus liée au destin de l’Amérique du Nord (un point mentionné par le président de la Banque Scotia au Mexique, Peter Cardinal, qui préside également la Chambre de commerce du Canada à Mexico).

Alors que de nombreux Mexicains préféreraient des politiques davantage trilatérales plutôt que strictement bilatérales, ils ont reconnu, à l’instar de Rafael Fernando de Castro de l’Instituto Tecnológico Autónomo de México, que « l’intégration trilatérale est très difficile à réaliser ». Comme Gustava Vega, du Colegio de México l’a dit : « le 11 septembre a ajouté une nouvelle dimension à l’ALENA », en soulignant de façon éclatante les répercussions que peuvent avoir les perturbations frontalières sur le fonctionnement de l’économie continentale. Plusieurs témoins se sont dits inquiets de l’orientation que pourrait prendre cette situation. Par exemple, Monica Serrano, collègue de Mme Vega, a affirmé que l’expérience du Mexique concernant la « criminalisation de la migration » et la « militarisation de la frontière » lui a appris ce qu’il ne fallait pas faire. Toutefois, l’ancien ambassadeur, Andrés Rozental, président du nouveau conseil mexicain des relations étrangères, a préconisé l’adoption de politiques d’intégration à l’Amérique du Nord même dans des domaines délicats comme la frontière et la sécurité. Et, a-t-il ajouté, « nous n’aurons jamais une Amérique du Nord intégrée sans la liberté de mouvement de la population ».

M. Rozental, à l’instar de hauts fonctionnaires de l’Administration Fox (le secrétaire adjoint des Affaires étrangères, Enrique Berruga, Carlos Flores Alcocer, du cabinet du président, et Luis de Calle, secrétaire pour les négociations du commerce international), a fait valoir qu’il fallait accorder beaucoup plus d’importance aux structures et processus susceptibles de favoriser une intégration plus poussée de l’Amérique du Nord en allant au-delà de l’ALENA — une étape qu’ils considèrent indispensable. Comme l’a dit M. Berruga : « Le pays est prêt pour une communauté nord-américaine. » Ce qui a débuté par un « club de partisans du libre-échange » devrait se transformer en « club de pays partisans de la sécurité » et du développement. Au sujet des mécanismes institutionnels, M. Rozental a affirmé « qu’il serait utile de se doter d’un forum permanent dûment constitué qui représenterait les gouvernements nord-américains »; il serait cependant encore plus important, à son avis, de créer un groupe de « sages » ou quelque chose du genre, qui réfléchirait aux possibilités à long terme au lieu de simplement réagir aux événements. Carlos Flores Alcocer a suggéré de créer des groupes de travail ou d’étude constitués de multiples intervenants ainsi qu’un « conseil d’élargissement de l’ALENA ».

Plusieurs témoins (entre autres, l’économiste Antonio Ortíz Mena López Negrete, et l’ancien ministre du Commerce international, Jaime Serra Puche) ont surtout parlé des possibilités qu’offrait le cadre actuel de l’ALENA. D’autres ont critiqué ce cadre en faisant valoir qu’il fallait un régime de gouvernance plus énergique pour mieux gérer les processus d’intégration dans l’espace économique de l’Amérique du Nord — en réglant des questions problématiques comme les dispositions du chapitre 11 sur les investissements — et mieux répartir les retombées de la croissance économique. Par exemple, le professeur Isidro Morales a souscrit à l’idée de Robert Pastor d’établir une « commission nord-américaine » ayant pour mandat de tracer la voie vers cette vision élargie. De l’avis du professeur Morales, cette commission « doit pouvoir prendre ses décisions indépendamment des priorités nationales ».

D’autres spécialistes en sciences sociales comme Maria Teresa Gutiérrez Haces ont souligné que la société civile devait jouer un rôle plus important dans l’articulation de tout projet nord-américain. Cela pourrait se faire par le truchement de débats publics nationaux et d’opinions obtenues auprès de ce que Mme Guadalupe Gonzalez a appelé « un réseau plus serré de contacts sociaux » et non seulement du milieu des affaires et de porte-parole de l’élite. Selon la professeure Gutiérrez Haces « il faut un changement d’attitude ». D’après elle, il serait également possible de renforcer les relations entre le Canada et le Mexique sur le plan politique et économique outre le plan sociétal en réglant par la coopération les problèmes d’intérêt commun, par exemple les lacunes de l’ALENA ainsi que les préoccupations concernant le chapitre 11, les ressources, l’environnement, etc. — tout en respectant les points sensibles de chacun (par exemple, le Mexique pour l’énergie et le Canada pour la culture).

En plus de souhaiter approfondir leurs relations avec les milieux de la politique, des affaires, de l’enseignement et des ONG, les Mexicains aimeraient que le partage des connaissances avec le Canada se fasse sur une plus grande échelle. Le Mexique peut profiter de l’expérience canadienne dans bon nombre de domaines liés à la gouvernance (par exemple, l’administration publique et la gestion fiscale, l’administration locale, les communautés autochtones, les droits de la personne et le développement démocratique). Certains accords de coopération bilatérale sont déjà en place, mais on pourrait en faire plus, notamment dans les domaines de la culture, de l’enseignement et de l’acquisition des compétences. En outre, comme l’a fait remarquer Antonio Ocaranza, les Mexicains et les Canadiens entendent très peu parler les uns des autres sauf de la part des quelques correspondants de la presse affectés dans l’autre pays.

En ce qui concerne l’appui des Canadiens en faveur des efforts de développement socioéconomique, il a été question de la mise sur pied éventuelle de mécanismes régionaux de financement social. Plusieurs témoins ont fait allusion à l’expérience de l’Union européenne, qui a créé des « fonds structuraux » pour venir en aide aux États membres et aux régions moins avantagés. Naturellement, cela dépasserait les sommes minimes que le Canada achemine par l’intermédiaire de l’ACDI et de notre ambassade. En règle générale, les Mexicains sont favorables à l’idée d’un fonds de développement, qui serait idéalement trilatéral. Jaime Serra Puche a toutefois fait une mise en garde. Ce genre d’instrument doit éviter les erreurs commises par la Banque de développement nord-américaine États-Unis-Mexique (NADBank), créée pour régler les problèmes environnementaux à la frontière; à son avis, cette institution n’a pas donné les résultats escomptés. Nous reviendrons sur la question de la coopération trilatérale à la fin du présent chapitre.

Dans l’ensemble, les Mexicains ont brossé un tableau où les défis favorisaient une coopération plus étroite à l’avenir, mais qu’ils ont assortie d’un certain nombre de conditions auxquelles il faut réfléchir plus sérieusement qu’on ne l’a fait jusqu’à présent. À cet égard, il y a lieu de citer les commentaires suivants d’Antonio Ortíz Mena López Negrete:

[…] en appuyant une intégration économique plus importante, il faudrait démontrer qu’elle favorise le bien-être économique de la majorité de la population et qu’elle améliore la sécurité. Dans le cas des États-Unis, la principale préoccupation, dans un avenir rapproché, sera la sécurité. Dans le cas du Canada et du Mexique, les problèmes de sécurité et économiques favoriseront ou freineront leur intégration en Amérique du Nord. Une interaction économique plus importante entre ces deux pays aidera à contrebalancer la trop forte concentration des relations d’échange et d’investissement que chaque pays a établies avec les États-Unis. Elle pourrait aussi aider à redresser la distribution inégale des gains provenant des échanges, situation qui a toujours prévalu au Mexique. Si une meilleure intégration jumelée à des mesures d’appui, telles que décrites ci-dessus, permet aux groupes de la société, jusqu’ici fortement marginalisés par le processus d’intégration, de commencer à jouer un rôle actif dans les activités économiques internationales, nous pourrons constater une diversité culturelle plus vaste parmi les intervenants en matière d’intégration. Elle pourrait aussi minimiser les peurs relatives à l’impérialisme culturel et à l’homogénéisation de la culture en Amérique du Nord, en se fondant sur les préférences et les pratiques des États-Unis72.

5.5   Sonder l’opinion canadienne

            Comme le Comité l’a indiqué dans les premières sections du rapport, quelques témoins, dont Rod Hill au Nouveau-Brunswick, étaient peu intéressés à un resserrement des liens avec le Mexique. Et, nonobstant l’ALENA, l’intérêt du milieu des affaires à l’égard du Mexique avait tendance à être occulté par des intérêts d’intégration bilatérale avec les États-Unis. Michael Hart a énergiquement défendu ce point de vue en affirmant qu’il « n’existe pas de relation fondamentale entre le Canada et le Mexique. Chaque fois que je vais au Mexique, il m’est donné de constater à quel point ce rapport est ténu73 ». Robert Keyes, de la Chambre de commerce du Canada, a fait remarquer que « nos relations avec le Mexique sont loin d’être aussi importantes que nos relations avec les États-Unis, qui doivent être notre première priorité ». Voici ce qu’il a répondu à une question au sujet des rapports avec des homologues mexicains : « Est-ce que nous avons discuté de façon détaillée de l’intégration de l’ALENA ou de notre relation bilatérale et de son avenir? Non, nous ne l’avons pas fait74. »

D’aucuns ont reconnu le défi économique que cette situation pourrait poser au Canada. Par exemple, Jayson Myers, des Manufacturiers et Exportateurs du Canada, a parlé de « la compétitivité croissante du Mexique comme lieu d’investissement et de l’industrie mexicaine sur le marché nord-américain. […] Le marché mexicain a un potentiel de croissance énorme et a l’avantage de la jeunesse. Il y a plus d’ingénieurs qui sortent aujourd’hui avec un diplôme dans la ville de Monterrey que dans toutes les universités du Canada. Tout cela veut dire que la concurrence mexicaine doit maintenant être prise en compte dans l’élaboration et l’évaluation de la politique canadienne. À bien des égards, le Mexique est devenu l’étalon que le Canada doit dépasser pour créer un environnement commercial plus [concurrentiel]75 ». Le sous-ministre d’Industrie Canada, Peter Harder, a reconnu que le Mexique « est en train de gravir très rapidement les échelons de la valeur ajoutée. Nous aurions donc intérêt à y porter l’attention voulue. Voilà, pour le Canada, une raison de plus d’innover et d’accroître sa productivité pour concurrencer efficacement d’autres pays exportateurs, dont le Mexique, sur le marché américain76. » Le professeur Isaiah Litvak a pressé le Canada de prendre le Mexique au sérieux comme partenaire économique à part entière. D’après lui, il est « impérieux que le Canada tisse des liens plus solides avec le Mexique et qu'il comprenne mieux l'économie mexicaine ou le régime politique mexicain et qu'il cherche des façons d'établir des relations d'affaires plus poussées avec les entreprises mexicaines. […] Nous devrions envisager les Mexicains de manière à voir comment nous pourrions réussir au Mexique77. »

Quant aux questions de frontière et de sécurité, la tendance, compréhensible, est d’accorder priorité aux États-Unis avant tout. George MacLean a également souligné que le Mexique souhaite « une intégration accrue avec les États-Unis en matière de défense bien que cette aspiration ne soit pas partagée par le gouvernement américain78 ». Toutefois, à l’instar d’autres témoins, notamment au Québec, il s’est dit fortement en faveur de liens plus étroits avec le Mexique dans le cadre d’une stratégie canadienne de neutralisation de la domination américaine grâce au multiculturalisme dans les Amériques. Stéphane Roussel de l’université York a fait sienne l’opinion mexicaine qu’« il n’est pas possible d’avoir un accord de libre-échange à deux niveaux. Il n’est pas possible d’avoir un membre de deuxième classe. J’entends par là le Mexique. Nécessairement, l’intégration économique appelle une intégration en matière de sécurité. Les deux sont intimement liées, et je ne pense pas qu’on puisse laisser le Mexique longtemps de côté79 ». Stephen Clarkson a dit qu’il fallait se féliciter « de cet aspect de l’ALENA qui nous a rapprochés du Mexique. […] Notre horizon s’est élargi et cela nous donne quelqu’un avec qui nous pouvons négocier à Washington certains dossiers. » Il convient avec le professeur Roussel « que sur les questions de frontières il nous faudra trouver une solution commune. Nous ne pouvons pas simplement prétendre que la frontière canadienne est tellement différente de la frontière mexicano-américaine que nous ne voulons pas discuter avec les Américains et les Mexicains en même temps80 ».

De façon plus générale, George Haynal, témoignant lors d’une séance antérieure, a dit croire à l’épanouissement des relations entre le Canada et le Mexique malgré le passé pré-ALENA, qualifiant ces relations de « ‘bourgeon d’un nouveau nord-américanisme’ distinct de la convergence des deux axes bilatéraux centrés sur les États-Unis ». D’après lui, le Canada peut considérer le Mexique comme « un partenaire proche des États-Unis qui voit le monde d’une manière compatible avec la nôtre ». Soutenant que « rien ne pourrait être pire que de voir s’instaurer entre nous une dynamique de concurrence dans la gestion de cette relation », il a fait valoir ce qui suit : « Nous avons et désirons avoir en le Mexique un partenaire sur la scène internationale qui peut nous aider à promouvoir nos valeurs dans le système multilatéral, tant qu’il existe. Il existe un intérêt mutuel à poursuivre une coopération systémique — je pense que tous les avis que j’ai avancés sont partagés par le Mexique — une coopération qui édifie une identité nord-américaine, qui n’exclut pas les États-Unis, car fondée sur un objectif fondamental que ces derniers partagent : la création d’une compatibilité entre nos systèmes distincts, de façon à rendre possible une coopération plus étroite et un avantage mutuel81. »

Brian Stevenson a également attiré l’attention sur ce qu’il a appelé « la relation collatérale, les liens que les Canadiens et les Mexicains ont en commun en ce qui concerne leurs relations avec notre voisin commun82 ». Mais il faudra aller plus loin si nous voulons que les Canadiens et les Mexicains resserrent leurs liens dans un partenariat nord-américain. Comme l’a affirmé la professeure Laura Macdonald : « Le Mexique représente un contrepoids potentiel et utile aux États-Unis, si nous pouvons faire abstraction de nos différences et de nos tendances à la concurrence et que nous pouvons apprendre à mieux nous connaître. Les Mexicains éprouvent les mêmes inquiétudes que ressentent les Canadiens concernant leur souveraineté et nous partageons des points de vue communs en matière de politique étrangère. Nous devons, toutefois, reconnaître le fait que l’Amérique du Nord est une région très asymétrique et, jusqu’ici, on ne s’est pas suffisamment préoccupé des disparités économiques ou autres entre [les pays de la région et dans ces pays,] et cela s’est accentué par l’adoption poussée en Amérique du Nord du modèle néo-libéral d’intégration83. »

Stacey Wilson-Forsberg, de l’organisme FOCAL, a fait une évaluation encore plus convaincante de la situation et de ses répercussions sur la politique gouvernementale canadienne :

Bien que ce soit un pays de nantis et de pauvres, le Mexique progresse résolument aux plans industriel, manufacturier et technologique. Il a contourné la majeure partie du 20e siècle technologique et pourrait se transformer en tigre économique au cours des vingt prochaines années. Cela entraînerait la naissance d’un immense bassin de consommateurs pour les produits et services des États-Unis et du Canada, ainsi que d’importantes possibilités de partenariat et de coopération dans plusieurs domaines

Le Canada et les États-Unis doivent réfléchir sérieusement à la place à accorder au Mexique dans cette stratégie nord-américaine. L’ignorer en ce moment particulier de son histoire serait probablement une erreur de taille. Pourtant, il est difficile de convaincre les Canadiens de l’importance de collaborer avec le Mexique étant donné qu’ils en savent si peu. Depuis la mise en œuvre de l’ALENA en 1994, les craintes qu’ont en général les Canadiens de perdre des emplois au profit du Mexique ont été largement réfutées. De nombreux sondages indiquent que le public canadien ne craint plus le Mexique au plan de l’économie mais, en revanche, la disparition de cette crainte n’a pas fait place à une compréhension générale du Mexique, particulièrement en ce qui concerne ses réalités sociales et politiques.

