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CIMM Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration


NUMÉRO 044 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 23 avril 2015

[Enregistrement électronique]

  (0850)  

[Français]

     Bienvenue à toutes et à tous à cette 44e séance du Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration.
     Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude au sujet du projet de loi S-7.
    Je remercie beaucoup nos deux témoins d'être ici parmi nous aujourd'hui.

[Traduction]

    Nous accueillons Tahir Gora, directeur général du Canadian Thinkers' Forum.

[Français]

    Nous recevons aussi, à titre personnel, Mme Chantal Desloges, avocate chez Desloges Law Group. Je vous remercie beaucoup, madame Desloges, d'être avec ici parmi nous aujourd'hui.
     Vous aurez chacun jusqu'à huit minutes pour faire votre déclaration d'ouverture et nous procéderons ensuite aux questions des députés qui participent aux travaux du comité.
    Monsieur  Gora, vous avez la parole.

[Traduction]

    Monsieur le président du Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, chers députés, bonjour. Je m’appelle Tahir Gora. Je suis directeur général du Canadian Thinkers’ Forum, un organisme sans but lucratif et un groupe de réflexion qui s’intéresse aux rapports d’étude sur les sujets suivants: les complexités du multiculturalisme, la croissance de la radicalisation islamique au Canada, le nouvel essor de l’antisémitisme, la polygamie, le mariage forcé et les mauvais traitements infligés aux femmes de la diaspora sud-asiatique et moyen-orientale.
    Le projet de loi S-7 du ministre Chris Alexander, soit la Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares, est étroitement lié à nos études sur la polygamie, le mariage forcé et les mauvais traitements infligés envers les femmes de la diaspora sud-asiatique et moyen-orientale.
    Le projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Loi sur le mariage civil, le Code criminel et d’autres lois en conséquence, semble répondre à nos préoccupations, notamment en ce qui concerne la polygamie, le mariage forcé et les mauvais traitements envers les femmes des communautés sud-asiatiques et moyen-orientales du Canada. Malheureusement, il n’existe aucune donnée valide sur ces questions. Cependant, certains incidents signalés à notre groupe dans la région du Grand Toronto plaident en faveur du resserrement législatif proposé par le gouvernement à l’égard de la polygamie, du mariage forcé et des mauvais traitements envers les femmes.
    Voici certains exemples de cas signalés. On a attiré notre attention sur quelques cas de polygamie proprement dite et de polygamie associée à des actes de fraude en matière d’immigration et d’aide sociale. Dans certains cas signalés, des hommes ont parrainé des demandes d’immigration pour des femmes du Pakistan, de la Somalie et de l’Égypte qu’ils avaient désignées comme leurs soeurs dans les demandes, mais qu’ils ont épousées comme deuxième femme dès leur arrivée au Canada. Évidemment, ces mariages ne sont pas enregistrés, mais sont faits avec le concours de certains religieux musulmans au Canada.
    Par exemple, l’imam Aly Hindy, du Toronto Salahuddin Islamic Centre, semble toujours prêt à contrevenir aux lois canadiennes, ayant célébré ou béni des dizaines de mariages polygames d’hommes qu’il savait déjà mariés à d’autres femmes. Une fois ce fait rapporté par les médias, l’imam Hindy a déclaré: « Si la loi du pays entre en conflit avec la loi islamique, si l’une va à l’encontre de l’autre, alors je suivrai la loi islamique, voilà tout. » Cependant, l’interprétation moderne de l’islam indique clairement que la polygamie n’était permise que dans le contexte des conflits tribaux dans les sociétés médiévales du VIe siècle. Cette permission n’est plus admise dans le nouveau processus de réflexion de l’islam d’aujourd’hui. Mais des fondamentalistes comme l’imam Hindy observent encore ces traditions.
    On nous a aussi signalé des cas où des hommes ont plusieurs femmes, qu’ils ne déclarent pas à titre d’épouses, étant donné qu’ils ne peuvent pas le faire. Par ces pratiques, ceux-ci perçoivent des prestations d’aide sociale ainsi que des prestations fiscales pour enfants.
    De même, les cas de mariage forcé sont répandus. Au Canada, on en signale des centaines chaque année. Des parents, ou des membres de la famille, retournent dans leur pays avec leurs enfants pour les forcer à s’y marier. Certains mariages forcés ont lieu ici même au Canada. Outre les cas signalés, des centaines de mariages forcés non signalés impliquent aussi des Canadiens. Malheureusement, ces cas sont surtout associés aux communautés sud-asiatiques et moyen-orientales. Ces cas de polygamie et de mariages forcés peuvent finalement entraîner la violence familiale et même parfois des crimes d’honneur.
    Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada, Chris Alexander , a déposé le projet de loi intitulé Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares au Parlement en novembre dernier. Les critiques s’en sont pris au titre du projet de loi, le qualifiant de tendancieux.
    Toutefois, notre groupe croit qu’il faut appeler un chat un chat. La violence envers les femmes est un acte de barbarie absolue. On doit s’y attaquer énergiquement. Des mariages forcés, des actes de polygamie et des crimes d’honneur se produisent tous les jours dans le monde entier, sous prétexte de pratiques culturelles. De telles pratiques culturelles ne devraient-elles pas être condamnées? Appeler un chat un chat ne devrait pas être un enjeu politique dans un pays comme le Canada, où les droits de la personne garantissent des droits égaux aux hommes et aux femmes.

  (0855)  

    Au Canada, certains membres de la communauté musulmane et de la communauté mormone pratiquent la polygamie. Les cas de polygamie dans la communauté mormone font déjà l’objet d’une attention très étroite. Ce qui n’est pas le cas dans la communauté musulmane du Canada, où la polygamie est répandue, mais cachée en grande partie.
    Le projet de loi du ministre Chris Alexander propose les mesures suivantes: créer, en vertu de la LIPR, un nouveau critère selon lequel seraient inadmissibles les résidents permanents et les résidents temporaires qui pratiquent la polygamie au Canada; renforcer les lois canadiennes sur le mariage, en modifiant la Loi sur le mariage civil de manière à codifier, à l’échelle nationale, les exigences juridiques en matière de consentement libre et éclairé et en fixant à 16 ans l’âge minimum national des mariés; favoriser la protection des victimes potentielles de mariages précoces ou forcés en créant un nouvel engagement de ne pas troubler l’ordre public, ordonné par le tribunal, lorsqu’il y a des motifs raisonnables de craindre qu’une personne commette une infraction liée à un mariage forcé ou précoce, comprenant la cession obligatoire du passeport pour empêcher qu’un enfant soit amené hors du pays dans le but de le forcer à se marier; criminaliser dans le Code criminel certains comportements liés aux cérémonies de mariage précoce et forcé, notamment le passage à l’étranger d’un enfant canadien dans le but de contracter un tel mariage; limiter la défense de provocation afin qu’elle ne s’applique pas aux cas de meurtres d’honneur et à de nombreux cas d’homicides conjugaux; et apporter des modifications corrélatives à la Loi sur les prisons et les maisons de correction et à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents de façon à y intégrer l’engagement susmentionné de ne pas troubler l’ordre public.
    Les conclusions de notre étude correspondent tout à fait au projet de loi S-7. Il est urgent que notre gouvernement mène une campagne de sensibilisation générale contre ces pratiques barbares par l’entremise des médias sud-asiatiques et moyen-orientaux du Canada.
    Notre groupe travaille aussi aux mesures suivantes: l’établissement d’un centre de soutien pour les femmes musulmanes; l’établissement d’une ligne de secours et d’un centre d’aide pour les victimes réelles ou potentielles de polygamie, de mariages forcés et de violence familiale; l’établissement d’un système de soutien et de programmes de formation pour le traitement des problèmes liés au mariage forcé, à la polygamie et à la discrimination sexuelle; le lancement de nos propres sondages et d’un centre de données sur le mariage forcé, la polygamie et les crimes d’honneur; et la mise sur pied de campagnes de sensibilisation, y compris des colloques et des conférences, afin de réduire le nombre de cas de mariage forcé, de polygamie, de crime d’honneur et de discrimination sexuelle.
    Merci beaucoup.

  (0900)  

[Français]

    Monsieur Gora nous a fourni le texte de sa déclaration d'ouverture et celui-ci sera traduit. Le document sera distribué aux membres du comité dès qu'il sera disponible dans les deux langues officielles.
    Avant de céder la parole à Mme Desloges, j'aimerais souhaiter la bienvenue à Mme Kathryn Marshall. Elle est avocate et est ici aujourd'hui à titre personnel.
     Je vous remercie, madame Marshall, de vous joindre à nous aujourd'hui. Vous aurez bientôt l'occasion de présenter votre déclaration d'ouverture.

[Traduction]

    Madame Desloges, vous disposez de huit minutes pour faire votre déclaration préliminaire.
    Je suis avocate depuis plus de 15 ans, et je pratique exclusivement le droit de l’immigration et du statut de réfugié. Je formule régulièrement des commentaires dans les médias à propos des questions d’immigration. Comme mes compétences se limitent au droit de l’immigration, je me contenterai de formuler des observations portant uniquement sur les dispositions du projet de loi liées à l’immigration. Je sais que d’autres témoins possèdent des connaissances beaucoup plus grandes que les miennes dans le domaine des mariages forcés et des crimes d’honneur.
    Je crois que les dispositions du projet de loi S-7 liées à l’immigration indiquent très clairement que la polygamie n’est pas tolérée au Canada et ne le sera jamais. Les études sociologiques décrivent très bien les effets négatifs que la polygamie a sur les femmes et les enfants. Quels que puissent être les effets pratiques de cette mesure législative, le projet de loi transmet un message concret à propos des valeurs canadiennes. Je crois que cette transmission est importante, étant donné que notre société est de plus en plus relativiste et que, dans notre hâte de respecter les autres cultures, nous, les Canadiens, oublions souvent le fait que notre propre culture est telle qu’elle est pour une bonne raison.
    Comme mon collègue Tahir vient de le mentionner, les gens ont beaucoup critiqué le titre plutôt provocateur du projet de loi. Permettez-moi de vous dire qu’en général, je n’aime pas qu’on emploie des hyperboles dans les titres des mesures législatives, mais ce n’est peut-être pas pour les raisons que vous pensez. Les mariages forcés, les crimes d’honneur et la polygamie sont barbares. Dans la mesure où il s’agit de pratiques culturelles, nous ne devrions pas accepter ou promouvoir les cultures en question, même tacitement par omission. Devrions-nous avoir une tolérance zéro à l’égard de ces comportements? La réponse à cette question est un oui catégorique. Cela étant dit, je crois que les termes employés dans le titre nuisent à l’analyse sérieuse du contenu du projet de loi. Soyons réalistes, bon nombre de gens, en particulier les membres du public, interrompent leur lecture après avoir lu le titre. Je pense que l’emploi de slogans pour nommer des mesures législatives abaisse le décorum du processus législatif et empêche les citoyens de discuter du contenu des projets de loi d’une manière constructive.
    Fondamentalement, les améliorations que je suggère d’apporter au projet de loi sont assez simples. La pratique de la polygamie n’est pas vraiment définie. Le projet de loi nous renvoie à la définition de la polygamie qui figure dans le Code criminel. Mais, si vous lisez cette définition, vous constaterez qu’elle n’est pas très claire non plus et qu’elle laisse d’énormes zones grises dans l’interprétation de la polygamie au Canada.
    Le Code criminel dit que quiconque pratique ou contracte, ou d’une façon quelconque accepte ou convient de pratiquer ou de contracter soit la polygamie sous une forme quelconque, soit une sorte d’union conjugale avec plus d’une personne à la fois, qu’elle soit ou non reconnue par la loi comme une formalité de mariage qui lie, est considéré comme un polygame.
    Une seule cause a été présentée devant un tribunal pénal en s’appuyant sur l’interprétation de cette disposition. Dans cette affaire, aucune des parties au litige n’a pu s’entendre sur sa signification. Même les procureurs généraux qui participaient au procès ne pouvaient pas tomber d’accord sur sa signification. Cet unique jugement de première instance n’a jamais été porté en appel. Par conséquent, la question est très loin d’être réglée dans le contexte criminel.
    Par conséquent, que signifie la pratique de la polygamie au Canada? Est-ce qu’elle se limite aux multiples mariages sanctionnés par la loi? Pourrait-elle comprendre un mariage légal, suivi d’un second mariage religieux non sanctionné par la loi? Qu’en est-il des unions de fait? Ces unions sont conjugales. Pratiquez-vous la polygamie si votre premier mariage n’est pas dissolu et que vous entretenez une relation de fait avec une autre personne?
    Vous commencez à comprendre la nature du problème. Je pense que si nous souhaitons que ce comportement ait de graves conséquences, comme l’expulsion, nous devons fixer des limites très claires, afin que les gens sachent s’ils contreviendront à la loi et qu’ils puissent modifier leur comportement en conséquence.
    Il y a un autre aspect à noter à propos de la mesure législative, et cet aspect pourrait être positif ou négatif selon votre point de vue. Il s’agit du fait que, dans le contexte de l’immigration, vous n’avez pas besoin de prouver hors de tout doute raisonnable les accusations que vous portez contre quelqu’un, comme vous êtes tenu de le faire devant un tribunal pénal. Il vous suffit de prouver que vous avez des motifs raisonnables de croire qu’une personne pratique la polygamie, et vous pouvez imaginer les conséquences de cette distinction. Donc, d’une part, la norme de preuve est beaucoup moins exigeante, ce qui facilitera l’application des conséquences de la loi. Il ne sera pas nécessaire de franchir les étapes d’un processus prévu par le Code criminel. Mais, d’autre part, le système ne comportera pas vraiment autant de freins et de contrepoids qu’il en aurait dans un contexte criminel.
    Un autre aspect du projet de loi pourrait être amélioré, selon moi, à savoir le fait qu’il ne mentionne nulle part les effets que cette modification des règles d’immigration aura sur les enfants.

