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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS

COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 15 février 2000

• 1110

[Traduction]

Le président (Andy Scott (Fredericton, Lib.)): Mesdames et messieurs, afin de faire un usage optimal de notre temps, nous allons ouvrir la séance. Nous avons jusqu'à environ 13 heures.

Nous accueillons trois groupes de témoins. De l'université McGill, nous accueillons deux étudiantes, Erin Fitzpatrick et Marie-Claire Leman. Nous accueillons aussi, de

[Français]

Association des centres jeunesse du Québec, Pierre Lamarche, directeur général, et Jacques Dumais, directeur de la Protection de la jeunesse.

[Traduction]

Et de la Conférence des Régies régionales de la santé et des services sociaux du Québec, Marc Lacour, le directeur.

Dans plus tarder, je cède la parole aux étudiantes de l'université McGill. Vous ai-je bien présentées? Sinon, vous me corrigerez au début de vos remarques liminaires.

Nous devrons respecter nos règles, car nous accueillons trois groupes de témoins mais nous avons peu de temps pour les entendre, et nous pourrions être interrompus; ensemble, vous aurez dix minutes pour présenter votre exposé. Chaque groupe représenté par plus d'une personne dispose de dix minutes. Je vous ferai de grands signes de la main quand il ne vous restera plus qu'une minute. D'accord?

Allez-y.

[Français]

Mme Marie-Claire Leman (Comité Children, Youth and the Law, Faculté de droit, Université McGill): Bonjour. Merci, monsieur le président et chers membres du comité, d'avoir bien voulu nous entendre aujourd'hui. Je nous présente à nouveau. Je m'appelle Marie-Claire Leman. Je suis étudiante en droit à l'Université McGill, et ma collègue Erin Fitzpatrick est étudiante en droit et en travail social, également à l'Université McGill. Nous sommes ici à titre de représentantes du Comité Children, Youth and the Law—les enfants, la jeunesse et le droit—de la Faculté de droit de l'Université McGill.

Nous sommes désolées de ne pas avoir fourni notre document écrit ce matin. Nous avons manqué de temps pour le faire traduire. Cependant, nous vous l'enverrons sous peu dans les deux langues officielles.

En matière de justice pénale pour les adolescents, nous sommes d'avis qu'il n'est pas ici question d'être durs; il faut être gagnants. Il nous faut viser des objectifs réels de réussite: moins de victimes, moins de récidive, moins de méfiance entre les générations et moins de violation des droits de la personne. Les échecs coûteux doivent céder la place à des interventions efficaces. Nous appuyons fortement l'accent que met le projet de loi C-3 sur la déjudiciarisation et les mesures de rechange. Ma collègue élaborera sur nos arguments à cet effet, et je vous reviendrai ensuite pour vous faire part de nos recommandations concrètes pour assurer la mise en oeuvre des éléments constructifs de ce projet de loi.

De prime abord, nous tenons à cadrer notre intervention en rappelant que l'adolescence est une période particulièrement importante du développement de l'être humain. Ce principe est sous-jacent à une stratégie de justice pénale pour les adolescents qui doit, entre autres, être compréhensible et accessible aux jeunes, éviter la stigmatisation, procéder de manière juste et efficace, intégrer plutôt que d'isoler, valoriser le potentiel des jeunes et faciliter, chez les adultes, la compréhension des comportements des jeunes contrevenants.

Sur ce, je cède la parole à ma collègue Erin Fitzpatrick.

[Traduction]

Mme Erin Fitzpatrick (Comité Children, Youth and the Law, Faculté de droit, Université McGill): Merci, Marie-Claire.

Je vous donnerai des détails sur ce que vous a décrit Marie-Claire, plus particulièrement sur les avantages que présente un examen du projet de loi du point de vue psychosocial.

Je commencerai par me pencher sur les effets nocifs de l'incarcération, à partir du cadre psychosocial. Puis j'aborderai les parties du projet de loi concernant les mesures extrajudiciaires, encore une fois à partir du cadre psychosocial. Troisièmement, j'examinerai les peines sans mise sous garde et une approche réaliste en matière de récidive, toujours du point de vue psychosocial.

Pour la gouverne des membres du comité, je décrirai brièvement ce que nous entendons par «cadre psychosocial».

En matière de travail social, le terme «psychosocial» signifie envisager un adolescent à partir d'un modèle psychosocial de développement. Cela signifie examiner le développement psychosocial d'un être humain, «psycho» se rapportant à son développement psychologique et «social» se rapportant à l'être humain dans son milieu—par exemple, sa famille, sa collectivité, ses pairs et la société en général.

Quelle est l'importance du cadre psychosocial? Envisager la justice pour les adolescents dans le cadre psychosocial est important pour de multiples raisons. Entre autres, le modèle psychosocial est conforme à l'article 6 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant qui stipule que «les États parties assurent dans toute la mesure possible la survie et le développement de l'enfant».

• 1115

Nous estimons que, à la lumière de ce qu'on sait maintenant, ce développement doit être interprété de façon large et être considéré comme le développement psychosocial. De plus, comme vous le savez, nos lois nationales concernant les enfants et les adolescents ont été modifiées de façon à se fonder sur la norme des intérêts de l'enfant. Encore une fois, selon une interprétation libérale, les experts du développement des enfants et des adolescents confirmeraient que le développement psychosocial est la clé. En outre, les recommandations découlant d'une enquête du coroner sur les circonstances entourant le décès d'un adolescent sous garde—le premier de ce genre—insistaient fortement sur l'approche psychosociale en matière de justice pour les adolescents.

Toutefois, le plus important, monsieur le président, les jeunes du pays, qui représentent notre avenir, réclament une approche psychosociale. Les adolescents que nous rencontrons dans le cadre de notre travail comme travailleurs sociaux et étudiants en droit nous disent souhaiter être traités dans un cadre psychosocial.

La mise en oeuvre des mesures extrajudiciaires prévues au projet de loi C-3 dans un cadre psychosocial présente de nombreux avantages; c'est surtout cela que nous tenons à vous dire aujourd'hui.

Les mesures extrajudiciaires doivent comprendre un véritable dédommagement axé à la fois sur les besoins de la victime et du contrevenant. Elles tiennent compte de l'amour propre du contrevenant et du préjudice causé à la victime. Sinon, le dédommagement est inutile et dénué de sens.

Surtout, des mesures extrajudiciaires doivent explorer les causes sous-jacentes à l'infraction. Cela permet de réduire la récidive et profite au contrevenant de bien des façons. Ainsi, cela favorise la compréhension de soi, et l'introspection permet de recenser les facteurs communautaires et sociétaux qui ont peut-être contribué à la perpétration de l'infraction, par exemple, la discrimination et la victimisation par les pairs.

Les mesures extrajudiciaires doivent prévoir des exercices d'auto-réflexion adaptés à l'âge et à la culture de l'intéressé. Lorsqu'ils sont bien dirigés, ces exercices peuvent être très constructifs et constituer tout un défi pour l'adolescent—un défi plus grand, à notre avis, que de rester à rien faire dans une cellule. Ils provoquent chez l'adolescent une réflexion sur le préjudice causé à la victime, le préjudice qu'il s'est lui-même causé ou qu'il a causé à d'autres dans la société.

Il est reconnu que la participation à des séances de thérapie menées par des professionnels est exigeante. Elle est même considérée comme une mesure de rechange à l'incarcération de certains adultes, par exemple, les conjoints violents au Centre pour la famille McGill. Si cette option ne devient pas obligatoire pour les adolescents, cela pourrait être considéré comme une forme de discrimination fondée sur l'âge aux termes du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés.

Bien sûr, cela est tout à fait inacceptable et laisse entendre à la société et aux jeunes—qui, je le répète, représentent l'avenir de notre pays—que nous donnerons aux adultes le privilège de recourir à de l'aide professionnelle afin qu'ils puissent s'amender, mais que nous n'avons pas suffisamment confiance en nos adolescents qui, pourtant, parce qu'ils sont jeunes, sont encore malléables, en développement et en apprentissage et n'ont peut-être pas eu les modèles et la formation qu'ils méritent.

Les mesures extrajudiciaires axées sur l'approche psychosociale ont pour but d'éviter de stigmatiser le contrevenant, de l'arrestation jusqu'à la comparution devant le tribunal. Les mesures extrajudiciaires font que le contrevenant ne se voit pas apposer l'étiquette de criminel, étiquette qui peut avoir un effet négatif sur l'image de soi. De même, les méthodes de résolution des problèmes qui incluent la réinsertion sociale du contrevenant et la préservation de sa dignité plutôt que la stigmatisation et le châtiment permettent de réduire la récidive et de promouvoir la protection à long terme du public, comme l'ont prouvé les études qui ont été menées un peu partout dans le monde.

Si le temps me le permet, j'aimerais maintenant aborder brièvement...

Le président: Il vous reste environ une minute et demie.

• 1120

Mme Erin Fitzpatrick: Je céderai donc la parole à ma collègue Marie-Claire qui vous fera part de nos recommandations.

S'il y a des questions, nous pourrions aborder les effets nocifs de l'incarcération et les avantages des peines sans mise sous garde du point de vue psychosocial, que nous aimerions aussi vous décrire.

Mme Marie-Claire Leman: Merci, Erin.

[Français]

Nous voulons donc vous faire trois recommandations. Premièrement, nos réserves par rapport à l'incarcération sont d'autant plus urgentes que l'on parle de la détention prédécisionnelle. Les centres de détention prédécisionnelle sont mal équipés pour subvenir aux besoins des jeunes contrevenants. Il ne faut donc pas compter sur ces centres pour assurer les services qui devraient être disponibles ailleurs dans la communauté. Nous sommes donc d'accord sur le premier paragraphe de l'article 29, qui stipule:

    29. (1) La détention sous garde avant le prononcé de la peine ne doit pas se substituer à des services de protection de la jeunesse ou de santé mentale, ou à d'autres mesures sociales plus appropriées.

Nous sommes aussi du même avis que le législateur lorsqu'il dit, au début du deuxième paragraphe:

    (2) Le tribunal pour adolescents ou le juge présume que la détention de l'adolescent n'est pas nécessaire pour la protection ou la sécurité du public au titre de l'alinéa 515(10)b) du Code criminel dans le cas où l'adolescent, sur déclaration de culpabilité, ne pourrait être placé sous garde en vertu du paragraphe 38(1)...

Je m'arrête ici, car nous craignons que l'on risque de miner cette limitation à la mise sous garde en ajoutant la suite, qui se lit ainsi:

    ...sauf s'il existe une probabilité marquée que l'adolescent, s'il est mis en liberté, commettra une infraction ou nuira à l'administration de la justice.

Il ne faudrait pas que la probabilité que l'adolescent commette une infraction pour laquelle il ne serait pas soumis à une peine sous garde en vertu du premier paragraphe de l'article 38, le soit par cette mesure de détention prédécisionnelle. Il faudrait peut-être préciser davantage le type d'infraction visé dans cette dernière disposition et s'assurer qu'à tout le moins, ces infractions entraînent, sur déclaration de culpabilité, la possibilité que l'adolescent se fasse imposer comme peine la mise sous garde.

Notre deuxième recommandation est plutôt une mise en garde. Nous sommes d'avis qu'on doit s'assurer que le public canadien soit bien informé afin qu'il saisisse les enjeux subtils et nuancés de la situation. Le gouvernement et les citoyens doivent se garder de conclusions hâtives qui dérouteraient le cheminement tracé par le projet de loi C-3. Il serait dommage, en effet, de se retrouver tous les trois ou quatre ans dans ce même forum dans le seul but de répondre aux pressions politiques.

Afin de rendre significatif tout le travail de votre comité, il vaut la peine de s'attarder au processus maintenant et d'ensuite permettre à la loi de faire ses preuves. Cela entraîne notre troisième recommandation.

Nous sommes d'avis que le succès de ce projet de loi dépendra de sa mise en oeuvre qui, elle, dépendra directement de l'allocation de ressources financières suffisantes et soutenues. Comme l'ont préalablement soulevé les administrateurs provinciaux, nous vous encourageons à obtenir des assurances par rapport à la renégociation des ententes financières avec les provinces de la part de la ministre de la Justice lorsqu'elle sera devant vous. Le gouvernement a concrétisé ses bonnes intentions en octroyant 206 millions de dollars au financement initial du projet de loi. Toutefois, cette mesure temporaire n'est pas suffisante pour assurer un financement adéquat pour l'exécution et le suivi à long terme de cette loi.

