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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 031 
l
1re SESSION 
l
44e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 17 octobre 2022

[Enregistrement électronique]

  (1105)  

[Traduction]

    Bienvenue à la 31e séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le 8 février 2022, le Comité poursuit son étude sur les obligations du gouvernement à l'égard des victimes d'actes criminels.
    Conformément à l'ordre adopté par la Chambre le 23 juin 2022, la réunion d'aujourd'hui se déroule suivant une formule hybride. Certains députés sont présents dans la salle; d'autres participent à distance à l'aide de l'application Zoom.
    J'aimerais transmettre certaines consignes aux témoins et aux députés.
    Avant de prendre la parole, veuillez attendre que je vous nomme. Si vous participez par vidéoconférence, cliquez sur l'icône du microphone pour activer votre micro. Veuillez vous mettre en sourdine lorsque vous ne parlez pas. En ce qui concerne l'interprétation, ceux qui utilisent Zoom ont le choix, au bas de l'écran, entre l'anglais, le français ou le parquet. Pour ceux qui sont dans la salle, vous pouvez utiliser l'écouteur et choisir le canal désiré.
    Je vous rappelle que toutes les observations des députés et des témoins doivent être adressées à la présidence. J'invite les députés présents dans la salle qui souhaitent prendre la parole à bien vouloir lever la main. Les députés participant via Zoom doivent utiliser la fonction « Lever la main ». Le greffier et moi-même ferons de notre mieux pour tenir à jour une liste des intervenants. Nous vous remercions à l'avance de votre patience et de votre compréhension à cet égard.
    J'ai habituellement des cartons pour signaler le temps restant, mais je ne les ai pas ici avec moi, ce qui va me forcer à improviser. Lorsqu'il vous restera 30 secondes, je brandirai ce livre jaune. S'il ne vous reste plus de temps, je brandirai cette chemise brune. Je vous demanderais de porter attention à ces signaux ou encore de vous chronométrer vous-mêmes.
    Avant que je présente nos témoins, permettez-moi une mise en garde pour la santé et le bien-être de chacun. J'aimerais informer le Comité qu'étant donné la nature de notre étude et du sujet dont nous sommes saisis, certains témoignages pourraient être difficiles ou éprouvants à entendre. J'aimerais rappeler à nos témoins, qui ont si gracieusement accepté de comparaître devant le Comité, en personne ou par Zoom, ainsi qu'aux députés et au personnel, que des ressources sont mises à leur disposition ici même au Parlement. Le greffier pourra certainement vous aider si vous en avez besoin. Vous n'avez qu'à communiquer avec lui.
    J'accorderai, si nécessaire, une petite pause à nos témoins afin qu'ils puissent livrer leurs témoignages dans les meilleures conditions possible. La présente étude peut certes être émotivement éprouvante pour nos témoins. Nous admirons le courage dont ils font preuve en venant nous raconter une expérience très personnelle. Je suis certain que tous les membres du Comité en conviendront.
    J'aimerais maintenant inviter nos témoins pour la première heure de séance à nous présenter leurs observations préliminaires. Vous avez droit à un maximum de cinq minutes. Nous passerons ensuite aux questions des membres du Comité.
    Nos premiers témoins sont la Dre Tanya Sharpe et Mme Marie‑Hélène Ouellette.
    Vous avez la parole pour les cinq prochaines minutes.

[Français]

    Je m'appelle Marie‑Hélène Ouellette. Je suis coordonnatrice et intervenante au Centre d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, un CALACS, dans les Hautes-Laurentides, au Québec. J'y travaille depuis près de 20 ans.
    Le CALACS travaille auprès de femmes et d'adolescentes qui ont vécu des agressions à caractère sexuel. Il offre des services de prévention, de relation d'aide et de défense des droits.
    J'ai écouté plusieurs témoignages présentés ici et je me suis demandé ce que je pouvais apporter de différent ou de complémentaire à tout ce qui a déjà été dit. Je ne suis pas une spécialiste du droit. Je suis une spécialiste des survivantes de violences sexuelles.
    L'écrasante majorité des personnes qui consultent notre centre ne portent pas plainte. Elles n'ont donc pas le statut de victime d'acte criminel. Parmi celles qui portent plainte, plusieurs ont vécu une expérience vraiment éprouvante, mais quelques-unes ont la chance d'avoir vécu une expérience un peu plus douce.
    Depuis plus de 20 ans, le CALACS reçoit en moyenne entre 60 et 80 femmes par année. Lorsqu'il y a une condamnation ou une reconnaissance de culpabilité, c'est la fête, au Centre. Chez les femmes qui nous consultent, ces événements se comptent sur les doigts d'une main. Ils sont donc très rares.
    Les personnes qui ont subi de la violence sexuelle n'ont pas beaucoup d'accès à la justice. D'après notre analyse, les barrières à cet accès sont soit inhérentes au droit criminel, soit de nature humaine ou sociale.
    Voici certains obstacles inhérents au droit criminel, qui sont importants. Si le gouvernement souhaite réellement apporter un soutien adéquat aux victimes d'actes criminels, il doit amorcer une profonde réflexion sur le droit criminel.
    Les principes découlant de la présomption d'innocence, soit le « hors de tout doute raisonnable » et le fardeau de la preuve qui incombe à la Couronne, entraînent une iniquité de traitement. Le système est fait pour éviter de condamner des innocents, ce qui est très bien, mais il en résulte un effet pervers: les droits des accusés permettent de laisser en liberté des coupables et de malmener des victimes.
    La violence sexuelle est un crime fréquent, commis très souvent dans l'intimité. Ainsi, pour la Couronne, prouver hors de tout doute raisonnable que l'agresseur est coupable est déjà en soi une lourde tâche. La violence sexuelle est un crime trop rarement dénoncé. Or, lorsque les victimes portent plainte, elles en ressortent rarement avec un sentiment de satisfaction. Je ne parle pas des peines imposées. Pour vraiment changer le traitement si inéquitable entre les parties, pourquoi n'inverserions-nous pas le fardeau de la preuve dans les cas de violence sexuelle? Je lance cette idée.
    Parmi les facteurs humains ou sociaux qui nuisent à l'accès à la justice se trouvent d'abord les préjugés sexistes et racistes des acteurs du système. Ceux-ci sont bien souvent inconscients. Les préjugés sociaux sont nombreux, importants et intimement liés à la violence. Les personnes qui vivent le plus de violence sexuelle sont celles qui sont défavorisées par ces préjugés, souvent produits par les différents systèmes d'oppression.
    On ne peut pas séparer la question des droits des victimes de celle des inégalités sociales et de genre. Les victimes de violence sexuelle le sont parce qu'elles sont femmes, vivent avec un handicap, sont lesbiennes, trans, noires, issues des Premières Nations, et ainsi de suite. Elles sont agressées par des personnes qui ont généralement plus de privilèges qu'elles, sont favorisées par les rapports de pouvoir et continuent d'être privilégiées dans leurs droits à cause du processus judiciaire. Le système de justice n'est pas imperméable à ces rapports de pouvoir.
    De plus, l'incompréhension du fonctionnement du cerveau devant un traumatisme — on parle de la neurobiologie des traumatismes — dont font preuve les acteurs du système de justice et la façon dont on traite une victime dans le système peuvent déclencher des réactions traumatiques. Par exemple, un contre-interrogatoire très serré ou qui dure plusieurs heures peut déclencher chez la victime un très grand stress et embrouiller son témoignage. Elle ne cherche pas à mentir. C'est son cerveau qui réagit au traumatisme. La réponse traumatique peut causer à la victime des pertes de mémoire, la déstabiliser ou la faire douter d'elle-même. Le principe de droit du « hors de tout doute raisonnable » peut donc à lui seul faire en sorte que la justice s'arrête au moment du témoignage.
    Les réponses à un événement traumatique peuvent être très variées. Certaines victimes ont des trous de mémoire et des souvenirs flous, alors que d'autres ont des souvenirs étonnamment vifs, clairs et détaillés.