  (0905)  

    Je trouve cela inquiétant, parce que le projet de loi pourrait séparer des familles — c’est son intention, selon moi —, et, peu importe ce que vous dictent vos valeurs morales, je pense que les enfants sont les parties innocentes de ces scénarios. Les dispositions du projet de loi doivent le reconnaître quelque part et honorer notre obligation internationale de respecter les droits des enfants.
    Je me demande aussi si le projet de loi est censé être rétroactif. Il se peut que des gens ayant contracté plusieurs mariages dans leur pays d’origine — où cette pratique était légale et aucune loi n’avait été enfreinte — aient immigré au Canada et vivent déjà ici à titre de résidents permanents. Ces gens pourraient rétroactivement faire face à des conséquences liées à un comportement qui, à l’époque, n’était pas considéré comme incorrect.
    Dans l’ensemble, j’appuie le message clair que le projet de loi transmet à propos de la tolérance zéro à l’égard de la polygamie. Je pense que c’est ce qu’il convient de faire, et je ne crois pas que les membres du public canadien débattront sérieusement de la question de savoir si nous devrions envoyer un message clair au sujet de la polygamie. Cependant, si ces améliorations sont apportées à la question de l’immigration, le projet de loi pourrait, selon moi, être véritablement une force positive qui renforce les valeurs canadiennes.
    Merci, madame Desloges.
    Madame Marshall, vous disposez de huit minutes pour faire votre déclaration préliminaire.
    J’aimerais remercier les membres du comité de m’avoir invitée à comparaître devant eux aujourd’hui, afin de parler des mesures qui pourraient être prises pour mieux protéger les femmes et les filles contre la violence.
    Je m’appelle Kathryn Marshall. Je suis une avocate et une chroniqueuse de Vancouver. J’ai passé de nombreuses années à écrire et à faire des recherches sur la violence faite aux femmes et aux filles. Je suis titulaire d’un diplôme en études féminines avec spécialisation en recherche féministe.
    Au coeur de ce projet de loi se trouvent l’égalité entre les sexes et le droit des femmes et des filles à l’égalité au Canada. En ma qualité de femme, je me considère très chanceuse d’être née dans un pays où les droits des femmes et des filles sont protégés et où nous sommes égales aux hommes. Je m’estime chanceuse que ma fille soit née dans un pays où son sexe ne la condamne pas à être une citoyenne de deuxième ordre pendant le reste de ses jours.
    La mesure législative est centrée sur le fait qu’au Canada, l’égalité est un droit fondamental de la personne. L’égalité est au coeur de notre identité; c’est l’une de nos valeurs fondamentales, une valeur qu’il ne faut pas tenir pour acquise. Nous devons la protéger et la conserver.
    Malheureusement, de nombreuses régions du monde n’ont pris aucune disposition concernant l’égalité. Dans ces régions, les femmes n’ont absolument aucun droit. Il y a des endroits sur la planète où les femmes ne peuvent ni travailler, ni aller à l’école, ni conduire une voiture, ni porter les vêtements de leur choix, ni voyager; il y a très peu de choses qu'elles peuvent faire. Il est difficile de croire à une telle réalité en 2015, mais c’est ainsi.
    Des femmes et des filles du monde entier sont soumises à des pratiques absolument horribles, comme la mutilation des organes génitaux féminins, la polygamie, les mariages d’enfants, l’esclavage sexuel, l’esclavage tout court, la traite des personnes et les crimes d’honneur qui les laissent souvent gravement blessées, mutilées ou sans vie.
    La réalité, c’est que bon nombre de ces pratiques sont profondément enracinées dans la culture de diverses sociétés. Elles sont en fait tolérées, voire encouragées, dans de nombreuses parties du monde. Les gens peuvent commettre des crimes odieux sans subir des conséquences juridiques, parce qu’il est culturellement acceptable d’agir ainsi. Dans la société où nous vivons aujourd’hui, dans un monde où les gens immigrent, déménagent et voyagent, les femmes et les filles sont en danger, quel que soit leur lieu de résidence.
    Souvent, les auteurs de ces horribles actes ont l’impression que leurs gestes sont justifiés parce que, selon eux, leur culture les autorise à les poser. Pour défendre leurs actes odieux envers des femmes et des filles, ils évoquent leurs différences culturelles. Ces actes sont très répandus non seulement dans certaines régions du globe où ils sont légaux, mais aussi dans des parties de la planète où ce n’est pas le cas, des endroits comme le Canada, le Royaume-Uni, les États-Unis, certaines régions de l’Europe et l’Australie. Il s’agit là d’un problème d’ordre mondial que nous ne pouvons nous contenter d’ignorer.
    L’égalité entre les sexes ne devrait jamais être tenue pour acquise, même dans un pays comme le Canada, où elle est l’une de nos valeurs fondamentales. Les critiques du projet de loi ont déclaré que les actes horribles, comme les crimes d’honneur, la polygamie et les mariages d’enfants, ne devraient pas faire partie des priorités du gouvernement, car ils ne se produisent pas assez fréquemment dans notre pays. À ces critiques, je dirais qu’un seul de ces actes brutaux et contraires aux valeurs canadiennes suffit et que ces gestes ne devraient jamais être posés. Nous devrions toujours intervenir. La vérité, c’est que nous ne parlons pas de quelques incidents isolés. Ces crimes deviennent de plus en plus répandus. La tendance semble indiquer que leur fréquence augmente chaque année.
    Grâce à l’adoption du projet de loi, le Canada se joindra à d’autres nations qui ont pris fermement position contre les mariages forcés et les mariages d’enfants en les rendant illégaux. Il est important que cette loi prévoie des conséquences criminelles pour les gens qui organisent, participent et favorisent les mariages d’enfants et les mariages sans consentement. Ce sont souvent les pressions exercées par la famille et la communauté qui forcent ces jeunes femmes et ces filles à contracter ces mariages.

  (0910)  

    À l’heure actuelle, le Canada n’a pas fixé un âge minimal pour le mariage. Nous devons protéger les enfants contre les mauvais traitements en faisant coïncider l’âge légal pour le mariage avec l’âge légal du consentement, et cet âge doit être codifié. Nous ne pouvons nous reposer simplement sur la common law, car elle est, de par sa nature, très sujette à interprétation. Il est donc très important que cet âge soit codifié.
    Je sais que le nom du projet de loi, c’est-à-dire la Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares, a suscité de nombreuses critiques. Le langage est très important. Pendant longtemps, il a grandement contribué à définir le débat sur la violence faite aux femmes. Tout cours d’introduction aux études féminines comprend une section consacrée au langage parce que, pour être franche, lorsqu’il est question des sexes et de leur interprétation, le langage revêt une grande importance. Il peut être utilisé à titre d’outil ou d’instrument; il peut servir d’épée ou de bouclier.
    Avant 1983, les hommes canadiens étaient autorisés à violer leur femme. Ce n’était pas considéré comme un crime. Il y a à peine 32 ans, le viol d’une conjointe était en fait légal. Puis un mouvement, mené par des défenseurs des droits des femmes, a exigé que l’on donne à cette relation sexuelle non consensuelle exactement le nom qu’elle devrait porter, soit celui d’agression sexuelle. C’est seulement à ce moment-là que le viol d’une conjointe a été criminalisé au Canada.
    Même le mot « viol » a été remplacé dans notre Code criminel par le mot « agression sexuelle » parce qu’il a été reconnu que le mot « viol » était un terme péjoratif lié aux sexes qui, au cours de notre histoire sociale et juridique, a été stigmatisé et traité différemment des autres formes d’agression violente.
    À une époque, les lois canadiennes autorisaient la violence conjugale dans notre pays. Au XVIIIe siècle, selon la common law britannique, un homme pouvait battre son épouse si elle lui désobéissait, à condition — et je vous cite les mots exacts employés dans la common law britannique — qu’il utilise une arme « plus petite que son pouce ». Donc, au cours de notre histoire sociale et juridique, la violence conjugale a été traitée comme une affaire privée. Ce n’est qu’à compter des années 1970 que des campagnes de sensibilisation à la violence conjugale ont exposé ce problème au grand jour.
    Toutefois, le terme « violence conjugale » est problématique parce qu’on a tendance à l’interpréter comme une violence entre partenaires intimes. En outre, on a maintenant tendance à qualifier les crimes d’honneur de violence conjugale. Cependant, l’emploi de ce terme n’est pas vraiment approprié, car bon nombre des crimes d’honneur ne sont pas perpétrés par des partenaires intimes, mais plutôt par des membres de la famille, des amis, des oncles, des tantes, des cousins, des membres de la belle-famille ou des parents. En toute honnêteté, la violence « conjugale » peut être interprétée comme un problème à caractère uniquement familial et non un problème préoccupant pour la société et la communauté. L’horrible réalité, c’est que la culture fait partie intégrante des crimes d’honneur. Dans certaines régions de la planète, ces crimes sont tolérés et autorisés par la loi. Nous ne devons pas craindre d’étiqueter comme telles les pratiques barbares.
    Je crois qu’en donnant au projet de loi son nom actuel, le gouvernement a démontré la position ferme qu’il a adoptée à cet égard. L’histoire a prouvé que le langage est un outil important auquel nous devrions avoir recours. Il faut que nous appelions ces actes tels qu’ils sont, à savoir barbares.
    Merci

  (0915)  

