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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 016 
l
1re SESSION 
l
44e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le vendredi 21 octobre 2022

[Enregistrement électronique]

(0855)

[Traduction]

     La séance est ouverte. Il est maintenant 8 h 52. Puisque nous avons le quorum, nous pouvons commencer.

[Français]

    Bonjour, tout le monde.
    J'espère que vous allez bien.
    Aujourd'hui, nous avons deux points à l'ordre du jour.
    Il s'agit de la seizième réunion du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
    Cette réunion se déroule sous forme hybride, conformément à l'ordre de la Chambre des communes adopté le 23 juin 2022. Les députés peuvent participer à la réunion en personne ou au moyen de l'application Zoom.

[Traduction]

    Pour assurer le bon déroulement de la réunion, tous les députés doivent attendre d'être nommés avant de prendre la parole. Lorsque vous parlez, faites-le clairement dans le micro.

[Français]

    L'interprétation est aussi disponible sur Zoom.

[Traduction]

    Je sais que tout le monde sait maintenant comment s'en servir.
    Je vous rappelle que tous les commentaires doivent être adressés à la présidence.
    J'aimerais souhaiter la bienvenue à un nouveau membre, Ziad Aboultaif, d'Edmonton Manning.

[Français]

    Notre première tâche sera d'élire un vice-président.

[Traduction]

