Passer au contenu
Début du contenu

CC20 Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain







CANADA

Comité législatif chargé du projet de loi C-20


NUMÉRO 007 
l
2e SESSION 
l
39e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 7 mai 2008

[Enregistrement électronique]

  (1535)  

[Français]

    La séance est ouverte. Bonjour à tous et bienvenue à nos témoins.
    Conformément à l'ordre de renvoi du mercredi 3 février 2008, le comité reprend l'étude du projet de loi C-20.
    Aujourd'hui, on a la chance d'avoir trois professeurs comme témoins.

[Traduction]

    Nous recevons aujourd'hui une délégation de Kingston, en Ontario, l'ancienne capitale du Haut-Canada. Nous accueillons Ronald Watts, professeur émérite à l'Université Queen's. C'est un ancien directeur de l'Institute of Intergovernmental Relations et président de l'International Association of Centers for Federal Studies. Comme chacun sait, notre système fédéral a besoin d'un grand nombre d'études ces jours-ci, alors vous êtes le bienvenu.
     Richard Simeon va témoigner par vidéoconférence. M. Simeon a également été professeur d'études politiques à Queen's et directeur de l'École d'administration publique et de l' Institute of Intergovernmental Relations. Parmi ses nombreuses réalisations aux niveaux national et international citons sa publication intitulée Small Worlds: Provinces and Parties in Canadian Political Life. Nous disons toujours que le monde est petit, ici sur la colline et nous avons donc la chance d'accueillir M. Simeon.
    Nous recevons aussi Andrew Heard, auteur de nombreuses publications dont celle qui s'intitule Canadian constitutional conventions: The marriage of law and politics. Bien entendu, dernièrement, ces deux éléments ont opté pour une séparation à l'essai.
    Sans plus attendre, nous allons commencer par M. Watts.
    Madame la présidente, permettez-moi de vous remercier pour cette invitation à présenter mes opinions au sujet du projet de loi C-20.
    Je désire attirer votre attention sur deux questions que soulève le projet de loi C-20 sous sa forme actuelle. La première concerne la procédure législative et la deuxième l'absence de contexte en ce qui concerne la relation entre le processus de sélection et les caractéristiques, les fonctions et le rôle du Sénat au sein du Parlement.
    Pour commencer par la première question, elle concerne l'utilisation d'une loi ordinaire pour effectuer ce qui constitue, en réalité, une modification constitutionnelle. L'objectif explicite décrit dans le préambule du projet de loi C-20 semble être de remplacer, pour la nomination des sénateurs, le favoritisme par un élément électoral plus démocratique, dans le cadre du processus de nomination actuel. Le projet de loi C-20 semble avoir été rédigé très soigneusement pour créer une procédure qui ne contredit pas ou ne prétend pas modifier le pouvoir de nomination du gouverneur général ou le droit du premier ministre de conseiller le gouverneur général à cet égard.
    Néanmoins, c'est contraire à l'esprit de la Loi constitutionnelle de 1982 qui porte explicitement au paragraphe 42(1) que toute modification de la Constitution du Canada portant sur les questions suivantes se fait conformément au paragraphe 38(1), et qui énumère les pouvoirs du Sénat et le mode de sélection des sénateurs à l'alinéa 1b).
    Le paragraphe 38(1) exige, pour ce genre de modifications, non seulement des résolutions du Sénat et de la Chambre des communes, mais également des résolutions des assemblées législatives des deux tiers des provinces dont la population confondue représente au moins 50 p. 100 de la population de toutes les provinces.
    Le but de la procédure de modification que prévoit le paragraphe 38(1) est de faire en sorte que les changements aux caractéristiques fondamentales de notre Constitution fassent l'objet d'un vaste consensus. Même si cela rend les modifications difficiles, c'est une exigence fondamentale pour la démocratie fédérale canadienne. La tentative qui est faite pour contourner cette procédure en réformant le Sénat de façon détournée au moyen d'une loi ordinaire constitue, à mon avis, une procédure anticonstitutionnelle. Elle prétend poursuivre un objectif démocratique en recourant à un processus non constitutionnel et donc antidémocratique.
    En 1978, la Cour suprême a déclaré, à propos du Sénat, que si ses membres « devaient être entièrement ou partiellement élus, cela altérerait une de ses caractéristiques fondamentales » et elle a déclaré de façon claire et unanime que le Parlement ne pouvait pas apporter unilatéralement des modifications « qui porteraient atteinte aux caractéristiques fondamentales ou essentielles attribuées au Sénat ». Peu importe si les objectifs du projet de loi C-20 sont démocratiques et peu importe à quel point le processus de modification constitutionnelle est compliqué, ces objectifs devraient être poursuivis par les voies constitutionnelles appropriées plutôt que de la façon détournée proposée dans le projet de loi C-20.
     La deuxième question que soulève le projet de loi C-20 est qu'il propose de modifier le processus de nomination des sénateurs sans relier ces modifications au contexte plus large du rôle, de la représentation, des fonctions et des pouvoirs du Sénat dans le cadre de la structure parlementaire. Toute réforme du Sénat doit tenir compte de ces trois facteurs qui sont interreliés: la représentation des régions et des provinces, le mode d'élection et les pouvoirs de la seconde Chambre.
    Un projet de loi discret qui tient seulement compte d'un de ces aspects, en faisant abstraction de ses rapports avec les autres, risque fort d'avoir des conséquences inattendues sur les relations entre le Sénat et la Chambre des communes. Par exemple, si les pouvoirs actuels du Sénat, qui sont égaux à ceux de la Chambre des communes, sauf pour les projets de loi de finances, sont maintenus alors que la légitimité des sénateurs sera renforcée par leur élection, cela pourrait ébranler sérieusement le principe voulant que la Chambre des communes ait la primauté et que le cabinet lui rende des comptes.

  (1540)  

    Ce n'est pas par hasard si, dans pratiquement toutes les fédérations ayant des institutions parlementaires, même les fédérations parlementaires qui ont une seconde Chambre relativement forte comme l'Australie et l'Allemagne, les pouvoirs constitutionnels de la seconde Chambre ont été davantage limités. C'est seulement dans des fédérations où le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif sont séparés, comme les régimes présidentiels, que les secondes Chambres ont prouvé qu'elles pouvaient avoir des pouvoirs égaux. De plus, sur les sept fédérations dans lesquelles tous les membres de la seconde Chambre sont directement élus, seule l'Australie est parlementaire. À part le Canada, pour ce qui est des autres fédérations parlementaires, qui sont au nombre de huit, la plupart comptent sur une élection par les législateurs d'État, la nomination par les gouvernements d'État ou une formule mixte.
    Au Canada, même si, officiellement, le Sénat a presque les mêmes pouvoirs constitutionnels, son manque de légitimité électorale a amené les sénateurs à jouer généralement un rôle secondaire, la plupart du temps, en raison de la légitimité démocratique de la Chambre des communes. Il faut se demander si un Sénat composé de gens ambitieux appuyés par l'électorat, dont l'importance personnelle se trouverait augmentée du fait que la chambre du Sénat est plus petite que celle de la Chambre des communes, serait prêt à renoncer à exercer ses pleins pouvoirs constitutionnels. Il est très risqué que des sénateurs ayant un mandat électoral, même s'il leur est apporté indirectement par une loi, exercent les pouvoirs que leur confère actuellement la Constitution alors qu'ils n'ont pas osé les exercer en défiant la Chambre des communes lorsqu'ils n'étaient pas élus.
    Il serait bon de se rappeler ici notre histoire antérieure à la Confédération, du temps des Canadas Unis. En 1856, le principe d'une seconde Chambre élue a été adopté avec l'appui de John A. Macdonald. Néanmoins, après huit années pendant lesquelles le Sénat s'est affirmé, compliquant le fonctionnement du gouvernement responsable, Macdonald a reconnu publiquement que le système électif « n'avait pas réussi aussi bien que prévu au Canada ». En conséquence, c'est lui qui, en 1864, a présenté à la Conférence de Québec la résolution en faveur de la nomination des sénateurs.
    Cela veut-il dire que je suis pour le statu quo et que je m'oppose à la réforme du Sénat? Pas du tout. Pour commencer, mon étude comparative de 25 fédérations du monde m'a convaincu de l'importance d'avoir une seconde Chambre fédérale efficace pour assurer le bon fonctionnement d'une fédération, y compris une fédération parlementaire.
    À ceux qui, au Canada, préconisent l'abolition du Sénat, je ferais remarquer que seulement cinq des 25 fédérations qui existent dans le monde n'ont pas de seconde Chambre fédérale. Il s'agit des Émirats arabes unis, du Venezuela et de trois petites fédérations insulaires qui comptent chacune moins de 1 million d'habitants: les Comores, la Micronésie ainsi que Saint-Kitts-et-Nevis. Pratiquement toutes les autres fédérations, quelle que soit leur forme, ont jugé souhaitable de se doter d'une seconde Chambre fédérale pour remplir au moins deux fonctions: un examen législatif et l'inclusion des considérations régionales dans le processus décisionnel fédéral.
    Pour votre information au sujet des autres fédérations, je vais remettre à la greffière du comité des exemplaires d'une de mes récentes études intitulée « Federal Second Chambers Compared » qui décrit plus en détail l'expérience des autres fédérations en ce qui concerne la seconde Chambre.
    Pour ce qui est de la fonction d'examen législatif indépendant et des activités connexes, tels que les rapports d'enquête, le Sénat canadien a complété très utilement le travail de la Chambre des communes comme le soulignent les nombreuses contributions au livre publié par Serge Joyal sous le titre Protéger la démocratie canadienne. En fait, des sénateurs comme, entre autre, Hugh Segal, Lowell Murray et Michael Kirby, ont apporté une excellente contribution au travail du Parlement.

  (1545)  

    Néanmoins, en ce qui concerne la deuxième grande fonction de la seconde Chambre au sein d'une fédération, qui consiste à faire valoir les points de vue régionaux pour l'élaboration des politiques au sein des institutions fédérales, en raison de son manque de légitimité politique, le Sénat canadien n'a pas pu remplir les fonctions qui sont celles des secondes Chambres dans la plupart des fédérations. Il s'agit des fonctions que les politicologues canadiens désignent comme le fédéralisme intraétatique.
    La Cour suprême a reconnu l'importance de ces fonctions quant elle a déclaré, en 1978, et je cite :
Le Sénat a un rôle vital en tant qu'institution faisant partie du système fédéral…
    Et elle a ajouté :
Ainsi, on a voulu que l'organisme créé pour protéger les intérêts des régions et des provinces participe à ce processus législatif.
    Étant donné la faiblesse avec laquelle le Sénat joue actuellement ce rôle fédéral, j'estime qu'une réforme du Sénat est importante et urgente. J'attire votre attention sur l'étude de Tom Kent intitulée « Senate Reform as a Risk to Take, Urgently » dans le « Special Working Paper Series on Senate Reform 2007-2008 » de l'Institute of Intergovernmental Relations, de l'Université Queen's.
    Une réforme est nécessaire pour assurer une meilleure cohérence fédérale du Canada. Comme nous sommes l'une des fédérations les plus décentralisées au monde, nous avons besoin non seulement d'une autonomie au niveau des provinces, mais d'institutions fédérales où les décisions sont prises en tenant davantage compte des opinions des provinces au lieu de reposer uniquement sur les processus du fédéralisme exécutif.
    Pour procéder à cette réforme, il peut être nécessaire de tenir les élections sénatoriales en suivant un processus différent de celui qui s'applique à la Chambre des communes, mais il faut aussi une représentation plus rationnelle des intérêts des régions et des provinces ainsi qu'un ajustement des pouvoirs constitutionnels du Sénat pour éviter les impasses. Ce qui était proposé dans l'Accord de Charlottetown pourrait être une possibilité. Mais ce n'est pas l'endroit pour entrer dans tous les détails à cet égard.
    La réforme doit porter non seulement sur le mode de sélection des sénateurs, mais également sur le rôle, les fonctions et les pouvoirs du Sénat au sein du Parlement. Il est urgent de procéder à une réforme approfondie pour le bien-être de la fédération canadienne, mais cela exigera de modifier la Constitution, aussi difficile cela puisse-t-il être, afin de redéfinir non seulement le mode de sélection des sénateurs, mais également la question de la représentation et des pouvoirs du Sénat.
    Une réforme ponctuelle réalisée discrètement, sans tenir compte des fonctions plus larges du Sénat, comme celle que propose le projet de loi C-20, ne va pas assez loin et elle est même risquée et dangereuse dans la mesure où elle ne tient pas compte de ses effets probables sur le rôle et les pouvoirs relatifs du Sénat.
    Merci.
    Merci, monsieur Watts.
    Monsieur Heard, la parole est à vous.

