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FAIT Rapport du Comité

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CHAPITRE 3 : L’AVENIR DE LA COOPÉRATION EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ ET DE DÉFENSE EN AMÉRIQUE DU NORD

Il nous faudra déployer des efforts extraordinaires pour convaincre les Américains que nous ne constituons pas une menace pour eux, mais plutôt que notre amitié ainsi que le commerce transfrontalier sont des atouts qu’ils doivent chérir et dont ils doivent tenir compte au moment de prendre des décisions en matière de sécurité.

L’hon. John Manley,
Témoignages, réunion no 40, 6 novembre 2001.

[…] il convient de noter que les décideurs et les universitaires canadiens n’envisagent pas normalement l’ALENA selon la perspective de la sécurité. De fait, ils peuvent être passablement hostiles à une telle suggestion. Cela témoigne de l’étendue de la contestation dont le concept de libre-échange a fait l’objet au Canada, des liens qu’on a établis dans ces débats entre ce concept et la question de la souveraineté de même que de l’inconfort persistant des Canadiens face à l’hégémonie américaine. Toutefois, pour le meilleur ou pour le pire, la participation à l’ALENA a eu d’importantes répercussions sur la sécurité du Canada dans son sens large. Et les événements du 11 septembre ont jeté une lumière beaucoup plus vive sur ces répercussions.

S. Neil MacFarlane et Monica Serrano,
« NAFTA : The Security Dimension1. »

CE QU’ONT DIT LES TÉMOINS

Si vous allez parler à un expert américain […] il va vous dire carrément que le problème, c’est qu’on a des politiques de sécurité très laxistes. On a un mauvais système. On laisse les gens entrer. Le problème, ce n’est pas le Canada comme tel. Il dirait que si les Américains résolvent leurs problèmes, ils aimeraient que le Canada résolve les siens pour qu’ils puissent être protégés sur ce côté-là. Et j’imagine qu’ils disent la même chose au Mexique.

C’est une question intellectuelle. Le seul levier qu’on a présentement, c’est un levier intellectuel, à défaut d’avoir un levier important sur le plan militaire […] Il s’agit de leur faire comprendre vraiment qu’un Canada fort est dans leur intérêt et qu’un Canada fort n’est pas nécessairement un Canada qui adopte les politiques américaines. C’est un Canada, par contre, qui protège les intérêts américains autant que les siens parce que c’est dans son intérêt de le faire.

Daniel Schwanen,
Institut de recherche en politiques publiques,
Témoignages, réunion no 64, 28 février 2002.

Dans le cas de la défense, la réalité c’est que nous sommes incapables de nous défendre nous-même contre une attaque externe d’envergure et que nous avons une entente avec les États-Unis sur la sécurité de base qui remonte à 1938. Cette entente est la suivante. Les États-Unis vont nous défendre, et nous acceptons de ne pas devenir une source de faiblesse militaire pour les États-Unis. Comment tenir cette entente, évidemment, voilà la question. Nous devons fournir les garanties nécessaires aux Américains que nous n’allons pas représenter pour eux un risque sur le plan de la sécurité. Nous n’avons donc pas vraiment l’option d’agir unilatéralement dans les circonstances, compte tenu de la nature des menaces auxquelles nous sommes confrontés. Nous devons donc presque coopérer.

Cela ne signifie pas que vous sacrifiez vos intérêts; en fait, c’est une façon de les rehausser. Lorsque vous participez avec les États-Unis, vous tentez de maximiser la sécurité de votre propre pays et en même temps vous gagnez accès au processus de prise de décisions stratégiques des États-Unis.

Don Barry, université de Calgary,
Témoignages, réunion no 80, 8 mai 2002.

Nous avons […] appris le 11 septembre que les désordres dans un pays pauvre et faible de l’autre côté de la planète peuvent avoir sur nous une incidence très considérable […] Voilà qui signifie que la collaboration canado-américaine se fera désormais dans un nouveau contexte, notamment pour ce qui a trait à notre frontière, célèbre pour sa longueur et pour le fait qu’elle n’est pas défendue. Nous devons nous rendre compte qu’il ne suffit pas d’agir seulement aux frontières. Les frontières sont désormais des zones et votre Comité sait fort bien puisqu’il s’est penché sur la notion de frontières intelligentes, qu’il est maintenant normal de penser que nous devons fonctionner à l’intérieur de vos frontières, tout comme vous devez fonctionner à l’intérieur des nôtres. Certains diront que cela porte atteinte à la souveraineté canadienne. Ce n’est pas du tout le cas, pas plus que cela ne porte atteinte à la souveraineté des États-Unis. Cela veut plutôt dire que nous devons revoir nos notions traditionnelles de ce que constitue une frontière et apprendre à agir de façon collaborative pour être en mesure de relever les défis que posent les menaces provenant […] de cette nouvelle dimension des relations transnationales.

Joseph Nye, université Harvard,
Témoignages, réunion no 74, 2 mai 2002.

Sans être directement exposés aux sentiments profonds d’insécurité et de vulnérabilité que nos cousins américains ressentent à l’heure actuelle, il est difficile pour les gouvernements de justifier à leurs citoyens et à eux-mêmes les mesures de sécurité que nous devons prendre pour apaiser ces craintes. Nous avons également appris que ce que nous voulons faire, c’est protéger un mode de vie commun auquel les extrémistes s’opposent et qu’ils menacent. Nos amis américains doivent également essayer de comprendre que même si nous sommes en désaccord avec certaines mesures, cela ne réduit absolument pas l’importance que nous attachons à leur sécurité et à la communauté que nous partageons.

Brian Stevenson, université de l’Alberta,
Témoignages, réunion no 82, 9 mai 2002.

[…] la majorité des gens au Canada pensent que notre politique étrangère et notre politique en matière de sécurité doivent se distinguer de celle des États-Unis. Je pense que ce serait une erreur parce que les valeurs sur lesquelles repose la politique étrangère et la politique en matière de sécurité du Canada sont les mêmes que celles sur lesquelles reposent les politiques semblables des États-Unis. Les guerres auxquelles les États-Unis ont participé récemment ont été livrées pour des raisons que la plupart des Canadiens jugent entièrement acceptables, morales, justifiables et éthiques. La protection de notre souveraineté doit reposer sur les valeurs et les intérêts qui nous sont chers. Cela signifie parfois que nous devons appuyer les États-Unis.

Frank Harvey, Université Dalhousie,
Témoignages, réunion no 61, 27 février 2002.

Bien qu’il importe que le Canada continue d’avoir une approche coopérative et coordonnée avec les États-Unis en matière de sécurité nord-américaine, ce serait commettre une grave erreur que d’intégrer les capacités militaires canadiennes et américaines.

Notre modèle de collaboration nous a bien servis. Il n’existe aucune raison contraignante de compromettre nos besoins de souveraineté en soumettant nos capacités militaires au commandement américain. Nous avons démontré dans de nombreuses missions et entreprises multilatérales, que ce soit sous l’égide de l’OTAN ou des Nations-Unies, que les troupes canadiennes pouvaient de fait être très utiles au sein de structures militaires intégrées. Il existe néanmoins une différence notoire entre le fait de se joindre à une mission multilatérale et celui de placer nos troupes sous le commandement d’une puissance voisine, peu importe sa bienveillance.

Satya Das,
Témoignages, réunion no 82, 9 mai 2002.

Je crois que l’accent mis sur la sécurité du territoire résulte principalement des événements du 11 septembre dernier. En y regardant de plus près et en essayant de vous en occuper, vous constaterez qu’il s’agit, une fois de plus, d’une combinaison de politiques nationales et internationales. Mais du point de vue national, je crois que ce qui nous inquiète le plus est notre vulnérabilité. Quels sont nos points sensibles? Quels points peuvent facilement être atteints par quelqu’un qui nous voudrait du mal?

Peter Haydon, Maritime Affairs,
Témoignages, réunion no 59, 26 février 2002.

Si on examine les causes profondes de l’instabilité politique, notamment dans les régions les plus pauvres du monde, on s’aperçoit qu’il ne suffit pas de considérer la sécurité comme une question de frontières ou de banques, bien que, à mon avis, personne ne s’oppose à ces efforts. À moins de nous attaquer aux causes profondes du terrorisme, qui sont déjà à l’ordre du jour de ce sommet — soit la pauvreté et les inégalités dans le monde — nous ne réglerons rien.

Jim Selby, Alberta Federation of Labour,
Témoignages, réunion no 82, 9 mai 2002.

Pour ce qui est de l’augmentation des dépenses militaires, nous estimons que le public canadien accepterait probablement une faible augmentation des dépenses pour permettre de mieux concrétiser les priorités en matière de défense civile, surtout depuis le 11 septembre. Nous tenons à insister sur le fait qu’il ne faut pas confondre les augmentations des dépenses de la défense et un financement qui appuierait les agressions militaires.

Kerry Duncan McCartney, Project Ploughshares Calgary,
Témoignages, réunion no 80, 8 mai 2002.

[…] du fait de l’intégration de nos économies respectives […] [est-ce que] cela signifie que nous ne pouvons pas imposer nos valeurs? À mon avis, la solution serait de ne pas nous en prendre aux États-Unis, mais plutôt de leur manifester notre amitié — ce que nous avons fait à d’innombrables égards que je ne rappellerai pas ici — et leur faire comprendre […] que, en tant que bons voisins et amis, nous souhaitons leur faire part de certaines choses, à savoir que nous envisageons la sécurité mondiale dans la perspective du droit international et de la mise en place de conditions socioéconomiques mondiales favorables à la sécurité. Nous n’instaurerons pas la sécurité avec un fusil à la main, et nous ne croyons pas que c’est en multipliant les armements et les armes nucléaires que nous y réussirons.

Cette différence dans les points de vue de nos deux pays est fondamentale. Il n’appartient pas au gouvernement du Canada, et encore moins aux Canadiens, de prétendre que ces distinctions dans la façon dont nous abordons les questions de sécurité n’existent pas. Je crois en outre que nous manquerions à nos obligations envers les Nations Unies et tout ce que cette organisation représente, si nous devions nous plier aux exigences actuelles que les Américains voudraient nous imposer en matière de sécurité, sachant que les Canadiens les estiment inappropriées.

Doug Roche, sénateur,
Témoignages, réunion no 82, 9 mai 2002.

Il serait très intéressant, dans les circonstances actuelles, de disposer d’une vision canadienne de ce que représente la défense de l’Amérique du Nord, y compris le Mexique. De quelle façon voyons-nous les choses? Tout ce que j’ai vu du ministère de la Défense nationale se résume en gros à une étude de la situation du Canada, pas de l’Amérique du Nord et du rôle que le Canada y joue. Il ne semble pas y avoir une appréciation de haut niveau de l’orientation à prendre et de notre participation à ce qu’il faut faire.

Guy Stanley, université d’Ottawa,
Témoignages, réunion no 90, 13 juin 2002.

3.1  Introduction : le nouveau contexte de la sécurité en Amérique du Nord

Les agressions terroristes tragiques de septembre 2001 ainsi que les attaques à l’anthrax qui ont suivi, sans lien avec les premières, ont fait voler en éclats l’hypothèse de beaucoup de gens selon laquelle les États-Unis, pays le plus puissant du monde, étaient invulnérables à une attaque sur leur propre sol. Ces événements ont amené nos voisins du Sud à focaliser davantage leur attention non seulement sur la sécurité en général, mais sur la « sécurité du territoire national », pour laquelle les mesures d’organisation interne revêtent encore plus d’importance que les actions militaires. Étant donné le degré d’intégration économique en Amérique du Nord, le réflexe immédiat des Américains de pratiquement fermer leurs frontières a eu d’importantes répercussions économiques au Canada et au Mexique; les gouvernements de ces deux pays ont d’ailleurs dû resserrer leur coopération avec les États-Unis, ne fût-ce que pour prévenir d’autres mesures unilatérales. La véritable question était de savoir si cela pouvait se faire sans porter atteinte aux valeurs canadiennes et mexicaines essentielles dans un certain nombre de secteurs.

Tant les Canadiens que les Américains ont souffert du terrorisme — quoique à des degrés différents —, et tous ceux qui ont témoigné devant le Comité étaient d’accord pour dire qu’il fallait renforcer la sécurité intérieure du Canada. De même, presque tous étaient d’accord pour dire que cela nécessiterait une coopération accrue avec les États-Unis. Toutefois, il y avait divergence de vues quant à l’étendue éventuelle de cette coopération et quant à savoir si l’on devait conclure de nouveaux accords officiels à cet égard ou simplement modifier en conséquence les dispositions existantes.

Au chapitre de la coopération militaire, le Canada a déployé d’importants effectifs militaires — forces navales, terrestres et aériennes — en Afghanistan et dans les régions avoisinantes dans le cadre d’une campagne contre le terrorisme. Les responsables canadiens et américains ont également travaillé à un rythme accéléré dans le cadre du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD-C) au cours de l’année écoulée. Malgré les liens très étroits entre les deux pays en matière de défense, il y a eu ces dernières années des divergences de vues sur un certain nombre de questions ayant des incidences à l’échelle continentale, notamment les plans américains en vue de mettre en place un système de défense antimissile et la croyance, aux États-Unis, que le Canada ne consacre pas suffisamment de fonds à la défense. L’accent mis sur la sécurité après le 11 septembre a engendré un renouvellement des appels en vue d’une coopération continentale plus étroite pour défendre l’Amérique du Nord contre de nouvelles menaces. Par exemple, Jack Granatstein, du Council for Canadian Security in the Twenty-First Century, a indiqué au Comité que les États-Unis prendraient les mesures qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer leur sécurité; à son avis, il n’y a donc « pas de choix » pour le Canada, qui doit maintenant satisfaire aux demandes américaines de longue date dans ces secteurs s’il veut maintenir son partenariat étroit avec les États-Unis tout en préservant le contrôle souverain de sa défense2.

De fait, même si le gouvernement canadien a pris d’importantes mesures au cours de l’année écoulée, tant pour rehausser sa capacité de combattre le terrorisme que pour renforcer sa coopération avec les États-Unis en matière de sécurité, le point de mire a véritablement été la frontière canado-américaine. La réponse aux attaques dans ce secteur et le long débat sur les questions frontalières qui l’ont précédée ont mis en relief la relation complexe entre l’économie et la sécurité dans les deux pays. Comme l’a fait valoir Christopher Sands, les États-Unis ont appris que les mesures de sécurité ne peuvent faire abstraction des préoccupations économiques, tandis que le Canada apprenait que les préoccupations économiques ne peuvent faire oublier les questions de sécurité3.

De manière plus générale, nombreux sont ceux qui croient que les attaques et la campagne militaire qui a suivi en Afghanistan ont renforcé une prédisposition à l’unilatéralisme dans la politique étrangère américaine. Dans un discours prononcé à West Point en juin 2002, le président Bush a dit : « Si nous attendons que les menaces se soient entièrement concrétisées, nous aurons trop attendu. » Au lieu de cela, les États-Unis entendaient se préparer à appliquer « des mesures préventives si nécessaire4 ». Des arguments analogues ont été repris en septembre 2002 dans le document intitulé National Security Strategy of the United States of America.

Le présent rapport porte sur l’avenir des relations entre les pays d’Amérique du Nord. Mais, comme nous l’avons indiqué au premier chapitre, celles-ci se concrétisent dans le cadre plus large de la politique étrangère du Canada, en vertu de laquelle le Canada a toujours cherché à faire valoir ses intérêts et ses valeurs selon la perspective du multilatéralisme et du respect du droit international de même qu’en encourageant le dialogue entre les États-Unis et le reste de la communauté internationale. Cela est d’autant plus important que, comme les experts américains Joseph Nye et Stephen Flynn l’ont souligné séparément devant le Comité, à l’ère de la mondialisation, les États-Unis n’ont d’autres choix, s’ils veulent améliorer leur sécurité, que de travailler en collaboration avec les autres États. Le Comité a recueilli le témoignage d’un certain nombre de témoins sur ces questions et il a fait état de leur point de vue dans son rapport de juin 2002 intitulé Assurer le progrès de l’Afrique et du reste du monde : un rapport sur les priorités canadiennes en vue du Sommet du G8 de 2002.