Au plan de l’économie, l’ALENA a puissamment stimulé les relations Canada-Mexique. Il y a toutefois d’excellentes possibilités d’accroissement du commerce et des investissements entre les deux pays. Les entreprises canadiennes doivent élaborer une stratégie à long terme lorsqu’elles s’installent au Mexique et ne peuvent pas y aller uniquement à cause de la main-d’œuvre bon marché. Elles doivent faire preuve de fidélité et ne pas s’enfuir dès les premiers signes d’instabilité politique et économique.

Les liens politiques au niveau ministériel entre le Canada et le Mexique sont actuellement informels et naturels et les initiatives de coopération bilatérale entre les deux pays sont très nombreuses. Bien qu’il y ait des interactions quotidiennes entre certains ministères fédéraux et provinciaux canadiens avec le Mexique, la majorité de ces initiatives sont cependant entachées d’incompréhension mutuelle totale ou presque84.

La professeure Laura Macdonald et Stacey Wilson-Forsberg ont toutes deux recommandé d’approfondir et de multiplier les interactions variées fondées sur la connaissance entre le Canada et le Mexique — par exemple, en élargissant les programmes d’échanges actuels, les forums de dialogue, les échanges d’employés et les visites pédagogiques, les liens non gouvernementaux, les programmes de recherche, ainsi de suite85. Le gouvernement a un rôle à jouer à cet égard et afin d’encourager le public à participer au resserrement des liens entre le Canada et le Mexique.

Le Canada pourrait également contribuer davantage au développement du Mexique, selon la professeure Macdonald. Elle a souligné que « bien que le niveau du revenu par habitant au Mexique puisse être relativement satisfaisant, les inégalités profondes et croissantes dans la société mexicaine signifient que de nombreux Mexicains vivent dans la pauvreté et ont besoin d’aide, il s’agit plus particulièrement des peuples autochtones, des paysans et des femmes86. » Il ne faut pas oublier que le Mexique est encore un pays en développement. Janine Ferretti, de la Commission de l’ALENA pour la coopération environnementale, a indiqué qu’« il est très difficile pour le Mexique de travailler en véritable partenariat avec le Canada et les États-Unis dans leurs efforts de résolution des problèmes environnementaux communs. Nous constatons que le Mexique a déjà des difficultés à libérer les ressources nécessaires pour assister aux réunions, sans parler de la mise en place des technologies ou des infrastructures nécessaires pour régler véritablement un problème environnemental87. » Et Mario Polèse a souligné qu’il est très évident que certains écarts s’accentuent au Mexique — par exemple, le « sud-est du Mexique est en voie d’être marginalisé » — et qu’il faut « un genre de fonds d’ajustement régional88 ».

Il est difficile toutefois de définir le comment et le pourquoi de l’aide extérieure additionnelle, et quel rôle le Canada pourrait jouer. La professeure Macdonald était favorable à la création d’un fonds régional, mais a fait une mise en garde contre « une tendance malheureuse [au Mexique] due à sa longue expérience d’un régime fort, étatique, centralisateur et autoritaire, de procéder par méthode descendante. Je crois que nous devons travailler avec les Mexicains à l’élaboration d’un régime de développement plus ascendant et plus équitable envers les femmes89. » Mme Wilson-Forsberg avait des réserves encore plus grandes étant donné que personne, pas même ceux qui y sont favorables au Mexique, n’avait encore trouvé la formule qui permettrait au financement de mécanismes de développement de fonctionner en pratique. Comme elle l’a dit : « Jusqu’à ce que ces détails soient clairement expliqués, je ne pense pas que l’idée de ce fonds de développement puisse même être discutée. Il est très difficile de cerner l’intérêt ou la participation du Canada [à] cette idée de fonds de développement. Aux États-Unis, c’est un peu plus évident, étant donné le problème de migration90. »

5.6  Vers une intégration stratégique et substantielle Canada-Mexique

À la veille de la visite du Comité à Mexico, Joseph Tulchin, directeur du programme latino-américain du Woodrow Wilson International Center for Scholars, a indiqué aux membres du Comité à Washington, D.C., « qu’il y avait de la place pour le Canada dans les relations entre les États-Unis et le Mexique […] mais qu’il s’agit d’un défi qui n’a pas encore été relevé ». Le Mexique, a-t-il précisé, nourrissait plus d’espoir relativement au rôle que jouerait le Canada au lendemain de l’ALENA. D’après lui, toutefois, « aucune relation spéciale ne s’est établie pour confronter » les asymétries du pouvoir avec lesquelles chaque pays doit se mesurer relativement aux États-Unis dans un contexte nord-américain.

Alors que cette éventualité a laissé certains témoins plutôt indifférents, d’autres ont fait valoir énergiquement que le Canada devrait considérer le Mexique comme un « contrepoids » logique à l’influence dominante des États-Unis. Les Mexicains étaient à toutes fins utiles unanimes à encourager le Canada à intervenir davantage, à travailler dans un cadre nord-américain ainsi que bilatéral. Le secrétaire adjoint des Affaires étrangères du Mexique, Enrique Berruga, a mentionné ce point au Comité à Mexico en suggérant que, grâce à un partenariat plus fort, « le Canada et le Mexique pourraient exercer plus d’influence sur notre voisin commun, les États-Unis ».

Dans une allocution récente sur l’intégration nord-américaine, l’ambassadrice du Mexique au Canada, María Teresa García Segovia de Madero, a également décrit la situation de manière quelque peu provocante :

Un des motifs à l’origine de la crainte que nous avons de perdre notre identité est que la grande majorité des Nord-Américains croient que la superpuissance que sont les États-Unis dictera les lignes directrices du processus de convergence politique. Cette perception a peut-être été renforcée au lendemain du 11 septembre. C’est peut-être vrai. Mais l’alliance « stratégique » entre le Mexique et le Canada peut restreindre les asymétries et, partant, permettre aux deux pays de travailler conjointement et d’imposer leur point de vue.

Le Mexique et le Canada partagent des valeurs que ne partagent pas les Américains. […] Les Canadiens et les Mexicains, par exemple, sont plus tolérants en matière d’immigration. Les gouvernements mexicain et canadien devraient en profiter pour faire avancer le processus de négociation vis-à-vis des États-Unis. Ce partage des valeurs entre les Mexicains et les Canadiens doit constituer la base du « partenariat stratégique »91.

Naturellement, cette notion de la convergence naturelle Canada-Mexique s’articulant autour des politiques et stratégies n’aura pas nécessairement la faveur de tous les Canadiens. Selon certains témoins, le Canada n’a pas du tout les mêmes priorités, et d’aucuns privilégient la voie bilatérale dans nos relations avec les États-Unis. Toutefois, le Comité estime que le Canada sera désavantagé à long terme s’il ne tient pas compte du fait que le Mexique occupe une place de plus en plus importante en Amérique du Nord; et s’il n’élabore pas de politiques visant à réaliser ce qui est encore loin d’être le plein potentiel de nos relations avec le Mexique.

Il ne s’agit pas simplement de chercher à utiliser les relations canado-mexicaines comme un « contrepoids » stratégique à l’influence américaine et une façon d’éviter un bilatéralisme en étoile. Il existe de nombreux domaines où l’intensification des échanges et de la coopération mérite d’être examinée. Par exemple, lors de la dernière rencontre interparlementaire entre le Canada et le Mexique qui s’est tenue au Canada en mai 2002 (coprésidée par la sénatrice Sylvia Hernández, qui a coprésidé notre séance avec les législateurs mexicains à Mexico), il a été question des possibilités de coopération dans les domaines du développement énergétique, des « frontières efficaces » et des « corridors commerciaux », la migration et le droit du travail, l’amélioration du mécanisme de résolution des différends de l’ALENA et d’éventuelles institutions nord-américaines. L’invitation lancée à l’issue de cette rencontre d’améliorer la coopération parlementaire pour faire avancer les priorités communes a reflété le message laissé par le Comité à l’issue de la séance au Congrès mexicain en mars 2002.

En somme, même s’il reste encore beaucoup de détails à régler, et que la réalisation des prochaines étapes d’un trilatéralisme élargi demeure peut-être un objectif très difficile à atteindre, il existe un nombre plus que suffisant de raisons pour que le Canada agisse en invoquant nos valeurs et nos intérêts nationaux. La décision stratégique du Canada d’approfondir ses relations avec le Mexique pourrait devoir être pragmatique et sélective, mais elle devrait déboucher sur des efforts réels et soutenus.

Recommandation 35

Le gouvernement du Canada devrait tenter de resserrer ses relations avec le Mexique, plus particulièrement :

 §en appuyant davantage les initiatives visant à aider les Canadiens et les Mexicains à mieux se connaître, plus particulièrement en ce qui a trait aux politiques qui prennent de plus en plus d’importance dans le contexte nord-américain;
 §en déterminant de manière continue les aspects particuliers des relations nord-américaines qui justifient l’élargissement d’une collaboration plus stratégique avec le Mexique dans l’intérêt du Canada, et en étudiant la collaboration entre le Canada et le Mexique qui pourrait comporter des échanges conjoints plutôt que distincts avec les États-Unis;
 §en élargissant le programme canadien de coopération bilatérale avec le Mexique, et en étudiant la faisabilité pour le Canada d’appuyer davantage les efforts de développement du Mexique en ciblant les secteurs où les besoins sont les plus grands et en tenant des consultations avec un vaste éventail d’intervenants non gouvernementaux;
 §en faisant participer les parlementaires le plus possible au resserrement des liens entre le Canada et le Mexique, en favorisant notamment davantage de délibérations interparlementaires sur les grands enjeux bilatéraux et nord-américains et en tenant compte des conclusions. On pourrait également étudier la possibilité d’inviter les ministres canadiens à participer aux forums interparlementaires lorsque les membres de ces forums le jugent approprié.

C.  RÉALISER LES PROMESSES DES RELATIONS TRILATÉRALES EN AMÉRIQUE DU NORD

En Amérique du Nord, une tendance a marqué particulièrement la fin du siècle précédent : les États s’unissaient pour former une région. Faire de l’Amérique du Nord une région demeurera le projet le plus intriguant des États-Unis, du Canada et du Mexique pendant encore quelques décennies. [traduction libre]

Guy Poitras, Inventing North America: Canada, Mexico, and the United States,
Lynne Rienner Publishers, Boulder (Colorado), 2001, p. 2.

Nos gouvernements doivent commencer à envisager de façon stratégique la façon de réagir à l’évolution de l’Amérique du Nord, à ses perspectives et à ses défis. [...] En définitive, nous discuterons de la construction de l’avenir de l’Amérique du Nord. Nous devrons pour cela cerner les domaines dans lesquels les trois pays ont un intérêt commun en ce qui concerne le renforcement du cadre nord-américain et la question de savoir si nous disposons des moyens appropriés pour y parvenir. Nous commençons à peine à définir l’avenir de la communauté nord-américaine.

Allocution prononcée par l’honorable John Manley,
devant la Canadian Society of New York, 9 avril 2001.

Bien que l’Amérique du Nord soit l’une des régions les plus puissantes du monde, on n’y est pas habitué à penser dans une optique régionale. Des études ont été menées sur les relations entre les pays qui forment l’Amérique du Nord, mais elles portaient généralement sur les États-Unis et, jusqu’à l’ère de l’ALENA, laissaient souvent de côté les relations trilatérales92. Comme on l’a vu aux chapitres 2 et 4 du présent rapport, des forces influentes d’intégration sont à l’œuvre dans le nouvel espace économique nord-américain. Elles nécessitent des politiques proactives si l’on veut qu’elles aient des retombées avantageuses à long terme pour le Canada. Mais au-delà du cadre de l’ALENA presque dépourvu d’institutions93, examiné en détail dans le chapitre précédent, bien peu de choses en Amérique du Nord correspondent, de ce côté-ci de l’Atlantique, aux démarches sociopolitiques et constitutionnelles explicites propres à l’« intégrationnisme » de l’Union européenne, en pleine croissance94.

Certains témoins s’opposent ouvertement à toute démarche pouvant mener à une intégration économique accrue de l’Amérique du Nord qui, selon eux, a déjà dépassé ses limites. D’autres doutent qu’on puisse développer les aspects trilatéraux des relations nord-américaines ou réclament que l’on se concentre sur les ententes bilatérales existantes en matière d’économie et de sécurité, du moins pour le moment.

