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FINA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FINANCE

COMITÉ PERMANENT DES FINANCES

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 26 mai 1999

• 1534

[Traduction]

Le président (M. Maurizio Bevilacqua (Vaughan—King—Aurora, Lib.)): Je vais ouvrir la séance et souhaiter la bienvenue à tous ceux qui sont ici cet après-midi. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous étudions le Rapport sur la politique monétaire de la Banque du Canada, daté du 19 mai 1999.

J'aimerais profiter de cette occasion pour remercier le gouverneur Thiessen et le sous-gouverneur, M. Freedman, qui ont accepté de se mettre à notre disposition. Nous écoutons toujours vos observations avec le plus grand intérêt.

Vous avez comparu devant notre comité à plusieurs reprises et vous savez que vous disposez d'environ 10 ou 15 minutes pour votre déclaration d'ouverture, après quoi nous vous poserons des questions.

Merci, gouverneur.

• 1535

M. Gordon Thiessen (gouverneur, Banque du Canada): Merci beaucoup, monsieur le président, membres du comité. C'est toujours avec plaisir que je me présente devant vous après la parution d'un nouveau Rapport sur la politique monétaire.

En effet, nous avons publié notre neuvième rapport mercredi dernier. Il y a maintenant quatre ans que la Banque du Canada publie tous les six mois ce rapport dans le cadre des efforts qu'elle déploie pour améliorer la transparence de ses mesures de politique monétaire et mieux rendre compte de ses actions à ce chapitre.

[Français]

Chaque livraison du Rapport sur la politique monétaire met surtout l'accent sur les résultats qu'obtient le Canada au chapitre de l'inflation. Mais la maîtrise de l'inflation n'est pas une fin en soi. La politique monétaire a pour objectif de favoriser la création et le maintien d'un climat monétaire propice à la bonne tenue de l'économie, à une forte croissance de l'activité et de l'emploi, et à la prospérité des Canadiens et Canadiennes.

La banque croit fermement que la meilleure contribution que la politique monétaire puisse faire pour que l'économie connaisse une expansion durable est de maintenir l'inflation à un niveau bas et stable. De fait, le taux d'inflation bas et stable que notre pays affiche depuis quelques années a certainement aidé notre économie à traverser des moments difficiles. Je suis heureux de pouvoir dire également que le système financier mondial est beaucoup plus calme qu'il ne l'était il y a six mois, lors de mon dernier passage devant vous.

Le choc dû à la crise financière qui s'est déclenchée en Asie du Sud-Est il y a presque deux ans a été aggravé en août dernier par la décision de la Russie de suspendre les paiements sur sa dette extérieure. Les turbulences que cette situation a créées se sont maintenant beaucoup estompées, et les investisseurs reprennent confiance.

Par conséquent, les perspectives de l'économie mondiale sont bien plus encourageantes maintenant qu'elles ne l'étaient en novembre dernier. Les marchés financiers se sont stabilisés en Asie du Sud-Est, et les chances d'une reprise graduelle dans cette région du monde sont bonnes.

Au Brésil, les autorités ont adopté un train de mesures importantes pour résoudre leurs problèmes. Dans l'ensemble, les marchés financiers mondiaux sont mieux à même d'évaluer les risques. Les réductions de taux opérées par les banques centrales de tous les grands pays ont contribué à restaurer la confiance des investisseurs.

Mais ce qui importe plus encore pour le Canada, c'est le dynamisme de l'économie américaine. L'expansion aux États-Unis continue de dépasser les prévisions et, jusqu'à maintenant, il n'y a pas de signe évident de pressions inflationnistes. Toutefois, beaucoup d'incertitude continue d'entourer l'évolution de la situation internationale, étant donné la disparité entre la tenue économique des grands pays. Le Japon est toujours en récession, et l'activité se ralentit en Europe. À cause de cela, nous ne prévoyons qu'un léger raffermissement des prix des produits de base cette année.

[Traduction]

Au Canada, les exportations ont été le moteur de l'expansion ces derniers temps. La robustesse de la demande américaine, la faiblesse relative du dollar canadien et la plus grande compétitivité des manufacturiers canadiens nous permettent de réaliser de très bonnes ventes aux États-Unis.

Mais nous nous attendons maintenant à un accroissement de la dépense des ménages et des entreprises au Canada même. Nous croyons que le regain de confiance des entreprises et des consommateurs que nous avons pu observer au cours des derniers mois, l'amélioration de la situation de l'emploi et les baisses récentes des taux d'intérêt aideront à soutenir la dépense intérieure.

• 1540

Plus précisément, nous avons, à la Banque, majoré nos prévisions au sujet de la croissance de l'économie canadienne en 1999 par rapport à celles que nous formulions il y a six mois. Nous pensons maintenant que cette croissance se situera dans une fourchette de 2 3/4 à 3 3/4 p. 100. La largeur de cette fourchette est attribuable à l'incertitude entourant la situation internationale que j'ai signalée tout à l'heure. Nos prévisions les plus élevées dépassent nettement les plus récentes projections sur lesquelles s'entendent en général les prévisionnistes du secteur privé. Si l'expansion économique atteint vraiment 3 3/4 p. 100, c'est que la bonne tenue du Canada au chapitre des prix et des coûts aura donné lieu à une augmentation plus vive des exportations et à une plus grande substitution des importations par des produits fabriqués chez nous. L'expansion de l'économie canadienne devrait se poursuivre sensiblement au même rythme en l'an 2000.

Sur la foi de ces prévisions, nous estimons que l'inflation tendancielle devrait s'accélérer quelque peu au cours des dix-huit prochains mois, mais se maintenir dans la moitié inférieure de la fourchette de la maîtrise de l'inflation de l à 3 p. 100 que vise la Banque. On croit de plus en plus, tant au pays qu'à l'étranger, que le taux d'inflation va rester bas au Canada.

Une autre source d'incertitude à l'heure actuelle pour la Banque concerne les estimations de la marge de capacités inutilisées au sein de l'économie. Selon nos méthodes de calcul traditionnelles, les capacités excédentaires actuelles seront entièrement absorbées au deuxième semestre de l'an prochain si l'activité croît au rythme prévu.

Toutefois, notre économie a subi des changements importants durant les années 90, de sorte que les estimations traditionnelles de la marge de capacités inutilisées pourraient ne plus être exactes. C'est pourquoi la Banque du Canada accordera une importance accrue à un ensemble d'indicateurs pour évaluer le degré des pressions qui s'exercent sur l'appareil de production. Je pense notamment à l'évolution effective de l'inflation par rapport au taux attendu, à l'expansion de la monnaie et du crédit, aux pressions sur les salaires, aux signes de goulots d'étranglement du côté de l'offre et aux renseignements que nos représentants régionaux obtiennent de leurs contacts.

Nous ne saurons pas dans quelle mesure l'économie canadienne a changé tant que ses capacités de production n'auront pas été soumises à plus de pressions. Si la confiance des Canadiens à l'égard du maintien de l'inflation à de bas niveaux procure à la politique monétaire une plus grande latitude pour composer avec les pressions de la demande susceptibles d'éprouver les limites des capacités de production de notre économie, il reste que la Banque devra surveiller avec beaucoup d'attention les indicateurs que je viens de mentionner. Nous ne devons pas compromettre le bas taux d'inflation et les bas taux d'intérêt que nous avons réussi à atteindre au Canada.

Merci beaucoup, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur le gouverneur.

Nous allons maintenant passer aux questions et commencer par M. Epp.

M. Ken Epp (Elk Island, Réf.): Merci, monsieur le président, merci, monsieur le gouverneur. C'est bien ainsi qu'on doit vous appeler? Je tiens à être politiquement correct.

À mon avis, vous avez un travail qui n'est pas facile, et j'apprécie beaucoup ce que vous faites. J'ai plusieurs questions à vous poser.

Vous avez dit que vous aviez un objectif—je sais que vous le fixez en coopération avec le gouvernement et le ministre des Finances—, que vous aimeriez maintenir l'inflation aux alentours de 1 à 3 p. 100 et que vous vous attendez, pour cette année, à quelque chose comme 2 p. 100 ou moins. À votre avis, quels ont été les effets de cette politique?

Mais avant que vous ne répondiez, je veux revenir en arrière. Si je réfléchis au passé, et je suis suffisamment vieux maintenant pour avoir derrière moi un peu d'histoire, pendant les années où nous avons eu pas mal d'inflation, il y avait pas mal de prospérité. Les étudiants pouvaient faire toutes leurs études sans s'endetter; les jeunes achetaient des maisons en se disant que l'inflation leur permettrait des les payer plus rapidement. En fait, c'était de la spéculation, mais il me semble que tous ces facteurs ont dû stimuler l'activité économique à cause de tous ces gens qui entreprenaient des choses, justement parce qu'ils s'attendaient à une certaine inflation.

• 1545

De nos jours, il n'y a pratiquement plus d'inflation. Ne pensez-vous pas que cela étouffe l'économie, car les gens doivent y penser à deux fois avant de s'endetter pour faire leurs études, pour acheter une maison ou pour se lancer dans une petite entreprise?

M. Gordon Thiessen: En fait, cette prospérité que nous avons vue pendant certaines périodes ne durait jamais, et d'ailleurs, c'était une fausse impression, c'était une prospérité qui n'existait pas vraiment, je vous assure. Les gens empruntaient de vastes sommes d'argent et, inévitablement, lorsque toutes les distorsions et les excès ainsi provoqués devenaient extrêmes, nous finissions par une période de récession grave. C'est ce qui s'est produit pendant les années 70, et cela nous a conduits à une récession en 1980-1981. Cela s'est produit de nouveau pendant les années 80, et cela a provoqué une récession au début des années 90. Ce genre de prospérité n'est jamais durable. En fait, les gens s'y laissent prendre, mais ça ne fonctionne jamais très longtemps.

M. Ken Epp: Je considère la situation actuelle, et je vois que même dans votre rapport vous dites que nous avons été quelque peu protégés des vicissitudes qui existent dans d'autres pays à cause de notre faible dollar qui favorise l'exportation. Aujourd'hui, vous prévoyez même que les produits canadiens vont mieux se vendre sur les marchés canadiens parce qu'ils font une concurrence efficace aux produits importés à cause de la déflation du dollar. Ce genre de chose ne correspond non plus à la réalité économique, c'est uniquement une fonction de la valeur de notre dollar. En quoi cela est-il différent de l'inflation, une autre mesure de la valeur du dollar?

M. Gordon Thiessen: Mais une mesure très différente. La situation récente a été provoquée par une baisse considérable du prix des produits au taux préférentiel que nous exportons. En fait, comparés à ceux du début de 1997, les prix sont tombés de 20 p. 100 à la fin de 1998, et ce que nous voyons, c'est la réaction du dollar à cette baisse. À cause de cela, les gens tournent le dos au secteur primaire, où les prix sont extrêmement faibles et non viables, pour se lancer dans le secteur manufacturier, où il est possible de compenser la baisse des exportations de produits de base. C'est exactement le résultat que nous devons rechercher. Cela aide à maintenir le taux d'emploi et de production, c'est un résultat très souhaitable.

C'est ce que fait un taux de change flottant. Lorsqu'il y a une mauvaise surprise comme nous en avons connue dans le secteur des produits, c'est ce qui permet de s'adapter, ce qui permet aux personnes, aux capitaux et aux ressources de passer du secteur des produits primaires à celui de la fabrication.

M. Charles Freedman (sous-gouverneur de la Banque du Canada): Monsieur Epp, peut-être puis-je ajouter une chose si vous voulez parler de l'histoire. La meilleure période de l'après-guerre au Canada et aux États-Unis se situe dans les années 50 et au début des années 60, période pendant laquelle l'inflation a été assez semblable à ce que nous avons vu ces derniers temps. La productivité a beaucoup augmenté, le chômage était faible et nous avons connu une croissance continuelle au cours de toute cette période. Les problèmes ont commencé avec le cycle d'expansion et de ralentissement de l'économie et l'inflation. Ce qui est fascinant aux États-Unis, c'est puisque les Américains ont maintenu l'inflation à un taux beaucoup plus faible, il semble qu'ils se remettent sur la voie d'une productivité accrue et d'un chômage plus faible. Quand on parle de ce que nous aimerions que soit notre économie, c'est le modèle que nous aimerions pouvoir copier.

M. Ken Epp: Dans votre rapport, vous dites vous attendre à ce que l'économie du Canada se maintienne grâce à un marché de l'exportation vigoureux. En fait, les dernières années démontrent que vous avez plus ou moins raison.

À l'interne, cela ne nous aide pas cependant. En fait, nous connaissons un très faible taux d'inflation et nous voyons les salaires augmenter très, très lentement. L'économie à mon avis semble en stagnation. Je me demande ce que nous pouvons faire pour stimuler l'économie afin qu'elle démarre vraiment.

• 1550

M. Gordon Thiessen: Je dirais que nous nous sommes extrêmement bien tirés d'affaire compte tenu du fait que nous avons eu cette mauvaise surprise sous la forme de la crise financière en Asie. Compte tenu de la façon dont nous nous sommes tirés de cette crise externe qui échappait tout à fait à notre contrôle, et compte tenu du fait que l'économie a connu l'an dernier un taux de croissance de 3 p. 100 et nous semble vouloir continuer et atteindre plus de 3 p. 100 cette année et l'an prochain, il me semble que nous nous sommes bien tirés d'affaire.

