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JUST Rapport du Comité

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EXAMEN DES DISPOSITIONS DU CODE CRIMINEL RELATIVES AUX TROUBLES MENTAUX

INTRODUCTION

Le Code criminel du Canada a toujours considéré comme non criminellement responsable de ses actes la personne qui, en raison de troubles mentaux ou « maladie mentale », est « incapable d’en apprécier » la nature et la gravité et de se rendre compte qu’ils sont répréhensibles. La doctrine à la base de ces dispositions du Code repose sur « le principe fondamental de notre droit pénal suivant lequel l’État doit, pour qu’une personne soit reconnue coupable d’un acte criminel, prouver non seulement qu’elle a commis un acte criminel mais également qu’elle avait l’intention coupable de le faire1 ». Ce principe découle, quant à lui, de la défense fondée sur « l’aliénation mentale », propre à la common law telle que la Chambre des lords britannique l’a formulée en 1843 dans l’affaire M’Naghten 2.

Historique de la défense fondée sur l’aliénation mentale

Le Code criminel de 1892 accordait la défense fondée sur l’aliénation mentale à toute personne atteinte « d’imbécillité naturelle ou de maladie mentale » qui était de ce fait « incapable d’apprécier la nature ou la gravité de son acte ou omission » et de se rendre compte qu’elle se conduisait mal. Il prévoyait aussi que tout accusé était présumé légalement sain d’esprit et que l’accusé acquitté pour cause d’aliénation mentale ne devait pas être libéré, mais « strictement gardé » jusqu’à ce que le lieutenant gouverneur de sa province en décide autrement. L’accusé dont l’état mental le rendait inapte à subir son procès était également détenu au bon plaisir du lieutenant gouverneur. Les dispositions relatives à l’aliénation mentale sont demeurées essentiellement inchangées jusqu’aux modifications qui y ont été apportées en 1991 et qui font l’objet du présent rapport3.

Origines des dispositions relatives aux troubles mentaux (projet de loi C-304)

En 1975, la Commission de réforme du droit du Canada a publié une étude du traitement réservé aux accusés atteints de troubles mentaux à l’issue de laquelle elle concluait qu’il y avait beaucoup de confusion dans l’application pratique de la loi, en partie à cause de « l’absence d’une politique sociale claire en ce qui concerne les malades mentaux5 ». Dans un rapport publié l’année suivante, la Commission remettait en cause le système en place, qui privilégiait la détention plutôt que le traitement et en raison duquel beaucoup d’accusés atteints de troubles mentaux purgeaient des peines plus longues que ce n’aurait été le cas s’ils avaient été reconnus coupables6. Elle s’en prenait aussi au système faisant appel aux mandats du lieutenant gouverneur parce qu’il laissait les accusés acquittés pour cause d’aliénation mentale à la merci du procureur général ou du Cabinet de la province concernée, et elle le dénonçait avec d’autant plus de sévérité que la loi n’obligeait ni le procureur, ni le Cabinet à donner suite à la recommandation de la commission d’examen, lorsqu’il y en avait une dans la province. Évoquant d’une part le risque que les décisions de mise en liberté n’obéissent à des motifs politiques et, d’autre part, l’absence de procédure d’appel, la Commission a recommandé d’abolir ce système, soutenant qu’on devrait « choisir les mesures pénales ouvertement et conformément à des critères connus, et qu’elles devraient être sujettes à révision et d’une durée déterminée7 ».

En octobre 1979, les ministres fédéral et provinciaux chargés de la justice pénale au Canada ont convenu de réviser de fond en comble le droit pénal et sa procédure en regard des considérations de politique générale sous-jacentes8. En 1982, le ministère de la Justice a lancé le projet sur le désordre mental dans le cadre de la Révision du droit pénal. Dans un document de travail publié l’année suivante, il disait des dispositions du Code criminel relatives aux troubles mentaux qu’elles étaient « remplies d’ambiguïtés, d’incohérences, d’omissions, d’éléments arbitraires et [qu’elles] manquaient souvent de clarté ou d’orientation9 ». Il se demandait également si elles respectaient la Charte canadienne des droits et libertés et reprenait à son compte les réserves de la Commission de réforme du droit à l’égard de la détention automatique des accusés souffrant de troubles mentaux, s’interrogeant sur l’équité d’un mécanisme qui permet que des personnes trouvées « inaptes » à subir un procès soient internées indéfiniment sans que la Couronne n’ait à faire la preuve d’une apparence de culpabilité.

Le ministère de la Justice a publié le rapport final sur son Projet sur le désordre mental en 198510. Bon nombre de ses recommandations ont été incorporées dans un avant-projet de loi déposé par le ministre de la Justice le 25 juin 1986. Le projet de loi proposait d’adopter l’expression « défense fondée sur les troubles mentaux », d’établir des critères pour déterminer l’aptitude des accusés à subir leur procès et de plafonner la durée d’internement des accusés souffrant de troubles mentaux. Les « plafonds » en question étaient l’internement à vie, pendant dix ans ou moins, ou pendant deux ans ou moins selon la peine maximale prévue pour le délit en question et la nature du délit. Le projet de loi permettait aussi aux tribunaux d’ordonner jusqu’à 60 jours de traitement dans un établissement de traitement comme partie de la peine d’emprisonnement. Les deux dernières mesures ont suscité une controverse chez les procureurs généraux des provinces, qui disaient craindre que de tels plafonds n’entraînent la libération obligatoire de personnes dangereuses et que les « ordonnances de détention dans un hôpital » ne se révèlent très onéreuses pour certaines provinces11.

Les consultations portant sur ces propositions se sont poursuivies au cours des élections générales de 1988, mais ce qui a vraiment déclenché la réforme du droit en la matière, c’est la décision rendue en 1991 par la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Swain, décision qui a annulé les dispositions législatives et les pratiques de la common law qui régissaient alors la défense fondée sur l’aliénation mentale12. Plus précisément, la Cour a jugé que l’internement automatique obligatoire des personnes acquittées pour cause de troubles mentaux était contraire aux articles 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés. Pour éviter l’élargissement de toutes les personnes alors internées en vertu de mandats des lieutenants-gouverneurs et le danger que cela aurait pu faire courir à la société, la Cour a maintenu les mandats valides à titre temporaire pendant six mois, période qui a par la suite été prolongée, afin de donner au Parlement le temps d’adopter une loi corrective.

Modifications au Code criminel proposées dans le projet de loi C-30

Déposé le 16 septembre 1991, le projet de loi C-30 a remplacé les références à l’« imbécillité naturelle » et à la « maladie mentale » par l’expression « troubles mentaux » et a élargi le cadre de la défense aux déclarations de culpabilité par procédure sommaire aussi bien qu’aux actes criminels13. Maintenant, le verdict de « non-culpabilité pour cause d’aliénation mentale » est devenu un verdict de « non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux », et il n’entraîne plus automatiquement la détention ou l’internement. En effet, le tribunal a maintenant le choix d’ordonner des mesures appropriées ou de laisser la commission d’examen prendre la décision. Même lorsqu’il ordonne que des mesures soient prises, la commission d’examen doit tenir une audience dans les 90 jours suivants pour les examiner s’il a ordonné autre chose que la libération inconditionnelle. La loi oblige aussi le tribunal ou la commission à imposer la décision la moins privative de liberté, compte tenu de la nécessité de protéger le public, de l’état mental de l’accusé et du but recherché, l’éventuelle réinsertion sociale de l’accusé. Par ailleurs, lorsqu’une commission d’examen ordonne une mesure autre que la libération inconditionnelle, la décision doit faire l’objet d’un examen annuel. Ainsi, les lieutenants-gouverneurs en conseil n’ont plus aucun rôle à jouer dans les affaires pénales impliquant des accusés inaptes à subir leur procès ou souffrant de troubles mentaux.

Le projet de loi C-30 a aussi établi à l’intention des tribunaux de nouveaux critères pour déterminer si un accusé est inapte à subir son procès et leur a conféré le pouvoir, à certaines conditions, d’ordonner qu’un accusé souffrant de troubles mentaux subisse contre son gré un traitement de nature à le rendre apte à subir son procès. De plus, un tribunal doit revoir le cas d’un accusé inapte tous les deux ans afin de déterminer s’il existe suffisamment d’éléments de preuve pour ordonner qu’il subisse son procès. Si la preuve n’est pas suffisante, l’accusé doit être acquitté. Le projet de loi C-30 est entré en vigueur en février 1992, mais certaines de ses dispositions qui portaient sur trois sujets importants n’ont pas encore été édictées soit les dispositions relatives à la
détention maximale; les dispositions relatives aux « accusés dangereux atteints de troubles mentaux » — qui permettraient aux tribunaux de prolonger l’internement à perpétuité —, et les dispositions relatives aux « ordonnances de détention dans un hôpital », qui visent les délinquants reconnus coupables qui, au moment de la détermination de leur peine, requièrent un traitement pour troubles mentaux « en phase aiguë ».

Examen en comité

Lorsque le Parlement a adopté le projet de loi ajoutant la partie XX.I au Code criminel, il y a exigé qu’un comité parlementaire fasse un examen exhaustif des nouvelles dispositions et du fonctionnement du nouveau régime. La Chambre des communes a confié cet examen à notre comité dans un ordre de renvoi du 26 février 2002.