    Nous passerons ensuite à notre étude sur le Tigré.
    J'aimerais remercier M. Cooper des services qu'il a rendus au Comité.
    Sans plus tarder, nous allons passer aux mises en candidature pour notre poste de vice-président. Y a-t-il des candidatures?
    Monsieur Aboultaif, allez-y.
    Merci, monsieur le président, de m'accueillir ce matin. Je suis heureux de travailler avec nos collègues au sein de cet important comité.
    J'aimerais proposer la candidature du député Viersen au poste de vice-président.
    Merci de cette proposition. Conformément à l'article 106(2), le premier vice-président doit être un député de l'opposition officielle.
    Le député Viersen a été proposé comme vice-président. Y a-t-il d'autres motions pour le poste de vice-président?
    Il n'y a pas d'autres motions.
    (La motion est adoptée.)
    Le président: Monsieur Viersen, félicitations. Vous êtes notre vice-président.
    Des voix: Bravo!
    Il est 8 h 55 et nous avons jusqu'à 10 h 45. Nous allons donc diviser ce temps en deux et entendre nos deux groupes de témoins. Nos témoins sont en ligne.
    Nous poursuivons l'étude sur le Tigré que nous avons commencée lors de notre réunion précédente. Nous avons déjà eu une réunion à ce sujet, au cours de laquelle un certain nombre de membres du Comité ont témoigné au pied levé, ce qui a très bien fonctionné. Il nous reste maintenant cette réunion et la prochaine pour étudier le Tigré, après quoi nous rédigerons un rapport.
    Conformément à l'article 108(2) du Règlement et aux motions adoptées par le Sous-comité le jeudi 26 avril 2022 et le vendredi 23 septembre 2022, le Sous-comité reprend son étude de la situation actuelle au Tigré.
    C'est avec plaisir que nous accueillons Goitom Gebreluel, stagiaire postdoctoral à l'Université Yale, et Ian Spears, professeur agrégé de science politique à l'Université de Guelph.
    Vous disposez chacun d'un maximum de cinq minutes. Je vais surveiller l'heure, et je vous demande de le faire également. Après votre déclaration préliminaire, nous passerons à la période des questions.
     Allez-y, monsieur Gebreluel, je vous en prie.
     Merci, monsieur le président. Je m'appelle Goitom Gebreluel. J'aimerais remercier le Comité de m'avoir invité à faire cet exposé, que je vais concentrer sur les raisons pour lesquelles les atrocités au Tigré pointent très fortement vers une intention génocidaire.
    Je commencerai par souligner que l'objectif déclaré du gouvernement éthiopien lorsqu'il a lancé la guerre, en novembre 2020, était d'appréhender les dirigeants du Front populaire de libération du Tigré. Dans les faits, il en a résulté un ensemble systématique d'atrocités commises contre la population civile de cette région. Elles ont été nombreuses, et je vais passer en revue certaines parmi les plus graves.
    La première concerne le nettoyage ethnique. Dès que des troupes du gouvernement fédéral de l'Éthiopie, de l'État régional d'Amhara et de l'Érythrée sont entrées dans l'ouest et le sud du Tigré, en novembre 2020, elles ont procédé au nettoyage ethnique de 1,2 million de Tigréens de ces régions. Tout au long de 2021, les Tigréens qui restaient ont été victimes de meurtres et de torture. Parmi les récits les plus troublants, il y a ceux qui parlent de cadavres de Tigréens, dont les mains étaient attachées derrière le dos et dont les yeux avaient été arrachés, flottant en grand nombre sur le fleuve vers le Soudan. Un rapport récent de Human Rights Watch et d'Amnistie internationale conclut que ces atrocités constituent des crimes contre l'humanité.
    L'autre atrocité qui a caractérisé cette guerre est la violence systémique fondée sur le sexe et son utilisation comme arme de guerre. Après l'entrée de ses troupes au Tigré, le Premier ministre Abiy Ahmed a déclenché une vague de viols systémiques contre les femmes et les filles tigréennes. L'Agence des États-Unis pour le développement international a estimé qu'au début de 2021, les femmes et les filles ayant besoin d'un traitement à la suite de ces viols étaient au nombre de 22 500, alors qu'une étude du Bureau de santé de la région du Tigré a estimé ce nombre à environ 120 000. Les victimes de ces atrocités ou de ces crimes ont également signalé qu'en plus d'être victimes de viol, elles ont souvent été soumises à d'autres formes de violence physique de la part des auteurs de ces actes, comme des clous introduits dans leur corps.
    Les motifs ethniques de ces crimes ont également été mis en évidence par les déclarations faites par leurs auteurs. Certaines victimes ont déclaré qu'on leur avait dit que les auteurs de ces actes étaient en train de les « amharaiser », de les « purifier » de leur sang tigré et qu'aucun « corps de Tigréenne ne devrait porter d'enfant ». Cela montre que ces viols visaient à détruire les capacités reproductrices des femmes tigrées, ce qui constitue donc une intention génocidaire.
    La troisième atrocité sur laquelle je veux attirer votre attention, c'est l'utilisation de la famine comme arme de guerre. Le gouvernement éthiopien a provoqué une famine à grande échelle au Tigré. Cela a commencé pendant son occupation du Tigré, entre novembre 2020 et juin 2021, occupation au cours de laquelle on a systématiquement détruit les pompes à eau, les cultures et les installations de stockage des aliments. La population civile a été pillée et on a empêché les personnes qui en avaient besoin d'avoir accès à l'aide humanitaire. Depuis leur éviction du centre et du sud du Tigré, en juin 2021, tout le Tigré est assiégé, et aucun médicament, très peu d'aide alimentaire et aucun service de base n'y sont autorisés.
    L'ancien chef humanitaire des Nations Unies, Mark Lowcock, a confirmé que le gouvernement éthiopien utilise la famine comme arme de guerre, et il a également déclaré que le gouvernement éthiopien avait réussi à bloquer une déclaration de l'ONU en 2021, selon laquelle le seuil de la famine avait été franchi.
(0900)
     Un aspect important qui a été négligé est le discours haineux et ce qu'il nous dit au sujet de cette guerre. Ces atrocités ont été précédées de deux ans et demi ou trois ans de diabolisation collective des Tigréens par des médias de l'État et les dirigeants actuels de l'Éthiopie.
    Avant et pendant la guerre, les appels publics à l'extermination des Tigréens par des représentants du gouvernement et des personnalités publiques associées à ce dernier se sont multipliés. En ce qui concerne les Tigréens, on a entendu des déclarations comme « Chacun d'entre nous devrait tuer un Tigréen et mourir. Nous sommes 30 millions, et ils sont six millions. Si nous en sacrifions six millions, le reste pourra être libéré. » On a aussi entendu: « Les Tigréens ne font pas partie de la race humaine. Ils ne valent pas mieux que le diable. » De telles déclarations étaient monnaie courante et on les a entendues régulièrement à la télévision publique et dans des médias de l'État, ce qui, à mon avis, illustre les motivations qui sous-tendent la guerre.
    Un rapport récent du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies fait également écho à ces affirmations. On y constate que les discours de haine et les actes de violence en Éthiopie semblent « aller au-delà de la simple intention de tuer et refléter plutôt le désir de détruire ». On y conclut également que le gouvernement éthiopien a mis en œuvre un large éventail de mesures visant à priver systématiquement la population du Tigré du matériel et des services indispensables à sa survie.
    Cela se rapproche beaucoup de la définition des actes de génocide que nous trouvons à l'article II(c) de la Convention pour la prévention du crime de génocide, à savoir: « Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle »...
(0905)
    Merci, monsieur Gebreluel. Votre temps est écoulé.
    Nous allons passer à notre prochain témoin, le professeur Spears.
     Merci beaucoup de me donner l'occasion de vous parler de la crise actuelle dans la région du Tigré, en Éthiopie.
    Au cours des derniers jours, la situation en Éthiopie a peut-être atteint un point décisif, alors que le Tigré a fait l'objet d'attaques par deux, voire trois armées, soit la Force de défense nationale de l'Éthiopie, ou FDNE, les Forces de défense érythréennes, ou FDE, et les forces spéciales amhara.
    Pour le gouvernement d'Addis Abeba, le Front populaire de libération du Tigré, ou FPLT, représente une menace pour les raisons suivantes: premièrement, le FPLT dirigeait autrefois et croit qu'il est particulièrement qualifié pour jouer ce rôle; deuxièmement, le FPLT a exercé son pouvoir en Éthiopie pour des périodes importantes de l'histoire de ce pays, surtout de 1991 à 2018; et troisièmement, le FPLT a démontré à maintes reprises sa capacité d'exercer le pouvoir, un pouvoir militaire, et de vaincre ceux qui le revendiquaient. Selon le régime d'Addis Abeba et ses alliés, si le FPLT n'est pas éliminé une fois pour toutes, il va se relever.
    Les Érythréens, sous la direction du président Isaias Afwerki, ont une rancune à l'égard du Tigré. Les Érythréens et les Tigréens ont parfois été des alliés et, en fait, ils ont collaboré dans le passé pour défaire le régime marxiste de Mengistu Haile Mariam, en 1991. Cependant, en tant que dirigeants de leurs États indépendants respectifs, ils sont redevenus des rivaux.
     Ils ont mené une guerre frontalière meurtrière de 1998 à 2000 et, bien que les Érythréens aient été vaincus en 2000, ils n'ont pas oublié ces événements et cherchent à reprendre le territoire qu'ils considèrent comme le leur. On soupçonne également le président érythréen Isaias Afwerki d'avoir ses propres visées à l'égard de l'Éthiopie. Quoi qu'il en soit, le gouvernement d'Asmara a effectivement un droit de veto sur tout accord entre le FPLT et le gouvernement d'Addis Abeba, ce qui pose un problème.
    Les Amharas se sont eux aussi portés complices de l'effort de destruction du FPLT. Ils ont toujours fait partie de la classe dirigeante éthiopienne, et bon nombre d'entre eux se sont réjouis du déplacement du FPLT d'Addis Abeba en 2018. Les Amharas ont subi des pertes territoriales dans les années 1990, lorsque le FPLT a réorganisé le pays en fonction de l'identité ethnique ou nationale, et depuis le début de la guerre, en novembre 2020, ils ont cherché à récupérer ce territoire perdu et à nettoyer ethniquement l'ouest du Tigré.
    Le FPLT lui-même, bien qu'il soit apparemment victime de la crise actuelle, n'est pas sans reproche. Pour de nombreux Éthiopiens, l'arrogance du Tigré et le fait qu'il a privilégié ses propres intérêts après la chute du régime communiste en 1991 sont une source de ressentiment, mais il ne faut pas sous-estimer l'instinct de survie du FPLT et sa capacité à surmonter les difficultés dans un contexte de guerre.
     Encore une fois, c'est un défi. La défaite du régime de Mengistu Haile Mariam aux mains du FPLT, en mai 1991, a été l'aboutissement d'une lutte de 15 ans, sinon plus, qui a coûté très cher. Les insurgés, comme c'était le cas à l'époque, l'ont emporté en raison de leur vision singulière et de leur extraordinaire capacité d'organisation. Le FPLT a par la suite structuré l'Éthiopie en fonction d'une forme de fédéralisme ethnique qui a répondu à un grand nombre — ou du moins à un certain nombre — de questions liées à la nationalité en Éthiopie, mais qui a également généré de nouvelles tensions.
     En raison de leur statut minoritaire, les Tigréens — qui ont formé le FPLT et aussi le noyau d'un autre groupe, appelé le FDRPE ou Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien, pendant trois décennies — ont toujours été extrêmement sensibles aux changements dans la répartition locale du pouvoir entre leurs rivaux. Ce n'est qu'en 2018 que les partenaires de la coalition des Amharas et des Oromos ont remporté ce que certains ont décrit comme une « course finale », qui a permis à un nouveau venu non tigréen, Abiy Ahmed, d'assumer les fonctions de premier ministre.
    L'Éthiopie se trouve maintenant prise dans une lutte entre des groupes puissants et très disciplinés, en particulier les Érythréens et le FPLT.
(0910)
     Vous devez savoir que l'objectif des belligérants n'est pas la paix, mais la sécurité. Pratiquement chaque action, chaque acte d'agression, chaque acte d'intolérance et chaque acte de paix doivent être considérés dans ce contexte. Même la paix entre le premier ministre éthiopien Abiy Ahmed et le président érythréen Isaias Afwerki, qui a permis au premier d'obtenir le prix Nobel de la paix, devrait être considérée comme une mesure stratégique visant à isoler les Tigréens, plutôt que comme une reconnaissance des avantages de la paix.
    Bien que le gouvernement éthiopien puisse réagir favorablement aux pressions politiques et économiques pour une solution humanitaire, il est probable qu'il résistera à tout effort qui nuirait à sa capacité de détruire le FPLT en tant que force militaire. Sur le plan humanitaire, les résultats seront désastreux.
    Merci, monsieur Spears. Votre temps est écoulé.
    Nous allons passer aux questions et réponses, en commençant par M. Viersen, pour sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    J'ai cru comprendre que nous avions un troisième témoin. Viendra-t-il plus tard?
     Nous avons deux autres témoins dans le deuxième groupe.
    Allez-y, je vous en prie.
    Merci beaucoup à nos invités de ce matin pour leurs exposés.
    Monsieur Spears, notre comité se consacre généralement aux violations des droits de la personne. Pensez-vous qu'il y a moyen de séparer les violations de ces droits de la situation politique? On assiste fondamentalement à une lutte politique en Éthiopie. Comment devrions-nous faire la distinction entre les questions humanitaires et les questions politiques, et est-ce même possible?
    Je pense que c'est une excellente question. Je ne suis pas sûr que ce soit possible.
    Dans tout conflit ethnique ou national, les belligérants se considèrent souvent comme des représentants de leurs peuples respectifs. Tant le FPLT que les Amharas se voient comme des défenseurs et, surtout pour le FPLT, comme appartenant au peuple. Pendant la guerre contre le Derg, dans les années 1980 et au début des années 1990, le FPLT et ses dirigeants n'ont jamais quitté le pays. Ils sont demeurés parmi les leurs, ce qui renforce cette association.
    Je pense que vous allez devoir vous pencher, du moins dans une certaine mesure, sur ces deux aspects. Il faudra gérer les belligérants proprement dits, ceux qui se battent, parce qu'ils se considèrent comme des défenseurs de leur peuple.
    Monsieur Gebreluel, voulez-vous répondre à cette question également? Sera-t-il possible de séparer les questions humanitaires des questions politiques que nous voyons au Tigré?
     Je pense qu'il est important de souligner ici que la guerre était, dès le départ, à mon avis, dirigée contre la population civile du Tigré. Si vous regardez les atrocités qui sont commises, elles sont très peu d'origine politique ou militaire, à mon avis. Quel est l'objectif militaire des fosses communes? Quel est l'objectif militaire du discours de haine que nous entendons tous les jours et qui parle d'exterminer des civils? Quel est l'objectif politique de l'utilisation de la famine à grande échelle comme arme de guerre, si ce n'est pour nuire à la population civile? À mon avis, les attaques contre les civils sont au cœur de la stratégie du gouvernement et représentent le but politique fondamental. Il est très difficile de démêler tout cela.
    J'aimerais également attirer l'attention sur le fait que la violence sexuelle et fondée sur le sexe n'est pas quelque chose qu'on voit dans toutes les guerres. Ce n'est pas un phénomène naturel. Combien de gouvernements utilisent aujourd'hui la famine à grande échelle comme arme de guerre contre leurs propres citoyens? À quelle fréquence assiste-t-on à des nettoyages ethniques?
    Il y a de multiples conflits dans le monde. Le nettoyage ethnique d'un million de personnes, par exemple, est assez rare. Je veux vraiment attirer l'attention sur les dangers qu'il y a à normaliser cela comme faisant simplement partie d'un conflit ou d'une guerre. Ce sont des violations extraordinaires des droits de la personne aujourd'hui. Je défie quiconque de nommer deux ou trois conflits dans lesquels nous assistons aujourd'hui à des attaques de civils de cette ampleur. Je pense qu'un gros problème dans la façon dont nous avons abordé la guerre, c'est que nous avons normalisé et minimisé les actes du gouvernement éthiopien.
    Merci.
(0915)
    Monsieur Spears, alors que le Comité avance dans ses travaux et fera des recommandations au gouvernement canadien sur les mesures qu'il devrait prendre, j'ai l'impression que nous jouons le rôle d'arbitre. Nous pouvons dénoncer les actes répréhensibles, mais nous avons peut-être aussi l'occasion de bâtir la démocratie et les institutions et de contribuer à cela dans ce pays.
    Avez-vous des recommandations à formuler sur ces deux aspects — comment jouer le rôle d'arbitre et comment bâtir une démocratie plus forte? Vaut-il la peine que nous consacrions du temps à la démocratie?
    C'est aussi une très bonne question.
    Je ne suis pas certain qu'il existe une solution évidente. J'hésite à l'exprimer ainsi. Le Derg était le régime marxiste qui a été renversé en mai 1991. Depuis ce temps, il y a eu des progrès. Les gouvernements et leurs dirigeants régionaux sont, comme je l'ai dit, extrêmement sensibles et défensifs à l'égard de leurs populations respectives, et ils sont très réticents à concéder quoi que ce soit qui ferait en sorte qu'ils soient dominés par quelqu'un d'autre.
    Ce qui me préoccupe, c'est que les groupes sont si intransigeants, si disciplinés, si puissants et si réticents à concéder quoi que ce soit qu'il sera difficile — ou du moins les groupes ne verront pas cela comme possible — d'avoir ce que nous, au Canada ou en Occident, pourrions considérer comme une démocratie, sans que leurs adversaires soient vaincus. Cela n'arrivera pas.
    D'aucuns seront en désaccord avec cela. Je pense que mon point de vue a tendance à s'apparenter un peu plus ce qu'on appelle la réalpolitique, mais je pense que c'est la réalité.
    J'ajouterais que pratiquement toutes les organisations qui écrivent sur ces questions diront, par exemple, que nous avons besoin de négociations et d'un dialogue inclusifs sans conditions préalables. Il est difficile d'être en désaccord avec cela, mais c'est plus facile à dire qu'à faire, surtout dans ce cas-ci, où chaque groupe est si redoutable.
    Mon autre question était la suivante: selon vous, comment le Canada peut-il jouer un rôle d'arbitre?
    Cette question devra être posée au prochain tour par un autre membre du Comité.
    Nous passons maintenant à M. Ehsassi, pour sept minutes.
    Allez-y, je vous en prie.
     Merci, monsieur le président.
    Permettez-moi de remercier les deux témoins de leurs témoignages puissants, mais déchirants.
    J'aimerais commencer par M. Spears.
    Monsieur Spears, pourriez-vous nous expliquer comment les mécanismes humanitaires internationaux ont permis de relever tous les défis sur le terrain?
(0920)
     Je ne suis pas sûr d'être la personne la mieux placée pour répondre à cette question, parce que je ne pense pas qu'ils aient été en mesure de le faire.
    Il y a 25 ans, j'ai rencontré un de vos collègues, John Bosley, à Addis Abeba, et il m'a dit que le Canada ne pouvait pas faire grand-chose — je peux peut-être répondre à ces deux questions —, parce que les belligérants eux-mêmes...
    Monsieur Spears, ma question porte sur les efforts humanitaires internationaux, et non sur le rôle du Canada.
    Eh bien, pour ce qui est des efforts humanitaires, il faut trouver un moyen d'amener les parties sur le terrain pour que cela se produise. À l'heure actuelle, le gouvernement d'Addis Abeba bloque cela. Bien sûr, il s'agit d'un État souverain, qui a été très efficace pour bloquer tout accès, compte tenu surtout, comme on l'a dit très clairement et avec force, des atrocités qui sont commises.
    La seule chose qui, à mon avis, peut être faite... L'Éthiopie se trouve dans une situation unique, je suppose, parce qu'elle a été un allié de l'Occident, en particulier des États-Unis. Il est donc possible d'exercer des pressions et de contraindre le gouvernement à autoriser des organisations humanitaires à entrer dans le pays. C'est vraiment la seule chose à faire, et il faut laisser le soin à ces organisations de fournir ces services.
    À l'exception des États-Unis — qui, comme vous l'avez expliqué, ont une alliance avec le gouvernement éthiopien, semble-t-il —, que peuvent faire les autres acteurs de la communauté internationale pour veiller à ce que l'aide humanitaire ne soit pas bloquée, qu'on n'y fasse pas obstruction? Quel genre de pressions les autres acteurs de la communauté internationale peuvent-ils exercer sur le gouvernement?
    Je dirais qu'ils utilisent toutes les ressources qui sont à leur disposition. Le problème, c'est que les seuls leviers dont nous disposons en réalité sont des choses comme l'aide, mais l'aide est exactement ce qui est nécessaire, alors ce n'est pas clair... Bien sûr, il y a des choses comme la reconnaissance diplomatique, mais ils ne verront pas les Tigréens comme... Ils — le gouvernement — ne se considèrent pas comme les méchants. En fait, il y a à peine quelques années, Abiy Ahmed a remporté le prix Nobel et était littéralement la personnalité politique la plus célèbre de l'Éthiopie. Comme je l'ai dit dans mes observations, ils considèrent le FPLT — à tort ou à raison — comme une menace à leur existence.
    Ils résisteront, je pense, à beaucoup de pression avant de céder, mais il y a eu des indications de part et d'autre que lorsque la pression est importante, des concessions sont possibles, je suppose. Cependant, cela ne semble jamais suffisant, et je ne pense pas qu'ils vont permettre que cela nuise à la mise en échec de ce qu'ils considèrent comme leur adversaire.
    Merci, monsieur Spears.
    Je vais maintenant m'adresser à M. Gebreluel, si vous me le permettez.
    J'ai parlé à des membres de la communauté tigréenne du Canada, et une chose qui est très frustrante, c'est qu'ils sont incapables d'envoyer de l'aide à leurs êtres chers et à leurs proches dans leur pays d'origine.
     Y a-t-il quelque chose qui peut être fait à cet égard pour aider les membres de la communauté pour le cas où ils voudraient envoyer de l'aide financière ou des biens chez eux? Y a-t-il une solution à cela? Il est vraiment difficile de parler aux membres de la communauté tigréenne, qui sont préoccupés à juste titre et qui n'ont aucun moyen d'aider.
     Je vous remercie de cette excellente question.
    Je pense qu'il est important de reconnaître qu'il s'agit d'un siège qui découle d'une politique; il s'agit d'une stratégie. Par exemple, il y a actuellement une famine en Éthiopie parce que les Tigréens n'ont pas accès à leurs comptes bancaires. Il y a des gens qui ont beaucoup d'argent dans leurs comptes bancaires, mais qui n'y ont pas accès, alors ils meurent de faim.
    Ce n'est pas un problème technique, et il n'existe pas de solution technique. Il s'agit d'une stratégie délibérée et calculée pour affamer les gens à mort, alors nous devons examiner la situation politique dans son ensemble.
    Pour répondre à votre question précédente, la communauté internationale peut faire beaucoup. Le fait est que la communauté internationale n'a vraiment rien fait, pratiquement rien. Nous ne condamnons même pas fermement ces atrocités. Essentiellement, nous n'en parlons même pas. Combien de gouvernements occidentaux parlent aujourd'hui, de façon explicite, de l'utilisation de la famine à grande échelle comme arme de guerre par le gouvernement éthiopien? Combien d'entre eux condamnent cela comme ils condamnent l'invasion de l'Ukraine par la Russie? Même au niveau du discours, il ne se passe rien. Pour ce qui est des médias, ils font tout ce qu'ils peuvent pour masquer la nature intentionnelle de la famine qui a été créée.
    Je pense que nous pouvons faire beaucoup.
     La première chose à faire est de décrire avec exactitude ce qui se passe, de condamner la situation, puis de présenter des demandes très concrètes au gouvernement éthiopien.
    Deuxièmement, le gouvernement éthiopien est extrêmement fragile sur le plan économique. La dette nationale a doublé au cours des quatre dernières années. Les taux de change sont en forte baisse. Les États-Unis ont beaucoup d'influence, mais d'autres pays occidentaux aussi. Ce qui manque, c'est la volonté politique, qui est plus ou moins inexistante. Ce n'est pas comme si une véritable tentative avait été faite et avait échoué. Le problème, c'est qu'aucune tentative n'a été faite.
    Je vais m'arrêter ici. Merci.
(0925)
    Merci, monsieur Gebreluel.
    Nous allons passer à notre prochain intervenant, M. Brunelle-Duceppe.

