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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 032 
l
2e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 22 octobre 2009

[Enregistrement électronique]

  (1320)  

[Traduction]

    Je déclare la séance ouverte. Bienvenue à la 32e réunion du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
    Nous recevons comme témoin M. Abbas Milani, directeur des études sur l'Iran de l'Université de Standford, qui a fait preuve d'une grande patience pendant que nous réglions les questions techniques.
    Monsieur Milani, vous pouvez commencer votre exposé.
    Je vous remercie de votre accueil. Je suis désolé pour les inconvénients occasionnés par les problèmes techniques. C'est presque de la magie que nous puissions nous parler par images interposées, alors que vous êtes là-bas et moi ici.
    Je vais commencer par quelques commentaires, et ensuite, je tenterai de répondre aux questions des membres du comité.
    Je crois que votre gouvernement sait pertinemment que le bilan du régime iranien est malheureusement l'un des plus navrants quant aux droits de la personne. Si on examine les 30 dernières années du régime, il y a eu des moments de répit et des moments de terreur sans égal.
    Les plus importantes tueries sont survenues dans les premières années. L'une des plus infâmes a eu lieu en 1988; on a exécuté des prisonniers accusés de crimes d'une autre nature. On avait décidé de nettoyer les prisons en éliminant les personnes susceptibles de s'opposer au régime. Ces personnes ont eu un procès sommaire, et au moins 4 000 d'entre elles ont été exécutées. C'est selon moi l'une des périodes les plus sombres de l'histoire moderne de l'Iran.
    Je crois que ces sombres tendances ont quelque peu réapparu au cours des derniers mois. Le nombre d'exécutions est plus restreint, au plus 200, et le nombre d'arrestations ne dépasse pas 4 000 — et beaucoup avaient déjà été arrêtés.
    Mais il faut s'arrêter principalement à deux types de violation des droits de la personne. D'une part, il y a les actes de violence que commet le régime au grand jour, comme emprisonner des gens ou exécuter des mineurs pour avoir commis un crime à l'âge de 15 ans.
    D'autre part, il y a les sévices et les inégalités qu'on fait subir quotidiennement à la société iranienne, aux jeunes Iraniens, et qui les écrasent peu à peu. Le monde porte principalement son attention sur la première forme de violation, plus violente, mais je crois qu'il faut également prendre conscience de l'autre forme, qui est plus sinistre et fréquente et qui touche plus de gens.
    Je parle ici de violation systématique, généralisée et légale des droits de la personne dans l'ensemble de la société, et d'oppression des minorités religieuses, et tout particulièrement des adeptes de la religion baha'ie, qui ne sont même pas reconnus comme un groupe religieux. Les minorités ethniques subissent elles aussi des pressions; elles ne peuvent pas s'exprimer dans leur langue et adapter leur éducation. De plus, on dépense des sommes exorbitantes dans les régions centrales et on néglige quelque peu les régions en périphérie.
    Une fois tous ces éléments mis ensemble, on obtient un portrait d'un régime qui, selon moi, bafoue constamment les droits de la population. Malheureusement, depuis les élections du 12 juin — qui selon moi ont été truquées —, les droits des Iraniens sont de plus en plus bafoués. Le régime se sent isolé et affaibli, et son côté brutal prend le dessus — c'est toujours ainsi que les choses se passent quand un tel régime se met à avoir peur.
    J'espère que la communauté internationale, qui a très hâte — et ça se comprend — de régler la question des armes nucléaires avec le régime, gardera à l'esprit l'enjeu des droits de la personne et du droit à la démocratie du peuple iranien. Je crois qu'il nous faudra accepter — et nous en prendrons conscience — que l'unique solution à la question nucléaire réside dans la démocratie; la démocratie doit être renforcée en Iran.