[Français]

    Tout d'abord, je voudrais vous remercier de m'avoir invité. C'est un plaisir et un honneur d'être ici aujourd'hui.

  (1550)  

[Traduction]

    Le projet de loi C-20 représente une nouvelle tentative de réforme du Sénat qui mérite une attention considérable. Cependant, de sérieuses questions se posent quant à savoir si le projet de loi C-20 relève des pouvoirs législatifs du Parlement. Dans l'ensemble, je souscris à l'argument selon lequel le projet de loi C-20 est inconstitutionnel.
    On peut aisément admettre qu'il ne modifie aucune disposition de la Constitution. Le projet de loi C-20 entre directement en conflit avec la Loi constitutionnelle de 1867 au sujet d'éléments spécifiques relatifs à l'éligibilité des sénateurs, notamment la citoyenneté, le lieu de résidence et les actifs financiers. Bien que ces conflits soient importants, ils pourraient facilement être résolus.
    Sur un plan plus général, l'élection des candidats n'entre toutefois pas en conflit avec le libellé des dispositions constitutionnelles applicables. Cependant, la validité constitutionnelle d'une loi repose sur beaucoup plus que l'absence de conflits manifestes entre le libellé de cette loi et celui de la Constitution. En effet, les conflits graves peuvent aussi causés par une incompatibilité entre les interprétations judiciaires du contenu essentiel des dispositions constitutionnelles.
    Les problèmes potentiels concernant le projet de loi C-20 découlent principalement de l'avis exprimé par la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la Chambre haute. La Cour a statué à l'unanimité que le Parlement ne pouvait unilatéralement modifier toute « caractéristique essentielle » du Sénat, ni légiférer en matière d'élection directe des sénateurs.
    Lorsque la Cour suprême a émis le Renvoi relatif à la Chambre haute, les pouvoirs applicables du Parlement se trouvaient alors au paragraphe 91(1) de la Loi constitutionnelle de 1867. Le paragraphe stipulait que le Parlement pouvait modifier la Constitution du Canada, à cinq exceptions près. Lu de façon littérale, le paragraphe 91(1) semble accorder au Parlement le pouvoir de modifier ou d'abolir le Sénat, puisque cette éventualité n'est pas mentionnée dans les cinq exceptions aux pouvoirs unilatéraux de modification du Parlement. Quoi qu'il en soit, la Cour a statué que les caractéristiques essentielles du Sénat outrepassaient les pouvoirs du Parlement.
    Plusieurs autorités judiciaires ont soutenu que, une fois le paragraphe 91(1) abrogé puis remplacé par l'article 44, le Renvoi relatif à la Chambre haute n'avait plus sa raison d'être. Cependant, il n'est pas clair pourquoi il devrait en être ainsi. Les caractéristiques essentielles auxquelles la Cour fait référence et qui doivent être protégées n'étaient pas mentionnées au paragraphe 91(1). En effet, elles ont été interprétées à partir du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 ou tirées de ce préambule. Ces caractéristiques n'ont pas été modifiées par la promulgation de la Loi constitutionnelle de 1982.
    De surcroît, les limites au pouvoir du Parlement de légiférer au sujet du Sénat ont été interprétées par la Cour à partir du paragraphe 91(1) alors que celui-ci ne présentait aucune restriction liée au Sénat. Les nouveaux pouvoirs unilatéraux de modification du Parlement se trouvant à l'article 44 comportent maintenant plusieurs interdictions explicites à l'égard du Parlement agissant unilatéralement pour apporter des modifications au Sénat, y compris le mode de sélection des sénateurs mentionnés à l'alinéa 42(1)b). Plutôt que d'écarter le Renvoi relatif à la Chambre haute, les changements apportés à la Constitution en 1982 semblent en fait renforcer l'avis exprimé par la Cour.
    La question fondamentale à résoudre est de savoir si la nature indirecte du processus de consultation populaire sauve le projet de loi C-20, puisqu'une loi visant à établir un mode d'élection directe enfreindrait visiblement à la fois le Renvoi relatif à la Chambre haute et l'alinéa 92(1)b) de la Loi constitutionnelle de 1982.
    La réponse à cette question dépend de la littéralité de l'approche adoptée à l'égard de la jurisprudence constitutionnelle. D'aucuns soutiennent que le projet de loi C-20 est constitutionnel en raison de l'absence d'un conflit direct avec les pouvoirs légaux et discrétionnaires du gouverneur général prévus aux articles 24 et 32 de la Loi constitutionnelle de 1867. Toutefois, bien des éléments portent à croire que la Cour suprême du Canada n'adopterait pas une approche aussi littérale et immuable. L'historique du projet de loi C-20 et de son prédécesseur, le projet de loi C-43, montre clairement que le point central et essentiel du projet de loi est de parvenir à instaurer un Sénat élu.
    En tentant d'établir la vraie nature de la loi, les cours se sont souvent demandé quelle faille le corps législatif tentait de combler. Dans le cas du projet de loi C-20, de nombreuses déclarations du gouvernement laissent clairement savoir qu'il désire régler la question du caractère non électif du Sénat.

  (1555)  

    Le gouvernement souhaite que seules les personnes choisies par l'électorat occupent des sièges au Sénat. Essentiellement, la solution offerte par le projet de loi C-20 serait à peine différente si un mode d'élection directe était établi.
    Selon les défenseurs du projet de loi C-20, celui-ci confère un pouvoir discrétionnaire sur deux principaux plans essentiels à sa constitutionnalité. Aucune obligation légale n'impose au gouvernement de tenir des élections pour les candidats au Sénat, et aucune obligation légale ne précise que les candidats doivent être nommés une fois élus. L'histoire des élections sénatoriales en Alberta montre que les gouvernements pourraient exercer un éventuel pouvoir discrétionnaire et recommander au gouverneur général de ne pas nommer les candidats élus. Jean Chrétien et Paul Martin n'ont pas tenu compte des sénateurs élus en Alberta pour huit nominations de cette province au Sénat de 1996 à 2005.
    Cependant, les premiers ministres pourraient bien ne pas pouvoir faire abstraction du projet de loi C-20 une fois celui-ci adopté. Premièrement, la différence serait énorme si le processus électoral était édicté par le Parlement du Canada et non pas par une assemblée législative provinciale agissant hors de son domaine de compétence législatif habituel. Deuxièmement, une question se pose quant à la façon dont les cours réagiraient à l'égard d'une poursuite intentée par un candidat, élu conformément au processus préconisé par le projet de loi C-20, lequel aurait été ignoré pour une nomination au Sénat. Visiblement, les cours n'émettraient pas un bref de mandamus obligeant le gouverneur général à nommer un sénateur élu; il n'y a tout simplement aucune obligation légale à mettre en application en vertu du projet de loi C-20.
    Toutefois, les cours n'en resteraient fort probablement pas là. Dans le Renvoi sur la sécession du Québec, la Cour suprême aurait pu simplement affirmer que ni les lois canadiennes ni les lois internationales ne donnent au Québec le droit à la sécession. La Cour a plutôt déclaré que le gouvernement du Canada aurait l'obligation morale de négocier la séparation si une majorité absolue d'électeurs du Québec acquiesçait à une question référendaire clairement formulée. Dans le Renvoi sur le rapatriement, la Cour suprême aurait également pu affirmer que le gouvernement fédéral pouvait légalement apporter de façon unilatérale des changements à la Constitution qui toucheraient les pouvoirs des provinces; elle a plutôt déclaré qu'un degré appréciable de consentement de la part des provinces est requis par convention. Par conséquent, la Cour suprême du Canada émettrait fort probablement un avis quant à l'obligation politique du gouvernement de respecter le désir des électeurs dans le cadre du projet de loi C-20.
    Il est peu probable qu'un gouvernement ignore les désirs de la population exprimés dans le cadre d'un processus d'élection des candidats tenu avec tout le sérieux et la rigueur d'une élection ordinaire pour les membres de la Chambre des communes. Si le projet de loi C-20 était adopté, une convention constitutionnelle serait rapidement établie, selon laquelle les premiers ministres ne devraient recommander que les candidats élus pour la nomination au Sénat. Le principe démocratique imposerait dès le départ une obligation morale et politique. Ultimement, le pouvoir discrétionnaire que laisserait en théorie le projet de loi C-20 au premier ministre et au gouverneur général pourrait n'être qu'un mirage.
    Pour conclure, à tous les égards, le projet de loi C-20 crée un processus électoral qui fera du Sénat non plus un organisme non élu, mais une Chambre élue. Il s'agit d'une tentative radicale de modification des caractéristiques essentielles du Sénat tel que celui-ci a été institué en 1967 et tel qu'il fonctionne depuis. La méthode choisie pour cette réforme draconienne vise également à exclure les gouvernements provinciaux dont le consentement serait requis si la réforme était proposée par une modification officielle. Le Sénat est une institution fondamentale de la Confédération qui a fait l'objet d'importants débats en vue de créer le Canada.
    En 1982, les premiers ministres ont consenti à ce que les pouvoirs du Sénat et les modes d'élection des sénateurs ne puissent être modifiés que par un mode de révision officiel. Par conséquent, le Sénat ne peut être réformé radicalement par le Parlement sans l'accord des provinces.
    Merci.
    Merci, monsieur Heard.
    Nous passons maintenant à M. Simeon, grâce aux miracles de la science.
    Monsieur Simeon.
    Merci beaucoup, madame la présidente. C'est certainement un privilège pour moi de pouvoir témoigner devant le comité et je vous en remercie infiniment. Je peux seulement vous parler par vidéoconférence à cause d'autres engagements et je vous demande de bien vouloir m'en excuser, ainsi qu'à mes collègues qui sont présents.
    J'avoue que je suis également très ambivalent au sujet du projet de loi C-20 et de la façon d'y répondre. Je partage la plupart des inquiétudes que mes collègues ont exprimées, mais je pense que je me place peut-être dans une perspective légèrement différente.
    Je crois qu'il y a beaucoup à dire en faveur du projet de loi C-20. Après des décennies de vains débats au sujet de la réforme du Sénat, ce projet de loi ouvre enfin la possibilité d'un véritable changement sans nous plonger dans un nouveau cycle de négociations constitutionnelles vouées à l'échec. Il apporte un élément de véritable démocratie dans le processus de sélection des sénateurs, ce qui pourrait rendre le Sénat plus représentatif, plus réceptif et plus comptable de ses actes.
    Cela promet une limitation de la concentration excessive du pouvoir de nomination entre les mains du premier ministre, ce qui constitue un élément important du déficit démocratique au Canada et la raison fondamentale de la faiblesse du Sénat en tant qu'organisme représentant efficacement les intérêts régionaux et provinciaux dans les institutions centrales.
    Cela crée la possibilité d'un Sénat qui sera peut-être mieux à même de représenter les provinces au Parlement fédéral. M. Watts a mentionné l'argument invoqué par Tom Kent et je pense être d'accord avec lui pour dire que la légitimité du gouvernement central sera améliorée par l'élection des sénateurs. D'autre part, cela pourra limiter la capacité des premiers ministres à avoir le monopole de la représentation du point de vue des provinces sur les questions nationales. Je pense que cela contribuera à un fédéralisme sain.
    Par conséquent, il y a des choses positives à dire au sujet de ce projet de loi, mais bien entendu, j'ai également certains doutes bien réels à l'égard du processus et sur le fond.
    Premièrement, pour ce qui est du processus, il y a là plusieurs éléments. Les deux réformes envisagées soit des élections consultatives et un mandat fixe pour les sénateurs, ne sont qu'un pis-aller à défaut d'une réforme plus fondamentale. Je sais que la portée des projets de loi est largement limitée par le désir du gouvernement de trouver un moyen d'apporter des changements en les soumettant uniquement au Parlement plutôt qu'en suivant la procédure de modification constitutionnelle.
    Néanmoins, cela a l'inconvénient qu'il n'y aura pas une révision complète du Sénat portant, comme l'a dit M. Watts, sur le rôle et les pouvoirs du Sénat ainsi que la répartition des sièges entre les provinces. Pourtant, tous ces facteurs sont liés et forment un tout. Par exemple, voulons-nous augmenter les pouvoirs du Sénat, comme ce projet de loi va sans doute le faire, sans remédier à la sous-représentation évidente des provinces de l'Ouest au Sénat?
    Deuxièmement, nous n'avons pas eu un grand débat public sur la réforme du Sénat. Le public n'a pratiquement pas participé à ce processus, même si de nombreuses propositions imaginatives ont été faites, au cours des années, pour réformer le Sénat.
    De plus, comme on l'a souligné, le Sénat est un élément crucial du fédéralisme, si bien que l'absence de consultations intergouvernementales pose un problème. Un certain nombre de provinces, y compris l'Assemblée nationale du Québec, à l'unanimité, se sont opposées à ce projet de loi. Plusieurs provinces ont déjà adopté leur propre loi pour la sélection de candidats aux postes de sénateurs ou envisagent de le faire. Je pense que ce serait là une solution de rechange intéressante que nous pourrions explorer.
    Pourquoi toutes les provinces ne pourraient-elles pas tenir des élections dont les résultats seraient soumis au premier ministre? Il conserverait son pouvoir discrétionnaire sur les nominations et pourrait ne pas tenir compte des résultats s'il estimait que le processus de sélection de la province était antidémocratique. Je pense que cela permettrait d'atteindre la plupart des objectifs visés ici sans soulever les mêmes problèmes constitutionnels que ce projet de loi.
    Le point de vue du fédéralisme jette également une autre lumière sur la constitutionnalité du projet de loi C-20. Je me rends aux avis d'experts juridiques comme Peter Hogg et Patrick Monahan qui vous ont dit que le projet de loi est rédigé de façon suffisamment serrée pour qu'il ne soit pas nécessaire de modifier officiellement la Constitution, mais ils reconnaissent eux-même que nous pourrions nous retrouver facilement dans une zone grise du point de vue constitutionnel, surtout si le projet de loi est renforcé.
    Toutefois, si nous avons besoin d'un amendement pour apporter un important changement au Sénat, c'est parce que les intérêts des provinces sont vraiment en jeu. Que ce projet de loi soit constitutionnel ou non, il établit, comme on l'a souligné, une nouvelle série de règles qui pourraient, à long terme, modifier largement le rôle et les pouvoirs du Sénat et donc modifier notre Constitution telle qu'elle s'applique actuellement, ce qui pourrait avoir d'importantes implications pour le fédéralisme.