[Français]

    Je vous remercie, monsieur le président.
    Je remercie les témoins d'être avec nous aujourd'hui pour participer à cette étude extrêmement importante.
    L'étude qui nous a réunis aujourd'hui découle d'une motion du Bloc québécois, qui a créé l'étude. Je suis en contact direct avec les membres de la communauté tigréenne, et je leur parle de façon quasi hebdomadaire.
    Monsieur Gebreluel, si vous répondez à la plus grande frustration de la communauté, présentement, c'est parce que les gouvernements occidentaux sont incapables de se positionner et de nommer le problème, de dire le mot « génocide » en ce qui concerne le Tigré. C'est la raison de votre présence parmi nous.
     Monsieur Gebreluel, si nous nous reportons à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, en quoi la situation au Tigré peut-elle être considérée comme un génocide?

[Traduction]

     Je vous remercie de cette excellente question.
    Je pense que le génocide est un crime intentionnel, et je pense que nous avons deux indications très fortes du caractère intentionnel dans ce cas.
    La première se situe au niveau du discours. Le gouvernement lui-même n'a pas hésité à exprimer son intention. Il utilise régulièrement un langage déshumanisant pour parler du peuple tigréen. Cela démontre que sa cible n'est pas le FPLT, mais la population en général. Il y a eu plusieurs cas où l'extermination du peuple tigréen a été expressément mentionnée dans les médias, soit par des fonctionnaires, soit par des alliés du gouvernement.
    Nous avons également une déclaration du ministre finlandais des Affaires étrangères envoyé de l'UE dans la Corne de l'Afrique et en Éthiopie qui, après ses rencontres avec des représentants éthiopiens il y a un an, a déclaré qu'ils lui avaient dit qu'ils allaient « éliminer » les Tigréens. Donc, à plusieurs reprises, le gouvernement lui-même a clairement signifié son intention d'exterminer ou de détruire le Tigré.
    La deuxième se situe au niveau du comportement, lequel montre bien cette intention. La famine à grande échelle est utilisée comme arme de guerre. Il existe des preuves très solides qu'il s'agit d'actes délibérés, intentionnels et systématiques. Pour l'instant, il n'y a pas de controverse à ce sujet. Si quelqu'un pense que cela n'indique pas une intention d'éliminer une partie ou la totalité du Tigré, j'aimerais entendre la logique de son argument. Qu'est-ce qui motive le fait de mettre toute une population en état de siège, de lui refuser l'accès à la nourriture, de détruire ses cultures et, essentiellement, de provoquer la famine si ce n'est pas de l'éliminer entièrement? Que se passe-t-il — quelle est la séquence logique des résultats — lorsqu'on fait cela? Bien sûr, c'est le massacre ou l'extermination de toute une population.
    Nous avons un certain nombre d'indications comportementales qui montrent que des mesures systémiques sont prises pour détruire le peuple tigréen. Récemment, un rapport du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies a également indiqué que cette intention...
(0930)

[Français]

    Je vous remercie, monsieur Gebreluel.
    Monsieur Spears, vous êtes un expert en la matière. Vous avez publié plusieurs articles sur le leadership et les limites de l'intervention gouvernementale en Afrique. Dans l'un de ces articles datant de 2007, vous abordez notamment les efforts déployés par la communauté internationale pour maintenir le rétablissement de la paix.
    À l'heure actuelle, quelle est votre opinion quant au leadership de la communauté internationale du Tigré?
    En guise de sous-question, que pensez-vous du leadership du Canada dans le conflit qui se déroule au Tigré, par comparaison avec ce qui se passe à l'international?

[Traduction]

     Je me demande si vous pouvez préciser la question. Votre question porte-t-elle sur le leadership des Tigréens au sein de la communauté internationale?

[Français]

    Non, ce n'est pas cela.
    J'ai lu vos articles publiés en 2007 et qui portent sur le leadership et les limites de l'intervention gouvernementale en Afrique. Ma question porte sur la communauté internationale par rapport à l'intervention gouvernementale en Afrique.
    Quelle est votre opinion sur le leadership à l'international?

[Traduction]

