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SECU Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la sécurité publique et nationale


NUMÉRO 046 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 29 janvier 2015

[Enregistrement électronique]

(0850)

[Traduction]

    Je souhaite la bienvenue aux témoins, aux invités, ainsi qu’à mes collègues à la 46e séance du Comité permanent de la sécurité publique et nationale. Nous poursuivons aujourd’hui notre étude sur le projet de loi C-12, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.
    Nous entendrons beaucoup de témoins aujourd’hui: trois durant la première heure, et trois durant la deuxième heure. Nous avons eu un petit contretemps, parce que nous essayions d’établir la vidéoconférence avec Vancouver. Je crois que ça fonctionne maintenant.
    Durant la première heure, nous entendrons Catherine Latimer, directrice exécutive de la Société John Howard du Canada. Bienvenue, Catherine.
    Nous accueillons également Kevin Grabowsky, président national du Syndicat des agents correctionnels du Canada. Bienvenue, Kevin.
    Enfin, par vidéoconférence, nous entendrons Kim Pate, directrice exécutive de l’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry.
    Nous entendez-vous bien, madame Pate?
    Parfait.
    Chaque témoin aura 10 minutes pour faire une déclaration. Ensuite, nous passerons aux séries de questions et réponses. Bien entendu, plus vos déclarations préliminaires seront courtes et plus nous aurons de temps pour les questions.
    Je vous souhaite encore une fois la bienvenue, et je vous remercie de votre présence devant le comité.
    Madame Latimer, vous avez la parole.
    Merci beaucoup. Je suis ravie de témoigner devant votre comité pour discuter du problème important des drogues dans les prisons.
    La Société John Howard est un organisme de bienfaisance dont la mission est de favoriser le traitement juste et humanitaire des causes et des conséquences de la criminalité. La société compte environ 60 bureaux de première ligne un peu partout au Canada qui offrent des services en vue de promouvoir la sécurité dans nos collectivités.
    Bon nombre de clients doivent composer avec des problèmes de dépendance ou de santé mentale ou les deux. Nous convenons que la toxicomanie est un problème difficile et nous souhaitons collaborer avec d’autres pour nous y attaquer. Il s’agit de l’un des aspects de notre plan en cinq points en vue d’améliorer le système correctionnel au Canada.
    Le projet de loi C-12 vise à contribuer à l’élimination des drogues dans les pénitenciers fédéraux en demandant à la Commission des libérations conditionnelles d’envisager d’annuler une libération conditionnelle, qui peut avoir été accordée, si la personne échoue à un test de dépistage des drogues, qu’elle refuse de fournir un échantillon d’urine aux fins d’analyse avant sa libération ou qu’elle ne le peut pas. Le toxicomane reçoit comme sanction l’annulation de sa libération conditionnelle potentielle.
    Ma déclaration préliminaire se concentrera sur deux éléments: le projet de loi en soi et les stratégies efficaces en vue de nous attaquer aux problèmes complexes de toxicomanie dans le milieu carcéral.
    Étant donné que le projet de loi C-12 semble être conséquent avec les pouvoirs actuels de la Commission des libérations conditionnelles, y compris la possibilité d’évaluer l’incidence sur le plan correctionnel d’un délinquant et le risque qu’il contrevienne aux règlements en consommant des produits de contrebande, la mesure législative ne nous pose pas vraiment problème. Cependant, nous aimerions souligner que ce n’est pas toute consommation d’alcool ou de drogue qui indique un problème de dépendance nécessitant un traitement ou qui accroît le risque de récidive. Nous sommes particulièrement satisfaits que le projet de loi accorde un certain pouvoir discrétionnaire à la Commission des libérations conditionnelles en vue d’examiner les circonstances et la signification d’une infraction donnée.
    Je souligne ce point, parce qu’il y a aussi un risque à garder en prison jusqu’à l’expiration de leur peine des gens qui ont des problèmes de dépendance sans leur faire profiter des avantages liés à une mise en liberté graduelle avec du soutien que permettent les programmes de libération conditionnelle et de réinsertion sociale. Dans le cas d’une personne qui a une dépendance, si tout ce qu’on fait à cet égard est strictement de nature punitive et qu’on la garde dans un pénitencier jusqu’à la fin de sa peine, elle n’aura peut-être pas le soutien dont elle a besoin et qui pourrait au final réduire le risque pour la collectivité.
    Il y a un petit bémol concernant le projet de loi C-12, parce qu’il considère comme équivalents l’omission de fournir un échantillon d’urine et un échantillon d’urine positif. Certains troubles médicaux, comme une insuffisance rénale et des troubles de la prostate, peuvent empêcher un délinquant de produire de l’urine, et on ne devrait pas considérer que cette personne a échoué à un test de dépistage des drogues. Selon moi, il faudrait tenir compte de l’incapacité de produire de l’urine pour des raisons médicales et ainsi éviter de traiter le délinquant comme s’il avait échoué au test de dépistage des drogues. Je suis ravie de voir que la Commission des libérations conditionnelles aura le pouvoir discrétionnaire d’examiner toutes les circonstances, et j’espère évidemment qu’elle tiendra compte d’une telle situation.
    Notre principale réserve est que le projet de loi ne fera pas ce que son titre laisse entendre, à savoir de faire des prisons des établissements sans drogue. Étant donné que les prisons fédérales sont de plus en plus surpeuplées et qu’il y a moins de programmes de travail et de réadaptation, la demande de drogues est probablement à la hausse. La lutte antidrogue dans les prisons fédérales canadiennes s’est beaucoup concentrée sur la réduction de l’offre par la répression et l’imposition de sanctions. Tous les nouveaux investissements dans le Service correctionnel du Canada par l’entremise de la stratégie nationale antidrogue visaient la répression — des chiens renifleurs, le renforcement de la sécurité, etc.
    Toute stratégie antidrogue efficace, y compris celles dans les prisons, doit aussi mettre l’accent sur la réduction de la demande. La prévention, les traitements et la réduction des dommages sont d’importantes composantes de toute stratégie antidrogue efficace.
    La propagation de l’hépatite C et d’autres maladies dans les prisons peut être contenue et devait l’être. Comme le rapport de l’enquêteur correctionnel le mentionne, les ressources disponibles pour les programmes de lutte contre la toxicomanie ont diminué. On a mis en place des programmes intégrés pour nous attaquer à une myriade de problèmes, et le SCC a besoin de plus de ressources affectées aux programmes de traitement pour les détenus qui ont des problèmes de dépendance.
    Les services correctionnels de la Colombie-Britannique et la Société John Howard de Nanaimo constatent que leur programme, Guthrie House, est un succès remarquable. Il s’agit d’un programme de communauté thérapeutique pour les gens qui ont des problèmes de dépendance et qui sortent de prison. Les responsables des services correctionnels fédéraux devraient peut-être se pencher sur ce programme pour comprendre le fonctionnement de programmes efficaces.
(0855)
    Même si nous saluons l’objectif de faire des prisons des établissements sans drogue, nous reconnaissons qu’il est peu probable d’atteindre cet objectif, en dépit de l’augmentation des sanctions et des ressources affectées à la répression.
    La Société John Howard du Canada croit qu’il existe des moyens plus efficaces d’assurer la sécurité de nos collectivités et de réduire la toxicomanie que de redoubler d’effort pour réduire l’offre dans nos prisons. La Cour suprême et les professionnels de la santé considèrent la toxicomanie comme une maladie, et nous devons nous assurer que tous les Canadiens ont accès au traitement dont ils ont besoin. La majorité des délinquants en prison retourneront dans la collectivité. Ce n’est pas en gardant le plus longtemps possible des toxicomanes derrière les barreaux et en les remettant en liberté dans la collectivité sans traitement ou soutien — des délinquants qui ont peut-être l’hépatite C ou d’autres maladies contractées pendant leur incarcération — que nous rendrons nos collectivités plus sûres.
    La Société John Howard demande une stratégie plus exhaustive en vue de lutter contre la présence de drogues dans les prisons et d’assurer la sécurité de nos collectivités.
    Merci.
    Merci beaucoup, madame Latimer.
    Monsieur Grabowsky, vous avez la parole.
    Bonjour. Je m’appelle Kevin Grabowsky et je suis président national du Syndicat des agents correctionnels du Canada. Je suis agent correctionnel depuis maintenant 36 ans.
    En ce qui concerne le projet de loi, l’une de nos plus grandes réserves est que nous ne comprenons pas comment on pourrait mettre en pratique ses dispositions. Lorsqu’un détenu se voit accorder une libération conditionnelle, il ne s’écoule normalement que très peu de temps avant sa libération. Cela prend normalement au moins trois semaines pour savoir si un échantillon d’urine contient des traces de drogue. Nous nous demandons si le projet de loi permettra à la Commission des libérations conditionnelles de retourner le délinquant en prison si son échantillon d’urine était positif avant sa libération.
    Voici l’autre problème que nous voyons. Si une personne refuse de suivre les procédures, le projet de loi signifie-t-il — encore une fois, cela concerne la mise en oeuvre des dispositions — que ce refus en soi est suffisant pour en informer la Commission des libérations conditionnelles qui prendra une décision en conséquence, ou faut-il aller devant le tribunal interne et suivre ce processus? La mise en oeuvre des dispositions du projet de loi nous préoccupe grandement. Nous ne savons pas comment ce mécanisme fonctionnera. Est-ce efficace, ou est-ce un outil mis à notre disposition qui n’a aucune signification, mais qui fait bonne impression? Voilà les questions qui préoccupent vraiment les agents correctionnels.
    De la drogue dans les prisons? Évidemment. D’après mon expérience, chaque fois que nous fermons une porte, les détenus trouvent des manières novatrices d’en ouvrir d’autres. Les drones sont maintenant un gros problème pour nous. De la drogue est également dissimulée dans des oiseaux morts et lancée par-dessus les clôtures. Des arcs et des flèches ont été utilisés pour envoyer de la drogue par-dessus les clôtures et ont mis en danger le personnel. Nous avons trouvé de la drogue dans des balles de tennis qui ont été lancées par-dessus les clôtures.
    Il y a évidemment une demande dans les prisons. C’est certainement une option de tout mettre en oeuvre pour y mettre un frein et d’imposer une conséquence aux détenus qui en consomment. Toutefois, comme je crois que d’autres l’ont déjà dit avant moi, il faut également offrir des programmes.
    Notre plus grande réserve en ce qui concerne le projet de loi est sa mise en oeuvre. Comment cela se ferait-il? Les résultats des tests prennent beaucoup de temps à arriver; le détenu pourrait déjà être libéré avant de les avoir. Pour ce qui est du refus, en Colombie-Britannique, si je ne m’abuse, si vous êtes intercepté pour conduite avec facultés affaiblies et que vous refusez de fournir un échantillon d’haleine, votre permis est automatiquement révoqué durant trois mois, et votre voiture est remorquée, et ce, sans passer par les tribunaux. Eh bien, si c’est l’objectif du projet de loi, nous ne croyons pas qu’il va suffisamment loin.
    Voilà les préoccupations des agents correctionnels en ce qui concerne la mise en oeuvre du projet de loi.
    Merci.
(0900)
    Merci beaucoup, monsieur Grabowsky.
    Passons maintenant à la déclaration préliminaire de Mme Pate, directrice exécutive de l’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry.
    Vous avez la parole, madame.
    Monsieur le président, merci de votre invitation.
    Je tiens également à remercier l’Établissement d’Edmonton pour femmes de me permettre de témoigner. Je suis ici aujourd’hui dans le cadre de l’une de mes visites, et les responsables de l’établissement ont gracieusement accepté de me laisser utiliser leur appareil de vidéoconférence pour témoigner devant votre comité. Je trouve logique d’avoir cette discussion dans une prison.
    Comme je crois que la majorité des députés le savent, je représente l’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry. Notre association compte 25 organismes qui travaillent partout au pays pour offrir des services aux femmes et aux filles incarcérées, criminalisées, persécutées, marginalisées et se trouvant dans des établissements.
    Je tiens tout d’abord à dire qu’outre la précision du pouvoir qu’ont déjà le Service correctionnel du Canada et la Commission des libérations conditionnelles du Canada le projet de loi C-12 ne se veut qu’un renforcement très dispendieux de lois et de politiques existantes. Malheureusement, cela contribue également à alimenter une croyance que je ne considère pas nécessairement comme toujours vraie, à savoir que la drogue dans les prisons est entièrement la faute des détenus.
    Lorsque le Canada a adopté il y a quelques années l’ancien modèle américain de lutte contre la drogue, des experts en matière de dépendances, y compris Dre Diane Riley qui a travaillé avec le Service correctionnel du Canada et d’autres organismes, ont demandé que l’accent soit aussi mis sur les programmes et la prestation des services et non uniquement sur l’utilisation de techniques de répression plus punitives. Comme le comité l’a indiqué, et en particulier comme un député l’a souligné lors des débats en Chambre sur le projet de loi le 22 novembre 2013 en ce qui concerne le voyage que des députés ont fait en Norvège pour discuter des stratégies antidrogue, la Norvège et bien d’autres pays dans le monde ont adopté les modèles et les programmes que le Canada a en fait rejetés ou a depuis arrêtés d’utiliser. Étant donné qu’il y avait un certain intérêt et un respect apparent pour le travail qui était fait en Norvège par ceux qui s’y étaient rendus, je crois que cela démontre l’importance d’examiner certaines de ces mesures.