  (1110)  

     On reproche souvent à celles qui ont du mal à se rappeler certaines choses que leurs souvenirs ne sont pas assez précis, et on reproche à celles qui se souviennent très bien, et même trop bien, que c'est louche d'avoir des images aussi claires et qu'elles doivent en inventer un peu.
    Le système de justice canadien doit donc faire un travail d'introspection et regarder quelles sont les croyances des individus qui le composent. Il ne doit pas croire que le droit est froid et objectif. Ces croyances ont un effet sur l'administration de la justice.
    La victime est considérée comme le témoin d'un crime extrêmement intime, dans le cas de violence sexuelle. Or il incombe à la Couronne de démontrer hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l'agresseur, qui a déjà beaucoup de droits dans le processus.
    Je le répète, je suis une spécialiste des survivantes d'agressions sexuelles, qui sont des actes criminels graves et fréquents. Ces victimes sont sous-représentées dans les victimes officielles.
    Le droit criminel et l'administration de la justice offrent plusieurs freins à la justice dans l'histoire des survivantes.
    Je vous remercie de votre écoute.

[Traduction]

    Merci d'avoir respecté le temps imparti.
    Je veux prendre un instant pour vous demander de bien vouloir m'excuser. J'ai indiqué que nous recevions la Dre Tanya Sharpe, mais elle ne peut pas être des nôtres ce matin. J'aurais dû le noter sur l'ordre du jour révisé.
    Je cède maintenant la parole à M. Moore pour la première période de six minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à notre témoin. Habituellement, nous accueillons plusieurs personnes à la fois. Vous êtes la seule à comparaître aujourd'hui, et nous sommes bien sûr ravis de vous accueillir. C'est la dernière réunion que nous consacrons à notre étude des obligations du gouvernement envers les victimes d'actes criminels, et nous avons pu entendre jusqu'à maintenant de nombreuses recommandations quant aux moyens à mettre en œuvre pour améliorer le système.
    J'aimerais que vous puissiez nous en dire plus long sur un commentaire que vous avez fait au début de votre exposé. Vous avez indiqué que votre centre accueille chaque année de 60 à 80 femmes, mais qu'elles sont nombreuses à décider de ne pas porter plainte et que celles qui le font regrettent souvent leur décision. Vous avez ajouté que cette insatisfaction n'est pas seulement attribuable à la peine imposée.
    Lorsqu'une affaire justifie que des poursuites soient intentées et que des accusations soient portées, quelles formes prennent ces obstacles à la justice qui empêchent les victimes de porter plainte? Qu'est‑ce qui les amène à prendre une décision semblable? Avez-vous des exemples à nous donner?

  (1115)  

[Français]

    D'abord, il y a l'accueil par les services policiers. Avec le temps, il y a eu une certaine amélioration du traitement de ces cas par les policiers.
    Là où le processus bloque souvent, c'est à l'étape du procureur. Nous recevons fréquemment des avis de procureurs disant qu'ils croient la victime, mais qu'ils n'ont pas ce qu'il faut pour entamer le processus. C'est un obstacle important. C'est d'ailleurs surtout là que cela s'arrête.
    Selon mon expérience, les premiers contacts sont déjà très éprouvants pour les victimes. Elles doivent répondre aux questions des policiers et tout cela. C'est le facteur humain qui fera une grande différence dans l'accueil de la personne et la suite des choses.
    Il y a plusieurs aspects. Je ne sais pas si je réponds adéquatement à votre question.

[Traduction]

    Oui. C'est très bien.
    Lors de notre étude du projet de loi C-5 plus tôt cette année, des témoins nous ont dit craindre que le projet de loi permette à des individus s'étant rendus coupables de violence sexuelle de purger leur peine dans la collectivité.
    Selon vous, est‑il fréquent que la crainte de représailles influe sur la décision d'une victime de porter plainte ou non, ou encore qu'une personne choisisse de ne pas aller de l'avant en raison d'autres lacunes dans le système qui ont été portées à sa connaissance?

[Français]

    Oui, cela en fait partie. Souvent, les personnes qui demandent de l'aide à notre centre ont vécu cette violence il y a quelque temps; ce n'est pas récent. Il peut y avoir des craintes de représailles, mais c'est souvent plus loin qu'elles surviennent.
    Effectivement, il y a des répercussions sur la famille et l'entourage. Ce qu'ont vécu les personnes que nous recevons n'est pas si frais dans leur mémoire. C'est donc un peu moins en réaction aux représailles. Ce ne sont pas les cas qui se présentent le plus à notre centre.

[Traduction]

    D'accord.
    Il y a des chiffres qui ont de quoi nous alarmer. Selon un rapport publié par Statistique Canada, les femmes ont été victimes de crimes violents à une fréquence presque deux fois plus élevée que les hommes en 2019. On ajoute que cet écart entre les victimes des deux sexes est en grande partie attribuable au fait que les femmes sont cinq fois plus susceptibles d'être victimes d'une agression sexuelle. Vous l'avez d'ailleurs reconnu dans vos observations.
    Quelles mesures devrions-nous envisager à ce titre alors que nous préparons un rapport auquel le gouvernement devra répondre ? Pouvez-vous nous suggérer quelques dispositions à prendre pour mettre fin à une disparité aussi flagrante?