     Le problème qui se pose pour moi, c'est qu'il y a des limites à ce qui peut être fait. Je suppose que le leadership est décevant. Le problème que je continue de voir, ce sont les gens qui disent qu'il y a un manque de volonté politique. Je ne saisis pas toujours exactement ce que la communauté internationale pense qu'il faudrait faire.
    Le problème auquel l'Afrique est confrontée, le problème auquel l'Éthiopie est confrontée et qui se produit partout en Afrique, c'est que les frontières des États sont tracées par des étrangers, et c'est le défi que les dirigeants africains doivent relever lorsque leurs États deviennent indépendants.
    Je suppose qu'il y a un manque de leadership, mais je continue de vouloir savoir précisément ce qui devrait être fait. Je ne pense pas que l'Éthiopie soit nécessairement laissée pour compte. Le fait que nous ayons cette discussion aujourd'hui montre que le Canada fait preuve de leadership, et il est évident que vous avez eu des réunions sur cette question avant aujourd'hui.
    Le défi vient du fait qu'il s'agit d'un problème permanent parce qu'il n'y a pas de régime cohérent. Il existe de multiples traditions politiques en Afrique au sein d'un même État, et l'Éthiopie est l'une des manifestations les plus profondes de ce problème. Il y a plusieurs groupes qui se considèrent comme ayant le droit de gouverner et qui veulent prendre le pouvoir pour se protéger — non pas parce qu'ils ont soif de pouvoir, mais parce qu'ils considèrent que cela est essentiel à la protection de leur groupe.
    Il y a donc des limites aux actions que la communauté internationale peut prendre, qu'elle veuille ou non faire preuve de leadership.
    Merci, monsieur Spears.
    Nous allons poursuivre avec notre prochaine intervenante, Mme McPherson.
(0935)
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie nos témoins d'être parmi nous aujourd'hui. Bien sûr, vos témoignages ont été incroyablement pénibles à entendre, et j'ai l'impression que nous devons en faire plus. Il est difficile de se faire dire que les solutions ne sont pas du tout faciles à trouver.
    Je m'inquiète et je suis heureuse que nous entreprenions cette étude maintenant. C'est une démarche qui a été amorcée en novembre 2020. Je pense que c'est quelque chose que nous aurions dû étudier beaucoup plus tôt. Je sais que nous avons essayé de le faire au cours de la dernière session.
    Je me demande si c'est la complexité de cette question qui fait que le monde détourne le regard. De toute évidence, la communauté internationale se concentre beaucoup sur ce qui se passe en Ukraine et en Afghanistan. Il y a de nombreux points chauds dans le monde qui exigent notre attention, mais je suis effarée de voir que la communauté internationale ne s'occupe plus activement de ce conflit, compte tenu des pertes de vie, des actes de génocide évidents qui ont lieu, des attaques contre les civils et des attaques contre les écoles et les hôpitaux.
    D'après ce que je saisis des témoignages que nous avons entendus et des questions qui ont été posées, il faut trouver une solution, même si les problèmes sont très profonds et potentiellement insolubles. Il faut qu'il y ait une sorte de cessez-le-feu, un moyen de fournir de l'aide humanitaire et une façon de trouver une solution.
    Je vais commencer par vous, monsieur Gebreluel, mais je vais vous poser la même question à tous les deux. Au bout du compte, quel est le rôle du Canada? Quel est le rôle des institutions multilatérales, des institutions humanitaires, des Nations Unies, de l'Union africaine? Quel est le rôle de ces institutions multilatérales et comment le Canada peut-il intervenir davantage pour les influencer? En fin de compte, ce qui se passe sur le terrain est horrible, et le Canada, en tant que grand fournisseur d'aide à l'Éthiopie, doit pouvoir avoir une certaine influence pour trouver une solution.
    Je vais commencer par vous, monsieur Gebreluel.
     Merci pour cette excellente question.
    Je vais revenir à l'argument que j'ai présenté plus tôt. Une initiative facile et très peu coûteuse pour n'importe quel acteur mondial aujourd'hui consisterait à mettre le Tigré à son agenda et à dire clairement ce qui s'y passe. Les médias, les acteurs de la société civile et les diplomates ont systématiquement tenté d'occulter ce qui se passe au Tigré.
    Il est vraiment intéressant qu'il ait fallu deux ans pour avoir cette conversation à l'échelle mondiale. Il est important de se demander ce qui s'est passé au cours des deux dernières années. Au cours des deux dernières années, nous avons vu la communauté internationale essayer d'enterrer cette histoire. Il y a de nombreuses indications de cela qu'on peut citer, comme le fait de régurgiter les vues du gouvernement sur certaines questions. Il y a un intérêt très clair à ne pas déranger le gouvernement éthiopien. Je pense qu'il est important d'aller de l'avant. Il est important que les priorités soient claires.
    Je crois que le simple fait de mettre cette question à l'agenda aura un effet d'entraînement qui amènera d'autres pays occidentaux et d'autres gouvernements à emboîter le pas, en partenariat notamment avec les États-Unis. Je pense que les États-Unis sont divisés à parts égales sur cette question. Le fait d'exercer des pressions de l'extérieur pour adopter une position plus ferme à l'égard de l'Éthiopie pourrait avoir un grand impact.
    Je pense qu'il est important de pointer du doigt les pays qui alimentent ce conflit. Des pays comme les Émirats arabes unis, l'Iran et la Turquie ont envoyé des quantités massives d'armes en Éthiopie. Bon nombre d'entre eux sont des alliés des États-Unis et du Canada. Il peut être très important d'exercer des pressions sur eux et d'exposer leurs actions et leurs rôles à cet égard.
    Enfin, je crois qu'il est important de distinguer les questions politiques complexes des atrocités de masse. Il n'y a pas de mal à ce qu'il y ait un conflit politique. C'est une chose de ne pas pouvoir s'entendre sur la démocratie, que certains groupes veuillent gouverner ou que des élections comportent des lacunes. C'en est une autre d'utiliser la famine à grande échelle comme arme de guerre. Je pense qu'il est important de mettre l'accent sur ces éléments fondamentaux, peu importe ce qui se passe sur le plan politique. Personne ne devrait utiliser la famine comme arme de guerre. Personne ne devrait se livrer à un nettoyage ethnique. Nous ne devrions pas envoyer des dizaines de milliers de civils dans des camps de concentration ethniques. Ce qu'il faut à court terme, c'est vraiment se concentrer sur ces questions définies et fondamentales liées aux droits de la personne. Les questions politiques peuvent être abordées de différentes façons à long terme. Toutefois, dans l'immédiat, c'est ce qui devrait être prioritaire à mon avis.
    Merci.
(0940)
    Merci.
    Je vais demander à M. Spears ce qu'il en pense. Je sais qu'il ne nous reste pas beaucoup de temps.
    Eh bien, les choses évidentes sont... Si le Canada veut être le plus impartial possible, et je suppose que c'est le cas, il peut offrir des tribunes de négociation ou de soutien et encourager les négociations. Deuxièmement, il peut exercer des pressions économiques sur le gouvernement dans la mesure du possible, tout en étant conscient des problèmes et des défis qui sont associés à cela. Je serais très inquiet si le gouvernement s'effondrait. Troisièmement, il faudrait récompenser les progrès qui sont réalisés. Lorsque la situation progresse, il faudrait que le Canada intervienne et offre des incitatifs pour que d'autres progrès soient réalisés, mais encore une fois...
    Merci, monsieur Spears.
    Nous allons maintenant faire un dernier tour. Chaque parti disposera de deux minutes. Cela vous donnera probablement le temps pour une question et une réponse.
    Nous allons commencer par M. Sidhu, pour deux minutes, je vous en prie.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Spears, voulez-vous continuer et terminer votre réponse? Je suis désolé que vous ayez été interrompu.
     Eh bien, ma réponse est, encore une fois, de soulever... J'ai l'impression que je ne suis pas très utile et que je cause plus de problèmes qu'autre chose.
    S'il y a des problèmes à régler, il faudra à un moment donné décider ce que le Canada souhaite faire dans cette situation, c'est-à-dire s'il veut appuyer le gouvernement ou s'il veut appuyer le FPLT.
     Je comprends que c'est une décision que les gens ne veulent pas prendre, mais à certains égards, elle sera inévitable, parce que les deux groupes sont puissants. Le gouvernement éthiopien a énormément de troupes. Il a vaincu les Érythréens en 2000, simplement en leur opposant plus de troupes. Il ne disparaîtra pas, pas plus que le FPLT. Il sera difficile de gérer ces deux aspects, au-delà du simple fait de vouloir inclure les gens.
    Merci, monsieur le président.
    Il vous reste 45 secondes, si vous voulez les utiliser.
    Je ne peux pas poser une question et obtenir une réponse en 45 secondes, alors je vais simplement remercier les deux témoins du temps qu'ils nous ont consacré aujourd'hui. C'était certainement très instructif. Merci encore.
    Merci, monsieur Sidhu.
    Nous allons passer au prochain intervenant, M. Aboultaif.
    Il s'agit d'une situation très complexe, qui existe depuis longtemps.
    En ce qui concerne un aspect précis, que peut faire le gouvernement canadien pour influencer le gouvernement éthiopien, afin qu'il autorise les livraisons vers la région du Tigré? Je pense que cela a été un problème au cours du dernier mois, alors qu'un cessez-le-feu pourrait permettre de rétablir la circulation. Je pense que s'il y a quelque chose que le Canada peut faire, c'est probablement d'influencer le gouvernement pour qu'il autorise les livraisons.
    Monsieur Spears, croyez-vous que le Canada a la capacité de jouer ce rôle?
(0945)
    Je ne sais pas s'il a la capacité. Chaque fois que je suis en Éthiopie, je vois des envois d'aide du Canada, alors je suppose que c'est possible. Je ne sais pas quelle est la somme d'aide que le Canada fournit.
    Le problème, c'est que les groupes deviennent plus enclins à faire des concessions lorsqu'ils subissent des pressions militaires, et c'est ce qui s'est produit au cours des derniers mois. C'est la partie difficile à démêler. Les gouvernements seront plus réceptifs lorsqu'ils subiront des pressions. Le gouvernement central d'Addis Abeba était plus ouvert lorsque le FPLT se trouvait à 160 kilomètres de sa frontière.
    C'est un autre défi que le Canada doit relever.
    J'ai une brève question.
    Le gouvernement canadien devrait-il reconnaître le génocide?
    Veuillez répondre en 30 secondes.
    Est-ce que la question s'adresse à moi?
    Oui, je vous en prie.
    Je n'ai aucun doute que c'est ce qui se passe. À quel moment cela devient un génocide, dans le sens où on veuille le reconnaître, je n'en suis pas certain. Je ne suis pas sûr que ce serait constructif. Je soupçonne que cela aliénerait davantage le gouvernement d'Addis Abeba. Cependant, je ne doute pas que le gouvernement considère que cela fait partie de son objectif.
    Merci.
    Merci.
    Nous allons continuer avec M. Brunelle-Duceppe, pour deux minutes, s'il vous plaît.

[Français]

    Je vous remercie, monsieur le président.
    Je vais me reporter à l'étude que nous avons faite sur les Ouïghours. À la seconde où le Comité a utilisé le mot « génocide », on s'est mis à parler davantage du dossier dans les médias. Le Canada a alors dû faire face à ses responsabilités.
    Monsieur Gebreluel, tantôt nous avons dit que le Canada faisait quelque chose. La preuve, c'est que nous menons actuellement une étude sur la situation au Tigré. Cependant, cette étude a été proposée par des partis de l'opposition. Pour l'instant, nous n'avons rien entendu de la part du gouvernement du Canada, c'est-à-dire du premier ministre et du Conseil des ministres.
    Croyez-vous que le fait de « nommer un chat, un chat », soit de dire qu'il y a présentement un génocide au Tigré ciblant les Tigréens et organisé par le gouvernement éthiopien ferait avancer la cause?
    Dans ce cas, cela faciliterait-il l'intervention du Canada dans le dossier?

[Traduction]

     Je vous remercie de votre question.
     Oui, certainement, je pense qu'il est important de noter que nous avons eu trois ans de cette guerre. Au cours de ces trois années, nous avons adopté une approche diplomatique particulière à l'échelle internationale, c'est-à-dire une diplomatie discrète, sans confronter le gouvernement — en fait, une politique d'apaisement.
     Il est important de se demander ce que cette politique a donné. Elle a fait 600 000 victimes au Tigré et a plongé l'Éthiopie dans un chaos encore plus grand. Je pense qu'à ce stade-ci, il est juste — nous avons suffisamment de preuves — de conclure que l'approche diplomatique n'a pas réussi, et il n'y a aucune raison de croire qu'elle réussira.
    Ne pas appeler un chat un chat n'a fait qu'enhardir le gouvernement éthiopien. Il continue de faire des déclarations génocidaires en public. Je pense que c'est une indication qu'il a vraiment compris que la communauté internationale a décidé de ne pas confronter l'Éthiopie, peu importe ce qu'elle fait, et je pense que c'est très dangereux. Je pense que le fait de faire publiquement une déclaration de génocide exercera vraiment des pressions sur d'autres acteurs internationaux. Cela exercera des pressions sur ceux qui alimentent la guerre en fournissant des armes, comme les Émirats arabes unis et la Turquie...
    Merci, monsieur Gebreluel.