Michael Hart, par exemple, a déclaré : « Il est erroné à mon sens de dire qu’il existe une communauté nord-américaine. Il n’y en a pas. Nous avons un Accord de libre-échange nord-américain qui sert de fondement à deux ententes de libre-échange, une entre le Canada et les États-Unis et une autre entre les États-Unis et le Mexique. » Il a poursuivi en affirmant que les Américains, même s’ils ont plusieurs dossiers bilatéraux avec le Canada et le Mexique, « ne sont plus intéressés » à discuter de ces dossiers « dans un contexte nord-américain95 ». Même les principaux partisans de l’inclusion du Mexique dans les politiques canadiennes ont conclu ce qui suit : « Du point de vue du Canada, on ignore encore ce qu’on pourrait obtenir en travaillant de façon trilatérale avec les États-Unis. On recense peu de questions qui touchent réellement les trois pays, du moins en ce qui a trait aux objectifs politiques et sociaux communs. […] Le principal intérêt du Canada dans une démarche nord-américaine vise la protection et l’amélioration de ses relations privilégiées avec les États-Unis96. »

Même si c’est vrai, cela ne signifie pas que les Américains ou les Canadiens ne peuvent pas s’intéresser davantage à une démarche typiquement nord-américaine ou que le Canada n’a pas de bonnes raisons de promouvoir les approches trilatérales. Il est évident que, à l’extérieur d’un contexte trilatéral, les relations entre le Canada et le Mexique, utilisées comme outil stratégique pour neutraliser l’influence unilatérale des États-Unis, importeraient peu parce qu’elles vaudraient moins dans la région même, c’est-à-dire l’Amérique du Nord, où elles sont censées avoir une forte incidence. De plus, les témoins ont souligné qu’il serait préférable que les initiatives de coopération trilatérale soient lancées par le Canada ou le Mexique, ou les deux. Sinon, elles seraient presque automatiquement perçues comme le diktat d’un « grand frère », et seraient vouées à l’échec.

Il y a quelques années, l’ancien ministre canadien des Affaires étrangères, Lloyd Axworthy, qui a toujours défendu le besoin de préserver l’autonomie de la politique étrangère du Canada face aux États-Unis, a suscité quelques réflexions sur la façon d’y parvenir lorsqu’il a parlé d’obtenir « la bonne coopération nord-américaine ». Comme il l’a déclaré à son auditoire américain : « Dans l’état actuel des choses en Amérique du Nord, le Canada, les États-Unis et le Mexique traitent tous séparément des menaces à la sécurité humaine comme le crime, les drogues, le terrorisme […]. Parfois et sans qu’on le veuille, cela entraîne l’érection de barrières le long de nos frontières […]. Il nous faut moderniser les instruments et les institutions que nous partageons afin de relever des défis dans une foule de secteurs allant de notre environnement naturel commun à l’éducation et aux ressources humaines en passant par le mouvement des biens et des personnes97. » Sous la direction de M. Axworthy, on a mis sur pied un « cadre de travail pour un partenariat nord-américain », c’est-à-dire un processus trilatéral, approuvé par les ministres des affaires étrangères. Après son départ de la vie publique, M. Axworthy a noté : « On a constaté beaucoup de résistance de la part des bureaucrates et peu d’analyse ou de compréhension. Toutefois, cet effort embryonnaire a révélé le potentiel énorme de la création d’une communauté transfrontalière et d’institutions communes98. »

M. Axworthy croit fermement que tous les éléments sont encore là après les événements du 11 septembre. À Vancouver, il a indiqué au Comité que, selon lui, la mise en place d’un cadre de travail trilatéral mieux défini sur les relations nord-américaines aiderait à protéger les intérêts souverains du Canada, y compris ceux dans des domaines sensibles comme la coopération en matière de sécurité et de défense. Comme il l’a dit : « Nous n’avons pas poursuivi les mécanismes trilatéraux, même si je pensais qu’ils commençaient à vraiment mordre dans un certain nombre de secteurs clés — énergie, ressources naturelles et questions transfrontalières. L’important, cependant, est qu’il y ait eu des réunions régulières — trois ou quatre par an — entre les trois ministres des Affaires étrangères. Cela a donné lieu à un certain nombre d’exigences organisationnelles, et il y a, de ce fait, eu une certaine surveillance99. »

Le Comité conserve un esprit ouvert à l’égard de ces questions. Nous croyons que, s’il existe des occasions de renforcer les liens trilatéraux d’une façon qui avantage les intérêts du Canada, il faut les approfondir. Cependant, nous ne prévoyons pas que de tels engagements pratiques puissent mener à une grande « architecture » de l’intégration politique nord-américaine. Par ailleurs, nous avons des réserves quant à ce qui peut être réalisé et avec quelle rapidité. Nous nous interrogeons également sur la façon dont des structures et processus trilatéraux créés pour favoriser la coopération régionale pourraient être soumis à la surveillance démocratique des citoyens canadiens.

CE QU’ONT DIT LES TÉMOINS

Je pense que toutes les hypothèses autres que celle d’une zone de libre-échange, donc l’union douanière avec des politiques commerciales communes, un marché commun, à plus forte raison, l’union économique avec une monnaie commune et des politiques communes, etc., soulèvent forcément un problème majeur qui est celui du pouvoir décisionnel dans le fonctionnement de ces arrangements.

Dès lors qu’un pouvoir comme les États-Unis est confronté au Canada et au Mexique, dans la détermination d’une politique commune, deux hypothèses se soulèvent : ou les États-Unis sont d’accord, ou les États-unis ne sont pas d’accord. S’ils ne sont pas d’accord, ça ne passe pas; si on est d’accord avec eux, ça passe.

Alors, la seule hypothèse pourrait être : est-ce qu’à deux, on pourrait faire objection à une politique américaine? La question demeure soulevée, mais, comme vous pouvez l’imaginer, ce n’est pas un arrangement qui, au plan décisionnel, promet d’être particulièrement fonctionnel, à moins qu’on cède la plupart du temps.

Ivan Bernier, Université Laval,
Témoignages, réunion no 60, 26 février 2002.

[...] les sondages dans les trois pays montrent qu’une majorité dans chacun est prête à faire partie d’une entité nord-américaine, dans la mesure où cela améliorerait le niveau de vie, ne menacerait pas la culture et améliorerait l’environnement. Mais l’opinion, tant au Canada qu’au Mexique, ne veut clairement pas que son pays soit assimilé par les États-Unis. Je pense que cette vision plus large d’une entité nord-américaine, distincte des trois pays mais fondée sur une communauté de destin, représente une orientation à laquelle beaucoup de gens aspirent et qu’il conviendrait d’envisager sérieusement. [...] nous sommes à un stade où l’absence de leadership de la part des États-Unis ouvre au Canada et au Mexique une avenue pour soumettre des idées. Si vous présentez vos idées de concert, vous aurez un auditoire aux États-Unis. Que le gouvernement les admette d’emblée ou non dépendra largement de la nature du programme. Mais je pense qu’elles seront prises au sérieux dans certains milieux et qu’elles influenceront la nature du débat.

Robert Pastor, Emory University,
Témoignages, réunion no 56, 7 février 2002.

Si le Canada veut avoir une stratégie qui vise à combler ce qu’on peut appeler le déficit politique et le déficit institutionnel dans la construction actuelle de l’intégration continentale nord-américaine, si on pense comme moi que l’ALENA a provoqué une situation d’intégration qui exige des mécanismes de coopération politique qui sont actuellement absents, qui font défaut et qui heurtent les intérêts du Canada, je crois qu’une bonne stratégie pour obtenir des gains à ce niveau est une stratégie des petits pas. Il faut surtout éviter de proposer des modèles qui soient extrêmement ambitieux, qui brouillent nos objectifs, qui éveilleraient des soupçons, qui effrayeraient probablement les Américains et qui nous empêcheraient d’obtenir des succès à l’étape des négociations sur des questions plus immédiates ou peut-être moins ambitieuses.

Louis Bélanger, Université Laval,
Témoignages, réunion no 60, 26 février 2002.

Nous avons besoin d’une communauté nord-américaine. Il est important de faire en sorte que les gens qui vivent dans un pays se connaissent mieux et qu’ils connaissent mieux la communauté que nous bâtissons car cela élargit nos horizons et accroît la compréhension que nous avons de nous-mêmes. [...] D’une façon bien réelle, il s’agit avant tout de savoir combien nous investissons dans notre tentative pour comprendre et expliquer les relations non commerciales en Amérique du Nord et pour établir un esprit communautaire. Il semble que nous ayons investi trop peu. Si nous attachons vraiment de la valeur aux liens économiques que nous avons avec les États-Unis, et nous [devrions] certes le faire, ou aux liens économiques que nous tissons avec le Mexique, nous devrions alors favoriser les dimensions sociale, politique, universitaire et culturelle également. Il s’agit de rassembler les gens. Nous avons fort bien réussi à établir le matériel, mais nous ne pouvons bien fonctionner sans un bon logiciel. Nous avons besoin d’un système d’exploitation pour l’Amérique du Nord. Il s’agit de savoir qui écrira le programme.

Brian Stevenson, université de l’Alberta,
Témoignages, réunion no 82, 9 mai 2002.

Les Canadiens ne sont toujours pas très intéressés par les Mexicains, et inversement, en dépit de toute la rhétorique. [Mais il nous faut] commencer à discuter en des termes véritablement nord-américains, c’est-à-dire avec les Mexicains et les Américains, et arrêter de faire semblant d’être le seul partenaire des États-Unis. Si nous traitions de certaines des questions transfrontalières en des termes véritablement trilatéraux, je pense que nous ferions davantage de progrès qu’en essayant de faire marche arrière et de dire que nous sommes différents des Mexicains. Nous sommes différents; nous le sommes, et nos problèmes sont très différents. Mais il s’agit ici d’une question nord-américaine.

Theodore Cohn, université Simon Fraser,
Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.

Nous nous interrogions sur les aspects non économiques de l’ALENA et de notre appartenance continentale [...] On pourrait y travailler même chez les Américains. Je sais bien que ce n’est probablement pas le moment à l’heure actuelle, car les Américains n’ont pas fait beaucoup de chemin dans cette direction-là, mais on pourrait persuader des jeunes Américains, surtout, d’élargir leur conception de leur américanité et de dire : « I am an American, mais je suis un Américain de tout le continent. Il n’y a pas seulement ma culture américaine, mais aussi le Canada, l’Amérique latine. C’est tout ça qui fait mon identité ».

Remarquez à quel point, en Europe, indépendamment de tout ce que l’Europe a signifié, de tous les mécanismes économiques, sociaux et autres, rien que l’idée d’Europe qui a été à la mode, qui a été chérie par beaucoup de populations d’Europe, a été une sorte de bougie d’allumage pour les institutions de l’Union européenne. [...] Ça pourrait être cool d’être un Américain, d’avoir cette identité, de vouloir partager des intérêts. [...] C’est un petit courant qui existe, et il me semble qu’on devra créer des institutions pour l’encourager et pour encourager la coopération en matière sociale, en matière d’environnement, en matière culturelle. [...] Donc, le rêve serait que l’intégration économique aille à la rencontre de l’intégration culturelle, sociale, etc. Je pense qu’en créant des institutions, on va encourager ce phénomène.

Louis Balthazar, Université Laval,
Témoignages, réunion no 60, 26 février 2002.

Une union douanière, un marché commun et une devise commune sont toutes des idées dérivées de l’expérience européenne. Elles ont en effet beaucoup de mérite en tant qu’arrangements économiques. Il est certainement possible que certains de ces mêmes avantages économiques puissent être reproduits en Amérique du Nord — si l’on ne se reporte qu’à des modèles économiques abstraits. Mais chaque étape dans le processus d’une plus étroite intégration économique en Europe a été accompagnée d’étapes délibérées et précises en vue d’une intégration politique plus étroite. [...]

Même dans ce contexte politique, il faut dire qu’il y a un déficit démocratique considérable qui a suscité beaucoup d’intérêt et d’inquiétude en Europe, beaucoup d’agitation populaire face à une bureaucratie qui ne rend pas compte de ce qu’elle fait, et des mouvements extrémistes anti-européens qui se sont fait reconnaître dans la plupart des pays d’Europe comme des mouvements minoritaires agitateurs, ce qui est inquiétant. Ces problèmes ne sont pas fatals au projet européen, mais valent la peine d’être soulignés pour faire ressortir les graves lacunes politiques de toute intégration économique nord-américaine projetée.

Reg Whitaker, université de Victoria,
Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.

Il est impossible de reproduire directement en Amérique du Nord l’expérience européenne, mais nous devons éviter de considérer l’Europe comme une réalité statique, car l’Union européenne est un projet politique qui se poursuit et évolue. On peut en dire autant de l’Amérique du Nord. Pourquoi ne peut-on pas reproduire intégralement l’expérience de l’UE? Parce qu’elle est le produit d’une histoire distincte et qu’elle s’est échelonnée sur des dizaines d’années. Dans le cas de l’Amérique du Nord, la domination économique et militaire d’un seul pays, les États-Unis, est un phénomène unique.

Yasmeen Abu-Laban, université de l’Alberta,
Témoignages, réunion no 82, 9 mai 2002.

Les mesures que nous prenons pour construire cette relation trilatérale et la communauté qui en découle ne doivent pas nécessairement être prises dans les trois pays simultanément. Étant donné les différences de capacité et de relations entre nous, il faudrait envisager des approches multiples. Il faudrait examiner, par exemple, quelles mesures pourraient être prises à deux vitesses, comme on dit en Europe.

Un exemple d’une telle démarche à deux vitesses est l’adoption successive de l’ALE et de l’ALENA. Le Canada et les États-Unis peuvent, de leur côté, mettre en place certains éléments plus faciles à réaliser pour eux deux, puis inviter le Mexique à les rejoindre, ce dernier ayant alors une pleine connaissance des procédures et mécanismes fondés sur des règles convenues, pratiques et mutuellement respectueuses. On voit un exemple de cette sorte de processus dans la gestion concertée de la frontière dans laquelle le Canada et les États-Unis sont aujourd’hui engagés. De la même façon, le Mexique et les États-Unis peuvent s’attaquer à certains problèmes entre eux et conclure des accords auxquels le Canada pourra ultérieurement adhérer, s’il le veut; je songe, par exemple, à la libéralisation des marchés du travail, qui sont d’un intérêt bilatéral critique. Ces étapes organiques, si je puis exprimer les choses ainsi, vers l’édification d’une relation trilatérale pourront et devront être complétées par d’autres mesures que les trois peuvent prendre ensemble. [...]

Il y a donc la possibilité d’une dynamique nord-américaine. Le produit final sera-t-il une communauté nord-américaine comme celle qui existe en Europe? La question est loin d’être tranchée. Existe-t-il un point d’aboutissement où nous aurons une communauté nord-américaine? Je le crois profondément.

George Haynal, université Harvard,
Témoignages, réunion no 56, 7 février 2002.