    Les travaux de recherche fondés sur les données probantes dans le domaine des dépendances permettent vraiment de cerner des problèmes et démontrent notamment que l’interaction sociale dans l’environnement dans lequel les gens sont présents est la manière la plus efficace de réduire la consommation de drogues. Les mesures punitives ont en fait provoqué l’augmentation de la consommation de drogues. Dans les prisons, parmi les choses que Dre Riley avait prédites et que nous avons en fait constatées, comme M. Grabowsky et Mme Latimer l’ont dit et comme d’autres le diront sans doute, il y a l’afflux de drogues plus dangereuses et potentiellement mortelles, dont des drogues injectables, au fur et à mesure de l’intensification de la lutte contre la drogue et des techniques de répression.
    En résumé, je vous exhorte de ne pas continuer dans la même veine, c’est-à-dire de renforcer la politique actuelle et d’affecter plus de ressources uniquement à la détection des drogues et aux techniques de répression, étant donné qu’il a été démontré que cette approche n’est pas la plus efficace pour nous attaquer à ce problème, mais qu’elle est certes la plus dispendieuse. Il serait de loin préférable, comme les autres témoins du panel l’ont déjà mentionné, de plutôt envisager d’améliorer les programmes, les services et le soutien aux délinquants dans les prisons et après leur libération. Tout ce que le présent projet de loi cherche à faire se trouve déjà dans les lois et les politiques.
    Merci beaucoup. Je serai ravie de répondre à vos questions.
(0905)
    Merci beaucoup, madame Pate.
    Passons maintenant à nos séries de questions. Pour la première série, les députés auront sept minutes.
    M. Norlock aura la première série de questions pour les députés ministériels. Vous avez la parole, monsieur.
    Merci beaucoup, monsieur le président. Par votre entremise, je remercie les témoins de leur présence aujourd’hui.
    Ma première question s’adresse à M. Grabowsky.
    Merci encore une fois votre présence au comité, monsieur. J’aimerais d’abord commencer par vous poser une question sur vos connaissances de base. Avez-vous pris connaissance du témoignage de M. Don Head, le commissaire du Service correctionnel du Canada?
    Non, monsieur.
    M. Head nous a informés que plusieurs prisons participent à un programme pilote dans lequel toutes les personnes qui entrent dans le système reçoivent un programme de traitement. Il a affirmé que dans le cadre de ce programme, auquel plusieurs millions de dollars ont été affectés — c’est compris dans les 23 millions de dollars, ce qui est une augmentation importante en la matière —, on fait un examen préliminaire de la situation de toutes les personnes qui arrivent dans l’établissement et chez qui on constate une dépendance.
    Pourriez-vous nous parler de l’inclusion de ce programme dans le plan correctionnel des détenus? Les délinquants qui ont besoin d’un traitement de la toxicomanie voient d’abord les traitements qui leur sont offerts dans l’établissement, puis dans l’ensemble du système, n’est-ce pas? Qu’en pensez-vous?
    Je connais très bien ce dont vous venez de parler. Je dirais qu’environ de 85 à 95 % de nos détenus ont une forme de dépendance qui les a menés dans le milieu carcéral. Cela étant dit, chaque détenu court un tel risque. C’est toujours un aspect qu’il faut avoir à l’oeil dans le cadre du plan correctionnel de chaque détenu. Je crois qu’on y trouve pratiquement toujours une mention en ce qui concerne la toxicomanie ou d’autres formes de dépendance.
    La surpopulation en milieu carcéral rend de plus en plus complexe la prestation de certains programmes. Compte tenu des gangs que nous avons dans les prisons et la manière dont nous divisons les populations carcérales, il est beaucoup plus difficile d’administrer ces programmes aussi efficacement qu’il y a quelques années. Votre temps est limité. Vous divisez les 24 heures entre sept populations plutôt qu’une, comme c’était le cas auparavant. Il est difficile de faire suivre des programmes à des détenus, et il est encore plus difficile de s’assurer qu’ils les suivent jusqu’au bout. En fait, nous avons constaté une diminution dans la prestation des programmes depuis qu’ont été réduits certains budgets des services correctionnels.
    Je ne suis pas certain d’être tout à fait d’accord avec la manière dont M. Head rapporte la situation.
    M. Head a indiqué que le budget était à l’époque de 8 à 11 millions de dollars et qu’il se chiffre maintenant à 22 millions de dollars avec le début de ce nouveau programme. En fait, c’est l’inverse de ce que vous avez dit; il y a une augmentation. À titre de conseil, je crois que vous, en tant que président de votre syndicat, devriez vous tenir au courant de certaines modifications qui sont apportées en ce qui concerne le traitement des toxicomanes et des alcooliques.
    Je sais que le Syndicat des agents correctionnels du Canada est notamment très préoccupé par certaines suggestions qui ont été faites au sujet de l’adoption d’un programme d’échange d’aiguilles dans les prisons. Votre syndicat s’inquiète également que les aiguilles puissent être utilisées pour blesser ses membres. Qu’en pensez-vous?
    Êtes-vous en train de dire que nous sommes favorables à un programme d’échange d’aiguilles?
(0910)
    Non. J’ai dit qu’un tel programme vous inquiétait. J’aimerais que vous nous disiez ce qui vous préoccupe à ce sujet.
    Nous sommes toujours aux aguets pour intercepter la contrebande qui entre dans la prison. Nous avons toujours les yeux ouverts. Nous ne croyons pas qu’un programme d’échange serait efficace. Nous avons demandé à plusieurs reprises au gouvernement actuel, depuis 2007, je crois, de faire des tests de dépistage sur nous concernant l’exposition à du sang. Nous courrons un grand risque si nous n’avons rien en place pour nous protéger, puis que nous permettons quelque chose qui peut être utilisé pour nous blesser. Des détenus pourraient se servir de l’aiguille; nous avons déjà eu des prises d’otages où le détenu avait une seringue remplie de sang qu’il tenait près du cou de l’agent en disant: « Je suis séropositif pour le VIH, et vous le serez également. » Nous voyons souvent des blessures accidentelles causées par des aiguilles, parce que les détenus collent les aiguilles sous leur bureau pour les cacher. C’est un risque. C’est un autre produit de contrebande dans la prison qui nous met en danger.
    De plus, lors de son témoignage devant notre comité, le commissaire Head a indiqué qu’il y avait eu 2 406 saisies de drogues dans les prisons fédérales et que le taux de saisie augmente.
    Vous avez mentionné certaines manières utilisées pour faire entrer de la drogue dans les prisons. Je suis bien au fait de bon nombre d’entre elles. J’ai des amis qui travaillent à l’Établissement de Warkworth et qui me racontent ce qui se passe de leur point de vue. Autrement dit, ils sont membres de votre syndicat, et nous avons de bonnes discussions. Certains d’entre eux m’ont dit que de nouveaux outils ont été mis à leur disposition et qu’on s’affaire à essayer d’empêcher la drogue d’entrer dans les prisons et que cela explique en partie l’augmentation du nombre de saisies.
    Je sais que vous avez des amis qui ne sont pas membres de votre syndicat, de simples voisins, qui auraient de la difficulté à comprendre la manière dont la drogue entre dans les prisons. Cela les préoccupe. Selon vous, qu’est-ce qui explique l’augmentation du nombre de saisies de drogue?
    D’après moi, cette augmentation du nombre de saisies s’explique en partie par un nombre accru de chiens renifleurs et certains outils additionnels mis à notre disposition pour trouver de la drogue. La quantité de drogue qui entre dans les prisons a toujours été plutôt constante; nous n’avons tout simplement pas toujours eu des outils pour les détecter. Nous avons maintenant certains outils, et cela explique l’augmentation du nombre de saisies.
    Merci beaucoup, monsieur Grabowsky.
    Monsieur Garrison, allez-y. Vous avez sept minutes.
    Merci aux trois témoins de leur présence matin.
    J’essaie de résister à la tentation de m’attaquer au tour de passe-passe auquel se sont livrés le ministre et le commissaire Head au sujet des chiffres. Je crois qu’on peut facilement comprendre pourquoi vous pourriez avoir de la difficulté à vous y retrouver.
    J’aimerais traiter d’un point soulevé par Mme Latimer. Elle a parlé des conséquences de garder derrière les barreaux quelqu’un qui continue d’échouer à des tests de dépistage des drogues. Elle a mentionné qu’au final cette personne serait libérée à l’expiration de sa peine, et je crois que vous avez ajouté qu’elle serait libérée sans soutien et sans traitement.
    Pourriez-vous nous expliquer plus en détail ce qui se passe à ce sujet? Je crois que c’est un point très important. Compte tenu des statistiques que nous avons au sujet du taux de réussite des gens en liberté conditionnelle, qu’en est-il des délinquants que nous gardons derrière les barreaux jusqu’à l’expiration de leur peine?
    Nous constatons que des détenus reçoivent une libération conditionnelle de plus en plus tard au cours de leur peine. Nous savons que la participation à un programme de libération conditionnelle, soit un programme dans lequel les détenus sont supervisés et soutenus et un programme qui leur permet d’entrer en contact avec des organismes et des groupes de soutien, a une énorme incidence sur les taux de récidive.
    J’ai l’impression que c’est contre-productif de garder derrière les barreaux jusqu’à l’expiration de leur peine des délinquants qui ont des besoins importants en matière de santé en raison de leurs problèmes de dépendance, puis de les libérer et de les laisser aller sans soutien pour les orienter vers les ressources dans la collectivité dont ils ont peut-être besoin en vue de les aider à gérer leurs dépendances.
    À mon avis, nous avons d’excellentes raisons de ne pas garder derrière les barreaux jusqu’à l’expiration de leur peine des délinquants qui ont des besoins. Nous devons nous assurer d’accroître la probabilité d’avoir des collectivités plus sûres. Le moyen d’y arriver est d’avoir en place un programme ciblé et soutenu de libération conditionnelle ou de réinsertion sociale qui s’attarde aux besoins des délinquants et aux moyens d’y répondre.
(0915)
    Merci.
    Monsieur Grabowsky, dans le même ordre d’idées, considérez-vous les délinquants qui sont gardés plus longtemps derrière les barreaux, parce qu’ils ont peut-être échoué à des tests de dépistage des drogues, comme étant des détenus plus faciles ou plus difficiles à gérer pour un agent correctionnel?
    Cela cause le surpeuplement des prisons.
    Qu’il y ait trois ou quatre détenus par cellule ne dérange pas le Canadien moyen. Cependant, les agents correctionnels s’en soucient grandement, parce qu’ils doivent ouvrir les portes de ces cellules.
    Le système correctionnel canadien est axé sur les programmes, les traitements et la réinsertion. Par contre, notre population carcérale augmente, mais notre infrastructure est toujours la même. Si vous aviez une salle de cours pour 200 détenus, vous avez maintenant une salle de cours pour 400 détenus. Cela rend l’accès plus difficile.
    Le temps s’écoule. Dès qu’un détenu entre dans la prison, il commence à purger sa peine jusqu’à ce qu’il soit libéré.
    On met également de la pression sur les directeurs d’établissement pour faire passer des détenus d’une prison à sécurité maximale à une prison à sécurité moyenne ou minimale. L’idée est de les faire passer à une prison de niveau inférieur et de veiller à ce que les délinquants retournent dans la collectivité.
    Obtenons-nous toujours les meilleurs résultats en agissant ainsi, considérant où nous en sommes actuellement? Malheureusement, je n’en suis pas certain. Notre travail est plus difficile lorsqu’on décide de garder derrière les barreaux des détenus plus longtemps ou jusqu’à l’expiration de leur peine, parce que ces détenus abordent chaque journée sans la moindre motivation.
    Merci, monsieur Grabowsky.
    Madame Pate, vous nous parlez ce matin depuis un établissement pour femmes d'Edmonton. Nous avons parlé abondamment de dépenses additionnelles pour traiter la toxicomanie. Selon votre expérience, diriez-vous que l'on consacre plus de ressources au traitement des femmes qui ont des problèmes de dépendance, et croyez-vous que ces ressources sont adéquates?
    Malheureusement, ce n'est pas le cas. Au cours des 23 ans que j'ai passés dans mes fonctions et à travailler auprès des femmes en milieu carcéral, j'ai constaté que les ressources allaient en diminuant. Comme cela a déjà été discuté en Chambre, il semble qu'il y ait une somme avoisinant les 100 millions de dollars qui a été dépensée pour les techniques et processus visant à interdire la drogue. Malgré l'augmentation dont parlait M. Grabowsky — les montants consacrés à la programmation sont passés de 8 à 22 millions de dollars —, l'augmentation du nombre de détenus que nous constatons fait en sorte qu'il reste bien peu de ressources pour ceux qui en ont besoin.
    Si vous me le permettez, j'aimerais profiter de l'occasion pour clarifier quelque chose. Lors du débat à la Chambre des communes, c'est M. Norlock qui a parlé des programmes d'une grande efficacité qu'applique la Norvège. Je vous inciterais à réexaminer certaines des mesures qui ont été abandonnées par Service correctionnel du Canada au cours des deux dernières décennies.
    Madame Pate, nous savons que, dans de très nombreux cas, les problèmes de dépendance sont liés à des problèmes de santé mentale. J'aimerais que vous nous parliez de la capacité qu'ont les personnes souffrant de problèmes de santé mentale à recevoir, en prison, un traitement pour les aider à vaincre leur dépendance.
    Nous savons que les gens sont très souvent envoyés à tort en isolation. Quelle incidence cela peut-il avoir sur le traitement de leur dépendance, laquelle va de pair avec leurs problèmes de santé mentale?
    Malheureusement, la plupart du temps, les séjours en isolation aggravent les problèmes de santé mentale.
    Bien souvent, on a recours à des médicaments, car il y a très peu d'autres solutions, même si, comme je l'ai dit, certaines des recherches les plus récentes — dont certaines évoquées par Catherine Latimer, tant dans le milieu correctionnel que dans le traitement des dépendances — montrent que les moyens les plus efficaces consistent à intervenir sur le plan social, à soutenir les personnes en difficulté — et ne pas les mettre en isolation — et à leur fournir des occasions de faire autre chose.