En fait, je dirais que la situation s'est améliorée considérablement, comparativement à l'an dernier et à l'année d'avant, et notre capacité d'exportation est vraiment essentielle à notre rendement économique. Nous sommes un petit pays. Nous sommes ouverts sur le monde. Nous devons pouvoir exporter.

Nous disons également dans le rapport que nous prévoyons une augmentation des dépenses intérieures au cours de la prochaine année. Nous prévoyons une reprise des dépenses de consommation et nous pensons que les dépenses d'investissement des entreprises reprendront, ce qui devrait nous donner une économie mieux équilibrée puisque le secteur de l'exportation aussi bien que le secteur intérieur connaîtront une croissance plus rapide qu'auparavant. Je pense qu'il faut s'en réjouir.

M. Ken Epp: Dans votre déclaration d'aujourd'hui, vous dites à la page 3, vers la fin du deuxième paragraphe: «Je pense notamment à l'évolution effective de l'inflation par rapport aux taux attendus...». Ce qui exerce des pressions sur la production. Ensuite vous continuez en disant: «À l'expansion de la monnaie et du crédit...». J'aimerais savoir si vous envisagez augmenter la masse monétaire.

À mon avis, une augmentation du crédit signifie une augmentation du fardeau de la dette, ce que nous considérons, pour la plupart, comme un boulet qui entrave l'économie car plus lourd est le fardeau de la dette, plus on doit payer d'intérêt et plus cela empêche la croissance de l'économie.

M. Gordon Thiessen: Il faut un certain montant d'endettement pour assurer le bon fonctionnement de l'économie. C'est le mécanisme de transfert des épargnes des épargnants aux investisseurs et aux emprunteurs qui veulent dépenser. Il en faut donc.

Il est question ici de surveiller les taux de croissance qui commencent à nous inquiéter parce qu'ils sont excessifs et parce qu'ils pourraient être des indicateurs de l'inflation à venir. Voilà de quoi il est question ici.

C'est dire que nous nageons un peu dans l'incertitude. Nous pensons que l'économie va se rapprocher l'an prochain du niveau de pleine capacité, mais nous ne savons pas exactement ce qu'est ce niveau. Nous voulons donc faire preuve de prudence. Nous voulons nous assurer que l'économie a le jeu nécessaire pour atteindre son plein potentiel, mais nous ne voulons pas nous retrouver dans les excès inflationnistes des années 70 et 80.

Nous soulignons donc que nous devons surveiller un grand nombre d'indicateurs tels que l'expansion de la monnaie et du crédit. Si cette croissance devait sembler excessive, c'est peut- être un des indicateurs qui nous donnerait un petit avertissement que les choses vont peut-être un peu trop vite et qu'une expansion un peu plus lente serait plus durable.

M. Ken Epp: Vous n'avez pas l'intention pour l'instant de modifier l'objectif que vous vous êtes fixé en ce qui concerne le taux d'inflation.

M. Gordon Thiessen: Non. Essentiellement, nous nous sommes entendus avec le ministre des Finances et le gouvernement que nous allions continuer à viser un objectif de 1 à 3 p. 100 et ce jusqu'à la fin de l'an 2001, puis à ce moment-là auquel nous réévaluerons la situation et nous nous demanderons s'il y a lieu de faire les choses différemment à l'avenir.

Le président: Merci, monsieur Epp.

[Français]

Monsieur Loubier.

M. Yvan Loubier (Saint-Hyacinthe—Bagot, BQ): Monsieur Thiessen, cela me toujours plaisir de vous rencontrer, bien qu'on puisse vous reprocher la même chose chaque année, et cette année plus que jamais. J'ai l'impression que vous regardez l'évolution de l'économie canadienne par l'entremise de lunettes un peu trop roses à mon goût.

Vous dites que d'ici l'an prochain, la capacité excédentaire de production sera probablement inexistante et qu'il y a peut-être un problème de calcul. De toute façon, on semble se diriger vers ce qu'on appelle la pleine utilisation de la capacité de production. Vous dites que vous devez maintenir la fourchette inflationniste dans la borne inférieure, soit entre 1 et 3 p. 100. Pour faire cela, vous serez obligé d'augmenter les taux d'intérêt l'année prochaine. Si la capacité excédentaire de production est inexistante ou presque inexistante, des pressions vont se faire sur les prix et vous serez obligé d'intervenir par l'entremise de taux d'intérêt élevés. Ce faisant, vous allez compromettre les investissements qui seraient nécessaires pour augmenter cette capacité de production et pour nous permettre d'assurer une pleine croissance de la production et de l'emploi.

• 1555

À tous les deux ou trois ans, on peut vous reprocher exactement la même chose: vous appliquez une médecine de cheval pour contrôler à tout prix l'inflation. M. Freedman nous disait qu'il aimerait bien qu'on importe ici le modèle des États-Unis, où il y a croissance de la productivité, des investissements et de l'emploi, mais ce n'est pas de cette façon qu'on va importer le modèle américain.

Aux États-Unis, on accepte un certain niveau d'inflation, un niveau supérieur à celui du Canada, mais en contrepartie, la capacité de création d'emplois et d'investissement est beaucoup plus grande aux États-Unis qu'elle ne l'est ici. J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet, parce que c'est un peu fatiguant de vous entendre présenter tous les ans, chaque fois que vous comparaissez, des perspectives économiques qui semblent correctes, mais qui sont contredites dans votre analyse et qui, au bout du compte, nuisent à l'économie canadienne.

M. Gordon Thiessen: Je ne suis pas d'accord sur l'explication que vous avez donnée. Je crois que la différence entre le Canada et les États-Unis n'est pas très grande. Le taux d'inflation actuel aux États-Unis est de quelque 2,5 p. 100 ou, si on regarde la tendance, de 2,2 p. 100. Il n'y a pas une grande différence entre le Canada et les États-Unis.

M. Yvan Loubier: Du simple au double, monsieur le gouverneur.

M. Gordon Thiessen: Mais il y a une différence, bien qu'elle ne soit pas significative, au niveau du calcul entre les deux pays. Je crois que la différence entre le Canada et les États-Unis réside dans le fait que les produits de base sont beaucoup plus importants pour nous qu'ils ne le sont aux États-Unis. Nous avons été frappés durement par la chute des prix des produits de base. C'est cela, la différence entre les deux économies.

M. Yvan Loubier: Il y a une autre différence, monsieur le gouverneur. Notre dollar est sous la barre des 70c. et il descend en moyenne de 1c. par année depuis 30 ans. C'est un signe de problèmes de productivité terribles dans les entreprises canadiennes. D'ailleurs, le ministre de l'Industrie et même le ministre des Finances ont reconnu qu'il y avait un problème de productivité très grave au Canada. Ce n'est pas en appliquant votre médecine de cheval que vous contribuerez à améliorer la capacité de production au Canada, surtout si vous admettez vous-même qu'au cours du deuxième semestre de l'an prochain, on aura épuisé notre capacité excédentaire de production. Il va falloir investir, mais investir de façon encore plus importante qu'aux États-Unis parce qu'on accuse un grand retard au chapitre de la productivité.

M. Gordon Thiessen: J'accepte l'idée qu'il est très important que nous augmentions notre taux d'investissement. Aux États-Unis, le taux d'investissement est certainement plus élevé qu'ici. Mais je dois souligner que nos taux d'intérêt sont plus bas ici qu'aux États-Unis, ce qui devrait encourager l'investissement au Canada. Je crois que nous sommes dans la bonne voie pour améliorer notre taux de productivité.

J'accepte le fait qu'il est très important d'augmenter notre taux de productivité, mais ce n'est pas en encourageant un taux d'inflation plus élevé qu'on obtiendra de meilleurs résultats.

M. Yvan Loubier: Pourquoi pensez-vous que les États-Unis obtiennent de meilleurs résultats que le Canada au niveau de la création d'emplois? Regardez l'évolution du taux d'inflation et des taux d'intérêts aux États-Unis comparativement à ici. Vous avez admis vous-même il y a deux ans et demi, à ce même comité, qu'on était peut-être allé un peu trop loin au niveau des taux d'intérêt pour mater les pressions inflationnistes, qui ne sont pas venues finalement, et qu'on avait peut-être compromis un peu la création d'emplois. Aux États-Unis, on n'accepte pas une inflation incontrôlée, mais on la contrôle à un niveau qui est quand même acceptable. Au chapitre de la création d'emplois, ils ont de meilleurs résultats que nous.

J'ai l'impression que même si nous poursuivions cette discussion pendant 200 ans, vous nous arriveriez toujours avec un dogme. Comme pour votre prédécesseur, la lutte contre l'inflation est quelque chose de sacré pour vous et vous n'en dérogez pas. Vous n'admettez pas qu'on puisse à un moment donné laisser un peu de jeu au chapitre du contrôle de l'inflation et en arriver à de meilleurs résultats au niveau de la création d'emplois.

J'aimerais parler d'un deuxième dossier qui s'inscrit dans un tout autre ordre d'idées. Il a été difficile de comprendre votre réaction lorsqu'on a commencé à parler de la possibilité d'une devise unique pour les trois Amériques. Je n'ai pas très bien compris pourquoi vous aviez rejeté cette idée du revers de la main et dit qu'il ne fallait même pas en débattre. D'ailleurs, vous et le ministre des Finances vous entendez bien puisque vous teniez exactement le même discours la même journée.

• 1600

On constate que ce débat se fait de façon sérieuse en Amérique latine. Le président argentin parle même de dollarisation de l'économie argentine. Huit ministres des Finances de l'Amérique centrale se rencontreront prochainement pour débattre de la possibilité d'en arriver à une monnaie unique, qui serait pour l'Amérique latine le dollar américain. Les deux associations patronales les plus importantes au Mexique exercent des pressions terribles sur le président Zedillo pour qu'il adopte le dollar américain comme devise afin que le Mexique puisse parer aux conséquences de crises semblables à la crise asiatique qu'on a connue récemment.

Je me demande pourquoi vous avez écarté du revers de la main la possibilité même d'une analyse. La Banque du Canada est pourtant bien équipée pour le faire. Je sais combien d'analystes de calibre y travaillent. Pourquoi avez-vous écarté l'analyse des possibilités qui s'offraient au niveau de l'utilisation d'une monnaie autre que le dollar canadien, alors que partout ailleurs on tient ce débat et on analyse sérieusement cette question?

Même le président de la Réserve fédérale américaine n'a pas rejeté du revers de la main la demande du gouvernement argentin. Il a tout simplement dit que c'était une question qui méritait d'être examinée. Il y a certaines limites. Les Américains font preuve d'une plus grande ouverture que nous. Je vous apporterai tous les journaux et toutes les communications qu'on a échangées avec les gens d'Amérique latine. Je peux vous dire qu'ils sont très ouverts et bien disposés à analyser la question. Ici, on est complètement fermés.

M. Gordon Thiessen: Nous avons déjà fait beaucoup de recherche à ce sujet. Pendant que toutes les discussions avaient cours en Europe, nous avons examiné attentivement toutes ces questions. Nous avons publié le fruit de nos recherches, et tout le monde peut en prendre connaissance.

M. Yvan Loubier: Monsieur le gouverneur, vous ne vous êtes pas penché sur cette question depuis la dernière crise. D'ailleurs, il y a une façon de se protéger de crises du secteur financier comme celle qu'on a vécue lors de la crise asiatique. Il s'agit de réduire la planche des possibilités pour les spéculateurs qui ont jeté les économies internationales par terre uniquement par la spéculation sur des devises secondaires. Qu'on le veuille ou non, le dollar canadien est une monnaie secondaire; ce n'est pas une monnaie qui compte à l'échelle planétaire. Les spéculateurs profitent de l'existence de ces monnaies secondaires partout dans le monde pour faire de la spéculation et empocher des milliards de dollars en quelques jours. Comme vous le savez bien, les capitaux de court terme représentent de 30 à 40 fois la valeur quotidienne du commerce international des biens et services. Cela représente beaucoup d'argent. Ces spéculateurs profitent de l'existence de monnaies secondaires.

La meilleure façon de parer à une telle situation est d'en arriver à restreindre graduellement le panier monétaire mondial. La création de l'euro nous a permis d'extraire 11 monnaies qui ne seront désormais plus l'objet de spéculateurs internationaux, comme ce fut le cas lors de la dernière crise asiatique. Pourquoi n'analysez-vous pas la possibilité de mettre dans vos outils la perspective d'un dollar unique ou d'une devise unique en Amérique?

M. Gordon Thiessen: Comme je l'indiquais, nous avons déjà fait de la recherche et avons conclu que l'économie canadienne est très différente de l'économie américaine, cela particulièrement en raison de l'importance des produits de base au Canada. Une chute des prix des produits de base a des répercussions très importantes pour le Canada et très différentes aux États-Unis. On a besoin d'une sorte d'amortisseur entre les deux économies. Un taux de change flottant agit à titre d'amortisseur, ce qui nous aide beaucoup.

Les pays d'Amérique latine ont eu de la difficulté à contrôler l'inflation. Ils avaient laissé grimper leur taux d'inflation à des niveaux épouvantables et leurs monnaies manquent maintenant de crédibilité. C'est pour cette raison qu'ils recherchent la crédibilité du dollar américain. Notre situation est complètement différente.