5.7   Comparaison des points de vue canadien, américain et mexicain sur le trilatéralisme

Comme des échanges véritablement trilatéraux ne peuvent progresser que si les États-Unis y participent, il convient de présenter tout d’abord les points de vue américains qu’a entendus le Comité. Ces points de vue étaient pour le moins variés. Les membres du Congrès que nous avons rencontrés ne nous ont pas parus très réceptifs. Par exemple, le démocrate John Lafalce, de New York, détracteur de l’ALENA, s’est montré extrêmement froid à l’idée que l’on puisse traiter avec le Mexique sur le même pied qu’avec le Canada. Il est vrai que les personnes que nous avons rencontrées ne représentaient pas l’ensemble des membres du Congrès, mais ce parti pris bilatéraliste semble courant et laisse entrevoir une réticence généralisée de part et d’autre. Comme nous l’avons déjà mentionné dans le présent chapitre, certains Canadiens envient la présence des Mexicains aux États-Unis et les pressions qu’ils y exercent. Mais l’on croit encore fermement que les relations bilatérales déjà établies sont celles qui comptent vraiment et qu’une relation trilatérale, intégrant le Mexique comme partenaire à part entière, en est toujours au stade de projet. Comme ce partenariat est moins prioritaire, il peut attendre.

Politologues, représentants d’organismes non gouvernementaux et porte-parole américains ont également fait remarquer l’absence de tribune ou de processus politiques consacrés aux affaires nord-américaines, malgré une certaine ouverture à l’égard de solutions allant au-delà de l’ALENA. Comme l’a fait remarquer William McIlhenny, directeur pour le Canada et le Mexique au Conseil national de sécurité, « les institutions et l’infrastructure n’ont pas suivi [le rythme] des échanges transfrontaliers […] où une nouvelle architecture nord-américaine se met lentement en place ». À l’instar de ses collègues, il demeure néanmoins très sceptique à l’égard des grands projets institutionnels de nature « cartésienne », préférant une évolution fondée sur le pragmatisme aux attentes perçues comme irréalistes découlant des propositions de hauts fonctionnaires mexicains. À une autre réunion, Frank Vargo, vice-président des affaires économiques internationales de la National Association of Manufacturers, a signalé que l’ALENA était à l’origine de nouvelles interactions commerciales entre les trois pays, mais qu’il n’y aura pas de refonte des politiques trilatérales tant que le besoin ne s’en fera pas sentir.

Le Comité a également entendu plusieurs éminents défenseurs d’un trilatéralisme ambitieux. Lors d’un premier échange, le professeur Robert Pastor a dégagé les grandes lignes d’un programme visant à établir le cadre général d’institutions nord-américaines et d’une collaboration politique. Pour ce faire, il s’est inspiré de son étude Towards a North American Community, qui fait autorité. C’est le prestigieux Institute for International Economics de Washington qui a publié cet ouvrage à la veille du sommet réunissant MM. Fox et Bush au début de septembre 2001. Cet ouvrage fait écho à la vision nord-américaine futuriste du président mexicain100. On a dit que les événements du 11 septembre avaient mis un terme à ce scénario, suscitant une retraite dans un renforcement des échanges bilatéraux en raison des impératifs de sécurité de Washington. On pourrait également dire que les ramifications des attentats terroristes ont mis en lumière les limites de l’ALENA et rendu encore plus crédible la mise en place d’un ALENA-plus. M. Pastor a laissé entendre au Comité que l’absence d’interventions communes nord-américaines ou de réunions trilatérales au sommet, absence à son avis regrettable, était un « résultat direct du manque d’institutionnalisation101. »

Le professeur Pastor a présenté au Comité 10 propositions visant notamment à rectifier ces « omissions » ayant trait à l’ALENA, dont plusieurs ont déjà été signalées au chapitre 4. Ces propositions peuvent être résumées comme suit102 :

 §Créer une « Commission nord-américaine » de 15 membres (5 membres de chacun des 3 pays) pour conseiller les 3 leaders à propos d’un programme trilatéral comportant des sommets annuels ou plus fréquents;
 §Fonder un « groupe parlementaire nord-américain »;
 §Créer un « tribunal permanent du commerce et de l’investissement »;
 §Se pencher sur l’« écart de développement » par rapport au Mexique;
 §Créer un « fonds de développement nord-américain » pour contribuer à la diminution de cet écart;
 §Établir un « plan d’infrastructure et de transport » par l’entremise de la Commission nord-américaine;
 §Charger cette commission d’analyser d’autres domaines stratégiques qui pourraient bénéficier d’une « approche continentale commune »;
 §Établir un « service nord-américain d’immigration, de douane et de contrôle »;
 §Tendre vers une harmonisation des règles régissant la circulation transfrontalière de marchandises, de services et de personnes au sein d’un « périmètre » nord-américain commun, ce qui comporterait la négociation d’une union douanière;
 §Promouvoir la création de « centres de recherche nord-américains ».

M. Pastor, devenu vice-président du département des relations internationales de la American University et directeur du Center for North American Studies de cette université, préside également le conseil d’administration d’un nouvel organisme sans but lucratif trilingue sis à Montréal, le Forum sur l’intégration nord-américaine (FINA), qui tiendra sa conférence inaugurale en mars 2003103.

Lors de la dernière réunion d’experts, le professeur Stephen Blank, directeur du New York Pace University’s Center for International Business, a fermement défendu une approche globale du même type pour ce qui est de l’édification d’institutions nord-américaines. M. Blank a étroitement collaboré au travail du Comité nord-américain (CNA) de la National Planning Association de Washington et a fait office de conseiller à propos des projets de création d’une « Alliance of North America »104. Dans son témoignage, M. Blank a expressément préconisé un effort concerté pour enchâsser l’intégration économique nord-américaine dans un cadre sociopolitique plus large. D’après lui, « nous devons maintenant compléter le processus d’intégration de bas en haut au moyen d’interventions délibérées. Nous devons nous donner une conception de l’Amérique du Nord, créer une voix nord-américaine authentique, lancer des projets qui mettront en valeur cette conception et créer de nouvelles institutions à l’appui d’un système nord-américain ». Tout comme M. Pastor, M. Blank estime qu’il n’y a pas d’objectifs plus importants que d’élargir la participation du Mexique et de faire ainsi la preuve qu’une économie de marché nord-américaine de plus en plus intégrée « peut effectivement ouvrir des perspectives d’avenir prometteuses à tous les Américains du Nord105. »

Il n’est pas surprenant que d’éminents Mexicains participent également à ces initiatives récentes ainsi qu’à d’autres tribunes comme le North American Institute, organisme trilatéral (NAMI) auquel le professeur Brian Stevenson (qui a témoigné à Edmonton) est associé106. Comme nous l’avons dit, c’est à coup sûr à Mexico que le Comité a perçu le plus d’enthousiasme pour de telles approches trilatérales. MM. Andrés Rozental, président du Conseil mexicain des relations internationales, et Enrique Berruga, qui occupait alors le poste de sous-secrétaire des Affaires étrangères du Mexique, ont en effet fait écho à la vision de M. Pastor. Nous avons déjà souligné les propositions mexicaines de création d’un organe apparenté à une commission ou à un groupe de sages dont la tâche serait de conseiller les trois gouvernements nord-américains sur les étapes à franchir dans la gestion des affaires nord-américaines et la poursuite d’une collaboration régionale plus étroite dans les domaines d’intérêt commun. M. Berruga a également mentionné la possibilité de conclure un accord semblable à l’Accord de Schengen concernant les frontières internes et externes d’Amérique du Nord, qui pourrait comprendre un système de délivrance de visas des pays de l’ALENA.

Encore plus qu’à l’assouplissement de l’accès aux trois pays pour les citoyens d’Amérique du Nord, presque tous les Mexicains que nous avons entendus se sont dits attachés à la résolution des problèmes de développement et de disparités régionales à l’échelle nord-américaine par des mécanismes autres que les mécanismes actuels de financement bilatéral et multilatéral. Par contre, M. Pastor estime qu’il faut certes que les trois pays se penchent sur les questions de développement, mais il a vigoureusement critiqué le financement régional pratiqué par l’Union européenne. Il s’est expliqué ainsi :

[…] Je ne voudrais pas reproduire la structure européenne. Ils ont dépensé plus de 400 milliards de dollars au cours des 25 dernières années et la plus grande partie a été gaspillée. D’après mon analyse, ces fonds n’ont été réellement efficaces que dans deux domaines, l’infrastructure et l’éducation. Cela peut être géré très facilement par la Banque mondiale et la BDI [Banque de développement interaméricain]. Franchement, je n’aimerais pas créer une nouvelle institution. Je pense que tout le génie de l’Amérique du Nord est de ne pas bureaucratiser. Utilisons ce que nous avons, pour éviter les lourdeurs et avoir une action concentrée. Je ne m’occuperais pas de développement social. Je pense que la Banque de développement interaméricaine suffit pour cela. Je me limiterais à ces deux domaines107.

En outre, sauf dans des analyses théoriques parues dans des ouvrages comme celui de M. Pastor, il est rare que l’on explique les caractéristiques pratiques des nouvelles institutions trilatérales suggérées — structure, mode de fonctionnement, financement, etc. — et que l’on en débatte. Certains témoins canadiens et mexicains ont dit craindre que ces projets ne soient menés par les dirigeants, puis communiqués aux citoyens. D’après Stacey Wilson-Forsberg, de l’organisme FOCAL, le processus d’intégration est dominé par les dirigeants et il y a un fossé grandissant entre ces derniers et le public. À ses yeux, il faut éviter une réaction du public en le sensibilisant davantage, en le faisant participer au dialogue nord-américain et en encourageant le débat108. Le Comité est du même avis. Une large participation du public devrait faire partie intégrante du processus de constitution d’institutions nord-américaines dès le départ et non être ajoutée après coup.

Dans l’édification d’institutions trilatérales, il faut également tenir compte du fait que, les trois pays étant des fédérations, il n’y a pas de tribune où les gouvernements des provinces et des États qui les constituent peuvent débattre de coopération dans des secteurs relevant de leur compétence et promouvoir une telle coopération. Dans le contexte canado-américain, la Commission mixte internationale a joué un rôle déterminant pour ce qui est notamment de rapprocher des représentants des provinces, des États frontaliers et des collectivités pour traiter de questions de gestion environnementale touchant les Grands Lacs et les eaux limitrophes. C’est là le type de collaboration intergouvernementale qui pourrait convenir à un contexte trilatéral.

Lors de notre rencontre parlementaire mixte tenue le 13 mars 2002, Mexicains et Canadiens se sont dits d’accord pour ne pas laisser le manque d’intérêt officiel des États-Unis pour le trilatéralisme freiner l’avancement du projet. Autrement dit, le Canada et le Mexique devraient aller de l’avant pour intensifier leur coopération dans tous les domaines d’intérêt commun sans attendre que soient mis en place d’hypothétiques structures et processus trilatéraux. Le professeur Antonio Ortiz Mena s’est expliqué sur ce point à Mexico : « J’estime que l’on peut réaliser des progrès significatifs dans la voie de l’élargissement et du partage plus équitable des bienfaits de l’intégration économique en prenant une myriade de mesures relativement mineures et que nous ne devrions pas attendre pour les mettre en place d’avoir une vision ou une stratégie globale d’intégration nord-américaine. Les deux processus peuvent aller de pair et se compléter, mais se concentrer exclusivement sur de grands gestes et de grandes visions risque fort de retarder des mesures très nécessaires à court terme109. »

Il faut ajouter que les Canadiens, qu’ils appuient ou non les institutions existantes associées à l’ALENA, n’ont pas une vision uniforme des avantages que présente le trilatéralisme nord-américain. Un certain nombre de témoins ont convenu qu’il fallait chercher des solutions à l’échelle des institutions pour remédier aux lacunes observées. Parmi les défenseurs de nouvelles ententes à l’échelle nord-américaine, Stéphane Roussel a indiqué qu’il valait mieux « gérer [la situation] que de tenter de s’y opposer. Il y a une trentaine d’années, le diplomate John Holmes […] disait que le continentalisme était une force de la nature qui exigeait qu’on lui impose la discipline des institutions. […] c’est encore vrai aujourd’hui110. »

Si M. Roussel est un ardent défenseur de l’inclusion du Mexique dès le départ, Michael Hart, qui préconise une évolution globale fondée sur les traités pour les relations entre le Canada et les États-Unis, a semblé se détourner d’une approche trilatérale. Comme il l’a expliqué au Comité : « J’ai assisté à des réunions de divers types de comités, comme le Comité nord-américain, l’Institut nord-américain et le Comité des relations canado-américaines — qui est maintenant le Comité des relations nord-américaines — et ce qu’il y a de remarquable à propos de ces comités, c’est l’absence croissante d’intérêt de la part des États-Unis. […] Je pense que nous devrions en tenir compte dans l’examen des types de questions auxquelles nous sommes maintenant confrontés111. » Daniel Schwanen a également rappelé au Comité qu’une « intégration qui comprendrait soit des institutions politiques communes ou un tribunal supranational sensible aux intérêts du Canada ou du Mexique ne pourrait pas fonctionner, même, et peut-être surtout, pour les États-Unis112. »

Pour ce qui est de « discipliner » les forces œuvrant à l’intégration nord-américaine — jusqu’ici surtout dans les domaines de la défense et du commerce — les détracteurs de l’ALENA ne s’entendent pas sur les éventuelles réactions trilatérales. Les plus hostiles à une plus grande intégration ont eu tendance à rejeter les approches nord-américaines, de même que les propositions de mise en place de nouvelles structures et de nouveaux processus, qu’ils qualifiaient de lourdeurs supplémentaires. Pour sa part, Laura Macdonald a laissé entendre qu’une consolidation des institutions liées à l’ALENA, entre autres mesures, pourrait corriger le fait que l’on ne se soit pas « suffisamment préoccupé de définir des mécanismes qui pourraient être adoptés à l’échelle tant nationale que nord-américaine pour traiter des disparités sociales et économiques ainsi que du déficit démocratique résultant de l’intégration113. »

D’autres se sont dits peu confiants que l’on puisse mener des réformes dans le cadre de l’ALENA. Estimant que l’ALENA ne prévoit aucune institution pouvant donner au Canada et au Mexique le poids nécessaire pour compenser la puissance accrue de Washington sur eux, Stephen Clarkson juge que l’ALENA affaiblit la position du Canada en Amérique du Nord. Cet accord pourrait avoir consolidé la position du Mexique, laisse-t-il entendre, mais pas celle du Canada. Plutôt que de chercher à redresser la situation par de grandes idées d’intégration ou des institutions trilatérales, il faudrait plutôt, d’après M. Clarkson, exhorter les stratèges « à rebâtir les capacités amoindries des États canadien et mexicain de manière à corriger le déséquilibre flagrant que la libéralisation des échanges a créé entre les impératifs du marché et les besoins des citoyens de ces pays114 ».