Un certain nombre de mesures frontalières et autres prises au cours de l’année écoulée auront des répercussions à long terme qu’il ne faut pas perdre de vue. En outre, on doit s’occuper des questions de premier plan mentionnées ci-dessus en ce qui concerne la politique étrangère et de défense. Cependant que le gouvernement se penche sur ces préoccupations, le Comité est d’accord avec le point de vue de Peter Coombes, de l’organisation End the Arms Race. Selon lui « la sécurité du Canada [est] bien trop importante pour être laissée aux mains des experts militaires, des experts de la sécurité5 ».

3.2  Une approche bilatérale ou trilatérale de la sécurité?

Peu de gens contesteraient le fait que l’ALENA comporte maintenant une dimension liée à la sécurité. Savoir à quoi s’en tenir à ce sujet est une autre question.

Neil MacFarlane et Monica Serrano,
« NAFTA: The Security Dimension ».

[…] bien que la vulnérabilité entre les États-Unis et le Mexique d’une part, et les États-Unis et le Canada, d’autre part, soit mutuelle, elle est loin d’être symétrique. L’économie américaine, en effet, serait loin d’être autant touchée que celle de ses partenaires par une interruption, réelle ou potentielle, de ces flux commerciaux. La vulnérabilité américaine, il ne faut pas l’oublier, comporte d’autres dimensions, comme l’a démontré de façon horrible et tragique le 11 septembre, mais les responsables américains ne sont pas seulement préoccupés par le terrorisme, mais aussi le trafic de drogues, le trafic de clandestins et d’autres flux mondiaux. Ces vulnérabilités, je le signale, nous les partageons avec les Américains en tant que société moderne sœur en Amérique du Nord. Toutefois, dans la perception américaine, ce partage semble souvent asymétrique.

George Haynal, ex-sous-ministre adjoint responsable des Amériques, au MAECI,
Témoignages, réunion no 56, 7 février 2002.

S’il y a un domaine où l’existence d’une Amérique du Nord à deux vitesses était évidente avant septembre dernier, c’est bien celui de la coopération en matière de sécurité, qu’il s’agisse de problèmes de « sécurité publique » comme le terrorisme et le crime, ou de la sécurité militaire. Le Canada et les États-Unis entretiennent depuis des décennies une relation très étroite dans ces secteurs. Celle qui existe entre les États-Unis et le Mexique est très limitée et repose principalement sur les accords bilatéraux de 1996 touchant la défense et la coopération en matière de sécurité. Elle est pratiquement inexistante entre le Canada et le Mexique. La situation aux frontières de l’Amérique du Nord témoignait de cette réalité, le Canada et les États-Unis partageant ce qu’ils appelaient avec fierté « la plus longue frontière non défendue du monde », tandis que la frontière américano-mexicaine, d’envergure beaucoup plus modeste, était lourdement fortifiée afin de prévenir l’entrée tant des immigrants clandestins (ou, comme préfère le dire le gouvernement mexicain, « sans documents ») que de stupéfiants sur le territoire américain.

Dans une conférence de presse tenue en novembre dernier, après la réaction « vague, tardive et nettement inappropriée du Mexique aux attaques terroristes », au dire de l’experte mexicaine Monica Serrano qui a témoigné devant le Comité à Mexico, le président Fox a réclamé l’élaboration d’une « politique de la sécurité nord-américaine » qui engloberait la coordination des politiques frontalières et le partage de renseignements sur l’immigration et les douanes6. Les États-Unis et le Canada n’ont pas retenu cette suggestion; au lieu de cela, pour ne pas perdre de temps, ils ont concentré leurs efforts sur l’utilisation des instruments bilatéraux existants et nombreux afin de renforcer la sécurité de leur territoire respectif.

Néanmoins, le fait que le président Fox ait fait cette proposition a signalé un changement dans l’orientation traditionnelle du Mexique sur le plan de la sécurité, tout comme sa décision de septembre 2002 de se retirer du Traité interaméricain d’assistance réciproque (Traité de Rio) de l’OEA7. Jusqu’ici, la défense bilatérale et la coopération de sécurité entre le Canada et le Mexique ont été fort limitées — notamment à la participation mexicaine à un programme de formation au maintien de la paix au Canada8. Pourtant, en janvier 2002, lors de la première visite officielle d’un ministre de la Défense du Canada au Mexique, l’hon. Art Eggleton a fait observer dans un discours que « les relations entre nos deux pays dépassent, en définitive, les questions de commerce et d’économie. Ces relations se fondent aussi sur un engagement commun à l’égard de la paix et de la sécurité internationales. Il s’agit d’une cause que nous ne pouvons absolument pas négliger9 ». Cependant que le ministre parlait de sécurité et de paix internationales, le sous-secrétaire aux Affaires étrangères du Mexique, Enrique Berruga, a rappelé au Comité, lorsque celui-ci a siégé dans la ville de Mexico, que le gouvernement mexicain aimerait voir les trois pays unir leurs forces et partager leurs pratiques exemplaires afin de sécuriser la région. De leur côté, Neil MacFarlane et Monica Serrano n’ont guère pu observer de mesures trilatérales en vue d’ajouter, à terme, des structures pour la coopération en matière de sécurité et de défense en tant que « pilier de sécurité » de l’ALENA.

Lorsque les membres du Comité l’ont interrogé au sujet du rôle du Mexique à cet égard, Jack Granatstein a répondu ce qui suit : « Je ne crois pas que la défense de l’Amérique du Nord doit se faire au moyen d’une entente tripartite. Le commerce peut être tripartite, mais du point de vue militaire, la défense de l’Amérique du Nord relève principalement des Américains et, de façon secondaire, des Canadiens et des Américains. Ce serait une erreur pour nous de prétendre autre chose. » Il a ajouté : « Les forces armées mexicaines sont, malgré leur nombre, une année-lumière derrière les forces canadiennes et deux années-lumière derrière les forces américaines pour ce qui est des technologies de pointe et des ressources modernes de combat. Il s’agit plutôt d’une force de sécurité intérieure chargée de soumettre la population mexicaine — pardonnez-moi mais c’est vrai10. »

Le professeur George MacLean l’exprime de façon moins provocante :

En ce qui concerne la question du Mexique et de son intégration en matière de défense et de sécurité […] les États-Unis ou le Canada n’ont pas intérêt à essayer d’intégrer les forces de sécurité, les forces de défense, sauf en ce qui concerne des questions transfrontalières comme les migrations […] je n’ai pas entendu parler de discussions sur l’intégration avec le Canada au ministère de la Défense à Mexico. Je pense que cela provoquerait de vives réactions. « Pourquoi voudrions-nous une intégration militaire avec le Canada alors que notre intégration économique avec ce pays n’est pas encore complète? » C’est généralement la réaction des Mexicains […] Le Mexique souhaite une intégration accrue avec les États-Unis en matière de défense, bien que cette aspiration ne soit pas partagée par le gouvernement américain11.

Pourtant, en raison de l’existence d’une communauté économique nord-américaine dont les liens vont vraisemblablement se resserrer à l’avenir, certains font valoir qu’un partenariat trilatéral pour la sécurité et la défense en Amérique du Nord constituerait une évolution naturelle des choses. Par exemple, le professeur Stéphane Roussel soutient avec force que « l’intégration économique appelle une intégration en matière de sécurité. Les deux sont intimement liées, et je ne pense pas qu’à terme, on puisse laisser le Mexique longtemps de côté12 ». De même, le professeur Theodore Cohn a souligné que « si nous traitions de certaines des questions transfrontalières en des termes véritablement trilatéraux, je pense que nous ferions davantage de progrès qu’en essayant de faire marche arrière et de dire que nous sommes différents des Mexicains. Nous sommes différents; nous le sommes, et nos problèmes sont très différents. Mais il s’agit ici d’une question nord-américaine13 ».

Même en matière de défense, le professeur Michael Byers, auteur d’une étude qui a fait beaucoup de bruit, intitulée Canadian Armed Forces Under U.S. Command, a soutenu que « l’on parle ici de défense nord-américaine. Il me semble clair que si nous allons aller de l’avant en vue d’une défense nord-américaine avec les États-Unis, alors le Mexique devrait être assis à la même table. Il est un partenaire très important dans l’ALENA. Il a les mêmes préoccupations que le Canada14 ». Souscrivant à ce point de vue, le professeur Guy Stanley, de l’université d’Ottawa, s’est exprimé ainsi :

J’aimerais […] dire qu’il serait souhaitable d’inclure les Mexicains dans la même discussion ou dans le même débat, parce qu’on ne sait pas exactement ce que sera la direction de la politique américaine dans un proche avenir. Si on veut être en mesure d’encourager ou de décourager certaines choses, il vaudra mieux avoir une contribution considérable et reconnue, un partenaire qui nous appuie ou qui partage un peu la même perspective que nous et qui serait capable, dans le contexte où trois intervenants seraient impliqués, d’ajouter une dimension plus forte, une plus grande valeur que ce qui pourrait se produire si c’était fait unilatéralement. Autrement, je crains les décisions que les Américains pourraient peut-être prendre dans un proche avenir15.

Sur le plan pratique, les activités courantes de coopération en matière de sécurité et de défense en Amérique du Nord demeureront sans doute un dossier à caractère bilatéral, du moins à moyen terme. Après avoir évoqué en novembre dernier le « sens de la coopération très profond » qui existe entre le Canada et les États-Unis sur les questions de sécurité, Jon Allen, directeur général du Bureau de l’Amérique du Nord au MAECI, a ajouté : « À l’heure actuelle, les Américains et les Mexicains n’ont pas ce même sentiment, peut-être à cause des problèmes de transparence et de développement. Mais cela viendra. Et lorsque cela viendra, il sera possible de travailler de concert16. » Le Comité croit que les avantages d’une approche trilatérale des relations touchant la sécurité en Amérique du Nord deviendront de plus en plus évidents à long terme. Par conséquent, plus vite les trois pays commenceront à réfléchir et à travailler en fonction de cet objectif, mieux ce sera.

Recommandation 8

Le gouvernement du Canada devrait intensifier sa coopération bilatérale avec le Mexique au chapitre de la sécurité. Il devrait également examiner des moyens d’entamer des pourparlers trilatéraux avec les États-Unis et le Mexique en vue d’explorer selon une perspective commune les problèmes de sécurité de l’Amérique du Nord.

3.3  Sécuriser nos frontières

[…] la question de la sécurité est au cœur des préoccupations des Etats-Unis […] l’exécution des lois et la collaboration en matière de renseignements de sécurité sont au cœur de notre relation avec les Américains. Du point de vue des douanes et de l’immigration, nous avons donc un sentiment profond de partage qui repose sur un sentiment profond de collaboration.

Jon Allen, directeur général,
Bureau de l’Amérique du Nord, MAECI
Témoignages, réunion no 57, 19 février 2002.

Dans les années 1990, malgré leur grande fierté de posséder « la plus longue frontière non défendue du monde », le Canada et les États-Unis en étaient venus à reconnaître qu’il fallait résoudre d’importantes questions transfrontalières. Ils ont donc créé, entre 1997 et 1999, plusieurs nouveaux forums, y compris l’initiative Vision de la gestion de la frontière, axé sur l’immigration et la contrebande, un Forum sur la criminalité transfrontalière, axée sur la coopération pour l’application des lois, ainsi qu’un Partenariat Canada-États-Unis (PCEU) de portée plus générale17. Dans l’ensemble, cependant, ces forums ont donné peu de résultats concrets, principalement en raison d’un manque d’intérêt politique, ou d’intérêt en général, de part et d’autre de la frontière.

Dans les années 1990, la préoccupation centrale des Américains sur le plan frontalier était l’entrée d’immigrants illégaux en provenance du Mexique. Malgré des différences appréciables entre la frontière nord et la frontière sud des États-Unis, le Congrès a voulu régler le problème au moyen d’une législation commune, ce qui a eu d’importantes implications pour le Canada. Parmi celles-ci, la plus importante a été l’exigence de l’« article 110 » stipulant qu’il fallait dûment consigner l’entrée et la sortie de tous les « étrangers », ce qui menaçait de créer des retards désastreux à la frontière canado-américaine. La mise en œuvre de cette exigence a été toutefois reportée à maintes reprises, en partie à cause des pressions canadiennes. Malheureusement, le contrôle des entrées et des sorties — que l’expert américain Demetrios Papademetriou a décrit récemment comme « une démarche insensée qui ne fera que créer pour nous des difficultés additionnelles, peu importe l’angle sous lequel on examine la question18 » — fait maintenant partie des mesures législatives adoptées après le 11 septembre. Le Canada devra donc de nouveau faire face aux implications de cette exigence, même si, du moins l’espère-t-on, les problèmes seront moindres dans le cadre du nouveau régime frontalier dont il est question ci-dessous.

L’attention particulière accordée par les États-Unis au Mexique, dans les années 1990, a également eu pour résultat négatif qu’un tiers des agents américains à la frontière ont été mutés « temporairement » de la frontière nord à la frontière sud19. Ils ne sont jamais revenus, ce qui s’est traduit par un sous-effectif à la frontière nord. À l’automne de 2001, 832 inspecteurs et agents de patrouille de la frontière étaient affectés à la frontière nord, comparativement à plus de 9 500 affectés à la frontière sud20. Par la suite, ce fait a contribué à nourrir les arguments de ceux qui prétendaient que la frontière canadienne constituait une menace pour la sécurité des États-Unis.

Par ailleurs, les responsables américains avaient de réelles inquiétudes au sujet de politiques canadiennes précises. Par suite d’un certain nombre de cas de diversion des technologies américaines liées aux armements, on a mis fin en 1999 aux exemptions dont le Canada jouissait dans le cadre de l’International Trade in Arms Regulations (ITAR). Cette mesure a fortement réduit les exportations de technologies militaires vers le Canada jusqu’à ce que le système canadien soit resserré et que les exemptions soient rétablies, en 2001. En ce qui concerne la politique sur les réfugiés, comme l’a signalé Stephen Gallagher avant que n’y soient apportées les plus récentes modifications, le fait que le Canada n’ait ni ligne de conduite ni pratique qui donne au gouvernement le pouvoir de contrôler et de renvoyer la majorité des demandeurs d’asile qui arrivent au pays en font un cas unique parmi les pays industrialisés avancés21.

D’après l’ancien haut responsable des Affaires étrangères George Haynal, la question de la « sécurité nationale » comme telle n’a pas « véritablement » fait partie des discussions bilatérales touchant la frontière avant que les autorités américaines n’arrêtent le terroriste algérien Ahmed Ressam, un résident illégal au Canada, au moment où il cherchait à pénétrer aux États-Unis dans une voiture contenant du matériel pour la fabrication de bombes en décembre 199922. Par la suite, le procureur général des États-Unis, John Ashcroft a admis que l’arrestation de Ressam avait été rendue possible grâce aux services de renseignements canadiens; pourtant, pour un grand nombre de gens, l’incident avait semblé confirmer un commentaire précédent attribué à l’ex-ambassadeur américain auprès des Nations Unies, Richard Holbrooke, selon lequel le Canada était « un Club Med » pour terroristes23. Après les attaques du 11 septembre, cette perception a été alimentée par des rapports erronés parus dans les médias, y compris le New York Times, et des déclarations de politiciens comme la sénatrice Hillary Clinton indiquant que certains des pirates de l’air du 11 septembre étaient entrés aux États-Unis à partir du Canada.

