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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMBER 044 
l
2nd SESSION 
l
41st PARLIAMENT 

TÉMOIGNAGES

Thursday, November 20, 2014

[Recorded by Electronic Apparatus]

(1310)

[Français]

    Aujourd'hui, en ce 20 novembre 2014, nous tenons la 44e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Notre séance est télévisée.

[Traduction]

    Nous avons un témoin, mais avant de l'entendre, nous allons nous occuper d'un point à l'ordre du jour, à savoir la motion présentée par M. Cotler.
    Oui, monsieur Sweet?
    C'est surtout à cause de certaines préoccupations que j'ai... Nous procédons habituellement à huis clos pour les questions à l'ordre du jour. Est-ce possible?
    Oui, si vous le désirez.
    Oui, s'il vous plaît.
    Tout d'abord, est-ce que tout le monde est d'accord?
    Des voix: D'accord.
    Le président: Bien, nous allons poursuivre à huis clos.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
(1310)

(1325)
     [La séance publique reprend.]

[Français]

     La séance est maintenant publique.
    Nous recevons aujourd'hui M. Jacques Rwirangira, vice-président de Page-Rwanda.
    Nous avons décidé de changer la façon de poser des questions après la présentation de notre témoin.
    Monsieur Rwirangira, vous avez la parole.
    Bonjour. Je m'appelle Jacques Rwirangira.
    Premièrement, j'aimerais remercier le Sous-comité des droits internationaux de la personne de nous donner voix au chapitre et de contribuer ainsi à cette belle initiative.
    Je suis vice-président de Page-Rwanda, une association de parents et d'amis des victimes du génocide au Rwanda. Cette association a vu le jour en plein génocide, soit en juin 1994. Elle a obtenu ses lettres patentes en octobre 1994.
    Notre mission s'articule autour de quatre axes, soit le souvenir, la survie, la solidarité et la justice. Ainsi, depuis les 20 dernières années, nous commémorons les victimes du génocide et nous leur rendons hommage chaque fois que l'occasion se présente.
    Nous avons fondé le Centre de documentation sur le génocide des Tutsis du Rwanda à des fins de mémoire et de transmission de l'information aux générations futures. Nous l'avons fait par devoir de mémoire, mais aussi pour informer le public sur cette horreur.
    Nous offrons un cadre de réconfort aux rescapés, ce qui leur donne la chance de témoigner de leur passé douloureux sans se sentir jugés, car ils sont entourés des leurs. Nous leur offrons également de l'accompagnement psychologique. À cette fin, nous collaborons avec l'organisme RIVO. C'est pour survivre que nous le faisons.
    Nous collaborons également avec les instituts universitaires de recherche sur la question du génocide et nous avons conclu une alliance avec d'autres communautés qui ont connu un génocide, par exemple la communauté juive, les Arméniens et les Cambodgiens, ainsi qu'avec d'autres communautés qui feront l'objet d'un génocide, si rien n'est fait.
    Au nom de Page-Rwanda, je vous remercie sincèrement de l'occasion qui m'est offerte de comparaître devant ce comité pour discuter avec vous de ce sujet.
    Si vous me le permettez, monsieur le président et membres du comité, nous pourrions observer un moment de silence pour les victimes du génocide du Rwanda.
    [Le comité observe un moment de silence.]
    M. Jacques Rwirangira:Je vous remercie.
    Honorables députés, membres du comité, mesdames et messieurs, je ne pourrais pas continuer sans souligner l'effort du Canada dans la lutte contre les génocides. Dernièrement, au mois d'avril, le Parlement a adopté une motion du NPD pour réaffirmer la volonté du Canada de prévenir tout autre génocide. Nous vous en remercions.
    D'autres gestes ont été posés en 2004. Le Parlement canadien a déclaré que le 7 avril était la Journée de mémoire des victimes du génocide rwandais de 1994. Cette journée incite ainsi tous les Canadiens et les gouvernements à se remémorer en cette occasion les terribles événements qui sont survenus et à réfléchir aux leçons qu'ils nous enseignent.
    En outre, le 7 avril 2008, le Parlement a encore une fois adopté à l'unanimité une résolution déclarant le 7 avril jour de réflexion sur la prévention des génocides. C'est très brave. Nous vous en sommes reconnaissants parce qu'il y a tellement de pays qui ne font rien en ce sens.