    À bien des égards, on pourrait dire qu'il s'agit de gros bon sens. Si vous avez autre chose à faire, vous n'êtes pas en isolation, et l'on ne vous retire pas la chance que vous pourriez avoir de lire ou de vous éduquer. En faisant autre chose, il se peut que votre santé mentale en bénéficie et que vous ressentiez moins le besoin de vous anesthésier en prenant de la drogue.
    Merci.
    S'il me reste un peu de temps, j'aimerais revenir à M. Grabowsky.
    En ce qui concerne les effets des interdictions de programmation de plus en plus courantes, j'ai entendu dire, sur le terrain, que cela entraînait bien souvent une recrudescence des arrêts des activités et des confinements aux cellules, et que cela nuisait à la programmation.
(0920)
    Oui. Et c'est pour cette raison que j'ai parlé d'une journée de 24 heures qu'il faut essayer de découper pour trouver un temps pour chaque chose.
    Il faut ajouter à cela l'augmentation d'incidents violents et de la présence des gangs dans les pénitenciers. Cela se traduit par une augmentation des confinements aux cellules, lesquels entraînent à leur tour l'interruption des programmes ou le report des programmes pour un certain temps, c'est-à-dire pendant tout le temps qu'il nous faut pour fouiller les cellules en quête de drogues ou d'autres choses semblables.
    C'est aussi un facteur nuisible.
    Merci.
    Merci beaucoup, monsieur Grabowsky.
    Merci, monsieur Garrison.
    Monsieur Payne, la parole est à vous.
    Je remercie les témoins de leur présence. Il s'agit d'un projet de loi important. Je crois que la plupart des Canadiens estiment que nous devons réduire la circulation des drogues dans les pénitenciers.
    Tout d'abord, lorsque M. Head est passé devant le comité, il nous a informés que la population carcérale s'était stabilisée à environ 15 000 détenus et qu'elle n'augmentait pas vraiment. Je présume que cela est exact.
    L'on nous a aussi informés que de nouvelles cellules avaient été ajoutées dans les pénitenciers existants. À cet égard, monsieur Grabowsky, je me demandais si la double occupation des cellules avait diminué.
    La double occupation des cellules diminue. On en voit encore dans les Prairies et en Ontario.
    Assurément, nous accueillons très favorablement les nouveaux lits et les nouvelles unités annoncés, car cela contribuera à faire faire reculer la double occupation des cellules.
    Le problème, c'est que l'infrastructure n'est pas là. On place encore 400 détenus dans des installations construites pour en recevoir 200. Qu'ils aient leur propre cellule ou qu'ils la partagent avec un autre ne change rien à l'affaire. Les pièces n'ont pas été construites pour cela ou pour la mise en oeuvre de programmes. Ce sont des choses qui n'étaient pas prévues.
    C'est une situation difficile qui persiste.
    Monsieur Grabowsky, sur le plan de la santé et de la sécurité au travail, je suis certain qu'une diminution des drogues dans les pénitenciers susceptible d'améliorer la protection des travailleurs est une question qui vous tient très à coeur, vous et vos agents correctionnels.
    Oui. L'une de nos tâches les plus importantes consiste à débusquer la contrebande, à chercher des drogues ainsi qu'à interroger les détenus afin de savoir ce qui se passe dans le pénitencier et qui dirige le commerce de la drogue. Cela emploie le meilleur de notre temps. D'autres outils seraient assurément les bienvenus.
     La seule chose, c'est que nous ne sommes pas tout à fait certains de la façon de mettre en oeuvre ce projet de loi et d'en vérifier l'utilité. C'est une chose que de dire qu'un refus de passer le test de dépistage entraînera automatiquement une suspension de votre libération conditionnelle. C'en est une autre que de permettre à celui qui fournira un échantillon de sortir, en sachant qu'il faudra trois semaines ou un mois avant d'avoir les résultats pour ensuite essayer de remettre le détenu derrière les barreaux.
    Je le répète, nos questions portent essentiellement sur la mise en oeuvre du projet de loi.
     Je vous comprends. Mon expérience en affaires m'a montré que lorsque de nouvelles politiques sont mises en place, il est essentiel de bien comprendre de quoi il retourne et d'être formé en conséquence.
    En ce qui concerne ce processus selon lequel la libération conditionnelle d'un détenu pourrait être interrompue, croyez-vous que le fait pour les détenus de savoir cela possible aura une incidence sur leur décision de réduire leur consommation ou de renoncer aux drogues?
    C'est la grande question. Après 35 ans, je ne sais pas si je peux vraiment dire ce qui pousse un détenu à prendre telle ou telle décision. Il est très difficile de répondre à cela.
    Vous avez probablement raison. Cela dépend de chacun. Et j'imagine que, pour la grande majorité des gens, la perspective de se voir refuser de sortir aura une certaine incidence sur leur décision de renoncer aux drogues.
    Comme on l'a dit, beaucoup de financement est accordé aux programmes et, notamment, à ceux qui visent à aider ces personnes. Nous l'avons entendu de M. Head et aussi du ministre Blaney. Je crois qu'ils ont dit que quelque 100 millions de dollars étaient consacrés aux mesures de détection dans les établissements, et je pense que cela fait beaucoup pour aider votre organisme. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?
(0925)
    Bien sûr.
    Comme je l'ai dit, la détection est une clé de premier ordre. Nous savons que nous avons un bon ascendant sur le commerce de la drogue lorsque nous constatons qu'il y a plus de bière en circulation dans l'établissement. Les détenus fabriquent de la bière maison. Voilà une indication. En tant qu'agents correctionnels, c'est presque un objectif. Je dis cela à la blague, mais le fait demeure que la présence accrue de bière dans l'établissement signifie que vous commencez à épuiser l'approvisionnement en drogues. Cela dit, un détenu ivre n'est probablement pas beaucoup plus facile à gérer qu'un détenu qui a pris de la drogue. Assurément, c'est notre objectif. C'est l'objectif de chaque agent lorsqu'il rentre au travail: débusquer et arrêter la contrebande et toutes ces choses illicites que font les détenus.
    Pour répondre à une partie de votre question, selon ma propre expérience, les délinquants qui arrivent dans un établissement sont soit des prédateurs soit des proies. J'ai constaté que, lorsqu'il arrive à 40 ou 45 ans, le détenu qui était un prédateur commence à se voir comme une proie et garde l'oeil ouvert sur les plus jeunes qui arrivent. C'est à partir de cet instant que le détenu réalise vraiment qu'il ne veut plus être en prison, qu'il est fatigué d'être en prison. C'est à ce moment qu'il se dit: « Je vais m'abstenir de consommer, car je veux sortir d'ici. » Avant qu'ils ne soient rendus là — à ce passage de prédateur à proie —, c'est un peu plus difficile pour eux de renoncer à la drogue. Ou la tentation est trop forte.
    Voilà qui est intéressant.
    Mon collègue a parlé des seringues. J'estime que les seringues dans un tel établissement sont aussi des armes potentielles, et la possibilité de blesser des agents correctionnels est très réelle. Pouvez-vous nous dire un mot à ce sujet?
    Pour nous, les seringues font partie de la contrebande. Nous n'avons jamais envisagé ni appuyé l'échange de seringues. Je sais que divers moyens sont utilisés dans les villes et dans différents pays du monde pour enrayer l'échange de seringues, mais pour nous, ce sont toujours des armes. Nous les considérons comme un danger pour les agents correctionnels.
    Merci beaucoup, monsieur Grabowsky.
     Merci, monsieur Payne.
    Monsieur Easter, vous avez la parole.
    Monsieur Grabowsky, vous venez de dire à M. Payne que c'est au moment où il voit entrer les plus jeunes que le détenu se décide à suivre les programmes, mais force est de reconnaître qu'il est très difficile de suivre des programmes qui ne sont pas offerts. De toute évidence, ce gouvernement mise essentiellement sur les sanctions plutôt que sur les programmes de réadaptation. Les programmes sont-ils plus nombreux ou moins nombreux? Si les délinquants veulent suivre des programmes, ces programmes sont-ils offerts et accessibles?
     L'accessibilité n'est plus ce qu'elle était. Nous avons vu l'offre décliner, et ce, pour une foule de raisons. Il y a, entre autres, l'augmentation de la population carcérale et la double occupation.
    L'Ontario et les Prairies sont probablement les régions où l'occupation double est la plus répandue. Or, les infrastructures ne se prêtent pas à cela. Les établissements ne sont pas faits pour de telles populations. À cause de la criminalité, des rivalités entre les gangs, nous sommes contraints de diviser les détenus. Par exemple, nous devons veiller à ce que les violeurs et les agresseurs d'enfants ne se retrouvent pas avec les assassins, etc. Nous avons les mêmes divisions au sein des populations. Par exemple, en ce qui concerne les activités des gangs, notamment en Ontario et dans les Prairies, il y en a tellement. Nous divisons tellement nos populations que le simple fait de les déplacer et de leur donner le temps qu'il faut limite...
(0930)
    Il y a donc plusieurs facteurs qui font que les programmes ne sont pas offerts. L'un d'entre eux est la population carcérale en mouvement.
    Madame Latimer, un peu plus tôt, en répondant à la question de Randall, vous avez dit que les dates de libération conditionnelle indiquées dans les sentences sont repoussées de plus en plus loin dans le temps. C'est une question très sérieuse. Je crois qu'il y a un débat qui vise à établir si le pénitencier est un endroit où les détenus peuvent se réadapter ou s'il est en train de devenir une université de la criminalité. C'est un dangereux dilemme.
    Selon vous, pourquoi les dates de libération conditionnelle sont-elles repoussées de plus en plus tard?
    Je crois qu'il y a une part d'aversion du risque émanant des commissions des libérations conditionnelles. Je crois aussi que certaines des modifications législatives envisagées vont en fait empirer les choses.
    L'un des projets de loi dont le Sénat a été saisi propose d'espacer les demandes de libération conditionnelle aux cinq ans si vous essuyez un refus. La plupart des peines sont de moins de cinq ans, ce qui signifie que vous n'avez qu'une chance de faire une demande. Si l'on ne vous l'accorde pas cette fois-là, vous ne serez admissible à une nouvelle demande qu'après la date de votre libération ou la date de votre libération d'office ou la date d'expiration du mandat.
    Si ce que nous entendons est vrai au sujet du refus d'admissibilité à la libération conditionnelle pour les auteurs de crimes graves... À l'heure actuelle, la seule façon de sortir de prison pour les détenus purgeant une peine d'emprisonnement à vie est le processus des libérations conditionnelles, qui, dans leur cas, est un processus graduel. Si cette possibilité disparaît, il y a lieu de se demander pourquoi l'on devrait avoir une commission des libérations conditionnelles. À quoi servira-t-elle si ce n'est pas elle qui prendra les décisions menant à la mise en liberté graduelle.
    Je crois que tout le domaine des mises en liberté conditionnelle, graduelle ou avec soutien mérite une prise en considération et une réflexion sérieuses, car il est devenu complètement dysfonctionnel.
    Merci.
    Je suis au fait du projet de loi dont vous parlez. Nous avions de sérieuses réserves à son égard. Vous avez dit que vous n'aviez pas vu beaucoup de modifications, que la discrétion était laissée à la Commission des libérations conditionnelles. Or, lorsque le directeur de la commission était ici l'autre jour, j'ai eu l'impression que la commission allait assurément prendre son orientation de ce projet de loi, qu'elle allait probablement sentir la pression exercée par ce dernier pour refuser des demandes de libération conditionnelle, et ce, malgré le fait que les décisions continueront d'être laissées à sa discrétion.
    Pouvez-vous nous en dire un peu plus long à ce sujet? Je sais que la loi sur les pénitenciers sans drogue — comme ils l'appellent — donne vraiment l'impression qu'il n'y aura plus de drogue dans les pénitenciers. La discrétion est toujours laissée à la Commission des libertés conditionnelles, mais quel sera le résultat définitif d'après vous?
    Je crois que la commission exercera son pouvoir de discrétion pour refuser — c'est la façon de faire habituelle — ou révoquer des libérations conditionnelles. Compte tenu de la direction dans laquelle le vent souffle à l'heure actuelle, je crois que cela se traduira au final par une augmentation des refus des demandes de libération conditionnelle et de mise en liberté s'appuyant sur les dispositions particulières de ce projet de loi.
    Je suis heureuse de voir que la portée ne sera pas supprimée de la loi, car si les vents venaient à tourner, il se pourrait que la Commission des libérations conditionnelles se mette à exercer sa discrétion en fonction du bien-fondé de la mise en liberté et de la réinsertion réussies d'une personne, et en évaluant si le délit de drogue de cette personne était suffisamment grave pour lui refuser sa libération conditionnelle.
(0935)
    Tant vous que Mme Pate avez parlé des ressources déclinantes pour les traitements et, à l'opposé, de l'augmentation de la sévérité des punitions, si l'on peut les appeler ainsi. Est-ce que l'une de vous ou vous deux pouvez nous en dire plus long à ce sujet? Quelle est l'importance des ressources lorsqu'il s'agit de traiter les gens pour des problèmes de toxicomanie et de leur faire recouvrer la santé?
    Monsieur Easter, vous avez largement dépassé le temps qui vous était accordé.
    Mesdames, je vous saurais gré de nous donner une réponse, mais soyez très brèves.
    Les ressources sont extrêmement importantes. Nous aimerions beaucoup que le SCC reçoive des ressources additionnelles expressément pour les enjeux relatifs aux drogues et à la réinsertion.
    De ce que j'ai entendu du personnel qui est ici et des détenus, l'accès et l'offre des programmes sont déficients. Ils sont parfois offerts pour une courte durée, ce qui, comme l'a dit M. Grabowsky, peut permettre à un très petit nombre de détenus d'y avoir accès. Fait intéressant: bien que M. Head ait rapporté que les chiffres n'ont pas beaucoup augmenté de façon générale, du côté des femmes, ils ne cessent de grimper. Le manque d'accès aux programmes pour les femmes continue d'être un énorme problème, à la fois pour les détenues et pour le personnel.
    Fort bien. Merci beaucoup.
    Madame Doré Lefebvre, vous disposez de cinq minutes.