Le Comité a commencé son examen en adoptant et en diffusant largement un document de réflexion dans lequel il donnait des renseignements généraux et formulait un certain nombre de questions pour aider ceux qui lui soumettraient des mémoires à ne lui faire part de leurs opinions que sur les sujets les plus importants à ses yeux. (Ce document se trouve à l’annexe A au présent rapport.) Des fonctionnaires du ministère de la Justice lui ont de plus fait un exposé complet et très utile sur cette partie complexe du Code criminel. Se fondant sur les mémoires reçus, le Comité a tenu des audiences publiques au cours desquelles des organismes et des particuliers ont fait des exposés et répondu aux questions de ses membres. (On trouvera la liste des témoins à l’annexe B et la liste des mémoires reçus à l’annexe C.)

Les conclusions et recommandations énoncées plus loin dans le présent rapport s’inspirent des mémoires soumis par les organismes et les particuliers qui ont participé à l’étude. Le Comité a soigneusement étudié toutes les solutions proposées et opinions exprimées, mais le présent rapport ne porte que sur les propositions au sujet desquelles il souhaite exprimer un point de vue ou faire une recommandation.

DÉFINITIONS

Troubles mentaux

Le projet de loi C-30 a actualisé le critère d’aliénation mentale en éliminant du paragraphe 16(1) du Code criminel les expressions « état d’imbécillité naturelle » et « maladie mentale » et en les remplaçant par l’expression « troubles mentaux ». Cette expression est elle-même définie à l’article 2 du Code comme s’entendant de « toute maladie mentale », ce qui préserve les règles qui régissent, en common law, le recours à la défense antérieurement dite « fondée sur l’aliénation mentale ». Les paragraphes 16(2) et (3) du Code précisent clairement que chacun est présumé ne pas avoir été atteint de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle et que la partie qui entend démontrer que l’accusé était affecté de troubles mentaux de cette nature a la charge de le prouver.

Dans la décision qu’elle a rendue en 1977 dans R. c. Schwartz, la Cour suprême du Canada a dit que la capacité de se rendre compte que ce qu’on fait est mal n’est rien d’autre que la capacité de réaliser que ce qu’on fait est illégal14. Elle est revenue sur cette interprétation en 1990, dans R. c. Chaulk. Une majorité de six juges contre trois a alors dit estimer que ce que le jury doit établir c’est si l’accusé était incapable de réaliser que ses actes étaient moralement répréhensibles, et non seulement fautifs en droit15. La Cour signalait ainsi que pour établir si les actes sont « moralement répréhensibles », il ne faut pas déterminer si le délinquant les considérait tels selon ses valeurs personnelles, mais s’il se rendait compte que la société les jugeait répréhensibles. Dans la décision rendue en 1994 dans R. c. Oommen, la Cour suprême a précisé un peu plus l’application du droit régissant cette défense en établissant que pour être tenu criminellement responsable de ses actes, « [l]’accusé doit avoir la capacité intellectuelle de distinguer le bien du mal au sens abstrait. Cependant, il doit aussi avoir la capacité d’appliquer rationnellement cette connaissance à l’acte criminel reproché16 ». La décision rendue par la Cour en 1980 dans R. c. Cooper a expressément limité la portée de la défense fondée sur les troubles mentaux en signalant que la définition de la maladie mentale n’englobe pas les états de conscience altérés dans lesquels le délinquant se met lui-même volontairement en consommant de l’alcool ou des drogues ni les états mentaux transitoires comme l’hystérie et la commotion17.

Depuis l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions relatives aux troubles mentaux, il y a eu une augmentation du nombre d’accusés jugés non criminellement responsables (NCR), et au moins une affaire qui a fait les manchettes et dans laquelle l’accusé, qui avait antérieurement été jugé NCR, a été accusé de meurtre une seconde fois. Il ne faut donc pas s’étonner de ce qu’on se soit demandé si l’interprétation que font les tribunaux des troubles mentaux n’a pas eu pour effet de dégager trop de gens de la responsabilité criminelle.

Les réponses aux questions qu’il avait posées dans le document de réflexion diffusé en prévision de son étude ont appris au Comité que l’extension du recours à la défense fondée sur les troubles mentaux aux infractions punissables sur déclaration sommaire de culpabilité et le traitement plus transparent et plus uniforme des délinquants ont tous deux contribué à la fréquence accrue des plaidoyers de non-responsabilité criminelle. De plus, les participants ont en majorité dit qu’en général, les tribunaux font preuve d’équité et de cohérence dans leur façon d’autoriser la défense fondée sur les troubles mentaux. Par exemple, l’Institut Philippe Pinel ne voyait pas de raison de tenter d’en limiter ou d’en élargir le recours, estimant que l’application actuelle de l’article 16 par les tribunaux « permet à la société d’être suffisamment protégée » alors qu’elle n’a « pratiquement jamais » pour effet qu’un accusé soit victime d’une injustice18. Quant à lui, le comité consultatif sur les troubles mentaux qui conseille le Procureur général de l’Ontario a dit en substance que les difficultés que cause la définition découlent moins du critère employé que de son application19. Du même avis que ces témoins, le Comité ne voit aucune raison de modifier le critère ou la définition de « troubles mentaux » pour l’instant.

RECOMMANDATION 1

Le Comité recommande de maintenir le libellé actuel de la définition de la défense « fondée sur les troubles mentaux », à l’article 16 du Code criminel, et la définition de l’expression « troubles mentaux » donnée à l’article 2 du Code.

Défense d’automatisme

La défense d’automatisme est un moyen de défense prévu par la common law et qui implique « un état dans lequel on peut dire que l’accusé a perdu la maîtrise de soi à cause d’un trouble mental, d’une maladie ou d’un état physique, d’un coup à la tête ou d’un choc psychologique20 ». Lorsque l’automatisme découle d’une « maladie mentale », les dispositions du Code relatives aux « troubles mentaux » s’appliquent. Lorsque le tribunal conclut à l’automatisme « sans aliénation mentale », donc à l’absence de maladie mentale, l’accusé peut bénéficier d’un acquittement absolu. La Cour suprême du Canada en est venue à cette conclusion en 1992, dans une décision dont on a beaucoup parlé et dans laquelle un des juges avait fait référence au risque de danger futur et avait signalé « que le Parlement pourrait juger bon d’examiner sans tarder la possibilité de prononcer des ordonnances de surveillance dans une telle situation21 ».

En février 1993, un sous-comité du Comité permanent de la justice et du Solliciteur général a recommandé de reconnaître la défense d’automatisme dans la recodification de la Partie générale du Code criminel en prévoyant que nul ne peut être tenu responsable d’une conduite involontaire, qu’elle soit consciente ou non22. En juin 1993, le gouvernement a diffusé des projets de modifications au Code criminel qui auraient défini l’automatisme, permis aux tribunaux de rendre un verdict de non‑responsabilité criminelle basé sur ce moyen de défense et permis de prendre dans ces cas-là les mêmes mesures pénales qu’à l’endroit des accusés atteints de troubles mentaux. Mais les élections générales de 1993 ont entraîné un changement de gouvernement, et les modifications envisagées n’ont jamais été présentées à la Chambre des communes.

En 1999, la Cour suprême est revenue une fois de plus sur la défense fondée sur l’automatisme et a déclaré que pour que la défense d’automatisme sans aliénation mentale causé par un choc psychologique soit recevable, il fallait prouver l’existence d’un fait déclencheur tel qu’il serait extrêmement perturbateur même une personne normale. Elle a aussi fait valoir lorsque le tribunal estime qu’un accusé représente un danger récurrent pour le public, il doit conclure à la maladie mentale. Plus d’un commentateur du droit ont affirmé que le jugement rendu dans R. c. Stone 23 avait fortement affaibli, sinon éliminé la défense d’automatisme sans aliénation mentale.

Le Comité a constaté un manque indéniable de consensus dans les réponses aux questions relatives à l’automatisme posées dans le document de réflexion qu’il avait fait circuler avant d’entamer son étude. La minorité de participants qui soutenaient qu’il fallait définir l’automatisme dans le Code criminel ne s’entendaient pas sur le résultat à obtenir. Par exemple, le Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes voulait que la définition permette aux tribunaux de rendre des ordonnances de surveillance, tandis que le Mental Health Law Program de la B.C. Community Legal Assistance Society aurait défini l’automatisme de manière à préserver la possibilité d’accorder un acquittement absolu. Finalement, les participants ont majoritairement rejeté la codification pure et simple de la défense d’automatisme ou, comme l’Association du Barreau canadien, ont formulé des réserves en raison de la complexité des questions juridiques et psychiatriques qu’elle impliquait et qu’il fallait d’abord tirer au clair.

Le Comité ne possède pas de données sur la fréquence avec laquelle la défense d’automatisme est invoquée, mais il appert que les tribunaux en font une application relativement restrictive. Comme le Comité a senti peu d’appui à l’idée de la codifier et que les participants ne s’entendaient pas sur les types d’états mentaux que la définition de l’automatisme devrait englober ni sur ce qui devrait découler du verdict d’automatisme, il n’est pas disposé à recommander de codifier la défense d’automatisme maintenant.

RECOMMANDATION 2

Le Comité recommande de laisser les tribunaux baliser et appliquer le droit relatif à l’« automatisme », qu’il soit ou non causé par l’aliénation mentale.