Selon Mme Yasmeen Abu-Laban, il s’agit là d’une « description extrême », dont la conclusion logique sur le plan politique serait « que le Canada ne cessera d’être une menace pour l’Amérique que si Washington décide de tous les éléments de la politique d’immigration au Canada ». C’est pourquoi, a-t-elle dit, « il faut que nos décideurs assurent une vigoureuse défense de notre système d’immigration; les besoins, les valeurs et les intérêts du Canada sont en jeu, et nous avons un problème de relations publiques24 ». L’expert des questions de sécurité et de renseignements Reg Whitaker a convenu que « le problème sécuritaire postérieur au 11 septembre posé par la frontière canadienne n’a jamais été aussi sérieux que ne le prétendent les critiques, tant journalistes que détracteurs politiques. Le Canada n’est pas aujourd’hui et n’a jamais été un club Med pour terroristes, en dépit de certaines critiques irresponsables et mal informées ». Il a expliqué :

Les règles et procédures canadiennes destinées à prévenir l’entrée de terroristes et criminels sont de longue date à peu près équivalentes de ce que l’on trouve aux États-Unis. De fait, le partage du renseignement signifie qu’il existe une base de données commune sur les indésirables, laquelle est fortement influencée par le renseignement américain et l’interprétation américaine.

De toute façon, le 11 septembre a bien montré que les États-Unis sont loin d’être eux-mêmes étanches et sont eux-mêmes coupables d’un laxisme considérable. Ils ne sont pas tout à fait le modèle que d’aucuns vantaient […]

Je pense que s’il y a eu — et il y a eu effectivement par le passé — une divergence entre les résultats au Canada et aux États-Unis en matière de fiabilité des contrôles d’immigration, cet écart tient moins aux règles de procédure qu’à l’exécution. Le Canada, par le passé, consacrait moins de ressources aux contrôles que les États-Unis. Cet écart est en train de rétrécir, grâce aux ressources additionnelles consacrées à la sécurité prévues dans le budget de 2001.

Sauf chez certains politiciens et journalistes américains, la notion que la frontière canadienne présenterait un risque pour la sécurité ne rencontre guère d’écho chez le public américain, selon le récent sondage d’EKOS Research25.

Il y avait également des secteurs où les mesures de sécurité canadiennes étaient plus strictes que leurs contreparties américaines. Stephen Clarkson a donné l’exemple d’un système institué en 1996 par le Canada et qui a permis à des agents affectés dans des aéroports à l’étranger d’arrêter plus de 33 000 personnes détenant de faux papiers avant qu’elles ne s’embarquent à destination du Canada26.

Dans un article daté de septembre 2002, Reid Morden (ex-directeur du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et ancien sous-ministre du MAECI, qui a témoigné devant le Comité au début de 2002), a affirmé que « le Canada n’est ni une menace à la sécurité des États-Unis ni un havre pour les terroristes ». Mais il a également ajouté : « D’un autre côté, il est légitime que nous nous posions plusieurs questions. Y a-t-il eu des failles dans nos services de sécurité le 11 septembre? Avons-nous des groupes terroristes au Canada? Avons-nous été à tout le moins ambivalents dans notre façon de traiter les indésirables qui sont prêts à abuser de l’hospitalité offerte par le Canada? La réponse à toutes ces questions est oui27. »

Il ne fait aucun doute qu’avant le 11 septembre, tous les gouvernements considéraient un peu trop à la légère la question de la sécurité. La dure leçon que le Comité y voit, c’est que, outre la nécessité d’accroître la coopération transfrontalière, d’importantes mesures correctives internes étaient et continuent d’être requises dans différents secteurs.

La notion de défense du territoire national ne date pas d’hier aux États-Unis; mais ce sera une tâche longue et ardue pour le pays de s’y remettre après des décennies de « défense avancée ». À Washington, le Comité a rencontré Richard Falkenrath, adjoint spécial du président pour la sécurité du territoire et directeur principal de la Politique et des Plans au Bureau de la sécurité du territoire. Comme l’a expliqué M. Falkenrath, les éléments clés réalisés dans ce secteur au cours de l’année écoulée ont été les suivants : la création d’un bureau exécutif de la sécurité du territoire, dirigé par le gouverneur Tom Ridge, en octobre 2001; une demande à l’effet que la somme consacrée à la sécurité du territoire soit presque doublée pour l’exercice 2003; la publication de la National Strategy for Homeland Security; la proposition de réorganiser le gouvernement fédéral de façon à créer un gigantesque département chargé de la sécurité du territoire (Department of Homeland Security)28. Le président Bush a signé le 25 novembre 2002 le texte de loi établissant ce département.

Comme l’a souligné Stephen Clarkson, la structure du gouvernement canadien a sans doute permis au Canada de réagir plus rapidement que les États-Unis dans ce secteur. En octobre 2001, le gouvernement canadien a créé un comité spécial du Cabinet sur la sécurité et la lutte contre le terrorisme, présidé par le ministre des Affaires étrangères de l’époque, John Manley. (Le Comité du Cabinet chargé de la sécurité et du renseignement ainsi que le Comité du Cabinet chargé de la politique étrangère et de la défense avaient été abolis des années auparavant.) Le gouvernement a également adopté une législation antiterroriste d’une vaste portée et augmenté les dépenses liées à la sécurité, s’engageant dans le budget de décembre 2001 à consacrer 7,7 milliards de dollars sur cinq ans à des mesures antiterroristes et de sécurité à la frontière29. Des observateurs dont Thomas Axworthy ont recommandé des mesures à plus long terme, par exemple transformer en institution permanente le Comité sur la sécurité publique et l’antiterrorisme et créer un ministère de la Sécurité du territoire. Cependant, le gouvernement canadien n’a pas procédé à des réorganisations permanentes visant à donner plus de place à la dimension de la sécurité30. Néanmoins, les mesures américaines dans ce secteur auront au Canada d’importantes retombées dont il en faudra suivre l’évolution.

Toutefois, il reste du pain sur la planche. Comme l’a indiqué au Comité, en mai 2002, Joseph Nye de l’université Harvard, ancien président du National Intelligence Council des États-Unis et secrétaire adjoint à la Défense :

À cause de la technologie, des groupes ou des individus malveillants disposent de pouvoirs de destruction qui, autrefois, appartenaient uniquement aux gouvernements. Au XXe siècle, quelqu’un qui voulait tuer un grand nombre de personnes, un Hitler, un Staline, un Mao, par exemple, devait s’en remettre à la puissance d’un gouvernement. Aujourd’hui il n’est pas exagéré de supposer que des terroristes pourraient s’emparer d’armes de destruction massive et arriver à leurs fins par leurs propres moyens. C’est […] une dimension tout à fait nouvelle de la politique mondiale31.

Dans son rapport de juin 2002 en vue du Sommet du G8, le Comité a rendu compte des points de vue qui lui ont été exprimés partout au pays sur la lutte contre le terrorisme. On a insisté en particulier sur la nécessité de mener cette lutte dans un cadre multilatéral respectant les libertés civiles et sur la nécessité pour le Canada et d’autres États d’intensifier leur coopération dans différents domaines afin d’être mieux en mesure de lutte contre le terrorisme32.

En plus de protéger le Canada contre des attaques terroristes, il importe également de se prémunir contre des actes terroristes visant les infrastructures essentielles du transport d’énergie, des communications téléphoniques et autres partagées par le Canada et les Etats-Unis —  les deux ayant convenu de plans de travail binationaux à ce chapitre — et de reconnaître la possibilité d’attaques contre des entreprises et intérêts américains au Canada.

D’un « périmètre de sécurité » à la création d’une « frontière intelligente »

Le défi consistant à satisfaire aux besoins canadiens et aux impératifs américains à la frontière est symptomatique d’un débat de politique publique plus large. Il s’agit de trouver le juste compromis entre la souveraineté, la sécurité économique et la sécurité nationale. Ce n’est peut-être pas un débat auquel les Canadiens sont prêts, mais il nous a été imposé par le 11 septembre.

Andrew Wynn-Williams,
Chambre de commerce de la Colombie-Britannique,
Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.

[…] même si le périmètre de sécurité existe déjà — je crois que les bases sont déjà bel et bien là —, le processus n’est pas complété. On doit s’attendre à ce qu’il y ait de nouvelles initiatives dans ce domaine dans les mois et les années à venir.

Stéphane Roussel, université York,
Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.

Ces dernières années, un débat a eu lieu sur le rôle des frontières en période de mondialisation croissante, mais les attaques du 11 septembre sont venues confirmer l’importance de la question. Comme l’a remarqué M. Haynal au début de 2002, cependant, « la frontière canado-américaine est aujourd’hui un enchevêtrement de contradictions. Les citoyens de nos deux sociétés ont apparemment des sentiments contradictoires à ce sujet. Ils s’attendent à ce qu’elle ne fasse pas obstacle à leurs déplacements, mais ils y voient également un attribut essentiel de la souveraineté, nécessaire à la protection de la sécurité nationale et à l’intégrité des institutions nationales33 ».

Essentiellement, le volume du commerce et des contacts personnels, en particulier entre des pays comme le Canada et les États-Unis, est d’une telle ampleur que la coopération en matière de sécurité doit débuter en-deçà des frontières, ou alors il sera trop tard. Comme l’a formulé Reg Whitaker, « dans un monde où les communications sont instantanées et les moyens de transport très rapides, il vaut mieux s’attaquer au problème avant qu’il n’atteigne la frontière ». Il a ajouté :

Je ne pense pas que cela menace la souveraineté canadienne. Je ne pense pas, par exemple, que le prédédouanement des marchandises provenant d’usines canadiennes diminue de quelque manière la souveraineté canadienne. Ces marchandises n’ont aucun droit d’entrer aux États-Unis. Elles seront vérifiées, soit à la frontière, soit au point de provenance. C’est tout simplement plus rationnel de le faire au point d’origine. En fait, le Canada lui-même s’est entouré d’un périmètre de sécurité au sens large, par exemple en arrêtant les mouvements clandestins de réfugiés aux points d’origine, grâce à l’exploitation du renseignement. Je pense qu’aussi longtemps que cela se limite au niveau opérationnel, c’est intéressant pour les deux pays34.

Les États-Unis ont bien déployé des effectifs de la Garde nationale à leur frontière nord à la suite des attaques du 11 septembre, mais, comme l’a indiqué au Comité à Washington l’ex-commissaire de l’Immigration and Naturalization Service, Doris Meissner, les propositions initiales en vue de fortifier la frontière ont été mises de côté rapidement (en partie du moins à cause de pressions internes et canadiennes).

Le débat public s’est rapidement articulé autour de l’idée de mettre en place un « périmètre de sécurité » pour le Canada et les États-Unis. Il n’y a jamais eu de définitions claires à cet égard, mais, selon Stéphane Roussel, le concept impliquait ce qui suit :

[…] d’abord un approfondissement de la coopération entre les deux États. Deuxièmement, c’est un renforcement des mesures qui existent déjà. Troisièmement, c’est l’utilisation systématique des nouvelles technologies de manière à renforcer le contrôle aux frontières et à accélérer le processus de passage aux frontières. Quatrièmement, et c’est le point le plus important, il s’agit d’harmoniser les politiques des deux gouvernements dans une série de domaines qui comprennent notamment l’immigration, le contrôle des frontières, le renseignement, la défense et la sécurité, et en particulier l’application des lois35.

Certains témoins ont comparé l’idée d’un périmètre pour assurer la sécurité bilatérale à la démarche de l’Union européenne dans le cadre de l’accord de Schengen qui a largement aboli les contrôles internes aux frontières de la plupart des États membres de l’Union européenne, mais non de tous. Pour certains, la création d’un périmètre extérieur efficace rendrait inutiles les contrôles frontaliers entre le Canada et les États-Unis, ce qui aurait des effets bénéfiques sur le plan commercial. Laura Macdonald, de l’université Carleton, a admis que l’« européanisation » du régime frontalier de l’Amérique du Nord serait préférable à la « mexicanisation » de la frontière canado-américaine36. Reg Whitaker a ajouté : « Je ne suis pas du tout impressionné par la notion d’un nouvel arrangement formel de type forteresse Europe. Je pense que cela placerait le Canada dans une situation de faiblesse où il n’aurait guère son mot à dire37. » Pour sa part, Andrew Cooper a fait valoir ce qui suit :

Si nous pouvions tenir un débat sain sur le modèle [de] Schengen ou sur l’Union européenne, nous trouverions beaucoup de résonance au Canada. Cependant, je n’ai pas l’impression que les États-Unis soient en train d’avoir un tel débat sain, ni sur le modèle de Schengen ni sur l’Union européenne. Il se dégage plutôt des discussions actuelles, une orientation très étroite qui va dans le sens de l’article 110 de l’ITAR, et qui nous ramène à toutes sortes d’autres questions davantage axées sur l’autonomie que sur une indépendance complexe. Ainsi, j’estime que les États-Unis vont envisager la question du périmètre non pas de façon globale, mais plutôt comme une forme de défense avancée. Le Canada pourrait en tirer certains avantages, très certainement dans ses aéroports et ses ports, mais nous n’insisterons jamais assez sur les avantages que présente la liberté d’accès à la frontière38.

Le gouvernement canadien n’a jamais été en faveur de l’élimination graduelle des contrôles le long de la frontière canado-américaine; entre autres, comme on l’a signalé l’automne dernier au Sous-comité du commerce international, des différends commerciaux et des investissements internationaux, l’entrée dans le pays d’armes et de stupéfiants en provenance des États-Unis demeure une préoccupation majeure. Même après le 11 septembre 2001, le gouvernement a conservé une attitude nettement tempérée à l’égard du concept de « périmètre » dont beaucoup, en particulier dans le monde des affaires, faisaient la promotion. L’hon. John Manley, alors ministre des Affaires étrangères, a indiqué au Comité quelques semaines après les attaques terroristes que le « périmètre » représentait « une simplification de la situation, mais je ne sais pas vraiment de quoi il s’agit39 ». Compte tenu de la nécessité évidente d’un resserrement de la coopération, cependant, la véritable question était de savoir s’il serait indispensable d’« harmoniser » un large éventail de politiques. Comme l’a signalé au Comité l’automne dernier Charles Doran, de l’université Johns Hopkins au Maryland, le besoin fondamental était en fait d’instituer des politiques d’égale efficacité plutôt que des politiques identiques. Au lieu d’un « périmètre de sécurité », l’objectif est rapidement devenu l’établissement d’une « zone de confiance », selon les termes de l’ambassadeur américain Paul Cellucci et d’autres intervenants. D’après M. Whitaker : « La notion de zone de confiance, qui commence à prendre le pas sur celle de périmètre de sécurité, est un mot clé qui saisit mieux, je pense, l’essence d’une coopération sécuritaire réaliste40. » La distinction peut paraître symbolique autant que réelle, mais son importance tient à l’élément suivant : le Canada peut appliquer des règles différentes de celles des États-Unis dans des secteurs clés, tant et aussi longtemps que les deux pays peuvent s’entendre pour reconnaître mutuellement leurs politiques respectives et se convaincre de leur efficacité.

Les années de discussions théoriques sur les questions frontalières ont rapporté des dividendes importants à l’automne de 2001, lorsque l’urgence politique de la situation a permis aux responsables canadiens d’élaborer rapidement un ensemble de propositions. Celles-ci ont été présentées aux États-Unis et ont dans une large mesure servi de fondement à la « Déclaration sur la frontière intelligente » et au « Plan d’action » connexe en 30 points dont on a convenu en décembre 2001. Les principaux éléments de l’accord sur la frontière intelligente étaient les suivants : 1) la circulation sécuritaire des personnes; 2) la circulation sécuritaire des marchandises; 3) la sécurité des infrastructures; 4) la coordination et le partage de renseignements41. Les législateurs mexicains se sont montrés fortement intéressés par cette initiative lors des réunions tenues par le Comité en mars 2002 à Mexico; de fait, peu de temps après, les États-Unis et le Mexique ont adopté un accord plus simple basé sur le modèle de la « frontière intelligente ».