[Français]

     Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
    Je remercie nos trois invités d'aujourd'hui.
    Vous entendre parler du projet de loi C-12 est extrêmement intéressant. Je sais que chacun et chacune d'entre vous a beaucoup d'expérience et que vous avez vu les choses changer au cours des dernières décennies.
    J'aimerais revenir à la question posée par M. Easter et à la réponse de Mme Pate.
    Madame Pate, vous avez dit qu'il y avait un problème d'accès aux programmes pour les femmes dans nos pénitenciers. Pourriez-vous en dire un peu plus sur le sujet? Quelle est la différence pour les femmes? Qu'est-ce qui a changé au cours des dernières années?

[Traduction]

    Eh bien, c’est parce que leur nombre a radicalement augmenté. En fait, je me rendais l’autre jour à la prison et, heureusement qu’un membre du personnel était présent, car l’établissement faisait l’objet d’un tel agrandissement qu’en tentant de contourner la nouvelle construction, je n’étais même plus sûre de savoir comment entrer dans l’établissement. Je n’avais pas visité la prison depuis quelques mois; depuis presque un an, en fait.
    Nous observons d’énormes projets d’expansion en raison du nombre de détenus. Nous voyons encore des cellules occupées par deux personnes. Comme M. Grabowsky l’a indiqué, dans certains cas, les places offertes au sein des programmes font l’objet d’une augmentation plus restreinte dans les prisons pour femmes que dans les prisons pour hommes. Toutefois, ce n’est certainement pas le cas de l’accès. Si vous êtes incarcérés dans une prison à sécurité minimale, vous êtes plus susceptibles d’avoir accès aux programmes, mais si vous êtes détenus dans un établissement à sécurité plus élevée — et c’est dans ces prisons que nous retrouvons les personnes atteintes de troubles mentaux et une surreprésentation de femmes autochtones —, votre accès aux programmes est moins probable.
    De plus, si les détenus sont placés dans des unités à sécurité maximale ou des unités d’isolement, ils sont moins susceptibles d’avoir accès à des programmes, et ceux auxquels ils ont accès ont tendance à être des programmes individuels d’autoformation. Ces programmes de formation sont presque autodidactes et ne sont accompagnés que de quelques visites occasionnelles. Et ce n’est pas faute de tentative de la part du personnel. Tant les agents de correction que les employés responsables des programmes nous demandent de les aider. Nous les voyons. Je veux dire qu’ils ont demandé que je fournisse certaines ressources, et nous sommes heureux de le faire lorsque nous pouvons. Toutefois, lorsqu’on parle aussi de personnes ayant un niveau d’instruction limité et de leur capacité d’étudier par eux-mêmes....
    J’ai une fille de 16 ans dont la capacité de s’autogérer est discutable. Lorsqu’une personne a un niveau d’instruction limité, des aptitudes limitées et des débouchés limités, sa capacité de s’autogérer devient également limitée. Selon notre expérience, voilà tout ce qui est mis à la disposition de ceux dont les besoins sont les plus grands. Je le répète, notre organisation n’est pas la seule à remarquer cette lacune. Celle de M. Grabowsky la constate également, tout comme les gens qui travaillent au sein du système et qui demandent des changements.
    Lorsque les détenus n’ont pas accès aux programmes, l’une des difficultés qui surviennent tient au fait que, lorsque la Commission des libérations conditionnelles passe en revue les listes de contrôle de leur plan de traitement correctionnel et que celui-ci comprend un programme de réadaptation pour les alcooliques ou les toxicomanes, cela freine leur libération, même si la commission est à l’aise à l’idée de les libérer et qu’elle souhaite exercer son pouvoir discrétionnaire.
    Je pense que nous observons un accroissement progressif des difficultés à surmonter pour pouvoir libérer les gens d’une manière qui est sécuritaire à la fois pour eux et pour les collectivités, non pas parce qu’ils présentent un risque permanent pour la sécurité publique, mais parce qu’ils ont moins accès aux programmes et bénéficient de moins d’occasions. Comme Catherine Latimer l’a signalé, nous constatons maintenant la libération au sein des collectivités de certaines personnes qui, après avoir purgé leur peine, n’ont toujours pas eu accès à ces programmes. Nous tentons par la suite de nous démener pour leur offrir les programmes en question au sein de leur collectivité parce que, même si Service correctionnel Canada n’est peut-être plus responsable de ces gens après la date d’expiration du mandat, les organisations comme la nôtre s’efforcent toujours de leur offrir des services de soutien et de rechercher ces services au sein des collectivités.
(0940)

[Français]

     Je vous remercie beaucoup. C'était de bonnes explications.
    Monsieur Grabowsky, vous avez dit ne pas être sûr que le projet de loi C-12 soit un outil nécessaire. Je trouve que c'est un bon point.
    Y a-t-il des outils que vous considérez nécessaires pour les agents correctionnels que vous représentez, c'est-à-dire des outils vraiment utiles pouvant contrer le problème de drogue dans les pénitenciers ou vous aider dans votre travail?

[Traduction]

    Vous posez encore une fois une question tendancieuse.
    J’en suis désolée.
    Ce ne n’est pas tant que nous considérons le projet de loi comme bon ou mauvais que le fait qu’il s’agit de quelque chose de nouveau, comme cela a été mentionné, et que nous ignorons l’effet qu’il aura. Toutefois, compte tenu de la façon dont le projet de loi a été formulé, nous ne voyons pas comment il pourrait être mis en oeuvre de manière utile. Certes, si une personne bénéficie d’une libération conditionnelle, elle devrait être tenue responsable de tout manquement aux conditions de sa mise en liberté. Cependant, comment cette responsabilisation se manifestera-t-elle compte tenu de la formulation actuelle du projet de loi? C’est l’une des questions qui nous préoccupent grandement, nous les agents de correction. Depuis des années, nous demandons la raison pour laquelle un détenu qui échoue une analyse d’urine ou qui refuse d’en subir une est récompensé par une visite familiale privée. C’est peut-être par ce moyen que les drogues sont introduites dans la prison, et nous n’avons pas le pouvoir de mettre un terme à ces pratiques.
    En ce qui concerne les outils qui sont requis à l’intérieur des prisons, les programmes en font certainement partie. L’idée d’enfermer un détenu dans une cellule 24 heures par jour et d’en verrouiller à jamais la porte peut sembler bonne, mais, en ma qualité de personne ayant travaillé avec des détenus pendant de nombreuses années, je dois signaler que quelqu’un devra un jour ouvrir cette porte, et que la personne qui se trouvera derrière elle pourrait bien être quelqu’un avec qui on ne souhaitera pas composer.
    Merci.
    Madame Doré Lefebvre, vous avez maintenant dépassé votre temps de parole.
    Madame Ablonczy, la parole est à vous.
    Je sais gré aux témoins d’être venus. Plus tôt, je disais à Mme Latimer qu’il est toujours bon, lorsque nous présentons une mesure législative, d’entendre les intervenants du monde réel. Nous vous sommes reconnaissants de vos points de vue.
    Madame Latimer, vous avez mentionné, je crois, qu’environ 80 % des personnes qui sont incarcérées souffrent d’un problème de dépendance. Ai-je bien compris?
    C’est exact. Oui, de 75 à 80 % d’entre eux sont diagnostiqués comme étant atteints d’une toxicomanie d’une sorte ou d’une autre.
    Oui. Par conséquent, je pense que nous comprenons clairement qu’il s’agit d’un vrai problème…
    Oui, c’est un grave problème.
    … et il va sans dire que le gouvernement doit établir un cadre politique pour tenter de s’attaquer à ce problème. Compte tenu du fait que quelque 80 % des personnes incarcérées souffrent d’un problème de dépendance, il est clair, à mon avis, qu’un lien existe entre la toxicomanie et la criminalité ou les comportements criminels. En convenez-vous?
    Je dirais que c’est vrai. Bon nombre de délinquants étaient sous l’influence de l’alcool ou d’autres drogues au moment où ils ont perpétré l’infraction en question, et je dirais que les toxicomanes commettent un grand nombre d’actes criminels moins graves parce qu’ils ont besoin d’acheter leurs drogues. On obtient ainsi des cycles continus de criminalité liée aux drogues illégales.
    Si un délinquant consomme des drogues en prison, il est peu probable qu’il résistera à la toxicomanie après sa libération et qu’il évitera ainsi de recommencer son comportement criminel, qui met en danger sa collectivité. Par conséquent, ce lien n’est pas brisé.
(0945)
    Vous soulevez une question très importante. Il est indispensable de s’assurer que des mécanismes sont en place pour soutenir les gens qui ont un problème de toxicomanie et qui quittent la prison. Qu’il s’agisse d’un traitement de substitution à la méthadone ou de réunions des Narcotiques anonymes, des services de soutien, quels qu’ils soient, doivent être mis sur pied.
    Comme je l’ai mentionné, le centre Guthrie House, qui est établi en Colombie-Britannique, réussit extrêmement bien à réinsérer dans la société les gens qui ont un problème de dépendance. Il fait appel à un modèle d’entraide, à une communauté thérapeutique qui a, en fait, été fondée dans les prisons, avant que les personnes soient mises en liberté.
    Il y a des façons d’atteindre cet objectif, et il est important qu’il soit atteint.
    Il est bon de constater que ces pratiques exemplaires fonctionnent. Cependant, la population carcérale est, si vous me permettez le jeu de mots, une clientèle captive dans le cadre de ces interventions. Lorsque le commissaire Head a comparu devant nous, il nous a donné un aperçu détaillé de l’ensemble des programmes offerts dans les prisons. Je vais les passer en revue rapidement.
    Il a déclaré qu’environ 9 millions de dollars étaient consacrés à des programmes de traitement de la toxicomanie. Nous dépensons à peu près 10 millions de dollars pour mettre en oeuvre des programmes de prévention de la violence, plus de 2 millions de dollars pour des programmes de lutte contre la violence familiale, 4,5 millions de dollars pour des programmes à l’intention des délinquants sexuels, 7 millions de dollars pour des programmes de maintien, 60 millions de dollars pour des programmes sociaux, 14 millions de dollars pour élaborer des modèles de programmes correctionnels intégrés, approximativement 25 millions de dollars pour des cours de formation et, finalement, 42 millions de dollars pour le développement d’aptitudes à l’emploi et l’organisation d’activités liées à l’employabilité. Nous offrons un ensemble vaste et holistique de programmes.
    Le projet de loi vise à inciter les délinquants toxicomanes à cesser de consommer de l’alcool ou d’autres drogues pendant leur séjour en prison, même si les collègues de M. Grabowsky font de leur mieux pour éliminer cette possibilité.
    Compte tenu de votre expérience de travail avec les délinquants, j’aimerais connaître votre opinion, monsieur Grabowsky. Vous voyez-vous en train de dire à des délinquants que, s’ils continuent de consommer des drogues — même si vous tentez de les en priver —, cela nuira à leurs chances d’être libres à la fin de leur peine? Croyez-vous que cela incitera les délinquants à changer leur comportement, ou un grand nombre…?
    Répondez brièvement, monsieur Grabowsky. Merci.
    Je ne sais pas si les choses sont aussi nuancées que cela. Cela dépend de l’état d’achèvement de la peine des délinquants ou de leur statut de prédateur ou de proie en prison. Lorsque vous donnez un conseil à un délinquant, de nombreux facteurs interviennent, lesquels détermineront s’il en tiendra compte ou non. Son âge et son affiliation sont des facteurs que l’on doit prendre en considération avant de trancher.
    Les mesures d’incitation peuvent fonctionner ou non.
    Merci beaucoup, monsieur Grabowsky.
    Votre temps de parole est écoulé, madame Ablonczy.
    À ce stade de la séance, j’aimerais, au nom des membres du comité, remercier nos témoins, Mmes Latimer et Pate, et M. Grabowsky, d’avoir comparu devant nous aujourd’hui et de nous avoir accordé un peu de leur temps, de leur énergie, de leur intelligence et de leurs connaissances. Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant suspendre brièvement nos travaux pour permettre aux témoins de changer de place.
(0945)