  (1325)  

    En portant une attention plus grande aux violations des droits de la personne et en appuyant avec plus de vigueur les droits démocratiques du peuple iranien, nous contribuerions, je crois, à trouver une solution structurante et stratégique au problème persistant qu'est la question nucléaire.
    Merci beaucoup, monsieur Milani.
    Nous passons maintenant aux questions des membres du comité. Comme nous avons peu de temps, je dois limiter les questions à une seule série. Les membres de chaque parti doivent décider de la façon dont ils désirent s'y prendre. La période de questions et réponses durera sept minutes dans chaque cas.
    Cela dit, monsieur Silva, la parole est à vous.
    Merci beaucoup.
    Merci, monsieur Milani. Je vous présente mes excuses pour le retard.
    Je suis heureux que vous ayez parlé des minorités, particulièrement des bahá'is, car il s'agit d'un dossier sur lequel les membres du comité se sont penchés. En effet, ce qui arrive aux bahá'is nous préoccupe beaucoup.
    En Iran, divers groupes minoritaires font l'objet de persécutions. Si l'on tient compte des plus récentes informations sur la communauté ethnique baloutche au Pakistan — et nous savons qu'il y a des Baloutches en Iran —, savez-vous s'il y a de la grogne dans la communauté baloutche en Iran, qui est à la frontière du Pakistan?
    Oui, nous savons depuis quelque temps déjà que la région baloutche de l'Iran est l'une des plus pauvres et des plus négligées. C'est aussi l'une de celles où sévissent les plus grands problèmes de drogue, parce que l'opium afghan y transite pour se rendre au golfe Persique puis en Europe.
    Il y a deux voies par lesquelles circulent l'héroïne et l'opium. Et bien sûr, une certaine quantité de ces drogues reste en Iran. Je suis sûr que vous avez entendu parler de la toute récente étude des Nations Unies qui a été publiée hier, selon laquelle l'Iran, juste après la Russie, ou ex aequo avec la Russie, est le pays où l'on trouve le plus grand nombre de toxicomanes qui prennent de l'héroïne ou de l'opium. C'est pourquoi le Baloutchistan, avec ses deux millions d'habitants, est presque devenu une région militarisée, sous tutelle des gardiens de la révolution.
    Parmi les incidents les plus récents, mentionnons une tentative par le commandement des gardiens de la révolution au Baloutchistan de rencontrer les anciens parmi les Baloutches pour essayer de trouver une solution aux tensions constantes qui y règnent. Malheureusement, un kamikaze s'est introduit dans la réunion et s'est fait sauter, tuant 40 victimes, dont des très haut gradés.
    Les problèmes que connaissent les Baloutches viennent à la fois du fait qu'ils constituent une minorité ethnique et qu'ils sont sunnites. Je le rappelle, un des problèmes en Iran est que la majorité des musulmans sont chiites, mais qu'il y a également une grande minorité de sunnites. Il ne déplairait pas à certains des éléments parmi les plus radicaux du chiisme de provoquer des tensions entre chiites et sunnites, ou de rouvrir des vieilles blessures.
    Voilà pourquoi le problème des Baloutches est particulièrement important. En cas d'escalade, il y aura une résurgence des bains de sang entre sunnites et chiites qui font malheureusement partie de l'histoire de l'Iran et du monde islamique.
    Il ne s'agit pas juste des Baloutches, mais aussi des Kurdes, des Turcs, des Turkmènes et des Iraniens arabophones, autant de minorités qui vivent à la périphérie de l'Iran, et dont les droits ont été bafoués d'une façon ou d'une autre. Leur droit à une part équitable du budget gouvernemental, leur droit de célébrer leur culture locale et leur droit d'enseigner dans leur langue ont tous été bafoués.
    À cela s'ajoute le fait que de nombreuses personnes au sein de ces communautés, Kurdes, arabophones et Baloutches, sont aussi des sunnites. Cette combinaison, l'appartenance à la fois à une ethnie « différente » et à une religion « différente », a fait en sorte que ces régions qui se trouvent à la périphérie, particulièrement la région du Baloutchistan, sont laissées pour compte et sont maintenant, à toutes fins utiles, sous l'emprise militaire des gardiens de la révolution.

  (1330)  