    Merci, madame Marshall.
    Monsieur Menegakis, vous avez la parole.
    Merci, madame la présidente.
    Je remercie infiniment nos témoins d'avoir accepté de comparaître devant nous. Manifestement, le sujet que nous abordons aujourd'hui est très important. Le projet de loi s'attaque à des comportements atroces qui sont malheureusement adoptés dans notre pays. On est en 2015, et on ne penserait pas que de telles pratiques puissent être appliquées dans un pays accueillant, multiculturel et pacifique comme le Canada, mais, pourtant, c'est le cas. Ces actes se produisent quotidiennement.
    Certains critiques du projet de loi ont déclaré qu'il n'était pas requis. Ils ont le sentiment qu'un nombre suffisant de lois déjà en vigueur gèrent bon nombre de ces problèmes et qu'il n'est pas nécessaire de mettre davantage l'accent sur eux. Je me demande si chacun de vous pourrait formuler des observations générales à propos de la question de savoir si vous croyez que le projet de loi ajoute à notre coffre à outils un instrument qui nous aidera à lutter contre un problème qui persiste malheureusement, ou si vous pensez que nos outils actuels sont adéquats.
    Nous allons commencer par Mme Desloges.
    Je peux comprendre la raison pour laquelle certaines personnes pourraient déceler dans le projet de loi un certain degré de redondance, étant donné que le Code criminel criminalise déjà la polygamie. Si vous êtes reconnu coupable de cette infraction par une cour pénale, il se peut que vous soyez expulsé du Canada pour cette raison. Toutefois, à mon avis, ce qui échappe aux gens, c'est le fait qu'en disposant d'une interdiction de territoire assujettie à une norme de preuve beaucoup moins exigeante, il sera plus facile d'entamer un processus administratif et de faire expulser des gens du Canada que si vous étiez forcé de faire appel à une cour pénale.
    Les poursuites criminelles exigent beaucoup de temps et d'argent, et le système judiciaire comporte de nombreux freins et contrepoids. Dans bien des cas, c'est un avantage, mais le recours à un processus administratif permet évidemment de désigner plus facilement ces gens comme étant inadmissibles à la résidence permanente et susceptibles d'être expulsés du Canada. Si c'est l'objectif du projet, on peut certainement dire qu'il est atteint.
    Monsieur Gora.
    J'ai assurément le sentiment que le projet de loi nous fournira un autre outil qui permettra de resserrer les lois qui luttent contre la polygamie et les mariages forcés, parce que nous avons observé, et nous observons toujours aujourd'hui, que les cas de polygamie, par exemple, ne sont pas enregistrés et que, par conséquent, ils échappent au radar.
    Donc, quand le projet de loi sera adopté par la Chambre des communes, nous espérons que des peines seront infligées aux ecclésiastiques qui facilitent la polygamie au Canada. Le projet de loi fournit certainement un outil supplémentaire.
    Le projet de loi apportera de nombreux outils en clarifiant les ambiguïtés qui existent dans la common law relativement à ces questions. Il est très important de codifier des paramètres comme l'âge légal pour consentir au mariage. C'est une précision qui devrait figurer dans notre Loi sur le mariage civil, et cet âge devrait être le même partout au Canada.
    De plus, je pense que quelques-unes des modifications à apporter au Code criminel sont très importantes, en particulier lorsqu'il s'agit d'empêcher les gens qui sont accusés de crimes d'honneur de plaider la provocation comme moyen de défense. Je crois qu'il est également primordial de s'assurer que les seuls actes qui peuvent être considérés comme des provocations sont ceux qui sont criminalisés par le Code criminel, car cela tiendra compte du fait que les gens qui commettent ces crimes utilisent leurs différences culturelles, leurs comportements et leurs croyances comme moyen de défense. C'est là une notion que nous ne pouvons pas défendre au Canada.

  (0920)  

    Merci.
    Monsieur Gora, il est très inquiétant d'entendre parler de l'ecclésiastique de la région de Toronto, je crois, qui a déclaré que s'il devait choisir entre une loi islamique et une loi canadienne, il observerait la loi islamique. Bien sûr, il s'agit là de son interprétation de la loi islamique; je ne veux pas donner une mauvaise impression de l'islam fondée sur ses commentaires.
    Toutefois, cela étant dit, on ne peut qu'imaginer à quoi le Canada ressemblerait si tout le monde pensait comme lui. Nous vivons dans un pays très multiculturel, accueillant et tolérant où nous respectons tous, entre autres, la langue et la culture des autres Canadiens. Si tous se disaient que, si leur foi ou leur interprétation de celle-ci leur dictait de faire quelque chose, ils se ficheraient de ce que les lois canadiennes disent à ce sujet, dans quel genre de société vivrions-nous?
    La polygamie est certes une question que vous avez effleurée. À la Chambre, une députée — celle de Newton—Delta Nord, je crois — a pris la parole pour demander la raison pour laquelle il était nécessaire de s'attaquer à ce problème, étant donné que le Canada possédait déjà des lois pour lutter contre la polygamie. Je ne tiens pas à politiser cet enjeu, mais la polygamie est certainement pratiquée au Canada, ce qui est problématique. Nous le savons, et nous devons continuer de prêter attention à ce problème.
    Je souhaite axer ma question sur les mariages forcés, en particulier ceux mettant en cause des jeunes filles, que nous considérons certainement comme barbares. Une personne née et élevée au Canada pourrait être forcée de contracter un mariage, que cela lui plaise ou non. Si le mariage ne lui plaît pas, la culture des membres de sa nouvelle famille les incite à ridiculiser cette personne jusqu'à ce qu'elle soit rejetée par la famille. Dans de nombreux cas, ces traitements sont accompagnés de violence physique.
    Pouvez-vous nous expliquer comment les modifications proposées dans le projet de loi empêcheront les jeunes filles d'être amenées à l'étranger pour la consécration de telles unions?
    Oui, monsieur.
    Avant de parler de cela, je vais ajouter une précision à propos du conflit entre les lois canadiennes et les lois religieuses. Il y a certainement plus d'un ecclésiastique qui sont de cet avis. C'est le fondement de la loi de la charia et ce que certains des ecclésiastiques cherchent à faire respecter. Nous, les Canadiens, devons bien sûr lutter contre cette mentalité.
    Pour répondre précisément à votre question, je dirais que, comme le projet de loi le propose, des peines sévères seront infligées aux gens qui sortent leurs enfants de leur univers afin de leur imposer des mariages. Je pense que ces peines, telles qu'elles sont présentées dans le projet de loi, aideront certainement notre société.
    J'ai mentionné que, malheureusement, certains des mariages forcés avaient lieu au Canada. Nous avons été témoins, surtout dans la région du Grand Toronto, de situations où des filles et des garçons ne veulent pas se marier, mais où leurs parents, ou leurs tuteurs, parviennent à leur forcer la main, en raison d'interdictions ou d'obstacles culturels.
    Merci. Je suis désolée, mais votre temps de parole est écoulé.
    Madame Mathyssen, vous avez la parole.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
    Je souhaite la bienvenue à nos témoins. Ce projet de loi est évidemment important. Il aborde de nombreuses questions très délicates. Par conséquent, nous vous sommes reconnaissants des connaissances que vous partagez avec nous.
    Je vais commencer par m'adresser à vous, madame Desloges. Plusieurs des renseignements que vous aviez à nous communiquer m'ont vivement intéressée. Cependant, je me demande quelle est la meilleure manière, selon vous, de protéger les victimes. Que recommanderiez-vous que nous fassions pour protéger ces personnes vulnérables?
    Eh bien, comme je l'ai indiqué publiquement auparavant, l'une des lacunes du système d'immigration est que, dans le cas de mariages forcés, par exemple, il y a très peu de freins et de contrepoids dans le processus de parrainage de conjoint pour protéger les femmes. Souvent les conjoints parrainés ne sont pas interviewés. Lorsqu'une entrevue a lieu, elle vise seulement à interroger la personne étrangère. Le parrain canadien qui réside ici n'est jamais questionné. S'il s'avère que ce parrain est contraint de parrainer la personne étrangère, aucune des étapes du processus ne permet de le révéler. Les avocats ne sont pas bien attentifs à découvrir ces faits, et le gouvernement n'interviewe jamais le parrain afin de déterminer s'il agit sous la contrainte.
    Donc, du début à la fin, toutes les étapes peuvent être franchies sans que cette question ne soit jamais abordée. Selon moi, il faut qu'un mécanisme soit intégré dans le processus, que ce soit une entrevue ou un document d'information, afin d'informer de leurs droits non seulement les femmes, mais aussi tous les participants au processus.

  (0925)  

    Merci.
    Vous avez abordé un sujet à propos duquel des préoccupations nous ont été communiquées, à savoir la résidence permanente conditionnelle et le fait que des femmes peuvent être gardées en otage en étant forcées de préserver la relation conjugale pendant au moins deux ans, même si on leur inflige de mauvais traitements et qu'on les terrorise. Pouvez-vous répondre à cette préoccupation?
    Les dispositions actuelles prévoient une exception pour les gens qui font l'objet de mauvais traitements. S'ils peuvent démontrer qu'ils ont été victimes de mauvais traitements — la façon de le démontrer est un peu problématique, mais faites abstraction de cela pour le moment —, ils n'auront pas besoin de respecter la condition relative aux deux années. Il serait probablement bon, selon moi, que l'exemption s'applique aussi aux personnes contraintes à se marier, car on peut avoir été forcé de s'unir à quelqu'un sans avoir nécessairement subi de mauvais traitements. Par conséquent, je crois effectivement qu'il serait judicieux d'intégrer une exception à cet égard.
    D'accord.
    Cela m'amène à poser ma prochaine question concernant les demandeurs et la résidence permanente, ainsi que la nécessité absolue de vérifier et de s'assurer qu'ils se sentent en sécurité s'ils souhaitent témoigner contre quelqu'un qui les a contraints ou qui leur a infligé de mauvais traitements. Prenons-nous suffisamment de mesures pour protéger les femmes et leur permettre de dénoncer ces situations? Sont-elles prisonnières de leurs craintes de la police et de leur peur d'être isolées de leur famille?
    Elles peuvent très bien affronter des obstacles psychologiques ou de véritables craintes de violence physique liés à un témoignage éventuel, mais je pense qu'on pourrait dire la même chose à propos de n'importe quel comportement criminel ou de la violence conjugale. Ce n'est pas une raison pour ne pas appliquer la loi, que ce soit dans un contexte criminel ou dans le cadre d'un processus d'immigration.
    Il est intéressant de constater que les règles du système administratif lié à l'immigration qui régiraient ces genres d'audiences sont très floues, étant donné qu'il s'agit d'un processus administratif et non d'un processus pénal. Par exemple, je n'ai jamais été témoin d'une situation où l'on donnait à la victime l'occasion de témoigner derrière un écran ou de ne pas affronter son agresseur, de la même manière qu'on le fait dans une cour pénale. Ce sont peut-être des mesures que la commission doit envisager de prendre.
    Vous avez dit quelque chose qui m'a donné un peu froid dans le dos, et j'aimerais que vous précisiez votre pensée. Concernant les répercussions que pourrait avoir la loi sur les enfants, vous avez indiqué qu'elle avait réellement le potentiel de séparer les familles. Ensuite, vous avez ajouté que c'était peut-être « l'intention ».
    Est-ce vraiment ce que vous avez voulu dire...?
    J'ai dit cela en pensant aux polygames. Une des façons pour eux de remédier à cela est de divorcer d'une de leurs épouses. Je ne sais pas si c'est une préoccupation majeure, mais je me demande tout de même si cela n'encouragerait pas ces gens-là à séparer leur famille et à se défaire d'une épouse pour se conformer aux règles. Je ne crois pas que ce serait le cas pour les gens vivant outre-mer, mais pour ceux habitant au Canada, peut-être. Qu'arriverait-il aux enfants? Qu'arriverait-il à l'épouse déchue? C'est ce qui me préoccupe.
    Oui, c'est une des répercussions non voulues qui nous préoccupent.
    Je ne voulais pas dire qu'on essayait délibérément de séparer les familles ni rien de ce genre; c'est seulement quelque chose qui me trotte derrière la tête.
    D'accord.
    Vous avez tous abordé la question de la violence contre les femmes. En réalité, la violence n'est pas l'apanage d'un seul groupe; tout le monde peut en être victime. En fait, nous savons que la moitié de toutes les femmes au Canada, peu importe d'où elles viennent, qu'elles soient nées ici ou ailleurs, ont été victimes de violence avant l'âge de 16 ans. Si nous voulons protéger les nouvelles arrivantes, mais aussi toutes les femmes du Canada, avons-nous suffisamment de ressources? Je pense au manque de refuges et de logements abordables, d'endroits où les femmes peuvent se réfugier au besoin, ainsi qu'à la rareté des services de garde pour permettre à ces femmes de retrouver une vie active. J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus.

  (0930)  

    J'appuierais bien sûr toute mesure qui aide les femmes à se sortir de relations abusives et à se protéger elles-mêmes et leurs enfants. Je ne suis pas une spécialiste de la prestation de services sociaux, mais ce que vous dites me paraît logique. Si on promet l'égalité aux femmes et la possibilité de fuir une relation abusive, qu'elle soit polygame ou autre, on doit leur donner les moyens pour le faire, car la sécurité financière est un facteur de taille dans ces décisions.
    Vous parlez des logements, des services de garde, des refuges et de toutes ces choses-là.
    Oui.
    Merci.

[Français]

     Merci, madame Mathyssen.