Aptitude à subir un procès

Avant que le projet de loi C-30 ne redéfinisse, à l’article 2 du Code criminel, l’« aptitude » à subir un procès et les nouveaux critères servant à l’établir, cette notion n’avait jamais été clairement expliquée dans la loi. L’article 672.58 confère aux tribunaux le pouvoir d’ordonner qu’un accusé atteint de troubles mentaux subisse sans y avoir consenti un traitement de nature à le rendre apte à subir son procès. De plus, l’article 672.33 oblige le tribunal à examiner tous les deux ans le cas de l’accusé jugé « inapte » pour déterminer s’il existe toujours suffisamment d’éléments de preuve pour ordonner que l’accusé subisse son procès. Si ce n’est pas le cas, l’accusé a droit à l’acquittement.

Selon l’article 2 du Code criminel, « inaptitude à subir son procès » s’entend de l’incapacité de l’accusé, en raison de troubles mentaux, d’assumer sa défense ou de donner des instructions à un avocat à cet effet, incapacité due à celle de comprendre la nature ou l’objet des poursuites ou leurs conséquences éventuelles ou de communiquer avec son avocat. Dans la décision qu’elle a rendue dans R. c. Taylor, la Cour d’appel de l’Ontario a énoncé le critère d’aptitude en déclarant que pour comprendre le processus et communiquer avec son avocat, l’accusé n’a besoin que d’une « capacité cognitive limitée »24. La Cour suprême du Canada a entériné ce critère dans R. c. Whittle,25 mais certains ont quand même soutenu que pour être apte à agir dans son propre intérêt, l’accusé doit avoir une certaine « capacité d’analyse ». À cause de la controverse, le Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la santé mentale a été prié de se prononcer sur l’opportunité du critère prévu dans la Code criminel en matière d’aptitude à subir un procès et, en 1999, dans le cadre de la Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada, il a présenté un rapport dans lequel il disait estimer que le critère et la définition qu’on trouve actuellement dans le Code criminel assurent une protection suffisante aux accusés atteints de troubles mentaux et donnent aux tribunaux toutes les indications dont ils ont besoin pour statuer.

Au cours de son étude, les témoins que le Comité a entendus n’étaient pas tous d’avis que le critère actuel d’aptitude à subir un procès est adéquat. Malcolm Jeffcock, de Nova Scotia Legal Aid, a soutenu, par exemple, que pour que l’accusé soit considéré apte à subir son procès, il faudrait qu’il démontre qu’il comprend les conséquences des décisions qu’il doit prendre. De même, l’Association du Barreau canadien a dit estimer qu’il importe, pour assurer l’intégrité du système judiciaire, que l’accusé ait la capacité de communiquer efficacement et de donner des instructions logiques à son avocat. Par ailleurs, alors que l’Association des psychiatres du Canada et l’Institut Philippe Pinel faisaient valoir qu’il faut exiger des accusés qui tentent de se défendre eux-mêmes qu’ils fassent la preuve d’une capacité mentale supérieure, les porte-parole du Mental Health Law Program de la B.C. Community Legal Assistance Society recommandaient au contraire de simplifier le critère, soutenant que selon les critères actuels, certains accusés ayant connu un développement retardé dans l’enfance, subi des atteintes cérébrales organiques ou souffert du syndrome d’alcoolisation fœtale pourraient être considérés inaptes à perpétuité.

Si le critère d’aptitude était plus exigeant, le nombre d’accusés « inaptes » qu’aucun traitement ne pourrait rendre aptes pourrait augmenter, mais nous sommes d’avis qu’il faut régler le problème de l’« inaptitude » permanente en conférant aux tribunaux les pouvoirs accrus dont nous traitons plus loin dans le rapport. Quant à l’idée de créer un critère minimal à respecter pour être jugé « inapte à subir son procès », nous savons qu’il serait avantageux d’avoir un critère permettant de régler rapidement un très grand nombre de cas d’accusations criminelles. Toutefois, des témoins ayant dit craindre que le critère actuellement prévu par la common law n’ait pour effet de fausser le processus dans certains cas, le Comité demande au ministre de la Justice d’étudier la possibilité de modifier l’article 2 du Code criminel de manière à y exiger que l’accusé, même s’il refuse de prendre des décisions rationnelles ou d’agir dans son propre intérêt, ait à tout le moins la capacité de le faire.

RECOMMANDATION 3

Le Comité recommande au ministre fédéral de la Justice de revoir la définition de l’ « inaptitude à subir son procès », à l’article 2 du Code criminel, et d’y ajouter tous les critères supplémentaires voulus pour établir l’aptitude réelle de l’accusé à subir son procès, notamment celui de l’aptitude réelle à communiquer avec son avocat et à lui donner des instructions rationnelles au sujet de sa défense.

POUVOIRS DES TRIBUNAUX/COMMISSIONS D’EXAMEN

Aptitude à se voir infliger une peine

La question de l’évaluation de l’aptitude à subir son procès est abordée en détail ailleurs dans ce rapport. Une lacune dans la définition a été portée à l’attention du Comité par plusieurs personnes qui ont participé à sa révision, notamment la British Columbia Civil Liberties Association, le comité sur les troubles mentaux chargé de conseiller le Procureur général de l’Ontario ainsi que l’Association of Canadian Review Board Chairs.

La définition de l’inaptitude à subir son procès est énoncée à l’article 2 du Code criminel. Le libellé actuel vise les poursuites pénales à toutes les étapes jusqu’au prononcé de la sentence. Le Code ne prévoit cependant pas de dispositions à l’égard d’un accusé apte au moment de sa condamnation, mais qui devient inapte entre la date de cette condamnation et celle de l’imposition de la sentence par le tribunal compétent. Le tribunal ne peut exiger une évaluation de l’aptitude aux termes de l’article 672.11 du Code et la commission d’examen n’est pas habilitée à assumer une responsabilité à l’égard de l’accusé reconnu coupable à cette étape de la poursuite en vertu de l’article 672.38 du Code.

Dans un tel cas, la personne inapte ne peut participer véritablement au processus préalable à la sentence et a peu de chances de pouvoir donner des instructions appropriées à un avocat. Des personnes qui siégeaient aux audiences et qui ont déjà été les témoins directs de ce genre de situation ont dit au Comité que la loi dans sa forme actuelle offre le choix suivant aux juges : imposer une sentence à une personne inapte reconnue coupable ou dénaturer la loi pour éviter cette solution. Le juge chargé de déterminer la peine est ainsi mis dans une situation intenable.

Le Comité est d’avis qu’il faut corriger cette lacune dans la loi actuelle, ce qui peut aisément être fait. Il conviendrait d’ajouter « et à se voir infliger une peine » au titre de la définition de « inaptitude à subir son procès » donnée à l’article 2, ainsi que les mots « ou la sentence imposée » après « que le verdict ne soit rendu ». Cette modification de la définition de l’inaptitude à subir son procès devra être accompagnée de modifications à l’article 672.11a) du Code criminel, qui autorise le tribunal à exiger que l’accusé reconnu coupable soit évalué après sa condamnation et avant le prononcé de la sentence. Il faudra aussi modifier le paragraphe 672.38(1), qui confère à la commission d’examen la compétence à l’égard d’une personne déclarée inapte avant le prononcé de la sentence.

RECOMMANDATION 4

Le Comité recommande d’ajouter « et à se voir infliger une peine » au titre de la définition de « inaptitude à subir son procès » donnée à l’article 2, ainsi que les mots « ou la sentence imposée » après « que le verdict ne soit rendu ». Il convient également de modifier l’article 672.11(a) du Code criminel afin d’autoriser le tribunal à exiger une évaluation dans des cas semblables. Enfin, il faudrait modifier le paragraphe 672.38(1) du Code afin de conférer la compétence à la commission d’examen dans ces affaires.

Inaptitude permanente

Parmi les personnes qui nous ont fait parvenir des mémoires, un certain nombre ont dit trouver fort discutables les mesures prévues à la Partie XX.I du Code criminel à l’intention des accusés inaptes à subir leur procès dont le chances de devenir aptes et d’être jugés un jour sont faibles ou nulles. Ces craintes visaient les accusés qui ont souffert du syndrome d’alcoolisation fœtale ou des effets de l’alcool sur le fœtus, qui ont eu des atteintes cérébrales organiques, qui présentent des déficiences intellectuelles ou dont le développement a été retardé dans l’enfance. Comme ces états sont difficilement traitables ou guérissables, les personnes qui en sont affligées ne peuvent pas espérer devenir un jour suffisamment aptes pour subir un procès. Or, beaucoup de ces personnes ne représentent aucun risque pour la collectivité.

Lorsqu’un accusé est jugé inapte à subir son procès, l’article 672.33 du Code oblige le tribunal à revoir l’affaire tous les deux ans par la suite jusqu’à ce qu’il ait été établi que l’accusé est apte à subir son procès ou que le tribunal l’ait acquitté parce que la Couronne est incapable de prouver qu’il existe toujours suffisamment d’éléments de preuve pour ordonner qu’il subisse son procès. L’accusé peut aussi demander n’importe quand au tribunal de revoir l’affaire pour les mêmes raisons. À toutes ces auditions, c’est à la Couronne qu’incombe la charge de prouver qu’il existe suffisamment d’éléments de preuve pour ordonner que l’accusé subisse son procès.