  (1600)  

    Donc, le processus soulève de réels problèmes.
    Je voudrais maintenant aborder les questions de fond.
    L'aspect que je trouve sans doute le plus inquiétant est le caractère incertain de cette mesure: le gouvernement peut décider ou non de tenir une élection consultative; il peut décider ou non de nommer les personnes qui ont remporté les élections et les élections peuvent avoir lieu dans certaines provinces et pas dans d'autres.
    Il me semble que si nous décidons de tenir des élections pour le Sénat, il faut qu'elles aient lieu partout. Les résultats devraient être exécutoires, etc. La confusion régnera dans l'esprit des citoyens si chaque fois qu'un siège de sénateur devient vacant, ils ne savent pas s'il y aura un vote ou non et quels seront ses effets. Il semble également bizarre qu'on adopte les règles complexes et détaillées énoncées dans la loi et qu'on mobilise toutes les ressources d'Élections Canada pour gérer une élection dont le statut et les effets ne sont pas clairs.
    Deuxièmement, je soulève la question du moment où les élections sénatoriales auraient lieu. Le projet de loi envisage qu'elles aient lieu en même temps qu'une élection fédérale ou provinciale. Le Directeur général des élections a fait valoir de façon convaincante qu'il pourrait être très compliqué de les coordonner avec les élections provinciales et il est donc probable que les élections sénatoriales coïncideraient avec les élections fédérales. Néanmoins, cela pose des problèmes. Les élections sénatoriales retiendraient sans doute moins l'attention que les élections générales; leurs résultats seraient influencés par les préoccupations des partis nationaux et il serait difficile de séparer le financement et les autres activités du Sénat des élections générales.
    Je crois qu'il serait de loin préférable de tenir les élections sénatoriales séparément, à date fixe. On pourrait peut-être leur réserver une journée tous les deux ans et tenir des élections pour tous les sièges vacants au Sénat ce jour-là. Ce serait plus simple à administrer, cela réduirait la partisanerie, du moins un peu, et cela permettrait beaucoup plus à l'électorat des provinces d'exprimer la façon dont il souhaite que ses intérêts soient défendus à Ottawa.
    J'ai également quelques mots à dire au sujet du système de vote unique transférable qui est prévu ici, mais je serai bref, car le temps me manque. Je dirais simplement que si nous apportons deux grandes séries de changements, un changement au système électoral et des changements fondamentaux au Sénat, il faut se rendre compte qu'il va falloir mettre en place un énorme programme d'information du public. Deux référendums concernant la réforme électorale ont échoué en Ontario et en Colombie-Britannique, et cela parce qu'il n'y a pas eu de campagne d'information dans un cas comme dans l'autre.
    Cela soulève un certain nombre d'autres questions. Les dispositions de financement sont peu claires et la campagne sera coûteuse. Par conséquent, on ne sait pas exactement pourquoi les partis politiques peuvent apporter leur contribution sous la forme de services, mais pas sous celle d'un financement direct ou pourquoi il n'y a pas de plafond pour les contributions directes aux candidats, comme pour les autres élections. Ne faudrait-il pas prévoir une subvention publique pour les candidats aux élections sénatoriales? Les questions de ce genre ont toutes un effet sur la mesure dans laquelle nous voulons que les élections sénatoriales soient à l'abri de l'influence des partis et sur l'importance que nous leur accordons. Il y a beaucoup de précisions à apporter.
    La question la plus importante est, bien entendu, celle de savoir quels effets les changements auront à très long terme. Les politicologues et les constitutionnalistes ont très mal prédit, jusqu'ici, les conséquences des changements institutionnels, mais c'est pourtant fondamental, comme on l'a souligné. Une fois le système en place et accepté, le Sénat aura beaucoup plus de légitimité et donc d'influence que ce n'est le cas actuellement. Ce sera un autre centre du pouvoir, d'autant plus que ces pouvoirs resteront intacts. La Chambre des communes resterait la chambre de confiance avec le pouvoir de faire et défaire les gouvernements, mais c'est une convention et cela pourrait facilement changer avec un Sénat plus légitime. Toutefois, je ne suis pas certain que ces doutes et ces incertitudes au sujet de l'avenir à long terme devraient nous empêcher d'agir maintenant pour lancer ce processus.
    Pour conclure, je dirais que je n'aime pas beaucoup ce projet de loi. Je le considère comme un effort graduel et ponctuel influencé par le désir d'apporter certains changements sans avoir à modifier la Constitution. On pourrait certainement faire valoir qu'il faudrait envisager une réforme plus vaste, même si cela prend beaucoup de temps. Après tout, le public ne réclame pas, à cor et à cri, une réforme urgente et il n'y a pas de crise exigeant une intervention.

  (1605)  

    Néanmoins, dans l'ensemble, malgré mes réserves et ma préférence pour une autre voie, adoptons ces changements, mais en leur apportant quelques modifications. Voici ce que je souhaiterais: que le projet de loi soit renforcé de la façon que j'ai déjà suggérée; que les élections aient lieu dans toutes les provinces pour toutes les nominations au Sénat; qu'elles soient honorées par le premier ministre, qu'il y ait une journée d'élection, etc.
    Je sais que ce renforcement risque d'entraîner des changements qui exigeront de modifier la Constitution dans les formes. La meilleure solution serait peut-être de renforcer le projet de loi aux Communes, de demander à la Cour suprême de se prononcer sur sa constitutionnalité et de voir s'il transgresse ou non la procédure d'amendement. La Cour pourrait alors éclairer la Chambre au sujet de la portée et des limites de ce que le Parlement peut faire unilatéralement et guider ainsi le débat final sur ce projet de loi.
    Merci beaucoup, madame la présidente.

  (1610)  

    Merci, monsieur Simeon.
    Je peux voir que tous vos exposés ont suscité de nombreuses questions.
    Nous allons commencer notre premier tour de sept minutes par Mme Folco.

[Français]

    Merci, madame la présidente.
    Je voudrais vous remercier tous trois d'être ici. Vous vous distinguez par votre connaissance et votre esprit critique par rapport à la Constitution et au projet de loi à l'étude aujourd'hui.
    J'ai deux grandes questions à poser. La première touche le pouvoir de l'exécutif par rapport à la nomination des personnes qui auraient gagné des élections. Dans le projet de loi C-20, nulle part nous dit-on que le premier ministre a l'obligation de nommer les personnes qui ont été élues par vote populaire. Il a la discrétion de présenter la liste au Gouverneur général. Il pourrait donc choisir sur la liste la moitié des personnes ou davantage, comme il pourrait n'en choisir aucune, ou présenter au Gouverneur général une liste composée de personnes qui n'ont pas été élues par vote populaire.
    Pourquoi ce projet de loi, qui ne touche pas la Constitution et qui peut, par conséquent, être adopté simplement comme un projet de loi, ne donne-t-il pas de détails sur les responsabilités du premier ministre par rapport à cette liste? C'est ma première question.
    Ma deuxième question concerne le pouvoir des provinces. Je crois que c'est M. Heard qui nous a dit, et je lis sa dernière phrase en anglais:

[Traduction]

… le Sénat ne peut être réformé radicalement par le Parlement national sans l'accord des provinces. »

[Français]

    Pourtant, nous savons que la représentation actuelle des sénateurs par rapport à leur propre province n'est pas la même dans toutes les provinces canadiennes. Par exemple, au Québec, les sénateurs représentent une région spécifique, ce qu'ils ne font pas dans les autres provinces. Comment pourrait-on changer le rôle, la nomination et les responsabilités des sénateurs sans demander au gouvernement du Québec de se prononcer là-dessus?
    Je pose ces questions à un des trois témoins, à celui qui voudra bien y répondre.