Il nous apparaît primordial que la question du financement soit réglée avant la mise en oeuvre du projet de loi C-3.

Merci de votre attention.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup et félicitations à l'interprète. Cela allait plutôt vite. Elle s'en est très bien tirée.

Je crois savoir que le mémoire est un effort collectif. Je ne crois pas me tromper en disant que certains membres de ce groupe sont présents. Alors, nous remercions aussi ceux qui accompagnent les témoins d'être venus pour nous aider dans nos délibérations. Merci beaucoup.

Nous passons maintenant à

[Français]

l'Association des centres jeunesse du Québec. À vous, monsieur Lamarche et monsieur Dumais.

M. Pierre Lamarche (directeur général, Association des centres jeunesse du Québec): Bonjour, monsieur le président, madame et messieurs. J'aimerais d'abord vous présenter l'Association des centres jeunesse du Québec.

L'association représente tous les centres publics qui travaillent avec les jeunes contrevenants dans le cadre de l'application de la Loi sur la protection de la jeunesse dans la province de Québec. C'est donc dire que l'association parle pour ceux qui travaillent avec les jeunes contrevenants jour après jour, mais aussi pour les quelque 80 000 à 100 000 enfants que le système de protection de la jeunesse et le système des jeunes contrevenants reçoivent chaque année.

• 1125

D'ailleurs, il y a certainement un parallèle à établir entre les deux administrations puisque, pour beaucoup, les jeunes contrevenants ont déjà été vus, ou auraient dû l'être, par la Protection de la jeunesse. J'y reviendrai tout à l'heure.

Je suis d'accord sur le commentaire qu'a fait M. le député tout à l'heure. Il disait que l'essentiel du débat ne devait pas porter sur la situation au Québec et dans le reste du Canada, mais plutôt sur les préoccupations qu'on peut avoir concernant tous les enfants canadiens. Donc, les préoccupations dont nous débattons ici devraient tenir compte de tous les enfants canadiens. Cela ne fait aucun doute.

Cependant, il faut bien reconnaître que le système québécois comporte des particularités. J'aimerais, dans un premier temps, vous les faire connaître, puis M. Jacques Dumais poursuivra. M. Dumais est directeur de la Protection de la jeunesse pour la région Chaudière—Appalaches. Son statut de directeur de la Protection de la jeunesse en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse en fait le directeur provincial au sens de la Loi sur les jeunes contrevenants.

Au Québec, l'application de la discrétion policière n'a cessé de croître, passant de 25 p. 100 de toutes les affaires signalées à la police en 1990 à 53,3 p. 100 en 1997. Je vais vous donner quelques chiffres avant de passer à des sujets plus significatifs.

En deuxième lieu, je voudrais vous signaler que 53 p. 100 des situations portées à l'attention du directeur provincial au Québec sont orientées vers des mesures de rechange. Donc, la discrétion policière s'applique dans 53,3 p. 100 des situations, et 53 p. 100 des situations amenées devant le directeur provincial font l'objet de mesures de rechange. Quand, par la suite, on se rend jusqu'en cour, les deux tiers des mesures ordonnées par le tribunal sont des mesures communautaires.

La mise sous garde est ordonnée lors d'environ 27 p. 100 des verdicts de culpabilité contre des mineurs, alors qu'elle l'est dans 33,7 p. 100 des cas ailleurs au pays. Concrètement, cela signifie que 4,4 jeunes sur 1 000 sont mis sous garde au Québec contre 10,5 sur 1 000 ailleurs au Canada.

Donc, le régime utilise tous les leviers fournis par la Loi sur les jeunes contrevenants et, malgré cela, la situation de la criminalité au Québec n'est pas pire qu'ailleurs. Au contraire, la proportion de mises en accusation de mineurs au Canada est de près du double de ce qu'elle est au Québec. Au Québec, 269 jeunes sur 10 000 sont mis en accusation contre 495 ailleurs au Canada.

J'ai voulu vous donner ces quelques chiffres pour illustrer que, bien que le système québécois utilise à pleine capacité les mesures permises par la Loi sur les jeunes contrevenants et les mesures de justice communautaires, la province ne connaît pas nécessairement un plus fort taux de criminalité. Cela démontre aussi, à notre point de vue, que la Loi sur les jeunes contrevenants est tout à fait apte à traiter les cas de délinquance qui se posent à nous actuellement.

Pourquoi la situation au Québec est-elle devenue ce qu'elle est aujourd'hui? Je voudrais attirer votre attention sur un certain nombre de conditions qui nous paraissent expliquer de façon très concrète comment on en est venu, au fil des 50 dernières années, à construire un système particulier au Québec.

La première condition est extrêmement importante et est très différente de ce qui existe dans les autres provinces. Il s'agit justement de la jonction qui s'est faite entre le régime de protection de la jeunesse et celui des jeunes contrevenants. En réalité, c'est la même personne ou la même équipe qui s'occupe à la fois des cas signalés en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse et des cas qui relèvent de la Loi sur les jeunes contrevenants.

• 1130

Les jeunes ne sont pas nécessairement gardés dans les mêmes lieux, mais c'est la même équipe qui, dans une région, assure leur suivi. Ainsi, les juges sont en mesure de suivre l'évolution d'un jeune et sont plus aptes à prendre des décisions puisqu'ils sont au courant de ses premiers démêlés armes avec le système, à partir de signalements de négligence alors qu'il était tout petit jusqu'aux actes criminels qu'il a commis à l'adolescence. Ce sont les mêmes équipes de professionnels, les mêmes équipes sociojudiciaires, les mêmes tribunaux et les mêmes juges qui assureront le suivi de cet enfant devenu adolescent et qui veilleront à combler ses besoins.

Nous considérons que l'équilibre qu'on énonçait dès le début de la Loi sur les jeunes contrevenants, à savoir l'équilibre entre le volet pénalisation du crime et le volet réadaptation, risque d'être rompu. Cet équilibre venait appuyer parfaitement la perspective et le système qu'avaient créé conjointement le système de protection et le système des jeunes contrevenants.

Troisièmement, la Loi québécoise sur la protection de la jeunesse a été jusqu'à tout récemment—d'autres provinces ont récemment apporté des modifications à leur loi en ce sens—la seule à permettre qu'un signalement puisse être acheminé au directeur de la Protection de la jeunesse dans le cas d'un jeune qui manifestait des troubles de comportement. Il s'agit d'une mesure préventive à laquelle on peut recourir dès que les parents ou l'école, ou encore les parents et l'école, considèrent qu'ils sont en train de perdre le contrôle du comportement de leur adolescent. Ils ne sont pas tenus d'attendre que l'adolescent ou l'adolescente ait commis un crime pour l'envoyer à un système de soins. Ils peuvent faire un signalement en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse. On peut prendre un jeune en charge avant même qu'il n'entre dans le système des jeunes contrevenants.

Quatrièmement, depuis au moins 50 ans, on travaille à développer au Québec un réseau de centres de réadaptation pour les jeunes qui manifestent des troubles de comportement, les jeunes délinquants et les jeunes qu'on a pris en charge en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse. Nous avons établi plus de 40 centres de réadaptation à vocation psychosociale. Comme certains de vous s'en souviendront, les Oeuvres du Cardinal Paul-Émile Léger avaient financé au départ la mise sur pied de centres de réadaptation pour les jeunes. Partout dans le monde, on reconnaît que des institutions comme celles de Boscoville, de Mont Saint-Antoine, de Mont d'Youville et de l'Institut Dominique-Savio ont su développer une approche de réadaptation efficace avec les jeunes qui manifestent des troubles de comportement.

Cinquièmement, on a commencé à développer, il y a plusieurs années, des disciplines spécialisées à l'intention des professionnels qui travailleront dans ces centres-là. Actuellement, le Québec est la seule province qui accrédite ce qu'on appelle des psychoéducateurs, c'est-à-dire des professionnels qui sont précisément formés pour venir en aide aux jeunes qui manifestent des troubles de comportement. Cinq mille sept cents psychoéducateurs pratiquent au Québec. De plus, je dois souligner que la formation en criminologie au Québec est également axée sur les aspects cliniques de la délinquance.

Je signalerai un dernier point qui est très important, à savoir que le Québec a toujours voulu être à jour au chapitre des pratiques auprès des jeunes contrevenants. On a toujours voulu analyser à fond le système. Je pense notamment à l'étude de l'honorable juge Michel Jasmin et de son groupe de travail sur l'application de la Loi sur les jeunes contrevenants et de la Loi sur la protection de la jeunesse. Depuis cette époque, on a créé autour des centres jeunesse deux instituts universitaires et constitué plusieurs équipes de recherche qui travaillent à parfaire nos connaissances des meilleures pratiques de traitement des jeunes qui manifestent des troubles de comportement.

Nous estimons que la Loi sur les jeunes contrevenants qui est actuellement en vigueur nous permet déjà de nous acquitter de toutes les obligations qui sous-tendent le projet de loi C-3. Nous ne voyons d'aucune manière la plus-value du nouveau projet de loi par rapport aux moyens que nous offre déjà Loi sur les jeunes contrevenants. Non seulement nous sommes incapables d'identifier une plus-value significative qui pourrait justifier une transformation très importante du système, mais nous craignons subir des pertes, que M. Dumais va identifier.

• 1135

M. Jacques Dumais (directeur de la Protection de la jeunesse, Chaudière-Appalaches, Association des centres jeunesse du Québec): Bonjour, monsieur le président et membres du comité.

Vous êtes évidemment en présence de ce personnage qui est à la fois directeur de la Protection de la jeunesse et directeur provincial au sens de la Loi sur les jeunes contrevenants. On dit souvent qu'on porte deux chapeaux, en fonction de la loi qui s'applique à la situation du jeune dont le dossier nous est confié.

J'énoncerai quatre idées principales, après quoi mon collègue et moi pourrons répondre aux questions des membres du comité.

Premièrement, je ne crois pas qu'on ait besoin d'une autre loi au sujet de la criminalité chez les mineurs, y compris les mineurs les plus endurcis. Les statistiques que nous a présentées Mme la ministre lors du dépôt du projet de loi démontrent qu'il y a une baisse de la criminalité dans l'ensemble du Canada, ainsi qu'une baisse importante au niveau des crimes violents. Nous croyons donc disposer des outils nécessaires pour faire face à la situation des jeunes.

On a beaucoup parlé tout à l'heure de la justice réparatrice. La Loi sur les jeunes contrevenants prévoit déjà toutes les possibilités en termes de mesures de rechange, qu'on appelle «mesures extrajudiciaires» dans le nouveau projet de loi. Les mesures de rechange prévues dans la loi actuelle nous permettent d'exercer une discrétion et d'avoir recours à des mesures davantage communautaires, y compris des mesures qui font appel à un rapprochement avec la victime. La loi actuelle prévoit aussi un mécanisme de renvoi au système adulte dans des cas très graves ou des situations où le jeune ne peut plus tirer profit du système pour les mineurs. Au Canada, on n'a recours à ce mécanisme de renvoi que dans moins de 0,1 p. 100 des cas. Nous disposons donc d'outils nous permettant de travailler auprès des jeunes qui présentent des difficultés beaucoup plus importantes. Malgré cette possibilité, cette mesure n'est que très peu utilisée dans la pratique courante.

Deuxièmement, il est aussi faux de prétendre que le nouveau projet de loi ne changera rien au traitement des délinquants au Québec. D'abord, on n'y propose pas un amendement de la loi actuelle. Il s'agit d'un nouveau projet de loi, et il est très clair qu'un nouveau projet de loi véhicule de nouvelles valeurs et une nouvelle philosophie. De plus, de façon beaucoup plus dommageable, il brise l'équilibre qu'on avait réussi à atteindre entre la protection de la société et les besoins des jeunes qui ont commis un délit. Le nouveau projet de loi traite très peu des besoins des jeunes. On y parle davantage de traiter un délit, bien qu'il s'agisse évidemment d'un délit commis par un jeune. C'est surtout sur la notion de délit que sont sont axés l'essence et l'esprit du nouveau projet de loi.