(0950)
    Chers collègues, nous reprenons nos travaux dans le cadre de la deuxième heure de la séance.
    Nous accueillons de nouveau trois témoins éventuels. Notre témoin qui participe à la séance par vidéoconférence n’est pas encore en direct, mais nous tenterons d’entrer en contact avec lui. Dans l’intervalle, nous irons de l’avant sans lui.
    Nous allons suivre notre procédure normale qui consiste à accorder 10 minutes à chacun de nos témoins pour leur permettre de donner leur exposé. Ensuite, nous passerons à nos séries de questions qui se dérouleront comme nos ordres de régie interne le prévoient.
    Je souhaite la bienvenue à nos témoins.
    Nous recevons Rebecca Jesseman, qui est directrice au Centre canadien de lutte contre les toxicomanies. Soyez la bienvenue.
    Nous accueillons également Howard Sapers, qui est enquêteur correctionnel au Bureau de l’enquêteur correctionnel. Il est accompagné d’Ivan Zinger, qui est le directeur exécutif et l’avocat général de l’organisation. Soyez les bienvenus.
    J’indique aux membres du comité que, si notre vidéoconférence s’enclenche, David Berner, le directeur exécutif du Drug Prevention Network of Canada, se joindra à nous. En ce moment, nous ne sommes pas en contact avec lui. Je ne sais pas exactement où nous en sommes à cet égard, mais nous irons de l’avant, bien entendu.
    Chers membres du comité, nous allons commencer à suivre l’ordre du jour.
    Madame Jesseman, je vous cède la parole pendant 10 minutes.
    Bonjour, monsieur le président, bonjour, honorables députés. Merci de m'avoir invitée à témoigner ce matin afin de discuter du projet de loi C-12, Loi concernant l'éradication des drogues dans les prisons.
    Je m'appelle Rebecca Jesseman, et je suis la directrice du Centre canadien de lutte contre les toxicomanies, le CCLT. J'ai le plaisir de représenter l'organisation au nom de notre première dirigeante intérimaire, Rita Notarandrea, qui n'était malheureusement pas en mesure d'être parmi vous aujourd'hui. Elle m'a demandé de vous transmettre ses regrets sincères.
    Pour ceux d'entre vous qui ne connaissent pas bien le CCLT, permettez-moi de préciser que le centre a été créé il y a plus d’un quart de siècle à titre de seul organisme national du Canada ayant le mandat prescrit par la loi de réduire les méfaits de la consommation d'alcool et de drogues, ainsi que d'améliorer les services offerts à ceux qui ont des troubles liés à la prise de substances.
    Depuis plus de 25 ans, le CCLT mène des recherches sur la toxicomanie fondées sur des données probantes, fournit des conseils en matière de politiques et offre des outils pratiques en vue d'améliorer les services de première ligne aux Canadiens. Notre position au carrefour des partenaires gouvernementaux, publics et privés nous permet de prendre des mesures communes pour avoir la plus grande incidence collective. Nous menons nos activités en nous servant du Cadre national d'action pour réduire les méfaits liés à l'alcool et aux autres drogues et substances au Canada, soit la stratégie canadienne en matière de dépendance. Le cadre a été mis en oeuvre en 2005 par un vaste éventail d'organisations et de particuliers dévoués provenant de tout le Canada. Il contient une liste de 13 champs d'action prioritaires, dont l'un consiste à répondre aux besoins particuliers des délinquants.
    Comme nous l’avons entendu, la majorité des délinquants pris en charge par les prisons fédérales du pays ont des antécédents de troubles liés à l'abus de substances. Dans son site Web, Sécurité publique Canada précise que 75 % des détenus « qui entrent dans les établissements correctionnels du Canada ont un problème de toxicomanie. Plus de la moitié des délinquants fédéraux déclarent être sous l'influence de l'alcool ou d'autres drogues lorsqu'ils commettaient l'infraction qui les a conduits en prison. »
    L'abus de substances est un facteur de risque de récidive connu. Si les problèmes qui en découlent ne sont pas traités de façon adéquate en établissement, les chances d'un délinquant de réussir sa réinsertion en seront réduites.
    Il est évidemment louable de viser à éloigner les drogues des délinquants à l'intérieur des établissements. L'interdiction joue un rôle important pour prévenir l'accès à la contrebande dans les prisons, et nous applaudissons l'utilisation de technologies fondées sur des données probantes et la collecte de renseignements. Toutefois, les honorables députés savent à quel point il est difficile de maintenir l'alcool et les drogues à l'extérieur des prisons. Selon un sondage mené en 2010 par Service correctionnel Canada, 34 % des hommes et 25 % des femmes dans les prisons fédérales admettent avoir utilisé des drogues au cours des six derniers mois de leur incarcération.
    Entre le quart et le tiers des délinquants fédéraux consomment des drogues et de l'alcool au sein des établissements, et cette situation indique la nécessité d'accroître les services de traitement non seulement en prison, mais aussi dans la collectivité, après leur libération. Le traitement devrait faire partie du plan correctionnel du délinquant.
    La prestation d'un traitement fondé sur des données factuelles qui répond aux besoins particuliers des délinquants au sein des établissements ainsi que dans la collectivité constitue le moyen le plus efficace de réduire les problèmes liés à l’abus de substances chez la population de délinquants du Canada. En outre, il s'agit d'un moyen efficace d'améliorer la sécurité communautaire et de prévenir les récidives.
    En 2006, la fondation Campbell Collaboration a publié une analyse systématique qui a permis de conclure que le traitement des abus de substances peut réduire le récidivisme de 20 % ou moins. De plus, selon une étude de SCC, chaque dollar dépensé en programmes de lutte contre l'abus de substances en établissement permet d'économiser 2,69 $ par la réduction de la longueur des séjours et du nombre de réadmissions. Par conséquent, nous savons que le traitement constitue un moyen efficace et rentable de réduire le récidivisme et d'accroître la sécurité des collectivités.
    Toutefois, selon les résultats attendus de SCC pour 2014-2015, seuls de 48 à 52 % des détenus pour lesquels un besoin a été établi suivront un programme de lutte contre l'abus de substances avant la date de leur admissibilité à la libération conditionnelle totale.
    Le fait de libérer des délinquants dans la collectivité sous la condition de s'abstenir de consommer de l'alcool et des drogues, sans leur offrir les outils ni les ressources communautaires pour éviter ces consommations, accroît les risques de manquement aux conditions de probation.
    Monsieur le président, le projet de loi C-12 proposé accroîtrait la sévérité des conséquences pour les délinquants dont la consommation de substances est détectée par analyse d'urine, après leur mise en liberté conditionnelle. Nous savons que la consommation de substances augmente le risque de récidivisme, mais l'augmentation des sanctions afférentes ne constitue pas le moyen le plus efficace de régler le problème. La dépendance est une maladie chronique récurrente qui doit être traitée comme un problème de santé et non comme un mauvais choix de vie.
    SCC est reconnu à l'échelle internationale pour la qualité de son programme de lutte contre la toxicomanie et de ses données probantes à l'appui. En fait, le CCLT travaille actuellement avec SCC et des partenaires correctionnels provinciaux en vue de définir et de mettre en oeuvre des pratiques exemplaires dans le traitement de la consommation de substances chez les délinquants, tout en mettant l’accent sur la prestation de services de soutien pendant la transition de l'établissement à la collectivité.
    Cette transition représente une période d'ajustement difficile, au cours de laquelle les délinquants sont exposés à des risques comme le stress ainsi que des personnes ou des situations associées à leur utilisation antérieure de substances ainsi qu'à d'autres comportements antisociaux à haut risque.
    La liberté conditionnelle offre aux délinquants l'occasion de se réinsérer dans la collectivité sous une supervision pouvant les aider à déceler et à traiter les facteurs de risque, y compris ceux associés à la consommation de substances.
(0955)
    L’introduction de conditions rendant la liberté conditionnelle plus difficile à obtenir, ou plus facile à révoquer, risque de réduire les chances de réinsertion sécuritaire des délinquants en tant que citoyens productifs et respectueux de la loi. Si l’on refuse constamment la liberté conditionnelle aux délinquants et qu’ils ne sont libérés qu’après avoir purgé leur peine, ils n’auront pas l’avantage de la supervision ni de l’accès renforcé aux ressources communautaires qui satisfont à leurs besoins.
    Il convient également de signaler que la stigmatisation et la discrimination sont des obstacles importants au traitement des troubles liés à la consommation d’alcool et de drogues. Les données probantes indiquent clairement que ces troubles sont des problèmes de santé, mais ils sont traités depuis longtemps comme des défaillances du caractère des individus. L’adoption d’une approche punitive envers la toxicomanie réaffirme cette stigmatisation. Elle encourage la très grande discrétion à l’égard de la toxicomanie, ce qui restreint donc les possibilités d’intervention et accroît les habitudes de consommation à risque élevé.
    À cet égard, le CCLT collabore aussi fièrement avec des partenaires du milieu du rétablissement en vue de promouvoir une démarche axée sur le rétablissement en matière de consommation d’alcool et de drogues au Canada, ainsi que d’éliminer la stigmatisation des troubles liés à la toxicomanie, parce que nous sommes convaincus que le traitement fonctionne et que le rétablissement de la dépendance est possible et durable. En fait, cette semaine justement, au cours des deux derniers jours, nous avons accueilli plus de 50 partenaires de tout le pays à Ottawa dans le cadre du premier Sommet national sur le rétablissement de la dépendance, auquel la ministre de la Santé a assisté. Tous les participants se sont entendus sur des objectifs communs, notamment l’adoption d’une démarche sans stigmatisation et axée sur le rétablissement en vue de traiter les troubles liés à la toxicomanie.
    La meilleure façon d’éliminer la drogue des prisons est de s’assurer que les délinquants ont accès à un traitement approprié à l’intérieur des établissements et dans la collectivité, ce qui signifie un continuum de services fondé sur des données probantes et des appuis qui satisfont aux besoins sanitaires et sociaux complexes associés aux troubles liés à la dépendance à l'alcool ou aux drogues. Il s’agit également de décloisonner les programmes et le soutien offerts dans les établissements et ceux offerts dans la collectivité.
    Nous saluons l’intérêt du gouvernement à garantir des établissements et des collectivités sûrs. Nous sommes fiers de participer à ce dialogue, et nous espérons contribuer par tous les moyens possibles à l’adoption d’une démarche fondée sur des données probantes en vue de traiter la toxicomanie dans les prisons et de promouvoir une transition fructueuse de l’établissement à la collectivité.
    Merci beaucoup. Je répondrai volontiers à vos questions.
(1000)
    Merci beaucoup, madame Jesseman.
    Monsieur Berner, vous serez en mesure de comparaître par vidéoconférence?
    Oui. Bonjour. Je suis ravi de vous revoir.
    Bien. Nous ne faisons que des vérifications. Nous allons passer à notre prochain témoin, et ce sera votre tour par la suite. Ne bougez pas. Nous vous remercions de votre présence.
    C'est maintenant au tour de M. Sapers. Vous nous présenterez un exposé, monsieur. Je vous remercie de nous fournir votre document.
    Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de m'avoir invité encore une fois.
    Je suis accompagné aujourd’hui par mon directeur exécutif et avocat général, M. Ivan Zinger.
    Étant donné la structure du comité et le temps limité, je serai très bref. Je vais fournir quelques renseignements et une mise en contexte à propos des analyses d’urine dans les établissements correctionnels fédéraux, pour ensuite conclure par quelques observations générales concernant la politique de tolérance zéro du Service correctionnel du Canada à l’égard des drogues dans les prisons.
    D'emblée, je veux dire que la porté du projet de loi C-12, , Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, n'est pas aussi ambitieuse que son titre abrégé —Loi concernant l'éradication des drogues dans les prisons — le laisse croire. S'il est adopté, le projet de loi proposé pourrait annuler l’octroi d’une libération conditionnelle à un délinquant si, avant sa mise en liberté, il obtient un résultat positif à un test de dépistage de drogues illicites, ou omet de fournir un échantillon d’urine, et que la Commission des libérations conditionnelles du Canada considère que les critères d’autorisation de cette libération ne sont plus remplis.
    Le projet de loi modifierait également la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, ou LSCMLC, afin de préciser la manière dont la Commission des libérations conditionnelles établira les conditions de libération en cas de consommation de drogues ou d’alcool par un délinquant.
    La marge de manoeuvre de ce projet de loi est très limitée. À ma connaissance, il n’existe pas de données sur le nombre de délinquants dont l’octroi de la libération conditionnelle a été refusé à la suite d’analyses d’urine positives avant la mise en liberté. Les députés savent peut-être déjà que la Commission des libérations conditionnelles tient déjà compte des analyses d’urine positives ou du refus de fournir un échantillon lorsqu’elle rend ses décisions relatives à l’admissibilité à la libération conditionnelle. Il arrive fréquemment aussi que la commission impose comme condition à la libération conditionnelle, à la libération d’office et aux permissions de sortir « de ne pas consommer » ou « de s’abstenir de prendre » des drogues ou de l’alcool. Le projet de loi C-12 ne ferait qu’intégrer ces pratiques dans la loi.
    À l’instar de la plupart des textes législatifs, il y a des conséquences intentionnelles et non intentionnelles. Il est important d’exprimer clairement l’objet, les limites et les résultats du dépistage de drogues dans les établissements correctionnels fédéraux. Un échantillon d’urine peut être demandé pour trois motifs. Premièrement, on peut le faire dans le cadre du programme de contrôle au hasard dans les établissements correctionnels fédéraux. Je sais que le commissaire vous en a beaucoup parlé. Le programme vise jusqu’à 10 % de la population carcérale chaque mois. Deuxièmement, on peut demander un échantillon d'urine s’il y a des motifs valables de soupçonner l’usage de drogues. Troisièmement, on peut le faire s’il est le résultat d’un suivi régulier ou attribuable aux relations des délinquants avec la collectivité, habituellement pour faire respecter une condition d’abstinence imposée au moment de la mise en liberté dont je viens de parler.
    L'an dernier, le Service correctionnel du Canada a demandé près de 14 000 échantillons aux fins d’analyse d’urine à des délinquants incarcérés dans les établissements fédéraux, ce qui représente 63 % de la population carcérale. Environ 81 % de ces demandes ont été formulées lors d’un contrôle au hasard, 10 % étaient guidées par des motifs raisonnables — soupçons quant à l'usage de drogues — et 9 % étaient attribuables aux relations des délinquants avec la collectivité, habituellement pour faire imposer une condition.
    Au chapitre des résultats, 6 % des analyses faites au hasard ont révélé la présence de drogues. À cela s’ajoutent 7 % de refus de fournir un échantillon. La majorité des tests dont les résultats se sont avérés positifs ont révélé la présence de tétrahydrocannabinol ou THC — la principale substance psychoactive de la marijuana —, soit 80 % dans le cas des analyses faites au hasard et 83 % dans le cas des analyses guidées par des motifs valables. Les autres résultats positifs, qui varient selon le type de demande, ont révélé la présence d’opioïdes, suivis par les amphétamines, la méthadone, les benzodiazépines et la cocaïne.
    Le nombre de tests de dépistage et de saisies de drogues dans les établissements correctionnels fédéraux est à la hausse. Au cours des cinq dernières années, l’alcool représentait près de 53 % du total des objets interdits saisis. Au chapitre des drogues saisies, le THC représentait 34,5 % de l’ensemble des saisies et les opioïdes, presque 8 %, bien que l’on ne sache pas trop si ce pourcentage comprend les médicaments d’ordonnance comme la méthadone.
    Autrement dit, l’alcool semble être la substance intoxicante la plus consommée et la plus saisie derrière les barreaux. J'y reviendrai dans un instant.
    Ces chiffres cachent toute une série de considérations politiques entrant en ligne de compte dans l’étude du projet de loi C-12.