[Traduction]

    Monsieur McCallum, vous avez la parole.
    Bienvenue aux témoins.
    Je précise d'abord que nous appuyons l'intention globale du projet de loi. Je n'ai jamais adhéré à l'argument voulant que ce genre de chose n'arrive pas assez souvent. Certains points me préoccupent, de même que le titre. Je ne veux pas prendre de mon temps pour poser des questions sur le titre, mais je suis d'avis que le terme « culturel » n'a pas sa place, car ces pratiques se retrouvent dans différentes communautés, cultures ou groupes religieux. Certains groupes, je pense notamment à la communauté musulmane, ont vu le terme « culturel » comme une insulte ou une attaque à leur égard. Certaines communautés l'ont vu de cette façon.
    Si on examine les avantages et les désavantages, l'emploi du terme « culture » est un désavantage, car certains Canadiens pourraient se sentir mis à l'écart ou attaqués par cette expression. C'est un aspect négatif. Je ne vois pas de positif là. Je ne pense pas que ce terme ajoute quoi que ce soit au contenu du projet de loi. Je suis convaincu que ce mot n'a pas sa place ici.
    Pour ce qui est du contenu, d'un côté, je crois qu'on ne va pas assez loin, mais de l'autre, cela me semble trop poussé; ou à tout le moins, certaines choses méritent d'être clarifiées. Premièrement, concernant le mariage à 16 ou 17 ans, je comprends que le consentement des parents est suffisant. Cependant, il se peut que les parents soient complices dans l'organisation d'un mariage forcé, et c'est ce que la loi veut prévenir. J'aimerais donc savoir si la loi pourrait prévoir d'autres conditions outre le consentement des parents — en conjonction avec les provinces, j'imagine — pour éviter les mariages forcés.
    Une des avocates pourrait peut-être répondre à la question.
    C'est un bon point. Dans la législation concernant les agressions sexuelles, la notion de consentement est extrêmement importante. C'est une notion juridique. Il y a tout un critère juridique à appliquer pour déterminer si un consentement éclairé a été donné.
    Je crois que tous les acteurs de notre système juridique et de notre système d'immigration devraient être aux aguets pour s'assurer que si les parents ont donné leur consentement, ils l'ont fait en toute connaissance de cause; tout le monde doit être au courant de ses droits et personne ne doit agir sous la contrainte.
    Je ne sais pas exactement quelles conditions on pourrait établir, mais je pense qu'il est important de définir ce qui constituerait un consentement éclairé dans de telles circonstances.
    D'accord. Je ne suis pas sûr que cela réponde à la question. Y a-t-il moyen de modifier ou de renforcer le projet de loi pour mieux protéger les jeunes de 16 ans qui sont peut-être forcés au mariage avec la complicité de leurs parents? Pourrait-on apporter une modification quelconque?
    D'après moi, le projet de loi codifie très bien l'âge de consentement, en plus de prévoir des ordonnances de bonne conduite. Ce qui complique les cas de violence conjugale, c'est que les gens hésitent à appeler la police, de peur que leurs proches soient envoyés en prison, même s'ils sont violents envers eux. Ils ne veulent pas mêler la justice à tout cela. Ils ne veulent pas aller devant les tribunaux. Les dispositions de la loi permettraient à un juge d'émettre une ordonnance de bonne conduite, qui impose des conditions et des contraintes aux gardiens ou aux parents d'un enfant qu'on force à se marier.
    C'est très important, selon moi. Cela offre une autre solution aux personnes qui veulent de l'aide, mais qui ne veulent pas voir leurs proches être envoyés en prison.

  (0935)  

    D'accord, merci.
    Ma deuxième question porte sur quelque chose que vous avez dit, madame Desloges, soit que les tribunaux n'ont toujours pas défini ce que constituait la polygamie. Vous avez dit qu'un seul cas avait été porté devant la cour. La définition de la polygamie n'est pas claire, et pourtant, nous donnons maintenant au ministère de l'Immigration le pouvoir de déporter des gens pour cause de polygamie. Mais aucune définition claire n'a encore été donnée, selon les normes établies.
    D'après moi, c'est mettre la table pour des zones grises et des abus potentiels. Vous avez dit qu'il fallait tirer un trait...
    Monsieur McCallum, votre temps est écoulé. Je suis désolée. Nous ne pourrons pas entendre la réponse.
    Monsieur Leung, la parole est à vous.
    Merci, madame la présidente.
    Merci aux témoins.
    Permettez-moi d'aborder la question du titre abrégé du projet de loi sous un autre angle. La sémantique, c'est important, car elle permet d'exprimer une grande problématique en peu de mots. Je reconnais toutefois que les mots peuvent être interprétés différemment par différentes personnes. Laissez-moi reprendre l'interprétation qu'en fait l'opposition.
    L'opposition croit que le titre abrégé du projet de loi est raciste. C'est un terme lourd de sens dans notre culture et notre société.
    J'aimerais citer le ministre du Multiculturalisme, qui a très bien expliqué notre position devant la Chambre des communes. Il a dit ceci, et avec raison:
    Monsieur le Président, l'adjectif « culturelles » dans le titre abrégé ne renvoie pas à une culture en particulier. De toute évidence, nombre de différentes cultures sont aux prises avec plusieurs des problèmes qui nous préoccupent.

    Plusieurs personnes accusées de ces pratiques horribles et barbares expliquent à la cour que c'est leur culture qui commande leur façon de traiter leur femme et leurs filles. Il est donc important de qualifier ces pratiques.

     Cette question est posée par le Parti libéral, dont le chef ne veut pas qualifier ces pratiques de barbares. Nous n'irons pas par quatre chemins: ce sont des pratiques culturelles barbares et elles n'ont pas leur place au Canada.
    En commençant par M. Gora, pourriez-vous s'il vous plaît nous donner vos impressions sur les termes employés par le ministre du Multiculturalisme dans ce commentaire?
    Je crois personnellement qu'appeler un chat un chat ne devrait poser aucun problème dans une société libre.
    Je suis né et j'ai grandi dans une famille musulmane et dans une culture musulmane sud-asiatique. Il faut tout d'abord définir la culture. Lorsqu'on me demande qui je suis, je réponds que je suis un Pendjabi de l'Asie du Sud, né au Pakistan, et que ma religion est l'islam. Tous ces volets font partie de moi.
    Permettez-moi de vous dire bien franchement que toutes les cultures ne sont malheureusement pas équivalentes. La question n'est pas de comparer les cultures, mais plutôt de déterminer des valeurs fondamentales humaines. Les cultures qui acceptent la polygamie et les mariages forcés devraient être dénoncées et pointées du doigt. Voilà ce que signifie vivre au 21e siècle dans notre région du monde. Nous devrions avoir le courage de dénoncer les pratiques culturelles barbares.
    Maître Desloges.
    J'aurais moi aussi tendance à penser que le mot « culture » est vague. Je doute qu'il cible automatiquement une culture donnée. Si les gens veulent s'offusquer, il faut reconnaître qu'ils vont trouver une façon de le faire.
    Ce que je trouve intéressant à propos de la polygamie au Canada, c'est que l'affaire en droit criminel ne portait pas sur des musulmans, mais plutôt sur des mormons américains. Voilà le groupe culturel auquel ils appartenaient. Le mot ne cible donc aucun groupe en particulier.
    Comme je l'ai dit, je n'aime pas trop les exagérations d'entrée de jeu, mais je ne trouve pas les mots du titre abrégé plus insultants qu'autre chose.

  (0940)  

    Maître Marshall.
    Vous savez, il y a 33 ans, des gens étaient choqués qu'on parle de « viol » dans le cas de relations sexuelles non consensuelles entre des personnes mariées. Certains s'en offusquaient. Il y a maintenant des gens choqués que la violence pour des motifs d'honneur soit considérée comme une pratique culturelle barbare, alors qu'elle est légale dans certaines régions du monde, selon la culture et les coutumes. Des gens en sont offensés. Dans 32 ans, je pense que nous allons repenser à ces personnes avec consternation.
    C'est exactement ce que je veux dire. J'ai été secrétaire parlementaire pour le Multiculturalisme au cours des trois dernières années. Un des messages que je transmets sur la place publique, c'est qu'en tant que Canadiens, nous travaillons à l'unisson pour défendre nos valeurs communes. Quelles sont-elles, au juste? Elles s'inspirent de la culture des nombreux groupes et sociétés qui viennent s'installer au Canada, pour autant que ces valeurs communes permettent de définir ce qui fait de nous des Canadiens au 21e siècle. En revanche, d'autres pratiques qui n'ont vraiment rien à voir avec notre culture, surtout celles qui provoquent des lésions corporelles ou un dysfonctionnement au sein de la société ou de la famille, n'ont pas leur place au Canada. Voilà comment nous voulons bâtir la société canadienne.
    Permettez-moi de poser une autre question. Comme il a été dit, notre gouvernement ne tolérera aucune tradition culturelle au Canada qui prive quiconque de ses droits fondamentaux. Je parle notamment des mariages précoces et forcés, des crimes d'honneur, de l'inceste et de la polygamie. Nous sommes d'avis qu'asservir les femmes ou les jeunes filles à ces gestes est bel et bien barbare.
    Convenez-vous que ces gestes sont barbares et doivent être criminalisés? En ce qui concerne la définition du mot « barbare », croyez-vous que ce soit le terme approprié dans ce cas-ci?
    Monsieur Gora.
    Je crois bel et bien que nous devons appuyer le projet de loi afin de lutter contre toutes les pratiques condamnables qui y sont mentionnées, comme la polygamie et les mariages forcés.
    Considérez-vous que ces pratiques sont barbares au 21e siècle?
    Tout à fait.
    Maître Desloges.
    Oui, je conviens tout à fait que ces pratiques sont barbares et que nous ne devrions pas craindre d'employer ce mot.
    Je suis d'accord sur ce que ma consoeur, Me Marshall, a dit tout à l'heure. Lorsque nous évoquons des questions, les mots que nous employons sont importants. Je ne crois pas que le terme ait sa place dans le titre du projet de loi, mais je pense qu'il est acceptable de façon générale.
    Maître Marshall.
    Au fil de notre histoire, la loi a joué un rôle de premier plan dans la définition des mauvais traitements envers les femmes et des pratiques qui sont inacceptables socialement et moralement. Les mots sont bel et bien importants. Si nous n'osons pas appeler ces pratiques haineuses, inhumaines et terribles par leur nom devant la Chambre des communes, comment pouvons-nous espérer que la société les dénonce elle aussi et affirme qu'elles sont inacceptables? Nous devons donner l'exemple, dénoncer ces pratiques et les appeler par leur nom.
    Nous ne devons pas avoir peur de le faire, à l'instar de Margaret Mitchell, la députée du NPD qui s'était levée à la Chambre des communes il y a 33 ans pour dire que les relations sexuelles non consensuelles entre des personnes mariées constituent un viol. Les gens se sont moqués d'elle.
    Merci beaucoup. Le temps est écoulé.
    Je remercie infiniment tous les témoins d'avoir été avec nous aujourd'hui.
    Nous allons maintenant suspendre nos travaux pour laisser les prochains témoins prendre place.

  (0940)  


  (0945)  

[Français]

     À l'ordre, s'il vous plaît.
    Nous reprenons la séance du Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration, qui porte sur l'étude du projet de loi S-7. Je remercie les témoins qui ont répondu à notre invitation.