Troisièmement, ce qui est encore plus important, on assiste actuellement à une érosion sans précédent d'un système de justice distinct pour les mineurs. On a apporté des modifications à la Loi sur les jeunes contrevenants en 1986, en 1992 et en 1995 afin de prolonger la durée des mises sous garde, de favoriser le renvoi et rendre automatique le transfert au système pour les adultes.

On se propose maintenant de faire disparaître le renvoi et d'intégrer le système pour les adultes au système pour les mineurs. Il est pourtant possible actuellement, dans le cadre du système pour juvéniles, de donner des sentences pour adultes. C'est à cet égard que j'estime que ce projet de loi est encore beaucoup plus dangereux. On parle beaucoup de peines pour adultes, de proportionnalité de la peine en fonction de la gravité des délits et de l'harmonisation des peines au Canada. De fait, on tente de faire correspondre le système des mineurs à celui des adultes en le copiant.

Un certain nombre de jeunes ne pourront plus invoquer les dispositions de cette loi et ne pourront être traités que comme des adultes. S'ils sont âgés de 14 ans et plus, ont commis un délit grave et ont récidivé au niveau de la violence, ils seront presque à coup sûr traités comme des adultes.

• 1140

Quatrièmement, on a déposé un projet de loi d'une complexité inimaginable. Je me demande comment les gens vont s'y retrouver. Je ne vous donnerai que quelques exemples. La loi actuelle renferme une déclaration de principes qui comprend huit alinéas, tandis que le projet de loi renferme quatre déclarations de principes qui comprennent 32 alinéas. Il y a une déclaration de principes globale, une déclaration de principes pour les mesures extrajudiciaires, une déclaration de principes pour la détermination de la peine et une déclaration de principes pour la garde et la surveillance. Je ne fais qu'imaginer le nombre de débats que ces déclarations de principes vont susciter. La déclaration de principes qui figure dans la loi actuelle a fait en sorte que de nombreux cas ont été portés devant la Cour suprême afin qu'elle puisse nous fournir une interprétation et nous indiquer s'il faut avant tout tenir compte du besoin ou de la protection. On nous présente aujourd'hui une déclaration de principes qui comporte 32 alinéas. Imaginez-vous les débats qui auront cours dans les prochaines années pour puisse déterminer lequel doit primer sur l'autre.

On propose également de nombreux mécanismes très lourds et très coûteux pour déterminer si un délit est vraiment un crime violent ou pas et si on doit imposer une peine pour adulte avant même d'entendre la cause. On perdra un temps fou au tribunal à établir la mécanique que nous propose ce projet de loi.

En conclusion, je vous dirai qu'aujourd'hui, nous nous occupons des jeunes qui ont commis un délit, alors qu'on nous propose de nous occuper à l'avenir d'un délit commis par un jeune qui est bien souvent associé à un adulte.

Le président: Monsieur Lacour.

M. Marc Lacour (directeur, Conférence des régies régionales de la santé et des services sociaux du Québec): Bonjour, monsieur le président et membres du comité. Je suis très heureux d'être ici avec vous aujourd'hui. Ma présentation sera assez brève, monsieur le président, afin que nous puissions consacrer davantage de temps aux échanges avec les députés. Je ne traiterai pas à nouveau des aspects qu'ont soulevés mes collègues des centres jeunesse, mais je vous ferai la lecture d'un court document que nous vous avons remis.

L'Organisation des services de santé et des services sociaux au Québec relève du ministère de la Santé et des Services sociaux. Déjà, depuis 1992, monsieur le président, nous avons opté pour un modèle d'organisation des services décentralisé et déconcentré dans 17 régions sociosanitaires. On retrouve dans chacune de ces régions une régie régionale de la santé et des services sociaux. Une régie régionale de la santé et des services sociaux est une instance administrative qui est dirigée par un conseil d'administration formé de représentants de différents secteurs socioéconomiques de la population et qui a pour principale responsabilité de voir à la planification et à la coordination des services, ainsi qu'à l'allocation financière attribuée à ces services. Cet organisme, que je représente aujourd'hui au nom de la conférence des 17 régies régionales, a donc la responsabilité de voir à l'implantation des orientations provinciales et à leur adaptation aux particularités de chacune des régions du Québec.

En ce qui concerne la Loi sur les jeunes contrevenants, le Québec, comme vous le disait M. Dumais, a choisi de nommer dans chacune des régions un directeur provincial. En plus d'exercer les responsabilités qui lui sont dévolues par la Loi sur les jeunes contrevenants, le directeur provincial cumule aussi les responsabilités exclusives du directeur de la Protection de la jeunesse dans le cadre de la Loi sur la protection de la jeunesse et celles que lui confie le Code civil en matière d'adoption.

Ce directeur, qu'on appelle directeur de la Protection de la jeunesse ou directeur provincial, est présentement rattaché administrativement à un centre jeunesse. Les centres jeunesse du Québec sont responsables de la prestation de services psychosociaux et de réadaptation spécialisée pour les enfants et les adolescents soumis entre autres aux dispositions de la Loi de la protection de la jeunesse et à celles de la Loi sur les jeunes contrevenants. On peut donc peut parler d'un guichet unique.

C'est donc dire que dans l'organisation des services à offrir aux jeunes, nous disposons d'un réseau distinct et spécialisé qui englobe l'ensemble des dimensions de la vie d'un adolescent ou d'un enfant. Cette approche globale fait en sorte que les adolescents qui ont commis une infraction sont toujours reçus dans un système qui leur est consacré en exclusivité.

Par ailleurs, comme mes collègues vous le mentionnaient plus tôt, le Québec possède une longue tradition de déjudiciarisation et soutient présentement le financement de 42 organismes de justice alternative pour l'application du programme des mesures de rechange. Chacun de ces organismes de justice alternative est dirigé par un conseil d'administration formé de citoyens issus de la communauté. Ces mêmes organismes de justice alternative répondent, dans 52 p. 100 des situations, à des délits commis par les adolescents et obtiennent d'excellents résultats.

• 1145

Ces 42 organismes de justice alternative sont très largement implantés dans chacune des communautés et ils mettent à profit des milliers d'autres organismes pour implanter des mesures de réparation, de travaux compensatoires et de travaux communautaires, qu'elles soient volontaires ou ordonnées.

De plus, avec les centres jeunesse et les centres de justice alternative, nous avons développé une expertise de plus en plus reconnue dans le domaine de la médiation et de la conciliation avec les victimes. Nous estimons qu'il s'agit là d'un secteur prometteur, qui est à soutenir et à développer, car il obtient actuellement sur d'excellents résultats.

Monsieur le président, nous estimons que la société a le droit de se protéger et d'être en sécurité, mais qu'elle a aussi le devoir de faire en sorte que ses adolescents deviennent des contributeurs positifs à l'avancement de la société. C'est cette vision basée sur l'intérêt supérieur de la société que nous sentons menacée par le projet de loi que vous êtes en train d'étudier. L'idéologie qui la soutient conjugue de façon harmonieuse, à ce moment-ci, la responsabilité et l'aide à apporter aux adolescents.

Actuellement, la Loi sur les jeunes contrevenants—M. Dumais vous l'illustrait tantôt—permet de trouver cet équilibre entre l'aide, la responsabilisation et la rétribution. D'ailleurs, au Québec, cet équilibre prend ses assises dans des mécanismes et des structures de concertation dans chacune des régions, mettant à contribution des partenaires de la sécurité publique, de la justice, du réseau de la santé et des services sociaux et de celui des organismes communautaires.

Les résultats que nous avons obtenus au Québec jusqu'à présent sont fort encourageants, puisque, comme vous le disait tantôt M. Dumais, nous assistons à une baisse progressive du taux de criminalité juvénile. Ce qui est curieux, monsieur le président, c'est qu'en même temps qu'on assiste à une baisse du nombre d'infractions commises par les adolescents, on assiste aussi à une augmentation du nombre d'interdictions à leur endroit.

Les adolescents n'ont plus le droit d'acheter des cigarettes, n'ont plus le droit d'acheter des billets de loterie, ont le droit de vote à 18 ans, n'ont pas le droit d'aller voir des films érotiques. Il y a beaucoup plus d'interdictions pour les adolescents qu'il n'y en a pour les adultes et, malgré tout, bien qu'on en ajoute, on assiste à une diminution du taux de criminalité juvénile.

Lors d'une réunion d'un conseil d'administration à laquelle un juge de la Chambre de la jeunesse était invité, les administrateurs d'un centre jeunesse lui ont demandé ce qu'il pensait des adolescents d'aujourd'hui. En guise de réponse, le juge leur a demandé à son tour ce qu'eux pensaient des adultes d'aujourd'hui. Or, il faut que les adultes se sentent interpellés.

Tel que le disait M. Lamarche, au Québec, nous avons jeté un regard critique à la Loi sur les jeunes contrevenants et nous avons conclu qu'elle était appropriée, mais que son application devait être améliorée. Les principales cibles identifiées pour améliorer l'application de la Loi sur les jeunes contrevenants touchent la réduction des délais entre la perpétration de l'infraction et la réponse de la société.

Un des membres du comité mentionnait la notion de temps, qui est très importante chez l'adolescent. Nos travaux démontrent, en effet, que moins il y a de temps qui sépare la perpétration du délit et la réponse de la société, plus la mesure entraîne un résultat intéressant.

Donc, pour améliorer l'application de la Loi sur les jeunes contrevenants, on parlait de réduire les délais et d'augmenter l'intensité et la quantité des services disponibles. On voulait aussi établir une plus grande cohérence entre les différents intervenants, qu'il s'agisse des juges, des procureurs de la Couronne, des intervenants sociaux, des éducateurs ou des milieux communautaires.

Pour cette raison, monsieur le président, la Conférence des régies régionales de la santé et des services sociaux du Québec, l'instance qui réunit les 17 régies du Québec, s'est jointe à la Coalition pour le système de justice aux adolescents et base l'essentiel de son propos d'aujourd'hui sur le mémoire de la coalition qui, comme vous le savez, vous demande purement et simplement de retirer le projet de loi présentement à l'étude, puisqu'il nous semble que des amendements n'arriveraient pas à en corriger l'esprit sous-jacent.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup.

[Traduction]

Nous commençons la période de questions par M. Cadman; vous avez sept minutes.

• 1150

Mais avant de commencer, je vous signale qu'il y a à manger à l'arrière de la salle; j'invite les membres du comité à se servir. Nous siégeons aujourd'hui à l'heure des repas, alors, si nous voulons survivre, c'est ce qu'il faut faire.

M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Réf.): Ce n'est pas nouveau.

Le président: Que voulez-vous.

M. Chuck Cadman: Merci, monsieur le président.

Merci à tous d'être là.

Je ne crois pas que j'aurai besoin de mes sept minutes. Ces derniers jours, nous avons beaucoup entendu parler de ce qui se fait au Québec, et je crois pouvoir dire que nous sommes tous d'accord pour dire qu'on fait de très belles choses au Québec et que le reste du pays pourrait se faire son émule.

Voici ce que j'aimerais savoir: Si le projet de loi est adopté, en quoi nuira-t-il à ce qui se fait au Québec à l'heure actuelle? Fera-t-il obstacle aux efforts actuels du Québec? Est-ce qu'il entraînera des changements à la façon de faire du Québec?

[Français]

M. Jacques Dumais: Le principal élément qui accroche dans la loi actuelle, c'est la notion de proportionnalité de la peine en fonction du délit et son harmonisation dans l'ensemble du Canada. Le jour où on affirme ce genre de principe, cela veut dire que le juge et les procureurs devront tenir compte du texte de la loi canadienne quand un jeune sera devant la justice. Ainsi, la peine devra être déterminée en fonction de la proportionnalité, car de toute façon, la jurisprudence au Canada fera en sorte qu'un jeune qui commet un vol à main armée, que ce soit au Québec ou en Colombie-Britannique, devra, avec un projet de loi semblable, avoir sensiblement la même peine, qu'il s'agisse d'une mise sous garde ou d'une peine pour adulte.