5.8   Une « communauté nord-américaine » démocratique constitue-t-elle un but souhaitable?

L’attrait de ce qu’on pourrait appeler une « communauté nord-américaine » dépend largement du point de vue que l’on adopte dans le débat précédent. Comment le Canada et les institutions publiques canadiennes devraient-ils répondre à l’évolution récente sur le plan de l’intégration économique à l’échelle continentale qui inclut, depuis la signature de l’ALENA, le Mexique? Quels sont les avantages et les périls qui pourraient se présenter pour le Canada si l’on continuait, voire intensifiait, cette intégration? Et si l’on choisissait de gérer les répercussions de cette intégration dans des domaines politiques plus larges par l’entremise de processus plus officiels, de structures institutionnelles, de mécanismes régionaux, de cadres stratégiques communs, etc.? Dans quelle voie nous dirigeons-nous?

L’allusion à une « communauté » rappelle les débuts de la Communauté économique européenne, même si la situation de l’Europe est très différente de la nôtre et est devenue beaucoup plus lourdement institutionnalisée que tout ce qui est concevable dans un contexte nord-américain. Il n’en reste pas moins que la négociation et la mise en place de l’ALENA avec un pays en développement, et les débats qui s’ensuivent sur les supposées lacunes — ce que l’on pourrait appeler les « déficits » sur le plan des institutions, de la démocratie et du développement dans la gouvernance d’une économie de marché nord-américaine de plus en plus intégrée —  nous ont menés à penser qu’il se pourrait qu’une communauté intégrée à l’échelle nationale soit en train de se dessiner de ce côté-ci de l’Atlantique. On a dit que l’enracinement d’une intégration économique régionale encouragé par l’ALENA nous obligera tôt ou tard à analyser, d’un point de vue qui deviendra trilatéral, les dimensions sociales, politiques et autres des relations « communautaires » en Amérique du Nord, en plus des effets secondaires sur le plan de l’environnement et du travail115.

Par conséquent, on parle de plus en plus dans les discours officiels de « communauté », comme l’ont fait Lloyd Axworthy, lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères, et son successeur John Manley (voir déclaration citée au début de cette section du chapitre). Peu après le discours de M. Manley, les chefs d’État du Canada, des États-Unis et du Mexique se sont rencontrés lors du Sommet des Amériques tenu à Québec et produit, le 22 avril 2001, une déclaration dans laquelle ils ont affirmé qu’ils travailleraient à l’approfondissement d’un sens communautaire et à la promotion des intérêts économiques mutuels et veilleraient à ce que les avantages liés à l’ALENA s’étendent à toutes les régions et secteurs sociaux.

Cette déclaration laissait entendre que des partenariats trilatéraux se dessinaient dans de nombreux secteurs (énergie et immigration, transports, communications, questions frontalières, santé, justice, agriculture, emploi, éducation, voyage, culture et recherche conjointe). Les chefs d’État ont également déclaré que ces domaines de coopération, engageant les administrations publiques, les entreprises et les autres membres de la société civile, forgeaient un nouveau sens de la collectivité entre nous et qu’ils encourageaient une réflexion approfondie dans leurs sociétés sur les manières de promouvoir ces liens trilatéraux. En juillet 2001, le représentant au commerce américain, Robert Zoellick, estimait qu’il fallait faire savoir que « l’ALENA était bien plus qu’un accord commercial, que c’était le moyen de créer une communauté nord-américaine116. Dans un discours prononcé lors d’une conférence tenue à Ottawa en décembre 2001, l’ambassadrice du Mexique au Canada a indiqué que l’ALENA avait de toute évidence créé une communauté, qu’il s’agissait d’une réalité et qu’il ne devrait y avoir aucun doute à cet égard117.

Mais les témoignages présentés au Comité ont révélé qu’en fait la question est loin d’être tranchée, puisque l’on s’interroge encore sur la question de savoir si une relation nord-américaine fondée sur l’ALENA est, ou peut être, véritablement trilatérale (voir Michael Hart), ou si elle est ou peut être démocratiquement responsable (voir Stephen Clarkson). Pour certains, il faut faire un grand pas en avant en étendant délibérément et en institutionnalisant l’intégration sur le continent nord-américain bien au-delà du domaine commercial. Aussi, dans un discours prononcé en avril 2002 dans lequel il faisait des rapprochements avec l’Europe et d’autres pays (mais ne mentionnait pas la vision de Robert Pastor), Hugh Segal, président de l’Institut de recherche en politiques publiques, est allé jusqu’à déclarer ce qui suit :

Le moment est venu de rédiger un Livre blanc sur une communauté nord-américaine, comportant une proposition de processus à suivre pour les structures institutionnelles dans les domaines de la politique monétaire, de l’immigration, de l’environnement, de la sécurité et de l’économie. Le moment est venu de rédiger un Livre blanc qui porte sur les caractéristiques d’une assemblée nord-américaine, le mode de sélection de ses membres au sein des trois pays fondateurs et le rôle consultatif et les fonctions de vérification qu’elle pourrait jouer118.

Les témoins qu’a entendus le Comité ont été beaucoup plus réservés sur la question et ont émis quelques mises en garde importantes. Par exemple, la professeure Yasmeen Abu-Laban a déclaré : « Si, en Amérique du Nord, nous interprétons le terme “communauté” comme englobant les élites politiques représentants les intérêts commerciaux au Canada, aux États-Unis et au Mexique comme un moyen de renforcer la politique commerciale d’inspiration néolibérale, cela servira davantage les intérêts de certains groupes. Si l’édification de la communauté nord-américaine concerne uniquement les mécanismes intergouvernementaux institutionnels — si nécessaires puissent-ils être —, sans tenir compte également des groupes populaires, cela pourrait faire surgir des problèmes119. »

Reg Whitaker, pour sa part, a déclaré que « les trépidations européennes touchant les déficits démocratiques ne seraient rien comparées à la furie des Canadiens face à une Amérique du Nord irresponsable et antidémocratique120 ». Et tout indique que les préoccupations relatives à l’avenir du projet d’intégration européen sont profondes et fondamentales121. Pour ce qui est du processus d’intégration sur les deux continents, certains ont prétendu que l’Union européenne souffre d’une surinstitutionnalisation qui écarte les citoyens de la prise de décisions à l’échelle communautaire, et d’une complexité confondante, alors que l’Amérique du Nord souffre d’une sous-institutionnalisation qui prive les citoyens de leviers politiques à l’échelle continentale permettant de régir les forces du marché et de corriger les disparités de pouvoir122.

À propos du caractère limité des institutions prévues par l’ALENA, abordé au chapitre 4, notons l’observation de Reg Whitaker :

[…] L’ALENA n’a aucune infrastructure supranationale, ce qui n’a jamais été prévu d’ailleurs. Aux termes de l’ALENA, la politique et les politiques nationales sont assujetties à la discipline du marché continental. L’importance disproportionnée des États-Unis au sein de l’ALENA est telle que, lorsque des décisions politiques sont prises, elles sont presque invariablement celles de l’administration et du Congrès américains, des tribunaux et des divers organes administratifs et de réglementation du gouvernement américain, comme le Canada a très bien pu le constater dans le cadre de la débâcle entourant le bois d’œuvre. Même si nous imaginions une superstructure politique comme celle de l’Europe, ni le Canada ni le Mexique, même dans le cadre d’une alliance, n’auraient suffisamment de poids pour influer sérieusement sur l’emprise exercée par les institutions nationales américaines sur le processus décisionnel nord-américain. 123

Les protagonistes d’une approche communautaire nord-américaine connaissent sans nul doute les difficultés découlant de ce scepticisme. C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles Stephen Blank a déclaré au Comité : « La communauté nord-américaine doit être profondément enracinée dans la société civile et ne doit pas être seulement une création des trois gouvernements nationaux. En fait, il existe déjà un cadre de base de cette communauté dans le vaste éventail d’organisations qui œuvrent le long de nos frontières et dans de nombreux secteurs de l’économie. De nombreux groupes ont des intérêts communs dans les liens transfrontaliers et sont prêts à collaborer à la constitution de la communauté nord-américaine. Ce qu’il faut faire, c’est lier ces groupes, organisations et associations en leur donnant une vision et un objet communs124. »

Le Comité convient qu’il est essentiel de forger délibérément des associations et des alliances nord-américaines pour que les relations trilatérales soient plus que de simples discussions occasionnelles et purement rhétoriques traitant de partenariat et de coopération, plus qu’un dossier intergouvernemental décidé par une élite dans des capitales éloignées et à propos desquels la population n’est guère consultée. Cependant, l’édification d’une communauté informelle, que recommande M. Blank, ne fait que contourner le dilemme que pose la conception d’institutions démocratiques adéquates à l’échelle nord-américaine, et ne résout en rien la question. Cette mesure ne permet pas de savoir comment en arriver à des décisions de gouvernance à l’échelon trilatéral par des structures et des processus démocratiques et transparents dans les secteurs stratégiques clés surtout si on ne peut plus disposer de certains instruments traditionnels ou leviers de contrôle démocratique ou que ces derniers ne fonctionnent plus à l’échelon national ou local en raison d’une intégration continue.

En bref, une communauté nord-américaine démocratique pourrait être souhaitable à long terme. Mais on est encore loin d’avoir fixé clairement ou unanimement son contenu, son format et d’avoir déterminé sa faisabilité. À propos d’un nouvel ouvrage sur l’intégration nord-américaine publié par la Washington’s Brookings Institution, et s’inspirant du contenu d’une conférence tenue en décembre 2001 et réunissant des stratèges canadiens, mexicains et américains, David Crane écrit que « l’on voit bien pourquoi l’idée d’une communauté nord-américaine, la version nord-américaine de l’Union européenne, serait si difficile à mettre en place125. »

Il ne suffit pas de souhaiter une telle communauté pour qu’elle se mette en place. Nous estimons donc que, pour progresser sur le plan des échanges trilatéraux, il faut que les administrations publiques poursuivent et appuient concrètement des mesures pouvant être réalisées d’ici quelques années. Nous pensons en particulier à des mesures qui ne toucheraient pas indûment à la souveraineté des partenaires. Ces mesures seraient prises dans le but évident d’accroître la qualité de vie des citoyens de chacun des pays visés. Pour qu’il y ait une vision trilatérale commune, il faut qu’elle soit fondée sur une reconnaissance mutuelle des intérêts de chacun et sur un engagement commun vis-à-vis de diverses formes de coopération à l’échelle nord-américaine qui servent les intérêts mutuels. C’est de cela dont nous allons désormais traiter.

5.9   Pour un programme canadien pratique de coopération politique trilatérale

Peu importe ce qu’on pense des concepts ambitieux pour une « architecture » nord-américaine correspondant à l’approfondissement des niveaux d’intégration126, il ne devrait y avoir aucun doute que, selon tout scénario raisonnable visant l’intérêt national canadien, les pouvoirs publics du Canada doivent tendre vers les meilleures relations possibles avec nos deux voisins nord-américains. Nous devrions constamment chercher de meilleures façons de gérer ces relations — sur un plan bilatéral si la situation le requiert ou trilatéral lorsque c’est possible et approprié — en fonction des intérêts à long terme des Canadiens. En outre, il faut être d’avant-garde, innovateur et proactif, tirer des enseignements de l’expérience mais ne pas s’y limiter ni s’imposer des contraintes par manque d’imagination ou de confiance en soi.

Si l’on examine l’état des relations nord-américaines à la lumière de toute l’analyse contenue dans le présent rapport, il est facile de déceler certains « déficits » au chapitre du développement institutionnel et démocratique. De l’avis du Comité, cependant, ces déficits peuvent être corrigés et ne nécessitent pas des initiatives très compliquées ou coûteuses qui n’offriraient presque assurément aucune perspective valable pour notre principal voisin. Nous estimons qu’il est possible de chercher à établir une relation politique trilatérale plus substantielle dans au moins quatre domaines : la participation des dirigeants; la coopération parlementaire; l’établissement d’un ordre du jour et l’innovation institutionnelle; la coopération sectorielle et l’élaboration des politiques à venir.

1.  Participation des dirigeants

Il n’est sûrement pas suffisant pour les trois leaders nord-américains de se rencontrer seulement d’une façon irrégulière et, d’ordinaire, si cela se produit, en marge de quelque rencontre internationale (p. ex., le Sommet des Amériques à Québec, en avril 2001, la Conférence de Monterrey sur le financement du développement, en mars 2002, le Sommet de l’APEC à Los Cabos, en octobre 2002). Même si la relation économique du Canada avec l’Union européenne ne représente maintenant qu’une fraction décroissante de celle que nous avons avec nos partenaires de l’ALENA, nous disposons d’un cadre officiel de coopération politique avec l’UE, ce qui comprend une conférence au sommet tous les six mois entre le premier ministre du Canada et les dirigeants de l’UE (le président de la Commission européenne avec le chef de gouvernement de l’État occupant la présidence exercée par rotation). Dans le contexte du G8, les leaders se rencontrent régulièrement à des sommets annuels, et plusieurs activités entre les sommets rassemblent un nombre croissant de ministres. Il n’existe rien de semblable pour les chefs de gouvernement dans les relations nord-américaines. Pourquoi en est-il ainsi?

À l’heure actuelle, les ministres du Commerce se rencontrent de temps à autre sous les auspices de la Commission du libre-échange de l’ALENA (la dernière fois, à Puerto Vallarta en mai 2002). Les ministres de l’Environnement et ceux du Travail se réunissent eux aussi périodiquement pour examiner les réalisations des deux autres commissions de l’ALENA. En 2001, les ministres de l’Énergie ont créé un groupe de travail nord-américain sur l’énergie afin de partager l’information et de coordonner certaines activités. Mais ce sont là, au mieux, des structures rudimentaires, et la coopération nord-américaine devrait pouvoir aller au-delà du statu quo de l’ALENA et de quelques autres secteurs principalement économiques. Comme l’a demandé l’ex-ministre Lloyd Axworthy, qu’est-il advenu du cadre de partenariat qui était en voie d’élaboration entre les trois ministres des Affaires étrangères?

 Selon le Comité, il ne serait pas très difficile d’arrêter un mode plus régulier d’interaction pour les grands décideurs gouvernementaux d’Amérique du Nord, et le Canada devrait faire valoir cet argument. Nous devrions également élaborer des options pratiques sur la façon de soutenir ce niveau plus intensif d’interaction, en commençant probablement par le genre de secrétariat tournant à petite échelle fourni par le pays hôte dans le cadre de l’actuel processus du G8.

Recommandation 36

Le Canada devrait proposer aux États-Unis et au Mexique un cadre de coopération trilatérale nord-américaine en vertu duquel les chefs de gouvernement des trois pays se rencontreraient chaque année ou, de préférence, tous les six mois, pour se pencher sur un ordre du jour convenu ayant trait à des questions d’intérêt commun. Dans ce même cadre, les ministres des Affaires étrangères et d’autres aussi, selon le cas, devraient être encouragés à tenir des réunions trilatérales périodiques. Le pays hôte par rotation pourrait fournir un petit secrétariat. De plus, le Canada devrait examiner d’autres options susceptibles de hausser ce niveau d’interaction intergouvernementale trilatérale selon un mode de fonctionnement plus permanent et plus soutenu.