    Premièrement, les analyses d’urine concernent les drogues; elles ne visent pas à détecter et à décourager la consommation d’alcool. Il s’agit là d’une distinction très importante à faire étant donné les liens entre la consommation d'alcool, la dépendance et la criminalité. Un peu plus de la moitié des délinquants sous responsabilité fédérale disent avoir été sous influence de l’alcool ou d’autres substances intoxicantes lorsqu’ils ont commis l’infraction qui a mené à leur incarcération. Quatre délinquants sur cinq qui arrivent dans un établissement fédéral ont des antécédents de consommation de substances intoxicantes ou de dépendance. La consommation d’alcool et de drogues est un facteur de risque criminel pour une proportion significative de la population carcérale. Cependant, les analyses d’urine ne sont d’aucune efficacité dans la surveillance et la réduction du risque lié à la consommation d'alcool et à la dépendance à l’alcool.
(1005)
    Deuxièmement, la proportion élevée de résultats positifs dans le cas du THC reflète le fait que cette drogue peut être détectée jusqu’à cinq semaines après avoir été consommée, dans le cas des grands utilisateurs chroniques. D’autres drogues, comme la cocaïne et les opioïdes, sont indétectables quelques heures ou quelques jours seulement après la consommation. Comme une étude du SCC le suggère, la proportion élevée de tests ayant révélé la présence de THC signifie peut-être qu’il s’agit là d’une drogue de choix pour les délinquants ou les résultats peuvent n’être qu’un simple artefact des différentes périodes où les drogues sont détectables dans l’urine.
    Quoi qu’il en soit, le projet de loi C-12 envisage d’annuler l’octroi de la libération conditionnelle sur la base d’un résultat positif à un test de dépistage sans égard au moment où la drogue a été consommée. Sans approuver l’usage de drogues, nous devrions avoir une idée très claire des conséquences des mesures législatives proposées. Il n’est pas question ici d’éradication des drogues dans les établissements correctionnels fédéraux ou de traitement de la toxicomanie, mais bien de punir l’usage de drogues illicites en prison.
    Troisièmement, le nombre d’échantillons d’urine demandés aux délinquants incarcérés a plus que doublé au cours des cinq dernières années. Durant la même période, le nombre d’échantillons d’urine demandés aux délinquants en surveillance dans la collectivité a diminué de près de 13 %. Il y a cinq ans, près de 75 % de tous les échantillons d’urine pris à des fins de dépistage de drogues concernaient des délinquants en surveillance dans la collectivité. Aujourd’hui, on se rapproche de la parité entre les échantillons demandés en établissement et dans la collectivité. Si l’on se fie au nombre d’échantillons demandés, les analyses d’urine obliquent ostensiblement vers les services correctionnels en établissement. Les questions liées à la fréquence et à l’efficacité du dépistage des drogues soulèvent des enjeux légitimes en ce qui concerne les avantages pour la sécurité publique et l’optimisation des coûts.
    Quatrièmement, malgré la hausse significative du nombre d’analyses d’urine en établissement ces dernières années, le taux de résultats positifs est demeuré remarquablement stable. En effet, lorsqu’on enlève les résultats positifs attribuables à des médicaments d’ordonnance licites, le taux annuel de résultats positifs des analyses d’urine faites au hasard dans les établissements correctionnels fédéraux demeure constant à environ 7,5 %. Malgré le renforcement des mesures d’interdiction, de surveillance et de suppression, il reste encore à voir si l’usage de drogues à l’intérieur des établissements correctionnels fédéraux est à la hausse ou à la baisse. L’utilisation de drogues à mauvais escient est un problème, mais son étendue, sa cause et les meilleurs moyens d’y répondre sont loin d'être clairs.
    Une proportion plus élevée de résultats positifs et de refus est rapportée dans le cas des analyses d’urine guidées par des motifs valables comparativement aux analyses faites au hasard. Cela indique que les analyses guidées par des motifs valables constituent une méthode précise et efficace pour surveiller l’usage de drogues illicites derrière les barreaux. Le personnel des services correctionnels fait déjà preuve d’une discrétion appropriée et raisonnable.
    Là où je veux en venir dans cette mise en contexte, c’est que le projet de loi C-12 m’apparaît en grande partie inutile. La Commission des libérations conditionnelles a déjà tout le pouvoir et l’autorité nécessaires pour annuler ou révoquer la libération conditionnelle pour cause d’usage de drogues illicites. De plus, ce projet de loi ne nous rapproche d’aucune façon de l’objectif d’éradication des drogues dans les prisons.
    Un moyen plus rentable de prévenir le crime consiste à consacrer davantage nos ressources limitées à des programmes de prévention et de traitement de la toxicomanie. Les politiques de tolérance zéro et les approches répressives à l’égard de la toxicomanie et de la dépendance ne fonctionnent tout simplement pas dans les prisons. Les mesures d’interdiction et de suppression n’élimineront pas à elles seules l’offre et la demande de drogues et d’alcool en milieu carcéral. La Stratégie antidrogue du Service correctionnel du Canada doit comprendre une gamme plus étendue de mesures de traitement, de prévention, de cessation, de counseling, de réduction des méfaits et de soutien qui répondent aux besoins des délinquants dont le risque criminel est lié à la dépendance.
    Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de nouveau. Je serai ravi de répondre à vos questions.
(1010)
    Je vous remercie beaucoup des renseignements que vous nous avez donnés et de votre témoignage, monsieur Sapers.
    Monsieur Berner, c'est à votre tour. Vous disposez de 10 minutes.
    Mesdames et messieurs, je suis ravi de vous voir et je vous remercie.
    Pour l'essentiel, le Drug Prevention Network of Canada appuie le projet de loi, mais nous sommes du même avis que Rebecca et M. Sapers: il ne règle pas vraiment les problèmes importants. Au moins deux groupes sont visés par le projet de loi: les agents de libération conditionnelle et les gens qui sortent de prison, autrement dit, les criminels. Le projet de loi n'est pas très utile à ces deux groupes, car il est acceptable. En gros, il dit que si une personne enfreint les règles, elle retournera en prison. C'est bien, car nous demandons aux gens de bien se comporter. Toutefois, nous ne leur donnons pas les outils leur permettant de le faire, alors qu'il est possible de les leur donner.
    La profession d'agent de libération conditionnelle n'est malheureusement plus aussi remarquable qu'elle l'était auparavant. Autrefois, les gens devenaient des agents de libération conditionnelle après leurs études en travail social, car ils pouvaient ainsi collaborer avec des gens en difficulté. De nos jours, les agents de libération conditionnelle sont coincés derrière leur bureau. Ils connaissent à peine leurs clients et remplissent des documents. Un projet de loi comme celui-là ne peut pas changer grand-chose à cet égard, mais il vaut la peine d'examiner ce qu'un service des libérations conditionnelles croit qu'il accomplit.
    Parlons des gens de l'autre groupe, les toxicomanes. Je suis tout à fait d'accord avec Rebecca, avec qui je viens de passer les deux derniers jours enfermé dans un hôtel à Ottawa avec 50 autres personnes qui travaillent dans le milieu du rétablissement. N'écrivez pas vos propres blagues, s'il vous plaît. On reste calme.
    Le projet de loi ne comprend aucune mesure qui aiderait les toxicomanes à se prendre en main. Il y a heureusement une bonne nouvelle. Je vous demande à tous de faire une recherche dans l'application Google, lorsque vous en aurez le temps, sur le Centre correctionnel de Nanaimo. Il y a quelques années, son ancien directeur, Don Moody, a été très courageux et a pris une mesure vraiment inhabituelle. Il a créé une unité pour les détenus qui s'engagent à faire abstinence. En 1970, le gouvernement fédéral m'a donné pas mal d'argent pour prendre exactement la même mesure dans l'établissement de Matsqui. Après trois mois, j'ai retourné l'argent et j'ai dit que ce n'était pas possible de créer une telle unité dans une prison à sécurité maximale parce que le milieu est très négatif. Il m'a fait mentir et il a créé un programme qui a réussi de façon phénoménale. Il est maintenant à la retraite, mais le programme existe toujours au Centre correctionnel de Nanaimo, qui est un établissement provincial. Il compte des gens merveilleux et dévoués qui n'ont pas froid aux yeux, c'est-à-dire du personnel et 50 détenus qui sont sobres dans cette unité. Le problème, c'est qu'à leur sortie, c'est comme s'ils tombaient à la mer, car nous ne leur fournissons pas un foyer de transition et d'autres ressources qui les aideraient dans leur retour à une vie normale.
    Encore une fois, le projet de loi ne nous pas de problème; il ne pose pas d'énormes problèmes au Drug Prevention Network of Canada. Nous croyons qu'il est probablement sensé et qu'il paraît bien sur le plan politique. Du point de vue politique, c'est une bonne mesure, mais son contenu ne permet pas vraiment de régler les problèmes complexes. Nous devons commencer à examiner les façons de bien fournir des ressources pour les traitements dans les prisons.
    Comprenez bien, mesdames et messieurs: il y a plus de drogues par pouce carré dans nos prisons fédérales que dans les rues. Les prisons constituent un milieu propice à la consommation de drogues et d'alcool. Des agents correctionnels y contribuent. Tout le monde y contribue. La tentation de faire de l'argent ou d'obtenir des traitements de faveur est trop grande dans un milieu si petit.
    Que faire? On met les gens en prison, ils y restent quelques années et n'apprennent rien. À leur sortie, ils nous coûteront toujours une fortune. Au moins la moitié des détenus pourraient être libérés plus tôt pour suivre un programme qui leur apprendra quelque chose.
    Encore une fois, je dirai les choses très simplement. Le projet de loi est acceptable, mais il ne permet pas vraiment de régler les vrais problèmes. Pourtant, c'est possible de le faire. Je n'ai pas à répéter les éléments dont Rebecca a parlé, car elle les a bien expliqués.
    Merci.
(1015)
    Monsieur Berner, je vous remercie beaucoup de votre franchise et de votre honnêteté.
    Nous allons maintenant passer à notre première série de questions de sept minutes.
    Monsieur Falk, vous avez la parole.
    Je tiens à remercier tous les témoins de leur présence aujourd'hui ainsi que de leurs interventions. C'est très informatif.
    Madame Jesseman, j'aimerais commencer par vous. Êtes-vous aussi d'accord avec les propos de M. Berner qu'il l'est avec les vôtres?
    Pour l'essentiel, nous avons le même intérêt de veiller à ce que les personnes qui en ont besoin aient accès aux services et au soutien répondant aux besoins complexes de la toxicomanie dans les institutions, pendant leur transition vers la communauté et par la suite.
    J'aimerais des éclaircissements sur un commentaire que vous avez fait et sur des statistiques que vous avez données. Vous avez dit que 48 à 52 % des personnes qui ont besoin de programmes de traitement de la toxicomanie dans les établissements correctionnels en bénéficient. Hier, le commissaire Head nous a dit que ce sont 95 % des personnes ayant besoin de ce genre de programmes de traitement qui en bénéficient. Pouvez-vous nous parler de la différence dans ces chiffres?
    Certainement. J'ai lu la transcription de la séance d'hier, et d'après ce que je comprends — et je sais que la transcription ne rend pas nécessairement le ton de la discussion —, la proportion de 95 % correspond à la participation à un programme correctionnel, n'importe lequel, et non seulement à un programme de traitement de la toxicomanie. Encore là, je voudrais absolument vérifier auprès de M. Head et de Service correctionnel Canada, car ce n'est que ce que j'ai compris à la lecture de la transcription.
    Les chiffres que je vous ai donnés viennent du Rapport sur les plans et priorités 2014-2015 de Service correctionnel Canada.
    Très bien.
    Je lis le projet de loi, et je conclus qu'il fait deux choses. Je pense qu'il donne aux agents de libération conditionnelle un outil de plus pour traiter avec les détenus qui demandent la libération conditionnelle et pour surveiller celles qui ont obtenu la libération conditionnelle, pour leur accorder la libération conditionnelle et, dans certains cas, pour la révoquer. Voilà une chose.
    L'autre chose qu'il fait, d'après moi, c'est qu'il encourage les détenus à éviter la drogue. Êtes-vous d'accord avec cela?
    Non...
    Monsieur Berner, la question est adressée à Mme Jesseman.
    Je vais tenter une réponse, puis laisser David répondre ensuite.
    Je pense que la chose à laquelle nous devons être attentifs — et vous me pardonnerez ma réponse un peu théorique, mon domaine étant la criminologie —, quand nous parlons de ce qui modifie les comportements dans le milieu correctionnel, c'est que nous cherchons la dissuasion quand nous parlons d'imposer des mesures punitives additionnelles. En matière de dissuasion, ce qu'il faut comprendre, c'est que l'efficacité dépend de circonstances très particulières. Dans ce cas, je pense qu'il faut prêter attention à...
    Ajouter des outils de dissuasion n'est pas nécessairement une mauvaise chose. Je pense qu'on a dit clairement ici, aujourd'hui, qu'il est important de donner aux agents de libération conditionnelle les outils qu'il leur faut pour faire leur travail, mais certains de ces outils doivent aussi garantir qu'il y a dans la communauté du soutien et des services qui aideront leurs clients à éviter, en gros, d'avoir un test d'urine positif et de retomber dans la toxicomanie.
    Ce que nous faisons, si nous ne donnons pas aux gens les services et le soutien qu'il leur faut dans la communauté, c'est que nous ne reconnaissons pas pleinement la toxicomanie comme étant une maladie, un problème de santé. Nous ne nous attendrions pas à ce qu'une personne atteinte du diabète améliore son état sans intervention médicale. Comment pouvons-nous nous attendre à la guérison d'une personne atteinte de cette maladie qu'on appelle la toxicomanie si elle est relâchée dans la communauté sans soutien?
(1020)
    Merci.
    Monsieur Berner, je vais vous demander à vous aussi de répondre à la question. Vous ne pensez pas que la perspective d'être avec sa famille ou ses amis peut suffire pour qu'une personne s'abstienne de consommer des drogues, de son audience de libération conditionnelle à sa libération.
    Non, pas du tout.
    Malheureusement, c'est une maladie chronique et, souvent, récurrente. On dit bien que les drogués se droguent et que les alcooliques boivent. C'est une habitude dont il est très difficile de se débarrasser.
    Le problème avec ce projet de loi, monsieur Falk, se situe dans son libellé même, qui révèle un manque de compréhension de la façon dont les dépendances fonctionnent. On parle de chiens détecteurs de drogue et d'analyses d'urine. Quand vous vous engagez sur ce territoire, la guerre est perdue parce qu'il est déjà trop tard. Vous devez parler des personnes, de leurs attentes, de leurs besoins, de la façon dont elles se perçoivent, des vies folles et traumatisantes qu'elles ont vécues et ainsi de suite, ainsi que des compétences qu'elles n'ont pas encore acquises, ou de celles qu'elles ont abandonnées. Les compétences des personnes qui ont des problèmes de dépendance peuvent être extraordinaires, mais elles sont tellement prises par leur consommation de drogue qu'elles ont tout simplement renoncé à leur capacité de jouer du saxophone ou de diriger une entreprise. Il faut que le langage en soi change.
    Je suis d'accord avec Howard Sapers. Les agents de libération conditionnelle ont déjà beaucoup d'outils et il est bon de leur en donner un autre. Je ne crois pas que l'adoption de ce projet de loi soit une mauvaise chose, mais je ne m'attends pas à ce que cela donne d'importants résultats parce qu'on ne s'attaque pas vraiment à la réalité. Monsieur Falk, d'après moi, la réalité, c'est que 80 % des détenus dans les établissements correctionnels à l'échelle du Canada ne représentent pas un grand danger pour la communauté. Il y a des personnes qui représentent un énorme danger, et ces personnes doivent être enfermées. Nous le faisons et c'est une bonne chose. Mais la plupart des détenus ne sont que des personnes qui, dans un moment d'égarement, ont fait de très mauvais choix et sont devenues dépendantes. Qu'est-ce que nous allons faire pour résoudre cela?
    Je travaille de façon intermittente dans ce domaine depuis 50 ans, et en 50 ans, rien n'a été fait, à aucun moment. Nous n'offrons pas beaucoup de formation aux agents correctionnels dans les prisons, et nous n'offrons pas beaucoup de formation aux agents de classification des prisons pour les aider à entreprendre de véritables discussions avec les détenus sur qui ils sont et ce qu'ils doivent faire.
    Merci beaucoup, monsieur Berner.
    Votre temps est écoulé, monsieur Falk.
    Madame Doré-Lefebvre, c'est à votre tour.