L’article 672.54 du Code énonce les décisions que peuvent prendre les tribunaux ou les commissions d’examen à l’endroit des accusés jugés inaptes à subir leur procès ou non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux. Ils peuvent dans les deux cas ordonner que les accusés soient détenus ou libérés sous réserve des modalités indiquées en l’espèce. Ils ne peuvent ordonner la libération inconditionnelle que des accusés jugés non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux, cette possibilité n’étant pas prévue à l’endroit des accusés jugés inaptes à subir leur procès.

Cet article du Code oblige les tribunaux ou les commissions d’examen appelés à ordonner ces mesures à tenir compte de la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses, de l’état mental des accusés et de leurs besoins, notamment de la nécessité de leur réinsertion sociale.

Ces dispositions — et d’autres — du Code prévoient en grande partie le même traitement juridique pour les accusés jugés inaptes à subir leur procès et ceux qui sont jugés non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux. La seule différence manifeste est l’impossibilité d’accorder la libération inconditionnelle aux accusés du premier groupe. Ainsi, bien qu’ils n’aient pas encore été jugés criminellement responsables des actes qu’on leur reproche, ces accusés ne bénéficient pas de la même diversité de décisions que ceux qui ont été trouvés coupables des actes dont on les accusait, mais qui en ont été jugés non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux.

De plus, ce choix limité de décisions a pour effet de défavoriser les accusés qui ne deviendront probablement ou certainement jamais aptes à subir leur procès. En effet, ils seront astreints pour le reste de leur vie aux mesures ordonnées par le tribunal ou une commission d’examen, sauf si la Couronne surseoit aux accusations ou si le tribunal les acquitte parce que la Couronne ne peut pas démontrer qu’il existe toujours suffisamment d’éléments de preuve pour ordonner qu’ils subissent leur procès. Dans un cas comme dans l’autre, on ne tiendra pas nécessairement compte de leur état ou de leur handicap.

L’état actuel des mesures prévues dans le Code repose sur la présomption que l’inaptitude de l’accusé jugé inapte n’est que temporaire, qu’on peut y mettre fin au moyen d’un traitement ou d’une médication et qu’ainsi, l’accusé peut devenir apte à subir son procès et être jugé.

Beaucoup des personnes qui nous ont soumis des mémoires ont traité de ce sujet. La Criminal Lawyers Association, l’Association canadienne pour l’intégration communautaire, les porte-parole du Mental Health Law Program de la Community Legal Assistance Society de la Colombie-Britannique, Malcolm Jeffcock, de Nova Scotia Legal Aid, la Société pour les troubles de l’humeur du Canada, le Comité sur la liberté d’action, l’Association of Canadian Review Board Chairs et la British Columbia Civil Liberties Association ont tous recommandé de conférer aux commissions d’examen le pouvoir d’accorder une libération inconditionnelle aux accusés jugés inaptes à subir leur procès.

Le Comité convient que l’écart qu’il y a entre les mesures prévues à l’endroit des accusés inaptes à subir leur procès et des accusés jugés non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux doit être abordé. C’est d’autant plus important que le Comité recommande ailleurs dans le présent rapport, d’abroger les dispositions non encore promulguées du Code criminel. Il faut faire en sorte que les accusés inaptes à subir leur procès en raison d’états ou de déficiences sur lesquels les traitements ou la médication n’ont aucun effet et qui ne seront donc jamais aptes à subir leur procès puissent bénéficier des mesures qui ressemblent à celles qui s’appliquent à des accusés non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux.

Le Comité n’est pas d’accord avec ceux qui proposent de conférer aux seules commissions d’examen, ou aux tribunaux et aux commissions d’examen, le pouvoir d’ordonner la libération inconditionnelle des accusés inaptes à subir leur procès qui ne deviendront vraisemblablement jamais aptes à être jugés.

Seuls les tribunaux devraient pouvoir ordonner cette mesure, et les commissions d’examen ne devraient pouvoir faire des recommandations à ce sujet qu’au tribunaux compétents à l’égard des infractions reprochées aux accusés. Ces derniers pourraient ainsi non seulement établir si les accusés jugés inaptes à subir leur procès représentent un risque important pour la collectivité, un des principaux facteurs dont les commissions d’examen doivent tenir compte dans le choix des mesures à prendre, mais aussi évaluer l’intérêt de la collectivité et l’effet que la décision de libérer sans condition des accusés qui ne seront vraisemblablement jamais aptes à subir leur procès pourrait avoir sur leurs victimes. Cela permettrait aux tribunaux de tenir compte des recommandations ou des observations cliniques que les commissions d’examen pourraient juger indiqué de faire ainsi que des renseignements ou des éléments de preuve que la Couronne pourrait posséder, mais auxquels les commissions pourraient ne pas avoir accès.

Cette solution laisserait aux tribunaux la possibilité de libérer sans condition des accusés jugés inaptes à subir leur procès dans les cas où la Couronne pourrait démontrer qu’il existerait toujours suffisamment d’éléments de preuve pour ordonner que les accusés subissent leur procès, mais où il serait dans l’intérêt public qu’ils bénéficient d’une libération inconditionnelle. Dans sa forme actuelle, le paragraphe 673.33(6) du Code criminel ne permet au tribunal d’acquitter un accusé jugé inapte à subir son procès que si la Couronne ne peut pas démontrer qu’il existe toujours suffisamment d’éléments de preuve pour ordonner qu’il subisse son procès — son état mental n’est pas pris en compte dans cette détermination.

RECOMMANDATION 5

Le Comité recommande de modifier l’article 672.54 du Code criminel de manière à ce que les tribunaux puissent, de leur propre chef ou sur la recommandation d’une commission d’examen, ordonner la libération inconditionnelle des accusés témoignant d’une inaptitude permanente à subir leur procès.

Participation des victimes

Les droits accordés aux niveaux fédéral et provincial aux victimes de crimes ont beaucoup évolué depuis la fin des années 1980. Les premières modifications en ce sens ont été apportées au Code criminel en 1989, tandis que le Parlement a adopté les plus récentes, qui comportaient des ajouts à la Partie XX.I du Code, en 1999. Adoptée en 1992, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition reconnaît aux victimes le droit d’accès à l’information concernant les délinquants ainsi que d’autres droits. En 1998, le Comité de la justice de l’époque a fait un rapport exhaustif sur les questions relatives aux victimes, et en mai 2000, un sous-comité de notre Comité déposait son rapport sur l’examen des dispositions et de l’application de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

Parmi les dispositions du Code criminel qui portent sur les troubles mentaux, quelques-unes seulement font mention de l’intérêt des victimes. Le paragraphe 672.5(14) permet à la victime d’une infraction de rédiger et de déposer auprès du tribunal ou de la commission d’examen une déclaration écrite, appelée Déclaration de la victime, qui décrit les dommages ou les pertes qui lui ont été causés par la perpétration de l’infraction. Selon l’article 672.541, lorsqu’il y a verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, le tribunal ou la commission d’examen doit prendre en compte toute déclaration déposée par la victime à l’audience portant sur les mesures à prendre à l’égard de l’accusé.

Pour pouvoir exercer leur droit de déposer une déclaration, les victimes doivent savoir que le tribunal ou la commission d’examen tiendra une audience au sujet des mesures à prendre à l’égard de l’accusé. Or, selon le paragraphe 672.5(5), seuls les parties et le procureur général doivent être avisés de la tenue de cette audience; le paragraphe ne mentionne expressément personne d’autre.

La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition permet de fournir aux victimes qui en font la demande des renseignements sur le délinquant, notamment les dates des audiences auxquelles il sera question des diverses formes de libération conditionnelle dont il peut bénéficier. La disposition en question permet donc aux victimes de décider si elles ont des choses à dire à l’autorité compétente au sujet des répercussions que l’infraction a eues sur elles et des inquiétudes que la libération du délinquant peut leur inspirer et si elles tiennent à assister, à titre d’observateurs, aux audiences portant sur la libération conditionnelle du délinquant.

Le Comité croit qu’il y aurait lieu d’ajouter des dispositions similaires à la partie du Code criminel qui traite des troubles mentaux. La victime d’un délinquant jugé non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux pourrait ainsi suivre le déroulement de l’affaire et décider dans quelle mesure elle souhaite y participer. Il est inutile de conférer ce droit aux victimes si elles ne savent même pas qu’elles l’ont. Il est donc essentiel d’obliger les tribunaux, les commissions d’examen et les services d’assistance aux victimes à les en aviser.

RECOMMANDATION 6

Le Comité recommande de modifier le paragraphe 672.5(5) du Code criminel de manière à obliger le tribunal ou la commission d’examen qui doit tenir une audience à en aviser à l’avance la victime du crime si celle-ci en exprime le désir. Il y aurait également lieu de modifier le Code en y exigeant d'aviser les victimes de leurs droits.