2.  Coopération parlementaire

La coopération politique trilatérale ne peut se borner à un échange entre les dirigeants des gouvernements nationaux. Il existe déjà beaucoup d’autres interactions politiques transfrontalières, impliquant non seulement des parlementaires fédéraux canadiens mais aussi des politiciens provinciaux et locaux, surtout dans les régions frontalières. Les groupes parlementaires vont davantage visiter leurs homologues aux États-Unis (habituellement à Washington) et, occasionnellement au Mexique, comme ce fut le cas pour le Comité au cours de son étude. Mais le fait que nous n’ayons pu rencontrer directement que quelques-uns des membres du Congrès américain et que notre réunion avec le Congrès mexicain ait été le tout premier du genre montre bien que nous en sommes encore aux premières étapes du processus.

Les représentants élus de nos trois États n’ont pas encore acquis l’habitude de se réunir régulièrement pour établir une certaine continuité dans la discussion des questions d’intérêt commun. En ce moment, les parlementaires des trois pays s’assemblent à peu près chaque année, mais dans un contexte bilatéral seulement127. Un groupe parlementaire Canada-États-Unis existe depuis longtemps, alors que les rapports parlementaires Canada-Mexique sont plus récents. Il n’y a cependant guère eu d’interaction entre les deux. La prochaine étape logique semblerait être de donner un caractère trilatéral aux rencontres de ces groupes. Pour en revenir aux propositions de Robert Pastor, il conviendrait de combiner ces associations bilatérales distinctes en un « groupe parlementaire nord-américain ». M. Pastor fait valoir qu’un groupe trilatéral « pourrait mieux sensibiliser les membres du Congrès et donnerait la possibilité aux parlementaires mexicains et canadiens de réfléchir très sérieusement à ce qu’ils ont en commun128 ».

À la lumière des réunions tenues avec des membres du Congrès des États-Unis et du Mexique, le Comité estime probable que seuls les Mexicains sont disposés à prendre en considération ce genre d’arrangements parlementaires trilatéraux. Pourtant, comme nous l’a laissé entendre Brian Stevenson, quand il y a une volonté, on peut trouver d’autres voies :

[…] si les législateurs des États-Unis ne peuvent pas être convaincus de participer à ce stade [à une association ou à un comité parlementaire nord-américain], ne pourrait-on pas convoquer les deux comités parlementaires bilatéraux à une séance unique pour discuter de l’Amérique du Nord? Et que dire d’une invitation du Comité permanent à ses homologues pour communiquer vos conclusions concernant la présente étude et pour demander quelles pourraient être les prochaine étapes? Une autre idée serait d’établir un programme de stages nord-américain, qui contribuerait certainement à rapprocher les futurs dirigeants politiques et les aiderait à comprendre les systèmes politiques très différents qui existent en Amérique du Nord129.

Le Comité accueille favorablement ces suggestions utiles. Nous avons l’intention de transmettre les conclusions de ce rapport à nos homologues des comités des affaires internationales, au Congrès américain, et à ceux du Congrès mexicain, en version espagnole. De plus, nous espérons pouvoir convoquer une réunion de suivi à Ottawa avec les parlementaires américains et mexicains de ces comités pour que nous discutions ensemble des priorités pour l’évolution des relations nord-américaines.

Par ailleurs, en ce qui a trait à la diversité de nos systèmes politiques respectifs, le Comité reconnaît que les trois pays sont des fédérations complexes pourvues chacune de cultures politiques régionales. En fait, Robert Pastor a noté que « toute tentative sérieuse de coordination des politiques sur les questions nord-américaines se [bute] inévitablement aux structures fédérales des trois gouvernements » et, dans chaque pays, « les gouvernements infranationaux jouissent d’un pouvoir et d’une autonomie substantiels130 ». Nous estimons par conséquent utile d’approfondir l’idée de tenir un forum parlementaire nord-américain trilatéral et tripartite, à intervalle de quelques années, auquel participeraient des représentants élus, tant non fédéraux que fédéraux. Et la réflexion novatrice ne devrait pas s’arrêter là. Une partie du forum pourrait être réservée à un dialogue entre plusieurs ministres invités sur le ou les thèmes d’intérêt nord-américain choisis pour le forum. Une autre partie pourrait être consacrée à un dialogue entre divers représentants d’organismes de la société civile intéressés, vu les liens croissants en Amérique du Nord entre les acteurs non étatiques, les intervenants et les citoyens en général.

Même si l’on a avancé des idées plutôt théoriques ou spéculatives — par exemple, établir des comités législatifs permanents sur des questions d’intérêt nord-américain dans les trois pays131 ou, en allant beaucoup plus loin, la proposition de Hugh Segal de créer une assemblée nord-américaine semblable à l’ancien Parlement européen132—, le Comité estime que nous devrons apprendre à marcher avant de pouvoir courir. Il s’agit en effet de progressivement élargir les canaux existants des communications et des délibérations interparlementaires et, ce qui est tout aussi important, d’assurer que ces activités sont bien préparées et appuyées.

Recommandation 37

Les initiatives canadiennes suivantes visant à renforcer la coopération parlementaire dans un contexte nord-américain devraient être prises en considération :

 §Les dirigeants du Parlement du Canada devraient, dans un premier temps, encourager l’interaction dans les activités interparlementaires Canada-États-Unis et Canada-Mexique, et considérer la possibilité de tenir des séances conjointes. Ensuite, ils devraient pressentir leurs homologues américains et mexicains au sujet de l’éventuel établissement d’un groupe parlementaire nord-américain principal, composé de membres des groupes bilatéraux établis.
 §Par suite de la création d’une telle association parlementaire trilatérale, le Parlement canadien devrait proposer à ses deux vis-à-vis de tenir un forum parlementaire inaugural sur l’avenir du partenariat nord-américain. Ce forum pourrait inclure des élus non fédéraux et comporter la possibilité d’un dialogue avec des représentants des gouvernements et de la société civile des trois pays. Si l’expérience est concluante, le forum trilatéral pourrait se répéter à des intervalles convenus, dans les trois pays à tour de rôle.
 §Le Parlement et le gouvernement devraient voir à ce que le développement de la coopération interparlementaire trilatérale soit bien préparé et soutenu par les ressources supplémentaires nécessaires à cet effet. Il faudrait également songer à effectuer des échanges de personnel entre les parlements et à établir un programme de stages.

3.  Établissement de l’ordre du jour et innovation institutionnelle

Les propositions comme celles de Robert Pastor de créer une « commission nord-américaine (CNA) » ont tendance à inspirer instantanément des soupçons et des réserves parce qu’elles laissent entrevoir une pente dangereuse vers une entité bureaucratique supranationale semblable à la Commission de l’Union européenne. En fait, l’idée de M. Pastor concernant une telle commission, comme il nous l’a expliqué, sous-entend de façon plus modeste que son rôle serait le suivant :

[…] définir l’ordre du jour des rencontres au sommet des trois dirigeants du continent et […] contrôler l’application des décisions prises et des plans arrêtés. La CNA pourrait compter sur un bureau qui se chargerait de recueillir des statistiques auprès des trois gouvernements. Elle pourrait commander des études sur différents secteurs comme le transport, l’énergie ou la haute technologie afin de déterminer ce qu’il y a lieu de faire pour faciliter l’intégration économique dans les secteurs concernés, à l’échelle continentale. Ces analyses, assorties de propositions de solutions, seraient ensuite soumises au premier ministre et aux deux présidents.

Contrairement à la tentaculaire Commission européenne, qui a un caractère réglementaire, la commission nord-américaine n’aurait qu’un rôle consultatif et serait de taille réduite : elle pourrait n’être composée que de cinq éminents représentants par pays. Les 15 commissaires auraient pour tâche d’aider les dirigeants à adopter un raisonnement continental. Pour régler le problème de l’immigration et des douanes aux frontières, ils pourraient proposer l’émission d’un « passeport nord-américain » aux voyageurs fréquents ou la création d’un corps « d’agents nord-américains des douanes et de l’immigration » chargés de patrouiller le périmètre et de réduire la paperasserie de moitié.

Les présidents et le premier ministre continueraient de faire appel à leur gouvernement respectif, mais la CNA les inciterait à agir en fonction d’une vision à long terme et à envisager les possibilités offertes de façon beaucoup plus panoramique qu’à l’heure actuelle133.

Tout cela demeure quand même un menu assez complexe et peut-être fantaisiste, probablement plus copieux que ce que l’un ou l’autre des trois gouvernements ne seraient disposés à absorber. Quels qu’en soient les mérites en théorie ou à long terme, il englobe bien davantage que ce que Washington ou Ottawa accepteront de prendre en considération dans un avenir prévisible. Il soulève également des questions clés. Les États-Unis accepteraient-ils une représentation égale au sein d’un tel organisme trilatéral? Par contre, sur quelle autre base le Canada ou le Mexique pourraient-ils l’accepter? Où serait installée la commission et les coûts en seraient-ils assumés à parts égales? Tant que ces détails ne sont pas arrêtés, il est difficile d’en faire une évaluation réaliste.

Cependant, le Comité pense qu’il est peut-être possible de prendre certains éléments de cette idée et de les étudier conjointement avec la suggestion mexicaine de créer un groupe consultatif de « sages » hautement qualifiés. Nous sommes d’avis que les trois gouvernements pourraient, plutôt que de simplement conserver le statu quo ou de rejeter les idées comme celles de Robert Pastor, tirer avantage du travail approfondi d’un petit groupe d’experts. Le mandat du groupe serait d’examiner, pour en faire rapport aux gouvernements, l’avenir du partenariat nord-américain en général et la faisabilité des prochaines étapes trilatérales en particulier. Un tel groupe pourrait être très petit, disons trois personnes, chacun des gouvernements y nommant un membre en consultation avec les autres.

Le mandat du groupe pourrait être défini en des termes aussi généraux que les trois gouvernements sont capables d’arrêter mutuellement. Qui plus est, aucune de ses recommandations ne serait de quelque façon exécutoire. Nous croyons par ailleurs que la constitution d’un tel groupe donnerait l’occasion d’explorer rigoureusement de prometteuses perspectives d’avenir pour la coopération nord-américaine, de même que d’éventuelles formules de développement institutionnel et d’innovation dont il serait extrêmement utile d’enrichir les processus trilatéraux exécutifs et parlementaires plus intensifs, que nous avons recommandés. Le groupe d’experts serait en outre encouragé à tenir de vastes consultations dans les trois pays. Ses conclusions seraient publiées et, espérons-le, stimuleraient un débat mieux informé.

Le Comité considère ce type de processus de haut niveau comme un prélude utile à l’examen sérieux par les trois gouvernements d’idées d’avant-garde provocatrices, jugées, d’après les rapports du groupe d’experts, comme étant dignes d’approfondissement pour le bénéfice des citoyens de chaque pays. Pareilles idées pourraient, par exemple, prévoir (en plus de l’établissement d’un tribunal nord-américain permanent du commerce et de l’investissement, déjà recommandé au chapitre 4) une commission nord-américaine permanente, un fonds de développement nord-américain ou des plans trilatéraux à grande échelle pour une infrastructure ou d’autres programmes conjoints. On ne perd rien à étudier de telles options, mais on peut y gagner beaucoup.

Recommandation 38

Le gouvernement du Canada devrait proposer aux gouvernements des États-Unis et du Mexique la constitution d’un petit groupe d’experts hautement qualifiés, qui donnerait son avis sur l’avenir du partenariat trilatéral nord-américain. Les gouvernements s’entendraient sur le mandat du groupe, lequel bénéficierait du temps nécessaire à de vastes consultations au sein des trois pays avant la publication de ses conclusions. On pourrait demander au groupe d’examiner en profondeur la faisabilité et les avantages, notamment du point de vue de la transparence démocratique et de l’obligation de rendre compte, de diverses formules pour de nouvelles institutions trilatérales comme :

 §un secrétariat plus permanent ou une « commission » pour appuyer le travail continu au moyen de sommets trilatéraux et d’autres activités de coopération intergouvernementale;
 §un tribunal de l’ALENA permanent sur le commerce et l’investissement;
 §un mécanisme de financement ou un fonds de développement nord-américain.

4.  Coopération sectorielle et élaboration des politiques futures

Dernier point mais non le moindre, le débat concernant l’orientation de l’Amérique du Nord ne doit pas se résumer au lancement d’études spécialisées sur des structures, des formules et des processus politiques/institutionnels, malgré leur importance cruciale pour tout programme public démocratiquement acceptable. La discussion doit également porter sur la façon dont les politiques peuvent être élaborées trilatéralement dans les grands secteurs d’activité qui revêtent une dimension de plus en plus nord-américaine et sur la façon dont de telles initiatives stratégiques peuvent être mises en œuvre pour réaliser des objectifs d’intérêt public.

George Haynal a donné plusieurs exemples sur la façon d’appliquer les relations trilatérales pour la réalisation d’objectifs stratégiques pratiques et mutuellement avantageux. Ainsi qu’il l’a affirmé au Comité :

Nous sommes déjà engagés dans des discussions sur une approche nord-américaine de gestion de nos besoins et ressources énergétiques. La coopération entre nous peut avoir d’énormes effets bénéfiques, non seulement sur le plan de la mise en valeur de nouvelles sources d’hydrocarbures, mais aussi sur le plan d’une action concertée face aux problèmes environnementaux ainsi qu’à la recherche et à l’exploitation de nouvelles sources d’énergie. Les mécanismes de consultation actuellement utilisés à cet effet, qui sont officieux, pourraient être davantage officialisés et ouverts à une plus grande participation, de façon à soutenir un débat politique ouvert à davantage d’intervenants et au public. […]

D’autres possibilités pratiques de coopération bilatérale abondent. Les marchés poussent à une infrastructure de transport nord-américaine plus intégrée et plus étoffée. Les flux commerciaux en Amérique du Nord ont une composante nord-sud de plus en plus dynamique. Les pouvoirs publics doivent veiller à ce que l’infrastructure soit en place pour faciliter ces mouvements, d’une manière conforme à nos objectifs environnementaux, plutôt que de les étouffer. Un discours actif sur les investissements nécessaires à la création d’artères nord-américaines serait opportun aux fins de cette coopération134.

Les témoins ont parlé de l’éducation comme d’un autre domaine possible de coopération nord-américaine. Par exemple, Brian Stevenson, de l’université de l’Alberta, a déclaré que « nous devrions élaborer plus de programmes qui encourageraient les échanges en matière d’enseignement et aussi envisager d’étendre le programme de mobilité nord-américain qui existe déjà135 ».