Ce qui accroche dans ce projet de loi, c'est la philosophie dont les juges devront tenir compte, et qui fait que l'on s'attarde beaucoup trop au délit et pas assez à son auteur, d'où la difficulté d'établir l'équilibre dont on parlait tantôt.

[Traduction]

Mme Erin Fitzpatrick: Monsieur le président, je pourrais peut-être répondre.

C'est directement lié à ce dont nous parlons, à savoir qu'il ne faut pas s'attarder seulement à l'infraction, mais tenir compte aussi du contrevenant, dans un cadre psychosocial, et s'interroger sur les motifs qui l'on poussé à commettre ce crime. Prenons l'exemple du Québec. Ce qui ressort de nos études et de nos conversations avec des adolescents québécois, c'est que le Québec est un chef de file dans son approche psychosociale en matière de justice pour les adolescents, bien davantage que toute autre province. Nous encourageons donc le comité à reconnaître les efforts exemplaires du Québec dans ce domaine et à inciter les autres provinces à suivre cet exemple.

Ainsi, l'Ontario a déjà eu un programme appelé Rittenhouse, qui se fondait sur l'approche psychosociale en matière de justice pour les adolescents; mais parce que le projet de loi, comme nous l'avons souligné dans nos recommandations, n'impose pas d'obligation, mais offre plutôt des options—et depuis l'arrivée de Mike Harris au pouvoir, ce programme n'est plus obligatoire mais bien facultatif, alors que le Québec a adopté ce genre de programme et s'est engagé sur cette voie—, il y a de nombreuses disparités entre les provinces.

Comme nous l'avons démontré, et comme nos collègues du Québec l'ont démontré, les taux de récidive ont baissé depuis qu'on a recours aux mesures de déjudiciarisation, ce qu'on appelle les mesures extrajudiciaires dans le projet de loi. C'est dans l'intérêt des adolescents, de la collectivité et de la société en général de se pencher sur l'infraction, mais surtout sur ce que signifie cette infraction, et c'est ce que nous appelons le cadre psychosocial de la justice pour les adolescents.

M. Chuck Cadman: Merci. J'aimerais tout de même savoir si le projet de loi empêcherait le Québec de poursuivre ses efforts. Je comprends votre argument, mais le procureur général et les tribunaux ne jouissent-ils pas de suffisamment de discrétion pour continuer dans la même voie?

• 1155

Mme Erin Fitzpatrick: Le projet de loi pose un problème dans son libellé même, qui n'impose pas d'obligation. Si vous lisez le projet de loi attentivement, vous constaterez que le Québec, par exemple, grâce au pouvoir discrétionnaire dont il dispose, a pris l'initiative de consulter des experts et a déterminé que l'approche psychosociale en matière de justice pour les adolescents était un pas dans la bonne direction. Insister sur l'incarcération équivaut à faire tort aux jeunes. Comme vous le savez, la majorité des jeunes contrevenants sont incarcérés, et c'est très néfaste du point de vue psychosocial.

Ce que Mme la juge Mary Ellen Turpel a appelé la pernicieuse mentalité pénale freine les efforts de réadaptation et de réinsertion sociale des adolescents sous garde. Vous savez sans doute que, dans son rapport de 1997, le Comité de la justice et des affaires juridiques a conclu notamment que l'incarcération des jeunes contrevenants n'était pas la meilleure façon de lutter contre la criminalité juvénile. Comme on l'explique dans ce rapport, le Canada recourt à l'incarcération des jeunes contrevenants plus que tout autre pays. La majorité des ressources financières consacrées aux jeunes qui ont des démêlées avec la justice au pays ont servi à la construction et à l'exploitation d'établissements carcéraux.

Il est donc mauvais que le projet de loi n'impose pas d'obligation. Les voix des adolescents—comme l'a démontré l'une de nos collègues qui siège au comité, Megan Stephens, qui a travaillé auprès des adolescents—reflètent ce préjudice psychosocial causé par l'incarcération. Par exemple, Megan a interviewé une adolescente de 14 ans qui lui a dit qu'elle était convaincue qu'elle n'aurait jamais une vie normale. Il s'agit ici d'une jeune fille de 14 ans. Elle n'aura jamais de vie normale. C'est parce que le projet de loi n'impose pas la prise de mesures de rechange. Cela nous apparaît préjudiciable.

Le président: Merci.

Monsieur Lamarche, suivi de Mme Venne.

M. Pierre Lamarche: Je vais tenter d'être le plus clair possible. À court terme, bien des choses changeront. Les peines changeront et le nombre d'enfants mis sous garde en milieu fermé augmentera. Il y aura davantage d'enfants qui seront mis sous garde dans une prison pour adultes plutôt que dans un établissement pour adolescents. Ce ne sont là que quelques exemples de ce qui se passera à court terme si vous faites de la justice pour les adolescents un système semblable à celui pour les adultes.

C'est notre point de vue. Mais je vous renvoie la question. Si ce projet de loi ne change rien, pourquoi en êtes-vous saisis? Si ce projet de loi a été déposé, c'est probablement parce qu'on veut apporter des changements. C'est le genre de remarques qu'ont faites nos collègues du ministère de la Justice ces derniers mois. Ils nous disent que rien ne changera. Si on croit que rien ne changera, pourquoi sommes-nous ici et pourquoi devons-nous examiner les dispositions de ce projet de loi? Je ne comprends pas.

[Français]

Mme Pierrette Venne (Saint-Bruno—Saint-Hubert, BQ): Malheureusement, chers témoins, je ne pourrai pas demeurer ici jusqu'à la fin, car nous étudions actuellement d'autres projets de loi. Vous voudrez bien m'excuser. Nous étudions entre autres un projet de loi qui concerne le Québec, soit le projet de loi C-20 sur la clarté.

Revenons au projet de loi C-3. Je vais essayer de vous poser une question claire. Vous ne proposez pas du tout l'amélioration du projet de loi. Vous en demandez le retrait pur et simple. C'est ce qu'on comprend de ce que vous nous dites.

Monsieur Lacour, qu'est-ce qui fait que vous êtes satisfaits de la loi actuelle à un point tel que vous demandez le retrait du projet de loi? Avez-vous des exemples de résultats concrets à nous donner, qui pourraient nous éclairer sur la raison pour laquelle vous êtes si satisfaits de cette loi-là? S'il y en a d'autres qui ont des commentaires à faire à ce sujet, on les écoutera après.

M. Marc Lacour: Merci, madame Venne. En effet, nous sommes en général très satisfaits de la loi. Comme nous l'avons mentionné plus tôt, nous pensons qu'il faut améliorer certaines choses, notamment l'intensité et la qualité des services, et la rapidité avec laquelle ceux-ci sont dispensés. M. Dumais pourra peut-être vous citer quelques chiffres illustrant les résultats qu'on a obtenus au Québec, notamment dans l'évolution du taux de criminalité et du taux de placement. Je répète que nous avions une loi qui établissait un équilibre entre les besoins des adolescents et le droit de la société de se protéger. Cette loi favorisait la responsabilisation des adolescents à l'égard des actes qu'ils avaient posés, mais était axée sur les besoins de l'adolescent, sur sa réalité de vie et sur sa situation familiale et sociale au sens large. La loi ne mettait pas l'accent uniquement sur la rétribution ou sur les conséquences d'un geste inacceptable qui avait été posé; elle donnait également au jeune la possibilité de se reprendre en main et de se remettre sur les rails. C'est essentiellement cet esprit qui est ici compromis.

• 1200

Même dans le titre, on parle d'une loi sur la justice pénale. On n'a jamais utilisé le mot «pénale» dans la Loi sur les jeunes contrevenants, non plus que le mot «condamnation». On parlait de décisions du tribunal. On ne parlait pas de sentences dans l'ancienne Loi sur les jeunes contrevenants. L'esprit de la loi faisait en sorte qu'on reconnaissait qu'un adolescent, puisqu'il était en développement, était peut-être moins responsable qu'un adulte. Pour cette raison, la société avait collectivement le devoir de le soutenir et de l'accompagner pour corriger ses comportements.

Mme Pierrette Venne: Est-ce que M. Dumais a quelque chose à ajouter?

M. Jacques Dumais: En 1984, lorsqu'on a appliqué la Loi sur les jeunes contrevenants, le Québec a mis sur pied un programme de mesures de rechange. Ce programme de mesures de rechange a été négocié de façon très ouverte entre le système judiciaire et le système social, et on est arrivé à une entente sur le fait qu'un bon nombre de délits pouvaient être traités sur une base non judiciaire. C'est ce qui a donné tout son élan au programme de mesures de rechange qu'on a connu.

On disait tout à l'heure que dans 50 p. 100 des cas de renvois faits au directeur provincial, on avait recours à une mesure de rechange, sans compter que dans un certain nombre de dossiers, on arrêtait l'intervention parce que les parents avaient pris tous les moyens nécessaires: le jeune a commis un délit mineur, et les parents sont allés voir le voisin pour régler à l'amiable. On n'a pas besoin de s'ingérer dans la vie de ces gens quand les parents prennent leurs responsabilités.

Donc, d'un côté, on a élaboré un programme de mesures de rechange efficace. Les premières années, les policiers nous regardaient faire et disaient, par exemple, qu'il était quasiment ridicule de faire faire 10 heures de travaux communautaires à un jeune qui avait commis un délit. Mais avec le temps, tant les policiers que la justice, le secteur et les groupes communautaires ont compris que c'était la bonne façon d'intervenir auprès des jeunes qui en étaient à leurs premières armes en délinquance.

D'un autre côté, il y a le renvoi, dont je vous parlais tout à l'heure. Au Québec, on n'a jamais été contre le renvoi de jeunes qui ont épuisé toutes les ressources qu'on peut mettre à leur disposition au niveau du système juvénile. Ce mécanisme existe actuellement dans la loi. Un certain nombre de jeunes délinquants plus structurés ont été traités à l'intérieur du système juvénile et d'autres ont été renvoyés au système adulte. On pense que cela fonctionne bien. Pourquoi changer cette méthode de travail?

M. Lamarche a surtout parlé des mesures communautaires que le tribunal impose, mais il y a beaucoup de mesures probatoires qui sont données à plusieurs jeunes qui sont traduits devant les tribunaux. On a dit tout à l'heure que, pour quelques personnes, il était important qu'il y ait des mesures de surveillance après la garde. Au Québec, très souvent, les juges imposent une mesure de garde suivie d'une probation de six mois ou d'un an pour favoriser l'intégration du jeune dans la société. À ce moment-là, il y a peut-être un arrêt momentané, mais il y a ensuite des mesures plus sociales pour favoriser l'intégration du jeune dans la société. On ne renvoie peut-être pas le jeune en mise sous garde quand ça ne fonctionne pas, mais cette mesure communautaire aide le jeune qui s'est fait imposer une mesure plus sévère, soit une période de mise sous garde, à réintégrer la société.

Mme Pierrette Venne: Monsieur Lacour, dans le texte que j'ai ici sous les yeux, vous dites: «De plus, nous avons développé une expertise dans le domaine de la médiation et de la conciliation avec la victime», et vous dites que cela donne d'excellents résultats.

• 1205

J'aimerais que vous élaboriez davantage là-dessus, que vous nous expliquiez de quoi vous parlez. Pensez-vous que cela ne pourra pas continuer quand le nouveau projet de loi aura été adopté?

M. Marc Lacour: Nos activités en matière de médiation et de conciliation avec la victime sont un autre exemple des mesures qui ont été appliquées au Québec. Par exemple, la garde discontinue, une disposition discrétionnaire dans la Loi sur les jeunes contrevenants, est appliquée dans plusieurs régions du Québec. On l'a appliquée à peu près partout dans les régions du Québec, comme on a utilisé aussi la probation intensive, que nous permettait également la Loi sur les jeunes contrevenants, ainsi que la médiation et la conciliation avec la victime.

Essentiellement, il s'agit de techniques d'entrevue qui permettent d'organiser des rencontres entre la personne qui a été victime d'un délit et celui qui a commis ce délit, c'est-à-dire l'adolescent. Ces rencontres permettent de négocier une mesure de réparation. La victime s'entend avec le jeune qui a commis le délit sur la façon dont celui-ci va s'y prendre pour corriger le tort qu'il lui a causé. Cela peut prendre différentes formes. Ce peut être des remboursements, des travaux ou encore des lettres d'excuses.