[Traduction]

    Monsieur Watts ou peut-être monsieur Heard, voulez-vous commencer à répondre?
    Monsieur Heard.
    Vous avez soulevé un certain nombre de questions assez compliquées. Excusez-moi si je réponds surtout à certaines d'entre elles.
    Il y a la question de savoir pourquoi le projet de loi ne porte pas précisément sur le rôle du premier ministre et son pouvoir discrétionnaire de recommander des candidats. Je pense que le premier ministre a été laissé en dehors de ce projet de loi parce qu'il n'est pas mentionné dans la loi en ce qui concerne les nominations au Sénat. Pour que ce projet de loi puisse prétendre à une validité constitutionnelle, moins il fait mention du premier ministre, mieux cela vaut. Du point de vue de la rédaction, je suppose que c'est pour cette raison que le premier ministre n'est pas mentionné et qu'il n'est pas dit s'il doit ou non recommander des candidats qui n'ont pas été élus.
    La deuxième série de questions portait sur le rôle d'un sénateur en tant que représentant de sa province et des différences à cet égard d'une province à l'autre. Vous avez mentionné le rôle particulier que les sénateurs du Québec jouent à cet égard étant donné que chacun d'eux représente une des 24 circonscriptions de la province. Cela pose de sérieuses difficultés pour la rédaction du projet de loi, d'une part, ainsi que des questions quant aux raisons pour lesquelles ce projet de loi a été proposé et ce changement a été suggéré sans l'accord du gouvernement provincial, surtout celui du Québec, dans le cas qui vous intéresse.
    J'ai essayé de réfléchir à un amendement qui tiendrait compte du fait que les sénateurs du Québec représentent une circonscription particulière. Je ne sais pas exactement ce qu'il serait possible de faire. Le plus simple serait de modifier l'article du projet de loi concernant l'éligibilité d'un candidat pour dire seulement que les candidats devraient présenter les qualités requises à l'article 26 de la Loi constitutionnelle de 1867 et que si c'est le cas, ils répondent aux conditions d'éligibilité.
    Néanmoins, cela ne règle pas le problème des circonscriptions du Québec, car un candidat pourrait être qualifié pour représenter une circonscription, mais pas celle où un siège devient vacant. Par conséquent, c'est peut-être une solution pratique, car je crois que les nominations de représentants du Québec au Sénat conduisent souvent des sénateurs à acheter un bien immobilier dans une circonscription dans laquelle il n'avait pas de liens jusque-là. Par conséquent, il suffit peut-être de dire que si vous présentez les qualités requises à l'article 26, vous répondez aux conditions d'éligibilité pour représenter une circonscription, mais si vous êtes nommé pour représenter une autre circonscription et que vous vous dépêchez d'acheter un bien immobilier dans cette circonscription, vous êtes éligible.
    Par conséquent, en pratique, il faudrait apporter un amendement pour s'assurer que les candidats aux élections au Sénat ont les qualités requises pour siéger au Sénat. Pour le moment, vous pourriez présenter votre candidature sans répondre aux conditions d'éligibilité. En apportant ces changements, il est possible de corriger le problème particulier qui se pose pour le Québec.
    La dernière question politique est que ce changement est suggéré et proposé sans l'accord du Québec. En fait, la province de Québec a déclaré très clairement qu'elle s'opposait à ce projet de loi, ainsi qu'au projet de loi C-19.
    Je pense que c'est une mauvaise chose du point de vue constitutionnel. Je crois qu'un accord a été conclu en 1982 sans que le gouvernement du Québec ne s'y joigne, mais le reste des gouvernements provinciaux ont convenu que si des changements importants étaient apportés au Sénat, ils devraient l'être avec l'accord des gouvernements provinciaux. C'est donc une raison pour laquelle je crois que le gouvernement adopte une mauvaise démarche pour atteindre un but qui pourrait, autrement, être admirable.

  (1615)  

    Merci, monsieur Heard.
    Voulez-vous donner à quelqu'un d'autre la possibilité de répondre?
    J'aillais justement demander si M. Watts ou M. Simeon désirait ajouter quelque chose.
    Monsieur Watts.
    Je serai bref. Je n'ai rien à ajouter en ce qui concerne la deuxième question, si ce n'est que c'est une des raisons pour lesquelles nous avons une procédure de modification constitutionnelle qui exige la participation des provinces.
    Pour ce qui est de la première question, je suppose que si ce n'est pas nécessaire, ou s'il n'a pas été précisé dans le projet de loi que le premier ministre a ou non des obligations, c'est simplement parce qu'une fois que le processus électoral est enclenché, on suppose que les pressions du public forceront le premier ministre à se plier à la volonté populaire. Autrement dit, tel qu'il est libellé, malgré toutes les critiques que j'ai portées, je pense que le projet de loi C-20 part du principe que les pressions du public obligeront toujours un premier ministre à accepter le candidat choisi dans le cadre du processus de consultation.
    Monsieur Simeon.

  (1620)  

    Je suis d'accord, mais je crois toujours que cela laisse dans le projet de loi une ambiguïté qu'il faudrait éliminer. Je voudrais enlever ce pouvoir discrétionnaire au premier ministre. Cela rendrait le projet de loi plus net et plus précis. Bien entendu, si nous inscrivions dans la loi que les résultats des élections au Sénat sont exécutoires, il suffirait au gouverneur général de prendre note des résultats et le premier ministre n'aurait pas d'autre rôle à jouer.
    Merci.
    Votre temps est écoulé.

[Français]

    Monsieur Paquette, vous avez la parole.
    Merci, madame la présidente.
    Merci à nos trois présentateurs, c'était très intéressant. On est devenu, au fil des semaines, de véritables... Non, j'exagère: on commence à comprendre un peu le droit constitutionnel.
    Lors de sa comparution devant le comité, le professeur Peter Hogg a appuyé la thèse du gouvernement — le leader parlementaire du gouvernement est venu présenter le projet de loi — voulant que le caractère facultatif du choix du premier ministre quant à la consultation touchant les sénateurs fait en sorte que la Constitution n'est pas touchée.
    Vous pouvez répondre tous les trois, ce serait intéressant. Le caractère facultatif est-il déterminant sur le plan constitutionnel? Le gouvernement n'a-t-il pas cherché à faire indirectement ce qu'il ne pouvait faire directement sur le plan constitutionnel? J'aimerais aussi que vous reveniez sur la question des conventions constitutionnelles dans ce contexte. Sommes-nous en train de créer un Sénat élu sans lui en donner le nom, ce que plusieurs d'entre vous avez soulevé dans vos présentations?

[Traduction]

    Je crois que sa question s'adressait à vous deux.
    Monsieur Watts.
    Vous avez dit exactement ce que j'ai essayé de faire valoir, que le projet de loi C-20 est un exemple de cas où le Parlement essaie de faire indirectement ce qu'il ne peut pas faire directement. Mon argument est que si une institution aussi fondamentale que le Sénat est modifiée, il faut le faire directement. Je crois nécessaire de le faire, mais cela devrait être directement, même si c'est difficile. Richard a raison de souligner les difficultés, mais ce n'est pas parce que c'est difficile que nous devrions procéder de façon détournée. La procédure de modification de la Constitution est complexe afin qu'il y ait un vaste consensus à l'appui d'un amendement. Voilà pourquoi il est important d'obtenir l'accord des provinces. Voilà pourquoi il est important de tenir un vaste débat public.
    Ce n'est pas l'objectif du projet de loi qui me préoccupe, mais les moyens utilisés. Et je ne pense pas que la fin justifie les moyens.
    Monsieur Heard.
    Dans un comité sénatorial, Hogg et Monahan ont fait valoir tous les deux que l'existence du pouvoir discrétionnaire du premier ministre et du gouverneur général est déterminante pour la constitutionnalité de cette mesure.
    Je ne suis pas d'accord. Je crois que la Cour se préoccupera d'autres choses que du fait que le pouvoir discrétionnaire du gouverneur général n'est pas exécutoire. Elle s'intéressera aux effets ainsi qu'au but du processus qui est établi ici. Une fois que le processus sera enclenché et que des sénateurs élus feront partie de la Chambre, les pouvoirs du Sénat changeront énormément. Il ne fait aucun doute que le but recherché est de peupler le Sénat de sénateurs élus. Cela aurait de profonds effets. La Cour suprême examinerait les effets de la loi et pas seulement le lien établi noir sur blanc entre ce processus et celui qui est décrit en détail dans les documents constitutionnels.
    Vous parlez des conventions constitutionnelles. Je pense qu'il y en aurait une et que seuls les candidats élus seraient nommés. J'ai fait valoir qu'une convention serait rapidement créée au sujet de la limite du mandat à la Chambre des communes. C'est ce que le public attend. On estime qu'une loi adoptée par le Parlement doit être appliquée. Je pense donc qu'il y aurait rapidement une convention si bien que les effets de cette loi seraient rapidement très différents du simple cadre juridique qu'elle décrit. Au lieu que le processus soit simplement consultatif, il deviendrait décisif.

  (1625)  

    Je pense que M. Simeon désire ajouter quelque chose.
    Merci, madame la présidente.
    J'ai lu les témoignages des professeurs Hogg et Gélinas à ce sujet avec un certain scepticisme. Ils n'ont convaincu, à la fin, que pour le moment, c'était probablement conforme à la Constitution. Néanmoins, ils ont tous les deux souligné que dans la mesure où ce projet de loi deviendra plus explicite et réduira le pouvoir discrétionnaire du premier ministre — comme je le souhaite — nous nous retrouverons dans une zone grise qui nous rapprochera de plus en plus de la nécessité absolue de modifier la Constitution.
    Voilà pourquoi j'ai terminé mon exposé en laissant entendre que le comité et la Chambre devraient améliorer ce projet de loi. Ensuite, comme le comité sénatorial l'a également suggéré, avant qu'il ne soit adopté, il faudrait le renvoyer à la Cour suprême. Cette dernière peut clarifier cette question qui fait l'objet d'énormément de débat pour le moment au sujet des conditions dans lesquelles le Parlement peut agir seul pour améliorer le Sénat et celles dans lesquelles il doit obtenir le consentement des provinces.
    Merci, monsieur Simeon.
    Monsieur Paquette.

[Français]

    Merci.
    On a évoqué la possibilité que des régions du Canada puissent utiliser la disposition législative qui a été adoptée après le référendum de 1995 au Québec, laquelle donne un droit de veto. Le Québec, qui s'est déjà prononcé carrément contre le projet de loi C-20, aurait, en vertu de la législation qui a été adoptée après le référendum de 1995, un droit de veto à l'égard de ce projet de loi.
    Qu'en pensez-vous?

[Traduction]

    Demandez-vous si la loi sur le veto régional serait appliquée?

[Français]

    Je ne parle pas du droit de veto qu'on a perdu en 1981-1982. Le professeur Mendes nous a dit qu'en 1995, un projet de loi a été adopté, donnant ainsi un droit de veto aux cinq régions du Canada. D'après lui, le gouvernement du Québec pourrait invoquer ce droit de veto pour bloquer le projet de loi à l'étude.