Comme l’a expliqué le vice-premier ministre Manley devant un comité parlementaire en avril 2002, « le principe directeur de la déclaration est que la sécurité publique et la sécurité économique se renforcent mutuellement. Notre sécurité est accrue quand nous adoptons une approche de gestion de risque qui accélère la circulation des biens et des personnes à faible risque, ce qui nous permet de concentrer nos ressources sur le passage de ceux à risque élevé42 ». Le ministre Manley et le conseiller américain à la Sécurité du territoire national des États-Unis, Tom Ridge, ont fait part de « progrès considérables » dans la mise en œuvre du plan d’action pour une frontière intelligente en juin 2002 et ont publié un rapport d’étape annuel le 6 décembre 200243. À leur réunion tenue à Detroit en septembre 2002, le premier ministre Chrétien et le président Bush ont approuvé les progrès accomplis jusque là, encouragé les responsables à aller au-delà du Plan d’action initial en 30 points, et indiqué que le secteur privé serait invité à participer de manière plus officielle aux discussions. Ils ont également assisté à des démonstrations de programmes clés visant à accélérer l’expédition de biens commerciaux (Libre-échange sécuritaire — FAST) et le passage de voyageurs connus (NEXUS). Dans le chapitre 4, le Comité se penche en détail sur ces aspects connexes de la facilitation des activités et de la sécurité à la frontière.

Les Canadiens semblent avoir accepté ces mesures comme étant nécessaires tant pour renforcer notre protection contre le terrorisme que pour maintenir notre sécurité économique en garantissant l’accès aux États-Unis. Toutefois, un certain nombre de témoins ont conseillé la prudence. Comme l’a exprimé Laura Macdonald : « Les défenseurs de cette formule espèrent réaliser des objectifs qui, à mes yeux, ne semblent pas compatibles, c’est-à-dire la disparition des frontières en ce qui concerne le mouvement de biens, de capitaux et de personnes qualifiées de désirables, et le resserrement du contrôle des biens, capitaux et personnes qualifiées d’indésirables. » Elle a ajouté que « certaines [de ces mesures sont] très controversées. On s’inquiète, en général, d’une éventuelle harmonisation ou convergence graduelle d’une vaste gamme de politiques nationales du Canada avec les politiques américaines, et on s’inquiète également des retombées que cela peut avoir sur la souveraineté44. »

De toute évidence, certains points du Plan d’action ont été plus difficiles à négocier que d’autres. On peut citer notamment l’exigence d’obtenir de l’information préalable sur tous les voyageurs atterrissant à des aéroports canadiens; l’élaboration d’un système en vue d’harmoniser l’aspect commercial; la négociation d’un accord relatif aux « tiers pays sûrs ».

Ce dernier accord visait à empêcher le « magasinage » en quête d’un pays d’asile, en permettant aux immigrants de revendiquer le statut de réfugié soit au Canada ou aux États-Unis, mais non dans les deux pays. D’après le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration : « De façon générale, on reconnaît qu’il était nécessaire de prendre certaines mesures afin de limiter le recours abusif au système canadien de détermination du statut de réfugié, et cette entente constitue un moyen efficace et humanitaire d’y parvenir45 ». Toutefois, tout en acceptant la nécessité d’une coopération plus étroite contre les terroristes, même certains représentants du monde des affaires ont souligné la nécessité de bien saisir les implications de la coopération sur tous les tableaux. À Vancouver, par exemple, le Comité a entendu l’Américain Greg Boos, membre du conseil du Pacific Corridor Enterprise Council — organisme qu’on nous a décrit comme étant « une sorte de chambre de commerce transfrontalière » — et président d’un groupe de veille sur la situation frontalière de l’American Immigration Lawyers Association. Il a rappelé au Comité que le Canada et les États-Unis avaient adopté des points de vue différents sur les réfugiés d’Amérique centrale dans les années 1980-1990, lorsque la région était ravagée par la guerre civile et que le gouvernement américain « appuyait certaines des factions là-bas ». À partir de cette toile de fond, il a poursuivi son exposé :

L’une des choses que je n’aime pas dans le plan en 30 points, et l’une des choses à son sujet qui déplaisent aux avocats américains spécialisés en immigration et à d’autres qui se préoccupent de la vie humaine aux États-Unis, est que le plan en 30 points prévoit l’harmonisation de la politique américaine et canadienne en matière de réfugiés. Plus précisément, ce plan dit que si une personne arrivant par les États-Unis n’y a pas demandé le statut de réfugié, elle ne peut pas non plus demander le statut de réfugié au Canada.

Je pense que ce qu’il faut faire avec le plan en 30 points, c’est dire qu’en matière d’asile et de réfugiés, il faut un dépistage commun des États-Unis et du Canada des terroristes, mais sans aller jusqu’à dire que les deux systèmes doivent être identiques au point qu’une personne passant par les États-Unis ne puisse demander asile au Canada ou inversement. On ne sait jamais; un jour ce pourraient être les États-Unis qui porteront le chapeau blanc dans le cas de certains ressortissants étrangers et le Canada le chapeau noir46.

En septembre 2002, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a annoncé que les négociateurs étaient parvenus à une « entente sur les tiers pays sûrs » et, au début de décembre 2002, un accord final est intervenu avec les États-Unis. On a exprimé des préoccupations quant au fait qu’une entente sur les pays tiers sûrs pourrait impliquer l’harmonisation d’une partie des politiques d’immigration et la convergence dans l’évaluation de la situation dans des pays étrangers, donc d’une partie de la politique étrangère, ou avoir une incidence sur la capacité du Canada de remplir ses engagements en vertu de la Convention de Genève sur le statut des réfugiés. Par conséquent, le Comité estime que le gouvernement devrait faire preuve de circonspection et demeurer sensible aux répercussions d’un tel projet sur l’indépendance de la politique étrangère du Canada. Il est d’accord avec ceux qui réclament que la mise en œuvre de l’entente fasse l’objet d’une supervision systématique parlementaire et autre.

Le ministre Manley et le gouverneur Tom Ridge continueront sans doute à produire des rapports d’étape sur l’évolution de la situation, mais le Comité observe qu’on ne s’est pas engagé publiquement à produire le même genre de bulletin exhaustif que celui publié sur le processus de la frontière intelligente lors de la réunion de septembre 2002 du premier ministre Chrétien et du président Bush. Le Comité estime que de tels bulletins ont une importance vitale pour ce qui est d’observer les incidences du processus. En conséquence, le Comité s’engage à tenir une audience dans le proche avenir afin d’examiner les progrès cumulatifs accomplis au cours de la première année écoulée depuis la Déclaration du 12 décembre 2001. Il y invitera les membres d’autres comités parlementaires qui ont fait rapport sur des dossiers liés à la frontière depuis septembre 2001.

Recommandation 9

Le gouvernement devrait présenter au Parlement un rapport annuel exposant en détail l’état d’avancement du processus de la « frontière intelligente ». Les ministres responsables de la mise en œuvre des mesures de sécurité à la frontière devraient également témoigner devant les comités compétents des deux Chambres du Parlement sur le contenu de ce rapport.

Collaboration en matière d’application de la loi et de renseignement

Le renseignement et l’application de la loi constituent deux éléments importants de la collaboration sur le plan de la sécurité. Dans la foulée des attaques du 11 septembre, un consensus s’est dégagé sur la nécessité d’améliorer la collaboration relative au renseignement. Dans leur étude approfondie publiée à l’automne 2001, des experts du Center for Strategic and International Studies, organisme qui est établi à Washington et que le Comité a visité en mars 2002, ont fait valoir le point de vue suivant : « Tout est possible avec un bon service de renseignement, mais on ne parvient à rien sans lui47. »

Le Canada et les États-Unis entretiennent une excellente collaboration depuis des décennies dans ces domaines. Depuis 1988, les représentants des deux gouvernements respectifs se réunissent annuellement au sein du Groupe consultatif bilatéral sur l’antiterrorisme. Des ententes ont été conclues sur la recherche et le développement au sujet des technologies de lutte contre le terrorisme ainsi que sur la tenue d’exercices conjoints. Le Groupe a également abordé des questions ayant débouché sur une entente de collaboration en vertu de laquelle les deux pays échangent des listes de terroristes éventuels. Ces listes servent lors des contrôles à la frontière et lors de la vérification des visas. Le Plan d’action pour la création d’une frontière sûre et intelligente engageait également les deux pays à accroître considérablement leur collaboration à cet égard.

À la suite des attaques du 11 septembre, le gouvernement du Canada a accru considérablement les ressources consacrées à ses services du renseignement, qui avaient fait l’objet de compressions importantes visant à réduire le déficit fédéral. Il a en outre accordé au Centre de la sécurité des télécommunications (CST) de nouveaux pouvoirs en vertu des mesures législatives visant à combattre le terrorisme. La collaboration bilatérale avec les États-Unis a également été intensifiée, notamment par la création de six équipes intégrées de la police des frontières (EIPF). Ces équipes se composent de représentants de la police, des services d’immigration et des douanes des deux pays, qui travaillent quotidiennement en partenariat avec les organismes d’application de la loi des villes, des États et des provinces. On compte désormais 10 EIPF, et 19 autres devraient être créées d’ici la fin de l’année financière48. Lors d’une conférence tenue en septembre 2002 à Ottawa et réunissant des experts dans les domaines de la sécurité et de la défense, Paul Cellucci, ambassadeur américain au Canada, a signalé en fait que la collaboration entre les organismes du renseignement et de l’application de la loi des États-Unis et du Canada a toujours été « bonne », mais qu’elle est maintenant « extraordinaire ».

Les intérêts des deux pays sont bien servis lorsque le Canada accroît ses capacités et sa coopération bilatérale à ce chapitre. Comme Denis Stairs l’a souligné récemment, « […] il nous faut du renseignement de tout premier ordre. Il nous faut encore plus : nous avons besoin d’analystes du renseignement de tout premier ordre. […] Perfectionner nos capacités d’analyse peut se révéler aussi utile à nos voisins qu’à nous, parce que, notamment, il y a des choses que les chercheurs d’une petite puissance peuvent réaliser, mais qui sont irréalisables par ceux d’une puissance hégémonique. […] Les petites puissances peuvent mieux saisir certains aspects de la réalité qui échappent facilement aux méga puissances moins souples49 ».

Dans son rapport préliminaire présenté à l’automne 2001, le Comité adhérait aux recommandations formulées par des experts comme les professeurs Wesley Wark de l’université de Toronto et Martin Rudner ainsi qu’Andrew Cohen de l’université Carleton sur la nécessité de majorer les crédits attribués aux services canadiens du renseignement. Certains témoins ont aussi proposé la création d’un organisme du renseignement étranger, même si le vice-premier ministre Manley a signalé à un comité parlementaire en avril 2002 que le gouvernement n’avait pas encore déterminé si cette solution s’imposait50.

L’augmentation des ressources affectées aux services du renseignement dans le budget de décembre 2001 a été bien accueillie. Sur la question des nouveaux enjeux, le professeur Stewart Farson, de l’université Simon Fraser, qui a participé à l’examen parlementaire de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) en 1989-1990, a cependant indiqué au Comité que le SCRS aurait encore besoin d’un examen indépendant et d’une surveillance parlementaire accrue. Le Sous-comité sur la sécurité nationale du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes assure une certaine partie de cette surveillance. Voici la teneur des propos M. Farson à cet égard :

En ce qui concerne le renforcement des services de renseignement, je crois que l’essentiel est de considérer la situation avec un regard neuf. La première mesure serait donc un examen complet du secteur […]

Parallèlement, bien entendu, le Parlement doit être informé et engagé dans le processus d’examen. Il doit avoir accès au produit de l’examen. Je pense également que le Parlement devrait disposer d’un comité permanent de la sécurité et du renseignement — en espérant qu’il puisse fonctionner de manière non partisane51.

Le Comité souscrit à cette idée. Voici ce qu’a déclaré le gouvernement dans sa réponse d’octobre 2002 au rapport publié en février 2002 par le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense : « Le gouvernement reconnaît que l’efficacité continue de notre cadre rigoureux d’examen et de reddition de comptes passe par la communication de plus de renseignements au Parlement et au public. Il est dans l’intérêt de tous les Canadiens d’accroître la transparence et la discussion publique à ce chapitre52. »

Recommandation 10

Tout en étant conscient d’éventuelles contraintes sur le plan juridique, le Comité croit que la Chambre des communes devrait constituer un comité permanent de la sécurité et du renseignement, le dotant d’installations sûres et adéquates, de personnel professionnel et habilité sur le plan de la sécurité et d’autres moyens nécessaires. De plus, le Comité spécial du Cabinet sur la sécurité publique et l’antiterrorisme devrait être remplacé par un comité permanent du Cabinet sur la sécurité nationale. En outre, le gouvernement devrait effectuer un examen des services canadiens du renseignement et transmettre ses conclusions au Parlement. Enfin, il devrait également favoriser, à cet égard, une surveillance parlementaire accrue de la part du nouveau comité permanent de la sécurité et du renseignement précité.

3.4  L’avenir de la collaboration entre le Canada et les États-Unis en matière de défense

[…] le peuple américain ne restera pas les bras croisés si la souveraineté du territoire canadien est menacée […]

Franklin D. Roosevelt, président des États-Unis,
Kingston, Ontario, août 1938.

[…] nous avons également des obligations à respecter à titre de voisin amical […] notamment voir à ce que notre pays soit aussi protégé contre une attaque ou une invasion possible que nous pouvons raisonnablement l’espérer.

[…] le cas échéant, les forces ennemies ne devraient pas pouvoir poursuivre leur incursion aérienne, maritime ou terrestre à destination des États-Unis en passant par le territoire canadien.

William Lyon Mackenzie King, premier minister du Canada,
Woodbridge, Ontario, août 193853.

Le NORAD et la défense de l’Amérique du Nord

[…] même si le gouvernement décidait de réduire sensiblement sa collaboration avec les États-Unis dans le domaine de la défense, le Canada serait encore obligé de compter sur son voisin du sud pour l’aider à protéger son territoire et ses abords. Cette aide serait alors strictement assujettie aux conditions américaines, puisque le Canada ne bénéficierait plus de l’influence que lui confère sa relation actuelle avec les États-Unis et avec les autres alliés de l’OTAN.

Gouvernement du Canada,
Le Livre blanc sur la défense de 1994.

Compte tenu des faits géographiques et historiques, les gouvernements canadiens ont déterminé depuis longtemps que le Canada pouvait mieux être défendu grâce à une collaboration avec ses alliés, dont le plus important et le premier sont les États-Unis. Le professeur Jim Fergusson de l’université du Manitoba a indiqué qu’il « est important de réaliser pleinement que toute menace qui pèse sur la zone continentale des États-Unis, sur les villes américaines, sur le commerce américain ou sur l’économie américaine en raison d’actes terroristes ou d’autres facteurs, constitue aussi une menace fondamentale pour nos intérêts nationaux et notre sécurité nationale54 ».