[Français]

     Un problème social demande qu'on y réponde au moyen de mesures sociales. À mon avis, c'est vaste. Dans les CALACS, nous faisons beaucoup de prévention et d'éducation en matière d'égalité pour diminuer ces écarts, parce qu'ils se construisent très rapidement et sont présents dans beaucoup de domaines. L'éducation à la sexualité comporte plusieurs éléments. Je ne pense pas qu'il y ait de mesure magique. Cela se construit avec du temps et prend beaucoup de...
    D'ailleurs, je félicite les gens qui offrent des formations pour sensibiliser la population aux agressions sexuelles. Cela fonctionne. Je pense au juge Robin Camp, par exemple, qui avait acquitté un jeune homme, il y a quelques années, et avait tenu des propos sexistes et inadéquats. Par la suite, il a suivi une formation et a été sensibilisé à cette question. Maintenant, je sais qu'il agit et pense autrement et qu'il est capable de voir que les propos qu'il a tenus à l'époque n'avaient pas de sens. Cela me donne de l'espoir.

  (1120)  

[Traduction]

    Merci, monsieur Moore.
    C'est maintenant au tour de M. Naqvi de poser ses questions.
    Vous avez six minutes.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je vous remercie, madame Ouellette, de votre présentation.
    Pouvez-vous nous dire comment le système judiciaire pourrait être amélioré pour mieux traiter les victimes de violence sexuelle?
    Je vous ai parlé de la nécessité d'avoir une meilleure compréhension de l'effet qu'un traumatisme peut avoir sur la façon dont une victime va se comporter. Il faut mieux comprendre ce qui se passe chez une victime qui témoigne et qui a des trous de mémoire, par exemple. Il faut savoir que ce sont des réactions biologiques et normales au stress. Ce n'est pas parce qu'on a un trou de mémoire qu'on n'est pas une « bonne victime ». Une croyance veut qu'on soit une « bonne victime » et réponde à certains critères, dont celui d'être assez solide. Cette croyance est aussi partagée par les acteurs du système judiciaire, qui se demandent, par exemple, si telle ou telle victime est assez solide pour qu'on intente un procès.
    Il faut donc continuer d'améliorer l'accompagnement des victimes et la compréhension des effets que le stress a sur elles.

[Traduction]

    Quelles mesures pourriez-vous nous recommander pour veiller à ce que l'on comprenne mieux les victimes de violence sexuelle en prenant davantage en considération leur état psychologique et émotif? Faut‑il offrir une meilleure formation aux intervenants du système judiciaire? Convient‑il de changer la façon dont les causes de violence sexuelle sont traitées par notre système judiciaire?
    Pouvez-vous nous donner une idée de la manière dont on devrait s'y prendre, selon vous, pour mieux traiter les victimes de violence sexuelle ou, disons, mieux tenir compte de leur situation particulière?

[Français]

     Je suis certainement d'accord pour qu'on améliore la formation. Toutefois, je crois qu'une réflexion s'impose sur le statut inégal de la victime et de l'accusé dans le système actuel.
    Je vois mal comment on peut pallier les inégalités du pouvoir dans le système sans réfléchir au fardeau de la preuve et à ce qui découle des droits des accusés, alors que les victimes sont des témoins du crime.
     C'est une zone difficile à remettre en question, mais c'est ce que je vous invite à faire.

[Traduction]

    C'est un enjeu des plus délicat. En vous interrogeant sur le fardeau de la preuve dans une affaire criminelle au sein d'un système éprouvé depuis longtemps déjà, vous posez une question vraiment fondamentale. Je ne veux pas vous mettre sur la sellette. Je prends simplement acte de ce que vous nous dîtes afin que nous le gardions à l'esprit. Je souligne le tout parce que j'estime que cela outrepasse sans doute la portée du mandat de notre comité qui s'intéresse aux droits des victimes.
    Auriez-vous d'autres recommandations à nous soumettre, en dehors de la formation, pour nous aider à protéger les droits des victimes dans les causes de violence sexuelle?

  (1125)  

[Français]

    J'ai entendu bien des gens dire que les victimes doivent être mieux informées. Je pense qu'il faut évidemment offrir un meilleur soutien aux victimes relativement aux informations et aux répercussions engendrées. De l'information est transmise aux victimes tout au long du processus. D'ailleurs, les procureurs ont un certain rôle à jouer à cet égard, mais les victimes devraient avoir de l'information avant même de se rendre au poste de police. Ce n'est pas toujours facile d'obtenir des informations justes.
    Dans certains cas, le procureur offre un immense soutien, mais ce n'est pas l'essentiel de son rôle. Il faudrait voir si, au cours du processus, il y a moyen d'offrir encore plus de soutien à la victime.
    Quand la victime fait sa déclaration, elle est dans un petit cubicule et elle est accompagnée d'un policier. Or la victime peut contredire sa déclaration lors de son témoignage.
     Il y a plusieurs étapes à suivre pour préparer les victimes.

[Traduction]

    Merci.
    Nous passons maintenant à M. Fortin pour une période de six minutes.

[Français]