[Français]

    Je vous remercie beaucoup.

[Traduction]

    Enfin, nous allons passer à Mme McPherson pour deux minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Encore une fois, merci à nos témoins.
     Je vais me faire l'écho de ce que mon collègue du Bloc a dit, à savoir que nous avons entendu des députés de tous les partis parler de cette question, mais que nous n'avons pas entendu le gouvernement. J'ai ici une liste de lettres après lettres que j'ai écrites à la ministre du Développement international et à la ministre des Affaires étrangères. Je n'ai reçu aucune réponse à ces lettres. Je suis indignée que nous ne les entendions pas, et je vais leur écrire de nouveau pour les exhorter à réagir.
    J'aimerais prendre un peu de temps... Je sais que nous vous avons interrompu à maintes reprises, monsieur Spears, alors je vais vous donner la dernière minute pour parler un peu plus, s'il vous plaît, de l'Union africaine et des institutions multilatérales, ainsi que du rôle qu'elles peuvent jouer dans ce conflit.
(0950)
    Il vous reste une minute et demie.
    Eh bien, l'Union africaine a participé. Le problème, c'est qu'elle n'est pas nécessairement perçue comme étant impartiale. Le siège de l'Union africaine est à Addis-Abeba, comme vous le savez peut-être. L'ancien président nigérian, Olusegun Obasanjo a intégré très activement ce processus, mais il est considéré comme étant trop proche du gouvernement éthiopien.
     Je pense que l'Union africaine désire vraiment régler ce problème. Elle n'aime pas qu'un de ses États membres se retrouve sous les projecteurs et elle craint que l'organisation soit perçue comme ayant une position pro-gouvernementale.
    Si vous parlez d'un rôle non africain... On dit souvent de l'Union africaine qu'elle est une solution africo-africaine, mais dans ce cas-ci, la solution est gênante. D'autres États devront peut-être intervenir. Problème: il est difficile de trouver un organisme convenant aux deux parties...
    Le Canada pourrait jouer ce rôle.
    Je le pense.
    Nous allons en rester là.
    Merci à ce premier groupe de témoins dont le témoignage est extrêmement important et il sera inclus dans le rapport. Je tiens à vous remercier encore une fois monsieur Gebreluel, chercheur postdoctoral à l'Université Yale, et monsieur Ian Spears, professeur agrégé de sciences politiques à l'Université de Guelph. Merci de votre présence.
     Nous allons maintenant accueillir nos autres témoins et prendre une brève pause pendant qu'ils prennent place.
(0950)

(0955)
    Nous allons reprendre nos travaux.

[Français]

    Je remercie tous les témoins d'être avec nous aujourd'hui.

[Traduction]