[Traduction]

    Nous recevons maintenant Salma Siddiqui, présidente de la Coalition of Progressive Canadian Muslim Organizations. Merci d'être avec nous.
    Nous accueillons également Rupaleem Bhuyan, professeure de la Faculté de service social de l'Université de Toronto, qui témoigne à titre personnel. Madame Bhuyan, je vous remercie d'être avec nous aujourd'hui.
    Je vois que le troisième témoin vient d'arriver. Lee Marsh est la présidente de Advocates for Awareness of Watchtower Abuses. Merci d'être ici.
    Vous avez huit minutes chacune pour nous présenter votre déclaration liminaire.
    Madame Siddiqui, la parole est à vous.
    Mesdames et messieurs les parlementaires de la Chambre des communes, chers collègues, bonjour. Je vous remercie de me laisser vous donner mon point de vue. Je suis ici à titre de présidente de la Coalition of Progressive Canadian Muslim Organizations, et à titre de femme immigrante.
    La décision du gouvernement canadien de déposer un projet de loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares est la bonne et devrait être saluée. Les femmes ont été opprimées trop longtemps par la polygamie et les mariages forcés.
    Je vais m'éloigner de mes notes d'allocution. J'ai entendu la discussion au sujet du mot « barbare » avec les témoins précédents. Je pense que nous sommes bloqués sur ce mot. Nous devrions plutôt nous attarder à ce qui se passe exactement et laisser tomber ce mot. Je suis une Canadienne musulmane, et j'ai une idée là-dessus. Je pense que c'est ce que c'est, et que nous devrions passer à autre chose. Je tenais donc à ajouter ce point.
    Les détracteurs du projet de loi croient que le texte revient à traiter certaines communautés de barbares. C'est pourtant loin d'être le cas. Le fait est qu'une culture est la somme de différentes normes et pratiques. Les cultures ne sont pas statiques, et elles évoluent. D'ailleurs, rejeter les injustices commises contre d'autres adeptes de la culture devrait être un signe d'évolution. En effet, les cultures comme la nôtre se sont efforcées au fil du temps de mettre les femmes sur un pied d'égalité avec leurs homologues masculins et d'éliminer la discrimination.
    Quelle personne sensée peut appuyer la coercition et les crimes d'honneur? Le projet de loi S-7 contient un certain nombre d'éléments judicieux auxquels tous les Canadiens devraient souscrire. Il est très raisonnable d'interdire explicitement les mariages forcés, et de préciser la pratique provinciale générale en fixant l'âge minimum du mariage à 16 ans. Les dispositions qui rendent illégal le fait d'emmener un enfant de moins de 16 ans à l'étranger pour un mariage vont certainement contribuer à prévenir la traite de jeunes femmes sans défense. Les détracteurs affirment que ces dispositions ciblent la communauté musulmane, mais permettez-moi de rappeler au comité que les mariages forcés, les crimes d'honneur et de la traite de personnes ne sont pas exclusifs à cette communauté.
    En abordant la question de la polygamie, le gouvernement harmonise les règles et les normes au droit interne à l'intention de ceux qui choisissent de venir au Canada. En effet, il existe suffisamment de preuves anecdotiques pour que nous sachions que certains immigrants récents pratiquent la polygamie. Les cas de polygamie au sein de la communauté mormone sont déjà sous surveillance. Plutôt que d'être sur la défensive ou de se confondre en excuses, la communauté musulmane au Canada doit dénoncer la polygamie en respectant la tradition d'indépendance d'esprit propre à l'islam.
    En nous pliant aux désirs des extrémistes et aux idées rétrogrades des communautés d'immigrants dans le but de marquer des points sur le plan politique, nous risquons d'affaiblir la structure même de la société canadienne et de détériorer les valeurs de justice et de liberté que le pays est arrivé à incarner. Le projet de loi vise vraiment à protéger les femmes et devrait être accueilli favorablement. Les gens qui viennent au Canada doivent respecter nos valeurs. Ils doivent mettre de côté leur perception antérieure des femmes. Dans notre pays, les hommes et les femmes sont égaux aux yeux de la loi et au sein de la société.
    Merci.

  (0950)  

    Merci, madame Siddiqui.
    Madame Bhuyan, vous avez la parole.
    Pour commencer, veuillez m'excuser si je commence à tousser, car je suis en train de me remettre d'un rhume.
    Je tiens à remercier le comité de me donner l'occasion de commenter le projet de loi S-7. Je m'appelle Rupaleem Bhuyan, et je suis professeure en travail social à l'Université de Toronto. Je suis aussi une chercheuse principale du Migrant Mothers Project, qui a été fondé en 2011 dans le but d'évaluer l'incidence des modifications apportées aux politiques d'immigration sur la sécurité et le bien-être des immigrants qui sont victimes de violence fondée sur le sexe. Au cours des 15 dernières années, j'ai lutté contre la violence envers les femmes à titre de conseillère, d'enseignante publique, et maintenant de chercheuse.
    J'aimerais aujourd'hui m'attarder au titre du projet de loi, à la façon dont le texte criminalise le mariage forcé et précoce, et aux répercussions qu'il aurait sur les immigrants victimes de violence familiale.
    Pour commencer, j'abonde dans le même sens que les remarques qui ont été faites pendant les délibérations sénatoriales à propos du sous-entendu raciste de l'expression « pratiques culturelles barbares ». En tant que chercheuse qui lutte contre la violence familiale et les agressions sexuelles, je peux vous dire qu'on retrouve la violence envers les femmes et les enfants dans toutes les cultures, dans tous les groupes et dans toutes les sociétés, et que des valeurs culturelles sont la plupart du temps invoquées pour justifier les mauvais traitements infligés. J'aurais voulu pouvoir affirmer avec assurance que cette violence est contraire aux valeurs canadiennes, mais il suffit de s'attarder à la fréquence des viols, des agressions sexuelles, du harcèlement, de la violence conjugale et des homicides — surtout par un conjoint ou ancien conjoint de sexe masculin à l'égard d'une femme — pour constater qu'il s'agit bel et bien d'un problème au Canada. Je recommande fortement au comité de supprimer l'expression « pratiques culturelles barbares » du projet de loi. Je trouve qu'elle induit les Canadiens en erreur sur la nature des graves problèmes que le projet de loi cherche à résoudre. Je vous invite plutôt à recentrer l'attention sur la promotion de l'égalité des sexes.
    En ce qui concerne la façon dont le projet de loi S-7 criminalise les gens qui concluent un mariage forcé ou précoce, je suis d'accord avec ceux qui considèrent le mariage forcé comme une forme de violence familiale, qui nécessite une attention particulière et une intervention multipartite sur les plans de la prévention et de l'aide aux victimes. Par mariage forcé, on entend un mariage qui est conclu sans le consentement libre et complet des deux parties. L'absence d'un tel consentement peut prendre diverses formes et comporter une série de comportements coercitifs, menaçants et violents.
    Je préviens toutefois le comité qu'il ne doit pas laisser entendre que les mariages forcés sont uniquement attribuables à une pratique culturelle. Dans les cas des mariages forcés, les pratiques culturelles n'ont pas plus d'importance que lorsqu'un journaliste de télévision très connu harcèle et agresse sexuellement ses collègues, ou qu'un député se sert de son pouvoir pour harceler sexuellement des membres du personnel en toute impunité. Dans tous ces cas, les collègues et les membres de la collectivité qui sont au courant du comportement abusif, mais qui gardent le silence, sont des complices. Dans chaque exemple, les normes culturelles et les pratiques sociales donnent aux coupables les outils dont ils ont besoin pour contrôler, manipuler et faire taire leurs victimes.
    Je pense qu'il est important de répéter ce qu'a dit Mme Deepa Mattoo, de la South Asian Legal Clinic of Ontario, lorsqu'elle a témoigné devant le Sénat. En fait, le Canada dispose actuellement de plusieurs sanctions pénales pour les gestes scandaleux qui sont commis dans les cas de mariage forcé. Les actes d'enlèvement, d'agression et de séquestration sont déjà prévus au Code criminel, et ces infractions peuvent être invoquées dans les cas de mariage forcé — et elles le sont.
    Le projet de loi S-7 ratisse très large en criminalisant les individus qui ont conclu un mariage forcé, mais qui n'ont peut-être pas commis d'actes de violence tels qu'un enlèvement, une agression ou une séquestration. Aux termes du projet de loi, il est difficile de voir comment le mariage forcé sera défini et qui sera criminalisé. En outre, comme le témoin précédent l'a indiqué, l'incidence des dispositions sur les jeunes pourrait être injuste. Je recommande donc la suppression des articles 293.1 et 293.2 qui sont proposés à l'article 9 du projet de loi, puisqu'ils créent des infractions punissables par mise en accusation pour quiconque célèbre un mariage forcé ou précoce ou y participe.
    Les dispositions n'offrent pas non plus aux victimes éventuelles la possibilité d'opter pour une protection civile. Je crois que Mme Siddiqui a dit devant le Sénat que la protection civile permettrait à une jeune femme qui vit peut-être chez ses parents d'obtenir une protection juridique afin d'éviter un mariage forcé tout en restant chez ses parents. Le fait de criminaliser les parents ou les membres de la famille qui participent au mariage forcé pourrait avoir une incidence négative sur la jeune fille. La voie de la protection civile pourrait ressembler à celle des services de protection de l'enfance, qui font enquête et veillent à ce que les parents ne fassent pas preuve de mauvais traitement ou de négligence à l'égard de l'enfant, tout en mettant l'accent sur l'intérêt supérieur de l'enfant. J'encourage le comité à envisager des options et à collaborer avec les provinces afin de permettre la protection civile, de sorte que les jeunes qui sont contraints de se marier ou menacés puissent y avoir recours pour empêcher le mariage.

  (0955)  

    Mes derniers commentaires portent sur les répercussions qu'aurait le projet de loi sur les immigrants victimes de violence familiale. Même si les débats tenus au Sénat laissent entendre que le projet de loi ne porte pas sur l'immigration, le débat à la Chambre des communes a démontré le contraire. Je suis particulièrement préoccupée par la façon dont le projet de loi permettra d'accroître les pouvoirs discrétionnaires des agents de l'immigration de déclarer inadmissible quiconque serait considéré comme pratiquant la polygamie. Le seuil peu élevé du fardeau de la preuve pourrait mener à la discrimination raciale à l'égard des immigrants de certaines régions du monde qui sont considérés comme indésirables. Cette disposition mettrait aussi les femmes d'hommes polygames à risque d'être expulsées ou d'être séparées de leurs enfants.
    L'accent mis sur le mariage forcé et la polygamie dans le projet de loi S-7 ne peut être séparé des nombreuses contraintes et conditions mises en place par ce gouvernement pour les candidats à l'immigration au Canada à titre d'époux ou de conjoint de fait. Dans le contexte général, nous avons vu des mariages faire l'objet d'un examen dans le cadre d'enquêtes pour fraude, l'adoption de nouveaux statuts conditionnels pour les nouveaux époux et conjoints de fait et l'interdiction récente des mariages par procuration.
    Dans le cadre de mes recherches, j'ai trouvé de nombreux exemples de cas où des conjoints violents invoquaient les conditions liées au statut d'immigrant pour menacer et contrôler un époux ou un enfant. J'exhorte le comité à réfléchir aux répercussions de la création de nouveaux mécanismes qui permettront aux conjoints violents de tenir littéralement leurs victimes en otage grâce aux lois sur l'immigration.
    Commençons à voir les effets de la résidence permanente conditionnelle mise en place en octobre 2012. Au cours des 18 premiers mois, d'après les données que j'ai reçues de Citoyenneté et Immigration Canada, près du quart des époux et des conjoints de fait parrainés se sont vus accorder un statut conditionnel. Pendant cette période, CIC n'a reçu que 12 demandes d'exemption de la part de femmes pour des motifs de violence et de négligence. Seulement quatre de ces demandes ont été acceptées.
    Je trouve que ce chiffre est très bas. Dans le cadre de mon travail auprès d'organismes communautaires en Ontario et de ma participation à la nouvelle étude que nous menons en Alberta, je constate qu'il y a une grande différence par rapport au nombre de personnes qui demandent à être protégées pendant leur période de résidence permanente conditionnelle. Il s'agit d'un exemple d'une situation où une politique d'immigration oblige les femmes à demeurer dans une relation de violence.
    Je ne sais pas si des personnes en situation de mariage forcé se sont vues accorder la résidence permanente conditionnelle. Je suis convaincue que la criminalisation du mariage forcé prévue dans le projet de loi pourrait obliger les femmes qui ont un statut conditionnel de signaler le mariage forcé aux services de police, en guise de preuve, pour avoir droit à l'exemption. Je crois que cela augmente considérablement les obstacles au signalement des cas de violence. Il est très probable que les personnes en situation de mariage forcé craindront que signaler la violence dont elles sont victimes leur fasse perdre leur statut immigration.
    Lorsque les femmes doivent choisir entre leur droit de demeurer au Canada et celui d'être à l'abri de la violence, nous créons un contexte dangereux, un contexte qui porte atteinte aux droits les plus élémentaires des personnes qui vivent au Canada.
    Je recommande l'élimination de la résidence permanente conditionnelle ou, pour les femmes victimes de violence — y compris celles qui sont en situation de mariage forcé ou dans une relation polygame —, la mise en place d'un mécanisme qui n'exigera pas le consentement ou la consultation de leur parrain. Cela permettrait de faciliter l'obtention de la résidence permanente sans qu'elles soient davantage exposées à la violence dans leurs relations.
    Je recommanderais aussi au comité d'envisager la création d'une unité spéciale au sein de Citoyenneté et Immigration Canada. Les parrains peuvent avoir recours à diverses formes de violence, et j'aimerais que le comité se penche sur cet aspect précis.
    Merci beaucoup.