Depuis plus de six décennies, les liens qui unissent nos deux pays en matière de défense ont toujours reposé sur ces obligations réciproques dans ce domaine. Nos gouvernements respectifs se sont librement engagés à cet égard parce que, particulièrement pendant la guerre froide, ils envisageaient presque toujours de la même façon les menaces militaires qui ont pesé contre l’Amérique du Nord. Cependant, l’engagement canadien a constitué également une reconnaissance du fait que, si le Canada ne prenait pas d’initiatives à l’égard des préoccupations fondamentales des États-Unis en matière de sécurité, notre voisin s’en chargerait, ce qu’on a appelé « la défense en contrepartie de l’aide ». À cet égard, voici les propos qu’a tenus le professeur Rob Huebert à Calgary :

Nous ne pouvons perdre de vue le fait que nous soyons les voisins d’une super puissance. Fort heureusement, cette super puissance a en grande partie la même culture politique, la même orientation, les mêmes intérêts et les mêmes objectifs que le Canada. Notre situation est donc beaucoup plus confortable que celle, mettons, de la Pologne ou de la Finlande jadis par rapport à l’Union soviétique, mais c’est néanmoins une relation qui doit rester sous surveillance.

Nous allons devoir être très prudents dans notre analyse de la situation. Nous devons prendre bien garde à ne pas réagir de façon excessive, mais du même coup, nous devons également prendre bien garde à ne pas sous-estimer les préoccupations des Américains. En d’autres termes, nous devons continuer à analyser et à surveiller notre position d’équilibre et demeurer parfaitement vigilants55.

Au cours du dernier demi-siècle, le Canada et les États-Unis sont parvenus à un degré de coopération militaire sans précédent dans le monde. Ils ont signé plus de 80 accords ayant valeur de traité en matière de défense et plus de 250 protocoles d’entente qui régissent leurs relations à l’heure actuelle; en outre, les questions de défense sont examinées par environ 145 organismes bilatéraux, dont le plus important est la Commission permanente mixte de défense (CPMD), établie dans le cadre de la Déclaration d’Ogdensburg de 1940 pour « examiner la vaste question de la défense de la partie nord de l’hémisphère occidental56 ».

En outre, les forces armées des deux pays collaborent étroitement en ce qui concerne tous les services. Les militaires canadiens ont pu ainsi maintenir un niveau élevé d’« interopérabilité » technique avec leurs homologues américains, objectif important pour les planificateurs militaires d’un pays qui s’attend à combattre avec les alliés tout en étant aux prises avec des compressions marquées dans son budget militaire. Les navires canadiens s’intègrent systématiquement aux groupes aéronavaux américains, comme ce fut le cas à l’automne 2001. L’infanterie canadienne a combattu aux côtés des troupes américaines en Afghanistan, ces dernières assurant le contrôle mais non le commandement.

La clé de voûte et le symbole de la coopération militaire bilatérale demeurent le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD), organisme binational unique en son genre qui a été le cadre régissant la coopération des deux pays en matière de surveillance et de défense de l’espace aérien de l’Amérique du Nord depuis la fin des années 1950. En fait, le NORAD était, au moment de sa création, le mécanisme ultime de « défense intérieure ». À cet égard, les auteurs d’un récent rapport américain signalent ce qui suit : « Grâce à ses mécanismes de commandement et de contrôle ainsi qu’à ses dispositifs d’alerte rapide, sans oublier son commandement unifié — traditionnellement, un commandant américain et un commandant adjoint canadien —, le NORAD est, pourrait-on dire, l’organisme de défense binational le plus intégré du monde. Sans aucun doute, il est la pierre angulaire de la relation de sécurité mutuelle entre le Canada et les États-Unis57. » Comme nous l’avons déjà souligné, John Manley avait rejeté l’idée d’un « périmètre » de sécurité nord-américain non défini lorsqu’il a témoigné devant le Comité à titre de ministre des Affaires étrangères. Par la suite, il a ajouté ce qui suit : « Si ce périmètre représente quelque chose comme le NORAD, je serais beaucoup plus à l’aise, car je saurais de quoi nous parlons58. »

Les deux pays préfèrent poursuivre la coopération dans la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord. Cependant, les avancées de la technologie, la fin de la guerre froide et la diminution de la capacité militaire canadienne, pris ensemble, font en sorte que les Américains ont besoin de la collaboration canadienne probablement moins aujourd’hui qu’à la fin des années 1950. Compte tenu des différends toujours présents quant à la question de la défense antimissile, de l’insatisfaction américaine à propos du niveau du budget canadien en matière de défense et de la décision prise par les États-Unis après le 11 septembre de restructurer leurs forces militaires en Amérique du Nord afin de mieux favoriser la sécurité intérieure, certains Canadiens ont fait valoir que le Canada et les États-Unis se trouvaient à un carrefour crucial dans leurs relations bilatérales de défense. Voici les propos du professeur Fergusson à cet égard : « En ce qui concerne la défense et la sécurité, la seule question retenue était, ironiquement, l’avenir de la coopération entre le Canada et les États-Unis axée sur le NORAD et l’avenir du NORAD […] On peut donc dire que, alors que le volet économique évoluait vers l’intégration, le volet défense et sécurité avait atteint en quelque sorte un point de désintégration ou de crainte de la désintégration59. »

Le « Commandement du Nord » des États-Unis (NORTHCOM)

Il faudra de nombreuses années aux États-Unis pour mettre de l’ordre dans leur sécurité, comme il faudra du temps au Canada pour régler divers aspects de la coopération entre le ministère de la Défense et les autres ministères et organismes fédéraux et provinciaux. Ce sont des processus qui devront se dérouler à l’échelle interne et à l’échelle bilatérale pour tenter de déterminer jusqu’où ira la coopération et dans quelle mesure il convient d’abandonner le modèle actuel, axé uniquement sur le NORAD, pour adopter d’autres modèles.

Jim Fergusson, université du Manitoba,
Témoignages, réunion no 75, 6 mai 2002.

[…] dans ce domaine particulier, il faut s’assurer de ne faire que ce qui doit être fait. Il ne faut pas en donner plus que ce qu’il faut donner. Si les menaces envers le Canada sont réelles et que nous ne pouvons pas les déjouer tout seuls, qu’il nous faut les régler dans un cadre bilatéral, nous devons donc négocier des arrangements visant à protéger la souveraineté canadienne et effectivement étoffer notre sécurité sans atteinte à notre souveraineté. Cela fait partie des négociations. Cependant, cela peut s’avérer très compliqué […] d’assurer le respect de la consigne.

Jill Sinclair, sous-ministre adjointe intérimaire,
Politique mondiale et sécurité, MAECI60.

Même si elles n’ont pas été exécutées par des forces militaires, les attaques du 11 septembre ont entraîné des conséquences militaires importantes, notamment l’invocation par l’OTAN de l’article 5 de l’entente de défense collective pour la première fois de son histoire. Elles ont également amené les États-Unis à repenser ses structures et ses relations en matière de défense, y compris celles avec le Canada. À la suite des pourparlers tenus à Washington en novembre 2001, le ministre de la Défense nationale a indiqué aux journalistes que le Canada et les États-Unis examinaient de nouveau tous les aspects de leur collaboration en matière de défense. Voici la teneur de ses propos à cet égard : « Nous examinerons les domaines de coopération en tenant compte des modifications survenues depuis le 11 septembre en matière de sécurité. » Il a ajouté ceci : « Je n’émettrai aucune hypothèse sur l’issue des pourparlers sauf pour vous dire que nous nous efforçons d’améliorer nos relations ainsi que la sécurité des peuples de nos deux pays et de notre continent61. » Les mois suivants, un débat important axé sur le NORAD a été entamé à propos de l’avenir de la coopération bilatérale en matière de défense.

Dans les mois qui ont suivi les attaques terroristes, les militaires américains ont fait savoir qu’ils proposaient pour la première fois de restructurer les commandements américains existants afin de créer le Commandement du Nord qui serait responsable de toutes les forces américaines en Amérique du Nord ainsi que des territoires canadien et mexicain. Lorsque les plans relatifs au Commandement du Nord ont finalement été annoncés en avril 2002, il était dorénavant évident que cette restructuration visait essentiellement à permettre aux forces militaires américaines de mieux aider les premiers intervenants civils en cas de catastrophe naturelle ou d’incident terroriste impliquant des armes de destruction massive. Lorsqu’on lui a demandé en septembre 2002 comment le Commandement du Nord était distinct des autres commandements unifiés américains ailleurs dans le monde, le général Ralph « Ed » Eberhart, nouveau commandant de ce commandement (et du NORAD), a répondu que la principale différence résidait dans le fait que, puisqu’il était responsable du territoire américain, le Commandement du Nord devra fournir un soutien intégré aux autorités civiles, y compris au président et au secrétaire à la Défense. Il a ajouté qu’il faudra améliorer les relations avec les autorités policières locales pour détecter et prévenir les actes terroristes ainsi que pour former les intervenants en cas d’urgence et collaborer avec eux62.

 Étant donné le manque de précisions relatives aux répercussions du Commandement du Nord sur les relations entre le Canada et les États-Unis en matière de défense, les observateurs ont réagi différemment. Lloyd Axworthy, ancien ministre des Affaires étrangères, a prévenu le Comité à Vancouver au sujet des « pressions accrues en vue d’une intégration militaire ». Compte tenu des pressions simultanées exercées pour parvenir à l’intégration économique, M. Axworthy a signalé au Comité ce qui suit :

[…] l’interaction entre les deux […] crée, je pense, une série de questions très importantes auxquelles doivent répondre les Canadiens quant au degré auquel nous allons maintenir notre capacité de manœuvrer, notre liberté de choix et notre capacité de faire des jugements sur la base de ce que nous considérons comme étant nos propres intérêts et nos propres valeurs. Il est important de ne pas traiter de ces choses isolément, mais de voir l’effet en cascade, qu’il faut examiner dans toutes ses ramifications63.

Michael Byers, professeur canadien de droit à l’université Duke, a publié une étude intitulée Canadian Armed Forces Under U.S. Command, commandée par le Liu Centre for the Study of Global Issues que dirige M. Axworthy, à l’université de la Colombie-Britannique. Dans cette étude qui connaît un grand retentissement, M. Byers souligne toute la gamme des questions juridiques et autres problèmes qui pourraient survenir si le Canada acceptait d’« intégrer » davantage ses forces militaires à celles des Américains sans en soupeser les conséquences. C’est en ces termes que le professeur Byers a présenté au Comité les principales conclusions et recommandations de l’étude : « Il y a de très nombreuses questions et pas autant de réponses, mais cela reflète en soi l’incertitude de la situation à laquelle nous sommes confrontés » Il a ajouté que « […] les États-Unis ne nous veulent pas de mal, mais il se peut que, tous les deux, nous n’anticipions pas les problèmes64. ».

Selon Jim Fergusson, c’est « paniquer » que de penser que les États-Unis « dictent leur volonté » au Canada ou de craindre les répercussions du Commandement du Nord65. M. Granatstein a réfuté les arguments de MM. Axworthy et Byers, affirmant qu’ils avaient mal compris le Commandement du Nord et faisant remarquer qu’il s’agissait d’une structure américaine interne. En outre, il ne partageait pas leurs arguments plus vastes au sujet de la souveraineté canadienne. Voici la teneur de ses propos à cet égard :

Les préoccupations de M. Axworthy sont tout simplement erronées; elles ne sont certainement pas dans l’intérêt de la défense du Canada et du continent. En effet, les Canadiens doivent se soucier de l’intégration élargie avec les militaires des États-Unis, mais dans leur volonté de demeurer une nation souveraine, ils ne doivent pas oublier les enjeux. Presque 90 % de notre commerce étant destiné aux États-Unis ou transitant par ces derniers, notre bien-être dépend des bonnes relations avec la super puissance voisine66.

Comme nous l’avons souligné plus tôt, M. Granatstein a également fait valoir que le Canada n’avait effectivement pas d’« autre choix » : il devait satisfaire aux exigences américaines formulées depuis longtemps à l’égard de la défense antimissile et du budget de la défense. En fonction de cette évaluation controversée, il formule la proposition suivante :

[…] mais Ottawa devrait, en toute logique, favoriser la création d’un accord NORAD élargi couvrant les forces terrestres et navales des deux pays et préservant le statut du Canada dans le NORAD binational.

Ces suggestions vont à l’encontre des préoccupations du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international au sujet de la souveraineté et de l’autonomie, et le ministère des Finances craint probablement que, si le Canada élargissait le NORAD pour couvrir la défense intérieure, les pressions américaines préconisant un budget beaucoup plus important en matière de défense pourraient être trop fortes pour être laissées de côté. Toutefois, il faut aborder la question exactement comme pour le système national de défense antimissile. Les États-Unis sont déterminés à améliorer leur défense intérieure et vont certainement aborder cette question, comme ils le doivent, dans une perspective continentale […]

Ainsi, le Canada a le choix de laisser les Américains planifier l’utilisation du territoire canadien ou de participer aux décisions67.

Même si le Commandement du Nord est strictement une initiative américaine, il entraînera des répercussions pour le Canada. De plus, un groupe d’experts américains a signalé ce qui suit en septembre 2002 :

En raison de sa nature classifiée, le processus d’examen a fait naître invariablement des préoccupations pertinentes chez les représentants canadiens. Par nécessité, les Canadiens n’ont pas été informés officiellement du plan proposé à l’égard du nouveau commandement avant janvier, celui-ci devant être approuvé préalablement par le président Bush, ce qui donnait aux médias canadiens des mois pour émettre des hypothèses sur les répercussions éventuelles du nouveau commandement sur les ententes de sécurité mutuelle. La création d’un tel commandement important influencerait de toute évidence la forme et le fonctionnement du NORAD, mais nul ne sait dans quelle mesure exacte68.

En fait, les autorités américaines favorisaient effectivement l’accroissement des fonctions du NORAD afin d’inclure les forces navales et terrestres, étant donné que les forces américaines relèveraient dorénavant d’un seul commandement. Ces experts ont décrit en ces termes les répercussions :

Les autorités américaines souhaiteraient que la portée opérationnelle du NORAD — qui se restreint actuellement aux avertissements en cas d’attaques au missile ainsi qu’à la détection de ces attaques et à la défense contre des menaces aériennes comme les bombardiers — soit accrue pour englober le soutien maritime, terrestre et civil. Ainsi, la structure organisationnelle du NORAD serait, grosso modo, parallèle à celle du nouveau Commandement du Nord, qui comprendra les éléments aériens, terrestres et maritimes ainsi que le soutien civil69.

Le Comité fait remarquer que, pendant ses réunions avec les hauts fonctionnaires américains à Washington, Frank Miller, du Conseil national de sécurité, a signalé que les États-Unis souhaiteraient que le Canada coopère dans toute la mesure du possible, étant donné que la défense commune est toujours plus efficace; les États-Unis désiraient également entamer des pourparlers avec le Mexique.

Quoi qu’il en soit, une équipe de négociateurs canadiens aurait rejeté l’idée que le NORAD assume des fonctions terrestres et maritimes. Elle était dirigée par des représentants du ministère de la Défense nationale — dont des membres du Bureau de la protection des infrastructures essentielles et de la protection civile (BPIEPC) — ainsi que par des fonctionnaires du MAECI. Pour appuyer sa position, elle a signalé que la nécessité de réagir immédiatement en cas de menace aérienne ne valait pas pour les menaces maritimes et terrestres. Selon les témoignages devant un comité parlementaire en août 2002 et les rapports publiés ultérieurement, l’équipe aurait avalisé la création d’un groupe binational restreint de planification et de surveillance, qui serait installé dans le quartier général du NORAD et qui travaillerait à la fois à la planification d’urgence — comme la réaction en cas de catastrophe naturelle ou d’incident terroriste impliquant des armes de destruction massive — et à la surveillance permanente. Commentant les récentes critiques formulées à propos de la sécurité le long des côtes et dans les ports, le lieutenant-général George MacDonald, vice-chef d’état-major de la Défense, s’est exprimé ainsi lors d’une conférence tenue en septembre 2002 : « Les aspects maritimes seront élaborés plus rigoureusement à brève échéance que les aspects terrestres70. » Le ministre de la Défense nationale a également indiqué que les négociations sont en cours afin d’autoriser les forces militaires canadiennes et américaines à traverser la frontière rapidement à la demande de l’autre pays afin de collaborer aux interventions d’urgence. Le 9 décembre 2002, le gouvernement canadien a annoncé la mise sur pied d’un Groupe de planification binational. Ce groupe, dont la durée initiale est de deux ans, sera dirigé par un Canadien.