    On ne peut pas passer non plus sous silence ce qui a été fait au Canada, notamment la condamnation de Léon Mugesera pour ses actes dans la préparation du génocide et la condamnation de Désiré Munyaneza pour l'avoir mis en application. C'est un geste très honorable que le Canada a posé.
    Le fait que nous nous retrouvions encore ici cet après-midi démontre la volonté ferme du Canada de continuer dans ce sens.
(1330)
     Je veux remercier, encore une fois, le Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international d'avoir entrepris une étude sur les conséquences de la crise rwandaise, en particulier sur les effets à long terme sur les victimes de viols, sur les violences sexuelles utilisées comme armes et les enfants nés de ces événements. Je vous remercie de nous donner la chance de participer à vos travaux.
    Je suis très heureux d'être ici aujourd'hui. Les effets de ces événements sont graves et multiples. Force est de constater qu'on ne peut pas parler de ces effets sans aller dans la nature même des actes commis parce qu'ils sont intrinsèquement liés.
    On sait tous que les violences sexuelles ont été utilisées dans plusieurs sortes de conflit. Elles sont généralement utilisées et perpétrées dans le cadre d'une agression classique à caractère sexuel. On parle d'esclavage sexuel, de contraintes au mariage, d'exploitation sexuelle, de grossesses non-souhaitées, de stérilisation obligatoire, de transmission intentionnelle du VIH et autres MTS, de mutilation.
    Pour ce qui est du Rwanda, cela a été vraiment très grave. Cela va au-delà de l'acte sexuel en tant que tel. Ce sont des actes qui ont été faits dans un but de déshumanisation totale. Ces actes ont été faits dans un but de tuer l'âme de la femme en tant que telle, et ce, à feu doux. Pour certaines, au lieu de subir la mort directe comme leurs confrères, elles ont été laissées à la merci des miliciens pour subir des viols continuels et constants. Cela a duré des semaines.
    Ces viols n'ont pas été faits dans de petites ruelles ou dans de petites chambres. Ils ont été faits au vu et au su de tous parce qu'il fallait absolument exacerber le sort des victimes. C'est donc tout un ensemble de tortures de nature sexuelle qui ont été infligées à ces victimes.
    Normalement, l'objectif de la violence sexuelle est d'imposer une domination politique, d'instaurer une oppression, de procéder au nettoyage ethnique, de prendre possession d'un territoire et de récompenser la soldatesque. Encore une fois, au Rwanda, c'était terrible de la part des chefs de miliciens. On pourrait citer la très célèbre ministre du viol à l'époque, Pauline. Cette personne assistait aux viols. C'était un mot d'ordre. Avant de tuer ces femmes tutsies, il fallait d'abord les violer. Pire encore, toujours dans le remerciement de cette soldatesque, il fallait démystifier complètement la femme tutsie.
    Je vais revenir un peu à l'éducation et à la propagande qui a été faite historiquement par les médias. Il fallait le faire. J'ai lu dans un témoignage qu'à un certain moment, à la fin d'une journée de massacres, on a rassemblé les miliciens et on leur a demandé de violer les femmes. Ils étaient complètement exténués. Au lieu de les violer ce jour-là, ils ont décidé de les mettre dans une chambre. Ils ont lancé des grenades et c'était terminé.
(1335)
     Ce que je voudrais faire valoir ici, c'est que les viols commis pendant le génocide étaient le produit d'une préparation très minutieuse.
    Revenons en arrière dans l'histoire. À partir environ des années 1960, on montrait le côté infernal de la femme tutsie à travers la reine-mère Kanjogera qui, prétendait-on, s'aidait à se lever de son siège en plantant des épées sur de jeunes Hutus qui étaient autour d'elle.
    Quand on connaît l'histoire du Rwanda, on sait très bien que ces Hutus n'auraient pu d'aucune façon se retrouver à la cour royale, mais c'était une façon d'instrumentaliser cette haine, en commençant par l'image la plus distinguée.
    On va qualifier les femmes tutsies de toutes sortes d'horreurs, et ce, à partir des années 1990. Ainsi, pour ceux qui ont lu le manifeste, je vous y renvoie.
    Dans le fameux journal Kangura, dont le titre veut dire « Réveillez-le », on a publié les 10 commandements du Hutu. Les trois premiers commandements reflètent exactement cette propagande et cette éducation.
    Dans l'article 1, on dit ceci:

Tout Muhutu doit savoir que Umututsikazi [donc la femme tutsie], où qu'elle soit, travaille à la solde de son ethnie tutsi. Par conséquent, est traître tout Muhutu qui épouse une Umututsikazi; qui fait d'une Umututsikazi sa concubine; qui fait d'une Umututsikazi sa secrétaire ou sa protégée.
    Donc, on monte systématiquement toute la population hutue contre la femme tutsie spécifiquement.
    Dans le deuxième article, on peut lire ce qui suit:

Tout Muhutu doit savoir que nos filles Bahutukazi sont plus dignes et plus consciencieuses dans leur rôle de femme, d'épouse et de mère de famille. Ne sont-elles pas jolies, bonnes secrétaires et plus honnêtes.
    Dans ces deux articles, on retrouve encore une fois un rappel que la femme tutsie était plébiscitée pour être la plus belle, pour avoir les plus beaux traits et, bien sûr, pour attiser la convoitise des hommes hutus.Toutefois, dans le deuxième article, on commence à sensibiliser la femme hutue au fait qu'elle est aussi bonne. Dès le départ, il y a là un complexe, un phénomène assez terrible pour créer une animosité extraordinaire contre les Tutsis. Dans le troisième article, on dit ce qui suit:
Bahutukazi, soyez vigilantes et ramenez vos maris, vos frères et vos fils à la raison.
    On mène donc une action très ciblée pour s'assurer qu'il n'existe plus chez les Rwandais un élément historique qui faisait qu'il y avait des mariages mixtes pour tout simplement procéder à une purification ethnique en diabolisant l'autre ethnie, c'est-à-dire lesTutsis.
    Les effets sont profonds. Ces femmes sont meurtries au plus profond d'elles-mêmes. Elles sont dégoûtées. C'est triste parce que, dans le cadre de cette rencontre, j'aurais aimé venir avec une certaine Athanasie. Pour ceux qui ont eu la chance de voir le film Mère Courage , on constate qu'Athanasie a subi des viols atroces. Elle vit aujourd'hui à Montréal. Dernièrement, elle est partie au Rwanda parce que, enfin, une de ses filles rescapées va se marier là-bas. En même temps, Athanasie vit avec un de ses enfants qui est très malade.
(1340)
     À un moment donné, il s'était remis, mais dernièrement, alors qu'il venait de s'inscrire à l'université, sans le moindre avertissement, il a tout à coup perdu l'ouïe. Est-ce le besoin de ne plus rien entendre qui a eu un rôle à jouer à cet égard? Allez savoir. Bien sûr, comme nous sommes dans un pays tout de même assez développé, il a eu de l'aide pour obtenir des prothèses auditives. Il a accompagné sa mère au Rwanda. J'ai eu la chance de leur parler. Je leur ai dit que je ne pourrais pas m'y rendre, mais que j'aurais bien aimé avoir un cas réel afin de pouvoir discuter de cette question. Cette personne m'a dit que l'appareil auditif ne fonctionnait plus parce que, tout à coup — et je ne sais pas si c'est dû à un défaut technique —, il s'était mis à produire un bruit si horrible qu'elle avait l'impression que ses oreilles allaient éclater.