M. Yvan Loubier: Mais qu'est-ce que vous allez faire? Vous devez mettre votre analyse en perspective. Que proposerez-vous pour l'avenir? Qu'arrivera-t-il si tous les pays des trois Amériques, y compris tous les pays latino-américains, décident d'utiliser le dollar américain et que le Canada est le seul à utiliser le dollar canadien? Le Canada est le principal partenaire commercial des États-Unis. Dans une perspective de libre-échange des trois Amériques, le simple fait d'éliminer les coûts de transaction et les coûts liés aux risques de change donnerait un avantage assez particulier à ceux qui adopteraient une même monnaie dans un marché ouvert.

• 1605

Proposerez-vous que le Canada continue d'être isolé du reste des trois Amériques, qu'il continue à utiliser le dollar canadien et que nos exportateurs continuent à assumer les coûts de transaction et les coûts liés au risque de change, alors que les économies des trois Amériques, dans quelques années, seront totalement ouvertes? Nous ferons alors face à une concurrence accrue à cause de cette monnaie unique. De quelle façon réagirez-vous? Tiendrez-vous encore le même discours et affirmerez-vous toujours qu'il ne faut pas envisager la possibilité d'utiliser la monnaie unique des trois Amériques?

M. Gordon Thiessen: Il faut toujours examiner la situation et déterminer quel est le meilleur système pour le Canada. Lorsque vous examinez le taux de change fixe des currency boards ailleurs, vous constatez que les répercussions de crises comme celle qui a frappé Hong Kong ou celle qui frappe actuellement l'Argentine sont différentes de celles qu'on vit aux États-Unis. Ces crises créent des problèmes et des tensions énormes à l'intérieur de économies de ces pays. Je crois qu'un taux de change fixe, un currency board et la dollarisation ne sont pas des solutions miracles pour les économies. Je doute que le scénario que vous avez décrit devienne réalité.

M. Charles Freedman: Monsieur Loubier, j'aimerais ajouter quelques mots parce qu'il y a eu une conclusion de MM. Greenspan et Summers aux États-Unis. L'Argentine avait demandé qu'on discute de la possibilité que les États-Unis acceptent de partager le seigneuriage et d'agir comme prêteur de dernier recours, mais les Américains ont répondu non, point final.

M. Yvan Loubier: Je m'excuse, mais ils n'ont pas fermé la porte.

M. Charles Freedman: Oui.

M. Yvan Loubier: Non.

M. Charles Freedman: N'importe quel pays peut commencer par la dollarisation.

M. Yvan Loubier: Oui.

M. Charles Freedman: Mais les Argentins veulent aussi que les États-Unis partagent le seigneuriage et qu'ils les aident en tant que prêteur de dernier recours. Les Américains ont déjà dit non et indiqué très clairement que leur politique monétaire visait le bien-être de l'économie américaine et qu'ils ne prendraient pas de décision face à la situation actuelle de l'Argentine.

[Traduction]

Le président: Merci, monsieur Freedman.

Monsieur Nystrom.

L'honorable Lorne Nystrom (Regina—Qu'Appelle, NPD.): Merci, monsieur le président.

Je souhaite la bienvenue à M. Thiessen au Comité des finances.

Nous avons parlé des années 70 et du fait que le taux d'inflation était très élevé à l'époque. Je me souviens fort bien avoir siégé au Comité des finances lorsque John Crow occupait votre poste et plaidait en faveur d'une politique de taux d'intérêt très élevés. Faites-nous des confidences, parlez-nous de cette époque pour que nous puissions tirer des leçons de l'histoire. Les taux d'intérêt étaient-ils trop élevés à l'époque? Est-ce que sa politique sur l'inflation était trop restrictive?

On a beaucoup critiqué et dit que les taux d'intérêt étaient beaucoup trop élevés et avaient ralenti l'économie canadienne et mis de nombreuses personnes au chômage. L'écart entre les niveaux de vie aux États-Unis et au Canada est beaucoup plus grand aujourd'hui qu'il y a 10 ou 15 ans.

Votre prédécesseur a-t-il été trop acharné, les taux d'intérêt étaient-ils trop élevés? Qu'en pensez-vous et pouvons-nous tirer des leçons de cette époque? Je suis persuadé que vous pouvez nous en dire quelque chose; on ne le répétera pas à la ronde.

M. Gordon Thiessen: Oui, je pense que nous avons tiré des leçons de cette époque, à savoir que nous avons attendu trop longtemps avant d'adopter une politique de resserrement.

Si vous remontez au début des années 70, lorsque l'inflation a démarré, nous avons été un peu lents à intervenir. Ce n'était pas uniquement ici au Canada, c'est vrai d'un grand nombre de pays qui n'ont pas su voir l'accumulation des pressions inflationnistes partout au monde au début des années 80.

Si c'était à refaire, j'aurais aimé voir une politique monétaire beaucoup plus resserrée à l'époque. Vers le milieu des années 70, lorsque nous nous sommes rendus compte de la gravité de la situation, l'inflation s'était bel et bien installée. Lorsque c'est le cas, il est très difficile de faire machine arrière car les gens ont déjà souffert et veulent se protéger afin de ne pas être à nouveau victimes. Donc il devient très difficile de renverser la vapeur.

La même chose exactement nous est arrivée dans les années 80. Il aurait préférable d'intervenir un peu plus tôt, car nous n'aurions pas eu à resserrer d'autant la masse monétaire plus tard. Nous aurions évité cette accumulation de l'inflation et les pressions spéculatives et les distorsions que nous avons connues à cette époque. Voilà ce que j'aimerais faire différemment.

• 1610

M. Lorne Nystrom: Pour le simple profane, de la rue Principale à Broadview en Saskatchewan, qu'est-ce que cela a signifié, le fait que la banque a agi trop lentement dans ces deux cas et a dû resserrer le crédit beaucoup plus par la suite, provoquant ainsi un ralentissent trop prononcé de l'économie? Qu'est-ce que cela a signifié au niveau du chômage? Est-ce possible de donner des chiffres précis sur cette situation où la banque est intervenue trop tard, à votre avis? De combien les taux d'intérêt y sont-ils plus élevés parce que la banque a mis trop de temps à intervenir?

M. Gordon Thiessen: Honnêtement, c'est très difficile à dire.

M. Lorne Nystrom: Pouvez-vous quantifier la chose un peu et nous donner une idée de ce que nous a coûté cette erreur?

M. Gordon Thiessen: Non, je ne pense pas pouvoir le faire. Par contre, je peux dire que ce genre de situation d'expansion et de ralentissement au cours de cette période a certainement été coûteuse; évidemment, tout cela en rétrospective, ce qui est beaucoup plus facile. Je peux vous dire qu'il aurait été extrêmement utile d'avoir à l'époque une politique budgétaire plus serrée de façon à éviter d'accumuler des déficits et l'endettement du milieu des années 70 jusqu'au milieu des années 90, parce que cela n'a fait qu'amplifier nos problèmes.

Quoi qu'il en soit, on peut certainement, en rétrospective, dire qu'on aurait dû éviter l'augmentation de l'inflation parce que cela a inévitablement entraîné une crise profonde. C'est d'ailleurs ce que nous essayons de faire maintenant. Nous essayons de réduire l'inflation, de la maintenir à un faible niveau et de changer les attentes des Canadiens de façon à ce qu'ils sachent que le taux d'inflation restera faible. Nous serons alors en mesure de mieux manoeuvrer.

Dans notre déclaration, nous avons voulu faire comprendre qu'on s'approche maintenant de ce à quoi on peut s'attendre à un niveau de pleine capacité, mais nous ne le savons pas vraiment parce qu'il y a eu un si grand nombre de changements. Toutefois, nous savons que nous disposons maintenant de la latitude voulue pour analyser, pour vérifier, latitude que nous n'avons jamais eue au cours des 25 dernières années. Je pense que les perspectives sont très positives pour le Canada.

M. Lorne Nystrom: De nombreuses banques centrales n'ont pas d'objectif pour le taux d'inflation. Je pense que le Federal Reserve Board aux États-Unis n'en a pas. Vous en avez. Quelles sont les preuves que les objectifs aident à contrôler le taux d'inflation?

M. Gordon Thiessen: Beaucoup de pays ont de tels objectifs maintenant. La Nouvelle-Zélande a été le premier pays et nous avons été les deuxièmes à en avoir. Les Britanniques, les Suédois...

M. Charles Freedman: Les Finlandais.

M. Gordon Thiessen: ...les Finlandais. Il y en a plusieurs. La nouvelle Banque centrale européenne en a aussi. Ce n'est pas absolument essentiel d'en avoir, mais c'est utile si un pays a des antécédents d'inflation relativement élevée. La plupart donc de ces pays, certainement la Nouvelle-Zélande—j'ai oublié l'Australie—l'Australie, le Royaume-Uni, la Suède et nous, sont tous des pays qui ont connu une inflation relativement élevée au cours des années 70 et 80. Les Américains se sont toujours mieux tirés d'affaire que nous pendant cette période et donc c'est moins essentiel pour eux. C'est également extrêmement utile d'avoir la devise internationale. Cela vous donne un peu plus de latitude que si vous êtes une petite économie ouverte.

Si vous écoutez les discussions entre économistes et banquiers de banques centrales, je pense que vous constaterez que dans l'ensemble on est favorable à des objectifs pour le taux d'inflation parce qu'ils vous permettent essentiellement de diminuer en moyenne les taux d'intérêt et d'obtenir une économie plus performante.

M. Lorne Nystrom: Avez-vous des données empiriques qui démontrent que cela a vraiment fait une différence dans le cas des cinq ou six pays qui utilisent des objectifs, comparativement à cinq ou six pays de taille comparable, de croissance économique comparable, qui n'ont pas de tels objectifs? Avez-vous des données, monsieur Freedman ou vous, monsieur Thiessen, qui permettent de voir s'il y a ou non en fait...?

M. Gordon Thiessen: Il y a eu un certain nombre de conférences à ce sujet. Malheureusement, la série de données a tendance à ne pas être assez longue. En sciences sociales, si l'on veut faire du travail empirique, il faut une série chronologique de données plus longue que celle dont nous disposons, et cela nous empêche de faire des comparaisons rigoureuses, je le crains.

• 1615

M. Lorne Nystrom: Je voudrais passer à la question de ce qu'il est convenu d'appeler la taxe Tobin, la taxe sur la spéculation en devises internationales.

Le 23 mars, le Parlement a adopté une motion appuyant le principe de la taxe Tobin par un vote de 164 contre 83, ce qui fait de nous le premier pays au monde où un Parlement appuie le principe de cette taxe, en collaboration, bien sûr, avec la communauté mondiale. Dans votre témoignage devant un comité sénatorial, vous avez critiqué cela. Je me demande pourquoi, en qualité de dirigeant d'une banque centrale, vous ne vous montrez pas solidaire du Parlement?

M. Gordon Thiessen: En ma qualité de responsable d'une banque centrale, parce que les banques centrales sont établies de façon à ce qu'il y ait une certaine distance entre elles et le gouvernement, je trouve important d'exprimer mes vues sur des choses qui peuvent avoir un effet sur la politique monétaire et sur notre taux de change. Une taxe sur les transactions financières internationales est une de ces choses.

Je dois vous dire, monsieur Nystrom, que j'ai exprimé mes vues sur la taxe Tobin un bon nombre d'années auparavant et bien avant que le Parlement ne vote là-dessus. La plupart des gens trouveraient inacceptable que je change soudainement d'avis, à moins d'avoir une bonne raison de le faire.

M. Lorne Nystrom: Maintenir vos distances par rapport au gouvernement ne vous empêche pas d'appuyer la taxe Tobin.

M. Gordon Thiessen: Je dois dire que je ne...

M. Lorne Nystrom: Proportionnellement, le vote a été de 2 contre 1. Ce n'est pas exactement un résultat très serré au Parlement. Des députés de tous les partis, y compris le Parti réformiste et le Parti conservateur, ont appuyé cette motion.

M. Scott Brison (Kings—Hants, PC): Non.

M. Lorne Nystrom: Un conservateur.

M. Scott Brison: Non, le Parti conservateur n'a pas appuyé la motion.

M. Lorne Nystrom: Certains députés du Parti conservateur.

Le président: Monsieur Brison.

M. Scott Brison: L'appui du Parlement à la taxe Tobin prouve que la politique peut être l'ennemie naturelle des principes de bonne gestion publique.

Je souhaite la bienvenue à MM. Thiessen et Freedman. Ravi de vous avoir parmi nous aujourd'hui.

Ma première question porte sur la situation aux États-Unis. Depuis un certain temps, nous constatons une exceptionnelle croissance économique américaine et des chiffres ahurissants pour ce qui est de l'inflation. En fait, depuis un bon moment, le taux de chômage aux États-Unis est inférieur au taux non progressif d'augmentation du chômage.

Tout récemment, d'après les chiffres du 14 mai, provenant du ministère du Travail, nous avons vu une progression de l'inflation et, d'après certains signes, le Federal Reserve Board va favoriser le resserrement. Si cela se produisait, quelle serait votre réaction?