Cela a un effet intéressant. On se rend compte que l'adolescent perçoit souvent sa victime comme quelqu'un qui va, par exemple, profiter des assurances et que, de toute façon, il ne connaît pas, et la victime voit souvent l'adolescent comme un être de six pieds, quatre pouces vêtu de cuir qui est très méchant et très dangereux. Généralement, quand les deux se rencontrent, ce n'est pas ce qu'ils voient.

On a parfois affaire à un petit bonhomme de 14 ans aux yeux bleus qui a peur, qui est assis sur sa chaise et qui se rend compte de la peur qu'il a créée chez la victime. Cela a souvent un effet très intéressant puisque la victime voit la personne qui a commis le délit et a moins de crainte par la suite, et que l'adolescent qui a participé à ce processus est beaucoup plus sensibilisé au tort qu'il a causé. Dans ces cas, le taux de récidive est plus faible.

Évidemment, on ne peut pas utiliser cela dans tous les cas. C'est impossible dans les cas graves. Dans les cas où la victime estime qu'elle n'a pas eu de problème, ce n'est pas tellement indiqué. Mais on utilise de plus en plus cette mesure dans les 42 organismes et les 17 centres jeunesse. On a instauré de la formation afin que les intervenants puissent acquérir ces techniques. Nos organismes de justice alternative vont même maintenant en milieu scolaire, particulièrement au secondaire, pour enseigner aux adolescents comment résoudre les conflits interpersonnels en utilisant les techniques de conciliation et de médiation.

Le président: Merci, monsieur Lacour et madame Venne.

[Traduction]

Monsieur Peter MacKay, Pictou—Antigonish—Guysborough.

[Français]

M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Monsieur, je vous remercie de votre présentation. Je regrette, mais il ne m'est pas possible de vous poser mes questions en français.

[Traduction]

Je vais d'abord vous faire mes excuses. Je devrai partir sous peu pour la Chambre où on débat d'un projet de loi relevant de la justice au même moment où siège le Comité de la justice, ce qui est souvent le cas.

J'ai beaucoup aimé votre exposé, surtout ce qu'a dit M. Dumais sur la complexité du projet de loi. Dans cette mesure législative, on semble tenter de tout codifier et de plaire à tout le monde, autant à ceux qui préconisent la justice réparatrice qu'à ceux qui réclament des peines plus lourdes. On pourrait presque parler de contradictions. Dans ce projet de loi, on tente d'unir deux philosophies contradictoires, ce qui donne une loi incohérente à bien des égards.

Toutefois, il y a une distinction claire entre les infractions avec violence et les infractions sans violence, une distinction qu'il m'apparaît important de faire. De plus, je crois qu'on tente d'incarner dans ce projet de loi une discipline progressive, à savoir qu'on recourt aux mesures de rechange et à la justice réparatrice lorsqu'il s'agit d'une première infraction et qu'elle ne figure pas aux annexes.

On vous a demandé en quoi cela ferait obstacle au travail exemplaire qui se fait au Québec; la plupart des professionnels de ce domaine reconnaissent que le Québec a su administrer la Loi sur les jeunes contrevenants mieux que le reste du pays. Toutefois, je vois ce projet de loi comme une tentative en vue d'uniformiser notre approche en matière de justice pénale à l'échelle du pays et surtout d'inclure les initiatives du Québec aux efforts d'autres provinces telles que la Colombie-Britannique et la Nouvelle-Écosse.

• 1210

N'est-ce pas une bonne chose que d'adopter une approche unifiée qui codifie dans une grande mesure ce qui se fait au Québec? Et, je repose la question, en quoi cela nuirait-il à ce qui se fait au Québec actuellement?

[Français]

Le président: Monsieur Dumais.

M. Jacques Dumais: Je pense qu'on n'a pas besoin de changer la loi pour faire en sorte qu'on applique des mesures de rechange partout au Canada. Cela se fait au Québec dans le cadre de la loi actuelle. Donc, toutes les provinces ont la possibilité de le faire.

Il est vrai que c'est laissé à la discrétion des provinces, comme on le disait tout à l'heure, mais parce que cela n'a pas été appliqué dans le reste du Canada, on change la loi pour rendre ces mesures un peu plus obligatoires. Il me semble que le moyen qu'on prend est très disproportionné avec l'objectif qu'on visait, à savoir de faire en sorte que l'expérience québécoise, qui est si intéressante, devienne généralisée au Canada. Cela peut se faire en vertu de la loi actuelle, même dans les cas de délits graves. Comme je le disais tout à l'heure, les jeunes peuvent être traités au niveau adulte lorsqu'on a épuisé les ressources du niveau juvénile.

Il me semble qu'on n'a pas besoin de tout ce changement qu'on nous annonce pour étendre au Canada tout entier l'application de la loi telle qu'on la pratique au Québec, pour rendre un peu plus uniforme l'application de la loi.

Comme je le disais tout à l'heure, il y a, dans le projet de loi, une philosophie et des valeurs fondamentales qui vont à l'encontre de ce qu'il y avait dans l'ancienne loi, selon laquelle il fallait tenir compte de l'auteur du délit et du geste qu'il avait posé pour prendre une bonne décision. C'est ce que les professionnels ont appelé un diagnostic différentiel. Il faut être capable de bien analyser, non seulement le geste qu'un jeune a posé, mais aussi le jeune jeune lui-même. Il faut savoir où il en est rendu dans son développement ainsi que le rôle que ses parents ont joué, parce que c'est quand même encore un mineur. Il faut aussi savoir quel rôle les parents pourront jouer à l'avenir afin de donner une mesure mieux adaptée à chacun des jeunes. Il ne faut pas regarder seulement le délit qu'il a commis, qui, dans le fond, cache toute la réalité de ce que vit le jeune.

[Traduction]

M. Peter MacKay: Vous avez mentionné un élément très important que nous avons peut-être négligé dans nos délibérations, la responsabilité parentale. Y a-t-il suffisamment de dispositions dans la loi actuelle pour mettre à contribution les parents?

Je sais que le projet de loi traite davantage de responsabilités après le fait—on a prévu des dispositions qui criminalisent le fait pour les parents de se soustraire à leurs responsabilités dans l'application des ordonnances de probation ou des conditions de libération. Pourrait-on faire davantage? Pourrait-on modifier ce projet de loi de façon à créer un système dans lequel on pourra demander aux parents où ils étaient pendant que leur fils ou leur fille est entré par effraction dans une maison, ou a participé à une attaque en bande ou à une autre activité violente quelconque? Y aurait-il une façon de faire cela, une façon dont on se sert actuellement au Québec et qu'on pourrait adopter dans le nouveau système?

[Français]

M. Jacques Dumais: La responsabilisation des parents et la criminalisation d'un comportement négligent d'un parent à l'endroit de son enfant sont deux choses.

Dans la loi actuelle, l'un des principes qui sont évoqués à l'article 3 est que le parent est le premier responsable de l'éducation de ses enfants. Tous ceux qui travaillent dans le cadre de la loi actuelle, que ce soit les juges, les policiers, les procureurs ou les travailleurs sociaux, doivent tenir compte du fait que les jeunes vivent pour la plupart dans un milieu familial. Il y en a qui sont sortis de leur milieu parce qu'ils avaient des problèmes depuis longtemps, mais la grande majorité de ces gens vivent dans leur milieu familial. Il faut tenir compte du rôle important que peuvent jouer les parents. C'est ce que j'appellerais la responsabilisation des parents.

• 1215

Pour ce qui est de l'idée de criminaliser le comportement des parents dans l'exercice de leurs responsabilités, je vous dirai qu'on s'y oppose très fortement au Québec. Bien sûr, le Code civil prévoit déjà qu'un parent peut être poursuivi pour ne pas avoir donné la meilleure éducation possible à son enfant ou pour ne pas avoir exercé la meilleure surveillance possible à son endroit, mais cette disposition est très peu utilisée. Les parents éprouvent souvent eux-mêmes des difficultés importantes et ont peut-être beaucoup plus besoin d'aide et de soutien que de se faire accuser d'un crime parce qu'ils n'ont pas joué adéquatement leur rôle de parents. On trouve ce même principe dans la Loi sur la protection de la jeunesse: on s'occupe non seulement de l'enfant mais aussi du parent.

Dans la Loi sur les jeunes contrevenants, il n'y a pas beaucoup de références aux parents, sinon dans l'énoncé de principes—on parle des avis obligatoires que les parents doivent recevoir lorsqu'un jeune comparaît—. mais la pratique sociale veut que les juges exigent que les parents soient alors présents pour qu'ils s'impliquent davantage auprès de leur jeune.

Le président: Merci.

[Traduction]

Monsieur Lamarche, puis Mme Fitzpatrick.

M. Pierre Lamarche: À ce sujet, il faut se rappeler que sur les 50 000 nouveaux signalements en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse, environ le tiers se rapportent à des problèmes de comportement d'adolescents, et la plupart sont effectués par les parents eux-mêmes, qui ne savent plus quoi faire de leur adolescent. Il y a donc une responsabilité et en cas de perte de contrôle, certains parents cherchent de l'aide. C'est là où l'interface entre la Loi sur la protection de la jeunesse et la Loi sur les jeunes contrevenants est si importante.

J'aimerais aussi répondre à votre première question. Il est vrai que c'est un projet de loi bien étrange. C'est typiquement canadien: on y trouve de tout pour tout le monde. Le problème, en fait, c'est que les dispositions dont vous parlez et dont les gens parlent depuis le début de la discussion sont celles qui existaient déjà dans la Loi sur la protection de la jeunesse. Il y a bien sûr une amélioration dans le projet de loi, mais ce qui était faisable n'a pas été fait, les dispositions n'ont pas été mises en oeuvre dans la plupart des juridictions.

Je vous pose donc la question: Qu'est-ce qui vous fait croire qu'un changement législatif convaincra les provinces qui n'ont pas encore agi, qu'il faut agir?

Les bons éléments du projet de loi se trouvent déjà, à mon avis, dans la Loi sur les jeunes contrevenants. Le problème, ce sont les mauvais éléments. Ce qu'il y a de nouveau dans ce projet de loi, c'est la démarche criminalisatrice et pénalisatrice, que nous n'avions pas.

Troisièmement, j'aimerais parler de diagnostics différentiels. L'équilibre entre la protection de la société et la prise en compte des besoins de l'enfant se fait actuellement dans le cadre d'un processus sociojudiciaire auquel participent le directeur provincial, les avocats et le juge. Ce projet de loi mécanise ce processus, et il ne le faut pas. On ne peut pas prendre l'application du principe du tiers de la peine purgé dans la communauté, par exemple, pour en faire une obligation.

C'est une chose de l'intégrer à la réinsertion sociale d'un enfant. C'en est toute une autre que de le mécaniser, si je puis dire, d'en faire un mécanisme. Ce sont des questions techniques qui ne sauraient être légiférées. C'est une erreur.

Le président: Madame Fitzpatrick.

Mme Erin Fitzpatrick: Je crois que Marie-Claire voulait intervenir d'abord.

Le président: Oh, désolé.

Mme Marie-Claire Leman: Je voulais simplement insister sur une chose, après avoir entendu certains commentaires. Voici quelle était la question au départ: qu'est-ce que ce projet de loi apporte de nouveau qui empêche le Québec de faire quoi que ce soit? La réponse du Québec, c'est: «Il ne nous empêche pas nécessairement d'agir, mais pourquoi alors vouloir le changer?»

Si l'on veut créer une loi pour reproduire les bons aspects du système québécois, alors il y a de graves lacunes dans le libellé. Ainsi, au paragraphe 38(3), je crois, on précise que quand on envisage d'autres mesures que le placement sous garde, le premier facteur à prendre en compte est la disponibilité des mesures de rechange.