    Monsieur Silva, il vous reste encore un peu de temps.
    Merci.
    Si je vous comprends bien, les événements dont vous parlez — l'attentat suicide qui a causé la mort de hauts dirigeants des Gardiens de la Révolution et l'intensification de la répression exercée par le gouvernement — laissent présager encore plus de répression et de violations des droits humains prochainement et une dégradation probable de la situation plutôt qu'une amélioration.
    Je serais très surpris si ce groupe n'était pas la cible d'autres exécutions et d'autres actes d'agressions. La structure de commandement des Gardiens de la Révolution et M. Khamenei lui-même ont tenu des propos menaçants à cet égard la semaine dernière. Ils ont ouvertement affirmé qu'ils allaient répondre par de sévères mesures de représailles.
    Malheureusement, il faut s'attendre à ce que le sang coule encore dans cette région et la situation empirera parce que le cycle se perpétuera. Il y aura d'autres effusions de sang parce que d'après certaines indications, les attaques perpétrées récemment contre cette congrégation, lors de cette réunion, ont été commises en représailles ou par vengeance pour l'exécution par le régime iranien du frère de M. Rigi, le chef du Joundallah, qui est actif dans le Baloutchistan pakistanais. L'exécution publique a eu lieu il y a à peine quelques semaines et elle a été largement diffusée. L'attentat pourrait donc être un acte de vengeance.
    Alors un cycle en entraîne un autre, chaque fois plus cruel que le précédent, et pendant ce temps, les droits humains des innocents sont constamment violés.
    Malheureusement, c'est tout le temps que nous pouvons consacrer à cette question.
    Monsieur Dorion, s'il vous plaît.

[Français]

    Docteur Milani, au cours des dernières décennies, on a constaté des changements économiques en Iran. On a assisté à l'apparition d'une classe moyenne plus importante qu'il y a 30 ans. Un des résultats qu'on a constatés lors de la dernière élection est que les femmes ont commencé à occuper un peu plus de place dans la contestation politique du régime. On a assisté à certaines manifestations d'émancipation des femmes iraniennes à l'occasion de la campagne électorale.
    Pouvez-vous nous faire une rétrospective de l'évolution de cette situation? Quel est l'état actuel des droits des femmes en Iran? Que peut-on attendre des événements actuels en ce qui concerne la place des femmes dans la société iranienne?

  (1335)  

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Je pense que vous soulevez l'une des plus importantes questions du dossier des droits humains en Iran, tant pour ce qui est des violations que de la lutte contre les violations.
    L'une des premières lois de l'ancien régime que l'Ayatollah Khomeini a abrogé était la loi de la protection de la famille. Le régime du Shah avait tenté de réformer tant soit peu les lois de protection de la famille de manière à accorder davantage de droits aux femmes. Le clergé s'opposait à ces mesures lorsqu'elles ont été débattues en 1970 et l'un des premiers gestes de l'Ayatollah Khomeini a été de les déclarer nulles et non avenues.
    Dorénavant, la loi islamique s'appliquerait aux femmes, ce qui voulait dire que les femmes se verraient interdire l'accession à la magistrature. Shirin Ebadi, dont la fille est invitée dans votre pays, Prix Nobel de la paix et première femme iranienne à devenir juge, a immédiatement été destituée, comme l'ont été d'autres juges comme elle.
    Le droit de divorcer a été exclusivement réservé aux hommes. Les hommes ont été autorisés à avoir quatre épouses et un nombre illimité de concubines; les droits de garde étaient dorénavant la propriété pratiquement exclusive des hommes. Une fille de moins de sept ans et un garçon de moins de deux ans restaient avec leur mère, après quoi ils allaient vivre avec le père ou avec la famille du père. En droit islamique, la famille du père a davantage de droits à l'égard d'un enfant que la mère.
    Les lois en matière de garde d'enfant, d'héritage et de communauté de biens ont été complètement sabordées. La communauté de biens n'existait plus. Aucun montant d'argent n'était versé. Le seul montant sur lequel une femme pouvait compter en cas de divorce était celui qui était couché sur papier dans l'entente contractuelle au moment du mariage.
    Les femmes ne se sont pas laissé faire. Elles ont commencé à combattre et à résister. L'âge de mariage a été abaissé à neuf ans pour les filles. Elles étaient autorisées à se marier à l'âge de neuf ans, mais, comme je l'ai dit, les organisations féminines ont commencé à résister. Elles ont commencé à combattre. Même certaines femmes du régime se rendaient compte que ces lois étaient fondamentalement inacceptables au XXe siècle et au XXIe siècle. Elles se sont jointes elles aussi à la lutte et à la résistance. Certaines des premières lois les plus inacceptables ont été réformées — l'âge de mariage des filles, par exemple, a été de nouveau fixé à 14 ans — mais il subsiste des inégalités structurelles dans la loi.
    Je crois que les femmes ont été les militantes les plus acharnées en matière de droits humains et d'égalité des droits au cours des 30 dernières années. Quand on écrira l'histoire de la démocratie et des droits humains en Iran, on se rendra compte, je crois, que les femmes en ont été les champions les plus indomptables. Ce sont, dans une large mesure, les réseaux sociaux des femmes mis sur pied au cours de la campagne pour recueillir un million de signatures qui ont été utilisés par l'opposition démocratique pendant l'élection pour organiser les manifestations massives et incroyablement bien organisées qui ont vu trois millions de personnes descendre dans la rue. Certains des plus importants réseaux sociaux, les réseaux informatiques, ont été constitués et utilisés plus tôt, dans le cadre de la campagne pour l'égalité des droits pour les femmes.
    Les femmes donnent une éclatante mesure de la situation actuelle de la société iranienne. Le régime et ses éléments les plus radicaux essayent de contrecarrer leur mouvement et s'efforcent d'adopter le plus grand nombre de lois possibles. Ces lois  — le droit pour un homme d'avoir quatre épouses et un nombre illimité de concubines, le droit pour un homme de divorcer si bon lui semble et bien d'autres encore — étaient peut-être progressistes pour leur époque il y a 1 400 ans en Arabie, mais elles ne le sont pas aujourd'hui.