[Traduction]

    Ce droit de veto s'applique seulement à la procédure officielle de modification de la Constitution. Je ne pense pas que, dans ce contexte, le gouvernement du Québec essaierait de l'exercer. Il pourrait renvoyer la question de savoir s'il y a ou non une convention qui exige le consentement des provinces pour ce genre de changement. Nous avons un précédent qui remonte au rapatriement de la Constitution. La Cour suprême était alors disposée à discuter de la teneur des conventions constitutionnelles relatives aux institutions fédérales prévues dans la Constitution.
    Nous allons passer à M. Comartin.
    Merci, madame la présidente. Je remercie les professeurs pour leur présence ici et le professeur Simeon d'être présent par vidéoconférence.
    Monsieur Heard, je voudrais revenir sur les conventions constitutionnelles et vous pourriez peut-être aussi en parler, monsieur Simeon. Nous n'avons pas de convention constitutionnelle, si je me souviens bien, à moins d'entamer le processus qui est, dans ce cas, le processus de consultation. Par conséquent, si comme le recommande M. Simeon, nous faisions un renvoi à la Cour suprême, elle n'aurait pas de convention à examiner, n'est-ce pas?
    Elle ne pourrait pas parler d'une convention comme telle, étant donné que, traditionnellement, il faut pour cela un précédent de même qu'une discussion de principe. Il faut donc un principe constitutionnel qui est protégé, une déclaration des parties selon laquelle elles s'estiment liées par une règle et un précédent. Telle est la formule que la Cour suprême a examinée en 1980.
    Je pense que les juges examineraient le principe en cause et toute déclaration de la classe politique selon laquelle elle s'estime liée par ces dispositions. Le premier ministre a clairement indiqué qu'il suivrait ce processus. C'est une déclaration importante pour établir les bases d'une convention.

  (1630)  

    Il n'y a pas de précédent historique en droit constitutionnel canadien où on a conclu à l'existence d'une convention constitutionnelle avant qu'elle n'ait été mise en pratique et utilisée pendant un certain temps.
    Il y en a eu un exemple quand les premiers ministres de Grande-Bretagne et des dominions se sont réunis pendant les conférences impériales où ils ont conclu un certain nombre d'accords au sujet des relations futures de la Grande-Bretagne avec les dominions. Ils ont signé des accords officiels au sujet de la façon dont ces processus interviendraient. L'un d'eux était que les ministres du dominion conseilleraient au roi qui nommer comme gouverneur général du dominion. Le premier précédent a été établi quand les Irlandais ont fait cela, mais il était clair que tout le monde savait à l'avance qu'il fallait procéder ainsi.
    J'ai donc fait valoir, dans des travaux antérieurs, que vous n'avez pas forcément besoin d'avoir un précédent pour qu'une obligation existe. Ces conférences impériales des années 20 ont créé une série de conventions et il était bien entendu que des obligations existaient avant qu'elles commencent à être utilisées.
    Cela pose une difficulté. Néanmoins, à ce moment-là, nous acceptions les conventions constitutionnelles qui existaient ailleurs au sein de l'Empire britannique.
    Ces accords ont transformé ces conventions parce que, jusque-là, les ministres britanniques conseillaient au roi qui nommer au poste de gouverneur général et les gouvernements du dominion n'étaient pas toujours consultés. Par conséquent, le fait de dire que les ministres du dominion recommanderaient au roi les nouveaux gouverneurs généraux, représentait un changement radical et un pas vers notre indépendance.
    Monsieur Simeon, je vois que vous écrivez. Voudriez-vous ajouter quelque chose?
    Oui, j'aimerais intervenir, si possible, madame.
    Premièrement, il ne faut pas oublier que la façon dont une convention finit par s'intégrer dans le droit constitutionnel est l'un des grands mystères du droit constitutionnel. Je pense que cela peut se faire par des voies différentes.
    La voie la plus évidente, comme on l'a déjà mentionné, est celle de l'histoire et de la jurisprudence. C'est ainsi que les choses se sont passées et se passent encore. La convention revêt alors une certaine légitimité et crée des attentes de la part de tous les acteurs politiques. C'est sur cela que la Cour suprême a fondé son jugement dans le renvoi sur le rapatriement en disant au gouvernement d'Ottawa qu'aux termes de la loi, il pouvait le faire, mais que la convention ne le lui permettait pas étant donné qu'il devait obtenir un consentement substantiel des provinces.
    Néanmoins, dans le Renvoi sur la sécession du Québec, la Cour suprême a établi une convention reposant sur un deuxième fondement. Cette convention ne se basait pas sur l'histoire ou la jurisprudence, mais sur ce que la Cour suprême a déclaré comme étant les valeurs fondamentales du fédéralisme canadien. C'est ainsi que l'obligation d'Ottawa de négocier avec le Québec est devenue une convention constitutionnelle.
    Troisièmement, un événement catalyseur peut établir très rapidement une convention. Le renvoi de Charlottetown pourrait être un exemple de ce genre. Certaines personnes, dont je fais sans doute partie, diront que même si nous ne l'avons fait qu'une seule fois, nous n'apporterons plus jamais un changement important à la Constitution sans le consentement de la population.
    Il y a donc de nombreuses façons de modifier le droit constitutionnel.
    Merci, monsieur Simeon.
    Monsieur Watts, désirez-vous ajouter votre grain de sel?
    Non, j'appuie ce qu'ont dit mes collègues.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Comartin, il vous reste un peu de temps.
    Pour poursuivre sur ce sujet avec vous trois, s'il n'y a pas de renvoi, ne pensez-vous pas qu'il pourrait y avoir une contestation judiciaire, émanant du Québec ou d'une autre province, ou peut-être d'un des partis politiques?
    Pour commencer, je serais étonné qu'il n'y en ait pas.
    Je suis d'accord. Je m'attends à ce qu'il y en ait une.
    Donc, pour revenir à la recommandation de M. Simeon, il faudrait renvoyer immédiatement la question à la Cour suprême au lieu d'attendre que le litige vienne d'ailleurs.
    Cela me semble être la voie la plus sage, bien que Richard Simeon ait suggéré de commencer par voir quelles sont les modifications que vous pourriez apporter au projet de loi avant de le renvoyer à la Cour suprême. Mais en fin de compte, je pense qu'il serait plus sage de le renvoyer avant d'attendre qu'il soit contesté.

  (1635)  

    Merci.
    Monsieur Simeon.
    Je suis entièrement d'accord.
    Merci.
    Il vous reste encore du temps. Vous avez une minute.
    Je vais m'arrêter là pour le moment.
    Merci, madame la présidente.
    Merci.
    Monsieur Reid.
    Pour poursuivre encore un peu sur le sujet des conventions, si j'ai bien compris — et si je me trompe, dites-le moi — ce qui distingue avant tout une convention de tout autre principe, c'est que l'opinion publique force à l'appliquer. Si l'opinion publique est prête à tolérer qu'on s'écarte de ce qui semble être une convention, c'est qu'il ne s'agissait pas vraiment d'une convention.
    Je ne parle pas de l'opinion publique telle qu'elle s'exprime dans les sondages d'opinion. Je veux parler de l'opinion publique qui s'exprime à un niveau plus fondamental, par exemple aux prochaines élections. C'est ce qui permet de dire que la convention existe ou n'existe pas. Concevez-vous les conventions de façon différente ou partagez-vous ma façon de voir?
    Je pense que l'opinion publique joue un rôle assez complexe à l'égard des conventions. Je ne serais donc pas tout à fait catégorique à cet égard. Je dirais que l'opinion publique est parfois très difficile à jauger à l'occasion d'un événement particulier, surtout quand il s'agit d'une élection. Il est difficile de dire si son résultat jette le doute sur les agissements d'un gouvernement ou s'il les légitimise.
    Un des problèmes que pose notre processus électoral c'est qu'il est très difficile de savoir si la majorité des électeurs est en faveur d'une mesure ou si elle s'y oppose étant donné que les gouvernements sont élus à la majorité simple et non pas à la majorité absolue. Il est donc très difficile d'interpréter les résultats bruts des élections pour savoir si les électeurs appuient ou non une mesure ou une décision.
    D'autre part, il arrive parfois qu'un gouvernement fasse avaler quelque chose à la population alors qu'a posteriori on se rend compte clairement qu'une convention a été rompue. Que cela ait déclenché ou non une levée de boucliers, après coup, tout le monde s'entend à dire que le gouvernement n'aurait pas dû ou aurait dû faire telle ou telle chose. L'opinion publique qui a cours à un moment donné nous aide à établir si une convention existe ou non, mais elle n'est pas déterminante en soi.
    Monsieur Heard, il s'agissait d'une question générale que j'adressais à tous les témoins, mais je suis content que vous y ayez répondu, parce que je voulais vous poser la question suivante.
    Je ne sais pas exactement si vous avez dit que la création d'une convention ou d'une loi qui aura probablement pour effet de créer une convention entrera en ligne de compte pour juger de la constitutionnalité ou de l'inconstitutionnalité de la loi. En effet, si la loi vise à créer une convention ou si elle a pour effet d'en créer une, elle pourrait, pour cette raison, être déclarée inconstitutionnelle alors que ce ne serait peut-être pas le cas autrement.
    Les tribunaux se sont parfois servis des conventions pour comprendre les effets de la loi ou comprendre ses aspects sous-entendus. Ils se sont parfois servis des conventions pour faire appliquer le rapport entre le Cabinet et la Chambre des communes en ce sens qu'une loi qui considère un ministre comme un député de la Chambre des communes peut viser ce ministre du fait de la convention du gouvernement responsable.
    Les tribunaux se sont parfois servis des conventions pour porter des jugements sur la constitutionnalité des lois. Il y a certainement des limites à ce qu'ils peuvent faire à cet égard. Ce qui les intéresse, c'est surtout l'effet de la loi et si les conventions peuvent les aider à comprendre ces effets, ils en tiennent compte.
    Vous comprenez, j'espère, que je pose ces questions parce que c'est un argument qui a été invoqué.
    Je ne sais pas si quelqu'un l'a formulé ouvertement, mais la mesure dans laquelle ces élections sont exécutoires ou le deviennent de facto semble susciter des doutes aux yeux de certains des témoins qui ont comparu ici quant à la constitutionnalité de la loi. Cela même si personne n'irait dire que cela viole la prérogative royale, au sens le plus pur du terme.
    Il est évident, du moins sur le papier, que la Couronne conserve son pouvoir discrétionnaire absolu, tout comme elle conserve le pouvoir discrétionnaire qu'elle a omis d'exercer pendant 300 ans de refuser de sanctionner des lois une fois qu'elles ont été adoptées par les deux Chambres du Parlement.
    J'essaie d'obtenir des renseignements plus précis à ce sujet, simplement parce que cela pourrait influencer la façon dont nous examinons ce projet de loi, la façon dont nous essaierons de le modifier pour le rendre constitutionnel, etc. Je suppose que c'est davantage une observation qu'une question, mais vous avez sans doute quelque chose à dire à ce sujet, alors je vous invite à le faire.