[Français]

     Je vous remercie, monsieur le président.
    Je remercie les témoins de leur participation à la réunion d'aujourd'hui. Quelle discussion intéressante!
    J'aimerais revenir à Mme Jesseman et à un aspect de sa présentation.
    Mon collègue M. Falk l'a déjà mentionné. Je souhaite retourner aux statistiques du Service correctionnel du Canada, soit les résultats attendus pour 2014-2015. On y indique que seulement 48 % à 52 % des détenus qui ont besoin de suivre un programme de lutte contre la toxicomanie vont pouvoir le faire avant la date où ils seront admissibles à la libération conditionnelle.
     Pourquoi le programme n'est-il pas plus accessible? Que constatez-vous sur le terrain? Je me demande pourquoi, si on constate qu'il s'agit là de l'un des plus importants problèmes dans nos institutions, l'accès à certains programmes visant à favoriser la réhabilitation de nos détenus est, de façon aussi flagrante, insuffisant.

[Traduction]

    Je peux parler un peu plus des statistiques, mais je dois d'abord reconnaître le témoignage que M. Grabowsky a présenté, compte tenu de sa propre expérience des programmes offerts dans les prisons. Mon expérience de cela se situe davantage à l'échelle de la communauté. Cependant, le document dont j'ai tiré ces données, l'estimation de 48 à 52 %, donne le pourcentage de délinquants qui ont besoin d'un programme de traitement de la toxicomanie et qui terminent le programme avant la date d'admissibilité à la libération conditionnelle totale. C'est avant l'admissibilité à la libération conditionnelle.
    L'autre statistique que je vais vous donner maintenant que j'en ai l'occasion, c'est la proportion établie par le SCC de 74 à 79 % de détenus qui ont un besoin observé de participer à un programme de traitement de la toxicomanie et qui terminent le programme avant la date d'expiration du mandat.
    J'espère que la distinction est claire. La date d'admissibilité à la libération conditionnelle est la date à laquelle vous pouvez demander la libération conditionnelle, et la date d'expiration du mandat est celle à laquelle le SCC n'a plus compétence, en gros.
    D'après moi, sur le plan des obstacles aux services, je reviendrais aux propos de M. Grabowsky. Les ressources représentent toujours un enjeu énorme, dans la communauté aussi bien que dans le système correctionnel. Nous savons que nous faisons face à des difficultés croissantes sur le plan de l'application des programmes en raison du peu d'espace donné aux programmes et des enjeux liés à l'infrastructure.
(1025)

[Français]

     Monsieur Sapers, avez-vous des commentaires à faire sur ces statistiques ou sur l'impact que cela pourrait avoir?

[Traduction]

    Je ne veux pas répéter ce qui a déjà été dit, alors je dirai que le Service correctionnel du Canada a certainement des problèmes de capacité concernant les programmes de traitement de la toxicomanie. Ces problèmes englobent le manque d'espace et de ressources humaines — bien des postes dont les titulaires doivent administrer les programmes et faire des interventions sont vacants, et il y a des problèmes persistants de recrutement, notamment en ce qui concerne les psychologues.
    De plus, le Service correctionnel du Canada subit en ce moment une transformation sur le plan de la prestation des programmes correctionnels. Je pense que le commissaire a mentionné hier, dans son exposé, qu'on s'éloigne des programmes ciblant des individus qui sont validés à l'échelle nationale pour plutôt se tourner vers un modèle de prestation intégré. Il est en ce moment très difficile d'avoir une idée claire de ceux qui participent aux programmes, de la rapidité à laquelle cela se fait, des programmes auxquels ils participent et de la façon dont ils obtiennent leur certificat.
    Nous avons constaté une diminution des montants réellement affectés aux programmes de traitement de la toxicomanie cette année, par rapport à l'année passée.
    Il y aura ultérieurement des évaluations qui permettront de déterminer si ce nouveau modèle est même aussi efficace que l'ancien.
    Il y a beaucoup d'inconnus en ce moment, concernant les programmes correctionnels au Canada.
    Il est même difficile de comparer les régions entre elles. L'Atlantique et le Pacifique utilisent déjà le nouveau modèle intégré. Les autres régions — le Québec, l'Ontario et les Prairies — n'utilisent pas ce modèle. Nous savons qu'il y a des écarts dans les résultats, selon les sous-groupes de délinquants — hommes, femmes, Autochtones, etc. Il y a donc beaucoup de questions.
    Nous savons qu'on ne s'attend pas à une participation de plus de 40 à 50 % avant l'admissibilité à la libération conditionnelle. C'est très important, car la deuxième principale raison derrière la décision de renoncer à l'audience de libération conditionnelle ou de la reporter, c'est que vous n'avez pas suivi les programmes au complet. Vous n'avez pas réussi à réaliser complètement le plan correctionnel.
    La première raison pour laquelle les délinquants renoncent à la possibilité d'obtenir une libération conditionnelle, c'est qu'ils savent que la décision sera négative, et c'est généralement lié à la deuxième chose — ils n'ont pas réussi à réaliser leur plan correctionnel.
    Pour ne pas perdre de vue les questions précédentes, quand nous parlons de mesures d'incitation et de dissuasion, il faut se rappeler que 7 délinquants sur 10 quittent maintenant les pénitenciers fédéraux à la date de libération d'office. Il ne s'agit pas d'une décision conditionnelle rendue par la Commission nationale des libérations conditionnelles. Il y a 7 détenus sur 10 qui ne sortent pas avant leur libération d'office. Pour les délinquants autochtones, c'est 8 sur 10.
    Toute mesure incitative ne s'appliquera qu'à 20 à 30 % des délinquants qui bénéficient d'une décision de mise en liberté sous condition. Pour ces délinquants, souvent, cette décision vient bien après leur date d'admissibilité. Nous parlons d'un très petit nombre de délinquants qui pourraient — je dis pourraient — avoir profité d'une mesure incitative. Mais nous n'en connaissons même pas le nombre, car nous ne savons pas combien de délinquants ont été pris en non-respect de conditions à la suite de tests de dépistage effectués pour motifs raisonnables ou au hasard, entre le moment d'une décision positive et le moment où ils peuvent réellement quitter l'établissement. Il est très difficile de donner une réponse factuelle à la question de savoir s'il s'agit d'une mesure incitative qui pourrait fonctionner et à celle de savoir sur quelle population elle pourrait fonctionner.

[Français]

    Lors de votre présentation, vous avez mentionné que les tests d'urine étaient administrés moins fréquents lorsque les délinquants étaient sous surveillance dans la collectivité que lorsqu'ils étaient incarcérés. Cela a-t-il un lien avec les remarques que vous venez de faire? La stratégie adoptée est-elle bonne?
(1030)

[Traduction]