    Tout ça pour dire que les effets que subissent les victimes sont terribles. Comme vous le savez, présentement, on parle beaucoup de harcèlement sexuel. Il s'agit d'un sujet d'actualité. Il y a des gens qui, après une vingtaine d'années, sortent enfin de l'ombre pour en parler. Par contre, quand quelqu'un connaît le viol et qu'il s'agit non pas d'une seule personne, mais d'un acte commis en public par plusieurs personnes pendant plusieurs jours, c'est à se demander si on a encore quelque chose à dire. C'est pire encore quand on en vient pratiquement à se demander si on a le droit de dire quoi que ce soit, parce que lorsque c'est fait en public, on se dit que c'est peut-être notre sort. Une personne est tellement dépassée par les événements qu'elle se demande si elle ne pourrait pas s'en contenter.
    Laissez-moi vous parler de Godeliève Mukasarasi, qui dirige l'organisme SEVOTA du Rwanda, dont l'acronyme en français signifie Solidarité pour l’épanouissement des veuves et des orphelins visant le travail et l’auto-promotion.
    Annonciata, une de ses protégées, disait ceci: « Après l’assassinat de mes sept frères et sœurs, comment aurais-je pu tuer l’enfant que je portais? » On dit ici qu'Annonciata, comme des milliers de Rwandaises, a ainsi choisi d’élever ce qu’elle appelle « un fruit de la haine ». Toute une génération d’enfants, soit près de 20 000 selon certaines estimations, sont nés à la suite de viols. Certains de ces enfants de la haine et de la honte ont eu la chance de naître sans le VIH. Cependant, pour ce qui est de la plupart des mères victimes de ces actes, il faut savoir et se rappeler qu'on sortait des miliciens atteints du VIH des hôpitaux pour qu'ils participent au viol de ces femmes. Contaminer sciemment une personne, c'est un crime qui est au-delà du viol. Je ne sais d'ailleurs pas comment le décrire.
    Pour ces femmes, il s'agit d'un terrible souvenir avec lequel elles doivent vivre tous les jours. Cela marque le corps, le moral et le cerveau, comme le disait Godeliève en parlant de ces femmes.
(1345)
     Que fait cet organisme? Il tâche d'apprendre à ces femmes à gérer leur santé mentale et à faire ainsi un peu plus de place à leurs enfants. La plupart de ces femmes ont, pendant un certain temps, complètement renié ces enfants. Toutefois, elles manquaient tellement de soutien qu'elles se sont résignées à les accepter. Beaucoup de ces mères n'ont pas dit à leurs enfants ce qui se passait. Elles vivaient des moments de grand dysfonctionnement.
    Nous ne disposons pas d'assez de temps et trois députés voudraient vous poser des questions. Pourriez-vous, s'il vous plaît, terminer votre témoignage? Ce serait préférable pour que nous puissions passer aux questions.
    D'accord.
    Pour terminer, je citerai tout même le témoignage d'un certain David, âgé de19 ans. Quand on l'interroge sur son géniteur, il préfère ne pas répondre, comme tous ces enfants. David n'a pas connu son père. Il disait que sa mère avait la peau claire. Quant à lui, il est plus foncé et voudrait connaître son père. Sa mère lui a dit tout de même comment il est né, mais David ne connaîtra jamais son père et portera toujours le fruit de cette haine.
    Que se passe-t-il? Je me suis attardé à la façon dont cela s'est passé car les effets sont évidents et terribles sur le plan psychologique, sinon psychiatrique. Il y a également des effets sociaux parce que ces enfants sont constamment jugés. Les mères portent le fardeau d'une culpabilité, alors que ce sont les principales victimes. Comment peut-on les aider?
(1350)
    Merci, monsieur Rwirangira.