  (1640)  

    Monsieur Watts.
    Dans ce genre de situation, je serais porté à répondre par une autre question. Autrement dit, si l'on juge, d'après le préambule du projet de loi, que son principal objectif est de démocratiser le processus, pourquoi le défendons-nous en disant que les aspects démocratiques peuvent être laissés de côté? Nous tenons des propos contradictoires. Nous disons qu'il s'agit de démocratiser le processus, mais nous défendons la constitutionnalité du projet de loi en disant que « bien entendu, il n'est pas nécessaire de l'utiliser de façon démocratique ». Je ne comprends pas une telle contradiction.
    La réponse est sans doute que le public désire fortement avoir un Sénat plus démocratique et que la Constitution s'y oppose. Je crois que c'est la réponse à votre question, monsieur Watts.
    Ma réponse est que, dans ce cas, il faut modifier la Constitution. Elle n'est pas sacro-sainte. Oui, nous avons eu de la difficulté à modifier la Constitution au cours des trois ou quatre dernières décennies, mais dans un domaine particulier plutôt discret comme celui-ci, je pense que la Constitution n'est pas immuable. Elle doit être ajustée pour suivre l'évolution du pays. Je dirais qu'il faudrait la modifier en ce sens.
    Je comprends, mais je dirais simplement qu'au lieu de présenter un argument constitutionnel, vous présentez maintenant un argument politique à savoir qu'il est souhaitable de modifier la Constitution. Nous ne devrions pas considérer qu'elle est sacro-sainte; nous devrions être prêts à la rouvrir. Tous ces arguments sont politiques. Il ne s'agit pas, selon moi, d'arguments constitutionnels.
    Pour que le comité puisse faire son travail, je crois important de faire une distinction entre les arguments politiques quant à savoir si le projet de loi est souhaitable et les arguments constitutionnels quant à savoir s'il est acceptable du point de vue constitutionnel.
    Vous pouvez certainement faire cette distinction, mais la constitutionnalité n'est pas la seule question qui se pose ici. Il s'agit également de voir si c'est souhaitable tel qu'indiqué dans le préambule. C'est un projet de loi politique et non pas seulement un projet de loi constitutionnel.
    Je ne voudrais pas oublier M. Simeon.
    Avez-vous quelque chose à ajouter?
    Pourrais-je simplement ajouter une chose?
    Je suis entièrement d'accord avec mes collègues pour dire qu'une fois que ce projet de loi sera adopté, le premier ministre aurait, du point de vue politique, énormément de difficulté à ne pas accepter le résultat d'une élection. Sinon, je pense qu'au début la conséquence serait politique. Il s'agirait d'une convention en ce sens que la plupart des acteurs politiques s'attendront à ce qu'il accepte et s'il ne le fait pas, il aura un prix à payer. Mais je pense qu'il s'écoulerait un certain temps — et il faudrait que cela se produise de façon répétée — avant que la Cour suprême ne considère qu'il s'agit d'une convention au sens strict du terme, c'est à dire une convention applicable par les tribunaux et qui fait partie intégrante de notre Constitution. Je suppose que la Cour suprême attendrait un certain temps avant de dire que c'est devenu une convention en ce sens.
    Merci.
    Monsieur Savage, le prochain tour est de cinq minutes.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
    Je remercie les témoins. Ce n'est pas mon comité habituel, mais le sujet m'intéresse beaucoup et je vous remercie de nous faire profiter de votre science.
    Monsieur Watts, comme je m'intéresse à l'histoire, j'ai trouvé intéressant d'apprendre qu'en 1864, John A. Macdonald s'est dit que l'élection des sénateurs n'était pas une bonne idée et qu'il serait préférable de les nommer.
    Je viens de la région de l'Atlantique, de Nouvelle-Écosse, et le Sénat a joué un rôle important pour ma région. Comme vous le savez, lorsque la Confédération a vu le jour, il y avait 24 sénateurs du Haut-Canada, 24 du Bas-Canada et 24 des deux provinces des Maritimes qui s'étaient jointes alors à la Confédération. Je pense que l'Île-du-Prince-Édouard y a adhéré en 1873 ou du moins dans les années 1870 et qu'elle a obtenu sa part des 24 sièges pour les Maritimes. Cette représentation régionale a donc été importante pour la région des Maritimes.
    La situation de la Nouvelle-Écosse n'est pas tout à fait comme celle du Québec où vous avez 24 régions distinctes, mais nous avons toujours eu, par exemple, un sénateur acadien de Nouvelle-Écosse. Nous avions des sénateurs de Nouvelle-Écosse d'ascendance africaine avant d'avoir des députés d'ascendance africaine. Nous avons eu de grands champions de la société culturelle de la Nouvelle-Écosse. Nous avons eu la championne des droits des pauvres, Soeur Peggy Butts, qui a été nommée par l'ancien premier ministre, M. Chrétien, dans les années 90. À mon avis, toutes ces personnes ont fait grandement honneur au Sénat et au processus parlementaire canadien.
    Un certain nombre de gens m'ont fait part de leurs préoccupations au sujet du Sénat. Est-il utile? Je suis ici depuis quelques années, j'ai vu le travail dont vous avez parlé, du sénateur Segal au sénateur Macdonald en passant par le travail que le sénateur Kirby a réalisé dans le cadre de plusieurs commissions importantes. Je sais que le Sénat accomplit un excellent travail. J'ai déposé aujourd'hui à la Chambre un projet de loi d'initiative parlementaire émanant du Sénat, qui a été adopté par le Sénat et qui est arrivé à la Chambre des communes. Je dois dire aux Canadiens que le Sénat accomplit beaucoup de travail.
    Même si je suis Néo-Écossais, je dirais qu'il me semble illogique que nous ayons davantage de sénateurs que la Colombie-Britannique ou l'Alberta. Nous devons apporter certains changements au Sénat. Je pense que tout le monde en reconnaîtra la nécessité. Chacune des quatre provinces fondatrices du Canada, si je puis utiliser cette expression, les quatre provinces initiales, le Québec, l'Ontario, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, se sont opposées à ce projet de loi et nous avons beaucoup parlé du processus qui est proposé.
    Ma seule question est la suivante: n'y aurait-il pas une meilleure solution? N'aurait-il pas été possible de mieux entamer le processus? Vous avez dit que c'était un projet de loi politique et le fait est que tout ce qui arrive à la Chambre des communes est politique, mais cela semble répondre davantage à un calcul politique qu'à une nécessité politique. Ne serait-il pas préférable de tenir des consultations, peut-être une conférence des premiers ministres, pour lancer le processus, pour décider du genre de réforme à apporter au Sénat?
    Tous ceux qui le désirent peuvent répondre à cette question.

  (1645)  

    Je vais commencer, et je laisserai mes collègues continuer.
    En quelques mots, c'est exactement ce que j'ai fait valoir quand j'ai dit que ce projet de loi porte sur un aspect du problème sans s'occuper des aspects interreliés et tout aussi importants concernant la contribution que le Sénat peut apporter au Parlement et à la fédération en tant qu'institution fédérale. Par conséquent, sans tenir compte des problèmes que pourrait soulever un amendement constitutionnel, nous devons examiner le Sénat en fonction du rôle qu'il joue vis-à-vis du Parlement et de la fédération.
    Merci.
    Monsieur Heard.
    À mon avis, la répartition des sièges est reliée de très près aux pouvoirs du Sénat et à la façon dont le Sénat utilise ces pouvoirs. C'est pourquoi, en 1982, il a été convenu que tout changement au mode de nomination des sénateurs ou aux pouvoirs du Sénat devrait être apporté dans le cadre de la formule d'amendement générale. L'élection des sénateurs aurait pour effet de modifier le comportement de ces derniers d'un certain nombre de façons. Certaines sont prévisibles, d'autres non, mais il est probable que les sénateurs se sentiront plus forts. Par conséquent, le niveau d'interaction et le nombre de lois qu'ils modifieront ainsi que leurs prises de position au sujet des projets de loi émanant de la Chambre des communes seront probablement plus énergiques que ce n'est le cas actuellement.
    Comme elles auront plus de pouvoirs et plus d'influence sur le processus politique, les provinces se soucieront de leur représentation et du nombre de sièges leur permettant d'exercer ce pouvoir. Voilà pourquoi j'estime que, du point de vue constitutionnel, la Cour suprême sera sensible à cette question et qu'elle dira sans doute qu'un projet de loi susceptible d'avoir un effet sur les pouvoirs du Sénat devrait être protégé ou est protégé par la formule d'amendement.

  (1650)  

    Merci.
    Monsieur Simeon.
    J'aurais seulement une ou deux choses à dire à ce sujet. Premièrement, comme je l'ai dit au départ, je pense que le processus qui est proposé ici n'est qu'un pis-aller et je préférerais de beaucoup une modification constitutionnelle dans les formes.
    Je ne pense pas que ce soit purement politique. Je pense qu'on craint réellement que si l'on ouvre la boîte de Pandore constitutionnelle, cela ne conduira qu'à des débats interminables et frustrants, ce que je peux comprendre. Voilà pourquoi je pense que nous devrions explorer ce que le Parlement peut faire à cet égard.
    D'autre part, comme je l'ai dit, nous ne savons pas exactement à quoi ressemblerait un Sénat élu, comment il se comporterait, à quel point il serait sectaire, etc. Bien des gens diront que cela va faire ressembler davantage le Parlement canadien au Congrès américain, avec deux assemblées législatives puissantes, par exemple.
    Tout d'abord, comme je l'ai dit, nous n'en sommes pas certains. Deuxièmement, je ne suis pas sûr que ce serait une si mauvaise chose. Nous avons maintenant la tyrannie de la discipline de parti. Nous avons la tyrannie d'un gouvernement formé d'un seul parti. Nous avons la tyrannie de la majorité simple à la Chambre des communes. Est-ce si merveilleux? Il est possible que si des voix plus puissantes peuvent s'exprimer sur les différents enjeux, d'un point de vue assez différent, ce ne soit pas la fin du gouvernement parlementaire tel que nous le connaissons, mais quelque chose de mieux. Ce n'est pas ce que je prédis, mais j'estime qu'il ne faudrait pas s'en tenir seulement au système parlementaire existant comme si c'était le modèle parfait.
    Merci.
    Monsieur Hill.
    Merci, madame la présidente.
    Je voudrais seulement reprendre là où M. Simeon s'est arrêté il y a quelques secondes.
    Une des choses qui m'exaspèrent, peut-être un peu plus parce que je viens de l'Ouest, c'est de voir combien on a défendu le statu quo, surtout sous les libéraux, au cours de ma vie politique et je suis là depuis près de 15 ans. Chaque fois qu'il a été question de modifier la situation du Sénat, les premiers ministres Chrétien et Martin ont dit qu'ils ne prendraient aucune mesure ponctuelle. C'était leur réponse habituelle au cours de la période des questions, dans les interviews, chaque fois qu'on la leur posait au cours d'un débat, au cours d'une campagne électorale. Autrement dit, cela correspond à ce qu'a laissé entendre M. Watts, à savoir que si nous voulons réformer vraiment le Sénat, la seule solution est d'ouvrir la Constitution et de le faire « dans les formes ».
    Je peux vous dire que c'est exaspérant pour un grand nombre de Canadiens, je crois, qui désirent voir évoluer un peu nos institutions. Je pense que nous devons parfois tenir compte des possibilités. C'est ce que fait le projet de loi C-20, il tient compte des possibilités.
    Je n'ai pas sous les yeux aujourd'hui le nombre exact de fois où, pendant plus de 100 ans, les gouvernements et les Parlements successifs ainsi que les experts ont essayé d'apporter des changements constitutionnels importants au Sénat, mais nous conviendrons tous, je pense, comme tous ceux qui se sont intéressés le moindrement à la question, que tous ces efforts ont été très frustrants. Cela vaut même pour les personnes qui sont encore vivantes aujourd'hui et qui ont vécu tous ces événements, que ce soit l'Accord de Charlottetown qui a conduit au référendum ou avant cela, l'Accord du lac Meech, qui représentent les deux dernières tentatives.
    Si j'ai bien compris — et c'est là que je compte sur ces trois messieurs pour m'éclairer — même aux États-Unis, le Sénat élu a évolué de façon ponctuelle, si je peux employer cette expression. Je crois que divers États ont commencé à élire leurs sénateurs. Avec le temps, comme M. Simeon a essayé de le faire valoir, c'est finalement devenu la norme plutôt que la nomination. Finalement, la pression du public a été suffisamment forte pour que cela devienne la norme acceptée et que le Sénat devienne entièrement élu au sud de la frontière.
    Je demanderais à nos experts s'ils peuvent citer d'autres démocraties dans lesquelles la réforme du Sénat s'est faite petit à petit. Cela a commencé lentement et s'est généralisé sous la pression du public qui a dit qu'il existait peut-être une meilleure façon de procéder.