     Nous allons accueillir deux témoins expertes. C'est la deuxième des trois réunions que nous allons tenir sur la situation au Tigré.
    Ces témoins auront cinq minutes pour nous présenter leur exposé. Elles auront une idée du temps qu'il leur reste en cours de présentation parce que je lèverai la main une minute avant la fin et que je ferai un autre signe quand elles seront presque au bout du temps imparti. Je les interromprai au bout de cinq minutes.
    Nous accueillons maintenant la Dre Hayelom Kebede Mekonen, chercheure postdoctorale à l'Université du Maryland, de même que Me Sarah Teich, de la United Tegaru Canada. Elle est avocate internationale en droit de la personne.
    Nous allons commencer par la Dre Mekonen.
    Vous avez cinq minutes pour votre déclaration liminaire, docteur.
     Merci beaucoup de me donner l'occasion de m'adresser au Comité.
    Avant de venir aux États-Unis, pendant la guerre, j'étais au Tigré. J'ai été doyenne de l'Université Mekelle, à Ayder, au Tigré où, en ma qualité de cheffe de l'exploitation de l'hôpital universitaire, j'ai été témoin de toutes les atrocités commises pendant la guerre.
    Aujourd'hui, je ne mentionnerai que quelques-uns des cas d'agression sexuelle et d'abus dont ont été victimes des filles et des femmes. J'ai supervisé le transfert de ces filles et de ces femmes de notre hôpital à la maison d'hébergement du centre-ville. Je ne parlerai que quelques cas.
     Je suis désolée si vous trouvez troublante une partie de mes propos. Veuillez m'en excuser.
    Le premier cas est celui d'une dame de 65 ans qui s'est présentée à notre hôpital pour déposer une plainte pour viol collectif. Elle avait été violée avec pénétration anale et vaginale par cinq soldats érythréens, et avait été bastonnée. L'examen a révélé des ecchymoses au dos et sur les flancs, ainsi qu'une déchirure péri-anale de deuxième degré.
    Il y a aussi le cas d'une fillette de six ans venue d'une région appelée Hawzen. Elle s'est présentée à notre hôpital après avoir été violée par des militaires, sous les yeux de ses parents. L'examen a révélé un problème psychiatrique évident, et elle a été admise au service psychiatrique.
     Un autre cas est celui d'une jeune fille de 21 ans qui, un mois plus tôt, avait accouché d'un fils qu'elle allaitait. Elle avait été enlevée par les militaires éthiopiens et érythréens dans la banlieue de Mekele, et violée régulièrement deux semaines durant par 12 agresseurs. Elle avait été « cassée » par ces militaires qui avaient réclamé une rançon de 5 000 birrs éthiopiens à son mari pour la libérer après qu'elle leur eut servi d'esclave sexuelle deux semaines durant dans leur camp.
    Une autre de ces femmes était âgée de 30 ans. Avant la guerre, elle avait été placée sous traitement antirétroviral. Ses agresseurs ont voulu la violer, mais elle leur a dit qu'elle était séropositive. Ils lui ont répondu qu'ils n'y voyaient pas de problème parce qu'ils voulaient que le virus se propage à toutes les filles et à toutes les femmes du Tigré, et qu'elle allait les y aider. Quatre d'entre eux l'ont violée, et enfin... Vous voyez comment ils transmettent le VIH à toutes les filles et à toutes les femmes violées. Enfin, elle présentait un prolapsus rectal parce qu'ils l'avaient également abusé par voie anale, et elle avait des problèmes psychiatriques. Elle aussi a été admise à l'aile psychiatrique parce qu'elle était complètement, totalement en perte de repères psychologiques.
    Une autre patiente de 19 ans venait de l'ouest du Tigré. Elle avait subi des viols collectifs dans tous les orifices aux mains de 10 soldats: des Éthiopiens, des Érythréens et des Amharas, et elle présentait de multiples lacérations au niveau du périnée, soit entre l'orifice vaginal et l'orifice anal. À cause d'une déchirure vaginale, elle n'était plus en mesure de contenir son urine et ses matières fécales. Elle avait développé une fistule qui l'empêchait de rester en position assise, et elle était également séropositive. Elle aussi a été admise à notre hôpital.
    Une autre jeune femme de 25 ans nous est venue d'Adigrat, à 120 kilomètres de Mekele. Des soldats érythréens l'avaient violée en groupe et lui avaient fait ingérer du métal chaud. Son corps n'était plus qu'une vaste plaie dont tous les organes internes et externes étaient endommagés. Elle aussi est venue à notre hôpital. Nous n'avons pas pu l'aider parce que tout son organisme était dégradé. Et puis, elle avait développé des problèmes psychiatrique et il a fallu l'admettre dans un service psychiatrique.
(1000)
     Autre exemple, celui de deux de nos étudiantes en médecine qui ont été enlevées dans la nuit et violées par l'armée éthiopienne. Le matin, j'ai signalé aux responsables de la sécurité publique de la région que des étudiantes en médecine avaient été violées, et on m'a dit de me taire. Ces deux étudiantes en médecine... les agresseurs circulaient librement. Ils ont agi en toute impunité et n'ont pas été traduits en justice.
    Une autre patiente, âgée de 52 ans, était mère de cinq enfants. Avant la guerre, elle avait reçu un diagnostic de cancer du col de l'utérus et, après le début du conflit, elle avait été violée par deux soldats érythréens près de la frontière. Elle a été conduite à notre hôpital où son examen a révélé des saignements de la fragile masse maligne située dans la matrice, saignements accompagnés d'un dégagement d'odeur fortement nauséabonde.
    Une autre fille qui s'est présentée à notre hôpital avait été victime d'un viol collectif. On lui avait inséré un préservatif enveloppé dans un mouchoir en papier pour contenir l'hémorragie. À l'hôpital, notre obstétricien gynécologue a retiré le tout et elle a dû être admise au service psychiatrique.
    L'un des éléments les plus importants dans ce cas... 553 femmes ont été diagnostiquées. C'était avant mon départ. J'ai quitté l'Éthiopie en avril 2021. Avant de partir, j'ai observé 553 cas de viol à notre hôpital. Toutes ces femmes ont été violées par des soldats éthiopiens ou par des miliciens érythréens ou amharas.
    Il y a également...
    Merci, docteure Mekonen.
    Je vous invite à conclure vos cinq minutes, vous aurez plus de temps tout à l'heure pour revenir sur votre témoignage.
    En conclusion, je dirai que tous ces viols ne sont pas de simples incidents; il s'agit d'une campagne systématique visant à soumettre l'ensemble de la société afin qu'elle vive dans la peur et la panique et qu'elle soit asservie au gouvernement central.
    À mon avis, tout cela équivaut à un génocide et à de l'esclavage sexuel.
    Merci beaucoup.
(1005)
    Merci de nous avoir fait part de ces puissantes vérités.
    Nous allons maintenant passer à Me Teich.
    Vous avez cinq minutes, maître, et je vous invite à regarder l'écran.
     Bonjour. Je vous remercie de m'avoir invitée à prendre la parole aujourd'hui au nom de United Tegaru Canada.
    Près de deux ans se sont écoulés depuis le début du conflit, et les preuves des crimes atroces et des violations des droits de la personne commises par les forces éthiopiennes et érythréennes contre les Tigréens n'ont cessé de s'accumuler. Il y a des preuves de violence sexuelle et sexiste, de déplacements forcés, de massacres et de destruction culturelle dans ce que Human Rights Watch a décrit comme une « campagne de nettoyage ethnique » ciblant les Tigréens. L'accès à l'aide humanitaire a été bloqué. Il y a aussi de nouvelles preuves de génocide, et c'est sur ce crime que portera la majeure partie de mon exposé.
    Le génocide est défini dans la Convention des Nations Unies sur le génocide et dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. La définition est identique dans chaque instrument. Un génocide se produit lorsqu'un des cinq actes sous-jacents est « commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».
    Les cinq actes sous-jacents sont:
a) Meurtre de membres du groupe;
b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
d) imposer des mesures visant à prévenir les naissances au sein du groupe;
e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.
    Au Tigré, il y a de plus en plus de preuves de génocide. À tout le moins, il existe des preuves d'un risque grave de génocide, ce qui est suffisant pour obliger le Canada à agir pour le prévenir, conformément aux obligations juridiques internationales du Canada en tant qu'État partie à la Convention sur le génocide.
    Tout d'abord, et cela concerne le premier des cinq actes sous-jacents, de nombreuse preuves établissent que des Tigréens sont tués. Les massacres de civils tigréens sont une constante de ce conflit depuis novembre 2020, comme à Axum où des centaines de Tigréens ont été massacrés. Il y a aussi eu des meurtres à Humera et à Mekele. Dans son rapport du mois dernier, la Commission internationale d'experts des droits de l'homme sur l'Éthiopie, une commission de l'ONU, a indiqué que les forces éthiopiennes et des forces alliées participent de plus en plus à des frappes aériennes, tuant et blessant sans discernement des civils tigréens.
    Il existe également des preuves substantielles que des préjudices corporels et mentaux graves sont commis contre les Tigréens et que des conditions comme la famine et le refus d'accès à l'aide humanitaire sont infligées à la population. Il s'agit respectivement des deuxième et troisième actes sous-jacents de la Convention sur le génocide. La Commission internationale des Nations Unies a conclu qu'il existe des motifs raisonnables de croire que le gouvernement fédéral éthiopien et ses alliés ont mis en œuvre une vaste gamme de mesures visant à priver systématiquement la population du Tigré du matériel et des services indispensables à sa survie. Autrement dit, la famine est utilisée comme arme de guerre.
    L'intention de détruire un groupe est souvent la plus difficile à prouver, mais au Tigré, il y a de plus en plus de preuves de l'intention de détruire les Tigréens en tant que groupe.
    Le rapport de Human Rights Watch a conclu que la violence sexuelle est une caractéristique déterminante du conflit, et les témoignages montrent clairement l'existence d'une intention génocidaire. Par exemple, une survivante de 30 ans a raconté que, lorsqu'elle a été violée par quatre hommes, ils lui ont dit que « vous et votre race êtes une race sale, qui sent les latrines et qui ne devrait pas être sur notre terre ». La Commission internationale des Nations Unies a conclu que les femmes et les filles du Tigré sont la cible de violences et de brutalités particulières et que les agresseurs ont utilisé un langage déshumanisant, ce qui laisse croire qu'ils avaient l'intention de détruire l'ethnicité du Tigré. Après avoir subi un viol collectif, une Tigréenne s'est fait dire: « Notre problème, c'est ton utérus » et « l'utérus d'une tigréenne ne devrait jamais donner naissance ».
    L'intention génocidaire est également démontrée par le ciblage aveugle de civils et par la repopulation des régions du Tigré, conformément à une politique gouvernementale visant à changer le caractère ethnique de la région. Nous avons entendu parler plus tôt ce matin de propos haineux déshumanisants. Tout cela témoigne d'une intention de détruire, en tout ou en partie, le peuple du Tigré.
    Cette preuve d'une intention de détruire, lorsqu'elle est jumelée à au moins un des cinq actes sous-jacents, est un indice de génocide. À tout le moins, les preuves documentées jusqu'à maintenant dans ce conflit indiquent un risque grave de génocide, ce qui est suffisant en vertu de la loi pour que le Canada soit obligé d'agir.
    La question suivante est de savoir comment le Canada devrait agir. Nos recommandations complètes à cet égard sont incluses dans le mémoire le plus récent d'UTC, daté d'octobre 2022, que vous devriez recevoir la semaine prochaine, m'a-t-on dit.
(1010)
    Le Canada devrait notamment imposer des sanctions ciblées aux responsables éthiopiens et érythréens, engager des poursuites criminelles en vertu de nos lois de compétence universelle et réinstaller les réfugiés tigrés, y compris les plus de 65 000 qui se trouvent actuellement au Soudan.
    Je vais m’arrêter ici pour l’instant. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
    Merci.
    Merci, maîtreTeich.
    Nous allons maintenant passer à notre première série de questions. Je vais accorder cinq minutes à chaque intervenant au premier tour, et deux minutes au second.
    Nous allons commencer par M. Viersen, pour cinq minutes, allez-y.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie nos témoins de leur présence.
    Un thème est récurrent, à savoir que nous devrions reconnaître le génocide, que nous devrions rédiger un rapport pour suggérer que le gouvernement canadien reconnaît le génocide qui se produit dans la région du Tigré. Comment y parvenir sans tenir compte des réalités politiques en Éthiopie? Je pense que ce sera le défi.
    Cette question s’adresse-t-elle indifféremment à l’une ou l’autre de nos deux témoins ou voulez-vous la poser à l'une d'elles en particulier?
    J’aimerais entendre les deux témoins.
    Je vais répondre en premier.
    Pour ce qui est de la reconnaissance du génocide et des aspects politiques, j’encourage le Comité à aborder le génocide en fonction du critère juridique, car, au bout du compte, le génocide est un crime qui a une définition juridique très précise. Si cette définition convient, il vaut la peine, comme nous l’avons entendu plus tôt ce matin, d’appeler un chat un chat. Entre autres choses, il s’agit de reconnaître clairement que le Canada est tenu d’agir pour prévenir tout génocide en vertu de la Convention sur le génocide.
    Pour répondre un peu à cela, je crains que si le Canada reconnaît le génocide, la réaction... Je n’aime pas invoquer ce terme à la va-vite, car, si nous le faisons, nous nous devons d'agir.
     Si un gouvernement participe à un génocide, toute aide que nous lui donnons doit cesser immédiatement. Vous serez probablement d’accord avec cela. Cela revient à peser lourdement sur le conflit politique, ce que souhaitent les Tigrés.
     Comment parvenir à un équilibre? Supposions que nous reconnaissions officiellement le génocide, mais comment alors équilibrer les choses pour que les Tigrés ne se virent pas de bord pour attaquer leur adversaires?
    C’est une bonne question que quelqu’un a soulevée plus tôt dans le premier groupe. Je pense qu'il est fondamental de ne pas chercher à rassurer les dirigeants actuels quant à ce qui pourrait se produire à l’avenir.
    En ce qui concerne l’obligation d’agir du Canada, je tiens à souligner que, même si nous n’allons pas de l’avant, même s'il ne qualifie pas ce drame de génocide, le gouvernement du Canada sera toujours tenu de prendre certaines mesures pour l’empêcher, parce que les obligations ne débutent pas seulement après que le Canada déclare un génocide. En fait, les obligations s’imposent dès qu’un État partie à la Convention sur le génocide sait ou devrait savoir qu’il y a un risque grave de génocide; c’est ce qui ressort de l’affaire entre la Serbie et la Bosnie entendue par la Cour internationale de justice en 2007.
    Pour ce qui est de l’effet, je ne suis pas certaine que rester sur son quant-à-soi retire quoi que ce soit. D’un autre côté, si le Canada reconnaît le génocide et que le Front de libération du peuple du Tigré commet ensuite des crimes atroces, rien n’empêcherait le Canada de reconnaître ces crimes atroces à ce moment-là.
    Est-ce que cela répond à la question?
    Certes, mais il ne s'agit pas des atrocités elles-mêmes, plutôt du conflit politique en cours. Chaque partie accuse l’autre de commettre des atrocités, et je ne doute pas qu’il s'en produise des deux côtés. C’est simplement... Comment séparer les droits de la personne des considérations politiques? J’aimerais savoir ce que la Dre Mekonen en pense.
(1015)
     Je pense que je vais me faire l’écho de cette réponse. À mon avis, le Canada devrait respecter ses propres obligations morales. Voilà l’essentiel. Le Canada ne devrait pas se contenter de chercher à apaiser le gouvernement ou les Tigrés. Il n’a qu’à respecter ses propres obligations morales et agir dans tous les cas.
    Selon moi, ce qui compte, ce n’est pas la politique; ce qui compte, ce sont les violations des droits de la personne. Je sais que les droits de la personne [Note de la rédaction: inaudible] un point de vue politique ou idéologique, mais au Canada, du moins, l’intérêt est davantage pour les droits de la personne. C'est peut-être cela le but: suivre sa boussole morale.
    Est-ce que c’est vraiment ce qui se passe ou non? Si c’est vraiment le cas, le Canada devrait dire quelque chose. Il doit juste... Je crois qu'il a beaucoup d'influence sur le gouvernement central d’Addis-Abeba. Il doit utiliser tous les moyens dont il dispose. Jusqu’à maintenant, le Canada s'est montré très réticent à agir et à faire face au gouvernement d’Addis-Abeba en matière des droits de la personne, même dans des déclarations que certains des principaux pays occidentaux ont essayé de faire.
    L'important c'est qu'il s'agit d'un enjeu moral. Ce n’est pas...
    Merci, docteure Mekonen.
    Nous allons passer à notre deuxième intervenant, M. Sidhu, pour cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Tout d’abord, je remercie les témoins d’avoir pris le temps de venir nous rencontrer en ce vendredi matin.
    Docteure Mekonen, je vous félicite pour votre résilience et vous remercie de nous avoir fait part de ces expériences horribles. Je sais très bien que nous sommes très préoccupés par les rapports qui continuent de faire état de violations des droits de la personne et d’entraves à l’accès humanitaire. Je crois aussi savoir que le gouvernement du Canada a versé environ 40 millions de dollars en aide humanitaire pour aider les Éthiopiens qui en ont le plus besoin.
    À vous entendre relater ce que vous avez constaté de visu et avez appris par ailleurs... J’aimerais en savoir plus. Pouvez-vous nous parler du travail en cours à l'échelle de la région, en vue de parvenir à une solution pacifique à cette situation?
    Merci beaucoup.
    Ce que nous devons faire, c’est... À mon avis, l’Union africaine régionale n’est pas vraiment une garantie de paix. Quoi qu’il en soit, si nous devons nous en tenir à cela, les acteurs internationaux comme le Canada, l’Union européenne et les États-Unis pourraient intervenir — sur le plan international ou multilatéral — de façon à ce que la paix puisse au moins s’établir en très peu de temps.
    Dans ce cas-ci, le Canada peut faire pression sur le gouvernement pour qu'il déclare au moins immédiatement la cessation des hostilités. Si l’on déclare une cessation des hostilités, il faut aussi exercer des pressions sur les Tigrés pour qu’ils la respectent ou l’acceptent. Parce que le conflit actuel est très agressif, avec de très nombreuses victimes... Avant la guerre — avant novembre 2020 — le Tigré, surtout dans le secteur de la santé, était un modèle pour les autres parties de la région, mais maintenant plus de 20 % de ce secteur a été détruit. Ce qui restait est à nouveau détruit. Ce qui restait de la population civile est à nouveau tué et violé.
    La première chose que le Canada peut faire à l'heure actuelle est d'exercer des pressions sur le gouvernement, afin que la fin des hostilités puisse être déclarée immédiatement. Encore une fois, cela peut être accepté par les Tigréens ou par le gouvernement du Tigré ou régional.
    L’Union africaine à elle seule... Je ne suis pas sûre que cela puisse régler le problème, parce que l’Union africaine est très proche du régime d’Addis-Abeba. L’autre partie ou l’autre acteur se plaint habituellement qu’il ne peut pas régler le problème par lui-même. Il faut que le Canada et les autres pays occidentaux participent.
(1020)
    Merci.
    Madame Teich, j’aimerais également connaître votre point de vue.
    Je suis d’accord avec la Dre Mekonen. L’Union africaine n’est plus une option envisageable.
    Je signale qu’un rapport de Human Rights Watch suggérait un embargo sur les armes sous l'égide du Conseil de sécurité. C’est une option: recourir à d’autres institutions internationales ou multilatérales. J'ai lu hier soir que le Conseil de sécurité avait l’intention de se réunir sous peu pour discuter de cette question, alors cela pourrait être une option.
    Merci.
     Je sais qu’en novembre dernier, la ministre Joly, notre ministre des Affaires étrangères, s’est entretenue avec Son Excellence Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’Union africaine. Au cours de cette conversation, la ministre Joly a souligné la très grande inquiétude du Canada après avoir appris la détérioration rapide de la situation au Tigré. De plus, la ministre Joly a réitéré à quel point il est essentiel de travailler à une solution politique et à un dialogue national inclusif afin d’assurer une résolution pacifique du conflit.
    Il me reste moins d’une minute.
    Madame Teich, pouvez-vous nous parler des derniers développements dans cette situation politique? Je sais que vous l’avez fait en quelque sorte dans votre déclaration préliminaire, mais vous pourriez peut-être prendre le temps de nous en dire davantage à ce sujet.
    La question quant aux solutions politiques et aux négociations... Il y a en fait un point que j’aimerais soulever dans le peu de temps dont je dispose, et c’est la participation de l’Érythrée à ce processus. Je crois savoir qu’à un moment donné, l’Érythrée a été invitée à la table des négociations. À mon avis, et de l’avis du gouvernement du Canada, cela légitime de façon inappropriée le rôle de l’Érythrée sur le terrain.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Sidhu.
    Cela a été fait en cinq minutes exactement et de façon magistrale.
    Nous allons maintenant passer à M. Brunelle-Duceppe; allez-y, pour cinq minutes.