M. Gordon Thiessen: Il nous faudrait certainement analyser la conjoncture. Ce qui se passe dans l'économie américaine et sur les marchés financiers américains est d'une très grande importance pour nous. Par conséquent, si les Américains—j'hésite à me lancer dans cette suite d'hypothèses—réagissent à une croissance économique encore plus rapide, il y aura probablement certaines retombées sur le Canada et cela signifiera probablement que l'économie canadienne croît également plus rapidement.

C'est le type de situation qu'il nous faudrait examiner. Dès lors, nous devrions nous demander: cela semble-t-il durable ou non? C'est sur cette base que nous prendrions une décision.

Je dois souligner que ce qui se produit sur les marchés financiers internationaux aura toujours une incidence sur les taux d'intérêt au Canada. Cela est vrai pour tous les pays du monde. Des taux d'intérêt nationaux complètement indépendants, cela n'existe pas. Ils sont toujours influencés par ce qui se passe à l'échelle internationale et, bien sûr, par ce qui se passe dans le plus grand marché au monde. Si les Américains font monter les taux d'intérêt, cela va nécessairement avoir un effet sur les taux d'intérêt du marché canadien, quelles que soient les mesures prises par la Banque du Canada.

Ce que nous devons alors nous demander c'est, étant donné ce qui se passe aux États-Unis, quelles sont les répercussions pour le Canada et que devons-nous faire? Je ne peux pas vous dire ce que nous ferions à l'avance. Cela dépendrait des circonstances.

M. Scott Brison: Vu l'importance et l'incidence de la politique monétaire des États-Unis sur la politique monétaire canadienne, et vous avez observé cela de près, que pensez-vous que sera la réaction du Federal Reserve Board.

M. Gordon Thiessen: Je crois qu'il est trop tôt pour le prédire maintenant. Essentiellement, ils ont tiré un coup de semonce. Ils ont dit: «Il nous semble que les pressions inflationnistes gagnent du terrain.»

Vont-ils réellement devoir augmenter les taux d'intérêt? À l'heure actuelle, nous ne le savons pas vraiment. Dans une certaine mesure, le Federal Reserve Board devra se demander si la force relative du dollar américain et l'augmentation des taux d'intérêt américains à long et moyen terme suffiront à calmer l'échauffement de l'économie. Si cela se produit, le Federal Reserve Board pourrait ne pas avoir à agir, mais on ne peut pas en être sûr pour l'instant.

• 1620

M. Scott Brison: La politique monétaire ayant un retard de deux ans, ou, selon certains, de trois ans, pour ce qui est de son impact sur l'économie, une fois que le Federal Reserve Board décide de resserrer la politique monétaire, ne sera-t-il pas trop tard? N'est-ce pas là le risque que l'on prend maintenant? Ou croyez-vous, avec les tenants des nouvelles perspectives, que l'économie mondiale et l'évolution du travail et de la technologie signifient que l'inflation ne constitue plus le risque à surveiller?

M. Gordon Thiessen: Non, je ne crois certainement pas à cela, et Alan Greenspan non plus.

Toutefois, la question réelle, c'est qu'il faut envisager l'avenir. Or, le Federal Reserve Board envisage l'avenir. Il examine l'information qui lui parvient. On veut envisager ce qui va se passer dans un ou deux ans—c'est essentiellement le délai—et se demander: «La force de ces pressions va-t-elle finir par provoquer une flambée inflationniste?» Ce n'est pas facile à faire, mais les gens du Federal Reserve Board vont devoir porter un jugement. Tout ce qu'ils disent maintenant c'est que, au total, ils ont un préjugé favorable pour l'augmentation du taux d'intérêt, mais ils n'ont pas encore agi pour l'instant.

M. Scott Brison: Nous avons parlé de l'inflation. Il y a toutefois un autre risque dont certains économistes, en fait un grand nombre d'économistes, ont également parlé: le risque, ces derniers mois, d'une déflation. Selon eux, il y aurait une bulle spéculative mondiale qui cause une dangereuse surévaluation des actifs. En fait, si l'on examine les ratios des gains sur les marchés des valeurs mobilières, pour l'indice Dow Jones, par exemple, ils n'ont jamais été aussi élevés depuis la période qui a immédiatement précédé le krach de 1929.

Je vous ai demandé votre opinion sur l'inflation. Je vous saurais également gré de me donner votre opinion sur les articles qui traitent des risques de déflation.

M. Gordon Thiessen: Lorsqu'on parle d'inflation et de déflation, il faut être extrêmement prudent. Lorsque nous parlons d'inflation, nous parlons essentiellement de l'augmentation des prix des biens et des services de consommation, non pas des prix des actions ni des actifs.

Fréquemment, lorsque les gens parlent de déflation, ils y parlent des prix des actifs, non des prix à la consommation, alors que ce sont les derniers qui importent vraiment. Un système économique, c'est ce qui permet d'offrir aux consommateurs les biens et les services dont ils ont besoin et qu'ils souhaitent obtenir. C'est le prix de ces choses-là que l'on veut garder aussi stable que possible. Je ne pense donc pas qu'il y a un très grand risque de nous retrouver confronter à des baisses persistantes des prix des biens et des services de consommation à l'échelle mondiale.

Le président: Monsieur Brison, ce sera votre dernière question.

M. Scott Brison: Puis-je faire une observation avant de poser ma dernière question?

J'estime que, dans la mesure où la participation aux activités du marché s'est considérablement accrue, cela signifie que, si les cours du marché chutent ou que les marchés des valeurs mobilières accusent une forte faiblesse, les répercussions seraient probablement plus fortement ressenties.

Mais, arrivons-en à ma dernière question. Vous avez dit que la faiblesse de notre dollar est en fait favorable à la croissance économique du Canada parce que cela nous aide à beaucoup exporter. Le corollaire logique de cet argument—ou de celui du premier ministre, que la faiblesse du dollar a aidé le tourisme—serait que si nous ramenions la valeur de notre dollar à zéro et que nous donnions tout gratuitement, nous serions le plus grand pays exportateur au monde. Mais ce n'est manifestement pas vrai.

La faiblesse du dollar n'a-t-elle pas un effet pervers sur la productivité, parce qu'elle augmente le prix du matériel—par exemple, les logiciels qui sont souvent achetés auprès d'autres pays, nécessaires pour améliorer la productivité tout en réduisant les mesures d'encouragement aux entreprises canadiennes à acheter ce matériel et à améliorer la productivité, parce qu'elles peuvent s'abriter derrière la faiblesse du dollar, du moins à court terme?

M. Gordon Thiessen: Je ne recommanderai certainement jamais de réduire la valeur de sa devise pour stimuler ses exportations. Ce que nous voyons ici, c'est la réaction à un grand choc qui a frappé l'économie canadienne, à savoir le choc de la chute des prix des matières premières, dont je n'arrête pas de parler. Cela est d'une importance capitale. Parfois, lorsqu'on vit en Ontario, on ne s'en rend pas tout à fait compte. Mais, je vous en assure, si vous allez n'importe où ailleurs au Canada, on s'en rend bien compte. Cela est très important et il a été très difficile à l'économie canadienne de s'y adapter.

• 1625

Toutefois, si la valeur du dollar a reculé et si je pense que ce recul a été approprié dans les circonstances, c'est parce que cela facilite l'adaptation au choc. Cela aide à faire passer l'économie canadienne de la production de matières premières, pour lesquelles les prix ne sont pas très intéressants ces jours-ci, à la production de produits finis, dont les prix sont beaucoup plus intéressants. Cela nous aide donc à traverser cette période difficile, et c'est cela que je trouve raisonnable.

Vous avez raison de dire que beaucoup de machines et de matériel utilisés au Canada sont importés. Il est donc vrai que la perte de valeur de notre devise constitue un obstacle. Mais j'imagine que la question est de savoir ce qu'on aurait préféré. Que serait-il arrivé si nous avions fixé le dollar canadien à 75c avant que ce choc ne nous frappe de plein fouet? Pensez-vous que cela aurait encouragé l'investissement dans le secteur manufacturier? Je ne le crois pas.

Le président: Merci, monsieur Brison.

Monsieur Szabo.

M. Paul Szabo (Mississauga-Sud, Lib.): Merci.

Monsieur le gouverneur, la dernière fois que vous avez comparu devant ce comité, j'ai présenté certaines statistiques sur ce qui s'était produit au cours des cinq dernières décennies: les années 50, 60, 70, 80 et 90. Dans chaque cas, à la fin de la décennie, en Amérique du Nord, tant le Canada que les États-Unis entraient dans une récession ou étaient en train de la traverser. La symétrie était étonnante.

Si je fais un tracé graphique des grands changements survenus pendant cette période, je constate que le taux d'inflation serait très légèrement inférieur à 2 p. 100. Or, c'est exactement ce qui s'est produit. Il semble donc que la symétrie se maintient et que, si elle se poursuit, il faut s'attendre à ce que nous entrions possiblement dans une récession, qui s'amorcerait à la fin de cette décennie.

Je voudrais essentiellement vous poser des questions sur un sujet qu'a abordé M. Brison. Il s'agit de la capacité excédentaire. Y a-t-il dans le système un niveau approprié ou un niveau cible de capacité excédentaire et, dans l'affirmative, où en sommes-nous relativement à cette capacité excédentaire? Si nous nous attendons que les projections de dépenses absorbent cette capacité excédentaire, à quelle vitesse nous faut-il travailler pour contrecarrer les conséquences négatives de la perte de notre capacité? Pouvons-nous simplement compter sur des mesures de politique monétaire, telles que le mouvement des taux d'intérêt, ou nous faut-il avoir des partenaires pour savoir ce que doivent être nos besoins en capacité ou ce que doivent être nos niveaux idéaux de capacité?

M. Gordon Thiessen: Je reconnais qu'on peut certainement trouver deux cycles à la fin de deux décennies, mais je ne vois vraiment pas s'accumuler les problèmes de la même façon qu'à la fin des années 70 et des années 80.

À l'époque, il y a eu, encouragés par l'inflation, certaines activités spéculatives et des niveaux d'endettement beaucoup plus élevés que tout ce que nous voyons maintenant. Je pense que toutes les conditions étaient résumées pour que se produise un effondrement économique. Je ne constate pas la même situation Il y a toutefois une exception, c'est le marché des valeurs mobilières américain, qui semble plutôt surévalué. Je pense que c'est le seul endroit pour lequel on peut avoir des inquiétudes. Toutefois, si l'on examine les périodes de la fin des années 70 et 80, c'était beaucoup plus généralisé dans le monde entier, ce qui en faisait également un problème beaucoup plus inquiétant. Je ne vois donc simplement pas les sources de récession qui existaient alors.

Pour ce qui est de la capacité excédentaire, ce qu'on veut vraiment faire, c'est fonctionner à pleine capacité. Cela ne veut pas dire que chaque entreprise va travailler à pleine vapeur, mais cela signifie qu'en moyenne, la plupart des entreprises au Canada vont fonctionner à une cadence qui les force un peu à s'échiner. C'est ce que nous avons vu aux États-Unis ces dernières années. C'est à cela que nous aimerions parvenir. Je ne pense donc pas qu'il faille cibler une capacité excédentaire; il faut plutôt fonctionner à pleine capacité.

Pour ce qui est de le vitesse à laquelle nous devons agir, sachant que le taux d'inflation est bas et que les gens s'attendent à ce qu'il reste bas, la situation au Canada et aux États-Unis nous donne un peu plus de marge de manoeuvre. C'est bien différent de la situation au cours des années 70 et 80 où, dès qu'on approchait les limites de la pleine capacité, tout le monde craignait qu'il y aurait une nouvelle flambée inflationniste. On se réfugiait dans les abris. Les prix, les salaires et les taux d'intérêt gonflaient, chacun cherchant à se protéger.

• 1630

Nous ne voyons pas ce type de comportement aux États-Unis ou au Canada et nous ne le voyons poindre à l'horizon. Nous avons donc un peu plus d'espace pour manoeuvrer. Nous disons toutefois qu'il faut surveiller cela de près. C'était le message que nous avons tenu à vous transmettre dans notre exposé.

Il nous faut surveiller un tas de choses, parce que nous ne savons pas avec certitude où se situe la pleine capacité. Nous devons donc y aller un petit peu à tâtons. Mais si nous constatons une accumulation de signes annonciateurs de problèmes, nous devrons effectivement agir.

Je dois toutefois vous dire que, pour le proche avenir, je ne constate pas grand-chose de ce genre. Je pense que nous avons plus de capacités que nous ne le reconnaissons. L'expérience américaine nous l'a certainement appris.

M. Paul Szabo: Très bien. Je voudrais faire une brève observation, parce que je sais que mes autres collègues ont des questions.

Les deux tiers, voire les trois quarts des coûts de fonctionnement d'une entreprise sont en fait les coûts des ressources humaines. Les conventions salariales semblent accuser une tendance à la hausse. En tout cas, il y a des pressions pour que les salaires augmentent. Dans une grande mesure, à moins que cela ne se traduise par des hausses de productivité, ces augmentations salariales vont exercer encore plus de pressions inflationnistes. Selon vous, dans quelle mesure les niveaux de règlements salariaux au secteur public et au secteur privé sont-ils justifiés?

M. Gordon Thiessen: Nous constatons que la plupart des pressions, là où il y a eu recours à la grève ou à des activités du même type, se sont exercées dans les secteurs public et parapublic. Bien sûr, dans un bon nombre de ces secteurs, il y a eu blocage des salaires pendant longtemps. Il faut donc passer par la phase délicate de réadaptation des salaires à un niveau un peu plus compétitif.