Au cours de leurs audiences portant sur les décisions à prendre à l’endroit d’un accusé, les tribunaux et commissions d’examen examinent une foule de renseignements dont certains ont un caractère personnel et délicat. Ils peuvent tenir compte de l’état et du traitement des délinquants atteints de troubles mentaux et des circonstances dans lesquelles ils ont commis leurs infractions ainsi que de la teneur des déclarations des victimes. L’Association of Canadian Review Board Chairs a dit au Comité dans son mémoire que les victimes, leurs enfants, les membres de leurs familles et d’autres personnes ont, en matière de protection des renseignements personnels, des intérêts que la loi actuelle protège mal.

Le paragraphe 672.51(11) du Code interdit de publier dans les médias des renseignements qui n’ont pas été communiqués à l’accusé ou qui lui causeraient un préjudice sérieux. Le Comité croit que cette disposition ne protège pas tous les intérêts qui devraient l’être.

RECOMMANDATION 7

Le Comité recommande de modifier les paragraphes 672.51(7) et (11) du Code criminel de manière à ce que tout tribunal ou commission d’examen qui tient une audience décisionnelle interdise, dans le meilleur intérêt des tiers, la publication des renseignements pris en compte.

Le Comité a entendu à huis clos une personne qui avait été gravement blessée par un agresseur — que la cour avait par la suite déclaré non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux — et qui, après des années d’un rétablissement pénible, avait assisté à une audience décisionnelle de la commission d’examen saisie du cas. Cette victime, qui avait refait sa vie au prix d’efforts courageux, a pressé le Comité de recommander d’autoriser les victimes à faire leur Déclaration de la victime de vive voix devant les commissions d’examen.

Comme nous l’avons signalé plus haut, les victimes peuvent faire des déclarations dont les tribunaux et les commissions d’examen doivent tenir compte lorsqu’ils prennent leurs décisions à l’endroit des accusés. La comparaison de ce régime, d’une part, et des régimes qui régissent la détermination de la peine et les décisions relatives à la libération conditionnelle, d’autre part, est révélatrice.

Depuis 1999, le paragraphe 722(2.1) du Code criminel oblige le juge qui impose la peine à permettre à la victime qui le demande de lire la Déclaration qu’elle a soumise au tribunal ou de la faire connaître d’une autre façon. Depuis juillet 2001, les victimes peuvent faire leurs déclarations de vive voix devant la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC).

Le Comité croit qu’il y aurait lieu d’étendre ce droit au processus décisionnel applicable aux accusés atteints de troubles mentaux. En raison, toutefois, du rôle unique que jouent les tribunaux et les commissions d’examen à l’égard de ces accusés, il faudra apporter quelques adaptations pour permettre aux victimes de faire leurs déclarations oralement.

À l’étape du processus judiciaire pénal à laquelle on détermine que l’accusé n’est pas criminellement responsable pour cause de troubles mentaux, le tribunal ou la commission d’examen se préoccupent du risque qu’il représenterait pour la société s’il bénéficiait d’une libération inconditionnelle ou conditionnelle. La déclaration de la victime devrait donc ne porter que sur ce point. La victime devrait pouvoir exposer toutes les craintes qu’elle pourrait avoir au sujet de sa sécurité personnelle et énoncer les conditions auxquelles il pourrait par conséquent y avoir lieu d’accorder la libération. Enfin une majorité des membres du comité croient que le tribunal ou la commission d’examen ne devraient pas être obligés d’autoriser chaque victime à faire sa déclaration de vive voix, mais devraient avoir le pouvoir discrétionnaire de décider dans quelles circonstances les victimes peuvent le faire. Toute modification apportée au Code criminel devrait donc énoncer les critères selon lesquels ils devraient déterminer dans quelles circonstances ils peuvent autoriser les victimes à intervenir de vive voix.

RECOMMANDATION 8

Le Comité recommande de modifier l’article 672.541 du Code criminel de manière à ce que les victimes puissent faire leurs déclarations de vive voix ou par d’autres moyens aux audiences décisionnelles tenues par les tribunaux ou les commissions d’examen.

Exécution des décisions

L’article 672.85 du Code criminel concerne la présence d’un accusé à une audition de la commission d’examen où l’on prendra une décision à son égard. Si l’accusé est détenu, la commission d’examen peut ordonner que la personne responsable de sa garde l’amène devant la commission d’examen à l’heure, à la date et au lieu fixés pour l’audition. Dans les autres cas, elle peut, par sommation ou mandat, contraindre l’accusé à comparaître devant elle à l’heure, à la date et au lieu fixés pour l’audition.

L’Association of Canadian Review Board Chairs a formulé de sérieuses réserves quant au paragraphe concernant les accusés qui ne sont pas détenus, car il ne permet pas la détention d’un accusé jusqu’à la date de l’audition. En effet, la loi actuelle autorise la police à détenir un accusé le jour de l’audition seulement et l’oblige à le libérer le même jour.

En vertu de l’article 672.91 du Code, un agent de la paix peut arrêter un accusé sans mandat en tout lieu au Canada s’il a des motifs raisonnables de croire que l’accusé a contrevenu ou a fait volontairement défaut de se conformer à une décision ou à une condition. Ce genre de situation peut se produire lorsque l’accusé n’a pas assisté à ses rencontres de counselling ou à son programme de traitement ou refuse de prendre ses médicaments — des critères communs à bien des libérations conditionnelles.

L’Association of Canadian Review Board Chairs a également émis des réserves au sujet de cette disposition. Les autorités policières hésitent en effet à effectuer des arrestations sans mandat, car rien ne prévoit la détention de l’accusé jusqu’à sa comparution devant un juge. En outre, les centres de détention et les hôpitaux hésitent aussi à accepter un accusé pour la même raison.

Pendant son témoignage, Ted Ormston, juge à la Cour de l’Ontario, a décrit en détails la parade quotidienne de délinquants atteints de troubles mentaux dans son tribunal. Il s’est dit particulièrement frustré par le fait qu’aucune sanction n’est prévue contre ceux qui violent les conditions qu’il leur impose. Par contre, le Code prévoit des sanctions dans le cas des accusés qui contreviennent aux conditions de leur libération.

Le Comité est d’accord avec ces témoignages et mémoires et estime que l’adoption de la recommandation suivante permettra de corriger les lacunes évidentes de la partie du Code criminel sur les troubles mentaux.

Nous croyons qu’il faudrait combler ces lacunes de la loi, mais nous tenons à faire une mise en garde. Certaines personnes ont signalé la nécessité d’élaborer ces modifications de manière à ce qu’elles ne soient pas incompatibles avec la Charte canadienne des droits et libertés. Le Comité compte que les modifications qu’il recommande dans la présente partie de son rapport seront libellées avec précision et compatibles avec la Charte.

RECOMMANDATION 9

Le Comité recommande de modifier les articles 672.85 et 672.91 du Code criminel afin d’autoriser la détention temporaire d’un accusé jusqu’à sa comparution devant un juge ou à une audition où l’on prendra une décision à son égard, selon le cas. Le Comité recommande aussi que le Code criminel soit modifié afin que le défaut volontaire de se conformer à une décision d’un tribunal ou d’une commission d’examen devienne une infraction.

PROCÉDURE DEVANT UN JUGE OU LA COMMISSION D’EXAMEN

Qualifications requises pour effectuer des évaluations de l’état mental

Les articles 672.11 et 672.12 du Code criminel décrivent les circonstances dans lesquelles un tribunal compétent peut rendre une ordonnance portant évaluation de l’état mental de l’accusé, afin de déterminer « l’aptitude de l’accusé à subir son procès ». La définition à l’article 672.1 indique clairement qu’un médecin doit procéder à une telle évaluation.

Le Comité a reçu plusieurs mémoires de diverses sources au sujet des compétences requises pour évaluer l’aptitude d’un accusé à subir son procès. Par exemple, l’Association of Canadian Review Board Chairs a affirmé que les psychologues ont les compétences requises pour procéder à ces évaluations. Elle a aussi souligné que dans certaines régions, il y a pénurie de psychiatres. Selon le Dr Ronald Roesch, il faudrait modifier le Code criminel « pour tenir compte du fait que d’autres professionnels ont la formation et la compétence nécessaires pour faire de telles évaluations »26. L’Association des psychiatres du Canada n’est pas d’accord, déclarant pour sa part que le diagnostic et le traitement d’une maladie mentale constituent des actes médicaux réservés aux médecins.

Il a souvent été impossible de savoir d’après les mémoires et les témoignages si les recommandations ci-dessus visaient seulement les évaluations servant à déterminer l’aptitude d’un accusé à subir son procès. Il semble que quelques participants pensent que les psychologues pourraient participer à d’autres évaluations. Étant donné que les évaluations de l’état mental au moment de l’infraction diffèrent sur le plan qualitatif de celles de l’aptitude d’un accusé à subir son procès, il est fort probable qu’elles nécessitent des compétences différentes. Par conséquent, le Comité suggère au ministère de la Justice d’entreprendre des pourparlers avec les présidents des commissions d’examen et d’autres porte-parole provinciaux et territoriaux afin de déterminer jusqu’à quel point il faudrait étendre ces pouvoirs.

Entre-temps, le Comité est d’accord avec le Dr Derek Eaves, qui pense que les personnes ayant reçu la formation requise, qu’ils soient psychiatres ou psychologues, devraient être autorisées à procéder à des évaluations de l’état mental. Le manque chronique de ressources en santé mentale dans le contexte judiciaire rend cette option encore plus attrayante. Étant donné le consensus apparent que bien d’autres professionnels de la santé ont la formation nécessaire pour évaluer l’« aptitude » d’un accusé à subir son procès, nous sommes d’avis qu’il faut laisser aux ministères fédéral, provinciaux et territoriaux de la Justice le soin de préciser les exigences en matière de formation.