  (1340)  

    Nous pourrions en discuter pendant toute une séance. Mais les femmes n'acceptent pas cette situation; au contraire, elles la combattent. À mon avis, elles devraient avoir droit à beaucoup plus d'égards après avoir résisté aux abus, aux violations systématiques des droits de la personne par ce régime.
    Merci.
    Monsieur Marston, s'il vous plaît.
    Monsieur Milani, je suis heureux de votre présence parmi nous aujourd'hui.
    Je vous écoutais parler tout à l'heure du conflit entre les sunnites et les chiites et des risques qui en découlent. Je me souviens de mon séjour d'environ six mois en Arabie saoudite en 1969. Pendant que j'étais là-bas, j'ai pu voir de loin certains conflits locaux entre travailleurs. Lorsque vous avez mentionné à quel point les femmes étaient mises de côté, je me suis rappelé une classe composée de femmes dans une université saoudienne. Si le cours était donné par un homme, il devait être dans une salle voisine et apparaître uniquement devant la caméra. Il ne pouvait pas être dans la même salle.
    Nous évitions les souks et la mosquée centrale le vendredi parce que c'était à ce moment qu'on coupait des mains et, à l'occasion, des têtes.
    J'ai donc été un témoin direct, mais quand vous parlez de ce conflit, parce que nous avons connu la guerre entre l'Iran et l'Irak il y a un certain nombre d'années, je m'inquiète. Si ce conflit est causé par un schisme de nature religieuse, ne pourrait-il pas se répandre en Irak et peut-être même en Arabie saoudite?
    Avant que vous ne répondiez, j'aimerais vous poser une autre question. Reza Nejat, un professeur à l'Université McMaster de Hamilton, où je vis, m'a déjà fait part de ses inquiétudes relativement à l'enclave des Moudjahidines du peuple. Ils sont présentement sous la protection des Américains en Irak, mais que leur arrivera-t-il lorsque les Américains commenceront à plier bagage? J'aimerais que vous répondiez également à cette question.
    Merci, monsieur.
    Je pense qu'un des problèmes les plus graves qui se pointent à l'horizon, c'est la tentative de la part des éléments radicaux des deux camps, les chiites et les sunnites, de mettre le feu aux poudres. Il y a presque 50 ans aujourd'hui, le leader des chiites, l'Ayatollah Boroujerdi, et celui des sunnites, le cheikh Shaltut, qui est le mufti de l'Université Al Assad au Caire, ont rédigé un document historique qui établissait que le chiisme faisait partie des courants acceptables de l'Islam. Jusqu'à ce moment, les sunnites considéraient le chiisme comme une interprétation inacceptable de l'Islam. On a donc pu commencer à panser des blessures qui avaient été ouvertes il y a des siècles.
    Par exemple, au cours des dernières semaines, l'une des personnalités télé les plus populaires du monde arabe, M. Qardavi, a déclaré au nom des sunnites que les chiites étaient des hérétiques. Certains éléments chiites parmi les plus radicaux ont répliqué que le wahabbisme, qui est une forme de chiisme présent en Arabie saoudite, est une forme d'hérésie.
    Nous savons que les régimes iranien et saoudien dépensent des milliards de dollars pour promouvoir leur vision respective de l'Islam dans le monde, et le wahabbisme a une interprétation très exclusive de l'Islam. S'ils en venaient à être dominants, et plusieurs éléments nous incitent à croire que ce pourrait être le cas, je pense que les déchirements sanglants entre chiites et sunnites vont reprendre de plus belle.
    Si ces déchirements se produisent — j'espère que ce ne sera pas le cas et que les éléments plus calmes et sages sauront s'élever au-dessus de ces querelles — vous avez tout à fait raison, ils se répandront en Afghanistan, en Irak, en Arabie saoudite, au Bahreïn, au Koweït; dans tous ces pays du golfe Persique, on trouve une minorité chiite très forte. En Arabie saoudite, les chiites forment 20 p. 100 de la population, mais ils vivent dans les régions les plus riches en pétrole du pays. Si le régime iranien décidait de les utiliser pour former un axe chiite, je crois que la menace pourrait être considérable. J'espère toujours qu'ils se calmeront et que la sagesse prévaudra.
    En ce qui concerne les moudjahidines, comme vous le savez, au départ, c'était un groupe d'Iraniens. Leurs premières activités terroristes en Iran remontent à 1964 et visaient l'ancien régime. Ils ont même tué quelques Américains. Ils sont ensuite devenus des alliés de la République islamique. Lorsqu'ils ont rompu leurs liens avec la république et qu'ils ont pris les armes pour s'y opposer, la république n'a pas hésité à les massacrer dans ce qui est devenu une des violations les plus flagrantes des droits de la personne. Lorsque j'ai parlé des quelque 4 000 personnes qui ont été tuées en prison, un grand nombre de ces personnes étaient des membres de l'Organisation des moujahidines du peuple iranien. Le régime en avait peur.
    Mais les moudjahidines ont commis un impair qui a provoqué leur rejet par la population iranienne. Ils se sont établis en Irak pendant la guerre Iran-Irak et ils ont commencé à aider le régime irakien à combattre l'Iran. Ils ont donc perdu des plumes en termes de crédibilité. Lors de la chute de Saddam Hussein, le gouvernement américain à offert sa protection à ces gens parce qu'ils en avaient besoin. Ils ne pouvaient pas participer aux activités politiques.