    En réalité, cela dépend de ce que vous cherchez à accomplir. Si vous voulez vous concentrer sur la réduction de l'usage des drogues dans les prisons, vous devriez rechercher un certain degré d'intégration et de coordination de l'interdiction, de la surveillance, du suivi de traitement et de l'administration de tests, et vous veilleriez à ce que cela se fasse assez fréquemment.
    Si vous voulez faire respecter rigoureusement les conditions imposées par la Commission des libérations conditionnelles concernant l'abstinence, par exemple, vous rechercheriez la réalisation de tests relativement fréquents dans la communauté.
    Dans un cas comme dans l'autre, les statistiques peuvent complexifier les choses. Ce qu'il faut vraiment chercher à déterminer, c'est la mesure dans laquelle la consommation de drogue est liée au succès ou à l'échec des délinquants, une fois qu'ils sont relâchés dans la communauté, le comportement des agents de libération conditionnelle au moment de signaler à la commission les rechutes, par exemple, ou le non-respect de la condition, et enfin le comportement de la commission au moment de décider si ce non-respect doit ou non mener à la révocation ou à la suspension de la libération conditionnelle.
    La fréquence des tests aléatoires dans l'un ou l'autre des contextes n'est qu'une petite partie de l'équation. Il faut beaucoup plus de renseignements pour vraiment comprendre dans quelle mesure cela aide ou n'aide pas les efforts de réintégration ou de réadaptation.
    Merci beaucoup, monsieur Sapers.
    Bienvenue au comité, monsieur Leef. Vous avez certainement des expériences personnelles à ce sujet, et vous remplacez manifestement notre secrétaire parlementaire, qui est absent aujourd'hui.
    Vous avez la parole, monsieur.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à tous nos témoins d'être là. C'est certainement une discussion intéressante.
    J'ai entendu tous les témoins du premier groupe, et nous en sommes au deuxième groupe, et j'estime que tout ce qui a été dit est tout à fait sensé. Bien entendu, nous étudions le projet de loi C-12, et nous avons tendance, en tant que groupe — nous tous qui participons à cela, soit les témoins et les députés — à envisager une mesure législative comme s'il s'agissait de la panacée pour tous les problèmes à résoudre. Cela donne lieu à de formidables discussions, mais nous avons alors tendance à rapidement nous éloigner des fondements et du bien-fondé du projet de loi. Je ne dis pas que nous ne devrions pas nous lancer dans de très intéressantes discussions comme celles que nous avons et qui font ressortir les difficultés qui nous attendent, mais cela nous fait oublier le bien-fondé.
    Parmi les points soulevés, on a souligné que nous ne devons pas percevoir le projet de loi comme étant la mesure législative qui fera disparaître les drogues des prisons du pays. Il n'y a manifestement personne de notre côté ou de l'autre côté de la table qui pense que deux pages et demi de mesures législatives garantiront l'absence de drogues dans les prisons canadiennes.
    Une voix: C'est ce que dit le titre abrégé.
    M. Ryan Leef: Je vais dire une chose: on dirait que l'opposition et certains des témoins ont plus de difficulté avec le titre abrégé qu'avec le fond du projet de loi.
    Comme M. Sapers l'a dit, le but du projet de loi est de mettre sous forme de loi ce qui se fait déjà en pratique, et je dirais d'ailleurs que ce n'en est qu'une partie, et cela revient un peu à certains éléments de la présentation de M. Sapers qu'il serait bon d'éclaircir. Je dirais qu'il est un peu injuste de dire que le projet de loi C-12 punit la consommation de drogues illégales en prison. Premièrement, selon le projet de loi comme tel, la libération conditionnelle est une récompense pour laquelle il devrait en valoir la peine de faire un effort. Ce n'est pas un droit inhérent, garanti et absolu des détenus. Ils doivent vouloir y travailler et, s'ils sont admissibles, obtenir la libération conditionnelle.
    À cet égard, je ne vois pas le projet de loi comme la fameuse carotte, ou comme un moyen d'encourager la libération d'une personne, mais comme un objectif que chaque détenu de notre pays devrait vouloir atteindre par ses efforts parce que cela en vaut la peine, comme vous l'avez dit. Nous devons contribuer à cela en leur donnant les occasions de réussir.
    Sous cet angle, je ne vois pas les conditions que la Commission des libérations conditionnelles doit faire respecter comme une punition, comme un risque de révocation, car je vois la libération conditionnelle comme la récompense d'un bon comportement, d'une réintégration réussie, des efforts déployés pour saisir les occasions qui s'offrent dans la communauté pour devenir un citoyen productif et en santé. Je pense que ce que nous essayons de faire risque d'être qualifié d'outil de punition. Cependant, j'y vois un outil qui permettra à la Commission des libérations conditionnelles de légitimer officiellement la libération d'un détenu dans la communauté, ce qui fait partie de ses responsabilités.
    Compte tenu de cela, monsieur Sapers, quand vous vous arrêtez au bien-fondé de cela, nous avons inclus dans l'article 123.1 proposé certaines des conditions relatives à l'échantillon avant la mise en liberté. Cependant, on dit au paragraphe 124(3.1), et c'est très clair, que la commission peut utiliser un test positif, mais ensuite s'appuyer sur l'article 102 pour déterminer si le test positif a une incidence sur le risque de récidive du délinquant ou le risque qu'il présente pour la société, ou si la libération contribuera à la protection de celle-ci en favorisant sa réinsertion sociale.
    La commission a encore une grande latitude. Donc, en fait, ce projet de loi n'impose rien directement à la commission. Il lui donne tout simplement un outil législatif légitimé, officialisé, qui lui permet de faire ce qu'elle fait déjà, tout en lui demandant de faire l'évaluation de tous les véritables paramètres que nous sommes en droit d'attendre de sa part quand un détenu est relâché.
(1035)
    Sous cet angle, je sais très bien que ce n'est pas la panacée pour faire disparaître les drogues des prisons, mais vous devez admettre que c'est une mesure législative plutôt solide qui donne énormément de latitude à la Commission des libérations conditionnelles.
    J'ai eu le privilège d'être vice-président de la commission des libérations conditionnelles de la région des Prairies, au début de ma carrière, et je peux vous dire que mes collègues de la commission et moi-même n'avons jamais hésité à imposer des conditions d'abstinence. C'est une question de politique et de formation de la Commission des libérations conditionnelles. Aucun pouvoir législatif n'est requis.
    De plus, les agents de libération constitutionnelle dans les établissements et dans la communauté font généralement un excellent travail quand il s'agit de s'acquitter de leurs responsabilités et d'utiliser leur pouvoir et leur discrétion concernant les types de violations qu'ils veulent soumettre à l'examen de la commission.
    Sur ce plan, je ne pense pas que ce projet de loi va changer les choses sur le plan opérationnel, pour la Commission des libérations conditionnelles. Elle fait déjà les examens en question, et la loi ne limite en rien la discrétion de la Commission des libérations conditionnelles quand il s'agit de déterminer si un test positif justifie ou non la révocation ou l'annulation de la libération conditionnelle. Cela demeure très discrétionnaire.
    Dans cette veine, puisque c'est discrétionnaire, vous ne croyez pas qu'il est bon de créer un mécanisme législatif officiel et transparent permettant à la Commission des libérations conditionnelles de le faire de sorte que ce ne soit pas simplement une décision ponctuelle ou opérationnelle, ou une décision de politique, mais plutôt un pouvoir justifié et établi par la loi qui est clair pour le détenu, pour le contexte institutionnel, pour l'organisation, pour la commission elle-même et pour le public?
    Je pense qu'en réalité, tous ceux qui évoluent dans le système le savent. Si le Parlement veut que ce soit manifestement clair au moyen d'une loi, c'est...
    Ce n'est pas juste pour le public? Il n'est pas question que de l'organisation. C'est juste pour le public, que nous ayons... Tout le monde au sein de l'organisation est au courant de ces choses, comme vous l'avez dit, mais le grand public canadien ne sait pas comment tout cela fonctionne au quotidien, comment c'est géré et manipulé. Le public canadien a l'occasion de savoir et a besoin de savoir. Pensez-vous que c'est valable?
    Oui. Je pense bien que nous ne saurons jamais combien de membres du grand public comprendront la différence, une fois le projet de loi adopté.
    Je tiens à être bref. Quand la libération conditionnelle est révoquée, je pense que la personne qui n'est plus conditionnellement libre considère cela comme une mesure punitive. Je ne dis pas qu'elle n'a pas la responsabilité de respecter les conditions.
    En fin de compte, ce que je dis, c'est que le processus semble assez bien fonctionner. Selon les taux de succès des semi-libertés et des libérations conditionnelles totales, selon les taux d'octroi et le travail que la commission accomplit, et selon la qualité du travail des agents de libération conditionnelle, cela semble fonctionner. Ceci pourrait éclaircir les choses pour le grand public, mais je ne m'attends pas à une incidence sur les opérations ou les résultats.
    Bien. Merci beaucoup, monsieur Sapers, et merci, monsieur Leef.
    C'est maintenant au tour de M. Easter.
    Je remercie les témoins de leurs présentations, toutes franches et directes.
    Plus j'entends les gens parler, plus je me demande pourquoi nous consacrons du temps à un projet de loi qui a réellement si peu d'importance. Je pense que M. Berner a raison. C'est peut-être astucieux sur le plan politique, cette Loi concernant l'éradication des drogues dans les prisons, mais cela ne règle aucunement le problème. C'est la dure réalité. Je dois dire qu'il y a mieux à faire que de nous pencher sur un projet de loi dont nous n'avons vraiment pas besoin.
    Sachant que le projet de loi va être adopté — cela ne fait pas de doute —, j'ai une question sur le projet de loi. Est-ce qu'il comporte des risques pour la sécurité du public, ou des coûts, dont nous devrions nous préoccuper? Je ne pense pas, mais vous en voyez peut-être.
    Si adopter ce projet de loi ne s'accompagne d'aucun risque pour la sécurité du public, que pouvons-nous faire pour qu'il s'attaque au problème que vous avez signalé, madame Jesseman? Vous avez dit que « La dépendance est une maladie chronique récurrente qui doit être traitée comme un problème de santé et non comme un mauvais choix de vie ». Ce projet de loi fait tout, sauf cela. Il montre l'orientation d'un gouvernement qui croit en la punition plutôt qu'en la réadaptation. Pouvons-nous faire quelque chose avec ce projet de loi — concernant la deuxième chose que vous avez signalée — pour résoudre le problème, plutôt que de lancer de la poudre aux yeux en disant qu'on va éradiquer les drogues dans les prisons?
    J'ai deux questions. Ce projet de loi s'accompagne-t-il de risques? Comment pouvons-nous l'améliorer pour réellement résoudre le problème plutôt que de lancer de la poudre aux yeux?
(1040)
    En réponse à la première question, j'ai trouvé que Mme Latimer avait très bien exprimé dans son exposé que le projet de loi correspond aux pouvoirs actuels en matière de libérations conditionnelles. Donc, sur le plan du risque accru pour la sécurité du public, je suis d'accord pour dire qu'il n'y en a pas.
    Quant à ce que nous pouvons faire pour mieux favoriser le rétablissement des personnes atteintes de toxicomanie au moyen de mesures législatives, les agents de libération conditionnelle ont déjà les outils nécessaires pour aiguiller les délinquants en liberté conditionnelle vers les services communautaires et pour favoriser leur accès à ces services. Je laisserais mes collègues du ministère de la Justice vous parler des meilleures façons d'intégrer cela dans la loi. Je n'ai malheureusement pas les compétences nécessaires en rédaction de lois. Si l'on pouvait reconnaître que le trouble de la toxicomanie est un problème de santé exigeant un traitement et vraiment modifier le langage en reconnaissance de cela, je pense que ce serait utile à bien des égards.
    Monsieur Berner.
    Premièrement, je ne pense pas que ce projet de loi représente une menace pour la sécurité du public. Le projet de loi vient confirmer ce qui existe déjà. Je suis d'accord avec vous: c'est simple et direct. Il n'accomplit pas grand-chose, mais il est correct. Il ne cause pas de tort.
    Pour la question de savoir ce que nous pouvons faire dans le projet de loi, la seule chose qui me vient à l'esprit, monsieur Easter, c'est une phrase ou un paragraphe qui dirait que le gouvernement fédéral va maintenant se consacrer à l'étude des façons de s'y prendre pour vraiment enrayer les dépendances...
    Permettez-moi de faire un énoncé rapide. C'est une analogie. Au cours des 11 dernières années, j'ai eu deux fois la même intervention médicale, à cinq années d'intervalle. La deuxième fois, l'intervention s'était nettement améliorée, ce qui vous démontre que la science médicale cherche toujours à s'améliorer. Le Service correctionnel du Canada, avec lequel j'ai travaillé de façon intermittente pendant 50 ans, est fermement installé au 17e siècle et n'a pas changé d'un iota.
    Merci.
    Je vais maintenant m'adresser à vous, Howard, et dépasser le cadre du projet de loi. Vous avez dit dans votre exposé que pour prévenir le crime plus efficacement et économiquement, il faudrait consacrer nos ressources limitées à des programmes de traitement et de prévention de la toxicomanie. Vous avez ensuite parlé de la stratégie antidrogue du SCC.
    Il y a un coût à ce projet de loi. Il exige davantage de ressources. Il exige probablement plus de temps de la part des agents correctionnels, etc.
    Quel est l'effet ici, sur le Service correctionnel du Canada? Est-ce que ce projet de loi aura pour effet d'utiliser de l'argent qui devrait servir à des méthodes plus efficaces de traitement?
(1045)
    Le Service correctionnel du Canada doit relever divers défis en raison du mandat que le gouvernement lui a donné. Ce mandat s'est complexifié ces dernières années à cause des changements survenus dans la population des délinquants qui arrivent dans les prisons et de l'effet conjugué de la maladie mentale, de la toxicomanie, de l'appartenance à un gang, etc. Quand on affecte ailleurs des ressources qui pourraient servir à du travail très précis d'évaluation, de planification et de développement de programmes, et que l'argent sert plutôt à l'aspect de la sécurité, on constate un déséquilibre accru des ressources mises à la disposition du Service correctionnel pour qu'il s'acquitte des deux volets de son mandat — la détention sûre et sécuritaire ainsi que la libération au moment opportun et en toute sécurité.
    Vous avez demandé précédemment quelles seraient les incidences sur la sécurité du public. Bien entendu, nous ne pouvons que faire des suppositions, mais quand nous voyons que les ressources sont affectées ailleurs qu'au traitement, aux programmes et à la supervision, nous savons que cela mine la façon dont le système est censé fonctionner. On a de meilleures chances de succès avec une mise en liberté graduelle sous surveillance. Nous savons que les délinquants qui peuvent se prévaloir d'interventions pertinentes et opportunes dans le cadre des programmes, puis qui peuvent obtenir une libération conditionnelle et passer du temps dans la communauté sous la supervision d'un agent de libération conditionnelle sont ceux qui retournent bien moins souvent à la criminalité et qui ont le plus de succès. Il faut veiller à ne pas miner cela.
    Nous avons nettement dépassé le temps.
    J'aimerais remercier mes collègues pour leurs commentaires et leurs questions.
    Et au nom du comité tout entier, je remercie beaucoup nos témoins, M. Sapers, M. Berner et Mme Jesseman, d'avoir pris le temps de faire part aux membres du comité de leurs expériences récentes et de longue date. Je vous remercie beaucoup de votre présence.
    La séance est levée.
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