  (1000)  

    Merci beaucoup, madame Bhuyan.
    Madame Marsh, la parole est à vous.
    Je m’appelle Lee Marsh. J’ai 62 ans et jusqu'à tout récemment, j'ai porté un secret de famille durant 45 ans.
    En 1970, ma mère a arrangé pour moi un mariage avec un homme que je ne voulais pas épouser. J’ai parlé de cette affaire récemment dans un numéro du magazine Maclean's, et c’est ainsi que j’ai été invitée ici aujourd’hui.
    Quand j’avais 17 ans, ma mère, membre des Témoins de Jéhovah, a décidé que je devais me marier. Pendant plusieurs mois, elle m’a conduit d’une congrégation à une autre pour me trouver un époux parmi les Témoins de Jéhovah. Elle avait deux critères: il devait accepter de m’épouser et il devait être membre des Témoins de Jéhovah. Plusieurs des hommes que nous avons rencontrés avaient 10 ou 20 ans de plus que moi, ou davantage. Elle a vite découvert que ces hommes étaient célibataires parce qu’ils avaient des troubles de santé mentale. Elle est donc passée au prochain candidat possible sur sa liste.
    À cette époque, un jeune homme assistait au petit groupe d’étude biblique qui se réunissait chaque semaine dans notre appartement. Après la rencontre, ma mère tentait de le convaincre que cette religion était la « bonne ». Avec le temps, elle m’a laissée seule pendant que je lui enseignais les croyances. J’ai eu 18 ans à la mi-juin. Deux semaines plus tard, ma mère est entrée dans la cuisine où nous discutions d’une question biblique qu’il avait posée. Elle lui a dit : « Si tu dois continuer de venir ici, vous deux devez vous marier. » Puis, elle est sortie de la pièce. J’étais sous le choc. Je ne savais pas quoi dire.
    Il m’a regardé et a dit: « Qu’en penses-tu? » J'avais trop peur pour refuser. J'ai fait ce que ma mère attendait de moi. Ma mère, qui écoutait, est revenue et a commencé à ébaucher des projets de mariage. Il n’était pas encore baptisé en tant que Témoin de Jéhovah. Elle l’a donc pressé d’appeler un des aînés et de lui demander s’il pouvait se faire baptiser quatre semaines plus tard. Ma mère a déclaré que nous pourrions nous marier la semaine suivante.
    Ma mère s’est occupée de tous les préparatifs, a veillé à tous les détails. Quelqu’un a demandé depuis quand nous nous fréquentions. Les Témoins de Jéhovah ne se fréquentent pas; ils peuvent seulement épouser d’autres témoins. Ils sont censés savoir qui leur plaît et commencer à parler à cette personne, et décider s’ils veulent se marier. Lorsque les parents ou les aînés voient les deux jeunes se parler, ils se disent qu’ils doivent en faire un couple. Ils commencent ensuite à les presser de se marier.
    Mais j'étais là, devant une personne qui me demandait depuis quand nous nous fréquentions, et je ne savais quoi répondre. Nous n’avions pas fait de sortie ensemble. Ma mère a donc décidé que nous devions faire une sortie pendant la période de cinq semaines entre la proposition et la date du mariage. Elle a organisé une sortie au cinéma en compagnie d’un de mes frères qui nous servirait de chaperon parce que nous n’avions pas le droit d’être seuls.
    Je connaissais ce jeune homme depuis six mois, et nous n’avions jamais eu de conversation personnelle. Je ne connaissais presque rien de lui, et il ne savait presque rien à mon sujet, à part ce qu’il voyait quand il venait chez nous. Ainsi, en l’espace de cinq semaines, ma mère a fait une proposition de mariage, l’a poussé à se faire baptiser, m’a lancée dans des préparatifs de mariage, puis nous nous sommes mariés.
    Vous pourriez me demander pourquoi je l'ai fait. Je voulais rompre, parce que je ne voulais absolument pas le marier, mais je n’osais pas pour deux raisons importantes.
    La première est la peur de ma mère. Les Témoins de Jéhovah croient aux punitions corporelles. Dans le cas de ma mère, elle employait une lanière de cuir. Nous y avons tous goûté. La dernière fois qu’elle m’a battue, c’était peu avant cette proposition. J’avais encore 17 ans. Dire non à ma mère: je n’y pensais même pas. Je ne lui disais jamais non pour quoi que ce soit.
    La deuxième est la peur des aînés de la congrégation. Une fois que deux Témoins de Jéhovah sont fiancés, on les considère comme s’ils étaient mariés, sauf pour ce qui est de cohabiter et d’avoir des relations sexuelles. Rompre des fiançailles, c’est tellement grave qu’une personne peut s’exposer à des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’à l’expulsion ou à l’excommunication.

  (1005)  

    Plus encore que la peur, il faut compter avec l’influence indue. Dans chacun des récits que vous entendrez, la question de l’influence indue deviendra de plus en plus apparente. L’influence indue a pour effet de remplacer les processus mentaux normaux et sains d’une personne par les pensées et sentiments du dirigeant du groupe. On n’encourage pas les individus à devenir autonomes ni à apprendre à réfléchir par eux-mêmes. On leur enseigne à obéir systématiquement aux dirigeants ou à leurs parents. Les dirigeants décident de ce que doivent faire leurs subalternes, des informations qu'ils reçoivent, de ce qu’ils doivent penser ou croire, et même de ce qu’ils doivent ressentir. Je crois que l’influence indue est au coeur de la plupart des mariages arrangés.
    Bien que mon cas soit extrême, même parmi les Témoins de Jéhovah, j’ai sondé d’autres anciens Témoins de Jéhovah. Parmi eux, 37 ont dit qu’ils s’étaient sentis poussés à contracter un mariage hâtif qu’ils ne désiraient pas ou pour lequel ils n’étaient pas prêts. Un homme a dit que parce qu’il était gai, ses parents croyaient que le fait d’être marié à une femme et d’avoir des relations sexuelles avec elle le guérirait de son état. Ils l’ont donc obligé à se marier. La plupart des femmes ont dit qu’on les avait pressées de se marier parce qu’on les avait vues parler à un garçon. C’était suffisant pour que les parents et les aînés commencent à les questionner sur leurs intentions de mariage et exercent des pressions en ce sens. Presque tous avaient été mariés avant d’avoir 19 ans, certains dès l’âge de 16 ans.
    Dans presque tous les groupes fermés qui exigent que leurs membres se marient entre eux seulement, une influence indue est exercée pour imposer à ces enfants un mariage dont ils ne veulent pas, mais qu’ils ne peuvent pas empêcher. Les mariages arrangés ne concernent pas seulement les immigrants qui arrivent au pays avec leurs propres coutumes. Un côté de ma famille, d’origine française, habite au Canada depuis 16 générations. L’autre côté de ma famille vient du Royaume-Uni et est établi au Canada depuis quatre générations.
    De nombreuses religions orthodoxes et fondamentalistes limitent ainsi les contacts des enfants à l’extérieur de la communauté et encouragent les mariages à un jeune âge à l’intérieur du groupe seulement, ce qui sert à les maintenir au sein du groupe. Ces enjeux concernent tous les Canadiens, même ceux qui ont vécu toute leur vie au Canada et dont la famille ne serait pas considérée comme étant immigrante.
    Merci.
    Merci beaucoup de votre témoignage, madame Marsh.
    Nous passons maintenant aux questions des députés, en commençant par M. Shory.
    Merci, madame la présidente.
    Je remercie les témoins d'être ici aujourd'hui.
    Tous les témoins présents ce matin ont des points de vue très clairs, mais j'aimerais particulièrement vous remercier, madame Marsh, de vous être manifestée. J'ai lu votre histoire dans le magazine Maclean's. Merci beaucoup d'être venue témoigner ce matin. Il était intéressant de vous entendre parler de votre expérience, et ce, pour plus d'une raison, je dirais. L'opposition estime que le titre abrégé est quelque peu raciste, mais votre histoire est la preuve — du moins selon mon point de vue — que ces actes préjudiciables sont transculturels et ne se limitent pas à une nationalité ou une religion. Donc, merci encore une fois de nous avoir raconté votre histoire.
    Madame Marsh, vous êtes présidente de l'association appelée Advocates for Awareness of Watchtower Abuses. Pourriez-vous nous décrire de façon précise les activités de votre organisme et nous dire si, selon vous, le projet de loi permettra d'aider les victimes de violence fondée sur le sexe?

  (1010)  

    Notre organisme est un organisme à caractère éducatif qui vise à régler cinq enjeux liés aux droits fondamentaux de la personne. Le premier est le manque d'accès aux études postsecondaires pour les jeunes Témoins de Jéhovah. Le deuxième est la violence familiale non signalée. Les témoins encouragent les femmes à demeurer avec leur agresseur. Le troisième est la violence physique et sexuelle à l'égard des enfants qui, encore une fois, n'est pas signalée à la police, et on s'emploie même à cacher cette information aux autres membres de la congrégation. Un important problème que la plupart des gens connaissent au sujet des Témoins de Jéhovah est celui des transfusions sanguines, et certains mineurs matures sont contraints ou indûment influencés à refuser une transfusion sanguine lorsqu'ils en ont besoin. Le dernier est la politique d'exclusion, qui est étroitement liée à l'excommunication, aussi appelée disfellowshipping, où même les membres de votre famille n'ont pas le droit de vous adresser la parole.
    Ce sont les cinq enjeux. Notre objectif est d'informer le public, les médias et les politiciens sur ces sujets.
    Aimeriez-vous faire un commentaire au sujet du projet de loi et nous dire si, à votre avis, le projet de loi aiderait à régler ces problèmes?
    Avoir su que ce que ma mère faisait était illégal, je me serais peut-être sentie plus capable de refuser. Cela m'aurait donné une raison de dire: « Mais tu ne peux pas faire ça. C'est illégal. » Ce n'est pas que les témoins prêtent vraiment attention à la loi lorsqu'ils veulent quelque chose, mais cela aurait pu m'aider. Je suis certaine que si ma mère avait su que c'était illégal, elle n'aurait peut-être pas été aussi pressée de s'organiser pour que j'aille vivre ailleurs.
    Je pense qu'à lui seul, un projet de loi ne suffit pas. Nous devons être capables de trouver des façons d'informer les enfants et les jeunes de leurs droits humains. Je considère que c'est quelque chose qu'il faut enseigner dans les écoles. Si nous avons un projet de loi, alors nous devons avoir la capacité d'offrir dans les écoles des cours pour renseigner ces jeunes sur ce qui est légal, sur ce qui est illégal et sur leurs droits.
    Merci. En fait, vous avez aussi répondu à ma deuxième question, qui aurait porté sur la façon de communiquer avec les enfants.
    Madame Salma Siddiqui, c'est un plaisir de vous voir à nouveau. J'aimerais avoir vos commentaires sur l'utilisation de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés pour régler le problème de la polygamie. Le gouvernement uniformise les règles pour les immigrants et les Canadiens. J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Je suis un immigrant. Je suis arrivé au Canada il y a environ 25 ans. En quoi est-il important que les immigrants, les nouveaux arrivants, comprennent que ces valeurs ne sont pas les bienvenues au Canada?