Bref, les idées positives ne manquent pas sur la façon, pour le Canada, d’engager ses partenaires d’Amérique du Nord dans des initiatives nord-américaines, avantageuses pour les Canadiens. Si l’on prend au pied de la lettre la « déclaration des dirigeants » d’Amérique du Nord, prononcée en avril 2001, on peut s’attendre à des progrès dans les relations trilatérales touchant de nombreux domaines. Toutefois, sans suivi concret, bon nombre de ces déclarations d’intentions risquent de rester lettre morte. Le Comité estime que les gouvernements d’Amérique du Nord peuvent, s’ils le veulent, éviter une telle issue décevante. Comment? Notre message est simple et direct : en commençant dès aujourd’hui à établir un ordre du jour sérieux et cohérent pour la coopération trilatérale accrue de demain.

Recommandation 39

Le gouvernement du Canada devrait proposer que le premier sommet officiel des chefs de gouvernement des pays d’Amérique du Nord, selon le modèle suggéré, entreprenne de déterminer les secteurs clés sur lesquels tous s’entendent pour que la coopération trilatérale soit renforcée en priorité. De là, il faudrait établir un cadre de coopération trilatérale à faire approuver lors d’un futur sommet, et les progrès de sa mise en œuvre devraient par la suite faire l’objet d’une revue systématique à chaque sommet. Le groupe d’experts dont l’établissement a été recommandé pour des consultations sur l’avenir du partenariat nord-américain pourrait également être chargé d’évaluer les secteurs d’intervention présentant le plus de possibilités pour une coopération trilatérale accrue.