  (1655)  

    Monsieur Watts.
    Je suppose que la question s'adresse à moi, car c'est moi qui ai fait valoir l'importance de tenir compte des autres aspects.
    J'hésiterais à choisir d'une part entre une modification ponctuelle très limitée et, d'autre part, l'ouverture de l'ensemble de la Constitution. Je ne propose pas de rouvrir toute la Constitution, mais simplement de revoir la question du Sénat. C'est une partie importante de la Constitution, mais il est risqué d'examiner seulement un de ses aspects, car il est relié aux pouvoirs existants du Sénat.
    Si vous examinez les régimes parlementaires — en laissant de côté ceux qui, comme les États-Unis, le Mexique, le Brésil et l'Argentine, ont un régime fondé sur un congrès, un régime présidentiel, nous sommes, théoriquement, la fédération constitutionnelle qui a le Sénat le plus puissant au monde. Cela ne nous pose pas de problème, parce que, par convention, le Sénat n'est pas prêt à défier la Chambre des communes quand il est évident que cette dernière a le soutien de la population. Si vous changez les choses pour avoir un Sénat élu, sans changer ses pouvoirs, vous pouvez vous retrouver dans une situation très risquée et très dangereuse. C'est ce qui m'inquiète lorsqu'on envisage de le faire seulement de façon ponctuelle, petit à petit.
    Vous avez soulevé la question des États-Unis. Vous avez en partie raison, car cela s'est passé État par État. Toutefois, à la fin, il y a eu un amendement constitutionnel en bonne et due forme qui s'est appliqué partout aux États-Unis. La Constitution a été modifiée en 1913 pour que les sénateurs soient élus directement plutôt que par les assemblées législatives des États.
    Lorsqu'on examine les pays où le processus a été graduel, il y a eu des réussites et des échecs, comme en Malaisie. La Malaisie a commencé par faire élire les trois quarts ou les deux tiers de ses sénateurs indirectement, par les assemblées législatives, tandis qu'elle en nommait une faible proportion. Suite à une convention, ce sont maintenant les trois quarts de ses sénateurs qui sont nommés.
    Une progression graduelle et ponctuelle n'est pas très souhaitable, mais c'est ce qui s'est passé là-bas. Cela montre qu'il est risqué de procéder à une réforme de cette façon lorsqu'il y a d'autres aspects à considérer.
    Je ne veux pas ouvrir toute la Constitution. Les efforts déployés depuis 40 ans m'ont beaucoup marqué. Je reconnais parfaitement à quel point cela peut être décourageant et dangereux. Néanmoins, cette crainte nous conduit à risquer de faire l'opposé, en essayant d'apporter une réforme ponctuelle sans tenir compte de ses répercussions sur ce qui figure déjà dans la Constitution. Et c'est ce qui m'inquiète.
    Un des deux autres désire-t-il dire quelque chose?
    Monsieur Heard.
    J'ajouterais simplement une brève observation.
    Je comprends et je partage votre découragement. Je viens de la Colombie-Britannique et je peux voir que la réforme du Sénat préoccupe beaucoup les gens. Je dirais toutefois qu'il est possible de faire certaines choses par les voies politiques et grâce à des conventions tandis que d'autres peuvent être faites au moyen de lois ordinaires. Ce qu'on peut faire en légiférant a certaines limites. Ce qu'on peut faire grâce aux conventions a également des limites. Certaines choses ne peuvent être faites qu'en modifiant la Constitution.
    Un gouvernement pourrait facilement apporter un changement informel. Il pourrait dire: « Nous allons tenir compte des candidatures proposées par les gouvernements provinciaux. Nous allons mettre fin au favoritisme qui existait jusqu'à maintenant .» Rien n'empêche le premier ministre de dire: « À partir de maintenant, je vais procéder aux nominations après avoir consulté les premiers ministres des provinces. » Ce serait un changement important pour le Sénat et pour les relations fédérales-provinciales. Toutefois, celui qui proposerait une loi en ce sens pourrait avoir des difficultés.
    C'est un des paradoxes de l'innovation constitutionnelle. Il y a certaines choses que vous pouvez faire de façon informelle, mais que vous ne pouvez pas faire si c'est écrit dans la loi. Je m'inquiète notamment du fait que le processus qui a été choisi pose peut-être des problèmes du point de vue juridique, mais cela ne veut pas dire qu'il n'est pas possible d'opter, légalement, pour d'autres solutions.

  (1700)  

    Monsieur Simeon, voulez-vous participer à la discussion?
    Oui, la discussion prend une tournure intéressante. Il est question ici de deux sortes de craintes.
    Premièrement, il y a la crainte qui vient d'être exprimée au sujet des difficultés potentielles de deux Chambres ayant des pouvoirs légaux et qui ont toutes les deux été élues, ainsi que les possibilités de danger, etc. C'est certainement vrai. Toutefois, n'oublions pas que la transition à un Sénat entièrement élu, comme la Chambre qui est entièrement élue, prendrait un certain temps. Nous aurons tout le temps de voir comment les choses évolueront.
    D'autre part, il y a la crainte d'adopter ce projet de loi. On a peur d'ouvrir une boîte de Pandore en modifiant la Constitution et peur que cela ne nous entraîne dans un autre débat interminable. Nous craignons de ne pas pouvoir limiter le débat au Sénat. Comme pour l'Accord de Charlottetown, le cadre du débat s'élargirait sans cesse.
    Étant donné ces deux sortes de craintes et le désir de ne pas simplement s'enliser dans le statu quo, il serait souhaitable que toutes nos institutions politiques explorent les choses que la Constitution leur permet de faire. C'est la raison pour laquelle je voulais proposer de laisser le Parlement se servir de son imagination, de tester les limites de ses pouvoirs constitutionnels et de consulter ensuite la Cour suprême pour s'assurer que ses pouvoirs n'ont pas été outrepassés. Si c'est le cas, merveilleux. Sinon, la Cour le dira au Parlement et ce dernier devra reculer.
    Je dirais la même chose à propos des provinces. Je sais qu'elles n'ont aucun droit en ce qui concerne la nomination des sénateurs, mais j'ai souvent pensé qu'elles devraient en avoir. Toutefois, absolument rien ne les empêche de tenir des élections pour obtenir le nom d'un candidat qu'elles proposeront au gouvernement fédéral et au premier ministre. C'est parfaitement acceptable, selon moi. Cela permet de voir jusqu'où on peut aller. Cette solution ne marchera peut-être pas, mais c'est un exemple de ce que l'on peut faire, au niveau des provinces, pour revoir un processus qui n'est pas très efficace pour le moment, comme nous l'avons tous reconnu.

[Français]

    Monsieur Lévesque, vous avez la parole.
    Merci, messieurs, de nous avoir présenté votre expertise et de vous être déplacés. Merci également à M. Simeon d'être disponible.
    J'ai plusieurs questions, et elles sont toutes d'égale importance. Le Parlement devrait s'asseoir devant votre classe pendant une semaine pour arriver à se faire une idée exacte de tout ce qui touche l'acceptation du projet de loi tel qu'il est présenté.
    Entre autres, on parle de la Chambre des communes par rapport à la Chambre haute qu'est le Sénat. On a appelé le Sénat la Chambre haute justement parce que je crois que dans l'esprit des conventions et de la loi...
    La Cour suprême pourrait-elle être tentée de tenir compte de l'esprit des conventions, lorsqu'elle rendra une décision sur la légitimité d'un tel projet de loi?
    Si on compare le projet de loi C-20 au projet de loi C-19, qui est aussi déposé, ne doit-on pas automatiquement ouvrir la Constitution? Il y a quand même une modification majeure. À ma connaissance, on n'a pas négocié avec les provinces. On amène une Chambre haute à avoir des pouvoirs non pas supérieurs mais égaux à ceux de la Chambre des communes. En même temps, on expose les sénateurs à la pression de la société civile, la même que les députés subissent actuellement. La qualité des décisions du Sénat dans ce contexte... C'est le doute qui s'installe. M. Simeon et M. Heard en ont également parlé.
    J'aimerais entendre vos commentaires là-dessus.

  (1705)  

[Traduction]

    Monsieur Heard.
    Je crois que la Cour suprême examinerait de très près les conventions et leurs effets sur ce projet de loi.
    Cela nous ramène à certaines des questions que M. Reid et M. Comartin ont posées tout à l'heure. Il s'agit notamment de se demander si la Cour s'en tiendrait à la lettre de la loi ou si elle tiendrait compte des attentes du public et des conventions constitutionnelles. Je crois que la Cour suprême verrait là un des domaines où elle ne peut pas simplement appliquer la loi à la lettre; elle doit tenir compte du contexte et de ses effets. Par conséquent, elle examinerait les attentes du public et les conventions s'appliquant à ce domaine du droit.
    J'ai mentionné tout à l'heure le Renvoi sur la sécession du Québec ou, selon la lettre de la loi, la Cour suprême aurait pu et aurait peut-être dû dire que le Québec n'a pas le droit de se séparer selon le droit international et national, un point c'est tout. Néanmoins, elle a tenu des propos différents. Je pense que la même chose s'appliquerait dans ce cas-ci. Il y a certains domaines du droit dans lesquels vous ne pouvez tout simplement pas vous en tenir à la lettre de la loi et la Cour suprême parlerait des attentes du public et des conventions qui s'appliquent.
    À certains égards, dans le Renvoi sur la sécession du Québec, la Cour a créé une convention entièrement nouvelle. Tout le monde croit maintenant que le gouvernement fédéral a l'obligation de négocier la séparation si une majorité claire des voix est pour. Je dirais que c'est maintenant une de nos conventions constitutionnelles. Nous n'avons pas besoin d'un référendum pour nous dire qu'il s'agit, en fait, d'une obligation constitutionnelle du gouvernement. Curieusement, c'est la Cour suprême du Canada qui en est l'auteur.
    Je crois que la Cour suprême examinerait le domaine du droit concernant le Sénat dans le même genre de contexte politique et ferait des déclarations très énergiques au sujet des obligations du gouvernement fédéral et de ses relations avec les gouvernements provinciaux en ce qui concerne cette institution centrale de la fédération.
    Merci.
    Monsieur Simeon.
    Un sujet que nous avons peut-être un peu évité — et qui pourrait être soulevé si la Cour suprême explorait vraiment la question aussi en détail que M. Heard vient de le dire — est le tort que nous essayons de redresser. Le Sénat est totalement antidémocratique. Ses membres doivent leur nomination au pouvoir du premier ministre, qui est illimité. Comme Ron Watts l'a souligné, il est tout à fait incapable d'assurer l'équilibrage et la représentation régionale comme c'est le rôle du Sénat dans la plupart des fédérations. C'est une institution qui ne marche pas bien.
    S'il fallait dire ce qui ne va pas dans le fédéralisme canadien, ce serait cette dimension, cette incapacité du gouvernement central de représenter pleinement tous les Canadiens et d'avoir une tribune dans laquelle les intérêts des régions et de la majorité nationale sont négociés et accommodés. Cela ferait donc également partie de la discussion.
    La Cour suprême a déclaré dans le Renvoi sur la sécession, que le fédéralisme est la valeur constitutionnelle fondamentale du Canada. Nous avons un Sénat antifédéral. La Cour a dit que la démocratie est la valeur canadienne fondamentale. Nous avons un Sénat antidémocratique. Voilà pourquoi je veux explorer toutes les possibilités. Nous voulons nous écarter d'une institution qui, pour le moment, ternit l'image du système politique canadien.
    Merci, monsieur Simeon.
    Nous passons maintenant à M. Preston.