[Traduction]

    Chers collègues, nous passons normalement des membres du gouvernement à ceux de l'opposition. Nous en avons discuté. Étant donné que chaque parti n'a plus qu'une seule question et que M. Benskin et M. Cotler présenteront des déclarations de députés, nous allons commencer par M. Benskin
    Pouvons-nous partager le temps qu'il reste d'ici 14 heures entre vous et M. Cotler pour nous assurer que vous puissiez tous les deux vous rendre à la Chambre à temps?
    Excusez-moi du court préavis.
    Bien sûr. Vous n'avez qu'à me faire signe lorsque mon temps sera écoulé

[Français]

    Merci, monsieur Rwirangira, d'être venu ici pour nous présenter ce témoignage.
    Votre dernier commentaire touche vraiment l'objectif de notre étude. Pour nous, il s'agit de cibler les conséquences. J'espère aussi apprendre quelque chose de l'expérience de ces enfants qui sont les fruits de la haine.

[Traduction]

    Il y a probablement une tournure française pour rendre le précepte bien connu qui nous vient d'Espagne: « Ceux qui n'apprennent pas de l'histoire sont condamnés à la répéter. » Nous nous efforçons d'apprendre de l'expérience horrible vécue par le Rwanda. Ce genre d'événements se produit encore. C'est ce que nous voyons au Congo, en Syrie. En tant que pays qui a la réputation de donner des ressources et de l'aide dans des situations de crise, j'espère que nous pouvons apprendre de notre expérience en aidant ce segment oublié de votre communauté, ces 20 000 enfants qui sont les fruits de la haine.
    Vous avez parlé des conséquences de ce qu'ils ont vécu: le déni de leurs parents, le déni d'eux-mêmes. J'aimerais maintenant vous faire porter le fardeau en vous demandant ce qui peut être fait dès le départ pour aider à combler cet écart, à endiguer cette vague de haine. À mon avis, si la communauté se laisse emporter par la haine envers ces enfants, ses détracteurs atteindront leur but. Cette communauté n'existera plus.
    Que devons-nous faire à l'avenir, et peut-être continuer de faire, pour aider ces Rwandais à comprendre et à soutenir ces enfants qui sont nés à la suite de ces actes atroces?
(1355)

[Français]

     Merci, monsieur Benskin.
    Il y a beaucoup à faire. Dès le départ, c'est difficile, parce que selon la description que j'en faisais plus tôt, beaucoup des mères n'ont pas témoigné exactement des faits et cela explique la raison pour laquelle les statistiques sont mitigées. Cependant, une fois qu'on le sait, que peut-on faire?
    Premièrement, avant même de s'engager dans cette voie, il faut créer une zone de compréhension où ces femmes peuvent se sentir à l'aise, un peu comme le fait Mme Godeliève Mukasarasi avec son organisme, afin que l'on puisse les détecter. Cela représente le premier aspect. Il faut donner ce cadre. Cela fait déjà 20 ans. On pourrait dire que c'est du passé, mais je pense qu'il n'est jamais trop tard pour bien faire.
    Au Rwanda, des organismes existent quand même, mais ont peu de moyens. On pourrait extrapoler et se demander ce qu'on pourrait faire et s'il y a des victimes de ces actes ici, au Canada. Comme je vous le disais, nous offrons ici un cadre assez réconfortant pour les victimes. Un bon nombre d'entre elles se trouvent à Montréal, mais d'autres organismes travaillent conjointement avec nous. Ici, à Ottawa, par exemple, il y a l'Association Humura.
    Principalement, les gens et les victimes sont avares de témoignages. Même quand ils témoignent, ce n'est parfois pas assez détaillé parce que, quand on survit à ces événements, on veut les oublier et regarder vers l'avenir pour croquer dans la vie et réussir.
    Au départ, je pense qu'il faut vraiment offrir un cadre pour que ces femmes puissent témoigner. Ainsi, on pourra voir et déterminer qui sont ces enfants. Je pense qu'ils connaissent des problèmes assez courants sur le plan psychologique, sur le plan de l'insertion sociale et ainsi de suite.
    Une fois qu'on aura franchement déterminé qui sont ces enfants, ils pourraient bénéficier de toutes les autres formes d'aide que l'on peut apporter à des gens démunis.
    Dans un cas particulier, l'aide serait véritable si l'on pouvait avoir un cadre où ces femmes témoigneraient. On pourrait déterminer les besoins de ces enfants. J'ai parlé de deux cas, mais il y en a des milliers.
     D'accord.
     Monsieur Cotler, avez-vous une question à poser?
    Merci, monsieur le président.
    Pour commencer, je dois dire que la situation au Rwanda et les activités de votre organisme me sont familières depuis un bon moment. Comme vous l'avez mentionné, j'étais ministre de la Justice en 2004 quand nous avons proposé la première commémoration du génocide au Rwanda. Il y avait aussi le cas de M. Mugesera, qui impliquait le procureur général. En termes de jurisprudence mondiale, ce fut l'un des précédents les plus importants concernant les dangers de l'incitation à la haine et au génocide.
    En 2008, comme vous l'avez mentionné, j'ai proposé un jour de réflexion sur la prévention des génocides. Je sais d'ailleurs que vous aurez une conférence sur la prévention des génocides le 9 décembre prochain.
     Comme vous l'avez dit, il y a des conséquences aux génocides et il y a des actes qui ont été commis pendant les génocides.