     Je vous remercie, monsieur le président.
    Bonjour, madame Ouellette. Je suis content de vous voir ce matin.
    J'écoutais votre témoignage jusqu'à maintenant, et je le trouve très intéressant.
    Un peu comme mon collègue, M. Naqvi, je dirais qu'il est assez difficile de prétendre à un renversement du fardeau de la preuve. Nous vivons dans une société où nous souhaitons que les gens ne soient pas condamnés à moins que nous soyons convaincus de leur culpabilité. À tort ou à raison, nous avons un système fondé sur le principe que nous aimons mieux voir des coupables en liberté que des innocents en prison. Ce système de droit a des avantages, mais aussi des désavantages.
    Cela dit, je pense que vous avez raison de dire que les victimes sont souvent laissées pour compte dans notre système judiciaire. Je le comprends très bien quand vous dites qu'une victime de violence sexuelle, par exemple, peut ressentir une certaine nervosité ou un certain stress ou peut avoir des trous de mémoire qui l'empêchent de livrer un témoignage qui soit à la hauteur pour démonter réellement sa crédibilité. Je me demande s'il ne faudrait pas travailler sur les outils avec lesquels nous pourrions accompagner les victimes et faire en sorte qu'elles soient mieux comprises lorsqu'elles témoignent.
     En ce sens, j'allais aborder la question de l'information, mais vous venez de m'ouvrir la porte. Beaucoup de témoins nous ont dit que les victimes étaient peu informées de leurs droits. C'est une chose importante. Je pense que nous devrons en faire état judicieusement dans notre rapport.
    J'aimerais aborder avec vous un autre sujet, celui de la participation au processus judiciaire. Selon vous, serait-il bon que les victimes soient partie prenante à toutes les étapes du procès plutôt que seulement être entendues à titre de témoins? Si elles participaient au processus, elles pourraient avoir plus d'impact sur les décisions, par exemple en matière de négociation de plaidoyer. Cela se fait souvent entre l'avocat de la défense et le procureur de la Couronne.
    Selon vous, les victimes auraient-elles intérêt à participer à toutes ces discussions et y consentiraient-elles?
    Si l'on considère la violence sexuelle comme étant une prise de pouvoir de quelqu'un sur quelqu'un d'autre, on constate que la victime a perdu tout pouvoir dans la situation où elle a été placée. Dans le système de justice, comme témoin et observatrice, à la limite, la victime continue d'être privée de son pouvoir. Si nous pouvons lui donner un peu plus de participation pour l'aider à sentir qu'elle reprend un certain pouvoir, cela pourrait participer à son processus de guérison.
    Quand la victime est exclue de la négociation de plaidoyer, cela peut être, effectivement, une mauvaise surprise. Il faudrait chercher de quelle façon on pourrait lui offrir plus de participation. Cela pourrait être un pas en avant dans cette reprise de pouvoir.

  (1130)  

    Pour ce qui est des condamnations, j'imagine que toutes les victimes souhaiteraient probablement que les accusés soient condamnés.
    Selon votre expérience, avez-vous l'impression que, si la victime participait au processus, les sentences seraient différentes de celles que nous constatons présentement? Sinon, en fin de compte, les sentences seraient-elles sensiblement les mêmes?
    Il m'est difficile de répondre à cette question.
    Il est certain que la plupart des peines sont purgées au provincial; elles ont donc un maximum de deux ans moins un jour. En somme, les sentences sont, le plus souvent, relativement légères. Les victimes ne souhaitent pas forcément toutes des sentences plus longues ou plus sévères. Il s'agit pour elles d'arriver au bout du processus avec le sentiment d'avoir vraiment été entendues et crues, plutôt que d'être considérées elles-mêmes problématiques. La sentence peut jouer un rôle, mais ce n'est pas toujours le cas.
    Ce que vous dites est bien intéressant.
    Je reviens à la participation des victimes. Si nous voulons aider ces dernières à participer plus efficacement au processus, n'y aurait-il pas lieu de penser à un service de consultations auprès de psychologues ou de travailleurs sociaux, par exemple, pour mieux préparer la victime avant qu'elle témoigne et lui expliquer le processus?
     Je ne suis pas psychologue, mais il y a sûrement des façons de faire en sorte que la personne soit plus à l'aise devant les tribunaux. Ainsi, elle pourrait rendre un témoignage plus fluide, plus utile et plus facilement compréhensible pour le tribunal. Je ne veux pas utiliser le mot « sincère », car je tiens pour acquis que les victimes sont toutes de bonne foi et qu'elles rendent des témoignages exacts.
    Un service professionnel de ce type pourrait-il être offert?
     C'est le genre d'accompagnement que nous offrons.
    Les CALACS et les CAVAC, au Québec, offrent cet accompagnement. Cela change les choses. Nous accompagnons ces personnes, ne serait-ce qu'en les aidant à revoir leur objectif d'obtenir une condamnation à tout prix et en les incitant à briser le silence. C'est l'angle que nous prenons.
    Pour une victime, le fait d'avoir à ses côtés quelqu'un qui peut demander une pause quand elle n'en peut plus est bénéfique. En plus du procureur de la Couronne, il faudrait qu'une personne jouant ce rôle d'accompagnement soit autorisée à être présente, mais ce n'est pas toujours le cas.
    Merci, madame Ouellette.

[Traduction]

    Merci.
    Monsieur Garrison, vous avez six minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Il est malheureux que la Dre Sharpe n'ait pas pu être des nôtres pour cette dernière journée de témoignages. Je sais que le Comité a fait le nécessaire pour que nous puissions l'accueillir. Elle n'a pas pu comparaître parce que sa famille vit actuellement des moments particulièrement difficiles.
    J'aimerais savoir si nous avons reçu un mémoire de la Dre Sharpe. Peut-être que notre greffier pourrait nous l'indiquer.
    Comme nous n'en avons pas reçu, je vais essayer d'en obtenir un.
    Les recherches de la Dre Sharpe portent sur la surreprésentation des personnes de couleur parmi les victimes d'homicide dans la région du Grand Toronto. Notre comité n'a pas entendu beaucoup de témoignages à ce sujet. Je pense qu'il est important que nous tentions d'obtenir ces informations en lui demandant de nous soumettre un mémoire écrit.
    Madame Ouellette, vous avez fait allusion à ce phénomène de la surreprésentation des personnes racisées et marginalisées parmi les victimes d'actes criminels, et plus particulièrement d'agression sexuelle. Pourriez-vous nous en dire davantage — sans nécessairement citer des chiffres — quant à cette surreprésentation que vous êtes à même de constater dans le cadre de votre travail?

[Français]

    On sait que les personnes qui vivent avec un handicap de quelque genre que ce soit et celles issues de l'immigration et de la diversité sexuelle vivent plus de violence sexuelle.
    C'est une façon pour l'agresseur de démontrer sa supériorité et son pouvoir. S'il y a bien une façon d'enlever du pouvoir à quelqu'un, c'est de l'agresser sexuellement. Cela se joue dans les rapports de pouvoir entre les différents groupes sociaux. On va agresser une femme lesbienne parce qu'elle est lesbienne, entre autres. On va agresser une femme autochtone parce qu'elle est autochtone. Ce n'est pas séparé de l'expérience de l'agression sexuelle.

  (1135)  

[Traduction]

    Nous avons déjà discuté en comité de la question des comportements coercitifs et contrôlants. Notre comité a unanimement recommandé au gouvernement que l'on considère de tels comportements comme étant des infractions criminelles.
    Pouvez-vous nous dire dans quelle proportion les personnes que vous voyez sont victimes de violence sexuelle aux mains d'un partenaire intime, et si un comportement coercitif et contrôlant peut-être en partie à l'origine de cette violence sexuelle?