Lorsqu'on examine la situation dans le secteur privé, on constate que les salaires ont augmenté de près de 2 p. 100. En général, cela a donné lieu à une petite augmentation des coûts unitaires de main-d'oeuvre, de l'ordre d'environ 1 à 1,5 p. 100, ce qui correspond à notre taux d'inflation. Il n'y a donc rien de très spécial à cela. S'il y avait des améliorations de productivité à mesure que nous nous rapprochons de la pleine capacité, on verrait probablement ces coûts unitaires de main-d'oeuvre diminuer, comme nous le montre l'expérience récente des États-Unis. Ensuite, il y a un peu plus de possibilités d'accroître les gains salariaux, en réponse à cela.

M. Charles Freedman: J'ai les chiffres sous les yeux. Je sais qu'il y a eu des conventions dont on a fait beaucoup état dans les médias, mais l'un dans l'autre, pour l'ensemble du secteur public en 1998, cela représente en moyenne 1,5 p. 100, et 1,3 p. 100 pour le premier trimestre de 1999. C'est donc environ de 1,5 p. 100. Dans le secteur privé, c'était un peu plus élevé tout au long de cette période, à un peu moins de 2 p. 100. Je pense que l'augmentation est de l'ordre de 2,2 p. 100 au cours des derniers trimestres. Il y a évidemment certains facteurs spéciaux qui interviennent dans des cas exceptionnels, mais pour l'instant, il n'y a rien qui puisse laisser entrevoir une flambée quelconque.

M. Paul Szabo: Merci, monsieur le président.

Le président: J'aurais, moi aussi, une question qui porte sur le rapport, là où vous avez laissé entendre que le rendement potentiel pourrait être plus élevé que ce qui avait été prévu. Vous attribuez ce fait à certains des changements qui sont survenus, tels que la déréglementation du marché, la réforme de l'assurance-emploi, et d'autres encore. Je me demande simplement si ces politiques ont avantagé l'économie canadienne. N'y a-t-il rien d'autre que nous devrions être en train de faire? Quels autres domaines d'action devraient devrait faire l'objet de notre attention pour que nous puissions atteindre ces objectifs?

M. Gordon Thiessen: Dans une économie, on souhaite toujours avoir la plus grande marge de manoeuvre qui soit, étant donné que le monde ne cesse d'évoluer. Ce qui me frappe au sujet des États-Unis, c'est la flexibilité des entrepreneurs, des travailleurs et de la population en général qui parviennent tous à s'adopter à ces chocs. C'est d'ailleurs sans doute là une des raisons de leur succès.

Mais si vous regardez ce qui se passe en Europe, là où on a moins de marge de manoeuvre, on y semble avoir plus de difficulté à s'adapter à l'évolution de l'environnement économique mondial. Vous voyez donc que tout ce qui peut encourager la flexibilité peut avoir des effets bénéfiques.

• 1635

Le président: Monsieur Thiessen, certains de vos commentaires portaient sur un changement d'attitude. L'économie américaine a toujours mis de l'avant la notion d'entrepreneuriat: les Américains ont donc tendance à assumer des plus grands risques. L'entrepreneur américain ne se dit pas au départ qu'il va réussir à coup sûr. Il sait que l'échec est toujours possible lorsque l'on est en affaire. Comment transposer cette attitude au Canada? Ou devrions-nous essayer de le faire?

M. Gordon Thiessen: Je ne crois pas que l'on puisse décider au départ de changer les attitudes. Les attitudes se modifient d'elles-mêmes avec le succès. Dès qu'un entrepreneur réussit, son attitude change. Ce qui est remarquable dans l'industrie de la technologie de pointe aux États-Unis, mais aussi au Canada, c'est que les entrepreneurs ont en général très bien réussi dans ce secteur. Et je crois que l'on assiste aussi à une évolution des mentalités. Cela ne s'applique évidemment qu'à une petite partie de la population, j'en conviens, mais cela prouve tout même que certaines gens voient la lumière.

Au cours des années 90, j'ai assisté au Canada à un des changements d'attitude les plus importants qui soit: on en est venu de plus en plus à reconnaître qu'il existe une énorme économie internationale et que le Canada doit être concurrentiel pour que son rendement économique soit très intéressant. Ce qui s'est produit au cours des neuf dernières années est assez remarquable. Les attitudes ont changé énormément au Canada. On en est venu à comprendre qu'il faut suivre de près les meilleures pratiques et mesurer son succès à l'aune des marchés internationaux. C'est toute une évolution, et des plus positives.

Le président: Vous avez parlé de récompenser le succès et de réduire les taxes, d'abord l'impôt personnel à court terme, mais aussi à moyen terme, l'impôt des sociétés canadiennes. Si les Canadiens finissaient par garder dans leur poche une plus grande partie de leur revenu, cela les aiderait-il à changer leur attitude?

M. Gordon Thiessen: J'hésite toujours à me lancer dans une discussion sur les taxes, car ce sujet fait surtout appel à la notion de choix politique, qui découle des priorités que se fixe la société. J'hésite beaucoup à aborder la question, en tant que représentant de la Banque centrale.

Il ne fait pas de doute que les incitatifs peuvent avoir leur importance avec le temps, et il faut évidemment que les incitatifs soient fixés en regard du rendement économique souhaité. Les taxes ont leur importance, mais il ne s'agit pas uniquement des taxes. Il faut décider quel genre de panier de biens publics est, à votre avis, le meilleur pour votre pays, puis quels types de taxes sont nécessaires pour financer ces biens publics. Il faut donc regarder les deux côtés de la médaille, et cela implique énormément de choix politiques de la part du Parlement et de la population. Il est difficile de répondre de façon parfaitement objective sur le plan économique, et je n'ose aborder la question.

Le président: Les Canadiens sont nombreux à parler de l'économie américaine comme d'une économie vibrante et dynamique qui réussit bien, et ils vantent volontiers l'économie américaine pour ses avantages économiques, son faible chômage et sa grande mobilité. Les Canadiens doivent comprendre qu'ils ne peuvent avoir le beurre et l'argent du beurre. On ne peut exiger que l'économie canadienne soit aussi américaine. Les Canadiens ne sont-ils pas en train de changer d'attitude et de se considérer d'abord et avant tout comme Canadiens, puis aussi—petit à petit—comme Nord-Américains?

M. Gordon Thiessen: Il m'est difficile de répondre. Mais ce qui frappe, c'est à quel point les Canadiens se comparent aux Américains et s'inquiètent de ce que notre rendement économique ne soit pas comparable à celui des États-Unis. Les Canadiens semblent donc suivre de plus près les facteurs qui sous-tendent le rendement économique américain en se demandant s'il est possible de les reproduire ici.

J'ajouterais ceci: Vous en avez sans doute assez de m'entendre parler du choc du cours des produits de base, mais si la crise financière asiatique ne nous avait pas frappés, l'économie canadienne aurait atteint aujourd'hui son plein rendement. Elle pousserait le marché du travail à sa limite. Nous verrions peut-être les mêmes investissements ici qu'aux États-Unis, ce qui est bénéfique pour la productivité de la main-oeuvre. J'hésite donc à affirmer qu'il faut un revirement total pour pouvoir atteindre le même rendement qu'aux États-Unis. Je ne sais vraiment pas si nous réussissons aussi bien que les États-Unis dans tout cela ou pas.

• 1640

Le président: Merci.

Monsieur Gallaway.

M. Roger Gallaway (Sarnia—Lambton, Lib): J'ai deux ou trois questions, monsieur Thiessen.

Hier, on a appris que l'indice TSE 300 avait chuté de 10,8 p. 100 au cours des 12 derniers mois. J'essaie de comprendre. Si l'indice composé du TSE est à la baisse, et que la valeur des compagnies canadiennes est aussi à la baisse d'à peu près 11 p. 100, d'où proviennent les pressions inflationnistes? Je dois conclure que ces entreprises font moins d'argent ou qu'elles seront plus concurrentielles sur le marché. D'où viennent les pressions inflationnistes?

M. Gordon Thiessen: Il n'y a pas beaucoup de pression inflationniste, ce qui explique que nous nous rapprochons du chiffre le plus bas de la fourchette d'inflation que nous nous sommes fixées. Comme je le disais plus tôt, c'est dû notamment au fait que nous avons été frappés par une perturbation.

Si le TSE 300 est à la baisse, c'est notamment parce que les sociétés exploitantes de ressources ont été frappées par une chute marquée du cours des produits et de leurs profits et que l'économie canadienne a été elle aussi frappée, ce qui explique que l'inflation ait été faible, en gros, pendant toute cette période.

M. Roger Gallaway: J'ai une autre question. Si nous comparons l'indice TSE 300 et l'indice 500 de Standard & Poor's, qui a augmenté pendant la même période d'environ 17,5 p. 100... C'est une question ouverte que je vous pose, mais je ne comprends pas cette grande disparité entre le Canada et les États-Unis où l'indice a grimpé de 17,5 p. 100. Que se passe-t-il là-bas? Bien sûr, l'économie américaine est plus grosse; bien sûr, on a là-bas un peu plus confiance en certaines monnaies. Mais qu'est-ce que les Américains font que nous ne faisons pas qui expliquerait cet écart sur 12 mois? Cela représente 28 p. 100, et pour couronner le tout, pendant la même période, notre dollar a chuté d'environ 1 p. 100 par rapport au dollar américain, ce qui représente 1 p. 100 de plus.

M. Gordon Thiessen: Une des différences entre les pays, c'est que les Américains sont des importateurs de produits de base plutôt que des exportateurs, et ont profité de la chute des prix de ces produits de base, alors que ce phénomène nous a nui. Voilà pour la première des différences. Mais l'économie américaine a réussi mieux que toute autre économie du monde. Aucune autre n'a eu de meilleurs résultats. Les Australiens sont bons seconds, mais aucun pays n'a eu un rendement économique aussi fort que celui des États-Unis, et je crois que ça constitue un facteur à long terme.

Il y a une chose qui me frappe: dans les années 80, à l'époque où l'on avait l'impression que le Japon allait dominer le monde et que les Japonais allaient acheter toutes sortes d'entreprises américaines, les compagnies américaines ont réagi en décidant de devenir plus concurrentielles à l'échelle mondiale et en faisant preuve d'initiative d'une façon encore inédite à l'époque. Cela leur a rapporté gros dans les années 90, et tout d'un coup, les gens ont cessé de s'inquiéter, comme ils le faisaient au milieu des années 80, devant l'éventuel déclin des États-Unis, et ils se sont rendus compte que les États-Unis étaient devenus l'économie la plus forte du monde. Le succès était dû notamment aux investissements qu'avaient faits les Américains dans les technologies de pointe, et à des changements dans les procédés qui avaient commencé à poindre au milieu des années 80, ce qui était beaucoup plus tôt que partout ailleurs dans le monde. C'est cela qui leur rapporte gros aujourd'hui.

M. Roger Gallaway: Bien. Merci.

Le président: Merci, monsieur Gallaway.

Monsieur Pillitteri.

M. Gary Pillitteri (Niagara Falls, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

Je suis ravi de vous revoir, monsieur Thiessen. Je vous poserai des questions qui diffèrent quelque peu de celles de mes collègues.

J'écoutais avec grand intérêt ce qui se disait au sujet du recours à une devise commune, et j'ai lu en quelque part quelque chose sur la façon dont les Européens ont dû s'adapter à la devise Euro et sur la façon dont leurs pays ont dû rattacher leur monnaie à l'Euro. Évidemment, leurs économies sont plus compatibles, si on les met à l'échelle. De fait, quatre ou cinq des grandes économies européennes sont plus compatibles les unes avec les autres, et leurs propres devises sont rattachées à l'Euro.

• 1645

Mon collègue a parlé d'avoir recours au dollar américain. Si nous devions faire la même chose, et nous comparer aux États-Unis, je crains de songer à ce qui arriverait à certaines de nos économies dans une période post-libre-échange. J'aimerais avoir votre opinion là-dessus. Dans certains cas, c'est la simple différence de un ou deux sous qui garde un fabricant ici même au Canada, surtout s'il appartient au secteur agroalimentaire qui a fait l'objet de tant de départs. Le gouvernement ne devrait-il pas être plus interventionniste s'il souhaite maintenir certaines de ces économies ici même au Canada? Si notre devise était rattachée à une devise commune, soit le dollar, le gouvernement ne serait-il pas obligé d'exercer des pressions plus fortes sur la devise et d'intervenir plus fermement pour pouvoir maintenir la croissance de l'économie canadienne?

M. Gordon Thiessen: Non, et ce serait même le contraire plutôt. Il faudrait que le gouvernement encourage les entreprises à être beaucoup plus souples dans leurs opérations et dans les salaires qu'elles fixent, jusqu'à ce qu'elles atteignent le seuil de la compétitivité. C'est la seule façon de réussir. En effet, si l'on appartient au réseau d'une devise commune, il n'y aucun autre facteur d'ajustement qui intervienne. Puis, si vous ne réussissez pas très bien, comme industrie, vous devrez rajuster vos prix et vos salaires à la baisse jusqu'à ce que vous puissiez être compétitif. Le gouvernement ne peut grand-chose pour vous protéger contre cela.