[Traduction]

    On ne peut pas séparer les conséquences des actes. Un des actes les plus graves était sans aucun doute l'incitation à la haine et au génocide, qui comprenait l'incitation au viol comme instrument de génocide. Ce n'était pas seulement une conséquence de ce génocide.
    Cela dit, comment se déroule le processus de réconciliation au Rwanda et au sein de la diaspora rwandaise lorsqu'on sait que l'incitation à la haine et au génocide sanctionnée par l'État et de la déshumanisation des victimes, y compris le viol de femmes tutsies, ont servi de prologue ou de préparation au génocide?
(1400)

[Français]

     Il est clair que la réconciliation est difficile parce que le génocide fut le paroxysme de tout un processus. Depuis les années 1960, plusieurs événements se sont produits. Des massacres des Tutsis ont été successivement faits. On peut parler de 1959, 1961, 1963, 1967, 1973 et au cours des années 1990-1992. Je parle aussi des premiers tests sur la capacité de commettre un génocide sur les Bagogwe, alors qu'on a tué environ 9 000 personnes.
     C'est le fruit de toute une culture. Le gens ont été manipulés et ont été formés pour se « départir » de ce Tutsi qui venait d'ailleurs. On dit qu'une fois qu'on l'a accueilli, il les a dominé à tout prix. Et pourtant, c'est tout faux. C'est ça qui est terrible.
    Ma mère était professeur au Rwanda au début des années 1960. Elle venait tout juste de finir l'école et, à l'époque, on venait de connaître l'éducation moderne. Tout ce qui était écrit était vrai. Elle donnait des cours aux enfants en enseignant que les Tutsis sont venus d'Abyssinie, qu'ils n'étaient pas Rwandais, qu'ils étaient venus d'ailleurs et que lorsque Kanjogera se levait, elle poignardait les enfants Hutus.
    Elle ne savait que ça. Parce que c'était écrit, pour elle, c'était vrai. Je ne sais pas si vous vous en rendez compte. Elle est Tutsie et elle donnait ces cours en classe dans les années 1960. C'était la volonté du gouvernement d'enseigner ces choses, alors que c'est complètement faux. D'ailleurs, on retrouve cette histoire dans le discours de Mugesera quand il disait qu'il fallait renvoyer les Tutsis chez eux en Éthiopie par le fleuve Nyabarongo. C'est en référence à cette Abyssinie.
    Comment peut-on travailler à la réconciliation? Je pense qu'il faut qu'il y ait un effort considérable de la part du pays et de la part du gouvernement actuel. Il faut qu'ils appellent des hommes et des femmes sages qui étaient là à cette époque, soit au début des années 1960. Ces personnes, qui sont maintenant vieilles et qui ont plus de 70 ans, doivent venir témoigner afin d'enseigner la vérité à la jeunesse rwandaise.
    Il faut tout d'abord savoir que les Tutsis et les Hutus ne sont pas des ethnies. Ce sont plutôt comme des classes sociales. À l'époque, un Hutu bien nanti pouvait passer à la place des Tutsis s'il avait plus de vaches. Un Tutsi très pauvre pouvait passer à la place des Hutus s'il devenait serviteur. Ça, c'est la réalité. Il faut réhabiliter cela. Il faut vraiment que l'on enseigne à notre jeunesse qu'il y a eu cette instrumentalisation de la haine qui est fondée sur une propagande politique et, à partir de là, on pourra avancer. C'est très compliqué, mais je pense qu'il faut s'y atteler. Il faut trouver des mécanismes de réconciliation sinon on court le risque d'avoir un autre débordement semblable.
    Je vous remercie.
    Merci.

[Traduction]

    Allez-y, madame Grewal.
(1405)
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Rwirangira, merci de nous accorder votre temps et d'être venu témoigner. J'étais au Rwanda il y a quelques années. Je suis donc très heureuse d'être en mesure de faire un suivi de certaines de ces questions très importantes auprès d'un expert.
    Pensez-vous — je ne sais pas comment formuler la question — que les Tutsis se sentent généralement en sécurité et intégrés à la société rwandaise d'aujourd'hui, ou y a-t-il encore des tensions raciales? Le président Kagame a-t-il mis en place des freins et contrepoids pour prévenir un autre génocide?