Un tel groupe de planification et de surveillance fait naître moins de questions que l’élargissement des fonctions du NORAD. Néanmoins, certaines questions se posent comme pour la recherche plus poussée d’une « interopérabilité » encore plus grande. Le professeur Byers a signalé ce qui suit au Comité à Vancouver :

[…] vous retournerez à Ottawa et l’on vous dira probablement que le plan que le ministère de la Défense américain veut mettre en œuvre s’appelle une cellule politique, ce qui suppose tout simplement envoyer 50 ou 100 officiers canadiens […] pour assurer une collaboration étroite avec les États-Unis.

À mon avis, en l’absence d’une explication détaillée de la façon dont cela fonctionnerait, cette cellule politique entraîne exactement les mêmes problèmes potentiels que toute autre forme de collaboration militaire étroite. Il convient de poser les mêmes questions et d’y trouver réponse. Quel que soit le terme retenu, la question est de savoir si les politiques et la liberté d’agir du Canada seraient compromises en cas de situation de crise. Si une cellule politique signifie que la frégate canadienne à 400 miles au large de l’Île de Sable ferait une manœuvre au sujet de laquelle le gouvernement du Canada n’aurait pas été consulté, alors cela est synonyme de contrôle opérationnel et de commandement71.

Joel Sokolsky, doyen de la Faculté des arts au Collège militaire royal du Canada, à Kingston, a fait remarquer que nous nous attendons à une réaction immédiate en raison des ententes régissant les situations d’urgence. Voici ce qu’il en dit : « Ce n’est pas lorsque survient une crise qu’il faut remettre en question ces ententes […] En raison de ce genre d’entente, les États-Unis s’attendent à ce que, dans l’éventualité d’une urgence qui les menacerait, le Canada accepte de demander l’aide des troupes américaines s’il ne peut maîtriser la situation72. »

Pour diverses raisons, dont cette dernière, Danford Middlemiss et Denis Stairs, politologues à l’université Dalhousie, ont récemment fait valoir qu’une « participation permanente dans le cadre de l’interopérabilité qu’entraîne le NORAD implique des coûts, dont certains sont politiques et d’autres financiers ». Les Canadiens ont choisi d’assumer ces coûts par rapport au NORAD. Les politologues ont ajouté cependant que « les dimensions politiques de l’interopérabilité militaire avec les troupes américaines nécessitent peut-être dorénavant une attention plus grande que celle dont elles ont fait l’objet par le passé73 ».

Le Comité est d’avis que, dans le contexte actuel de l’accroissement de la menace terroriste, les Canadiens peuvent accepter la nécessité d’augmenter la surveillance et la planification d’urgence. Pourtant, rien ne vient justifier encore le besoin d’accroître le rôle du NORAD, ce qui exigerait à tout le moins un débat exhaustif avant le prochain renouvellement de l’entente du NORAD.

Recommandation 11

Le gouvernement devrait rendre publiques toutes les ententes pertinentes en vertu desquelles les planificateurs militaires canadiens participeront aux travaux du groupe de surveillance et de planification qui vient d’être proposé et qui devrait être affecté au quartier général du NORAD. Pour que l’utilité et les grandes répercussions de ce groupe fassent l’objet d’un débat public exhaustif, le gouvernement devrait également rédiger et déposer un rapport sur le travail de ce nouveau groupe avant le prochain renouvellement de l’entente du NORAD.

La défense antimissile

[… il est] très difficile en effet pour le gouvernement canadien de rejeter toute proposition importante en matière de défense que le gouvernement des États-Unis présente avec conviction comme étant essentielle pour la sécurité de l’Amérique du Nord74.

L’hon. Brooke Claxton,
ministre de la Défense nationale, 1953.

La position des Affaires étrangères dans ses rapports avec les États-Unis consistait à empêcher tout ce qui pouvait ressembler à un défi direct aux souhaits américains en matière de sécurité. La tactique habituelle consistait à concéder ce qui ne pouvait être refusé tout en gardant une porte ouverte pour revoir ou diluer les parties de l’entente jugées contraires aux intérêts propres du Canada 75.

Arthur Andrew,
ministère des Affaires extérieures, 1947-1978.

La construction de systèmes de défense contre les missiles balistiques a été une question complexe et controversée pendant des décennies, tant aux États-Unis que chez des alliés comme le Canada. Toutefois, comme George Lindsey, ancien haut fonctionnaire du ministère de la Défense nationale, le soulignait devant le Comité à propos de la défense antimissile dans le contexte actuel :

[elle] a de très importantes répercussions pour le Canada dans différents domaines. La principale est la défense de l’Amérique du Nord contre une attaque intercontinentale, mais ce n’est pas la seule. […] nous devons également nous inquiéter d’opérations qui se déroulent outre-mer, où il est très probable qu’on utilisera des missiles balistiques, mais ce seront des armes tactiques de portée plus limitée, probablement pas des armes nucléaires. Mais il est très probable que des soldats canadiens participeront à ces opérations. Un troisième élément, qui est peut-être davantage lié aux délibérations de votre comité, est celui des relations entre le Canada et les États-Unis. Il ne s’agit pas uniquement de défense ou de sécurité, mais aussi d’échanges de renseignements et de coopération dans l’utilisation de la technologie de pointe, ce qui un jour sera très important, plus que maintenant, pour l’exploitation de l’espace. Enfin, il y a les répercussions du bouclier antimissile américain sur la prolifération des armes et sur le contrôle des armements76.

La controverse entourant la défense antimissile a culminé dans les années 1980, alors que le président Ronald Reagan a annoncé une « Initiative de défense stratégique » (IDS) visant à bâtir un système de défense antimissile dans l’espace. Jugé par plusieurs comme étant trop complexe sur le plan technologique pour être réalisable, ce projet de « Guerre des étoiles » aurait contrevenu, selon des critiques, au Traité américano-soviétique de 1972 sur les missiles antimissile balistique (ABM) interdisant tout système de défense antimissile d’envergure. En outre, le projet violait un accord tacite sur la protection de l’espace à des fins pacifiques et constituait une provocation susceptible de relancer la course aux armes nucléaires. Le gouvernement Mulroney a refusé de participer officiellement à l’IDS, mais permis aux entreprises canadiennes de le faire.

L’Administration Clinton a rejeté l’idée d’un système de défense antimissile dans l’espace. Cependant, étant donné que Saddam Hussein a fait usage de missiles SCUD durant la guerre du Golfe de 1990-1991, les États-Unis ont poursuivi la recherche sur les systèmes tactiques à faible portée. En 1998, la commission présidée par Donald Rumsfeld a déposé son rapport indiquant la « possibilité » — plutôt que la probabilité — que des États parias puissent acquérir des missiles balistiques avec une aide extérieure, alors que la Corée du Nord prenait le monde par surprise avec ses essais de missiles multi-étagés. Le Congrès américain a alors adopté une loi imposant le déploiement d’un système national de défense antimissile efficace « dès que la technologie le permettra ». L’Administration Clinton espérait ne pas toucher au traité ABM en négociant avec la Russie des modifications lui permettant de déployer un système terrestre limité visant à se protéger contre la menace des « parias » et tout lancement accidentel par la Russie ou la Chine.

L’Administration Clinton a reconnu que l’aspect diplomatique — plus précisément, les conséquences sur les négociations touchant le contrôle des armements — serait un facteur important dans les décisions en matière de défense antimissile. Outre l’opposition de la Russie et de la Chine, de nombreux alliés des États-Unis se sont dits en désaccord avec la menace des « parias » et n’être tout simplement pas convaincus qu’un tel système de défense offre plus d’avantages qu’il n’en coûte sur les plans diplomatique, financier et autres.

L’appui du Canada aurait servi l’Administration américaine à deux titres : politiquement, puisqu’il serait difficile de convaincre les autres alliés d’une attaque crédible de missiles contre l’Amérique du Nord si l’autre allié nord-américain n’était pas d’accord; et peut-être techniquement, puisqu’un accord avec le Canada signifierait que le système pourrait être commandé à partir des installations existantes de NORAD. Le gouvernement canadien est toutefois demeuré tiède et, comme le gouvernement américain n’a jamais demandé officiellement la participation du Canada, notre gouvernement n’a pas été forcé de prendre une décision.

La Russie a refusé de modifier le traité ABM et l’Administration Clinton a fini par retarder sa décision concernant une défense antimissile, invoquant les maigres progrès réalisés sur les plans technique et diplomatique. La nouvelle Administration Bush est arrivée au pouvoir en affirmant que la plus grande menace pour la sécurité des États-Unis venait des États parias équipés d’armes de destruction massive et de missiles pour les lancer.

Paradoxalement, les deux parties dans le débat sur la défense antimissile ont prétendu que le 11 septembre leur avait donné raison. Les opposants à de tels systèmes ont fait valoir que, si ceux-ci avaient été construits (à grands frais, pécuniaires et autres), ils n’auraient pu empêcher les attaques qui ont été perpétrées non pas par des États parias à l’aide de missiles perfectionnés, mais par des terroristes qui ont détourné des avions commerciaux. Comme Carolyn Bassett de l’Alliance canadienne pour la paix l’a déclaré devant le Comité à Toronto :

[…] au cours de la période qui a suivi les événements du 11 septembre, nous avons été très surpris de constater un intérêt renouvelé envers l’élaboration du projet de bouclier antimissile. Surtout quand on sait que le bouclier antimissile n’aurait pas du tout empêché les attentats de ce jour-là, et que ce mécanisme serait tout à fait inapte à protéger les États-Unis contre une attaque nucléaire par une organisation terroriste.

[…] une organisation terroriste quelconque ne pourrait pas élaborer un tel dispositif de lancement. Il serait d’ailleurs impossible d’élaborer un tel mécanisme en secret. Tout projet de cet ordre serait de notoriété publique et serait, vraisemblablement, étouffé bien avant que l’organisation ait la capacité de lancer des armes nucléaires.

[…] le coût que représente l’élaboration d’un tel mécanisme, qu’est le bouclier antimissile, n’a pas de sens, surtout quand l’on considère que cet argent pourrait être affecté à d’autres projets qui auraient un résultat beaucoup plus immédiat et positif sur la sécurité nord-américaine et, en fait, mondiale77.

Les tenants d’une défense antimissile ont vu dans les attentats la preuve que l’Amérique était vulnérable. La priorité immédiate des États-Unis après les attaques était la lutte contre le terrorisme, mais Stephen Flynn du Council on Foreign Relations a déclaré ce qui suit au Comité en novembre 2001, concernant la défense antimissile : « C’est presque une question de religion aux États-Unis, et on va donc continuer d’en parler, mais avec assurément moins d’ardeur78 ». Par ailleurs, malgré l’attention suscitée par le terrorisme, l’Administration Bush n’a pas abandonné l’idée d’une défense antimissile. En janvier 2002, le président Bush a fait le lien entre celle-ci et le terrorisme dans son discours sur l’état de l’Union, en qualifiant l’Iraq, l’Iran et la Corée du Nord d’États liés à « l’axe du mal », voués à la mise au point d’armes de destruction massive et de missiles qui pourraient ensuite passer aux mains de terroristes. Concrètement, l’Administration a annoncé qu’elle poursuivrait la mise au point d’un système « par couches » qui pourrait comporter des éléments terrestres, maritimes ou aériens. Elle a retiré le terme « national » pour reconnaître qu’un tel système de défense pourrait être partagé avec des alliés et éliminé la distinction entre recherche sur des systèmes « stratégiques » et recherche sur des systèmes « tactiques ». Elle a augmenté le budget global pour la défense antimissile d’environ 50 %79.

Le réputé Institut international d’études stratégiques expliquait ce qui suit, en mai 2002, dans un article intitulé « Bin Laden Kills the ABM Treaty » :

Les événements du 11 septembre ont réglé la question. Les attentats ont exacerbé le sentiment de vulnérabilité du peuple américain et miné complètement les efforts des démocrates au Sénat visant à contester le désir de l’administration de se retirer du traité ABM. Pour l’Américain moyen, peu importait si les attentats avaient été perpétrés à partir d’avions civils plutôt que de missiles balistiques. Il fallait renforcer toutes les défenses contre ces ennemis irrationnels qui semblaient prêts à tout pour attaquer l’Amérique. Par conséquent, l’opposition au pays […] est restée presque muette. Sur la scène internationale, la décision stratégique du président russe Vladimir Poutine de se ranger aux côtés de Washington dans la campagne contre le terrorisme mondial a rassuré les États-Unis dans leur intention de se retirer du traité ABM sans compromettre d’autres aspects de la relation entre les États-Unis et la Russie […] Ce calcul s’est avéré juste80.

Le président Poutine a annoncé que, même s’il était toujours persuadé que le geste projeté des États-Unis était une « erreur », cela ne menaçait pas la sécurité de la Fédération de Russie. La levée de l’obstacle juridique imposé par le traité ABM et l’acceptation par la Russie des plans américains ont gravement miné les arguments des opposants à un régime de défense antimissile. Ceux-ci ont toutefois repris leurs arguments en soulignant qu’un tel système n’est pas réellement nécessaire. Ainsi, ils font remarquer que le milieu américain du renseignement a laissé entendre en décembre 2001 que les États-Unis pourraient vraisemblablement être attaqués au moyen d’armes de destruction massive ne faisant pas intervenir de missiles car de telles armes « sont moins coûteuses, plus faciles à obtenir, plus fiables et plus précises. Elles peuvent également être utilisées sans mention de la source81 ».

Les opposants aux plans de défense antimissile des États-Unis ont ajouté que, alors que la Russie ne voit pas ces programmes comme une menace pour sa sécurité, la Chine demeure inquiète à cet égard. Même si la Chine ne dispose pas de moyens comparables à ceux des États-Unis et de la Russie pour ce qui est des arsenaux nucléaires, si elle décidait d’augmenter sensiblement son maigre arsenal de missiles balistiques d’une vingtaine de missiles à grande portée pour essayer de maintenir une force de dissuasion efficace, ce qui pourrait sans doute inciter l’Inde, sa rivale, et donc le Pakistan, à grossir leurs arsenaux de missiles. Comme Kerry Duncan McCartney, de Project Ploughshares Calgary, a déclaré devant le Comité : « Selon les sources publiées, l’analyse de la situation en Asie en ce qui concerne la Chine par rapport au Pakistan et à l’Inde est assez bien acceptée en règle générale. Nous risquons de déstabiliser le monde en adoptant un régime de défense antimissile82 ». Dans la pratique, deux points inquiètent sans doute tout autant le gouvernement chinois. D’abord, ce dernier s’inquiète des répercussions de l’intensification de la recherche sur les systèmes de défense contre les missiles de théâtre dont pourrait se doter tôt ou tard Taïwan. Ensuite, il craint que les programmes de défense antimissile ne mènent à l’arsenalisation de l’espace par les États-Unis — une situation à laquelle s’oppose la Chine, qui est une puissance spatiale en devenir.