M. Gary Pillitteri: Merci, monsieur Thiessen. Je tenais à poser la question. Vous avez répondu pour la première fois à une question que j'avais posée de façon détournée, et vous avez répondu comme je le souhaitais: en fait, tant que l'on parle de compétitivité, il nous a fallu être plus rentables que les Américains ou que toute autre grande économie, puisque le gouvernement ne pouvait se permettre d'intervenir, ce qui nous a obligés à réduire nos opérations au niveau de l'autre, et particulièrement au niveau de vie de l'autre.

Mais je veux passer à un autre sujet, monsieur Thiessen. Je voudrais que vous regardiez dans votre boule de cristal... En tant qu'homme d'affaires, quand je voulais emprunter de l'argent, je cherchais à obtenir des prêts à long terme plutôt qu'à court terme dans les années 70, 80 et à la fin des années 60. Or, depuis cinq ans, toujours en tant qu'homme d'affaires, je constate que je me débrouille fort bien avec des prêts à court terme... à partir de 3 p. 100 ou plus, les prêts à court terme ayant des taux plus bas. Qu'en est-il de l'avenir? Si j'avais à donner des conseils à mes amis, est-ce que je leur dirais de continuer à emprunter à court terme, ou bien le moment est-il venu de se tourner plutôt vers les taux d'intérêt à long terme?

M. Gordon Thiessen: Je pense que la faible inflation devrait vous donner beaucoup plus confiance dans le long terme. Durant les années 70 et 80, l'un des aspects très regrettables est que toute une gamme de contrats à long terme avaient disparu, notamment les hypothèques sur 25 ans, les obligations à long terme, tout cela avait disparu parce qu'il y avait tellement d'incertitude dans cet environnement inflationniste.

Donc, dans la période de faible inflation que nous vivons maintenant, qui ressemble beaucoup, comme Chuck le disait tout à l'heure, à l'époque des années 50 et 60, je pense que nous devrions assister au retour de ces instruments à long terme. Bien sûr, leur grand avantage, c'est la tranquillité d'esprit. On dort mieux quand on sait quels seront les taux d'intérêt l'année prochaine et l'année suivante et l'année d'ensuite, et je pense que cela se traduit par de meilleures décisions.

Ce qu'il faut faire, c'est faire correspondre la durée du prêt et la durée de l'actif. Si vous achetez une machine qui devrait vous durer 10 ans, vous avez intérêt à la financer à l'aide d'un instrument sur 10 ans. C'est la meilleure façon de procéder, tandis qu'au cours de la période inflationniste, les gens finançaient des actifs d'une durée de 10 ans en empruntant sur trois mois. Cela peut être absolument catastrophique et ce fut d'ailleurs bien souvent le cas.

Le président: Merci, monsieur Pillitteri.

Y a-t-il d'autres questions? Madame Redman.

• 1650

Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Monsieur le président, j'ai deux ou trois brèves questions, car je sais que mon collègue veut aussi en poser une.

À la page 3, vous traitez des divers indicateurs permettant d'évaluer le degré de pression qui s'exerce sur la capacité de production de l'économie, et si je comprends bien, vous dites que certains de nos instruments sont peut-être désuets et que nous nous dirigeons peut-être vers quelque chose d'un peu plus subjectif. Si je comprends bien, c'est à cause de la croissance de l'entrepreneuriat dans notre économie et du changement de notre économie. Je me demande comment cela se compare à la situation des autres pays du G-8.

M. Gordon Thiessen: Je pense que notre situation ressemble davantage à celle des Américains qu'à celle de n'importe qui d'autre, parce que personne d'autre ne connaît des conditions comparables.

Chuck, vous songez probablement à la situation du Royaume-Uni. Mais il est certain que personne d'autre ne connaît des conditions comme les nôtres.

Par exemple, on ne voit pas le même degré d'investissement dans le changement technologique en Europe continentale, pas autant qu'ici, et quant à nous, nous sommes un peu en retard par rapport aux Américains dans tout cela. Mais ce que cela veut dire, c'est qu'il y a eu tellement d'investissement dans les machines et l'équipement, la nouvelle technologie, les restructurations d'entreprise, et une main-d'oeuvre tellement plus souple que l'on ne peut tout simplement plus préciser exactement quelle est la capacité. C'est pourquoi il faut suivre tout cela. Cela se rapproche beaucoup de ce que les Américains ont fait, et c'est pourquoi, quand leur taux de chômage est tombé à 6 p. 100, ils se sont contentés de le suivre de près, très doucement, pour voir ce qui se passait, et ensuite, voyant que la pression ne remontait pas, ils ont laissé aller les choses.

M. Charles Freedman: J'ajoute que la situation du Royaume-Uni est très semblable. Ils ont beaucoup de modèles. Ils utilisent aussi tous les renseignements qu'ils peuvent obtenir pour essayer d'évaluer les pressions inflationnistes qui s'exercent.

L'un des éléments que nous avons mentionné dans la déclaration du gouverneur, c'est l'information qui est transmise à nos représentants régionaux par leurs contacts dans le monde des affaires. Ces dernières années... nous avons maintenant cinq bureaux régionaux et nos agents dans ces bureaux répartis d'un bout à l'autre du pays passent beaucoup de temps à s'entretenir avec des gens d'affaires, des associations commerciales, etc. C'est une source d'information très utile, parce que bien sûr, il subsiste une certaine incertitude dans le monde. Il faut réunir le plus de renseignements possible. Et ce que l'on constate, c'est qu'il est très intéressant et utile de réunir tous ces renseignements et de les soumettre à nos analyses, avec la masse monétaire et le crédit, toutes les pièces du casse-tête que nous pouvons trouver, après quoi nous pouvons trancher.

À titre d'exemple, nos agents demandent à leurs interlocuteurs: qu'est-ce que vous escomptez du côté des prix, que prévoyez-vous en termes de croissance et de ventes? Et c'est toujours très intéressant de faire cette contre-vérification. Cela nous donne un degré supplémentaire de confiance dans notre vision du système.

Mme Karen Redman: J'ai trouvé que nous avons eu un à-côté intéressant dans nos conversations sur la productivité, parce que je viens de Kitchener—Waterloo, où la croissance est très forte dans le secteur de la technologie de pointe, mais cela ne semble pas se traduire par un gain dans nos statistiques de productivité.

J'ai une autre question à poser. Tout le monde parle de la crise asiatique, et vous avez dit à juste titre que nous avons été durement éprouvés du côté des produits de base. Je suis allée à Taiwan au début de l'année, et nous avons notamment constaté que les Taiwanais ont très bien réussi à surmonter la crise asiatique. Nos interlocuteurs attribuaient notamment leur réussite de ce côté à la composition de leur économie et au fait que les petites et moyennes entreprises constituent l'épine dorsale de leur économie.

Je me demande si l'on peut en dire autant de l'économie canadienne et si nous devrions nous tourner de ce côté pour favoriser la croissance.

M. Gordon Thiessen: Je pense que dans leur cas, bien sûr, ils ne sont pas un grand producteur de matières premières, ce qui aide assurément à cet égard. Mais ils ne sont pas empêtrés dans les problèmes qu'ont connus la Thailande, l'Indonésie et la Corée du Sud, et je pense que cela les a certainement aidés à passer au travers. Ils se sont retrouvés avec... Ils ont un secteur financier mieux développé.

Dans les autres pays en question, le secteur financier n'était pas solide. Même aujourd'hui, un pays comme la Thaïlande, bien que les choses s'améliorent, continue de se débattre avec un secteur financier qui n'est pas en bonne posture. Il a besoin d'une réforme en profondeur.

Mme Karen Redman: Merci.

Le président: Monsieur Discepola.

M. Nick Discepola (Vaudreuil—Soulanges, Lib.): Merci, monsieur le président.

Monsieur le gouverneur, vous semblez adopter la méthode du ministre des Finances, qui consiste à vous fixer des objectifs. Mais j'examine cela et je me dis, eh bien, entre 1 et 3 p. 100, c'est quand même une fourchette de 300 p. 100. Je me demande seulement pourquoi vous demandez d'avoir une telle marge de manoeuvre. Est-ce avantageux pour les Canadiens, de façon générale, de vous accorder cette latitude? Devrions-nous chercher plutôt à préciser davantage l'objectif? Si nous vous accordons une telle marge de manoeuvre, n'y a-t-il pas un danger que les taux d'intérêt remontent, ce qui serait alors nuisible pour les Canadiens?

Dans votre allocution liminaire, vous avez dit—vous l'avez d'ailleurs dit également la semaine dernière, sauf erreur, dans votre déclaration à la télévision—que nous devrions être contents. Je sais que dans ma circonscription, la confiance n'a jamais été plus élevée, et je viens du Québec. Ce sont d'excellentes nouvelles pour les Canadiens.

• 1655

Vous faites allusion au fait que notre économie va bien et que si elle va bien, c'est en grande partie parce que notre dollar est bas et que nous sommes un pays exportateur. Mais cela m'inquiète aussi. Comment peut-on fonder une politique sur les fluctuations possibles des taux de change d'ici un an ou deux? Si tout va bien et que l'économie tourne comme sur des roulettes, y a-t-il des inconvénients possibles, du côté de l'inflation, des taux d'intérêt ou de la performance du dollar?

M. Gordon Thiessen: Pour ce qui est de la cible plus générale, c'est le fruit d'un énorme travail que nous avons fait pour voir quelles sont les fluctuations de l'inflation qui sont imprévisibles—vous savez, elles augmentent, elles diminuent—qui ne sont pas durables, et qu'on ne peut pas suivre automatiquement. Si l'inflation doit augmenter pendant quelques mois, mais diminuer ensuite pendant quelques mois, on ne peut pas hausser les taux d'intérêt quand elle augmente pendant quelques mois alors qu'on sait très bien que le taux d'inflation va à nouveau baisser. Il faut se laisser une marge de manoeuvre suffisante pour prévoir ces fluctuations presque aléatoires du taux d'inflation. Il faut se concentrer sur les tendances sous-jacentes. Il faut voir plus loin que ces hauts et ces bas.

La bande de plus ou moins 1 p. 100 que nous avons prévoit plus ou moins ce genre de chose, et c'est la seule raison pour laquelle elle est là. Cela nous permet d'en arriver à une politique relativement aux taux d'intérêt plus stable que ce ne serait le cas autrement.

M. Nick Discepola: Vous ne serez pas tentés d'augmenter les taux d'intérêt lorsque vous verrez le taux d'inflation à la hausse pendant trois ou quatre mois?

M. Gordon Thiessen: Non. Ce qui nous préoccupe vraiment, c'est... Si cette tendance nous permet de croire que cela va sortir de l'extrémité supérieure de notre fourchette, soit 3 p. 100, alors là, oui, nous allons resserrer les choses, et il faut le faire, car cela signifie que nous sommes dans une situation intenable et que nous risquons de retomber dans le cycle prospérité/marasme que nous voulons éviter.

Non, nous nous concentrons sur la tendance. Je ne pense pas que la fourchette large nous pose ce genre de problème. En fait, dans l'ensemble, elle nous permet d'adopter une politique plus stable qu'autrement.

M. Charles Freedman: Je pourrais ajouter que nous prenons évidemment très au sérieux la partie supérieure et inférieure de la fourchette. Comme l'a dit le gouverneur, si les taux augmentent vers les 3 p. 100 et que la tendance à l'air d'être à la hausse, nous prenons des mesures de resserrement. À mesure que nous nous sommes dirigés vers le bas de cette fourchette, nous avons diminué à deux reprises les taux d'intérêt, ce qui est en rapport avec le fait... Étant donné que la situation financière mondiale s'est calmée, nous avons pu prendre des mesures pour faire en sorte de nous trouver à nouveau dans cette fourchette confortable, par opposition à là où nous étions auparavant, soit au taux de 1 p. 100 ou moins.

Nous prenons donc très au sérieux les extrémités supérieure et inférieure de la fourchette.

M. Gordon Thiessen: Pour ce qui est de l'avenir, je tiens à insister sur le fait qu'il ne s'agit en aucun cas d'une politique axée sur un dollar à faible valeur. On ne veut pas de ce genre de politique. Ce que nous voulons idéalement, c'est une devise forte. Pour en arriver là, il faut que l'économie soit forte. Mais lorsqu'on est touché par un choc des prix des denrées comme celui qui nous est tombé dessus, la devise connaît un mouvement à la baisse de façon provisoire, ce qui permet de s'adapter à cette situation. Il ne faut pas compter là-dessus de façon permanente. Il ne faut pas compter sur le maintien d'une monnaie faible et sous-évaluée sur une longue période, car cela va permettre de stimuler nos exportations; nous devons être concurrentiels sur la scène internationale. Nos entreprises doivent surveiller ce que font leurs concurrents au niveau international, et elles doivent s'ajuster en conséquence. C'est ce qu'elles doivent faire.

Notre dollar actuellement sous-évalué a pour effet d'inciter certains de nos fabricants à prendre de l'expansion, à tenter leur chance sur les marchés internationaux, parce que notre dollar est faible, dans l'espoir de jeter des bases solides qui leur permettront d'être concurrentiels quand le dollar remontera. En cours de route, nous transférons une partie de notre activité économique du secteur des denrées, où les prix sont très faibles, vers celui de la fabrication, où les prix sont bons. C'est exactement l'objectif recherché.