Si on élimine facilement les mesures de rechange simplement parce qu'elles ne sont pas disponibles, toutes les provinces qui n'offrent pas aujourd'hui ce genre de mesures, en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants, pourront bien entendu continuer comme auparavant, puisqu'elles peuvent simplement dire: «On les a prises en compte, mais il n'y en a pas à notre disposition». Je crois donc qu'il faut être plus strict en s'assurant, dans la loi, que les mesures de rechange seront offertes.

• 1220

Mais comme M. Lamarche vient aussi de le dire, il ne faut pas non plus aller trop loin et légiférer pour faire de ces mesures des mécanismes obligatoires. Ces mesures doivent convenir à l'adolescent, qu'il soit d'un milieu rural ou urbain, elles doivent être appropriées dans le contexte et se rapporter à bien plus que la sphère juridique.

Je voulais aussi ajouter quelque chose au sujet de la responsabilité parentale. D'après mon expérience, au Québec, les juges s'efforcent vraiment de faire participer les parents. Qu'on légifère ou non à ce sujet, c'est une excellente méthode pour les juges, qui s'assurent que les parents sont là, et qui leur demandent de s'exprimer. Cela permet souvent un rapprochement entre les parents et l'adolescent, puisque les parents peuvent exprimer leur compréhension ou leur affection, malgré ce qui s'est produit, et cela est important, puisque souvent, les jeunes qui ont des démêlés avec la justice se sentent un peu aliénés par toutes les parties intéressées.

Il faut aussi être prudent. On m'a raconté récemment cette très courte anecdote: un enfant en probation doit rentré chez lui tous les soirs avant 21 heures, heure à laquelle l'appelle son agent de probation, pour s'assurer qu'il est bien chez lui. Les parents sont toujours obligés d'aller chercher leur enfant en voiture, quand ils l'appellent à 20 h 30, parce qu'ils craignent qu'il ne soit pas à la maison à temps pour l'appel de l'agent de probation. La responsabilité tombe donc entièrement sur les épaules du parent, et l'enfant en profite, puisqu'on vient le chercher en voiture où qu'il soit, chaque soir.

C'est donc un peu délicat. Nous voulons reconnaître la responsabilité des parents, nous voulons leur participation, mais nous voulons aussi que la peine ou les mesures prises à l'endroit de l'adolescent lui touchent lui et non ses parents.

Le président: Merci beaucoup.

M. Peter MacKay: Quel mal y a-t-il à ce que des parents aillent chercher leur enfant? Dans votre exposé, vous avez parlé de consulter les jeunes pour connaître leurs idées, et c'est une excellente chose, mais la plupart des jeunes, si on leur donnait le choix, voudraient manger des bonbons au lever le matin, rester debout toute la nuit et regarder la télé à leur guise. Le principe de la responsabilité parentale présume que les adultes ont un autre niveau de responsabilité et qu'ils doivent aider les enfants.

Mme Marie-Claire Leman: Nous souhaitons la participation des parents, mais le problème, dans cette anecdote, par exemple, c'est que l'enfant ne se rend pas compte qu'il est pénalisé pour ce qu'il a fait, puisqu'il se fait ramasser quand il le veut, ou que sais-je encore. Le stress associé à la sanction, ou la peine, revient aux parents, dans ce cas-ci. Vous avez probablement raison, le parent a le choix. Par exemple, il pourrait ne pas aller chercher son enfant, un soir, et voir ce qui arriverait. Je voulais simplement dire que les parents font leur part, et qu'il faut simplement s'assurer...

Prenons un autre exemple: Un juge impose une amende à un adolescent. Si le jeune travaille, on lui dit parfois: «On ne te donnera pas de travaux communautaires, puisque tu es déjà assez occupé, avec l'école et ton emploi. Mais comme tu travailles, il faudra que tu paies l'équivalent du salaire minimum multiplié par le nombre d'heures de travaux communautaires qu'on t'aurait imposées.» C'est une autre forme de châtiment.

Mais souvent, j'ai entendu le juge dire: «Je veux que tu paies cette amende, et non tes parents, parce que nous voulons que tu mettes de côté cet argent, d'ici l'échéance qu'on t'a fixée.» C'est important, puisque c'est alors à l'adolescent de faire les sacrifices nécessaires pour payer la somme prévue par la sanction.

Ce ne sont que des nuances, mais il faut les garder à l'esprit.

Le président: Merci beaucoup.

Je vais laisser quelques minutes à Mme Fitzpatrick, pour sa réponse, puis je donnerai la parole à M. Saada.

Mme Erin Fitzpatrick: Du point de vue du travail social, je crois que nous nous aventurons sur un terrain, très, très dangereux, lorsqu'il s'agit de la responsabilité parentale. En effet, beaucoup des enfants qu'on m'a confiés n'avaient malheureusement pas de parents affectueux et attentifs. C'est un problème systémique et systématique, comme nous le savons, partout au Canada. On peut donc douter pour toutes sortes de raisons de l'opportunité de tenir les parents responsables, et de les criminaliser.

Même si les enfants ont des parents dans leur existence, ces parents ne sont pas les seules personnes à les influencer. Il y a aussi la pression des pairs et toutes sortes de facteurs qui influent sur leur existence. C'est donc un problème dès le départ. Les enfants sont exposés à toutes sortes d'influences et les infractions sont souvent déclenchées par divers facteurs que l'on peut voir en examinant les études... Par exemple, cette étude aborde la nécessité de mesures de rechange culturellement pertinentes en ce qui concerne les remarques racistes. Si l'on déclare les parents responsables quel que soit le type d'éducation qu'ils ont donné à leur enfant, ils sont totalement impuissants quand on aborde des questions très sérieuses, telles que le racisme, qui sont des facteurs de déclenchement d'infractions.

• 1225

Je vais m'en tenir à cela et je me contenterai de dire qu'on ne peut pas pénaliser tout simplement les parents. S'il y a des parents dans l'existence de ces enfants, quelle que soit la détermination de ces parents, on ne peut pas les criminaliser. Encore une fois, ce n'est pas toujours la faute des parents, si ces parents sont présents auprès de l'enfant.

Le président: Merci beaucoup.

[Français]

Monsieur Saada.

M. Jacques Saada (Brossard—La Prairie, Lib.): Je vais commencer par deux ou trois petits commentaires, puis j'aurai ensuite des questions, si vous me le permettez.

Pour nous mettre dans l'ambiance, je dirai que si j'avais une responsabilité provinciale, je pense que j'examinerais avec beaucoup, beaucoup d'attention la possibilité d'intégrer le ministère de l'Éducation et le ministère de la Famille et de l'Enfance pour donner plus de force à cette intégration nécessaire du dépistage des facteurs criminogènes, du traitement des enfants délinquants et du traitement des problèmes sociaux qui y sont reliés. C'est un peu un rêve, car je ne suis pas en politique provinciale, mais en politique fédérale. Je me demande quels sont les moyens d'intervention à notre disposition, à titre de députés fédéraux, pour convaincre nos collègues des provinces de réfléchir aux choses dont on est convaincus qu'elles sont bonnes.

Comment, par exemple, convaincre l'Ontario? Comme vous le savez, il y a une contribution financière partagée entre le fédéral et le provincial, et l'Ontario récupère, d'après ce qu'on nous a dit, approximativement 80 p. 100 du transfert fédéral pour s'en servir dans le système de garde.

Comment, nous, députés fédéraux responsables de la loi, mais non pas de son administration, pourrions-nous intervenir pour aider nos collègues des provinces à comprendre, comme c'est le cas au Québec? Je suis content que vous en ayez fait la remarque tout à l'heure, parce que c'est exactement la situation. Je suis du Québec, je connais très bien le Québec, j'ai passé des heures à me renseigner sur la question, je suis allé visiter l'établissement où travaille le juge Jasmin et ainsi de suite. Or, je sais ce que vous dites, mais en même temps, je voudrais faire en sorte que ce soit contagieux pour d'autres endroits où ça ne se fait pas encore. Comment pourrais-je intervenir?

M. Pierre Lamarche: Premièrement, de toute évidence, l'expérience de la Loi sur les jeunes contrevenants nous démontre très clairement que ce n'est pas la loi ou l'existence d'une loi qui va entraîner des modifications dans le comportement social. La Loi sur les jeunes contrevenants en est la preuve la plus claire.

Il y a des provinces où toutes les mesures de la Loi sur les jeunes contrevenants ont été utilisées à pleine capacité, ou presque. Il y en a d'autres où on en a fait un usage que je qualifierais de complet. Mais il y a aussi des provinces qui n'ont même pas recours à la Loi sur les jeunes contrevenants dans le sens préconisé par le ministère de la Justice. Pourtant, la loi est là. Mais ça n'a rien changé à la politique ontarienne en matière de délinquance. Je ne comprends pas comment, en changeant la loi, on pense changer les cultures de ces juridictions-là. Je ne pense pas que ça va fonctionner. Selon moi, l'instrument du gouvernement fédéral, c'est le financement, et non pas le recours à des modifications à la loi. Si le financement peut être utilisé pour l'incarcération, les provinces qui y croient vont continuer de l'utiliser à cette fin, mais si le financement ne peut pas être utilisé pour l'incarcération, ou ne peut l'être qu'en partie, les provinces désireuses de toucher leur part du financement fédéral n'auront d'autre choix que d'examiner des solutions de rechange à l'incarcération.

M. Jacques Saada: Vous proposez un financement conditionnel.

M. Pierre Lamarche: Oui, plutôt qu'un changement à la loi.

[Traduction]

Le président: Mme Fitzpatrick voudrait peut-être répondre.

• 1230

[Français]

Mme Erin Fitzpatrick: J'ai travaillé en Ontario pendant de nombreuses années et j'ai vu l'évolution de l'utilisation des paiements de transfert du gouvernement. Ce qui s'est passé par rapport à ces paiements est vraiment tragique, à mon avis. Vous savez qu'il y a eu une grande transformation quant à l'utilisation qu'on fait de l'argent.

Comme je l'ai dit hier, on a adopté des programmes comme Railton House qui utilisent les méthodes psychosociales. Maintenant, comme vous le savez probablement, Mike Harris a implanté une espèce de programme de boot camps calqué sur un programme américain. Ces boot camps américains sont maintenant fermés parce que les recherches et les entrevues auprès de jeunes ont prouvé que le fait de soumettre des enfants à cette sorte de traitement leur était très nuisible.

C'est pourquoi il est très important pour moi, qui suis travailleuse sociale et étudiante en droit, que le projet de loi dont nous discutons aujourd'hui ne soit pas trop discrétionnaire afin que ces boot camps ne puissent se perpétuer. En comparaison, au Québec, on constate que les mesures sociales sont beaucoup plus profitables aux victimes et aux jeunes, de même qu'à la société et à toute la communauté.

[Traduction]

Le président: Jacques, deux autres personnes voudraient intervenir. Vous voulez continuer ou les laisser terminer?

M. Jacques Saada: Ils peuvent peut-être terminer. Je voudrais simplement pouvoir poser deux autres questions.

Le président: Pourquoi ne pas les poser tout de suite, et ensuite nous y reviendrons.

M. Jacques Saada: D'accord.

[Français]

À mon avis, et vous me direz si vous n'êtes pas d'accord, la nouvelle loi proposée amène soit le renforcement, soit l'officialisation, soit la sanction au départ de trois éléments extrêmement importants: le rôle des victimes; l'élimination des audiences préliminaires en vue de déterminer si un jeune va être jugé par tribunal pour adultes; et un renforcement des mesures extrajudiciaires qui étaient permises dans le cadre de la Loi sur les jeunes contrevenants. Cela devient beaucoup plus formel. Cela guide beaucoup plus la cour, par exemple à l'article 37 ou 38, je crois.

Il y a donc, dans ce projet de loi, des choses qui me paraissent être un progrès, non pas de façon dogmatique mais de façon très pratique. Comment les introduiriez-vous dans le système actuel pour que le message à cet égard passe très clairement?

J'ai une dernière question à vous poser, si vous voulez bien me donner une fraction de seconde pour que je me retrouve dans mes papiers. Je m'excuse. Je ne la retrouve pas.

Le président: Monsieur Lacour.

M. Jacques Saada: Voilà, je l'ai.

[Traduction]

Le président: Je suis certain que cela en vaut la peine.