  (1345)  

    Mais les dirigeants chiites en Irak, qui sont nombreux à entretenir des liens très étroits avec le régime de l'Iran, s'entêtent à vouloir renvoyer certains des moudjahidines en Iran ou les expulser de l'Irak. Tout au long de la période où le camp Ashraf était sous contrôle américain, ces personnes, qui y étaient détenues, ont été traitées correctement, avec dignité. Lorsque le gouvernement irakien a repris le pouvoir, il est entré de plein fouet dans ces camps, incité à le faire, je présume, par le régime iranien. Certains éléments portent à croire que ces personnes sont battues.
    Bien que je n'adhère pas à l'idéologie des moudjahidines et que j'estime qu'ils forment davantage une secte qu'un véritable groupe politique, j'estime tout de même que leurs droits en tant que personnes doivent être respectés. J'estime qu'ils ont droit à la même protection juridique que quiconque et je ne pense pas que le gouvernement irakien agisse selon ce principe. À mon avis, la communauté internationale doit se préoccuper autant de la violation des droits humains de ces personnes que de la violation des droits humains de toute autre minorité de ce monde.
    Merci.
    Nous passons maintenant à notre prochain intervenant. Est-ce M. Hiebert ou M. Sweet qui commencera?
    Monsieur le président, j'espère que nous aurons chacun le temps de poser une question.
    Monsieur Milani, c'est un plaisir de vous voir. Merci beaucoup d'avoir pris le temps de nous parler aujourd'hui.
    J'aimerais vous lire un bout d'article tiré du journal The Economist. J'hésite presque à le faire, parce que vous avez dit que ce régime en est presque revenu à agir comme lors de la période sombre de 1988, et cela m'inquiète.
    Permettez-moi de vous lire cet extrait d'article de l'Economist et de vous poser ensuite une question. Voici l'extrait, que je traduis pour vous:

Beaucoup d'Iraniens ordinaires, qui étaient nombreux à appuyer le régime conservateur dans le passé, sont indignés d'entendre M. Ahmadinejad déclarer avoir déjoué un complot étranger. En plus d'attribuer au régime tout l'odieux de la présumée fraude électorale de juin, ils l'accusent maintenant de violer, tuer et calomnier ses opposants. Certains soutiennent que l'étendue et la brutalité des mesures de répression appliquées par le régime ne reflètent pas sa force mais bien son désespoir. L'État n'arrivant toujours pas à avoir mainmise sur les canaux de communication satellitaires et Internet, nul ne peut encore écarter la possibilité d'une agitation de masse...
    Essentiellement, j'aimerais savoir si vous êtes d'accord avec cette opinion formulée dans le texte que je viens de vous lire? Est-il possible que de telles actions à grande échelle surviennent de nouveau? Y a-t-il un quelconque espoir pour l'avenir?