Je suis toutefois obligé de réagir quand quelqu'un parle d'une politique de dollar faible, car ce n'est pas notre politique, et nous n'en voulons pas.

Le président: Merci, monsieur Discepola.

Monsieur Hubbard.

• 1700

M. Charles Hubbard (Miramichi, Lib.): Merci, monsieur le président.

J'aimerais tout d'abord féliciter le gouverneur et son adjoint. Votre travail est excellent et, en tant que politiques et députés, nous vous savons gré de ne pas voir tous les jours dans la presse des articles vous mettant en demeure de hausser ou d'abaisser les taux d'intérêt, et les choses semblent assez bien se passer dans tout le pays.

J'aimerais vous faire part de deux préoccupations qui m'ont traversé l'esprit pendant que j'écoutais vos propos cet après-midi.

Il a été question du régionalisme, et bien sûr au Canada nous avons diverses régions victimes de graves problèmes économiques, même si le centre s'en est très bien tiré.

Ma deuxième remarque concerne l'or, qui a été pendant des années un élément magique pour le secteur bancaire, mais aujourd'hui l'or a perdu cette position prépondérante. On entend exprimer certaines préoccupations quant à ce qui se produirait si nous remboursions une bonne partie de la dette du tiers monde grâce à de l'or international. Cela aurait-il une incidence sur le système au Canada, si ce n'est le fait que nous savons que cela pourrait influer sur notre secteur des ressources naturelles?

La troisième chose qui me préoccupe est en rapport avec les banques et certaines de nos institutions financières qui participent à diverses activités économiques importantes à l'étranger. En fait, certaines de nos grandes banques gagnent plus d'argent sur le marché international qu'ici même au Canada. En tant que Canadien, je me demande si ces banques sont en danger à cause de ces activités. Nous avons vu les contrecoups qu'ont ressentis certaines banques britanniques pour cette raison.

Enfin, j'aimerais faire une observation au sujet des stocks—car nous constatons qu'il y a eu des changements radicaux dans l'industrie manufacturière au cours des cinq à dix dernières années—et des répercussions que cela pourrait avoir sur l'avenir du prix des denrées. Bien entendu, lorsqu'on parle du prix des denrées, il faut tenir compte du fait qu'il existe des problèmes internationaux liés aux ressources naturelles, car il semble exister une énorme accumulation de stocks à faible prix, ce qui a eu des répercussions sur notre blé canadien, nos mines canadiennes et bon nombre de nos secteurs d'activité.

J'aimerais que vous répondiez aux quelques questions que je viens de soulever.

M. Gordon Thiessen: Très bien.

On discute depuis un certain nombre d'années de l'idée d'accorder ni plus ni moins une remise de dettes à certains pays parmi les plus pauvres et les plus lourdement endettés; mais personne ne semble savoir où trouver l'argent pour ce faire. Il a donc été proposé dernièrement que le fonds vende une partie de ses réserves en or et utilise cet argent pour financer cette remise de dettes, du moins en partie.

Je dois dire qu'il n'y a pas beaucoup de ventes d'or ici, et le montant serait relativement minime par rapport à la taille du marché de l'or. Je ne pense pas que cela représente beaucoup. Une partie des ventes d'or que détiennent certaines des grandes banques centrales et la menace de le faire ont sans doute plus d'incidences sur le marché de l'or. Mais là encore, je dois vous dire en toute franchise qu'il y a un peu d'exagération.

Si le prix de l'or est relativement faible, c'est parce qu'on l'utilise comme protection contre l'inflation, et les perspectives relatives à l'inflation sont très faibles et très stables. L'or a donc perdu une partie de son attrait.

Quant à votre question au sujet des institutions financières canadiennes qui mènent leurs activités à l'étranger, il faut bien sûr qu'elles soient en mesure d'être efficaces, rentables et prudentes. Si elles le font et qu'elles gagnent de l'argent, c'est aussi bien que lorsqu'un fabricant canadien comme Bombardier vend ses avions à l'étranger. Dans les deux cas, il s'agit de bonnes exportations. Si les banques font donc du bon travail, il n'y a vraiment pas lieu de s'inquiéter, croyez-moi.

Or, il est arrivé par le passé que les banques consentent des prêts à des pays du tiers monde qui étaient un peu instables, ce qui a suscité une certaine nervosité dans différents milieux. Toutefois, les activités de nos banques sont un peu différentes aujourd'hui. Celles-ci participent beaucoup plus à des partenariats avec des banques locales, dont elles sont peut-être propriétaires, au lieu de se contenter de consentir des prêts. Ce genre d'activité, où on se fait une place sur le marché local, achète une banque, conclut un partenariat stratégique avec les banques de la région, me paraît beaucoup plus sûre, peut-être, et donc moins risquée que certains prêts consentis à des pays du tiers monde dans les années 80.

Enfin, au sujet des stocks, je n'ai pas de données précises—je ne sais pas si vous en avez une, Chuck—quant à l'ampleur de ces stocks de denrées et à quel point, dans la mesure où ces prix restent bas pendant assez longtemps, chaque fois qu'il y a une légère reprise du prix, quelqu'un va se débarrasser d'une partie de ce stock.

• 1705

Je pensais que les marchés tiendraient compte de tout cela, de sorte que le cours actuel des denrées reflète ces importants stocks qui sont constitués. Je ne pensais pas que cela poserait problème.

Chuck.

M. Charles Freedman: Je ne sais pas ce qu'il en est des stocks en tant que tels, mais ce qui fait bouger le cours des denrées à moyen ou long terme, c'est le jeu de l'offre et de la demande. Il est intéressant de voir que depuis quelque temps, lorsqu'on a eu l'impression qu'il y avait une reprise en Asie du Sud-Est et que les choses n'étaient pas aussi mauvaises en Amérique latine que les gens le croyaient, il y a eu un ralentissement. Il y a d'abord eu un ralentissement de la baisse du prix des denrées, suivi d'une légère reprise, simplement parce qu'on s'attendait à une relance de l'économie mondiale et à une croissance soutenue aux États-Unis.

Il y a donc deux ou trois choses qui se produisent. D'une part, bien entendu, il y a eu les inquiétudes récemment à l'idée que la Russie et certains autres pays qui ont été en difficulté vendent à perte une grande partie de leurs denrées sur les marchés mondiaux. Cela a été une source d'inquiétude pendant un certain temps. Il s'est avéré que la capacité de production et de transport de ces pays n'était pas aussi mirobolante qu'on le pensait. Bien entendu, dans la mesure où de nouvelles mines moins chères entrent en activité, cela exerce une pression à la baisse sur les prix.

Depuis deux ans toutefois, la véritable force motrice est la faiblesse du marché en Asie du Sud-Est et de l'économie mondiale. Dans la mesure où nous commençons à assister à une relance et à une reprise de certains de ces pays, cela devrait avoir un effet positif sur le prix des denrées.

Nous en avons déjà vu les effets, mais nous nous attendons à une amélioration graduelle pendant les mois à venir. Nous n'escomptons pas une reprise brutale, du moins tant que l'économie mondiale n'aura pas repris, mais la situation est nettement meilleure que par le passé, en tout cas par rapport aux deux dernières années, où le cours des denrées n'a cessé de baisser. Les choses vont beaucoup mieux.

M. Charles Hubbard: Merci.

Le président: Merci.

La dernière question sera posée par M. Solberg.

M. Monte Solberg (Medicine Hat, Réf.): Merci beaucoup, monsieur le président. C'est un plaisir d'accueillir le gouverneur et son adjoint à nouveau devant le comité.

J'aimerais faire suite aux observations antérieures concernant la capacité productrice de l'économie. Selon vous, il importe de faire en sorte que cette courbe soit toujours en avance sur l'inflation, car la stabilité des prix est un objectif essentiel de la banque. Compte tenu de ce qui a été dit, je pense que la technologie est une façon très importante de continuer à améliorer la capacité productrice de l'économie.

Je me demande comment faire pour accroître cette technologie au Canada et l'utiliser à meilleur escient. Je suppose qu'il nous faut notamment être à même de constituer du capital à cette fin. Cela nous ramène toujours à la question de savoir comment procéder. J'en reviens à nouveau sur la question des réductions d'impôt. Ce serait une façon de le faire. Dans une mesure, cela nous aiderait à améliorer la capacité productrice de l'économie.

Si c'est le cas, quels impôts et taxes peuvent-ils réduire en premier? En second lieu, y a-t-il de la place dans l'économie, puisque vous dites que nous sommes déjà en train d'atteindre cette courbe, pour des allégements fiscaux importants?

M. Gordon Thiessen: Si le Parlement décide de réduire les impôts et les taxes, j'espère que ce sera pour des raisons d'incitatifs à long terme plutôt que pour stimuler la demande à court terme, car c'est ce qui est important selon moi. Je le répète, il faut en arriver à un ensemble de biens publics qui permettent à l'économie de tourner rond et au niveau d'impôts et de taxes nécessaire pour financer cela. J'y ajoute un troisième élément, car je continue de croire que notre ratio d'endettement est trop élevé.

Je crois qu'il nous faut nous préoccuper de cette question à court terme également, pour le réduire. C'est ce dont il faut tenir compte.

M. Monte Solberg: Notre économie a-t-elle une capacité suffisante pour supporter des allégements fiscaux importants?

M. Gordon Thiessen: Tout dépend de la façon dont on les structure. S'ils sont répartis sur une certaine période, je ne pense pas qu'il y ait problème. Nous ne savons pas exactement quelle est cette capacité. C'est pourquoi nous procédons un petit peu à tâtons. Pour le moment, on ne peut pas dire que l'on sait ce qui va se passer et qu'il faut atteindre cet objectif, car c'est impossible. Ce qui a garanti le succès des Américains, c'est justement qu'ils ont procédé par tâtonnements.

• 1710

M. Monte Solberg: Très bien.

M. Charles Freedman: Une autre chose qu'il y a lieu de rappeler aux gens, c'est que les économistes ne savent pas quelles sont les forces motrices de la croissance de la productivité. On discute encore pour savoir ce qui a provoqué la brusque baisse de la croissance de la productivité de l'économie mondiale en 1973- 1974. Des centaines d'articles ont été écrits à ce sujet, mais sans résultats concluants.

Nous assistons peut-être à l'heure actuelle—c'est ce que les gens espèrent—à un retour vers une tendance à la hausse. Il y a eu un article très intéressant écrit par Dick Lipsey, l'un des meilleurs économistes du Canada, il y a quelques années. Il a parlé du fait qu'il est très difficile de prévoir le temps qu'il faudra pour que les importants progrès technologiques comme ceux que nous avons connus dernièrement dans notre pays se traduisent par une croissance de la productivité. Il faudra peut-être attendre encore une longue période.

Il y a eu de nombreux changements au cours des dix dernières années, et on aurait pu croire que la productivité allait reprendre plus tôt. Cela prend plus de temps que prévu. L'un des arguments qu'avance le professeur Lipsey dans son étude, c'est que lorsqu'on connaît ce genre de révolution fondamentale dans le domaine technologique, les résultats ne se font pas sentir sur-le-champ. Il faut beaucoup de temps à l'économie pour s'adapter à de tels changements.

M. Monte Solberg: Je m'interroge au sujet de l'impôt sur les biens en capital. Votre homologue américain a dit que c'est un bon impôt à réduire, sans doute parce qu'il débouche sur la formation de capital et autres choses du même genre. Qu'en pensez-vous?

M. Gordon Thiessen: Je n'en sais rien. Je n'en suis pas certain. Je ne pense pas que ce soit aussi simple que cela. Les preuves ne nous permettent pas d'affirmer ce genre de chose, et j'hésiterais donc beaucoup à exprimer une opinion à ce sujet.

M. Monte Solberg: Puis-je poser une ou deux questions bien précises?

Le président: Bien entendu.

M. Monte Solberg: Merci, monsieur le président.

Ma première question porte sur la crédibilité de la banque. Il importe manifestement que la banque soit crédible dans ce qu'elle dit et qu'elle conserve le respect des investisseurs. Je voudrais simplement vous ramener en arrière au cours de l'année, à l'époque où vous, monsieur Thiessen, avez dit que l'on s'attendait à ce que l'économie soit assez forte et connaisse un taux de croissance égal au maximum de nos prévisions. Puis, le 31 mars, vous avez réduit le taux d'escompte d'un quart de point, ce qui a surpris bien des gens. J'aimerais que vous nous expliquiez ce qui s'est passé. Il semble y avoir eu une certaine contradiction.

M. Gordon Thiessen: Ce n'est pas contradictoire à ce point. Ceux qui suivent de près les marchés financiers n'étaient pas très étonnés. L'automne dernier, lorsque nous avons effectué nos projections, nous étions encore en train de nous extraire de la crise financière asiatique. Elle s'était transformée quelque peu en crise financière aux États-Unis même. Il était question d'un resserrement du crédit. Donc, à l'époque, on s'inquiétait beaucoup au sujet de ce que l'avenir réservait.

Le resserrement du crédit étant chose du passé et les pays asiatiques ayant connu une reprise, le résultat a été meilleur. J'avais dit à l'époque que nous nous trouverions dans la partie supérieure de la fourchette et que nous réviserions nos projections à la hausse au moment de publier notre Rapport sur la politique monétaire. Mais, tout au cours de cette période, le taux d'inflation se situait au bas de la fourchette, et même en deçà. Et les possibilités de croissance de l'économie sont donc considérables. Même si elle croît plus rapidement, elle n'atteint pas les limites de la capacité, et il continue donc d'exister une certaine capacité excédentaire. Voilà qui exerce une pression à la baisse sur l'inflation.