RECOMMANDATION 10

Le Comité recommande de modifier la définition d’« évaluation », à l’article 672.1, de manière à élargir la catégorie des personnes qualifiées pour évaluer l’aptitude d’un accusé à subir son procès sans pour autant exiger que les personnes appelées à faire cette évaluation en fassent nécessairement partie.

Défense de l’intérêt public

L’article 672.5 du Code criminel décrit les droits des parties et la procédure à suivre lorsqu’un tribunal ou une commission d’examen tient une audition en vue de prendre ou de revoir une décision à l’égard d’un accusé. Les paragraphes 672.5(3) et (5) exigent que le procureur général de la province reçoive un avis de l’audition et que, s’il en fait la demande, il se voit accorder le statut de partie. Cependant, le procureur général n’est pas tenu de mandater un représentant.

Le Comité a appris que la pratique varie d’une province à l’autre. En effet, certains ont rapporté qu’un avocat du ministère public assiste généralement aux auditions, tandis que d’autres ont fait remarquer que le procureur général n’est représenté que de temps à autre. Les Drs John Bradford et Derek Eaves ont affirmé qu’un avocat du ministère public devrait être présent à chaque audition des commissions d’examen, étant donné qu’il a pour rôle de protéger le public. Plus particulièrement, le Dr Eaves a déclaré qu’il ne faut pas s’attendre des hôpitaux qu’ils défendent l’intérêt public, étant donné qu’ils ont pour mandat de fournir des preuves concernant la réaction de l’accusé à son traitement.

Le Comité convient également que bien souvent, le procureur général de la province devrait être représenté aux auditions ou, du moins, soumettre ses arguments par écrit. Cependant, nous sommes conscients que la présence d’un avocat du ministère public nécessite des ressources, un problème qui relève des provinces. Par conséquent, le Comité estime que cette question devrait faire l’objet de consultations entre les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux de la Justice.

RECOMMANDATION 11

Le Comité recommande que les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux de la Justice revoient la procédure des auditions d’ordonnance afin de déterminer si l’intérêt public est mieux défendu par la représentation obligatoire d’un avocat du ministère public.

Transfèrements

La partie XX.I du Code criminel renferme des dispositions afin de faciliter le transfèrement interprovincial des accusés. Par exemple, l’article 672.86 permet à une commission d’examen d’ordonner le transfèrement d’un accusé qui est détenu sous garde ou qui doit se présenter dans un hôpital, à la condition que les procureurs généraux de la province d’origine et de la province d’arrivée y consentent. Aux termes de l’article 672.88, la commission d’examen de la province dans laquelle l’accusé est transféré a dès lors compétence à son égard, à moins d’une entente entre les deux procureurs généraux permettant à la commission d’examen de la province d’origine de conserver la compétence. L’article 672.89 permet aussi de transférer un accusé détenu sous garde sans l’accord du procureur général de la province d’arrivée, mais dans ce cas, la commission d’examen de la province d’origine conserve la compétence à l’égard de l’accusé, à moins que les deux procureurs généraux acceptent que la commission d’examen de la province d’arrivée exerce cette compétence.

La Forensic Psychiatric Services Commission de la Colombie‑Britannique a suggéré que le transfèrement pourrait être mieux coordonné. Le Mental Health Law Program de la Community Legal Assistance Society de la Colombie‑Britannique a pour sa part déclaré que la coopération des commissions d’examen est suffisante pour le transfèrement des accusés en liberté et qu’il n’est pas nécessaire d’obtenir le consentement des procureurs généraux, bien qu’on agisse comme s’il était requis. En outre, il est d’avis qu’il faut une procédure et des directives claires sur le transfèrement d’accusés d’un établissement pour jeunes vers un établissement pour adultes.

RECOMMANDATION 12

Le Comité recommande que les ministres provinciaux, territoriaux et fédéral de la Justice revoient la procédure et les directives de transfèrement des jeunes accusés vers des établissements de psychiatrie légale et des accusés vers d’autres provinces, afin de déterminer si le Code criminel doit être modifié pour être plus clair.

DISPOSITIONS NON ENCORE PROMULGUÉES

Parmi les dispositions les plus controversées du projet de loi C-30, plusieurs n’ont pas encore été promulguées, entre autres celles concernant la « durée maximale » qui sont identiques à celles proposées dans le projet de loi de 1986, les articles connexes sur les « accusés dangereux atteints de troubles mentaux » et les dispositions sur les « ordonnances de détention dans un hôpital » à l’intention des accusés dont la responsabilité criminelle n’est pas diminuée en raison d’un trouble mental mais qui ont néanmoins besoin de traitements. Lorsque le projet de loi C-30 a été déposé à la Chambre des communes, la ministre de la Justice de l’époque, Mme Campbell, avait déclaré que ces dispositions ne seraient promulguées qu’après que les provinces eurent eu le temps de modifier leurs lois en conséquence. Compte tenu de la compétence des provinces en matière de procédure d’incarcération et des coûts relatifs à la mise en oeuvre des dispositions non promulguées, leur entrée en vigueur a continué de susciter la controverse.

Durée maximale

Comme il a été mentionné ailleurs dans le présent rapport, la Commission de réforme du droit au Canada a critiqué sévèrement la durée indéfinie de détention des accusés trouvés « non coupables pour cause d’aliénation ». De plus, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Swain, a jugé que l’incarcération automatique pour une période indéterminée contrevient aux articles 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés. En réponse aux préoccupations soulevées, on a proposé les dispositions de « durée maximale » de l’article 672.64 du Code criminel visant à limiter la durée de la détention d’un accusé jugé inapte ou atteint de troubles mentaux, compte tenu de la nature de son infraction et de la sentence maximale qu’il aurait reçue s’il avait été reconnu coupable. Or, l’objectif était de s’assurer que les personnes jugées encore dangereuses à la fin de la durée maximale pourraient alors être placées « en garde fermée dans un établissement de santé aux termes des lois provinciales relatives à la santé mentale27 ».

Après la promulgation des dispositions sur les troubles mentaux, la Cour suprême du Canada a eu l’occasion de statuer sur de nombreux aspects de la nouvelle législation dans plusieurs arrêts, le plus célèbre étant Winko c. la Colombie‑Britannique (Forensic Psychiatric Institution), où on a demandé à la Cour de déterminer si l’application de la partie XX.I du Code criminel contrevenait à la Charte canadienne des droits et libertés28. La Cour suprême a jugé, unanimement, que la période de surveillance potentiellement indéfinie prévue à la partie XX.I ne contrevient pas aux articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Comparant la vie des personnes reconnues coupables à celles des personnes atteintes de troubles mentaux, la Cour a statué que, « comme la liberté de l’accusé non responsable criminellement n’est pas restreinte en vue de le punir, il n’existe pas de raison correspondante de limitation dans le temps29 ».

Règle générale, la majorité des partisans des dispositions sur la durée maximale étaient des avocats, des groupes d’intérêt et des organismes de défense des droits civils, qui affirmaient que de sérieuses inégalités étaient créées, car un accusé non criminellement responsable pouvait rester sous surveillance beaucoup plus longtemps que s’il avait été reconnu coupable. D’aucuns ont aussi avancé que les lois provinciales
sur la santé mentale pouvaient être invoquées s’il fallait garder un accusé plus longtemps pour sa protection et celle des autres. On a aussi allégué que les dispositions sur la durée maximale pourraient aider les accusés jugés inaptes de façon permanente à sortir du système de psychiatrie légale.

Presque tous les fournisseurs de traitement qui ont participé à l’examen s’opposaient à la promulgation des dispositions sur la durée maximale. Bon nombre fondaient leurs objections sur les lacunes, selon eux, de certaines lois provinciales en matière de santé mentale et des services connexes pour traiter les accusés non criminellement responsables qui échapperaient ainsi au système de psychiatrie légale. Ils craignaient aussi que les dispositions relatives aux accusés dangereux atteints de troubles mentaux, si elles entraient en vigueur, ne suffisent pas.

Étant donné l’absence d’uniformité entre les lois et les services provinciaux concernant les accusés atteints de troubles mentaux, et des inquiétudes soulevées par les professionnels de la santé et d’autres personnes bien au fait des ressources limitées, le Comité reconnaît qu’il serait très risqué à l’heure actuelle de promulguer les dispositions sur la durée maximale. Le Comité note aussi que les provinces appuient très peu un tel changement, car il incomberait à leurs systèmes de santé mentale réguliers de gérer les accusés qui seraient ainsi soustraits à la compétence des commissions d’examen. Sur une note plus positive, le Comité est persuadé que les modifications apportées par la partie XX.I du Code ont permis d’améliorer énormément la situation des accusés non criminellement responsables, comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Winko. Par conséquent, nous estimons qu’il n’est pas vraiment nécessaire de promulguer les dispositions sur la durée maximale. En outre, étant donné que, selon le Comité, le Code criminel devrait être le reflet fidèle des intentions du Parlement, nous estimons que les dispositions non promulguées devraient être abrogées.