  (1350)  

    Je crois que The Economist a très bien reflété l'état d'esprit des Iraniens. Par exemple, dans les courriels que j'ai reçus au cours des derniers jours, ce sentiment était palpable. Les Iraniens sentent aujourd'hui que le régime se montre conciliant à l'égard du nucléaire à des fins stratégiques, ce qui lui donnerait le champ libre pour mettre au pas le mouvement d'opposition des démocrates. À leurs yeux, il s'agit de la menace la plus importante.
    Une fois le ménage terminé, le contrôle repris et le mouvement écrasé, je crois que les dirigeants du régime renieront les ententes sur le nucléaire qu'ils auront signées. Ils n'ont pas encore réussi, l'opposition n'a pas encore lancé la serviette et chaque jour, il se produit quelque chose de nouveau, soit dans une université ou dans une des villes du pays. Mais les Iraniens craignent vraiment que le régime ne fasse des concessions à l'égard du nucléaire que pour avoir le champ libre et combattre l'opposition des démocrates, arrêter les leaders toujours en liberté et faire preuve d'une brutalité encore plus grande qu'aujourd'hui.
    Je crois cependant que le régime est confronté à une crise sans précédent, parce qu'il ne doit pas seulement composer avec la colère du peuple iranien, mais qu'il est également confronté pour la première fois de son histoire à des déchirures dans ses propres rangs. Ce régime a connu trois principaux architectes: Khomeini, Rafsanjani et Khamenei. Ces trois personnes ont bâti et perpétué le régime. Aujourd'hui, les deux survivants, Khamenei et Rafsanjani, luttent l'un contre l'autre. Le régime n'a jamais connu une telle déchirure.
    Certains éléments indiquent que des Gardiens de la révolution s'opposent à cette politique de suppression totale. On a des indices très clairs d'une purge importante au sein du ministère du Renseignement. On rapporte que le régime est sur le point de mettre à la retraite, d'acheter ou d'évincer 6 000 employés sur 20 000. Ces gens ne croient pas la théorie selon laquelle ce mouvement démocratique est un complot provenant de l'Occident, une machination des universités américaines et canadiennes.
    Je crois que le régime aimerait bien retourner à ces jours sombres et pousser encore plus loin la répression. Cependant, je ne suis pas certain qu'ils ont les ressources nécessaires pour le faire. La division au sein du régime est assez forte et profonde pour les en empêcher.
    Pour être honnête, ce que je crains le plus, et j'ai déjà écrit à ce sujet, c'est que les Gardiens de la révolution prennent le pouvoir d'une manière semblable à ce qui s'est produit au Myanmar ou au Pakistan, où les militaires ont fait main basse sur le pouvoir. Ce pouvoir est selon moi tellement important pour les Gardiens de la révolution que s'ils croient perdre le contrôle, ils risquent de faire comme Musharraf au Pakistan ou la junte militaire au Myanmar. Ils vont prendre le pouvoir et suspendre la constitution ainsi que les droits de la personne.

  (1355)  