[Français]

M. Jacques Saada: Elle est très importante. Quand on envisage la question du temps et des délais en particulier... Je crois que c'est vous, monsieur Lacour, qui avez fait allusion au fait qu'il est tout à fait inacceptable qu'il s'écoule autant de temps entre le moment où l'infraction est commise et le moment où le jeune subit la décision qui y correspond. Est-ce que, d'après vous, le fait de raccourcir de façon statutaire ces délais serait coercitif pour les provinces? Est-ce qu'elles seraient obligées d'en tenir compte et donc de consacrer à cela les ressources nécessaires?

• 1235

M. Marc Lacour: La première question que vous posez, si je comprends bien, porte sur ce que vous pourriez faire, étant donné vos fonctions et responsabilités, pour améliorer les choses. Vous souhaiteriez amener vos partenaires, c'est-à-dire les provinces, à adhérer à un certain nombre d'enjeux que vous avez identifiés. Vous voudriez toutes les amener à profiter d'un certain nombre d'améliorations en exportant chez elles les expériences vécues, entre autres au Québec, que vous tenez pour intéressantes.

Je vais vous dire qu'essentiellement, il va vous falloir travailler sur les perceptions. Il existe dans le public un problème extraordinaire de perception en ce qui a trait aux adolescents et aux jeunes contrevenants. Cette perception ne correspond pas du tout à la réalité. L'image que les citoyens se font des adolescents ne correspond pas à ce qu'ils sont. Donc, l'image que les citoyens, les décideurs et éventuellement les députés se font des adolescents ne correspond pas à la réalité.

Il y a deux façons de corriger cette perception. L'une d'elles est de faire une information publique objective, moins à sensation, qui ne monte pas en épingle un cas isolé. Il ne s'agit pas de parler d'un adolescent qui a commis un meurtre en Angleterre il y a deux semaines afin d'avoir quelque chose à dire. On exacerbe ainsi le sentiment ou l'image que les jeunes sont violents. Par ailleurs, on sait que, sur l'ensemble des délits qu'ils commettent, il n'y en que moins de 8 p. 100 qui sont des crimes violents, lesquels comprennent les voies de fait simples. On sait aussi que 70 p. 100 et plus des actes violents et des crimes à caractère sexuel sont commis par des adultes. Il y a donc un problème de perception. On a l'impression que nos jeunes sont dangereux. Cette image n'est pas basée sur des faits observables et elle est exacerbée par un traitement médiatique à sensation. On a un problème de perception.

La deuxième façon de corriger ce problème de perception, en plus de travailler sur l'information, serait d'augmenter la rigueur scientifique de l'évaluation des résultats. Dans les centres de recherche et d'enseignement, on a de plus en plus d'outils qui peuvent nous indiquer que telle mesure fonctionne et non pas telle autre. L'incarcération au sens strict ne donne pas de résultats. On n'a jamais pu associer l'incarcération à une diminution de la récidive. Pourquoi aujourd'hui, au Canada, cherche-t-on à en ajouter alors que la démonstration de l'inverse a été largement faite au plan scientifique, même pour les adultes? Le régime pour adultes tente plutôt de se rapprocher du régime pour adolescents parce qu'on se rend compte que ce dernier est plus efficace.

Je vous dis donc deux choses. Dans votre situation, il vous faut travailler sur les perceptions pour inculquer cette culture et cette pensée. On peut y travailler en informant correctement le public et on peut aussi y travailler en s'appuyant sur les résultats de recherches plus objectives qui vont permettre aux gens de dépasser les opinions personnelles et d'accéder à une certaine rigueur scientifique.

Pour ce qui est de la troisième question que vous avez posée en regard des délais, on se rend compte qu'il y a un problème de manque de ressources là où il y a des attentes quant aux suites à donner. Cependant, il y a aussi un problème de mécanisme, judiciaire notamment, qui explique le nombre de reports. Par exemple, la façon dont est découpée la procédure judiciaire entraîne des délais importants.

Dans certaines régions du Québec, on a réussi à certains égards à les réduire de moitié; dans certains cas, on les a fait passer de six mois à trois mois. Nous avons obtenu ces résultats en mobilisant les partenaires, surtout ceux de la justice et de la sécurité publique, qui ont accepté de conclure leur enquête plus rapidement: un procureur qui accepte de voir en priorité les adolescents dans l'analyse de la suffisance de preuves; les avocats de la défense qui acceptent de ne pas trop insister sur les procédures dilatoires pour pouvoir aller au fond de la question. Pour beaucoup, c'est grâce à cette volonté des partenaires de souscrire conjointement à cet objectif, et pas seulement avec de l'argent, que nous avons réussi. À ce moment-là, tous les gens visent le même but, soit l'arrêt du comportement répréhensible, la réparation et l'ajustement du jeune.

Vous me demandez si c'est de compétence fédérale. Je ne le sais pas et je ne suis pas assez compétent pour vous répondre là-dessus. Je peux cependant vous dire qu'il y a à la fois des mécanismes à corriger et des ressources à ajouter là où elles sont requises pour réduire ces délais.

• 1240

Le président: Madame Marie-Claire Leman.

Mme Marie-Claire Leman: Je voudrais ajouter un point ou renforcer votre argument en réponse à la première question concernant l'impression du public. Allouer plus de ressources à la mise en oeuvre et au suivi, pour être sûrs d'avoir des données justes et fiables, nous éviterait de toujours remettre en question la loi et même sa mise en oeuvre.

Sans doute la mise en oeuvre doit-elle être remise en question. Cependant, je pense que même le processus auquel nous participons aujourd'hui n'aide pas l'opinion publique. Quand on se penche sur la loi, on entretient des doutes face à la loi. Chaque fois qu'on veut amender ou changer la loi, on entretient ce cercle vicieux, cette inquiétude qui amène à recommencer les modifications, qui peuvent être plus ou moins positives, selon les points de vue, mais qui, finalement, ne changent pas la mise en oeuvre ou le suivi. C'est peut-être ce qui manque dans le processus.

Pour ce qui est des délais, oui, cela commande une certain nombre de ressources. Il faut aussi faire attention à ce qu'on fait des jeunes pendant ces délais. On parlait tout à l'heure, dans notre présentation, de la détention prédécisionnelle. Je sais que je parlais très vite, mais il me semble très important de ne pas incarcérer des jeunes dans des milieux carcéraux qui vont avoir un effet nocif sur eux.

Il peut arriver qu'un délai soit inévitable à cause de l'achalandage des cours, mais il faut faire attention à la façon dont on traite le jeune individu pendant ce délai afin de ne pas empirer sa situation.

Le président: Monsieur Dumais.

M. Jacques Dumais: En ce qui a trait aux trois facteurs qui vous préoccupent, c'est-à-dire la victime, les mesures extrajudiciaires et les délais, ainsi qu'à l'étude sur le renvoi, je pense que cela se fait déjà à plusieurs endroits en vertu de la loi actuelle.

Ainsi, à propos de la victime, lorsqu'on nous demande de faire un rapport prédécisionnel, on nous demande d'obtenir l'avis de la victime, ce qui est de plus en plus pratiqué, mais cela est peut-être trop discrétionnaire. Peut-être doit-on rendre encore plus présente la préoccupation qu'on a de la victime, tant dans le travail des policiers que dans celui des intervenants sociaux. Il s'agirait peut-être d'apporter un amendement à la loi actuelle pour la rendre plus contraignante vis-à-vis de la préoccupation des victimes.

Quant aux mesures extrajudiciaires, les mesures de rechange existent déjà dans le cadre de la loi actuelle, mais on les a laissées à la discrétion des provinces. Si on veut qu'elles soient appliquées davantage au Canada, il faudrait peut-être les rendre un peu moins discrétionnaires et faire en sorte qu'elles deviennent obligatoires. Mais on n'a pas besoin de changer la loi pour cela. Qu'on amende la loi actuelle si on veut prendre cette voie et rendre obligatoires les mesures extrajudiciaires.

Je vais revenir sur le débat par rapport au renvoi. On a souvent dit qu'il fallait un grand débat coûteux avant de décider si on allait appliquer les mesures du système adulte ou celles du niveau juvénile. Mais avec la loi proposée, il va y avoir des débats encore plus longs. Est-ce une plainte qui porte sur de la violence ou non? Ensuite, si le jeune est reconnu coupable, va-t-on appliquer une peine pour adulte ou non? Il va y avoir des débats tout aussi longs, sinon plus longs, qu'en vertu de la loi actuelle, des débats sur le type de délit et sur le type de sentence qu'on doit imposer une fois la culpabilité reconnue.

Je pense que le projet de loi tel qu'il est n'éliminera pas les délais de l'ancien mécanisme de renvoi. Également, les délais ne se produisent pas seulement dans le système judiciaire. Le rapport Jasmin nous demandait d'être plus efficaces au Québec. Il demandait aux policiers d'être plus efficaces dans le traitement des plaintes; il demandait aux procureurs d'être plus efficaces dans l'évaluation de la preuve; et il demandait aux intervenants et travailleurs sociaux d'être plus efficaces quand ils recevaient une demande du procureur. Il va sans dire qu'une grande partie du problème est imputable aux ressources financières insuffisantes dont disposent chacun de ces acteurs. Des ressources financières plus importantes nous permettraient de réduire grandement les délais à chacune de ces étapes-là.

• 1245

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup.

Mme Fitzpatrick voudrait reprendre la parole et ensuite nous passerons à M. Cadman.

Nous avons de la chance que vous vous soyez souvenu de cette question, monsieur Saada.

Mme Erin Fitzpatrick: Pour répondre à votre troisième remarque, je voudrais souligner qu'en Ontario de nombreux jeunes sont détenus dans des prisons à sécurité maximale pour adultes. Il n'est pas étonnant que l'on ne s'occupe absolument pas des problèmes de santé mentale et des difficultés psychosociales de beaucoup de ces jeunes. On les place parfois dans ces établissements parce qu'il n'y a pas d'autre endroit où les mettre.

C'est pourquoi notre Comité sur les enfants, les adolescents et la loi approuve les paragraphes 29(1) et 29(2) du projet de loi. Nous craignons néanmoins que cette restriction ne soit sapée par le passage qui suit immédiatement, à savoir:

    sauf s'il existe une probabilité marquée que l'adolescent, s'il est mis en liberté, commettra une infraction ou nuira à l'administration de la justice.

Nous craignons que cette disposition ne soit un moyen de passer outre à ces paragraphes.

Le président: Monsieur Cadman.

M. Chuck Cadman: Je voudrais revenir sur la question de la responsabilité parentale. Je ne vois pas où dans le projet de loi nous essayons de légiférer sur la responsabilité qu'ont les parents d'inculquer de bonnes valeurs à leurs enfants. Le seul endroit où il pourrait en être question, c'est à l'article 138, où il est question d'omettre sciemment de se conformer à une ordonnance du tribunal.

J'aimerais savoir pourquoi vous refusez cela. Il s'agit là d'une omission délibérée de respecter une ordonnance du tribunal alors qu'il s'agit tout simplement de signer un engagement à surveiller les conditions dans lesquelles s'effectue la libération sous condition ou la mise en liberté provisoire. Je voudrais savoir pourquoi vous vous êtes opposés à cette disposition, puisque vous dites que vous n'êtes pas d'accord pour qu'on criminalise les parents.

Mme Erin Fitzpatrick: Comme l'ont dit nos collègues ici, nous sommes globalement contre un accroissement de la criminalisation car—et je crois que nous sommes tous d'accord là-dessus—reconnaître les infractions, c'est plus vaste que reconnaître l'infraction.

Pour en venir plus précisément à la question de la criminalisation des parents, encore une fois, un crime, ce n'est pas simplement un crime, mais c'est quelque chose de plus vaste. Il faut examiner la responsabilité des parents au cas par cas. Les enfants n'ont malheureusement pas tous des parents affectueux capables de leur apporter ce genre d'appui.

M. Chuck Cadman: Si vous me permettez d'intervenir, pourquoi dans ces conditions signeraient-ils un engagement auprès du tribunal à surveiller cette mise en liberté?