Ainsi, les deux phénomènes sont tout à fait cohérents. Je pense que la plupart de ceux qui suivent ces questions de près l'auront compris.

M. Monte Solberg: Récemment, à la Chambre, nous avons adopté une motion d'appui à la taxe Tobin. Compte tenu de l'ensemble des débats qui ont eu lieu un peu partout dans le monde au sujet des flux de capitaux, des mouvements spéculatifs, etc., la banque a-t- elle une opinion au sujet de la taxe Tobin? Les déplacements de capitaux spéculatifs posent-ils problème? Et si la taxe Tobin n'est pas une solution, où faut-il donc chercher la solution?

M. Gordon Thiessen: J'ai exprimé un avis à ce sujet il y a de cela un certain nombre d'années dans un discours lors d'une conférence internationale tenue à Montréal. Je m'étais efforcé de faire valoir que toute taxe relativement petite, quelle qu'elle soit, et la taxe Tobin tomberait dans cette catégorie, aura pour effet d'inhiber certains flux de capitaux avantageux, comme ceux qui favorisent la stabilisation d'une devise. Les entrées et sorties de grande ampleur liées aux exportations et aux importations peuvent entraîner des fluctuations de la devise. Les flux de capitaux ont un effet stabilisateur sur la devise; ils ont pour effet de faciliter les transactions commerciales internationales.

• 1715

Les flux spéculatifs non souhaitables sont ceux qui résultent, par exemple, du fait que quelqu'un parie qu'une politique économique est complètement erronée et qu'on va devoir la modifier.

M. Monte Solberg: D'accord.

M. Gordon Thiessen: Les responsables de ce type de flux de capitaux spéculatifs envisagent généralement des gains en capital très considérables, de sorte qu'il n'y a pas, à ma connaissance, de taxe de type Tobin qui pourrait avoir un effet dissuasif. Malheureusement, ce type de taxe, selon ce que j'ai pu constater, a pour effet d'inhiber les mouvements stabilisateurs et n'a malheureusement guère d'effet dissuasif sur les grands mouvements spéculatifs.

M. Monte Solberg: Permettez-moi tout de même de poser une question au sujet des mouvements spéculatifs. On a souvent tendance à dénigrer ce type de spéculation, mais je me demande si elle est si mauvaise que cela. Les spéculateurs ne prennent-ils pas des risques que d'autres personnes ne sont pas prêtes à assumer? Il arrive à ces gens de perdre. N'agissent-ils donc pas de manière à réduire certains risques à l'avantage de tous les autres petits investisseurs qui ne sont tout simplement pas prêts à les assumer?

M. Gordon Thiessen: Eh bien, cela peut arriver, mais, la plupart du temps, il s'agit d'une situation où certaines entités spéculatives décident que tel taux de change fixe n'est tout simplement pas viable et décident d'exercer des pressions suffisantes pour obliger les gouvernements à abandonner le taux fixe. Cela peut entraîner des effets déstabilisateurs de grande envergure dans la région visée.

C'est le genre de choses qui inquiétait bien des gens au sujet du Brésil, par exemple, lorsque ce pays s'efforçait de maintenir un taux de change fixe. Les fortes pressions qui s'exerçaient ont finalement obligé les Brésiliens à laisser flotter la devise. Dans ce cas-là, tout s'est relativement bien passé, puisque le gouvernement a réagi en corrigeant un problème budgétaire, et la crise a fini par passer. La situation de fond n'était donc pas si grave dans ce cas-là. Parfois, dans le cas de pays de plus petite taille, ce genre de pression peut avoir un effet déstabilisateur.

Cependant, la solution n'est pas une taxe, selon moi. La meilleure réaction est du genre de celle que l'on constate à l'heure actuelle à l'échelle internationale, à savoir un effet accru visant la transparence et l'information. Ainsi en savons-nous davantage au sujet du pays concerné. Nous avons une certaine idée de ses réserves étrangères, de leur taille; nous savons quels ont été ses emprunts de devises étrangères à court terme, et quels sont les risques que cela implique. Également, nous nous efforçons d'améliorer la qualité des systèmes financiers de ces pays. Il a été annoncé récemment que le Fonds monétaire international allait se pencher sur la nature des systèmes financiers dans le cadre de ses examens habituels aux termes de l'article 4, de manière à faire en sorte qu'ils se conforment davantage aux normes internationales.

Voilà, selon moi, des mesures qui peuvent être extrêmement utiles.

M. Monte Solberg: Merci.

Le président: Monsieur Freedman, vous avez parlé de productivité. Nous avons mené un certain nombre de tables rondes sur cette question, et vous avez raison de dire qu'il existe une certaine confusion au sujet de la mesure et de la définition de la productivité. Mais parfois, évidemment, il faut se replier sur le bon vieux sens commun, n'est-ce pas? Il se peut bien en effet que les économistes soient en train de débattre de la question, que des ministères fournissent des chiffres contradictoires, que l'OCDE revienne sur certains chiffres, mais, en réalité, il nous faut améliorer le niveau de vie des Canadiens, et c'est cela qui a de l'importance en bout de ligne. Les points de repère sont importants, je suppose, mais, encore ici, jusqu'à un certain point seulement.

Franchement, les comparaisons avec d'autres pays ne m'importent guère. Ce qui m'importe, c'est que nous nous appliquions—ce que nous faisons très bien d'ailleurs—à toujours faire mieux. Voilà ce qui importe. Notre but véritable n'est pas d'avoir d'aussi bons résultas que les États-Unis. Nous devrions tenter de faire mieux.

Mais certains aspects sont tout de même fondamentaux. Je pense à la politique fiscale. N'est-il pas vrai que le fait de réduire les impôts des particuliers et d'autres impôts accroît la productivité?

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M. Charles Freedman: Je crois tout de même avoir dit que les éléments moteurs ne sont pas tout à fait bien définis. D'ailleurs, d'après les données les plus récentes, le taux de croissance de notre productivité—non pas notre niveau de productivité, mais le taux de croissance de notre productivité—a été passablement semblable à celui des États-Unis au cours des dix dernières années. Dans certains pays, les impôts sont élevés et la productivité est élevée et, dans d'autres, les impôts sont élevés et la productivité est faible. C'est donc possiblement un facteur; je ne suis pas prêt à dire qu'il n'a pas d'importance. Mais c'est loin d'être le seul facteur.

Pour revenir à ce que disait le gouverneur, j'estime que, pour ce qui est de la fiscalité, il faut certainement envisager les deux côtés de la médaille. Si les impôts élevés causent des frustrations au Canada, c'est que les gens ont l'impression de ne pas en avoir pour leur argent. Lorsque les gens jugent qu'ils ne reçoivent pas les services auxquels ils s'attendent, qu'il s'agisse d'un service médical ou autre, ils deviennent très frustrés. Dans certains pays les impôts sont élevés et le niveau des services est élevé également, et les contribuables en sont fort satisfaits. Dans d'autres pays, on a choisi la voie contraire. Voilà un aspect qu'il ne faut certainement pas perdre de vue.

Certains facteurs liés à la productivité sont des facteurs dits exogènes, selon les économistes. C'est-à-dire que ce sont des aspects que nous maîtrisons très peu. Je pense à l'invention du transistor, à la croissance d'Internet. Voilà des aspects qui ne dépendent pas de l'action du gouvernement. On peut penser à certaines inventions issues du secteur privé, dont personne d'ailleurs ne prévoyait l'ampleur au moment où elles ont été connues.

Par contre, nous savons que la stabilité générale du contexte économique peut avoir une certaine importance. Voilà pourquoi certaines personnes estiment qu'un taux d'inflation élevé et instable nuit à la croissance de la productivité. En 1973 et après, bien des gens attribuaient cela aux prix élevés du pétrole. Il est certain qu'il s'est agi là d'un facteur important. Cependant, les prix du pétrole ont baissé sans cesse, et nous n'avons pas constaté une relance de la productivité. Je crois que l'un des phénomènes que nous constatons aujourd'hui aux États-Unis, et au Canada également, résulte de... La productivité va croître en raison de l'ensemble des initiatives que nous avons prises en ce sens—l'Accord de libre-échange, la déréglementation, et puis, bien entendu, l'ALENA. Un faible taux d'inflation devrait également être favorable. Nous avons pris de nombreuses initiatives susceptibles d'accroître notre productivité.

Pour ma part, je doute beaucoup de la capacité des gouvernements de choisir des gagnants et des perdants parmi les secteurs d'activité industriels. Rien ne nous permet de croire que les gouvernements devraient s'efforcer de faire de tels choix. L'expérience nous a appris que les gouvernements n'ont pas de compétence particulière en la matière.

Le président: Il y a cependant de nombreuses initiatives que nous pouvons prendre en matière de fiscalité. Vous avez parlé de déréglementation, de privatisation, etc...

M. Charles Freedman: Tout à fait. De la souplesse des marchés, etc. Tout cela est très bon...

Le président: Ce qui m'inquiète, c'est que le débat dure depuis un certain temps déjà et que, dans de telles circonstances, il arrive souvent qu'on attende la réponse parfaite avant de faire quoi que ce soit. Or, nous ne pouvons pas nous laisser paralyser de la sorte. Nous devrons faire des choix. Nous devons décider de réduire très fortement les impôts, de tout privatiser, etc. Si nous n'agissons pas très rapidement, nous allons nous retrouver... Plus nous tardons à agir, plus nous manquons d'occasions.

M. Charles Freedman: Certaines mesures me paraissent relever quasiment de l'évidence même. Par exemple, le fait d'augmenter le libre-échange ici même au Canada. Comme vous le savez, il existe des obstacles au commerce. Nous nous sommes efforcés de les réduire. Selon moi, il s'agit là d'une façon très évidente d'améliorer le rendement de l'économie.

Le président: Nous n'avons pas besoin d'autres études pour nous en convaincre.

M. Monte Solberg: Puis-je poser une question connexe? Le sujet est particulièrement intéressant.

Si l'on considère l'économie du Canada et la taille du secteur gouvernemental, qui représente à peu près 45 p. 100 de l'économie ici, comparativement à environ 36 p. 100 aux États-Unis, le fait de lier une si grande partie de l'économie au secteur public n'a-t-il pas des répercussions sur la productivité? De toute évidence, certaines tâches doivent être confiées au gouvernement. Je pense par exemple à l'infrastructure. Mais, pour certains types de dépenses, on peut se demander quel est l'effet sur la productivité, et il serait peut-être beaucoup plus productif de laisser l'argent dans le secteur privé pour permettre à l'entreprise privée de prendre des initiatives.

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Je me demande donc s'il existe une corrélation entre la taille du gouvernement et la productivité.

M. Gordon Thiessen: Il est peut-être plus facile de faire des constatations dans les cas extrêmes. Dans le cas des pays où le secteur gouvernemental est énorme, c'est très clair. Il est moins facile de tirer des conclusions lorsqu'on parle d'un secteur public dont la taille est considérable sans être anormale.

Ce qui importe le plus, cependant, c'est la mesure dans laquelle le gouvernement fait du bon travail. Si le gouvernement fournit des services publics qui font en sorte que la population travaille de façon plus efficace, que ce soit dans le secteur de l'éducation ou de la santé, ou en matière de sécurité du revenu, si le gouvernement fait bien son travail, cela peut être utile pour l'économie. Si le gouvernement ne fait pas du bon travail, alors cela va certainement miner la productivité.

M. Monte Solberg: L'aspect important, si nous supposons que le secteur privé est généralement plus efficace que le secteur public, ce serait pour le secteur public de chercher à imiter le secteur privé dans les domaines où on aurait choisi de faire participer le secteur public.

M. Gordon Thiessen: Je pense qu'il est toujours important d'avoir de bons points de repère. Il faut veiller à ce que tout ce qui se fait dans le secteur public se fasse aussi bien que si c'était fait dans le secteur privé.

M. Monte Solberg: Ce qui arrive habituellement, tout de même, c'est que le gouvernement grossit et finit par accaparer des activités qui auraient lieu dans le secteur privé de toute façon. Dans un tel cas, êtes-vous prêt à reconnaître que la productivité ne serait pas ce qu'elle pourrait être autrement?

M. Gordon Thiessen: Je crois qu'on peut trouver des exemples de gouvernements qui sont devenus de plus en plus interventionnistes, qui ont voulu exercer un contrôle de plus en plus considérable sur l'économie, et il est certain qu'on a pu constater alors une baisse de productivité. Toutes les expériences socialistes en témoignent.

M. Monte Solberg: D'accord.

Le président: Y a-t-il d'autres questions?

Monsieur le gouverneur, monsieur le sous-gouverneur, permettez-moi de vous remercier. Nous sommes toujours heureux de vous accueillir ici. Je dois dire que j'ai trouvé vos commentaires au sujet de l'économie fort optimistes, ce qui ne manquera pas de réjouir les Canadiens.

Merci beaucoup.

M. Gordon Thiessen: Merci, monsieur le président. Je suis toujours heureux de comparaître.

Le président: La séance est levée.