    Merci.
    Monsieur Hiebert, avez-vous une question?
    Nous préparons un rapport dans lequel nous présentons des recommandations et j'aimerais connaître votre opinion au sujet des mesures concrètes que le Canada pourrait prendre afin d'influencer de positivement la situation des droits de la personne en Iran. C'est ma première question.
    Deuxièmement, croyez-vous que nous devrions utiliser une approche diplomatique ou économique, ou des sanctions et des condamnations? Qu'est-ce qui serait le plus efficace? La carotte, le bâton ou une combinaison des deux?
    Si vous le permettez, je vais commencer avec la deuxième question. Je n'ai jamais cru que les sanctions fonctionnaient. J'ai d'ailleurs écrit à de nombreuses reprises que les sanctions semblent plutôt aider le régime.
    Lorsque le régime dispose de 80 à 100 milliards de dollars provenant du pétrole, lorsqu'il peut compter sur l'aide de la Chine, de la Russie, de l'Inde, des Émirats arabes unis et même de quelques entreprises européennes, et lorsque le régime peut compter sur environ 40 000 entreprises basées aux Émirats arabes unis, des entreprises qui ne visent qu'à acheter des biens sous embargo, les faire livrer aux Émirats arabes unis et leur faire traverser le détroit jusqu'en Iran, on a l'impression que finalement, les embargos jouent en faveur du régime parce qu'ils constituent de bonnes excuses pour son incompétence et sa corruption embarrassantes.
    Un seul type de sanctions pourrait être efficace contre ce régime et nous ne pouvons pas les imposer, parce qu'il serait étonnant de voir la Chine ou la Russie les appuyer un jour. On a déjà imposé ce type de sanctions à l'Afrique du Sud. En fait, il s'agirait de cesser d'acheter du pétrole et du gaz naturel iraniens. Les ventes de pétrole et de gaz naturel comptent pour 70 p. 100 des revenus du gouvernement; certaines personnes estiment même que ce pourcentage se situe à 80 p. 100. Si la planète cessait d'acheter du pétrole et du gaz naturel iraniens, le gouvernement tendrait l'oreille. Sinon, des embargos limités ne feront qu'avantager le régime et permettre à ses éléments les plus corrompus de s'en mettre encore plus dans les poches.
    Je voudrais signaler une fois de plus que j'ai toujours été en faveur de négociations avec le régime iranien. Je n'ai jamais cru que le fait de ne pas discuter avec le régime constituait une politique. Ne pas discuter, ce n'est pas une politique, c'est la preuve de l'absence d'une politique. J'ai toujours suggéré, et je suggère encore, que l'Occident discute avec le régime, mais il doit surtout aborder, d'une manière claire et ferme, les questions liées aux droits de la personne et aux droits démocratiques du peuple iranien.
    Je me suis souvent servi de l'exemple de Ronald Reagan, qui a passé deux ans à ne pas dire un mot à l'Union soviétique, et qui par la suite a décidé de reprendre les pourparlers. Il a négocié avec eux, mais il en a profité pour soulever des questions relatives à l'Accord d'Helsinki, aux droits de la personne et aux dissidents. Tant que les droits de la personne et les droits démocratiques ne feront pas partie des négociations, les démocrates et les citoyens iraniens croiront que l'Occident les a vendus en échange d'une promesse à l'égard du nucléaire ou du pétrole. Ce type de discussions mettrait en péril l'avenir du mouvement démocratique en Iran.
    Je crois que ce mouvement a besoin de savoir que l'Occident est conscient de son existence et de sa légitimité, et il a besoin de savoir que même si l'Occident représente ses propres intérêts, ce qui va de soi, et qu'il est en pourparlers avec ce régime relativement au nucléaire, il ne s'écrasera pas en étant atteint de ce que les Iraniens appellent le « syndrome libyen ». En échange de l'abandon du programme nucléaire libyen, l'Occident a fermé les yeux sur les erreurs inacceptables de ses dirigeants et sur les violations des droits de la personne qui ont été commises, il a traité le président aux petits oignons et il l'a invité dans les capitales occidentales. Il ne l'a jamais traité comme le criminel qu'il est, le voyant plutôt comme un personnage étrange, comme le dirigeant d'un pays à qui il faut donner la main.
    J'espère que l'Occident ne sera pas atteint une fois de plus par le « syndrome lybien ».

  (1400)  

    Merci. C'est tout le temps que nous avions pour les questions.
    Monsieur Milani, nous sommes très reconnaissants d'avoir pu compter sur votre présence parmi nous aujourd'hui. Une fois de plus, nous sommes désolés pour les problèmes techniques et nous vous remercions pour votre patience. Merci beaucoup.
    Avez-vous un dernier commentaire à formuler?
    Je voudrais souligner que je suis privilégié d'être avec vous aujourd'hui. Qu'il y ait des gens comme vous qui sont préoccupés par les droits de la personne en Iran, ça me fait chaud au coeur. Vous me donnez de l'espoir. Nous vous devons notre gratitude. Je vous remercie au nom de tous ceux qui sont en prison. Leurs espoirs de liberté reposent entre vos mains.
    Nous espérons être en mesure de vous aider à cet égard.
    Merci beaucoup, monsieur Milani.
    Ceci conclut notre séance. Merci.
    La séance est levée.
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