[Français]

    Je vous remercie, monsieur le président.
    Je remercie encore une fois les témoins d'être avec nous aujourd'hui pour participer à cette étude, qui est primordiale, surtout pour la communauté tigréenne. Des membres de cette communauté sont présents au Canada et ils exercent des pressions sur nous pour que le gouvernement agisse, enfin.
    Lors de la première heure, nous avons entendu le témoignage de M. Mekonen et nous avons pris connaissance de beaucoup de preuves démontrant qu'un génocide est en cours au Tigré.
    J'aimerais poser une question à Me Teich, que je salue, d'ailleurs. J'admire son travail dans plusieurs dossiers.
    Maître Teich, pouvez-vous nous expliquer la différence entre un nettoyage ethnique et un génocide? Ce n'est pas évident pour tout le monde, lorsque l'on n'est pas un expert. Je pense que c'est votre champ d'expertise.

[Traduction]

    C’est une excellente question.
    Le génocide est un crime international. C’est un crime d’atrocité qui est défini très clairement dans la Convention sur le génocide et dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. J’ai déjà passé en revue cette définition dans ma déclaration préliminaire, alors je ne la répéterai pas.
    Par contre, le nettoyage ethnique n’est pas un crime atroce qui relève du Statut de Rome de la CPI. Sa définition peut toutefois être tirée d’une commission d’experts de l’ONU chargée d’enquêter sur les crimes commis en ex-Yougoslavie. Cette commission a défini le nettoyage ethnique comme étant le fait de rendre une région ethniquement homogène par le recours à la force ou à l’intimidation en vue d'expulser des membres de certains groupes. Dans son rapport final, cette même commission a défini le nettoyage ethnique comme étant une politique délibérée conçue par un groupe ethnique ou religieux en vue d'éliminer de certaines régions géographiques, par la violence et la terreur, la population civile d’un autre groupe ethnique ou religieux . Je sais que ces deux phrases sont un peu trop longues, mais essentiellement, voilà ce qu’est le nettoyage ethnique.
    Le nettoyage ethnique, dans le contexte du Tigré, a été allégué et déjà étayé par des preuves par des organismes comme Human Rights Watch. Il a également fait l’objet d’un rapport interne du gouvernement des États-Unis, qui a conclu que les responsables éthiopiens: rendent délibérément et efficacement le Tigré occidental ethniquement homogène par le recours organisé à la force et à l’intimidation. Il y a eu des déplacements forcés, puis une repopulation des régions.

[Français]

    Je vous remercie infiniment.
    Plus tôt, vous avez dit qu'il y avait un risque de génocide ou qu'il y avait un génocide en cours.
    Si je comprends bien, le Canada a les mêmes obligations à l'international dans un cas comme dans l'autre.
    Ai-je bien compris?
(1025)

[Traduction]

    Oui, c’est exact. En vertu de la Convention sur le génocide, les États parties à la Convention ont l’obligation de prévenir tout génocide. Le Canada est un État partie à la Convention sur le génocide — tout comme, fait intéressant, l’Éthiopie.
    Dans l'affaire de la Bosnie et de la Serbie, qui a été jugée par la CIJ en 2007, la cour a précisé que l’obligation ne s’applique pas en cas de génocide à grande échelle. Elle s'applique en fait lorsqu’il y a un risque grave de génocide, ce qui est logique. Si l’obligation est de prévenir, vous ne pouvez pas... Prévenir un génocide en cours semble un peu... Cela va à l’encontre de l’objectif de la Convention.

[Français]

    Nous comprenons ces obligations, mais j'imagine que, dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, dont le Canada est signataire, il n'est pas nécessairement fait mention de moyens pour prévenir de tels actes et en punir les auteurs.
    Selon vous, au vu des obligations du Canada en tant que signataire de la Convention, quels seraient les moyens à employer pour prévenir ce génocide ou ce risque de génocide et en punir les auteurs?

[Traduction]

     C’est une excellente question. C’est exact. La Convention sur le génocide ne prévoit pas de mesures précises.
    Essentiellement, le Canada devrait utiliser tous les outils à sa disposition pour prévenir le génocide. Cela peut comprendre des sanctions ciblées contre les forces éthiopiennes et érythréennes relatives à leur responsabilité, y compris la responsabilité du commandement, à l’égard du génocide. Quiconque au sommet de la hiérarchie ordonne ou omet de punir peut également être sanctionné en vertu de nos lois Magnitski ou de la Loi sur les mesures économiques spéciales.
    Nous pouvons aussi avoir recours à des poursuites criminelles et au retrait de l’aide. Le Canada peut certainement utiliser différents leviers. Il y a aussi des entreprises canadiennes dans la région qui pourraient être encouragées à respecter leurs propres obligations en matière de droits de la personne.
    Je pense que mon temps est écoulé.
    Il vous reste 15 secondes.

[Français]

     Je vous remercie beaucoup.

[Traduction]