Mme Erin Fitzpatrick: Peut-être qu'ils sont intimidés par les tribunaux, ce qui est le cas de beaucoup de gens. Peut-être signent-ils sous la contrainte. Ils n'ont peut-être pas accès à la justice, tout comme bien des gens dans notre pays. Ils se sentent peut-être obligés de signer. Ils ont peut-être l'impression que les répercussions seront pires s'ils ne signent pas. Ils ne comprennent peut-être pas bien ce qu'ils signent. Vous savez, les gens ont d'innombrables raisons de se sentir contraints de signer un document juridique quand ils sont dans un contexte judiciaire qui peut être très intimidant.

Je pourrais vous donner bien d'autres raisons pour lesquelles ils se sentent obligés de signer. Le texte n'est peut-être pas rédigé dans leur langue. Ils n'ont pas forcément un traducteur à leur disposition. Ils n'ont pas forcément eu les conseils juridiques nécessaires avant de signer. Ils ont peut-être l'impression que cela va aider leur enfant. Ils pensent peut-être qu'ils vont avoir encore plus de problèmes. Ils ont peur de perdre leur emploi, d'être dénigrés dans leur collectivité, ce genre de chose.

M. Chuck Cadman: À propos de ces autres raisons, le seul cas où il y aurait criminalisation, c'est celui où ces personnes omettraient sciemment de se conformer à l'engagement; et non le cas où il y aurait une simple négligence.

Mme Erin Fitzpatrick: Pour répondre à cela, les étudiants en droit et les gens qui connaissent le droit sont bien au courant de la distinction entre le fait d'omettre sciemment de se conformer et le fait d'omettre simplement de se conformer. Le terme «sciemment» implique que l'on connaisse la loi. Le simple citoyen n'est pas au courant de cette distinction et va avoir besoin...

M. Chuck Cadman: L'ignorance est une excuse...

Le président: Deux autres députés voudraient intervenir. Il nous reste environ cinq minutes. Je sais que M. Dumais et Mme Leman veulent intervenir sur ce point.

Pourriez-vous terminer très vite pour permettre à M. McKay et à M. Maloney de s'exprimer aussi?

• 1250

[Français]

M. Jacques Dumais: Je crois que vous avez raison de dire que la loi ne fait pas état de la criminalisation d'un parent qui n'est pas compétent. On y parle plutôt de non-conformité à un ordre de la cour ou à un engagement qu'il avait pris devant la cour.

Le criminaliser parce qu'il n'a pas joué son rôle nous apporterait-il quelque chose de plus? Deviendrait-il un meilleur parent pour autant? Nous ne croyons pas que cela puisse permettre à l'enfant d'obtenir l'aide dont il a besoin. On ne ferait que sanctionner le mauvais comportement d'un parent. Cela n'apporterait pas grand-chose de plus à l'adolescent.

[Traduction]

Le président: Madame Leman.

Mme Marie-Claire Leman: Je voudrais ajouter aussi, à propos des remarques qui ont précédé au sujet de la participation des parents, qu'il ne faut pas aborder la question d'un point de vue judiciaire uniquement, mais aussi tenir compte de la participation qu'on attend d'eux lorsqu'on rend la décision, autrement dit il faut veiller à ce que la décision soit adaptée au jeune en question, sous la surveillance de ses parents naturellement, mais sans que l'essentiel du poids de la responsabilité incombe simplement aux parents. En dehors de cela, j'accepte sans réserve ce que vous avez dit à propos de ce terme «sciemment». Si les parents ne le font pas sciemment, ils ne seront pas criminalisés, et ils sont donc dans une certaine mesure protégés par ce terme. Je crois qu'il faut avoir une vision plus vaste des choses.

Le président: Merci beaucoup.

La parole est à M. McKay, suivi de M. Maloney.

M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Merci, monsieur le président. Ma question s'adresse à M. Lamarche.

Vous avez parlé de différences statistiques. Je voudrais vous interroger à ce sujet, car vos conclusions sont fonction de vos données de départ.

Je sais bien que le taux de mise en accusation au Québec est nettement inférieur à ce qu'il est dans ce qu'on appelle «le reste du Canada». Toutefois, le taux de criminalité est-il différent au Québec? Y a-t-il des statistiques sur la récidive qui montrent que le régime appliqué au Québec donne de meilleurs résultats que celui de l'Ontario par exemple?

Ma deuxième question est plus intuitive. On aurait tendance à penser que, si le régime du Québec est effectivement supérieur, comme le pense dans l'ensemble nos témoins, les statistiques de criminalité chez les adultes au Québec devraient aussi être très différentes de ce qu'elles sont pour le reste du Canada.

Ma dernière question porte sur les Autochtones du Québec. Les Cris occupent environ la moitié de la superficie du Québec, mais je sais qu'il y a d'autres groupes autochtones chez vous. Y a-t-il des différences importantes dans le traitement réservé aux Autochtones dans le système pour adolescents québécois par rapport à celui du reste du Canada?

M. Pierre Lamarche: Je vais tenter de répondre au mieux de mes connaissances.

Vous avez d'abord parlé du taux de criminalité. Je ne l'ai pas apporté avec moi, mais une organisation appelée Observatoire Jeunes et Société, une organisation universitaire du Québec, vient de publier un rapport sur la criminalité. Leurs conclusions sont à la fois positives et négatives.

Il semble, par exemple, que le taux de violence est inférieur au Québec à ce qu'il est dans les autres provinces; je vous ferai parvenir un résumé de cette étude, si vous le souhaitez. Par contre—et voilà pourquoi je veux intervenir depuis le début—, bien des enfants souffrent au Québec, et nous ne prétendons nullement que notre système est parfait et que les autres devraient l'adopter tel quel.

• 1255

Cette étude nous a permis d'apprendre que les enfants du Québec ont tendance à intérioriser leur souffrance plutôt que de la traduire en actes violents. Cela pourrait expliquer le taux élevé de suicide. Ce pourrait être une raison que nous ignorons. Il s'agit ici de comportement humain, un sujet très complexe. Comme je l'ai dit, il semble donc que les enfants québécois ont tendance à intérioriser leur souffrance plutôt qu'à l'extérioriser en passant à l'acte. Le taux de violence général est peut-être inférieur, mais ce n'est pas là une donnée concluante; en fait, elle semble plutôt en contredire d'autres.

Je n'ai pas les taux de récidive. Je ne suis pas certain que nous les ayons. Si vous le souhaitez, je pourrais faire des recherches et transmettre au président ces données. Elles sont peut-être disponibles, mais je devrai vérifier à mon retour.

En ce qui a trait aux Autochtones, j'estime personnellement que nous accusons un certain retard par rapport aux autres provinces pour ce qui est d'aider les collectivités autochtones à se donner des systèmes compatibles avec leur culture. Il y a eu des expériences dans la région de La Tuque, avec les Atikamekw, ainsi qu'avec les Cris dans le Nord, mais jusqu'à présent, c'est une orientation...

N'oubliez pas que c'est le directeur provincial qui assume les responsabilités relatives à la protection de la jeunesse. À l'heure actuelle, comme on le fait à Kahnewake, on tend plutôt à négocier un ensemble de services que la collectivité dispense elle-même en fonction de ses propres valeurs et cultures; les Blancs n'ont ainsi plus à assumer les problèmes des réserves.

Le président: Merci beaucoup. John.

M. John McKay: Je voulais vous poser une question complémentaire sur le passage du système pour adolescents à celui pour adultes. S'il est vrai que votre façon de traiter les jeunes contrevenants est la meilleure, on pourrait s'attendre à ce que cela se traduise dans les taux de criminalité chez les adultes. Savez-vous si tel est le cas?

M. Pierre Lamarche: Je n'ai jamais fait la comparaison, mais je dirais que c'est risqué. Vous ne pouvez tenir pour acquis que tous les criminels adultes sont passés par le système pour les adolescents. Je ferai une recherche pour voir si nous avons des données là-dessus et, s'il y en a, je vous les ferai parvenir.

Le président: Nous vous en savons gré.

M. Maloney sera le dernier intervenant.

M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.): Merci, monsieur le président.

Monsieur Lamarche, j'essaie de comprendre pourquoi vous estimez que davantage de peines comportant le placement sous garde seront imposées aux jeunes aux termes du projet de loi C-3. Le projet de loi met l'accent sur les mesures de réadaptation et les mesures de rechange. De plus, l'article 38 prévoit dans quelles conditions les peines de placement sous garde peuvent être imposées par un juge. Pourriez-vous m'expliquer pourquoi vous êtes de cet avis?

M. Pierre Lamarche: Je crois que M. Dumais serait mieux en mesure de répondre à votre question.

M. John Maloney: Merci.

[Français]

M. Jacques Dumais: Il va sans dire que nous ne faisions pas allusion à une augmentation du nombre de mises sous garde, mais plutôt à une durée prolongée des mises sous garde ou à des peines pour adultes qui feraient en sorte que les jeunes demeureraient plus longtemps dans nos centres de réadaptation pour mineurs. Nous craignons que l'application du projet de loi se traduise non pas par une augmentation du nombre de jeunes, mais par une augmentation de la durée des sentences.

Il est évident que les mesures communautaires continueront d'être appliquées. On parle dans ce document de mesures extrajudiciaires et de probation intensive. Il est actuellement possible d'avoir recours à toutes ces mesures.

• 1300

[Traduction]

M. John Maloney: Aux termes de la loi actuelle, si on vous inflige une peine de quatre ans, vous purgez quatre ans. Toutefois, si on vous inflige une peine pour adultes de quatre ans, votre période d'incarcération sera moindre. N'est-il donc pas possible que les adolescents qui se voient imposer une peine pour adultes passent moins de temps en détention?

[Français]

M. Jacques Dumais: Nous ferions face à des problèmes si nous regroupions dans la même unité ou dans le même centre de réadaptation des jeunes qui purgeraient une sentence pour adultes et bénéficieraient de procédures prévues pour les adultes telles que la libération conditionnelle, et d'autres jeunes qui purgeraient une sentence pour mineur puisqu'on aurait invoqué dans leur cas la Loi sur les jeunes contrevenants. Ces derniers n'auraient pas droit à ce mécanisme de libération avant terme puisqu'il ne s'applique pas lorsqu'il y a mise sous garde en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants. Au plan administratif, nous ferions face à de sérieux problèmes.

Nous craindrions une sorte de contamination. Le jeune qui a purgé une peine dans le système pour adultes ou qui a d'abord passé un certain temps dans le réseau juvénile et qui a par la suite continué à purger sa peine dans un pénitencier pourrait devenir une espèce de caïd. Ce serait une perte de temps que de travailler auprès d'un jeune dans le secteur juvénile si on devait par la suite l'envoyer dans le secteur adulte.

Il est possible que la sentence pour adulte que reçoit un jeune soit plus courte puisqu'il peut bénéficier d'une libération conditionnelle. Ce sera un joli problème que d'administrer ce genre de décision.

Le président: Monsieur Lacour.

M. Marc Lacour: Monsieur le président, il est étonnant qu'à l'heure actuelle, on ait souvent recours aux procédures de renvoi prévues dans la Loi sur les jeunes contrevenants à la demande de l'adolescent lui-même, puisqu'il sait que la sentence qui lui est donnée dans le système adulte lui permettra peut-être d'être incarcéré beaucoup moins longtemps, et peut-être même d'être libéré au sixième de la sentence. Cela illustre bien le fait qu'il serait très difficile de faire cohabiter ces deux clientèles.

Le président: Merci beaucoup.

[Traduction]

Le fait que j'aie eu du mal à gérer le temps alloué à chaque intervention témoigne de l'énergie que vous avez apportée au débat. Je vous en remercie.

Aux fins du compte rendu, j'aimerais remercier sincèrement les témoins et plus particulièrement les représentantes du Comité sur les enfants, les adolescents et la loi de l'université McGill, Mmes Fitzpatrick et Leman, ainsi que Vesna Guzina, Zorica Guzina, Anna Loparco, Juliette Nicolet, Megan Stpehens, Matt de Vlieger et Eric Ward, qui ont participé à la rédaction du mémoire. Merci beaucoup aux autres témoins. Vous nous avez beaucoup aidés dans nos délibérations.

Je remercie aussi les députés de leur patience.

[Français]

Merci beaucoup.

La séance est levée.