[Français]

    Parmi les personnes que nous recevons, il s'en trouve plusieurs qui vivent de la violence dans leurs relations amoureuses. Par contre, nous recevons aussi beaucoup de personnes qui ont vécu de la violence dans leur enfance et de l'inceste. C'est sûr que les comportements coercitifs mènent à une escalade de la violence.

[Traduction]

    Vous dîtes avoir pu constater au fil des ans une certaine amélioration dans la façon dont les policiers traitent les victimes d'agression sexuelle. Vous avez mentionné la formation qui a pu être dispensée. Y a‑t‑il d'autres facteurs, comme des changements dans la composition des corps policiers, qui ont pu contribuer à cette amélioration?
    Si la situation a pu s'améliorer pour les forces policières, peut-être pourrions-nous appliquer les mêmes solutions ailleurs dans le système judiciaire.

[Français]

     Quand j'ai commencé, il y a 20 ans, un policier m'avait dit que les trois quarts des plaintes pour agression sexuelle n'étaient pas fondés. Venant d'un policier, cela m'avait un peu surprise. Je pense qu'on entend moins de genre de commentaires, aujourd'hui. Selon moi, les formations offertes, entre autres aux enquêteurs, fonctionnent relativement bien. On autorise même parfois les personnes à demander à ce qu'une enquêtrice ou une policière reçoive leur déposition. Cela contribue positivement à la situation.
    Les formations contribuent à l'amélioration du comportement. Cependant, nous avons parfois vu des cas où certains policiers ont mal interprété les consignes, ce qui a davantage entraîné une confrontation avec les victimes. Ce n'était pas très fort. Toutefois, de façon générale, ces formations sont bénéfiques.

[Traduction]

    Est‑ce que les personnes que vous accueillez dans le cadre de votre travail sont déjà au fait des droits dont bénéficient les victimes au Canada? Autrement dit, est‑ce que les victimes savent qu'elles ont certains droits, même s'il n'est pas toujours possible de les faire respecter aussi efficacement qu'on le souhaiterait?

[Français]

    Il est plutôt rare que les personnes qui viennent nous voir comprennent leurs droits. Notre rôle consiste, entre autres, à leur faire connaître et mieux comprendre ces droits. Elles ont souvent déjà entendu parler de l'IVAC, soit l'Indemnisation des victimes d'actes criminels. Elles arrivent en disant qu'elles pourraient faire une demande auprès de ce régime d'indemnisation, mais elles ne savent pas ce que cela veut dire ni en quoi l'IVAC consiste. Nous les soutenons alors au cours de ce processus.

[Traduction]

    Je veux seulement vous remercier pour votre témoignage. Je pense que vous avez exprimé certains doutes quant à l'utilité de votre comparution devant le Comité. Je crois que tous mes collègues conviendront avec moi que le Comité a beaucoup bénéficié de vos interventions sur l'importance de bien comprendre la nature des traumatismes vécus par les victimes d'agression sexuelle et sur les lacunes de notre système en la matière. Merci beaucoup d'avoir été des nôtres aujourd'hui.

  (1140)  

    Merci, monsieur Garrison.
    Nous allons maintenant passer à M. Caputo.
    Bienvenue au Comité, monsieur Caputo. Vous avez cinq minutes pour amorcer ce deuxième tour de questions.
    Merci. C'est un plaisir et un honneur d'être ici. Merci à notre témoin.
    Lorsque j'étais procureur, je m'intéressais principalement aux infractions sexuelles et, surtout, aux infractions sexuelles contre des mineurs. C'est donc vraiment un honneur pour moi d'être ici aujourd'hui.
    Je vais vous poser trois questions très concrètes en espérant que mes cinq minutes suffiront.
    Nous discutons des mesures qui pourraient être prises. Il arrive que nous examinions les choses dans une perspective plus générale. Je veux vous parler de l'article 535 du Code criminel qui traite de l'enquête préliminaire, une procédure obligeant les gens à témoigner à deux reprises. Il y a aussi la question des témoignages vidéo. L'article 486.2 du Code criminel permet de témoigner sans être dans la salle d'audience. Enfin, si le temps le permet, nous traiterons de la possibilité de faire une déclaration en vertu de l'article 715.1 du Code criminel.
    Je ne sais pas si bien des gens sont au courant, mais l'enquête préliminaire vise à s'assurer que la preuve est suffisante pour intenter un procès. L'enquête préliminaire n'est désormais plus requise pour les inculpés passibles d'une peine d'incarcération de 10 ans ou moins. Chose intéressante, la peine maximale pour une agression sexuelle contre un adulte est justement de 10 ans. Ainsi, un individu accusé d'une telle infraction n'a pas droit à une enquête préliminaire. En revanche, si c'est un enfant qui est victime d'une infraction sexuelle ou de contacts sexuels, le Code prévoit une peine minimale d'incarcération de 14 ans.
    Voici où je veux en venir. Lorsque des accusations pour agression sexuelle sont portées par voie de mise en accusation, la victime mineure doit témoigner à deux reprises, alors qu'un seul témoignage est nécessaire pour un adulte dans la même situation. Cela ne vous apparaît‑il pas tout à fait illogique?

[Français]

    Je ne suis malheureusement pas une spécialiste des cas qui concernent les enfants. Effectivement, ce que vous dites ne me semble pas logique. Je travaille principalement auprès des adolescentes et des femmes. Par conséquent, je ne m'avancerai pas sur ce sujet, car je ne connais pas assez ce genre de détails. Je suis désolée.

[Traduction]

    Je comprends. Ce serait le cas pour toute personne de moins de 18 ans.
    J'en viens à ma deuxième question. Il est possible pour un mineur de témoigner sans être dans la salle d'audience. C'est ce que nous appelons en droit une « demande présomptive ». Une telle demande est formulée en vertu de l'article 486.2 du Code criminel. Lorsqu'un juge est saisi d'une demande semblable, il est présumé qu'il y donnera suite à moins d'avoir vraiment une bonne raison de ne pas le faire. Je vous l'explique dans mes propres mots. La même possibilité n'est pas offerte aux adultes qui doivent témoigner. On nous parle des traumatismes et des gens qui… Il doit être extrêmement troublant de se retrouver face à son agresseur. Il demeure possible pour un adulte de demander à témoigner sans être dans la salle d'audience, mais dans le cas d'un mineur, on présume d'emblée qu'une telle requête est acceptée, ce qui est presque toujours le cas.
    Croyez-vous que les choses seraient plus faciles pour les victimes d'âge adulte si l'on présumait également dans leur cas qu'une telle demande va être acceptée? Elles pourraient ainsi témoigner sans se présenter dans la salle d'audience, un droit que l'on considérerait comme acquis pour ces victimes. Elles n'auraient pas à se débattre d'entrée de jeu pour le faire valoir. La loi reconnaît ainsi essentiellement que vous êtes réputé avoir déjà vécu un traumatisme tel que l'on ne va pas vous obliger en plus à vous retrouver en face de votre agresseur. Votre participation au processus n'est toutefois aucunement entravée. Est‑ce que cela serait utile selon vous?