    Nous allons passer à notre dernier intervenant pour ce premier tour. Nous en aurons un second tour ensuite.
    Madame McPherson, vous avez cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins de leur présence. Ce témoignage a été incroyablement difficile à écouter. J'imagine que tout le monde dans la salle a été... Nous sommes de tout cœur avec vous lorsque nous entendons ce témoignage.
    Ce n'est pas nouveau, malheureusement. La communauté tigréenne et les organisations humanitaires nous disent que cela dure depuis très longtemps. En mars, le chef de l'Organisation mondiale de la Santé nous a dit que la situation au Tigré a des répercussions sur la santé de millions de personnes et qu'il n'y a « nulle part ailleurs sur Terre » où la situation est pire qu'au Tigré.
    Quand on entend parler de viol comme arme de guerre, de la militarisation des attaques contre les civils, des enfants soldats et de l'absence d'accès humanitaire, je suis frappée de voir que le Canada a une politique d'aide internationale féministe et qu'il est censé avoir une politique étrangère féministe. Ces deux éléments signifient que le Canada doit jouer un plus grand rôle dans tout cela.
    Je suis également frappée par les similitudes entre ce que nous entendons au sujet de ce qui s'est dit et des actions relativement au génocide survenu au Rwanda et de la déclaration du Canada selon laquelle nous ne laisserions pas cela se reproduire.
    Madame Teich, je vais commencer par vous. En quoi cela ressemble-t-il à ce que nous avons vu au Rwanda? Les gardiens de la paix canadiens ont-ils un rôle à jouer à cet égard, par exemple? Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez, s'il vous plaît?
    Merci. C'est une excellente question.
    Je vois aussi beaucoup de parallèles avec le Rwanda. En ce qui concerne les forces de maintien de la paix, je pense qu'une participation canadienne est une excellente idée, surtout en raison des échecs de l'Union africaine et, comme nous l'avons déjà entendu, de sa proximité avec le gouvernement éthiopien.
    De plus, pour reprendre une autre citation du chef de l'OMS — je n'ai pas la citation précise sous les yeux —, il y aurait maintenant « une fenêtre très étroite pour empêcher un génocide ». Je pense que c'est vraiment frappant. Nous devrions franchement nous mettre à l'œuvre dès maintenant. Il n'y a pas de temps à perdre. Je souscris totalement à tout ce que vous avez dit.
(1030)
    Merci.
    J'aimerais également que vous nous disiez toutes les deux ce que vous pensez de ce que nous a dit le dernier groupe de témoins, c'est-à-dire qu'il y a un risque à déclarer qu'il s'agit d'un génocide, en ce sens que cela entraînera une escalade. Cela va envenimer une situation politique régionale très difficile.
    Cependant, nous avons également entendu dire que l'incapacité de la communauté internationale à intervenir au sujet de ce qui se passe au Tigré a procuré une certaine impunité... Notre quête d'apaisement a permis au gouvernement éthiopien et aux forces érythréennes de poursuivre leurs exactions en toute impunité.
    Vous pourriez peut-être toutes les deux nous dire ce que vous en pensez et ce que vous pensez de la reconnaissance d'un génocide par le Canada.
     Je pense que l'absence de prise de position ferme par le Canada et par la communauté internationale a encouragé les gouvernements de l'Érythrée et de l'Éthiopie. Si les événements étaient qualifiés d'atrocités, je ne pense pas que les choses en seraient aggravées. Une fois que les coupables seront conscients qu'on ne les laissera pas vivre pas en toute tranquillité, et qu'ils feront face à la justice, ils pourraient même changer d'attitude et négocier un peu.
    À mon avis, le Canada jouit d'une très bonne influence sur le gouvernement central d'Addis-Abeba, mais il ne l'a pas faite jouer jusqu'à maintenant. Cette influence inciterait le gouvernement à faire machine arrière et, au moins, à réduire le nombre d'atrocités commises contre des civils. Vous ne pouvez pas vous battre contre les militaires, mais ce serait contre les atrocités commises sur des civils et le viol.
    De plus, le gouvernement central lui-même a invité l'Érythrée, un pays étranger, à décimer toute sa population. Or, le Canada entretient aussi des relations avec l'Érythrée, de sorte qu'il aurait pu faire beaucoup mieux auprès du gouvernement érythréen. Ainsi, le gouvernement de l'Érythrée et celui de l'Éthiopie comprendraient au moins que leurs crimes ne demeureront pas impunis et qu'ils feront face à la justice s'ils continuent.
    Le Canada peut maintenant jouer un rôle absolument essentiel dans le cadre de l'initiative de l'Union africaine. Comme je l'ai déjà mentionné, l'Union africaine ne peut pas à elle seule résoudre cette question très complexe. Des pays comme le Canada, les États-Unis et d'autres auraient une très bonne influence sur le gouvernement central.
    Quant au fait de déclarer qu'il s'agit d'un génocide, je ne pense pas que cela aggraverait la situation.
    Merci, monsieur Mekonen.
    Chers collègues, nous allons maintenant passer à notre dernière série de questions de deux minutes. Je vous demanderais simplement de vérifier vos montres et de me regarder pour savoir à quel moment intervenir.
    Monsieur Ehsassi, vous avez deux minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à nos deux témoins.
    Premièrement, nous savons que le Canada a fourni une aide de 45 millions de dollars. Y a-t-il des preuves que cette aide rejoint les personnes dans les régions les plus touchées de l'Éthiopie? Est-elle arrivée?
    Si cette question s'adresse à moi, je n'en suis pas certain. Par exemple, au Tigré, les victimes d'abus sexuels n'ont pas pu obtenir de soutien, et elles sont toujours dans l'incertitude, sans fournitures médicales ou matériel d'hygiène. Je ne sais pas si la générosité canadienne a rejoint les pauvres de ces régions. Je n'en suis pas certain.
    Je pense qu'il appartient au gouvernement canadien de demander si ces filles et ces femmes, par exemple, ont reçu des fournitures ou de l'aide de la part des généreux Canadiens et du gouvernement du Canada.
    Très bien. Merci.
    Maître Teich, je vais m'adresser à vous. Un membre de la communauté internationale a-t-il déjà déclaré qu'il y avait un génocide en Éthiopie en ce moment?
    Pas à ma connaissance, mais nous avons entendu le directeur général de l'OMS utiliser récemment l'expression « risque grave de génocide ».
(1035)
    Merci beaucoup.
    Je crois que mon temps est écoulé.
    Il vous reste 30 secondes.
    D'accord.
    Maître Teich, pourriez-vous nous parler de l'importance du nouveau rapport de l'ONU qui a été publié le 21 septembre? Vous y avez fait référence, mais vous pourriez peut-être nous en dire plus.
    Ce rapport contenait des preuves substantielles concernant divers volets du génocide. Il clarifie également certains des narratifs contradictoires sur le terrain en blâmant, par exemple, le gouvernement éthiopien et les gouvernements alliés d'avoir refusé une aide humanitaire.
    Merci.
    Merci.
    Nous allons poursuivre notre second tour en passant à M. Aboultaif.
    Merci.
    Maître Teich, il semble que nous soyons dans une situation impossible. Pourquoi pensez-vous qu'il est difficile de motiver les gens à agir à cet égard?
     Pour vous répondre franchement, il semble toujours un peu difficile de motiver les gens quand il est question de l'Afrique, et il est vraiment malheureux que cette tendance dure depuis de nombreuses années. De plus, on a entendu des versions contradictoires sur le terrain qui étaient alimentés, entre autres, par le blocage d'Internet et des communications cellulaires. Nous avons assisté à une prépondérance du discours du gouvernement éthiopien sans contrepartie. Pour en revenir au rapport de l'ONU publié en septembre, celui-ci s'est avéré très important parce qu'il a permis de tirer au clair certaines de ces versions contradictoires.
    S'il y était une chose que le Canada devrait faire entre toutes pour exercer une influence... de façon à améliorer la situation, ce serait quoi?
    Je pense qu'une des choses les plus importantes — et la plus facile, en ce sens que le Canada peut le faire sans tarder —, consisterait à imposer des sanctions. Plus particulièrement, je veux me concentrer sur l'Érythrée, parce que le Canada a des antécédents de sanctions contre l'Érythrée, comme beaucoup d'entre vous le savent. Nous avons imposé des sanctions contre l'Érythrée, qui ont ensuite été levées. Je ne me souviens pas si c'était en 2018 ou en 2020. C'était peut-être en 2018 que le Conseil de sécurité les a retirées, puis le Canada l'a fait en 2020. C'était peut-être quelque chose du genre.
    Imposer à nouveau des sanctions contre l'Érythrée pour sa participation à des atrocités et imposer des sanctions contre les responsables éthiopiens pour leur participation aux atrocités sont des mesures très concrètes que le Canada peut prendre immédiatement.
    Merci.
    Notre prochain intervenant sera M. Brunelle-Duceppe, pour deux minutes.

[Français]

    Je vous remercie, monsieur le président.
    Puisque c'est la dernière fois que je prends la parole aujourd'hui, je tiens à remercier les témoins d'avoir pris le temps de venir témoigner et, surtout, de nous éclairer quant au rapport que nous allons devoir rédiger à la suite de notre étude.
    Maître Teich, j'ai prêté une grande attention à toutes vos interventions. Selon moi, vous avez soulevé quelque chose d'important quand vous avez dit que les choses étaient toujours plus difficiles lorsque cela se passait en Afrique.
    Quelle est la différence entre la réaction du Canada quant au conflit entre l'Ukraine et la Russie et celle liée au conflit entre le Tigré et l'Éthiopie?

[Traduction]

    Je suis désolée. Parlez-vous de la différence de réaction ou de la différence de motivation?

[Français]

    Je parle de la différence entre les réactions du Canada quant aux deux conflits.
    Si cela vous amène à parler des motivations, vous pouvez le faire.

[Traduction]

    En ce qui concerne l'Ukraine, le Canada a pris toutes les mesures nécessaires. Il a réagi très rapidement. Il a réagi de plusieurs façons. L'accueil de réfugiés ukrainiens s'est fait très rapidement. C'est quelque chose de très concret que nous pourrions et devrions appliquer aux réfugiés tigréens au Soudan — plus de 65 000, comme je l'ai mentionné plus tôt — qui vivent dans des conditions vraiment horribles.
    Pour ce qui est de la motivation, je ne peux que conjecturer, mais le Canada partage une frontière avec la Russie, ce qui nous rapproche de l'origine du problème. Cependant, l'intérêt du Canada pour une région africaine sûre et respectueuse des droits de la personne est également très important et ne devrait pas être négligé.
    L'adoption d'une politique étrangère fondée sur des principes signifie que nous devrions appliquer ces principes partout où ils se manifestent, que ce soit en Ukraine, en Éthiopie, en Chine ou ailleurs.

[Français]

    Je vous remercie infiniment.
     Madame Teich et monsieur Brunelle‑Duceppe, je vous remercie.

[Traduction]

    Nous allons continuer avec Mme McPherson pour deux minutes, s'il vous plaît.
    Merci, monsieur le président.
    Je pense que nous tous dans cette salle et au sein du Comité souhaitons trouver des moyens pour que le Canada joue un rôle significatif. Le fait de parler de cette question en comité est l'une de ces mesures, bien sûr. Vous nous avez donné de très bonnes indications en ce qui concerne l'immigration, les sanctions et le rôle à jouer dans des négociations pacifiques.
    J'aimerais revenir sur deux points dont nous n'avons pas suffisamment traité. Le Canada a pris un engagement. En 2017, le premier ministre s'est engagé à accroître le nombre de gardiens de la paix sur le terrain. Nous n'avons pas respecté cet engagement. Nous ne sommes même pas près de le faire.
    Vous avez aussi parlé du fait que les Émirats arabes unis alimentent ce conflit avec des armes qui ont été livrées. Nous savons que le Canada vend des armes aux Émirats arabes unis, même si ce pays viole massivement les droits de la personne.
    Maître Teich, pourriez-vous nous parler du maintien de la paix et de la fourniture d'armes au gouvernement érythréen, et nous dire si le Canada peut jouer un meilleur rôle à cet égard?
(1040)
    Oui, il est très important de souligner que le Canada n'a pas respecté ses obligations en matière de forces de maintien de la paix. C'est un levier très intéressant à utiliser et qui pourrait servir à inciter le gouvernement du Canada à le faire et à combler cet écart causé par la méfiance à l'égard de l'Union africaine.
    Pour ce qui est des armes, il y a les Émirats arabes unis, mais il y a des pays comme la Turquie, avec lesquels le Canada entretient des relations qui peuvent être mises à profit dans le cadre de discussions bilatérales et multilatérales. Le volet des armes est également très important.
    À ce sujet, je proposerais, comme je crois l'avoir dit plus tôt, que le Canada appuie un embargo sur les armes mené par le Conseil de sécurité, ce qui était l'une des recommandations de Human Rights Watch.
     Je remercie tout le monde — les témoins et les députés qui ont posé des questions. C'est tout le temps que nous avions pour ce groupe de témoins.
    Je tiens à remercier la Dre Hayelom Kebede Mekonen d'être venue à notre rencontre et de nous avoir présenté un témoignage aussi éloquent. Nous en prenons bonne note et nos analystes en ont pris bonne note.
    Merci aussi à Sarah Teich, avocate internationale en droits de la personne de United Tegaru Canada, pour sa présence.
    Merci à tous les membres du Comité. Nous allons nous réunir de nouveau la semaine prochaine à 8 h 45.
    Sur un plan plus personnel, j'aimerais demander aux membres du Comité et à ceux qui se préoccupent des droits de la personne sur la scène internationale de consulter une motion que je présenterai mercredi à la Chambre des communes à 17 h 30. Je vous invite à y jeter un coup d'œil. Il s'agit de la motion 62, qui porte sur les Ouïghours.
    Nous en resterons là. J'espère que tout le monde passera une bonne fin de semaine reposante. Merci d'être forts et de vous battre pour un monde meilleur et les droits de la personne.

[Français]

    La séance est levée.
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