[Français]

     Des efforts sont constamment faits en ce sens au Rwanda.
    Après le génocide, face au nombre exagéré de bourreaux, on a créé le fameux tribunal Gacaca. Il s'agit d'un exercice très intéressant parce que le jugement était fait à la colline. Des bourreaux accusaient d'autres bourreaux. Ils connaissaient les victimes parce qu'elles étaient leurs voisins. On pouvait donner les noms des personnes qui avaient été tuées. Cet exercice était certes très difficile parce que, pour les victimes, cela pouvait paraître à un certain moment très arrogant parce que les bourreaux, quand ils exposaient ce qui avait été fait, disaient à nouveau exactement comment ils avaient tué et ainsi de suite. Toutefois, quelque part, cela leur donnait la chance de dire, par exemple: « Finalement, lorsque ton oncle Philippe est tombé, on l'a enterré dans ce trou ». A ce moment-là, la famille de la victime pouvait aller chercher les ossements de Philippe et les enterrer pour ainsi mettre un point final à cette question. Malgré la souffrance, le fait de savoir que l'on peut trouver les ossements d'un parent qui a été victime de ce génocide et les enterrer permet d'apporter un point final et de faire son deuil. J'estime que ce sont des gestes très importants dans le processus de sécurité parce que, tant qu'on n'a pas fait son deuil, ce n'est pas évident.
    Mon ami Paulin, qui vit à Montréal, a perdu sept membres de sa famille, dont l'un de ses frères pour lequel on n'a jamais su exactement où il est tombé. Chaque fois qu'il va au Rwanda, il est hanté par l'idée de croiser son petit frère quand il tourne un coin de rue et surtout quand il commence à faire sombre. Je mets cela en perspective pour dire que, pour atteindre la sécurité, il faut régler ces petites choses. Alors, est-ce que le Tutsi se sent en sécurité au Rwanda actuellement? Oui et non.
    Oui, il s'y sent en sécurité parce que le gouvernement met en oeuvre des efforts considérables pour assurer la sécurité de tous les Rwandais. C'est un fait connu. Parmi les pays environnants, aucun ne peut se targuer d'avoir une aussi bonne sécurité intérieure. J'y étais en 2011 et j'y ai rencontré des amis canadiens. Ce n'était non pas des Canadiens d'origine rwandaise comme moi, mais des Canadiens et des Québécois d'origine. Un soir, je les ai croisés dans la rue alors qu'ils marchaient dans un quartier populaire. Ils semblaient assez à l'aise. C'est moi qui était surpris de constater cela. Je leur ai dit: « Vous êtes fous. À cette heure-ci, à 23 heures, vous n'avez pas peur? » Ils m'ont répondu: « Non, jamais. On s'en va au bar ». Comme de fait, nous nous sommes retrouvés au bar. J'étais en vacances avec mes cousins à qui j'ai dit: « C'est incroyable ce qui se produit ici ».
    Un de mes cousins, qui est militaire, m'a répondu: « Tu es mon cousin. On est ici. On fait une sortie ensemble, mais je vais te dire une chose. Si quelque chose arrivait à ces deux personnes, mon congé finirait là et mon travail commencerait tout de suite ». Ce sont des efforts comme ceux-là qui sont faits pour assurer la sécurité générale de tous les Rwandais.
     Est-ce que les Tutsis s'y retrouvent? Je pense que, globalement, c'est le cas. Toutefois, avec toute cette histoire de haine, il y a toujours une épée de Damoclès qui pend quelque part au-dessus de nos têtes. En fait, comme je le mentionnais tout à l'heure à M. Cotler, l'effort d'éducation n'est pas encore complètement fait.
(1410)
     C'est à se demander si les gens ne se sentent pas en sécurité parce que des moyens sont déployés. Ce n'est toutefois pas une sécurité intrinsèque.

[Traduction]

    C'est tout le temps que nous avons aujourd'hui.
    Merci, madame Grewal.
    Merci également aux autres collègues qui se sont montrés très collaboratifs en nous permettant de contourner la procédure habituelle.

[Français]

    Je vous remercie, monsieur Rwirangira.
    Merci à tous.

[Traduction]

    La séance est levée.
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