[Français]

     On ne peut pas être contre cette procédure. Effectivement, puisque j'ai vu le témoignage d'une adolescente qui avait pu enregistrer celui-ci et ne pas être présente au procès, je sais que cela fonctionne et enlève un certain fardeau.
    En ce qui concerne les femmes adultes, il est bien entendu qu'elles peuvent aussi vivre des effets très importants du stress et être autorisées à enregistrer leur témoignage. Certaines femmes souhaitent assister au procès pour faire face à leur agresseur, alors que c'est trop difficile pour d'autres. Une telle disposition peut donc apporter du soutien aux victimes, effectivement.

[Traduction]

    C'est ce que j'ai pu constater également; certaines victimes veulent être présentes.
    Voilà qui m'amène à ma troisième question. Je crois d'ailleurs que vous y avez fait allusion. Cela fait intervenir une autre disposition du Code, soit l'article 715.1. On y indique qu'un mineur qui a fait une déclaration enregistrée sur vidéo par un agent de police peut simplement confirmer que cette déclaration est conforme à la vérité et ne pas avoir à répéter son témoignage. Autrement dit, c'est l'enregistrement de la déclaration qui est entendue en cours. Le mineur y raconte ce qui lui est arrivé. Cela remplace son témoignage. C'est valable seulement pour les mineurs.
    Dans les cas d'agression sexuelle contre un adulte, pensez-vous que ce serait aussi un outil efficace, non seulement pour faciliter le processus judiciaire, mais aussi pour éviter de faire subir un nouveau traumatisme à la victime?

  (1145)  

    Malheureusement, monsieur Caputo, vous n'avez plus de temps. Nous devrons attendre pour connaître la réponse à cette question.
    Madame Brière, vous avez cinq minutes.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Bonjour, madame Ouellette. Je vous remercie de vous joindre à nous et de nous offrir votre témoignage.
    Dans votre allocution d'ouverture, vous avez dit que vous travailliez à la prévention et à la défense des droits, et que vous étiez une spécialiste des survivantes d'agression sexuelle. Vous avez aussi dit que ces femmes n'avaient pas beaucoup accès à la justice, que ce soit à cause de limites venant du droit criminel ou à cause de facteurs humains ou sociaux.
    Que vous demandent ces femmes quand elles frappent à votre porte? Que viennent-elles chercher auprès de votre organisme?
    D'abord, nous leur offrons aussi un soutien.
    Ensuite, au sein de notre organisme, il y a deux éléments très importants que nous apportons aux personnes qui ont subi des agressions sexuelles. Nous reconnaissons ce qu'elles ont vécu et nous les croyons; par ailleurs, nous leur disons que ce qu'elles ont vécu n'est pas leur faute. C'est vraiment un gros morceau.
     Ces deux facteurs importants détermineront si elles se tourneront vers le système de justice ou non. Ce sont donc deux éléments essentiels dans leur voie vers la guérison et pour reprendre du pouvoir sur leur vie. Le fait de croire qu'elles n'ont rien fait pour que cela leur arrive est crucial. Malheureusement, à cause de la structure du système, on laisse souvent entendre qu'elles ont peut-être fait quelque chose pour que cela leur arrive. En tant que victime, on ne veut pas être de nouveau exposé à cela.
    L'essentiel est vraiment de leur dire que nous savons que ce qui leur est arrivé n'est pas leur faute. Ce sont vraiment les éléments importants qu'elles viennent chercher auprès de notre organisme. Ceux-ci se retrouvent dans notre prévention, dans l'aide que nous leur apportons et dans la défense de droits que nous faisons avec elles.
     En ce qui concerne le processus judiciaire, quelles sont les embûches?
    Pourquoi les victimes ne font-elles pas de dénonciation?
    Comment réagissent-elles à tout ce processus?
    Elles ont très peur d'être jugées. Elles craignent de se faire questionner sur les raisons de leur visite chez l'agresseur ou sur la façon dont elles étaient habillées.
    Elles ont très peur d'être jugées, et elles ont aussi peur de ne pas être crues.
    Au cours de notre accompagnement, nous leur disons souvent que, si leur objectif est de briser le silence, c'est déjà très bien, que leur plainte soit retenue ou non. Si leur objectif est de voir leur agresseur emprisonné, cela peut être difficile à atteindre. Cependant, nous aidons les victimes à trouver un objectif pour lequel, peu importe la conclusion, elles y trouveront une satisfaction.
    Nous essayons de leur faire voir que de briser le silence est déjà très bien.
    Vous avez mis en place le PADI, un programme pour les personnes en situation de handicap.
    Pouvez-vous nous donner un peu plus de détails sur la réalité de ces personnes dans un contexte d'agression sexuelle? Que pouvez-vous faire pour elles?
    Le PADI est un programme que nous n'avons pas donné depuis un bon moment. Il vise principalement les personnes qui ont une déficience intellectuelle. Ces personnes sont très susceptibles de vivre de la violence sexuelle, parce qu'elles dépendent d'autres personnes, notamment des prestataires de soins.
     Ce sont aussi des personnes qui ne reçoivent pas ou très peu d'éducation à la sexualité, comme si elles ne pouvaient pas avoir une vie sexuelle. Le silence qui entoure l'éducation à la sexualité laisse beaucoup de place à un éventuel agresseur. Nous tentons de les soutenir, de les accompagner et, dans la mesure de notre possible, de leur offrir une éducation à la sexualité.

  (1150)  

    Pensez-vous que le système de justice actuel permet aux personnes ayant une déficience intellectuelle de soumettre et d'acheminer une plainte?
    Ont-elles l'accompagnement adéquat?
    Avez-vous une idée de ce qui pourrait être mis en place pour mieux les aider?
    Qu'est-ce qui manque dans l'éventail des offres de services?
    Il y a toujours une évaluation de la crédibilité de la victime. Le procureur qui évalue la crédibilité d'une victime ayant une déficience intellectuelle trouve plus difficile de croire qu'elle lui dit la vérité.
    Je n'ai aucun cas positif à présenter à cet égard.
    Je vous remercie.