1Témoignages, réunion no 57, 19 février 2002.
2Témoignages, réunion no 56, 7 février 2002.
3Témoignages, réunion no 89, 11 juin 2002.
4Témoignages, réunion no 82, 9 mai 2002.
5Témoignages, réunion no 88, 6 juin 2002.
6Témoignages, réunion no 90, 13 juin 2002.
7Témoignages, réunion no 90, 13 juin 2002.
8Tiré d’un argumentaire exposé dans un document à paraître, « The View from the Attic: Towards a Gated Continental Community? », exemplaire anticipé (cité avec l’autorisation de l’auteur).
9Notes pour une allocution à la 8e cérémonie annuelle de remise des prix canado-américains d’excellence en affaires et au forum international des affaires, « Le Canada que nous voulons dans l’Amérique du Nord que nous bâtissons », Toronto, 16 octobre 2002, disponible sur le site Web du MAECI, à www.dfait-maeci.gc.ca.
10Le lecteur trouvera un survol historique éclairant des façons dont le Canada a choisi de gérer sa relation avec les États-Unis dans Allan Smith, Doing the Continental: Conceptualizations of the Canadian-American Relationship in the Long Twentieth Century, Canadian-American Public Policy, no 44, décembre 2000.
11Michael Hart, Mémoire, 5 février 2002.
12Témoignages, réunion no 45, 27 novembre 2001.
13Fen Osler Hampson, Norman Hillmer et Maureen Appel Molot, « The Return to Continentalism in Canadian Foreign Policy », in The Axworthy Legacy: Canada Among Nations 2001, Don Mills, Oxford University Press, 2001, p. 11-12.
14James Laxer, Stalking the Elephant: My Discovery of America, Toronto, Viking, 2000, p. 13.
15« Recommandations au Comité », Mémoire, Halifax, réunion no 59, 26 février 2002.
16Andrew Cohen, « Canadian-American Relations: Does Canada Matter in Washington? Does it Matter if Canada Doesn’t Matter? », in Canada Among Nations 2002, p. 44.
17Témoignages, réunion no 45, 27 novembre 2001.
18Témoignages, réunion no 88, 6 juin 2002.
19Thomas S. Axworthy, « A Choice Not an Echo: Sharing North America with the Hyperpower », mémoire présenté à la conférence sur la recherche du néo-libéralisme, Toronto, 27-29 septembre 2002, p. 7.
20Stephen Clarkson, « Don’t Give it Away, Mr. Chretien, Protect it », The Globe and Mail, 9 août 2002.
21Notes pour une allocution, op. cit., 16 octobre 2002.
22Témoignages, réunion no 90, 13 juin 2002.
23Témoignages, réunion no 55, 5 février 2002.
24Témoignages, réunion no 45, 27 novembre 2001.
25Témoignages, réunion no 89, 11 juin 2002. Dans son rapport d’octobre 2002 intitulé Une nation en péril : le déclin des Forces canadiennes, la Conférence des associations de la défense soutient que « Les États-Unis fondent leurs politiques commerciales sur ‘l’équilibre’ » et que « En fin de compte, l’arbitre dans les dossiers commerciaux, y compris les différends, c’est la Maison-Blanche ». Ces deux énoncés sont pour le moins douteux et témoignent de la nécessité pour le Canada de mieux comprendre le système politique américain.
26Témoignages, réunion no 87, 4 juin 2002.
27Cité dans Témoignages, réunion no 55, 5 février 2002.
28Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.
29Il y a des dizaines d’années, les diplomates canadiens n’avaient de contacts qu’au Département d’État. Comme Lester Pearson l’a fait observer avec une ironie désabusée en 1964, « J’ai déjà été diplomate. J’étais ambassadeur à Washington. Et à l’époque, le Département d’État ne me permettait jamais de rencontrer des membres du Congrès. Il avait certainement raison, car si les diplomates avaient commencé à établir des contacts trop personnels avec des membres du Congrès, cela n’aurait pas eu tellement d’effet sur le Congrès, mais je me demande ce que cela aurait pu signifier pour les diplomates et pour le Département d’État […] » in Roger Frank Swanson (sous la dir. de), Canadian-American Summit Diplomacy 1923-1973: Selected Speeches and Documents, McClelland and Stewart, 1975, p. 230.
30Témoignages, réunion no 90, 13 juin 2002.
31Témoignages, réunion no 80, 8 mai 2002.
32Témoignages, réunion no 87, 4 juin 2002.
33Témoignages, réunion no 75, 6 mai 2002.
34Témoignages, réunion no 87, 4 juin 2002.
35Témoignages, réunion no 55, 5 février 2002.
36Témoignages, réunion no 45, 27 novembre 2001.
37Ibid.
38Témoignages, réunion no 78, 7 mai 2002.
39Témoignages, réunion no 45, 27 novembre 2001.
40Témoignages, réunion no 55, 5 février 2002.
41Témoignages, réunion no 88, 6 juin 2002.
42Témoignages, réunion no 78, 7 mai 2002.
43Témoignages, réunion no 90, 13 juin 2002.
44Témoignages, réunion no 74, 2 mai 2002.
45Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.
46L’honorable Bill Graham, « Notes pour une allocution au ministère des Affaires étrangères du Mexique — Le Canada, le Mexique et l’Amérique du Nord : entre voisins », 14 mars 2002.
47Il existe une version papier en espagnol de la transcription de la séance du 13 mars 2002.
48Témoignages, réunion no 88, 6 juin 2002.
49J.C.M. Ogelsby, Gringos from the Far North, in Anthony De Palma, Here: A Biography of the New American Continent, p. 233.
50Antonio Ocaranza, texte des remarques au premier groupe d’experts du Comité à l’ambassade du Canada, Mexico, 13 mars 2002, p. 3.
51Duncan Wood et George MacLean, « A New Partnership for the Millennium? The Evolution of Canadian-Mexican Relations », Canadian Foreign Policy, vol. 7, no 2, hiver 1999, p. 35. Le professeur Wood est le directeur de l’Instituto Tecnológico Autónomo de México, et le professeur MacLean a témoigné devant le Comité à Winnipeg le 6 mai 2002.
52Castro Rea, « Le défi nord-américain d’un point de vue mexicain », ISUMA, vol. 1, no 1, printemps 2000.
53Le Canada est devenu le deuxième plus important marché d’exportation du Mexique après les États-Unis. Et plus récemment, l’ambassadeur du Canada au Mexique, Keith Christie, a prédit que d’ici quelques années, le Mexique pourrait devancer le Royaume-Uni comme troisième plus important marché d’exportation. (Voir Christie, « Finalement voisins : le Canada et le “nouveau” Mexique », Horizons, vol. 4, no 4, septembre 2001, p. 6.)
54Marc Lortie a fait remarquer ce qui suit : « Les études canadiennes rendent compte de plus en plus de succès au Mexique. Une dynamique association mexicaine d’études canadiennes comptant plus de 250 universitaires, sept programmes d’études canadiennes dans les grandes universités et plus de 350 ententes universitaires sont à la base de la coopération universitaire. » (Témoignages, réunion no 57, 19 février 2002).
55« A New Partnership for the Millennium? », op.cit., p. 36.
56Témoignages, réunion no 57, 19 février 2002.
57Cela confirme l’observation de Castro Rea il y a plusieurs années que « Jusqu’à présent, l’ALENA n’a pas inversé la tendance à la polarisation accrue des revenus au Mexique. […] L’inégalité ne se limite pas à des questions de justice sociale; elle restreint également dangereusement le développement des marchés. Tant qu’une proportion importante de la population mexicaine connaîtra la pauvreté, le marché de 100 millions de personnes au sud de la frontière des États-Unis dont rêvaient les promoteurs de l’ALENA ne remplira pas ses promesses. » (« Le défi nord-américain d’un point de vue mexicain »).
58Il y a lieu de souligner que le ministre des Affaires étrangères du Canada, Bill Graham, suivait des cours d’espagnol au Mexique lors de sa nomination au Cabinet. Il a également rencontré son homologue mexicain à plusieurs reprises dans les mois qui ont suivi sa nomination.
59     Jorge Castaneda, « North American Partners: It takes three to tango », The Ottawa Citizen, 4 mars 2002, p. A13.
60Les villes frontalières mexicaines ont perdu un certain nombre d’emplois dans le secteur des maquiladoras, mais ces pertes seraient atténuées par la reprise de la consommation aux États-Unis et les récentes initiatives frontalières. Les autres facteurs comprennent l’appréciation de la valeur du peso mexicain par rapport au dollar américain. D’aucuns s’inquiétaient de la perte d’emploi des travailleurs mexicains au profit des pays où le coût de la main-d’œuvre est moins cher comme la Chine où le salaire horaire moyen est de 0,22 $ US comparativement à 2 $ au Mexique (voir « Mexico’s Border Region: Opportunity Lost », The Economist, 16 février 2002).
61L’honorable Lloyd Axworthy, « Action mondiale, communauté continentale : La sécurité humaine dans la politique étrangère du Canada », allocution à une réunion du Mid-America Committee, Chicago, 9 septembre 1998.
62     « A New Partnership for the Millennium? », p. 45.
63     Stacey Wilson-Forsberg, Overcoming Obstacles on the Road to North American Integration: A View from Canada, Ottawa, exposé de principe de FOCAL, novembre 2001, p. 6. Pour un survol critique des rapports Canada-Mexique au cours des premiers mois de l’administration Fox, voir aussi Canada Watch, Special Issue on the New Mexico under Fox: Is It Happening?, vol. 8, no 6, juillet 2001.
64Témoignages, réunions no 57, 19 février 2002.
65Renseignement fourni par Michael Welsh, directeur de la division mexicaine du Bureau de l’Amérique du Nord, MAECI. Les propositions mexicaines auraient pu, semble-t-il, être discutées par les trois chefs de gouvernement au Sommet de l’APEC à la fin d’octobre 2002 organisé par le Mexique. Il n’y a toutefois pas eu de réunion triennale.
66La visite de M. Fox a été annulée, ce qui n’a pas empêché la signature d’un accord Canada-Mexique sur la coopération énergétique à Ottawa le 12 avril 2002 par le ministre des Ressources naturelles du Canada, Herb Dhaliwal, et le secrétaire de l’Énergie du Mexique, Ernesto Martens.
67Pour un examen très intéressant de la performance de l’administration Fox durant sa première année, voir George Grayson, Mexico: Changing of the Guard, New York: Foreign Policy Association Headline Series no 323, automne 2001. Voir aussi l’évaluation plus récente du programme de M. Fox sur l’intégration nord-américaine, axé sur des réformes à venir dans des secteurs clés de l’économie mexicaine, comme celui de l’énergie : Rogelio Ramirez De La O, Mexico: NAFTA and the Prospects for the North American integration, Institut C.D. Howe, novembre 2002.
68     Wilson-Forsberg, Canada and Mexico: Searching for Common Ground on the North American Continent, Exposé de principe, mars 2002, p. 1.
69Exposé oral, Mexico, 13 mars 2002.
70Stacey Wilson-Forsberg, North American Integration: Back to Basics, p. 4.
71L’intérêt que témoigne le Mexique pour le Nord semble encore plus apparent sur le plan géo-économique, grâce en grande partie à l’ALENA. (Voir « With Latin America heading south, Mexico turns its horses north », The Economist, 31 août 2002, p. 26-27.) Du point de vue socioculturel, toutefois, De Palma a fait remarquer que « Peu de personnes au nord du Mexique, voire personne n’est prêt à désigner les Mexicains comme des Nord-américains, et je n’ai jamais rencontré de Mexicains prêts à se décrire comme des Nord-américains. » (Here: A Biography of the New American Continent, p. 146.) L’annulation d’un voyage au Texas par le président Fox en août 2002 indique également une recrudescence des tensions politiques dans une relation États-Unis-Mexique « qui ne tourne pas rond », selon Peter Hakim, Dialogue inter-américain (voir « Mexico-U.S. ties frayed by execution », The Globe and Mail, 16 août 2002, p. A9).
72« L’avenir de l’intégration en Amérique du Nord », notes préparées pour le deuxième groupe d’experts du Comité, Mexico, 14 mars 2002, p. 4.
73Témoignages, réunion no 55, 5 février 2002.
74Témoignages, réunion no 89, 11 juin 2002. Interrogé au sujet d’un nouvel accord bilatéral de coopération énergétique entre le Canada et le Mexique qui venait d’être signé, Larry Morrison, de l’Association canadienne des producteurs pétroliers, a répondu : « En ce qui concerne le Mexique, je ne suis pas vraiment au courant; j’en ai une idée vague. Je crois que ce programme donne suite aux dispositions de l’Accord de libre-échange nord-américain, et qu’il libéralise les échanges entre le Canada et le Mexique. » (Témoignages, réunion no 80, 8 mai 2002.)
75Témoignages, réunion no 55, 5 février 2002.
76Témoignages, réunion no 90, 13 juin 2002.
77Témoignages, réunion no 87, 4 juin 2002.
78Témoignages, réunion no 75, 6 mai 2002.
79Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.
80Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.
81Témoignages, réunion no 56, 7 février 2002.
82Témoignages, réunion no 82, 9 mai 2002. M. Stevenson a fait référence à un ouvrage à paraître sous peu qu’il a rédigé conjointement avec Michael Hawes et Rafael Fernandez de Castro, Relating to the Powerful One: How Canada and Mexico View the USA.
83Témoignages, réunion no 88, 6 juin 2002.
84Ibid.
85Pour un exemple de la diversité des points de vue, voir « Approfondir nos connaissances du Mexique », Horizons, Projet de recherche sur les politiques, Ottawa, vol. 5, numéro spécial, mai 2002. Quant au besoin d’un plus grand partage des connaissances et de l’amélioration des voies de communication, Antonio Ocaranza a fait remarquer au Comité à Mexico que « Nos gouvernements se parlent plus que nos sociétés. »
86Témoignages, réunion no 88, 6 juin 2002.
87Témoignages, réunion no 62, 27 février 2002.
88Témoignages, réunion no 89, 11 juin 2002.
89Témoignages, réunion no 88, 6 juin 2002.
90Ibid.
91« Marketplace may not equal Community: Not ‘Here’ Yet? Preliminary Survey Findings ». Texte des observations faites à la conférence de la PPF/EKOS « Rethinking North American Integration », Toronto, 18 juin 2002, p. 10.
92Dans les sources canadiennes, voir, par exemple, l’évolution entre W. Andrew Axline, dir., Continental Community? Independence and Integration in North America, McClelland and Stewart, Toronto, 1974, et Stephen Randall et autres, dir., North America Without Borders? Integrating Canada, the United States and Mexico, University of Calgary Press, Calgary, 1992; et Herman Konrad « North American Continental Relationships: Historical Trends and Antecedents », dans Stephen Randall et Herman Konrad dir., NAFTA in Transition, University of Calgary Press, Calgary, 1995, qui se démarque beaucoup en attachant une attention considérable aux dimensions canado-mexicaines des relations continentales et à un « trilatéralisme émergent ».
93Bien que quelques analystes prétendent, comme Stephen Clarkson, que l’ALENA a établi un « pseudo » régime constitutionnel continental, du moins en ce qui concerne les relations économiques, cela ne s’est pas manifesté dans les institutions trilatérales. Selon Stephen Randall : « L’échec de l’ALENA de mettre sur pied une organisation parapluie qui puisse prendre des décisions, à l’abri des caprices des politiques nationales d’un pays, reflète la nature hautement traditionnelle de l’ALENA et le soin jaloux des pays qui le composent à préserver leur souveraineté nationale ». (« Managing Trilateralism: The United States, Mexico and Canada in the Post-NAFTA Era » in Randall et Herman, éd., NAFTA in Transition, 1995, p. 45.)
94Depuis le Traité de Rome de 1957, qui a établi la Communauté économique européenne, et le Traité de Maastricht de 1991, qui l’a transformée en Union européenne, d’autres traités ont été signés. Une Convention sur l’avenir de l’Union européenne examine actuellement les prochaines étapes du développement constitutionnel d’une « union sans cesse plus étroite », dans le cadre de l’élargissement éventuel de l’Union européenne, qui compterait 25 membres ou plus au cours des prochaines années. Un dernier obstacle à l’élargissement de l’UE est tombé le 20 octobre 2002 : les Irlandais ont en effet approuvé le Traité de Nice lors d’un second référendum. Ils l’avaient rejeté lors d’un premier référendum tenu en 2001 en Irlande.
95Témoignages, réunion no 55, 5 février 2002.
96     Stacey Wilson-Forsberg, North American Integration: Back to Basics, p. 4 et 6. La recommandation formulée dans le document de réflexion de FOCAL indique : « Les trois pays devraient consolider les relations bilatérales existantes, améliorer l’efficacité des institutions bilatérales et des approches politiques tout en s’assurant que le potentiel de l’ALENA est pleinement réalisé tout comme celui des accords connexes et des institutions. »
97« Action mondiale, communauté continentale : La sécurité humaine dans la politique étrangère du Canada », allocution lors d’une réunion du Mid-America Committee, Chicago, 9 septembre 1998. Ces idées ont par la suite été présentées dans un discours lors de la conférence de politique étrangère de 1998 de l’Institut canadien des affaires internationales tenue à Ottawa, le 16 octobre 1998.
98     L’hon. Lloyd Axworthy, « A Changing North American Agenda », dans Looking Ahead, revue de la National Policy Association, Washington (D.C.), juillet 2001, p. 9-10.
99Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.
100M. Pastor, spécialiste des questions latino-américaines, entretient des rapports étroits avec de hauts fonctionnaires mexicains, notamment le ministre des Affaires étrangères, Jorge Castañeda.
101Témoignages, réunion no 56, 7 février 2002. Le détracteur de l’ALENA, Stephen Clarkson, a défendu un point de vue légèrement opposé dans son nouvel ouvrage : « en lui-même, l’ALENA n’a rien à offrir pour ce qui est des institutions ou des processus pouvant aider une prise de décisions à l’échelle du continent — il ne prévoit aucun sommet trilatéral ou réunions d’urgence de sa commission. Comme l’ont clairement illustré les événements du 11 septembre, le mode de gouvernance nord-américain après les attentats a renforcé, et non remplacé, les relations bilatérales entre les États-Unis et le Canada et entre les États-Unis et le Mexique, ce qui confirme qu’un bilatéralisme non corrigé donne à Washington davantage de contrôle sur ses partenaires moins importants » (Uncle Sam and Us, p. 404-405).
102Témoignages, réunion no 56, 7 février 2002; fait également l’objet d’une déclaration écrite du 7 février déposée au Comité, passim.
103La conférence qui se tiendra les 27 et 28 mars 2003 à Montréal sur le thème « Au-delà de l’ALENA : consolider l’Amérique du Nord » s’attachera tout particulièrement à la création d’un fonds d’investissement nord-américain. Voir le site Web du Forum à l’adresse www.fina-nafi.org.
104Le projet a été débattu lors d’une réunion du Comité nord-américain (CNA) tenue à Ottawa en octobre 2002 pour marquer le 10e anniversaire de la signature de l’ALENA. D’après une déclaration provisoire, une Alliance comprendrait des groupes sectoriels, civils, publics, régionaux, entre autres, et des particuliers qui partageraient une vision nord-américaine et un intérêt pour le développement économique et social, des frontières sûres et efficaces, une collaboration sur les questions écologiques et autres priorités sociales à l’échelle du continent. La formation de l’Alliance miserait sur l’actuelle croissance à partir de la base et sur le processus d’intégration dont l’ALENA a été le catalyseur. En avril  2001, une déclaration du comité exécutif du CNA appelait les chefs des trois pays membres de l’ALENA à constituer un groupe de travail sur l’Amérique du Nord. (Voir le site Web du CNA à l’adresse : www.northamericancommittee.org.)
105Témoignages, réunion no 90, 13 juin 2002.
106Né au Canada, M. Stevenson a grandi au Mexique et aux États-Unis et se dit nord-américain à bien des égards. Pour en savoir plus sur le NAMI, consultez l’adresse : www.northamericaninstitute.org.
107Témoignages, réunion no 56, 7 février 2002.
108    North American Integration: Back to Basics, p. 9.
109« L’avenir de l’intégration en Amérique du Nord », allocution préparée pour le Comité, 14 mars 2002.
110Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.
111Témoignages, réunion no 55, 5 février 2002.
112Témoignages, réunion no 64, 28 février 2002.
113Témoignages, réunion no 88, 6 juin 2002.
114« L’hypothèse de l’intégration : Mise en contexte de la propension pour une vision continentale », Mémoire au Comité, 7 mai 2002.
115    Voir, par exemple, Charles Doran, « Building a North American Community », Current History, mars 1995; John Wirth, « Advancing the North American Community », American Review of Canadian Studies, été 1996; Rod Dobell, « Un pacte social pour une collectivité nord-américaine », Isuma, printemps 2000.
116Cité dans John Foster, « NAFTA at Eight: Cross currents », à paraître en décembre 2002.
117Allocution de l’ambassadrice du Mexique au Canada, Marίa Teresa Garcίa Segovia de Madero lors de la séance plénière sur les liens nord-américains tenue sur le thème « L’émergence d’une communauté nord-américaine? », 6 décembre 2002, p.2.
118« New North American Institutions: The Need for Creative Statecraft », notes en vue d’une allocution prononcée à la cinquième conférence annuelle de la JLT/CTPL tenue à Ottawa le 18 avril 2002, p. 4. Voir aussi Hugh Segal, « Toward a Treaty of North America », National Post, 18 novembre 2002, p. A14. Dans le même ordre d’idées, Perrin Beatty a indiqué « qu’un nouveau partenariat nord-américain est inévitable. Il se produira par défaut, à mesure que les forces technologiques, commerciales et sécuritaires rapprochent les trois pays, ou à dessein, si les politiciens, appuyés et conseillés par les gens d’affaires, entre autres, créent une vision attrayante d’une véritable communauté nord-américaine ». (« North American partnership inevitable », National Post, 12 septembre 2002.) Selon un sondage dont les résultats ont été publiés en septembre 2002, de telles tendances suscitent la controverse au sein de la population. D’après Anthony Wilson-Smith, « alors que nos liens économiques se resserrent avec les États-Unis, 59 % des Canadiens sont opposés à une intégration nord-américaine du style de celle de l’Union européenne. Toutefois, 54 % des personnes sondées sont réceptives à l’idée d’un Parlement continental où les États-Unis et le Mexique traiteraient de certaines questions particulières, comme l’environnement ». (« United in Ambivalence », éditorial, Maclean’s, 9 septembre 2002, p. 4.)
119Témoignages, réunion no 82, 9 mai 2002.
120Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.
121Comme Larry Siedentop l’explique dans son important ouvrage : « La légitimité démocratique est en péril en Europe. À bien des égards, l’intégration européenne est désormais un fait accompli. Il y a un marché unique et la plupart des États membres ont une monnaie commune. Ce qui demeure incertain, c’est la forme politique que l’Union européenne prendra. C’est pourquoi il est indispensable qu’il y ait un grand débat constitutionnel. » (Democracy in Europe, Penguin Books, Londres, 2001, p. 1). M. Siedentop affirme que seul un débat public portant sur les divers scénarios « peut commencer à convaincre les Européens que ce qui se produit en Europe aujourd’hui n’est pas simplement le résultat des forces inexorables du marché ni des machinations d’élites qui ont esquivé le contrôle démocratique ». (Ibid.)
122Voir Stephen Clarkson, « Fearful Asymmetries: The Challenge of Analyzing Continental Systems in a Globalizing World », Canadian-American Public Policy, septembre 1998; Laura Macdonald, « Governance and State-Society Relations », dans George Hoberg, éd., Capacity for Choice: Canada in a New North America (2002), chapitre 7.
123Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.
124Témoignages, réunion no 90, 13 juin 2002. Robert Wolfe estime qu’il est plus judicieux de travailler par l’entremise des institutions et des voies existantes que de prôner des changements institutionnels extrêmes et irréalistes : si la démocratie signifie participer à des décisions qui touchent votre vie et que nous ne voulons ni ne pouvons nous faire représenter à Washington, il nous faut nous tourner vers une myriade de petits cadres institutionnels où les gens travaillent main dans la main pour résoudre les problèmes. (« See you in Washington? Institutions for North American Integration », remarques préparées pour la Borderlines Conference, Montréal, 1er novembre 2002, p. 2.)
125Crane, « Beware of going the European Union route », The Toronto Star, 2 octobre 2002, p. E2. Dans la préface de The Future of North American Integration: Beyond NAFTA, (Robert Litan et Peter Hakim [sous la direction de], The Brookings Institution, Washington D.C., 2002), le président de l’Institution, Strobe Talbott, ancien sous-secrétaire d’État américain, reconnaît qu’il existe certains obstacles de taille : « l’intégration exige un degré d’égalité entre ses participants, faute de quoi elle ne fait que déguiser l’hégémonie. Un autre obstacle tient aux craintes que nourrit l’appareil politique américain à propos de toute atteinte à la souveraineté nationale », p.viii.
126Stacey Wilson-Forsberg, de l’organisme FOCAL, résume ainsi l’argument des sceptiques : « Comme il n’est ressorti ni vision ni plan clairs et précis assurant aux trois pays d’importants avantages politiques, économiques ou sociaux, il est donc prématuré de s’attendre à ce que le Canada, les États-Unis et le Mexique travaillent en vue d’un quelconque “bien nord-américain” collectif. Par conséquent, la seule orientation à suivre reste l’approche progressive, l’approfondissement des relations, de la coopération et de la coordination dans les domaines qui promettent d’évidents avantages pour chacun des pays. […] À moyen et à court terme, l’intégration se fera sujet par sujet, l’accent portant presque exclusivement sur les questions qui intéressent le membre nord-américain le plus puissant, les États-Unis » (North American Integration: Back to Basics, p. 11). Lors d’une entrevue récente, l’ambassadeur des États-Unis au Canada, Paul Cellucci, a déclaré que le Canada et les États-Unis devraient se concentrer sur des priorités comme l’établissement de « frontières intelligentes » et non pas s’engager dans des discussions concernant « une union économique plus officielle comme celle de l’Europe. […] Je ne dis pas que le débat ne devrait pas avoir lieu, mais qu’il devrait se produire plus tard (cité par Angelo Persichilli, « Cellucci says Canada-U.S. relationship “a role model for the world” », The Hill Times, 7 octobre 2002, p. 1).
127La 43e assemblée annuelle du Groupe interparlementaire Canada-États-Unis a eu lieu à Newport (Rhode Island) du 16 au 20 mai 2002. La 12e réunion interparlementaire Canada-Mexique s’est déroulée à Ottawa et à Mont-Tremblant (Québec) du 9 au 13 mai 2002.
128Mémoire au Comité, Ottawa, 7 février 2002.
129« Parler à nos voisins ou comment construire une collectivité nord-américaine », mémoire au Comité, Edmonton, 9 mai 2002.
130    Robert Pastor, Towards a North American Community (2001), p. 102.
131Suggestion faite par le professeur Leslie Pal, de l’université Carleton, dans un exposé intitulé « Integrating North America: New Political Institutions », présenté à la conférence susmentionnée de la Brookings Institution, en décembre 2001.
132Hugh Segal, « New North American Institutions » (avril 2002), p. 3.
133 Mémoire au Comité, 7 février 2002.
134Témoignages, réunion no 56, 7 février 2002.
135« Parler à nos voisins », présentation faite à Edmonton, 9 mai 2002.