Sur un plan plus général, les craintes de longue date concernant les conséquences d’un bouclier antimissile sur le régime multilatéral de contrôle des armements ont été en partie apaisées par la levée de l’obstacle du traité ABM. Dans l’ensemble, nombreux sont ceux qui craignent qu’un système de défense antimissile par couches ne mène tôt ou tard à l’arsenalisation de l’espace, ce qui contreviendrait aux accords internationaux. L’ambassadeur au désarmement Chris Westdal a déclaré devant le Comité en avril 2002 : « Nous accordons une grande priorité à la prévention de l’arsenalisation de l’espace, phénomène qu’il faut distinguer de la militarisation qui a déjà eu lieu ». Il a poursuivi avec l’analyse suivante :

 […] selon moi, ce ne sont pas les arguments en faveur de la création d’un sanctuaire spatial, d’où les armes seront exclues, qui finiront par l’emporter sur tous les autres. Cependant, il nous faudra être clairs sur les intérêts de sécurité susceptibles d’être servis ou au contraire compromis par une telle interdiction de l’arsenalisation de l’espace, de même que sur les répercussions économiques croissantes que représente, pour le monde entier, notre dépendance accrue à l’égard des satellites. […] D’après notre analyse, les coûts de l’arsenalisation de l’espace dépasseraient de loin les avantages militaires que représenterait ce genre de bond technologique. Ce sont là des questions qu’il faut étudier plus à fond et c’est d’ailleurs ce que nous recommandons83.

Parmi les témoins qui ont soutenu que le Canada devrait appuyer un système de défense antimissile, peu ont insisté sur une menace dirigée par un État paria contre les États-Unis ou le Canada. Ils ont en fait argué que, même si l’idée d’une défense antimissile n’est peut-être pas encore une bonne idée, les avantages d’y souscrire maintenant en dépassent les coûts, surtout si le fait de ne pas y adhérer devait compromettre les relations dans le cadre de NORAD, voire dans un cadre de défense plus large. Comme M. Granatstein l’a indiqué : « Pour la plupart, les représentants canadiens minimisent la menace des États hors-la-loi et s’inquiètent de l’unilatéralisme américain. L’échec des recherches à produire un système de défense utile ne ferait verser de larmes à personne ou presque. » Il a toutefois ajouté : « Si le Canada décide de s’opposer au système de défense NMD pour des raisons morales, les Canadiens au NORAD ne pourront plus participer pleinement au processus d’alerte et d’évaluation. Les conséquences sont claires : les Américains pourraient préférer mettre fin au commandement intégré que représente le NORAD ou confier le système NMD à leur commandement spatial, et peut-être même l’intégrer à leur commandement stratégique. À toutes fins pratiques, le démantèlement du NORAD priverait le Canada de toute influence sur la défense aérienne continentale et aurait presque à coup sûr des répercussions sur d’énormes quantités de renseignements de sécurité que le Canada reçoit de sources américaines. »

Selon M. Granatstein : « Par ailleurs, si le Canada accepte le système NMD, que celui-ci est intégré au NORAD, l’influence canadienne pourrait augmenter. Personne ne croit que le Canada acquerra l’autorité absolue quant au système NMD si c’est le NORAD qui mène le jeu. Mais le Canada aura droit à la consultation, droit à la participation et aura sa place à la table des décisions. » Il en est donc arrivé à la conclusion suivante : « Comme les États-Unis sont presque certains d’aller de l’avant, le Canada doit choisir entre le sens moral et le sens pratique, et dans les circonstances actuelles, alors que la valeur morale ne fera qu’irriter l’Administration Bush et nuire aux intérêts canadiens, il n’y a pas de choix. Il est peut-être trop tard pour en retirer un avantage maximum, cependant, plus tôt le Canada conviendra d’appuyer la décision sur le système NMD, mieux ce sera84. »

Par ailleurs, George Lindsey y est allé de ce conseil devant le Comité :

Je m’efforcerais de maintenir notre engagement dans NORAD, et cela pourrait vouloir dire jouer un plus grand rôle que nous ne l’aurions souhaité dans le système national de défense contre les missiles. Ensuite, si les Américains continuent à nous presser pour en faire plus, je serais d’avis que nous tournions nos efforts vers les missiles à courte portée et les observations faites par satellite dont l’avantage pour nous serait de nous informer de ce qui se passe dans notre propre pays. Pour que quelque chose nous rapporte, il faut normalement débourser un peu et faire quelques concessions, mais ce n’est pas tout à fait comme jouer au grand méchant loup et essayer de déclencher une troisième guerre mondiale, ce que bien sûr nous ne voulons pas faire85.

La plupart des observateurs conviennent sans doute que l’analyse coûts-avantages d’un système de défense antimissile a beaucoup évolué depuis un an : la plupart des alliés continueront sans doute de ne pas accorder la priorité à un tel système, mais le risque de pertes est beaucoup moindre maintenant que le traité ABM n’est plus un obstacle juridique et que la Russie a accepté les plans de défense antimissile des États-Unis.

Dans le prochain chapitre, le Comité fait une mise en garde contre le risque qu’il y a à lier entre elles des questions qui ne le sont pas. Entre temps, Stéphane Roussel a déclaré au Comité que, s’il cèdait sur un aspect des préoccupations des États-Unis en matière de sécurité en Amérique du Nord, le gouvernement du Canada pourrait bien avoir les coudées plus franches à long terme concernant d’autres aspects. Comme il l’a affirmé :

[…] le homeland defence est un concept qui va guider la politique étrangère américaine pour les années à venir, et la défense antimissile est une composante centrale de cela.

[…] la défense antimissile [va] moins affecter la vie quotidienne des Canadiens que, par exemple, le périmètre de sécurité, qui est une autre composante du homeland defence. […] il valait mieux, pour le gouvernement canadien, d’accepter de faire des compromis dans le domaine de la défense antimissile pour montrer sa bonne foi à Washington et de dire qu’il était prêt à contribuer à la défense de l’Amérique du Nord, même si cela remet en question certains aspects de la politique de contrôle des armements et même si cela peut causer un malaise au niveau international. Le fait de dire oui à la défense antimissile peut nous donner une marge de manœuvre pour négocier d’autres aspects qui peuvent toucher beaucoup plus directement la vie des Canadiens. Et là, on parle du périmètre de sécurité, du contrôle aux frontières, de l’application des lois. L’harmonisation des politiques est quelque chose qui va affecter la vie du citoyen canadien beaucoup plus que la défense antimissile.

[…] Si on pouvait négocier, j’aurais tendance à faire beaucoup plus de concessions en termes de défense antimissile dans l’espoir implicite de gagner une marge de manœuvre lorsqu’on va parler des autres aspects du périmètre de sécurité, ce qui nous permettrait de préserver ce qui tient à cœur aux citoyens canadiens, comme le système de santé, l’immigration, la Loi sur les armes à feu et l’eau potable. Tous ces domaines doivent être préservés, et on peut peut-être gagner une marge de manœuvre de ce côté-là86.

Malheureusement, comme Eliot Cohen, autrefois haut fonctionnaire de la défense américaine et maintenant professeur à l’université Johns Hopkins, l’a résumé récemment, voici les enseignements qu’il faut tirer de décennies de controverse entourant la défense antimissile :

D’abord, l’instinct de défendre sa patrie contre une attaque de missiles à grande portée est durable et, en dernière analyse, impérieux. Puis, il reste à prouver qu’on a la capacité technologique de le faire […] Les gens ont tendance à être obsédés par la logique de la défense antimissile ou par sa technologie, mais ils n’en tiennent jamais compte […] Ce dilemme explique pourquoi […] la question continuera de faire l’objet d’un dialogue de sourds87.

Quelle est la meilleure façon de gérer la menace des missiles? Voilà une question des plus épineuse sur laquelle les membres du Comité ont eu du mal à s’entendre. Les missiles présentent un danger réel et, dans un premier temps, il faut intensifier les efforts diplomatiques multilatéraux pour tenter de régler le problème. Comme l’a soutenu Ernie Regehr de Project Ploughshares, « Les missiles constituent une menace mondiale. Quiconque menacerait de s’en servir pour lancer des armes de destruction massive agirait à tort — ou devrait-on dire sous l’empire du mal. Pour se protéger contre une telle menace, il faut des normes et une intervention internationales […]88 ».

Par ailleurs, ce n’est que dans plusieurs années que les avantages d’un système de défense antimissile deviendront apparents, mais la chaîne des événements récents a eu pour effet de réduire considérablement les coûts diplomatiques et autres associés à l’établissement de tels systèmes. Le gouvernement du Canada n’accorderait certes pas la priorité à l’établissement d’un tel système de son propre chef, mais son alliance étroite avec les États-Unis l’oblige à prendre au sérieux le sentiment de vulnérabilité des Américains.

Recommandation 12

Le gouvernement ne devrait prendre aucune décision concernant les systèmes de défense antimissile en développement aux États-Unis, car la technologie n’a pas encore été éprouvée et les détails de leur déploiement ne sont pas connus. Il devrait toutefois continuer de surveiller l’évolution de ce programme conjointement avec le gouvernement des États-Unis et continuer de s’opposer à l’arsenalisation de l’espace.

Les dépenses en matière de défense

Il existe une ligne de démarcation au-delà de laquelle il faut déployer un véritable effort herculéen pour se justifier, et je crois que les militaires canadiens se situent en deçà de cette ligne […] On entre alors dans un cercle vicieux où les besoins de fonds augmentent constamment jusqu’à ce que les politiciens baissent les bras et avouent qu’ils ne pourront jamais justifier un tel niveau de dépenses, de sorte qu’ils abandonnent et laissent aux Américains la défense de l’Amérique du Nord. Il est dangereux de penser ainsi, mais, comme le Canada a reconnu depuis longtemps que, pour demeurer dans le jeu et maintenir sa relation privilégiée avec les États-Unis, il a dû développer une capacité militaire minimale. Le Canada est maintenant tombé en deçà de ce minimum89.

Dwight Mason, coprésident américain,
Commission permanente mixte de défense Canada-États-Unis, 1994-2001.

La question de la défense antimissile est un enjeu particulier, mais celle des dépenses en matière de défense a suscité un intérêt plus général lors de plusieurs des audiences tenues par le Comité. Ainsi, depuis des décennies, les États-Unis soutiennent que leurs alliés doivent dépenser davantage pour leur défense partagée, même si l’ancienne expression « partage des charges » a été remplacé par « partage des responsabilités ».

Depuis quelques années et, en particulier, depuis la montée en flèche des dépenses des États-Unis en matière de défense au lendemain des attentats du 11 septembre, les États-Unis ont continué de soutenir que leurs alliés doivent augmenter leurs dépenses en matière de défense. Dans ce contexte général, les critiques font remarquer que le Canada est un des pays de l’OTAN qui dépense le moins pour sa défense. Ils ont ajouté que même le chef de l’état-major de la Défense a déclaré que le statu quo « est insoutenable ».

Dans le contexte des relations entre le Canada et les États-Unis, l’ambassadeur américain Paul Cellucci a « prié » à plusieurs reprises le gouvernement canadien d’augmenter ses dépenses en matière de défense. Comme il l’a souligné plus d’une fois : « Le secrétaire d’État Colin Powell m’a donné pour seule instruction avant que je vienne au Canada de “convaincre les Canadiens de dépenser davantage pour la défense90” ». Des témoins ont affirmé que le Canada doit en fin de compte augmenter ses dépenses en matière de défense s’il veut être pris au sérieux par les États-Unis dans le domaine de la défense et de la sécurité. Ainsi, Jack Granatstein a soutenu ce qui suit : « Nous avons économisé l’argent que nous aurions dû consacrer à la défense et nous l’avons utilisé à d’autres choses. Pendant ce temps, les Américains nous ont défendus. Comment peut-on parler de souveraineté dans une telle situation? » Et il a poursuivi :

J’aimerais que nous atteignions le plus tôt possible la moyenne des dépenses des pays de l’OTAN pour la défense, c’est-à-dire le double de ce que nous y consacrons, [2,2 %] du [PIB au lieu de] 1,1 %. Si nous le faisons, portons le nombre de nos soldats [à] 80 000 [ou encore] à 85 000 : 10 000 de plus dans l’armée, entre 5 000 et 8 000 de plus dans la marine et les 10 000 autres dans l’aviation. Procurons-nous le nouveau matériel dont nous avons besoin. Alors seulement aurons-nous la capacité de jouer un rôle dans le monde. Il ne s’agira plus uniquement d’assurer le maintien de la paix; nous jouerons un rôle dans la défense de l’Amérique du Nord et un meilleur rôle dans les opérations de l’OTAN en Bosnie, et peut-être ailleurs. Cela nous est impossible aujourd’hui sans exercer de terribles pressions sur nos hommes et nos femmes des Forces armées.

La qualité de vie des Forces canadiennes s’est spectaculairement dégradée. Les chiffres ne peuvent pas être maintenus au niveau actuel de 54 000, ce qui est le véritable effectif des Forces canadiennes. D’ici deux ou trois ans, nous allons perdre un grand nombre de nos sous-officiers et de nos officiers, qui ont atteint la limite d’âge.

La vérité, c’est que nous sommes sur le point de devenir virtuellement sans défense. Si cela se produit, il ne sera plus question de défendre l’Amérique du Nord ni notre souveraineté. Il faudra tout simplement compter sur les Américains pour tout. Nous ne pouvons pas rester un État souverain dans ces conditions91.

Plusieurs arguments ont été invoqués en guise de réponse, portant plus précisément sur les faits suivants : les États-Unis soutiennent que tous les alliés de l’OTAN doivent dépenser davantage pour leur défense; en dollars dépensés, le budget 2001 du Canada pour la défense est le sixième en importance au sein de l’OTAN; les effectifs canadiens participant aux missions de l’ONU sont très faibles, mais ceux qui sont en mission dans des régions importantes comme la Bosnie demeurent élevés. De plus, dans le domaine, jugé stratégique par les États-Unis, de la « sécurité de la patrie » — ce qui comprend le renseignement, l’application de la loi et la sécurité aux frontières — comme nous l’avons déjà fait remarquer, le gouvernement du Canada a prévu 7,7 milliards de dollars pour ses activités dans son budget de décembre 2001, soit plus que n’ont dépensé les États-Unis.

Néanmoins, un des thèmes dominants du rapport d’étape présenté par le Comité en décembre 2001 et du présent rapport, c’est celui de la nécessité pour le gouvernement du Canada de dégager les ressources nécessaires pour mener à bien sa politique étrangère. Nul n’est besoin de dépenser davantage pour les forces militaires canadiennes pour répondre aux préoccupations des Américains en matière de sécurité en Amérique du Nord. Le Comité est toutefois d’accord avec les nombreux experts et les comités parlementaires, qui ont été unanimes à cet égard : il est nécessaire d’augmenter les dépenses pour permettre aux Forces canadiennes d’assurer une surveillance du territoire canadien et de jouer efficacement leur rôle traditionnel d’instrument stratégique de la politique étrangère canadienne; les États-Unis verraient cette augmentation d’un bon œil, ce qui représenterait un avantage supplémentaire.

Après avoir éliminé le déficit fédéral, le gouvernement du Canada a consacré à juste titre ses premières hausses de dépenses en matière de défense à l’amélioration de la qualité de vie des hommes et des femmes des Forces canadiennes. Le temps est toutefois venu pour le gouvernement de renouveler son engagement à cet égard. Il demeure important pour la politique étrangère du Canada que ses forces militaires jouent un rôle efficace, que ce soit pour rétablir ou maintenir la paix. Il ne suffit évidemment pas de se demander combien il faut dépenser, mais pour acheter quoi et à quelle fin. Michael Byers a résumé comme suit le rapport commandé par le Liu Centre for the Study of Global Issues dirigé par M. Axworthy :

[…] il nous faudra sans doute investir davantage dans les militaires canadiens, mais il nous faut consacrer notre argent à des priorités canadiennes fixées par le gouvernement canadien. J’ai mes propres opinions quant à ce que devraient être ces priorités. Y figureraient la logistique et la collecte de renseignements.

Le rapport ne dit pas que nous ne devrions pas consacrer davantage d’argent à la défense ni que nous devrions arrêter de collaborer avec les Américains. Il dit que nous devrions collaborer avec les Américains; il nous faut investir dans notre défense, mais il nous faut le faire conformément à nos conditions et à nos intérêts et après avoir mûrement réfléchi à ce que nous faisons92.