RECOMMANDATION 13

Le Comité recommande que l’article 672.64 du Code criminel (Durée maximale) soit abrogé.

Accusés dangereux atteints de troubles mentaux

Les dispositions relatives aux accusés dangereux atteints de troubles mentaux (ADTM) ont été ajoutées au projet de loi C-30 afin de prolonger la durée maximale de détention dans le cas des personnes atteintes de troubles mentaux et accusées d’une « infraction grave contre la personne » pour laquelle elles sont passibles d’une peine d’emprisonnement de dix ans ou plus. Inspirées des dispositions du Code criminel sur les délinquants dangereux qui permettent d’emprisonner indéfiniment une personne reconnue coupable d’une infraction grave contre la personne, les dispositions relatives aux ADTM visaient à autoriser les tribunaux, dans des circonstances spéciales, à remplacer la sentence maximale de dix ans par un emprisonnement à perpétuité.

La majorité des participants au processus d’examen ont convenu qu’il serait nécessaire de promulguer les dispositions relatives aux ADTM si celles sur la durée maximale entraient en vigueur. Le Comité s’est déjà opposé à ce dernier point, mais il admet que les dispositions sur la durée maximale nécessiteraient la promulgation de celles relatives aux ADTM.

Le statut d’ADTM devait servir à réduire les risques potentiels que posent les dispositions sur la durée maximale. Cependant, un accusé non criminellement responsable peut déjà être soumis à une surveillance indéfinie si le tribunal ou la commission d’examen en décide ainsi. Par conséquent, tant que les dispositions sur la durée maximale ne sont pas promulguées, le Comité estime qu’il est inutile de promulguer celles relatives aux ADTM. En fait, le Comité croit qu’elles devraient être abrogées en même temps que celles sur la durée maximale.

RECOMMANDATION 14

Le Comité recommande d’abroger les articles 672.65, 672.66, 672.79 et 672.8 du Code criminel (Accusés dangereux atteints de troubles mentaux).

Ordonnances de détention dans un hôpital

Dans un rapport de 1976, la Commission de réforme du droit recommandait qu’une disposition sur les traitements soit adoptée pour les personnes reconnues criminellement responsables de leurs actes, mais qui souffrent néanmoins de troubles mentaux. Le projet de loi C-30 renfermait un telle disposition afin qu’un juge puisse ordonner que la peine d’emprisonnement d’un accusé « commence par une période de détention dans un centre de soins ». S’il est promulgué, l’article 747 du Code criminel autoriserait un juge à ordonner un traitement d’au plus 60 jours à un accusé qui est atteint de troubles mentaux « en phase aiguë », « pour empêcher soit que ne survienne une détérioration sérieuse de sa santé physique ou mentale, soit qu’il n’inflige à d’autres des lésions corporelles graves ». Compte tenu des préoccupations des provinces au sujet des frais qu’entraîneraient ces dispositions, leur entrée en vigueur a été reportée pour permettre la tenue de projets pilotes dans deux ou trois provinces et de recueillir des données sur l’application et les coûts30.

Les défenseurs des droits et les groupes d’intérêt ont réclamé la promulgation des dispositions sur les ordonnances de détention en hôpital, même s’il est clair, par suite de l’arrêt Knoblauch de la Cour suprême du Canada, que des ordonnances de traitement peuvent être rattachées à des peines d’emprisonnement avec sursis31.

Le Comité a aussi entendu des partisans des ordonnances de détention dans un hôpital. Par exemple, selon le Dr John Bradford, les juges y auraient plus souvent recours si elles étaient en vigueur, mais ces ordonnances poseraient des problèmes importants aux provinces sur le plan des ressources. De même, Malcolm Jeffcock de la Legal Aid de la Nouvelle-Écosse est en faveur des ordonnances de détention dans un hôpital, à condition que les tribunaux reconnaissent que les principes du Code criminel sur la détermination de la peine prévoient déjà une période d’emprisonnement. Bien que la Civil Liberties Association de la Colombie-Britannique ait affirmé que la promulgation améliorerait la situation, elle reconnaît dans son mémoire que les ordonnances de détention dans un hôpital ne suffiraient pas à répondre aux besoins en matière de traitement des accusés atteints de troubles mentaux.

La majorité des participants n’ont pas appuyé la promulgation des dispositions sur les ordonnances de détention dans un hôpital, pour diverses raisons. Le Dr Derek Eaves craignait qu’elles puissent encourager les patients à commettre des crimes pour obtenir des traitements. L’Institut Philippe Pinel et la Société pour les troubles de l’humeur du Canada jugent qu’elles sont inutiles dans leur forme actuelle, car la plupart des accusés auraient besoin de traitements de plus de 60 jours. Cependant, certains s’opposent aux ordonnances de détention dans un hôpital, car ils s’inquiètent des répercussions sur un système de santé mentale déjà mal en point. Par exemple, le Forensic Service du centre de soins St. Joseph affirme que l’Ontario ne pourrait répondre à la demande accrue. En outre, la Criminal Lawyers Association a raconté qu’il serait quasi impossible d’effectuer des placements réussis dans un système où déjà on ne parvient pas à évaluer les patients dans les délais prescrits. D’autres intervenants, comme l’Association des psychiatres du Canada et le Dr Arboleda-Florez, ont avancé que la promulgation des dispositions relatives aux ordonnances de détention dans un hôpital aurait un effet négatif sur les ressources actuellement consacrées aux services généraux de santé mentale.

Le Comité a été impressionné de constater que presque tous les intervenants ont souligné l’absence de traitements efficaces pour certains types de troubles mentaux, surtout dans le cas des accusés hors du système carcéral fédéral. Nous sommes d’accord avec le Dr John Bradford lorsqu’il déclare que les prisonniers atteints de troubles mentaux ont besoin des mêmes soins que le reste de la population. Nous sommes néanmoins conscients que les services de santé mentale relèvent de la compétence des provinces en matière de santé. Nous sommes convaincus que les hôpitaux et les autres intervenants du réseau de santé mentale sont déjà utilisés au maximum de leur capacité. Par conséquent, le Comité conclut qu’il serait irresponsable et irréaliste de recommander la promulgation de dispositions qui imposeraient un fardeau terrible à des établissements qui relèvent sur le plan juridique et pratique d’un autre palier de gouvernement.

RECOMMANDATION 15

Le Comité recommande que les articles 747 à 747.8 du Code criminel (Ordonnance de détention dans un hôpital) soient abrogés.

QUESTIONS SYSTÉMIQUES

Ressources

Même lorsqu’elles visent les objectifs les plus louables en matière d’orientation stratégique et de réforme du droit, les mesures législatives que le Parlement adopte peuvent avoir des effets non recherchés, imprévus au moment de leur élaboration, comme en fait foi la Partie XX.I du Code criminel. Les dispositions qu’on y trouve constituent un régime législatif progressif, conforme à la Charte et d’une application transparente, mais elles ont entraîné une augmentation du nombre d’accusés atteints de troubles mentaux qui relèvent de cet élément du système de justice pénale. Cette multiplication des cas a soumis le système de psychiatrie légale à une pression qui s’est répercutée sur les services de santé mentale et les ressources communautaires.

Les questions abordées dans le présent rapport sont complexes. Non seulement la partie XX.I du Code criminel est-elle difficile à interpréter en soi, mais son application exige la collaboration d’une multitude d’institutions et de programmes fédéraux, provinciaux et territoriaux, entre autres les tribunaux, les commissions d’examen, les autorités policières, les établissements de santé mentale, les établissements de psychiatrie légale, les services correctionnels fédéraux et provinciaux, etc. Tous doivent répondre, directement ou non, aux besoins des accusés atteints de troubles mentaux.

Depuis quelques années, tous les éléments de ce réseau d’institutions qui traitent les accusés atteints de troubles mentaux subissent d’énormes pressions pour diverses raisons : les compressions budgétaires, les nouveaux traitements pour ce segment de la population, les accusés atteints de troubles mentaux qui sont traités dans des établissements qui n’ont pas la capacité requise pour être efficaces, le nombre croissant de personnes qui ont besoin de soins, d’appui et de traitements.

Presque tous les intervenants qui ont comparu devant le Comité, provenant de partout au Canada et de tous les secteurs de la santé mentale et du système judiciaire pénal et défendant des points de vue divergents, ont déterminé que le manque de ressources adéquates est un problème majeur. Ils ont dit qu’il est souvent impossible de réaliser les objectifs de la législation mise en oeuvre pour répondre aux besoins des accusés atteints de troubles mentaux, car les services n’existent pas ou sont inadéquats, les ressources des traitements sont inaccessibles ou inexistantes, ou que les établissements n’ont pas les services ou les lits requis.

Les ressources allouées aux soins et aux besoins des accusés atteints de troubles mentaux constituent un problème sérieux qui requiert une attention immédiate. C’est ce qu’ont dit le Dr Arboleda-Florez, chef du département de psychiatrie du Queen’s Affiliated Hospital de Kingston (Ontario), la Criminal Lawyers Association, le Mental Health Law Program de la Community Legal Assistance Society de la Colombie‑Britannique, et Malcolm Jeffcock de la Legal Aid de la Nouvelle‑Écosse, pour ne nommer que ceux‑là.