[Traduction]

    Merci, madame Brière.
    Nous passons à M. Fortin pour une période de deux minutes et demie.

[Français]

    Je vous remercie, monsieur le président.
    Madame Ouellette, je n'ai pas beaucoup de temps. Je vais donc commencer par la fin en vous remerciant d'être venue ici aujourd'hui. Votre témoignage est intéressant et important.
    Mon collègue M. Caputo a parlé de la possibilité de témoigner hors de la salle, comme cela est possible pour les enfants. Le témoignage peut se faire à distance, par vidéoconférence ou autrement. La question se pose: des victimes adultes ne pourraient-elles pas avoir le même privilège que les enfants?
    Je ne connais pas grand-chose à votre domaine, mais arrive-t-il que certaines victimes préfèrent confronter leur agresseur? Regarder leur agresseur dans le blanc des yeux peut alors leur donner leur sentiment de reprendre le contrôle de leur vie. Est-ce une possibilité ou la plupart des victimes souhaitent-elles plutôt ne pas être confrontées à l'agresseur?
    Il existe plusieurs réalités différentes. Nous avons affaire à des êtres humains. Certaines personnes souhaitent effectivement reprendre du pouvoir en se mettant debout et en regardant leur agresseur. Elles ont ainsi l'impression de retrouver leur dignité. Pour d'autres personnes, la dignité passe plutôt par de la protection et des mesures de retrait.
    Aux CALACS, vous êtes confrontés à ces situations. Vous êtes en première ligne pour ce qui est d'intervenir auprès des victimes. Êtes-vous en mesure de me donner un pourcentage approximatif des personnes qui ne veulent pas confronter leur agresseur? Est-ce la majorité, 90 % par exemple? Est-ce moitié-moitié? Comment représenteriez-vous cet aspect?
     Je pense que c'est moitié-moitié. Je n'ai pas étudié cette question, mais je crois que c'est assez partagé.
    Est-ce que cela aide les victimes, lorsqu'elles peuvent être en présence de leur agresseur et lui dire ses quatre vérités? Au-delà de l'aspect judiciaire, cela peut-il être thérapeutique pour la victime?
    Oui, absolument. Cela fait vraiment partie de la reprise de pouvoir. C'est d'ailleurs pour cela que la justice réparatrice fonctionne. C'est le cas quand une victime peut s'affirmer et dire ce qu'elle a à dire. À notre centre, nous demandons à la victime de rédiger des lettres pour affronter son agresseur. Nous dessinons son agresseur sur le mur et demandons à la victime de lui lire ses lettres pour s'exercer. Cela fait partie d'une reprise de pouvoir extraordinaire.
    Je vous remercie.
    Il ne doit plus me rester que quelques secondes. Rapidement, les CALACS...

[Traduction]

    Vous avez dépassé le temps imparti, monsieur Fortin. Merci.
    C'est maintenant au tour de M. Garrison pour deux minutes et demie également.
    Merci beaucoup.
    Il y a quelques jours à peine, nous avons eu droit au témoignage très percutant de femmes ayant été victimes d'agression sexuelle qui souhaitaient que la loi soit changée de manière à ce qu'elles puissent révéler leur identité et, du même coup, celle de leur agresseur. À la lumière de votre expérience, diriez-vous que ce serait une bonne chose d'offrir un choix semblable aux victimes?

[Français]

    Si je me souviens bien de ce témoignage, elles disaient vouloir avoir le choix. Cela fait partie de la reprise de pouvoir. Les victimes veulent avoir le choix de se présenter publiquement ou non, et être protégées. La clé, c'est d'avoir le choix.

  (1155)  

[Traduction]

    En étant la seule à comparaître devant le Comité aujourd'hui, vous avez droit à une expérience un peu plus intense que nos autres témoins.
    Il me reste environ une minute, et je ne sais pas s'il y a quoi que ce soit d'autre dont vous auriez souhaité faire part au Comité et que vous voudriez maintenant ajouter.

[Français]

    C'est assez complet.
    Je suis très reconnaissante de l'attention et de l'importance que les membres du Comité accordent à cette question. Vous vous êtes permis d'élargir la discussion et ne vous êtes pas limités à la charte des victimes. Je suis heureuse que vous ayez pu entendre des témoignages plus larges sur la question et sur les obstacles qui empêchent d'obtenir justice.
    Je trouve cela parfait.

[Traduction]

    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Garrison.
    Je vais maintenant donner la parole à M. Van Popta.
    Bienvenue au Comité.
    Merci. Je ne savais pas que j'aurais l'occasion de poser une question. Je suis vraiment heureux de pouvoir le faire.
    Madame Ouellette, merci d'être des nôtres aujourd'hui. Votre témoignage a été d'une grande utilité au Comité dans son étude sur les victimes d'agression sexuelle.
    Vous avez parlé du traumatisme que doivent vivre les victimes lorsqu'elles ont à témoigner devant le tribunal, en faisant valoir qu'il serait peut-être préférable de faire passer en pareil cas le fardeau de la preuve de la Couronne à l'inculpé. Quelques-uns de mes collègues ont souligné que l'on s'éloignerait ainsi considérablement de notre façon traditionnelle de mener une instruction pénale.
    Je me demande s'il n'existerait pas une solution mitoyenne ou une troisième option qui permettrait, si c'est ce que désire la victime, de tabler davantage sur la justice réparatrice, plutôt que de rechercher une condamnation au criminel.

[Français]

    Je regarde vraiment l'impact du traumatisme subi. Cela ne passe pas forcément par une condamnation. Le fait d'aller mieux ne va pas toujours de pair avec une condamnation. Par contre, il faudrait que les victimes aient davantage accès à la justice réparatrice. On sait que cela fonctionne et que cela apaise quelque chose en elles.
    J'ai assez confiance dans le processus de justice réparatrice. C'est encore en développement et ce n'est pas complètement installé, mais j'ai quand même confiance dans ce processus.