Le gouvernement s’est engagé à revoir sa politique étrangère et ses besoins en matière de défense à long terme, mais le Comité est d’avis que les Forces canadiennes auront besoin de ressources additionnelles pour remplir leur rôle important prévu dans la politique étrangère du Canada.

Recommandation 13

Tenant compte des prochains examens de la politique étrangère et de la politique de la défense du Canada, et reconnaissant l’importante contribution des Forces canadiennes à l’atteinte des objectifs de la politique étrangère du Canada, le gouvernement devrait s’engager à augmenter substantiellement le budget du ministère de la Défense nationale et à lui assurer un financement stable pendant plusieurs années.

La surveillance politique

Les nombreuses questions de défense et de sécurité abordées dans le présent chapitre comportent des aspects techniques importants, mais il appartient aux dirigeants politiques du pays d’en juger et, en fin de compte, de les approuver. Comme M. Axworthy l’a souligné devant le Comité, les questions « techniques » comme celle de permettre des essais de missiles de croisière au Canada, peuvent aussi devenir politiques93. Il n’est ni possible ni sans doute souhaitable de faire de tous les députés des experts dans les domaines de la défense et de la sécurité en Amérique du Nord, mais il est important qu’ils en aient une connaissance plus que superficielle.

Un moyen d’y parvenir, c’est par la Commission permanente mixte de défense Canada-États-Unis. Comme l’indiquait Le Livre blanc sur la défense de 1994 : « La Commission permanente mixte de défense est l’organisme consultatif principal chargé des questions relatives à la sécurité du continent. Elle se compose de deux sections nationales formées de diplomates et de militaires. Depuis plus de 50 ans, ces rencontres sont une fenêtre ouverte sur l’état des relations canado-américaines en matière de défense … Du point de vue du gouvernement, la Commission demeure un point de contact fort utile, où les vues nationales peuvent s’exprimer clairement et franchement sur toutes les questions de sécurité qu’intéressent les deux pays94. »

La Commission est coprésidée à l’heure actuelle par un député canadien et un haut fonctionnaire américain. La discrétion a probablement aidé la Commission à s’acquitter de ses tâches quotidiennes, mais James Wright, sous-ministre adjoint, Politique mondiale et Sécurité, au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, a déclaré ce qui suit devant le Comité l’automne dernier : « […] Je pense qu’on verra bientôt se manifester un grand intérêt politique envers les travaux de la Commission permanente mixte de défense […] les ministres surveilleront le processus de beaucoup plus près. Ils voudront peut-être même y participer plus directement à l’occasion; ils en ont en tout cas la possibilité95 ». Jusqu’à ce jour, les ministres n’ont en fait pas participé davantage aux travaux de la Commission, même si le Comité est d’avis que cela serait utile. De plus, le Comité explorera les moyens en vue d’établir des rapports directs avec les membres de la Commission et encourager des collègues américains, voire mexicains, à en faire autant.

Recommandation 14

Compte tenu que la situation de la sécurité en Amérique du Nord a changé depuis le 11 septembre 2001, les gouvernements du Canada et des États-Unis devraient élargir le mandat et la composition de la Commission permanente mixte de défense en y incluant toute question de sécurité pertinente et en y adjoignant tout représentant jugé approprié. Le gouvernement du Canada devrait faciliter les interactions entre la Commission et les parlementaires canadiens et encourager le gouvernement des États-Unis à en faire autant.

De façon plus générale, les ministres canadiens des Affaires étrangères et de la Défense nationale, de même que le secrétaire d’État et le secrétaire de la Défense des États-Unis — et tout autre membre du cabinet des ministres au besoin — devraient se réunir au moins une fois l’an, en alternance au Canada et aux États-Unis, pour discuter de questions communes de défense et de sécurité. Ces réunions devraient être coordonnées de concert avec la Commission permanente mixte de défense.


1S. Neil MacFarlane et Monica Serrano, « NAFTA: The Security Dimension », dans Louise Fawcett et Monica Serrano, éd., Regionalism’s “Third Wave”: The Americas (à venir en 2002, cité avec la permission des auteurs).
2Témoignages, réunion no 79, 8 mai 2002.
3Christopher Sands, « Fading Power or Rising Power: 11 September and Lessons From the Section 110 Experience », dans Norman Hillmer et Maureen Appel Molot, éd., Canada Among Nations 2002: A Fading Power, Oxford University Press, Don Mills, 2002, p. 65-68.
4« President Bush Delivers Graduation Speech at West Point, Remarks by the President at 2002 Graduation Exercise of the United States Military Academy West Point, New York », White House News Releases, juin 2002. Voir également : Institut international d’études stratégiques, « Dealing With the ‘Axis of Evil’: The U.S. and the ‘Perilous Crossroads’ », Strategic Comments, volume 8, no 5, juin 2002.
5Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.
6Monica Serrano, « U.S.-Mexico Security Relations in the 21st Century », dans Peter Andreas et Tom Bierstecker, éd., Re-Bordering North America? Integration and Exclusion after 9-11, New York, Routledge (à venir).
7Le Canada n’a pas adhéré au Traité de Rio lorsqu’il est entré à l’OEA en 1990, mais il n’en nie pas l’utilité pour ses États membres.
8Voir Hal Klepak, « Hemispheric Security After the Towers Went Down », Fondation canadienne pour les Amériques (FOCAL), Document de politique FPP-02-4, Ottawa, février 2002.
9« Notes en vue d’une allocution de l’hon. Art Eggleton, ministre de la Défense nationale, au Collège de la défense du Mexique », Mexico, Mexique, 22 janvier 2002, p. 6.
10Témoignages, réunion no 79, 8 mai 2002.
11Témoignages, réunion no 75, 6 mai 2002.
12Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.
13Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.
14Ibid. Voir également Canadian Armed Forces Under U.S. Command, Liu Centre for the Study of Global Issues, université de la Colombie-Britannique, mai 2002.
15Témoignages, réunion no 90, 13 juin 2002.
16Témoignages, réunion no 57, 19 février 2002.
17Il sera davantage question du travail du PCEU dans le chapitre suivant.
18Tim Naumetz, « Expert Slams ‘Mindlessly’ Beefed-Up Border », The Ottawa Citizen, 24 septembre 2002.
19     Christopher Sands (2002), p. 52.
20Voir Lisa M. Seghetti, « Border Security: U.S.-Canada Border Issues », CRS Report for Congress, Washington, Congressional Research Service, 8 juillet 2002. p. 2.
21Stephen Gallagher, « The Open Door Beyond the Moat: Canadian Refugee Policy From a Comparative Perspective », dans Hillmer et Molot (2002), p. 117.
22George Haynal, « Interdependence, Globalization and North American Borders », préparé en vue d’un exposé au symposium sur la gouvernance et la sécurité publique au Alan K. Campbell Public Affairs Institute, Maxwell School, université de Syracuse, 18 janvier 2002, p. 14.
23Stephen Clarkson, Uncle Sam and Us: Globalization, Neoconservatism and the Canadian State, Toronto, University of Toronto Press, 2002, p. 403.
24Témoignages, réunion no 82, 9 mai 2002.
25Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.
26Stephen Clarkson, « Uncle Sam and Us One Year Later: The Geopolitical Consequences for Canada of September 11th », dans « 9/11 : Le Canada et le monde, un an plus tard », Thèmes canadiens, Association d’études canadiennes, septembre 2002.
27Reid Morden, « Canada and the U.S. Must Protect Each Other », The Ottawa Citizen, 16 septembre 2002.
28U.S. Department of State, « Homeland Security », Foreign Press Center Briefing, Washington, 5 septembre 2002.
29D’après M. Clarkson, il s’agissait là d’un investissement proportionnellement plus élevé que celui consenti par les États-Unis à cet égard. (« Uncle Sam and Us One Year Later: The Geopolitical Consequences for Canada of September 11th ».)
30Pour prendre connaissance d’un ensemble d’idées récentes sur l’élaboration d’une politique de sécurité nationale pour le Canada, voir W. D. Macnamara et Ann Fitz-Gerald, A National Security Policy Framework for Canada, Institut de recherche en politiques publiques, Montréal, octobre 2002 (disponible à l’adresse www.irpp.org).
31Témoignages, réunion no 74, 2 mai 2002.
32Bien que cet aspect déborde le mandat du Comité, à propos du secteur des services de sécurité privés, l’un des nombreux secteurs où des mesures pourraient être prises, Richard Chenoweth, de Securitas Canada, a signalé à Toronto que les milliers de fournisseurs de tels services au Canada sont réglementés en vertu de différents régimes provinciaux et qu’on ne s’est guère montré intéressé à coordonner ces normes depuis le 11 septembre (Témoignages, réunion no 79, 8 mai 2002).
33George Haynal, 2002, p. 9.
34Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.
35Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.
36Témoignages, réunion no 88, 6 juin 2002. Pour une discussion utile de certains des enseignements pouvant être tirés des expériences particulières de la gestion des frontières au Mexique et en Europe, voir plusieurs rapports récents sur les voyages d’études réalisés par le Forum des politiques publiques (organisme établi à Ottawa) : Disparition des frontières et intégration économique : les leçons que le Canada peut tirer de l’Union européenne, rapport sur le voyage du 2 au 9 novembre 2001; et Les nouveaux rapports changeants de l’Amérique du Nord : les rapports É.-U.-Mexique et l’économie de la frontière, rapport sur le voyage du 10 au 17 mai 2002 (tous deux disponibles à l’adresse www.ppforum.ca).
37Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.
38Témoignages, réunion no 45, 27 novembre 2001.
39Témoignages, réunion no 30, 4 octobre 2001.
40Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.
41Gouvernement du Canada, « Progress Report — Security and Opportunity at the U.S.-Canada Border »,
28 juin 2002, p. 1.
42« Notes pour une déclaration de l’honorable John Manley, vice-premier ministre du Canada et ministre des Infrastructures et des sociétés d’État, devant le Sous-comité sur la sécurité nationale de la Chambre des communes », Ottawa, 10 avril 2002, p. 5.
43Voir le Communiqué du gouvernement canadien du 6 décembre 2002 intitulé Le gouverneur Ridge et le vice-premier ministre Manley rendent public le rapport d’étape annuel concernant le Plan d’action sur une frontière intelligente ainsi que le Rapport en question.
44Témoignages, réunion no 88, 6 juin 2002.
45« Le ministre Coderre demande l’approbation du gouvernement relativement à l’entente sur les tiers pays sûrs », Citoyenneté et Immigration Canada, Communiqué de presse (2002-26), Ottawa, 10 septembre 2002.
46Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.
47Kurt M. Campbell et Michele A. Flournoy, To Prevail: An American Strategy for the Campaign Against Terrorism, Washington, Center for Strategic and International Studies, Novembre 2001, p. 78. Pour obtenir un aperçu utile de l’évolution de la situation à ce chapitre depuis septembre dernier, consulter le document rédigé par Reg Whitaker et intitulé 9/11 and the Canadian Security and Intelligence Community. Ce document (www.sfu.ca/igs/CASIS/Whitaker.pdf) a été présenté lors de la conférence organisée en septembre 2002 par l’Association canadienne pour l’étude de la sécurité et du renseignement (ACESR).
48Le gouvernement canadien a également créé quatre équipes intégrées de sécurité nationale dans les grandes agglomérations urbaines afin de mieux intégrer, à un stade précoce, les aspects du renseignement et de l’application des lois dans les questions de sécurité nationale.
49Denis Stairs, 9/11 Terrorism, Root causes and all that: Policy implications of the socio-cultural argument, Options politiques, septembre 2002, p. 10.
50Témoignages, Sous-comité sur la sécurité nationale du Comité permanent de la justice et des droits de la personne, réunion no 3, 10 avril 2002.
51Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.
52Gouvernement du Canada, L’état de préparation du Canada sur les plans de la sécurité et de la défense, Réponse du gouvernement au rapport du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, octobre 2002, p. 13. Cette réponse présente un bilan de toutes les mesures prises en matière de sécurité et de défense par le gouvernement au cours de l’année écoulée.
53Tirée de Une histoire militaire du Canada, Desmond Morton, Hurtig Publishers, Edmonton, 1985, p. 176-177.
54Témoignages, réunion no 75, 6 mai 2002.
55Témoignages, réunion no 80, 8 mai 2002.
57Stephen Cundari et autres., The U.S.-Canada Strategic Partnership in the War on Terrorism, Center for the Study of the Presidency, 2002, p. 5-6.
58Témoignages, réunion no 40, 6 novembre 2001.
59Témoignages, réunion no 75, 6 mai 2002.
60Témoignages, Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, fascicule 19, 14 août 2002, séance du matin.
61Tim Naumetz, « Canada, U.S. May Expand Joint Defence », The Ottawa Citizen, 22 novembre 2001.
62Sergent-chef Bob Haskell, « NORTHCOM Chief: Guard Key to Homeland Defense », AirLINK News, 10 septembre 2002.
63Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.
64Ibid.
65Témoignages, réunion no 75, 6 mai 2002.
66Témoignages, réunion no 79, 8 mai 2002.
67Ibid.
68Cundari et autres, The U.S.-Canada Strategic Partnership in the War on Terrorism, Center for the Study of the Presidency, 2002, p. 8-9.
69Ibid., p. 12.
70Robert Fife et Sheldon Alberts, « Canada U.S. Devise Joint Military Unit », The National Post, 17 septembre 2002, p. A-1.
71Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.
72Daniel LeBlanc, « Plan Joint Troop Action in Detail », Experts Warn, The Globe and Mail, 29 août 2002.
73Danford W. Middlemiss et Denis Stairs, « The Canadian Forces and the Doctrine of Interoperability: The Issues », Enjeux publics, volume 3, no 7, Institut de recherche en politiques publiques, juin 2002, p. 19 et 13.
74Cité dans Joel Sokolsky, « The Future of North American Defence Cooperation », International Journal 46 (hiver 1990-1991).
75Arthur Andrew, The Rise and Fall of a Middle Power: Canadian Diplomacy from King to Mulroney, Toronto, James Lorimer and Company, 1993, p. 52.
76Témoignages, réunion no 88, 6 juin 2002.
77Témoignages, réunion no 79, 8 mai 2002.
78Témoignages, réunion no 46, 27 novembre 2001.
79Bradley Graham, « Missile Defense Choices Sought », The Washington Post, 3 septembre 2002, p. A01
80Strategic Survey 2001/2002, Londres, Institut international d’études stratégiques, 2002, p. 21.
81Déclaration de Robert Walpole, lors de l’audience sur la « CIA National Intelligence Estimate of Foreign Missile Development and the Ballistic Missile Threat Through 2015 », devant le Senate Subcommittee on International Security, Proliferation, and Federal Services, 11 mars 2002, p. 2
82Témoignages, réunion no 80, 8 mai 2002.
83Témoignages, réunion no 72, 25 avril 2002.
84Témoignages, réunion no 79, 8 mai 2002.
85Témoignages, réunion no 88, 6 juin 2002.
86Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.
87Eliot A. Cohen. « Recent Books on International Relations », Foreign Affairs, volume 81, no 3, mai-juin 2002, p. 158.
88Ernie Regehr, « Getting Serious About the Ballistic Missile Threat », Ploughshares Monitor, printemps 2002.
89The U.S.-Canada Strategic Partnership in the War on Terrorism, Washington, Center for the Study of the Presidency, 2002, p. 17.
90Geoffrey Scotton, « Military Spending Gains Ground: U.S. Envoy’s Criticism Wins Supporters », Calgary Herald, 26 septembre 2002.
91Témoignages, réunion no 79, 8 mai 2002.
92Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.
93Ibid.
94Gouvernement du Canada, Le Livre blanc sur la défense de 1994, p. 21-22.
95Témoignages, réunion no 43, 20 novembre 2001.