  (1015)  

    Je pense que beaucoup de communautés n'accordent pas d'importance à la primauté du droit, qui s'applique à tous. Le témoignage que nous avons entendu au sujet des Témoins de Jéhovah prouve que ce genre de choses ne sont pas propres à une culture et à une religion.
    Par exemple, je suis musulmane et je peux vous parler de l'islam et de mes croyances. La loi de la charia est appliquée officieusement, ou même officiellement, en réalité, et c'est ce qui permet que ces mariages polygames aient lieu.
    Il nous faut une loi. Nous sommes au Canada et nous devons avoir des règles très strictes à cet égard. Voilà ce que je préconise.
    Certains opposants au projet de loi l’accusent de montrer du doigt certaines religions et leurs pratiques. Vous avez mentionné être musulmane, et le gouvernement sait qu’il y a une distinction entre une pratique religieuse et une pratique culturelle.
    Convenez-vous que les Canadiens ordinaires méritent d’être protégés contre des pratiques barbares, et ce, indépendamment de la religion majoritaire du pays d’origine des gens?
    Soyez très brève, s’il vous plaît. Vous n’avez que quelques secondes pour répondre.
    Je ne crois pas que le projet de loi vise un groupe en particulier. Nous sommes au Canada et nous devons vivre comme des Canadiens. Tout le monde doit l’accepter.
    Monsieur Sandhu, vous avez la parole.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
    Merci aux témoins de leur présence ce matin.
    Merci, madame Marsh, de nous avoir raconté votre histoire personnelle.
    Madame Bhuyan, lors d’une discussion ou d’une entrevue sur les ondes de la CBC, vous avez dit que la Loi sur les pratiques culturelles barbares était un écran de fumée pour augmenter les contrôles en matière d’immigration. Pourriez-vous nous expliquer ce que vous entendiez par cela?
    Certainement. Je crois que le projet de loi modifie bon nombre de secteurs du droit, et je suis attentive aux modifications apportées à la Loi sur l’immigration. Au cours des cinq dernières années, il y a eu des dizaines de modifications qui ont restreint les droits des immigrants, des résidents temporaires, des résidents permanents et des citoyens. À mon avis, la possible criminalisation du mariage forcé pourrait rendre une personne passible d’expulsion. Si une personne qui a le statut de résident permanent conditionnel est impliquée dans un mariage forcé, elle peut perdre son statut si elle cherche à obtenir de l’aide. Cela vaut pour toute forme de violence, y compris les mariages forcés. Si une personne quitte la résidence conjugale ou sort de la relation conjugale, elle risque de perdre son statut.
    De plus, les condamnations liées à un mariage forcé ou précoce peuvent servir de prétexte pour expulser une personne. Il y a plusieurs années, le projet de loi omnibus sur la criminalité a fait en sorte de rendre passible d’expulsion quiconque est condamné à au moins six mois de prison. Cela permet davantage au gouvernement canadien d’expulser des gens en fonction de leurs infractions criminelles, et cela rend plus vulnérables divers groupes d’immigrants.
    Je crois que les dispositions sur la polygamie, qui interdisent de territoire certains groupes, sont particulièrement inquiétantes. Les pouvoirs discrétionnaires élargis des agents d’immigration qui peuvent avoir l’impression qu’une personne pratique la polygamie sont très vastes. Je crois qu’un témoin précédent a mentionné que la définition d’une relation polygame n’est pas très précise. C’est également un élément dont nous devons tenir compte. Considérons-nous qu’une personne qui a plusieurs maîtresses pratique une forme de polygamie? Est-il question de personnes qui ont des relations au sens propre? En vertu du droit canadien, vous avez bien entendu le droit d’être marié avec une seule personne, mais beaucoup de personnes au Canada ont plusieurs partenaires. Bref, comment le gouvernement canadien définit-il une relation polygame en tenant compte des relations et des pratiques sexuelles très diverses? Retirer le statut d’immigrant à une personne ou l’interdire de territoire... Je crois que ces pouvoirs sont trop vastes.
    Mme Siddiqui a dit il y a quelques instants que les mêmes lois s’appliquent à tous les Canadiens. Je présume que cela concerne les résidents permanents ou les immigrants au pays.
    Madame Bhuyan, les modifications proposées à la Loi sur l’immigration en ce qui a trait à la polygamie et aux crimes d’honneur visent-elles les immigrants? Résisteraient-elles à une contestation en vertu de la Charte? Qu’en pensez-vous?

  (1020)  

    À titre de précision, parlez-vous précisément des dispositions sur la polygamie?
    Oui.
    Eh bien, selon ce que j’en comprends, cela permet aux agents d’immigration d’interdire de territoire certains groupes. Cela n’aurait donc aucune incidence sur les citoyens. Il est bien entendu possible de faire de fausses déclarations. Les immigrants qui sont des résidents temporaires ou permanents et les gens qui présentent une demande pour l’une ou l’autre de ces catégories sont les groupes ciblés par les modifications proposées à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.
    Je crois que nous devrions également prêter attention aux belles paroles du ministre Chris Alexander. À mon avis, la manière dont le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration pourrait mettre en oeuvre les dispositions est l’équivalent de dire que certains pays sont moins désirables. Je crois que nous en sommes témoins dans les délais de traitement des demandes de parrainage. Si vous parrainez un partenaire ou une conjointe qui se trouve dans un pays qui est perçu comme moins désirable, les délais de traitement sont beaucoup plus longs et atteignent de deux à trois ans. Je crois qu’il y a une certaine culture de profilage concernant certains groupes qui sont considérés comme valant plus ou moins la peine. La surveillance quant aux mariages frauduleux va certainement dans la même veine. Je crois que cela ajouterait à cette surveillance.
    Dans votre exposé, vous avez parlé des modifications qui sont entrées en vigueur en octobre 2012 et de leurs conséquences sur les conjointes, à savoir qu’elles ne sont pas capables d’obtenir leur résidence permanente lorsqu’elles ont un statut conditionnel. Quelles en sont les conséquences dans le cas d’une relation de violence?
    Je me dois de souligner qu’avant 2012 il y avait un problème persistant, soit ce que nous appelons au Canada la rupture de l’engagement de parrainage. Selon moi, cette expression est un peu trop neutre. Cela concerne une personne qui attend la régularisation de son statut, notamment dans le cas d’une demande de résidence permanente présentée au pays, et qui se trouve dans une relation de violence avec la personne qui la parraine; c’est un problème continu. Le statut de résident permanent conditionnel de deux ans prolonge la période au cours de laquelle une personne doit demeurer dans une relation conjugale.
    Nous réalisons actuellement des recherches à ce sujet en Alberta et en Ontario. Même si nos travaux ne sont encore qu’au stade préliminaire, j’ai eu vent de plusieurs cas de gens qui ont rapporté que des femmes, qui sont dans un refuge ou qui demandent des conseils au sujet de la violence dans leur relation, sont craintives. Les exigences en matière de preuve sont très vagues. L’information qu’ont les agents d’immigration varie énormément. Certaines personnes qui appellent CIC ne reçoivent pas la bonne information. Il y a parfois des enquêtes sur le conjoint de la présumée victime de violence et d’autres membres de la famille, et ces cas ne sont parfois pas jugés comme suffisamment violents pour rendre la victime admissible à l’exception prévue dans la loi. Je crois qu’il s’agit d’une pratique très dangereuse.
    Pour ce qui est de l’application de l’exception, je crois qu’il y a plusieurs éléments auxquels il faut prêter attention. Dans l’ensemble, je suis d’avis que la résidence permanente conditionnelle crée un lien juridique injuste et dangereux qui fait en sorte qu’un conjoint exerce un contrôle sur l’autre. J’ai réalisé des recherches semblables aux États-Unis lorsque les autorités américaines ont apporté en 1986 des modifications concernant les mariages frauduleux liés à l’immigration. Je crois que les préoccupations soulevées aux États-Unis ont également forcé les autorités à mettre en place des recours judiciaires pour ce que la loi américaine appelle les « immigrants battus ». Si le Canada maintient le statut de résident permanent conditionnel, ce que je considère comme une mauvaise idée, j’aimerais que le Canada envisage de meilleures options pour les victimes de violence qui veulent se protéger, sans devoir dépendre de la coopération de leur agresseur.
    Merci.
    Monsieur McCallum, vous avez la parole.
    Merci, madame la présidente.
    Bienvenue aux témoins, et bienvenue en particulier à vous, madame Marsh. Merci d’avoir le courage de raconter votre histoire aux Canadiens.
    Professeure Bhuyan, vous avez parlé de la résidence permanente conditionnelle. Comme vous le savez probablement, le comité a étudié cette question il y a quelques mois. La vaste majorité des participants, y compris les témoins que nous avons entendus et les députés, ont convenu que la résidence permanente conditionnelle était une mauvaise chose, parce que cette situation fait en sorte que les femmes sont susceptibles d’être victimes de violence. Malheureusement, les seuls qui étaient en désaccord et qui ont appuyé ce concept, c’étaient les députés ministériels qui sont majoritaires. Par contre, vous n’êtes pas la seule à penser cela.
    J’aimerais revenir sur un problème que j’avais soulevé lors de la dernière séance, mais j’avais manqué de temps pour en parler. Il s’agit de l’expulsion des gens qui pratiquent la polygamie, alors qu’il ne semble y avoir aucune définition juridique de ce qu’est la polygamie au Canada. Étant donné qu’il faut en fait moins de preuves que devant les tribunaux pour expulser quelqu’un, il me semble qu’en l’absence d’une définition il risque d’y avoir des expulsions injustes.
    Croyez-vous que nous pourrions régler cette question en définissant ce qu’est la polygamie dans le projet de loi? Cette définition ne s’appliquerait pas nécessairement de manière générale au pays, mais elle pourrait au moins servir dans le cas de possibles expulsions et pourrait donner une idée aux délinquants potentiels de ce qu’ils ne sont pas censés faire.

  (1025)  

    Merci de votre question. Je suis également au courant du rapport du comité sur la violence faite aux femmes.
    Je ne suis pas nécessairement en position de vous donner une définition de ce qu’est la polygamie. Je crois que cela exigerait une étude collective. Je ne vais donc pas m’avancer sur ce sujet. Cependant, je crois que le gouvernement canadien a un très grand pouvoir, à savoir interdire de territoire une personne. Cette mesure a des répercussions sur non seulement la personne, mais aussi les membres de sa famille, parce que les membres de la famille d’une personne interdite de territoire seront également interdits de territoire au Canada ou ne pourront pas demeurer au Canada.
    Je crois que nous devons nous pencher sur l’esprit de la mesure législative. La pratique de la polygamie contrevient déjà à la loi au Canada. Même s’il n’y a pas eu de cas où des gens en ont été reconnus coupables, le grand public a déjà une opinion à ce sujet. Même si certaines communautés pratiquent peut-être la polygamie et se servent de leurs valeurs pour se justifier, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de prendre position pour dire que la polygamie n’est pas acceptée au Canada. Interdire de territoire au Canada des groupes n’influera pas nécessairement sur la pratique au Canada ou ailleurs dans le monde.
    Bref, s‘il est question des droits que les gens auront au Canada et que nos lois disent déjà que la polygamie n’est pas acceptée, je crois donc que nous utilisons en fait l’écran de fumée qu’est la polygamie pour augmenter les pouvoirs en matière d’immigration.
    J’ai entendu des gens exprimer des réserves au sujet de ce qui arrive aux enfants issus de relations polygames. Je n’ai pas vu de solutions dans le présent projet de loi sur ce que nous pourrions faire, le cas échéant, pour atténuer ces préoccupations.
    Je ne l’ai pas avec moi, mais je crois avoir lu une proposition de l’UNICEF qui énumérait des options très intéressantes pour que les enfants issus de relations polygames aient accès à leurs droits. Si l’enfant est considéré comme un étranger et que l’un de ses parents habite au Canada et qu’il est interdit de territoire, il pourrait trouver refuge au Canada. De plus, si l’enfant habite actuellement... Il pourrait demeurer avec son parent qui fait également partie de la relation polygame.
    Je vous invite à examiner les propositions de l’UNICEF.
    Merci.
    Pour ce qui est des jeunes de 16 et de 17 ans qui se marient, il semble que le consentement des parents soit suffisant. Or, un parent peut être impliqué dans le mariage forcé, comme nous l’avons très clairement entendu aujourd’hui. Je m’inquiète que le consentement parental ne soit pas suffisant, et je me dis qu’il faudrait qu’une personne de cet âge obtienne l’accord des tribunaux ou une certaine autorisation pour se marier.
    Je me demande si vous avez des idées à nous proposer à ce sujet ou si vous convenez comme moi qu’il faut faire quelque chose.
    Soyez très brève, s’il vous plaît.
    D’accord.
    Je ne le sais vraiment pas. Ce serait peut-être bénéfique que les services sociaux fassent une évaluation préalable de la situation pour nous assurer que c’est bien quelque chose que souhaite l’enfant.
    Je m’excuse, mais le temps est écoulé.
    Monsieur Leung, vous avez la parole.
    Merci, madame la présidente.
    Nous parlons notamment de la prévention comme d’une possible solution aux problèmes de la polygamie. Si nos travailleurs de première ligne nous ont souligné l’importance de former les policiers et les agents d’immigration, je crois donc qu’il est important que les forces de l’ordre aient les outils dont ils ont besoin pour s’occuper de la violence motivée par l’honneur. Croyez-vous que le projet de loi donnera aux travailleurs de première ligne un meilleur outil pour criminaliser et même prévenir la violence motivée par l’honneur? Comment nos agents de première ligne voient-ils ces choses pour les prévenir?
    Madame Siddiqui.