[Traduction]

    Merci beaucoup pour cette réponse. Pouvez-vous fournir au Comité quelques exemples de cas où la justice réparatrice s'est révélée très efficace pour atténuer les traumatismes vécus par les victimes? Ce serait très utile pour nous.
    J'ai une seconde question. C'est au sujet de la sensibilisation des juges. Au cours de la dernière législature, nous avons adopté une loi obligeant tous les juges à suivre une formation relativement aux causes d'agression sexuelle. Ce ne sont en effet pas tous les juges qui sont comme mon collègue, M. Caputo. Certains étaient des avocats comme moi dont la spécialité était plutôt le morcellement des terres. La sensibilisation est bien sûr toujours une bonne chose.
    Que pensez-vous du fait que les juges soient tenus de suivre une formation pour traiter les cas d'agression sexuelle?

[Français]

     Je vous donne d'abord un exemple de justice réparatrice.
    Je pense à une femme qui a suivi un processus de justice réparatrice avec un agresseur qui n'était pas le sien. Pour cette victime, le fait de prendre la parole et d'expliquer l'impact de l'agression à l'auteur d'un crime apparenté a eu un effet très positif sur sa reprise de pouvoir, ce dont je vous ai parlé.
    De plus, le fait d'entendre un agresseur reconnaître sa culpabilité contribue aussi à la guérison. Cela fonctionne bien. Même si son propre agresseur n'a pas assumé sa responsabilité, la victime a entendu un autre agresseur reconnaître ce qu'il avait fait à quelqu'un d'autre.
    En ce qui a trait à la formation des juges, forcément, personne ne peut pas être contre l'offre d'une meilleure formation. J'y vois là un élément de transformation qui s'attaque aux obstacles actuels, ne serait-ce que par une meilleure compréhension de l'impact des traumatismes sur les victimes.

  (1200)  

[Traduction]

    Je n'ai pas d'autre question, monsieur le président.
    Merci.
    Nous passons à Mme Dhillon pour une période de cinq minutes.

[Français]

    Bonjour, madame Ouellette. Je vous remercie d'être avec nous aujourd'hui.
    Nous sommes plusieurs à vous poser des questions et vous êtes notre seule témoin, alors nous vous remercions énormément.
    Je vais commencer par votre témoignage. Vous avez mentionné que les victimes ont parfois peur de porter plainte ou ont une réticence à le faire.
    Un soutien psychologique leur est-il offert ou pourrait-il leur être offert? Comment le service peut-il être amélioré?
    Comme je le disais précédemment, un soutien est nécessaire.
    Je travaille dans un organisme communautaire. Je sais qu'il existe une trentaine d'organismes similaires au mien au Québec et en Ontario. Ils sont moins nombreux dans les autres provinces. Je ne connais pas l'état exact des services d'un bout à l'autre du pays, mais il est certain qu'offrir davantage de soutien aux victimes est nécessaire. La prévalence des agressions sexuelles est extrêmement importante dans la population, tant féminine que masculine — il y en a aussi chez les garçons et les hommes —, et les répercussions sur la vie des victimes sont si importantes qu'elles ont besoin d'un soutien. Souvent, les institutions comme le réseau de la santé et leurs établissements sont tellement sous pression en ce moment qu'ils peinent à offrir des services spécialisés de cet ordre. Les victimes préfèrent alors trouver quelqu'un d'autre pour les aider.
    Je vous remercie.
    Il arrive parfois que les victimes veuillent retirer leurs plaintes. Elles ne veulent plus aller au-delà de l'étape initiale, où elles ont porté plainte au poste de police, ou plus tard, à l'étape du procès. Parfois, le procureur ne veut pas que la plainte soit retirée. Il exerce une pression sur la victime, homme ou femme, qui en a peut-être assez et ne veut plus poursuivre le processus. On voit cela souvent.
    Selon vous, existe-t-il un moyen de régler ce problème? Le procureur peut-il respecter le souhait de la victime? Lors de votre témoignage, vous avez aussi parlé de la volonté de la victime qui porte plainte. Pourriez-vous nous parler de cela, s'il vous plaît?
     En 20 ans, il ne m'est arrivé qu'une seule fois d'accompagner une personne qui avait déposé une plainte et qui l'a ensuite retirée, et que le procureur ait décidé de poursuivre le processus judiciaire. D'ailleurs, ce procureur a réussi à obtenir un verdict de culpabilité dans ce cas. Il s'agissait d'une jeune adolescente agressée par son père et qui a décidé de retirer sa plainte.
    Je suis un peu ambivalente et partagée sur la question. D'un côté, il faut respecter le rythme des victimes, mais, d'un autre côté, quand il y a de la manipulation, ce n'est pas simple.

  (1205)  

    Les victimes qui portent plainte reçoivent-elles du soutien, à part celui de leur procureur ou de leur propre avocat? Ont-elles accès à de l'aide psychologique ou aux services d'une travailleuse sociale, qui pourrait les soutenir dans le processus? Ce genre d'aide psychologique existe-t-il?
    C'est l'aide qu'offre notre centre; je dirais que c'est un service vraiment complet. Il y a d'autres associations et groupes qui offrent une telle aide. Évidemment, comme c'est le cas à bien des endroits, il y a des listes d'attente. Ce serait une bonne idée d'offrir un meilleur soutien aux organisations qui offrent cette aide.
    Dans votre témoignage, vous avez mentionné qu'il y a 20 ans, un policier vous avait dit qu'on croyait que les trois quarts des plaintes étaient non fondés. Depuis ce temps, les policiers ont reçu de la formation pour les sensibiliser à ces cas.
    En quoi consiste cette formation? Comment pourrait-on sensibiliser davantage les policiers et les procureurs?
    Nous avons eu de la chance. Le mouvement #MoiAussi a mis beaucoup de pression sur les différents systèmes et a amené les policiers à se regarder un peu plus.
    Dans ma région, j'ai l'impression que la collaboration avec les policiers est beaucoup plus facile. Ils demandent à nous rencontrer pour discuter avec eux et voir de quelle façon nous pouvons mieux collaborer. Le mouvement #MoiAussi a donné un bon électrochoc.
    Les différentes formations offertes aux services policiers...

[Traduction]

    Merci, madame Dhillon.
    Merci, madame Ouellette. Vous avez eu droit à une heure complète de témoignage pour exprimer tous vos points de vue.
    Je vais maintenant interrompre la séance, car nous allons passer à huis clos pour discuter des travaux du Comité pendant l'heure qu'il nous reste. Nous allons permettre à notre témoin de quitter la salle, puis je vais me connecter de nouveau à Zoom en utilisant un lien différent. Si quelqu'un d'autre doit en faire autant, c'est le moment ou jamais.
    Merci.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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