Le Comité a été impressionné par les mémoires que lui ont soumis divers intervenants du système mis en place pour répondre aux besoins des accusés atteints de troubles mentaux. Étant donné que ce point a été répété à maintes reprises pendant notre examen, nous croyons que les ministres provinciaux, territoriaux et fédéral de la Justice devraient étudier cette question dès que possible. Cette étude devrait servir à déterminer les ressources disponibles pour répondre aux besoins des accusés atteints de troubles mentaux, si ces ressources sont suffisantes et si elles sont réparties efficacement entre les différents établissements. Si ce n’est pas le cas, les ministres provinciaux, territoriaux et fédéral de la Justice devraient collaborer afin de corriger les lacunes.

RECOMMANDATION 16

Le Comité recommande que les ministres provinciaux, territoriaux et fédéral de la Justice étudient les ressources disponibles pour répondre aux besoins des accusés et des délinquants atteints de troubles mentaux afin de déterminer si elles sont optimisées et si les allocations budgétaires sont suffisantes.

Sensibilisation

Dans certains des mémoires, on a souligné que des efforts supplémentaires sont requis pour sensibiliser le grand public et les personnes qui travaillent directement avec les accusés atteints de troubles mentaux dans les différentes institutions qui les touchent.

Selon certains témoins, les maladies mentales et les troubles mentaux sont, dans l’esprit de bien des gens, associés à des comportements violents et dangereux. Cette image ne reflète pas la réalité de ceux qui travaillent avec les personnes atteintes de maladies mentales et de troubles mentaux.

De même, nous avons appris que certains intervenants qui travaillent quotidiennement avec des accusés atteints de troubles mentaux n’ont pas été sensibilisés aux maladies et troubles dont souffrent ces accusés et à la façon de traiter avec eux dans l’exercice de leurs fonctions. Par ailleurs, certaines personnes dont le travail touche d’une façon ou d’une autre la partie XX.I du Code criminel ne comprennent pas bien comment l’appliquer, ce qui peut mener à des résultats inusités.

La Société pour les troubles de l’humeur du Canada, entre autres, a recommandé que les employés du système judiciaire pénal, notamment les juges, les avocats, les agents de la paix et le personnel des services correctionnels, reçoivent une formation sur les troubles mentaux et leurs traitements. Le Comité est d’accord avec la Société.

RECOMMANDATION 17

Le Comité recommande que les ministres provinciaux, territoriaux et fédéral de la Justice s’assurent que des programmes de formation sur les services de santé mentale et de psychiatrie légale et les questions connexes soient mis sur pied et offerts aux juges, avocats, agents de la paix, employés des tribunaux et des services correctionnels et autres personnes qui travaillent avec des accusés et des délinquants atteints de troubles mentaux. En outre, un programme de sensibilisation similaire devrait être élaboré à l’intention du grand public afin de combattre les préjugés qui entourent les maladies mentales.

Recherche et collecte de données

Pour réaliser cet examen obligatoire, le Comité n’a pu compter que sur les efforts de son personnel de recherche et les quelques recherches canadiennes effectuées sur le sujet. Les mémoires soumis au Comité et les documents proposés par les nombreux témoins lui ont été d’une aide inestimable.

Même si les documents reçus ont été utiles, il aurait été préférable d’avoir des données supplémentaires et de meilleure qualité. Les anecdotes et les renseignements partiels ne remplacent pas les données recueillies de façon systématique et les analyses approfondies. En raison de ses ressources limitées, le Comité n’a pas pu compter sur de telles données.

Il est intéressant de comparer le présent examen obligatoire à celui réalisé
sur la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, terminé en
mai 2000 par un sous-comité du Comité permanent. En vue de cet examen demandé par le Parlement, le ministère du Solliciteur général avait préparé pas moins de 20 rapports de recherche et une synthèse à l’intention du sous-comité. Ainsi, le sous-comité et ses intervenants ont pu s’appuyer sur une grande quantité de données.

Malheureusement, le ministère de la Justice n’a pas réalisé une collecte de données aussi exhaustive pour le présent examen. Cette situation a eu pour conséquence que notre examen n’a pas été aussi approfondi que nous l’aurions souhaité. Le fait que le ministère de la Justice n’a pas recueilli systématiquement ce type de données signifie qu’il ne pourra pas répondre de façon éclairée aux conclusions et aux recommandations contenues dans notre rapport.

Le Comité est d’accord avec l’Association du Barreau canadien, qui a dit dans le mémoire et dans la lettre qu’elle nous a envoyés qu’il faut plus de recherches et de données quantifiables. Cela est particulièrement important, comme l’indique la partie suivante de notre rapport, pour la réalisation du prochain examen obligatoire de la partie XX.I du Code criminel.

RECOMMANDATION 18

Le Comité recommande que le ministère de la Justice et les autres ministères et agences concernés, de concert avec leurs homologues provinciaux et territoriaux, recueillent, traitent et analysent les données requises pour faciliter le prochain examen parlementaire de la
partie XX.I du Code criminel, prévu en 2007.

Prochain examen obligatoire

Le présent examen a été effectué, car le Parlement s’y était engagé lorsqu’il a ajouté la partie XX.I au Code criminel. Il est un point de départ pour la participation du Parlement aux questions entourant le traitement des accusés atteints de troubles mentaux.

Les conclusions et les recommandations qu’il contient décrivent l’opinion du Comité quant à l’orientation que devraient prendre la réforme du droit et l’élaboration de politiques dans ce domaine. La prochaine étape sera la réponse du gouvernement au rapport. Le Comité est d’avis que le rôle du Parlement ne doit pas s’arrêter ici. Nous avons conclu que pour y parvenir, il faudrait procéder à un nouvel examen de la partie XX.I du Code criminel dans cinq ans. On espère que d’ici-là, des données exhaustives et fiables auront été recueillies sur l’application des dispositions concernant les troubles mentaux et que l’on pourra ainsi réaliser un examen approfondi de la question.

RECOMMANDATION 19

Le Comité recommande d’inclure dans la loi visant la mise en oeuvre des recommandations du présent rapport un article prévoyant un examen des dispositions de la partie XX.I du Code criminel et de leur application au plus tard cinq ans après l’entrée en vigueur de la loi. Si le Parlement n’adopte pas une telle loi, il devrait charger un comité d’examiner en 2007 les dispositions de la partie XX.I du Code criminel ainsi que leur application.


1Ministère de la Justice, Modification des dispositions du Code criminel relatives aux troubles mentaux, document d’information, septembre 1991, p. 4.
2Edwin A. Tollefson et Bernard Starkman, Mental Disorder in Criminal Proceedings, Carswell, Canada, 1993, p. 15.
3Ibid., p. 1.
4Loi modifiant le Code criminel (troubles mentaux) et modifiant en conséquence la Loi sur la défense nationale et la Loi sur les jeunes contrevenants, L.C. 1991, ch. 43.
5Commission de réforme du droit du Canada, Processus pénal et désordre mental, Document de travail 14, 1975, p. 17.
6Commission de réforme du droit du Canada, Désordre mental dans le processus pénal, mars 1976.
7Ibid., p. 38.
8Gouvernement du Canada, Le droit pénal dans la société canadienne, Ottawa, août 1982, p. 10.
9Ministère de la Justice, Projet sur le désordre mental, Document de travail, septembre 1983, p. 3.
10Ministère de la Justice, Projet sur le désordre mental, Révision du droit pénal, Rapport final, septembre 1985.
11Tollefson et Starkman (1993), p. 6.
12R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933.
13Avant 1991, la défense fondée sur « l’aliénation mentale » ne pouvait être invoquée qu’à l’égard des actes criminels.
14R. c. Schwartz, [1977] 1 R.C.S. 673.
15R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303.
16R. c. Oommen, [1994] 2 R.C.S. 507, p. 516.
17R. c. Cooper, [1920] 1 R.C.S. 1149.
18Mémoire au Comité, janvier 2002, p. 4.
19Mémoire au Comité, avril 2002, p. 4.
20Comité permanent de la justice et du solliciteur général, Principes de base : Recodification de la Partie générale du Code criminel du Canada, Premier rapport, 3e session, 34e législature, février 1993, p. 43.
21R. c. Parks, [1992] 2 R.C.S. 871, p. 914.
22Principes de base : Recodification de la Partie générale du Code criminel du Canada, Rapport du Sous-comité sur la recodification de la Partie générale du Code criminel du Canada, février 1993, p. 47.
23R. c. Stone, [1999] 2 R.C.S. 290.
24R. c. Taylor [1992], 77 C.C.C. (3e) 551 (C.A. Ont.)
25R. c. Whittle, [1994] 2 R.C.S. 914.
26Mémoire soumis au Comité, avril 2002, p. 3.
27Ministère de la Justice, Modification des dispositions du Code criminel relatives aux troubles mentaux, document d’information, septembre 1991, p. 6.
28Winko c. la Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institution), [1999] 2 R.C.S. 625.
29Ibid, p. 684.
30Tollefson et Starkman (1993), p. 144.
31Dans R. c. Knoblauch, [2000] 2 R.C.S. 780, la Cour suprême a confirmé une sentence de deux ans moins un jour assortie d’une condition qui prévoyait que l’appelant devait demeurer « dans l’unité sécuritaire de soins psychiatriques [...], où il était déjà traité, jusqu’à ce des psychiatres décident, par consensus, de le transférer hors de cette unité. »