  (1030)  

    Je crois que les travailleurs de première ligne doivent vraiment être formés et qu’ils devraient avoir plus de pouvoirs pour voir ce qu’ils font. C’est la seule manière de comprendre et d’aller de l’avant.
    Les travailleurs de première ligne peuvent intervenir lorsque les gens sont au pays. Qu’en est-il lorsqu’ils sont à l’étranger? Comment pouvons-nous nous occuper de ce problème?
    Eh bien, c’est une question complexe, et je préfère laisser à un spécialiste le soin d’y répondre, mais il doit y avoir des moyens de le faire.
    D’accord.
    Madame Marsh, si vous aviez été au courant qu’il était illégal d’obliger une fille en aussi bas âge à se marier — certains groupes religieux et beaucoup de groupes ethniques ont une telle pratique —, cela vous aurait-il donné les outils ou la capacité d’empêcher votre mariage forcé?
    Lorsque j’avais 12 ans, je suis allée dans un poste de police pour dénoncer mon père qui m’agressait sexuellement. Savoir que j’avais des droits et que les gestes posés étaient mal m’a donné beaucoup de pouvoir. Si j’avais su à 17 ans que cela contrevenait à la loi, j’aurais peut-être fait la même chose.
    Je ne dis pas cela au sens péjoratif, mais certains groupes culturels ou religieux ne laissent pas leurs enfants fréquenter le système scolaire public. Il est donc difficile de communiquer l’information. Comment pouvons-nous le faire dans le cas précis des Témoins de Jéhovah?
    Les Témoins de Jéhovah penchent en fait de plus en plus vers l’enseignement à domicile pour leurs enfants. Personnellement, je crois que c’est très dangereux, parce que les enfants sont ainsi complètement isolés de ce qui se passe à l’extérieur de la communauté. Les Témoins de Jéhovah ne sont pas les seuls à le faire. Ce serait très bénéfique d’exiger que ces enfants participent une ou deux fois par année à un programme communautaire qui leur permettrait de découvrir des choses comme les droits de la personne. Cela devrait faire partie de l’entente lorsque l’enfant est éduqué à domicile.
    Dans notre société informatisée du XXIe siècle, les gens de votre groupe religieux ou de votre communauté culturelle ont-ils le droit d'utiliser le téléphone cellulaire, les réseaux sociaux, Internet? Ont-ils le droit de naviguer sur Internet?
    C'est très surveillé. Il y a de plus en plus de jeunes qui ont des cellulaires et qui ont accès à des ordinateurs, mais dans l'ensemble, les règles des Témoins de Jéhovah ne permettent pas de naviguer sur Internet pour trouver tout ce qu'on veut. Le nombre de sites Web qu'on a la permission de consulter est très limité. Beaucoup de groupes exercent un contrôle rigoureux de l'information auprès de leurs membres afin de garder la main haute sur leurs actions, leurs discussions et l'information à laquelle ils ont accès.
    Merci.
    Madame Bhuyan, selon vous, en criminalisant la violence fondée sur l'honneur, le projet de loi donnera-t-il aux travailleurs de première ligne de meilleurs outils pour prévenir cette violence? Comment permettra-t-il de le faire?
    Je vous remercie de la question. Vous savez, je me suis penchée sur le problème de la violence familiale durant la majeure partie de ma vie adulte, qui s'allonge inexorablement. Fait intéressant, il y a presque toujours un principe d'honneur qui est lié à la violence familiale. Il est presque toujours utilisé pour expliquer pourquoi une personne a perdu le contrôle ou fait du mal à une autre personne, que l'honneur soit fondé sur la réputation au sein de la communauté ou la masculinité. Je pense qu'il n'est pas équitable de ne faire une distinction relativement à l'honneur que dans certaines communautés. Il se peut que dans certaines communautés, il y ait des notions d'honneur communes dont on se sert pour commettre des actes de violence, et cela peut être très dangereux.
    Je crois également qu'une partie du défi... et Mme Marsh nous a donné un excellent exemple des multiples pratiques qu'utilisent les communautés et les familles pour justifier la suppression du droit d'une personne de prendre ses propres décisions, en l'occurrence le consentement au mariage. Je crois que les antécédents de violence sont aussi très éloquents. Nous devons changer la définition de la violence familiale afin de mieux comprendre les diverses formes sous lesquelles cette violence peut se manifester, comme la violence physique, les menaces verbales, de même que les pressions exercées pour contraindre une personne au mariage.
    Je pense qu'il serait préférable d'emprunter cette voie plutôt que de criminaliser le fait d'assister à un mariage. Je crois que c'est une mesure beaucoup trop générale. Le Code criminel prévoit déjà des mécanismes qui permettent aux travailleurs de première ligne d'obliger les gens à rendre des comptes. Dans certaines des communautés dont a parlé Mme Marsh, il sera peut-être très difficile de faire le genre de sensibilisation dont nous avons discuté, mais c'est la voie que j'encourage le comité à emprunter.

  (1035)  

    Merci.
    Madame Siddiqui, voudriez-vous formuler un commentaire sur cette question?
    Je suis d'accord avec ma collègue dans une certaine mesure, mais je crois qu'il nous faut aller plus loin et donner plus de pouvoirs aux travailleurs de première ligne. Comment cela se passera-t-il pour les personnes d'autres pays? C'est une question sur laquelle les politiciens doivent se pencher, mais chose certaine, il faut accorder plus de pouvoirs aux travailleurs de première ligne.
    Madame Mathyssen, vous avez la parole pour cinq minutes, au maximum.

[Français]

     Merci, madame la présidente.

[Traduction]

    J'ai une petite question à vous poser, madame Marsh. Vous avez dit que si vous aviez su que ce que faisait votre mère était illégal, vous auriez peut-être agi, vous seriez peut-être allée voir les autorités. Mais si vous aviez su que votre mère ou un autre membre de votre communauté pouvait faire l'objet d'une accusation criminelle à cause de ses actes, auriez-vous tout de même averti les autorités? Auriez-vous fait la même chose?
    Eh bien, à l'âge de 12 ans, j'ai vu les policiers sortir mon père de la maison et le mettre dans une voiture de patrouille. Ils l'ont arrêté. Quand c'est mal, c'est mal. Quand on sait qu'on a certains droits et certaines protections...
    Je pense que de nombreuses personnes hésiteront beaucoup à dénoncer, mais à un moment donné, on se dit que soit on continue de protéger ses parents, soit on sauve sa peau. Pour bien des jeunes, la décision d'avertir les autorités sera moins difficile à prendre s'ils savent que leurs parents violent la loi.
    D'accord.
    Vous avez parlé de l'exclusion. Nous savons que des gens sont exclus de leur communauté. Cela vous a-t-il porté à y réfléchir à deux fois, sachant que vous seriez exclue?
    C'est certainement un facteur très important. Je ne connaissais que cette communauté. Cela m'a sans doute fait hésiter davantage.
    Merci.
    Madame Bhuyan, ce que vous avez dit m'a beaucoup intéressée. Pour tout dire, dans ma circonscription, il y a un grand nombre de néo-Canadiens et de gens qui cherchent à faire venir leur conjoint ou leur conjointe au Canada. Nous avons remarqué que le délai de traitement des demandes est de plus en plus long. Dans un cas en particulier, un jeune homme veut faire venir son épouse du Liban, mais il devra attendre durant 36 mois. C'est terriblement exaspérant, car il s'agit d'un mariage en bonne et due forme.
    Avez-vous effectué des études sur les délais de traitement pour différents pays du monde? Le délai est-il différent si on vient de l'Écosse ou du Bangladesh, par exemple?
    Je vous remercie de la question.
    Je ne saurais vous le dire de mémoire. Je pense qu'il est important de tenir compte du délai de 36 mois; j'ai entendu dire qu'il fallait jusqu'à trois ans pour certains pays. Les demandes présentées au pays prennent également jusqu'à 36 mois.
    Une jeune femme est venue me voir il y a six mois. Elle était venue au Canada grâce à un visa de travailleur étranger temporaire. Elle occupait un emploi hautement spécialisé, elle est tombée amoureuse d'un citoyen canadien, et ils se sont mariés. Durant la période de traitement de sa demande de parrainage, comme elle n'avait plus le droit de travailler, elle n'était plus en mesure de subvenir à ses besoins. Il y avait davantage de tensions dans sa relation parce qu'elle était perçue par son mari comme un fardeau financier, et également à cause de la pratique, au Canada, voulant qu'on examine ces mariages de près. Dans son cas, devoir attendre jusqu'à deux ans pour obtenir l'autorisation de travailler rendait sa relation très risquée. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il y avait de la violence physique, mais il y avait assurément de la violence verbale.
    J'ignore s'il y a une tendance; je pense qu'il serait utile de le savoir. Les délais de traitement des demandes de parrainage dépassent déjà la limite raisonnable, surtout, comme vous l'avez dit, quand cela concerne des familles et des enfants.
    J'espère que cela répond à votre question.

  (1040)  

    Merci.
    Je pense que les conséquences sur les familles sont très importantes. Au lieu de nous soucier de la polygamie, par exemple, et de laisser les délais de traitement s'allonger, sur quoi devrions-nous mettre l'accent pour améliorer le système d'immigration?
    Le système canadien repose sur différentes valeurs associées à l'immigration. Le parrainage familial est au coeur de ce système. Je pense que les restrictions relatives aux grands-parents, aux parents, aux conjoints et aux enfants nuisent à la capacité des néo-Canadiens d'avoir un réseau social. Selon moi, cela crée une situation plus propice à la violence familiale. Quand les familles et les couples sont isolés, il risque de se produire des situations plus dangereuses.
    J'aimerais que le gouvernement adopte une position à l'appui du droit des familles à la réunification. Ce sera complexe, étant donné le nombre d'immigrants qui viennent au Canada, mais je crois que nous devons fournir un effort concerté en ce sens.
    Je voulais également parler brièvement de ce qu'a dit Mme Marsh...
    Je suis désolée, madame Bhuyan, mais le temps est écoulé.
    Mme Rupaleem Bhuyan: Très bien, merci.
    La vice-présidente (Mme Lysane Blanchette-Lamothe): Il nous reste deux minutes pour M. Eglinski.
    Avez-vous des questions à poser, monsieur?
    Je tiens à remercier les témoins de leur présence et à remercier tout particulièrement Mme Marsh de nous avoir raconté son histoire.
    Lee, votre histoire me touche beaucoup. Je sais que vous avez vécu une situation très difficile. Les travailleurs de première ligne nous disent souvent que les enfants qui sont forcés de se marier sont très réticents à le faire, car ils ne veulent pas être séparés de leurs parents. Je sais que vous avez mentionné cela.
    J'aimerais que vous nous expliquiez un peu plus quelle incidence, à votre avis, aura le projet de loi S-7 sur ce problème. Je sais que vous y avez été confrontée. Pourriez-vous nous parler un peu plus de ce que vous avez ressenti ou de ce que vous avez vécu à cet âge, dans cette situation?
    Les deux choses les plus difficiles — en fait, il y en avait peut-être davantage — étaient l'impuissance et le sentiment d'être prise au piège. Il n'y avait pas de porte de sortie, personne à qui demander de l'aide.
    Si j'avais su qu'il y avait des organismes qui pouvaient m'aider, j'aurais peut-être moins hésité à parler de cette situation à quelqu'un. C'était une communauté très fermée. Si les jeunes n'ont pas accès à cette information, c'est inutile. Je ne sais pas...
    D'accord. J'ai une autre question à poser.
    Récemment, l'ONU a participé à des programmes semblables à ceux dont nous discutons et aux mesures que le gouvernement tente de mettre en place. Je suis très fier d'être membre de ce comité et fier que notre gouvernement prenne l'initiative sur cette question.
    Madame Siddiqui, j'aimerais que vous nous parliez de ce que font d'autres pays sur le plan de l'application de ce type de loi. Peut-être pourriez-vous faire quelques comparaisons et nous dire de quels pays nous devrions nous inspirer.
    Vous disposez de 30 secondes pour répondre, afin que nous puissions respecter le délai prévu. J'en suis désolée.
    Il y a le Royaume-Uni, l'Australie, et les Pays-Bas, je crois. Toutefois, le Royaume-Uni est le meilleur exemple. Nous devrions vraiment examiner ce qu'on a fait là-bas et nous en inspirer.
    Chers collègues, mesdames et messieurs, je vous remercie sincèrement de votre participation.

[Français]

     Sur ce, la séance est levée.
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