  (1710)  

    Je vous remercie tous d'être ici. J'apprends au fur et à mesure et c'est donc une excellente chose. Ce n'est pas non plus mon comité habituel, mais j'ai trouvé vraiment intéressant ce que j'ai entendu.
    Je voudrais commencer par certaines des choses qui ont déjà été dites. Je continue de vous entendre dire que c'est un objectif admirable et que nous essayons au moins de faire un pas en avant.
    Toutefois, monsieur Simeon, vous avez déclaré, je crois, que ce processus est un pis-aller. Vous avez ajouté qu'il fallait explorer ce que le Parlement du Canada peut faire. Je vais donc vous poser une question. Si c'est un pis-aller, et si vous voulez que nous explorions ce que le Parlement peut faire, que suggérez-vous?
    Devrais-je essayer de répondre à cela, madame la présidente?
    Oui, s'il vous plaît, monsieur Simeon.
    Je pense avoir fait une suggestion dans ma déclaration préliminaire. Cette suggestion est d'essayer de remédier à certaines des faiblesses du projet de loi. La plupart de ses faiblesses viennent du fait qu'on ne sait pas clairement s'il s'agira ou non, finalement, d'un Sénat élu, étant donné que le premier ministre conserve le pouvoir discrétionnaire — nous ignorons comment il l'utilisera — de décider s'il y aura ou non des élections sénatoriales, s'il en acceptera les résultats, s'il y aura des élections dans certaines provinces, mais pas dans d'autres. Je trouve qu'il y a beaucoup trop d'incertitudes dans le projet de loi.
    L'autre recommandation importante que j'ai faite était de ne pas tenir les élections sénatoriales en même temps que les élections fédérales ou provinciales, mais un jour différent.
    Ce que je voudrais, c'est que le comité renforce le projet de loi, le resserre, le clarifie afin qu'il prévoit plus clairement un Sénat élu.
    Mais alors, nous savons que le Parlement risque de faire quelque chose que la Constitution ne lui permet pas de faire. Il n'y a pas de consensus à ce sujet. Des avocats comme Peter Hogg et Pat Monahan ainsi que Fabien Gélinas ont dit que ce projet de loi était acceptable. Néanmoins, même eux craignent qu'une fois qu'on y aura ajouté le projet de loi C-19 et qu'on l'aura resserré, il risque d'être inconstitutionnel.
    J'aimerais que le comité produise le meilleur projet de loi possible et le renvoie ensuite à la Cour suprême. Cela permettra de savoir ce qu'il en est et comment le Parlement fédéral peut essayer d'améliorer lui-même le Sénat. Si la Cour suprême dit: « Non, vous avez outrepassé vos droits », il faudra alors opter pour la voie constitutionnelle.
    Monsieur Simeon, je suis d'accord avec la première partie de votre réponse, à savoir que le comité devrait essayer de produire le meilleur projet de loi possible. Néanmoins, nous avons également déclaré ici aujourd'hui qu'il faut des consultations publiques ou recueillir au moins l'opinion du public sur le sujet, qu'il s'agisse d'une révision en bonne et due forme de la Constitution ou… Je ne suis donc pas d'accord pour dire que nous devons faire de notre mieux et ensuite nous contenter de consulter la Cour suprême. Je ne suis pas certain que ce soit véritablement une consultation publique. Je ne suis pas sûr que cela permettra au public de dire ce qu'il en pense. Je pense que cela va rétrécir la consultation alors que nous aurons travaillé de notre mieux.
    Je voudrais savoir ce que vous en pensez.
    Les autres peuvent répondre aussi, monsieur Simeon, mais allez-y, s'il vous plaît.
    Quelqu'un désire-t-il relever le défi?
    Monsieur Simeon, voulez-vous le relever?
    Je dirais seulement que c'est un bon argument. La question est de savoir s'il faut essayer d'aller de l'avant avec ce qui est proposé maintenant ou faire machine arrière, car je crois que pour améliorer la démocratie au Canada, nous avons besoin de beaucoup plus de débats publics. Même si leurs propositions n'ont pas été acceptées, les assemblées de citoyens de la Colombie-Britannique et de l'Alberta constituent, à mon avis, un modèle qui pourrait donner des résultats dans un domaine comme celui-là.
    Je reconnais donc qu'il y a une certaine contradiction dans mon raisonnement.
    Merci.
    Monsieur Watts.
    Voilà pourquoi j'ai dit tout à l'heure que la réforme du Sénat est urgente et importante et que nous devons entamer une procédure de modification constitutionnelle pour le Sénat, parce que cette procédure prévoit des consultations. C'est le but des exigences de la procédure de modification constitutionnelle. Lorsqu'il s'agit de quelque chose qui revêt une valeur fondamentale pour notre régime politique, il faut une vaste consultation et une participation importante du public.
    Je ne défends pas le statu quo pour les raisons que Richard a déjà énoncées. Après avoir fait des études comparatives des régimes fédéraux, j'en suis venu à la conclusion que nous aurions des leçons à donner à d'autres fédérations, sur bien des plans. Néanmoins, notre seconde Chambre fédérale est un domaine dans lequel nous sommes plus faibles que les autres. Ce n'est pas qu'elle n'ait pas fait du bon travail, mais pour ce qui est de créer un système fédéral cohérent, elle ne joue pas ce rôle. Ce n'est pas de la faute des sénateurs. C'est à cause de la structure qui a été établie. Voilà donc ce que nous devons régler.
    C'est pourquoi je pense que c'est fondamental, important et urgent.

  (1715)  

    Monsieur Preston, je vois que vous avez hâte de prendre la parole. Je vais vous permettre de poser une très brève question.
    Je voudrais faire suite à ce que M. Watts vient de dire. Nous nous demandons continuellement si nous pouvons ouvrir la Constitution uniquement pour ce qui est de la réforme du Sénat. Nos trois experts croient-ils que c'est possible?
    Personnellement, je ne crois pas qu'on puisse la réviser uniquement pour la réforme du Sénat, par exemple. Si nous ouvrons la boîte, qu'en sortira-t-il d'autre, nous demande-t-on souvent. Je vous pose la question.
    Je peux répondre à cette question. Si vous regardez ce qui s'est passé dans la plupart des autres fédérations, vous constaterez qu'elles ont apporté un grand nombre de modifications discrètes à leurs constitutions. Nous en avons même eu pour l'éducation, par exemple, à Terre-Neuve…
    Excusez-moi.
    La sonnerie retentit et on m'a informée que je devais suspendre immédiatement la séance, à moins qu'il n'y ait consentement unanime pour continuer.
    En fait, comme nous sommes juste à côté, nous pourrions continuer cinq minutes de plus environ.
    Je ne pense pas que le vote aura lieu tant que l'un de nous ne sera pas là, de toute façon.
    Vous avez raison. Notre whip est ici.
    Monsieur Watts, veuillez continuer.
    Je ne sais plus où j'en étais, mais comme je l'ai dit, je pense que c'est urgent. Je ne défends pas le statu quo. Une étude comparative des régimes fédéraux m'amène à croire que nous devons le faire.
    Je voudrais savoir si M. Heard et M. Simeon sont d'accord avec vous quant à la possibilité d'ouvrir discrètement la Constitution.
    Je suis sceptique quant à la possibilité d'apporter un modification discrète. Cela peut arriver. J'en serais étonné et ravi, mais je pense qu'il y a sans doute des priorités plus importantes sur le plan de la réforme démocratique concernant cette Chambre plutôt que la Chambre haute.
    Madame Folco, le dernier tour est pour vous.
    Désolée, monsieur Simeon. Vous vouliez dire quelque chose?
    Non, je suis d'accord avec ce que mon collègue vient de dire.
    Merci.
    Madame Folco.
    Il a deux collègues. Quel est le collègue avec qui il est d'accord?
    Désolée.
    Monsieur Simeon, pourriez-vous préciser sur quoi vous êtes d'accord?
    Je suis d'accord pour dire que c'est urgent, que la faiblesse de notre Sénat constitue la principale faiblesse de notre régime fédéral. Je voudrais qu'on puisse tenir un grand débat public uniquement sur le Sénat, mais j'ai peur qu'étant donné la façon dont notre politique constitutionnelle a évolué, ce soit vraiment difficile à faire, même si c'est ce que je souhaiterais.
    Merci, monsieur Simeon.
    Madame Folco, vous avez le dernier mot.

[Français]

    Merci, madame la présidente.
    On a discuté jusqu'à maintenant des questions fondamentales. Ma question porte davantage sur des détails.
    En vertu du processus d'élection des sénateurs, tel que je le comprends, un certain nombre de personnes seraient autorisées à se présenter à un poste de sénateur dans une province donnée. Par exemple, s'il y avait trois postes vacants dans une province, on dirait à un certain nombre de personnes qu'elles peuvent se présenter pour combler ces postes.
    Selon le système électoral actuel de la Chambre des communes, quand on se présente dans un milieu urbain, il y a une grande densité de population et on peut donc être élu pour représenter une petite superficie à grande densité. Or, si on se présente dans un milieu rural, c'est exactement l'inverse qui se produit: c'est une grande superficie à petite densité.
    J'ai déjà posé cette question à d'autres témoins. Il serait plus facile pour moi de me présenter à un poste de sénateur si je venais de Montréal, parce que j'y connais beaucoup de gens et qu'ils voteraient peut-être pour moi, que de me présenter à Val-D'Or, où il est difficile d'aller chercher des votes, en raison de la dispersion des électeurs sur une grande distance. Il me semble qu'il y a une injustice systémique quant au mode de vote et à la façon de présenter les divers noms.
    Voulez-vous faire un commentaire sur ce point?

  (1720)  

[Traduction]

    Monsieur Heard.
    Je pense que dans le contexte particulier des élections au Québec…
    Excusez-moi. Je ne pensais pas au Québec en particulier. J'ai seulement cité cet exemple, parce que c'est la province d'où je viens, mais cela pourrait être la Colombie-Britannique.
    Je ne sais pas comment on peut éviter ce problème pour l'élection des sénateurs. Je ne vois pas comment améliorer les choses par rapport aux élections provinciales, même si elles sont difficiles. Je pense que les élections contribuent à centrer davantage l'attention sur le Sénat. Je pense que les collectivités doivent être représentées à la Chambre des communes et que les intérêts plus vastes des provinces doivent être représentés au Sénat.
    Personnellement, je crois qu'il faudrait que l'élection des sénateurs se fasse au niveau de la province, dans la mesure du possible.
    Si nous pouvions avoir un bref commentaire de…
    Je voudrais un éclaircissement, madame la présidente. J'ai cru comprendre que nous avions donné notre consentement unanime pour entendre la réponse à la question précédente, et non pas pour entamer un nouveau tour de questions et rester alors que la sonnerie retentit.
    Vous vous y opposez? Dans ce cas, nous allons suspendre la séance.
    Je ne voudrais pas rater le coche.
    Très bien.
    Dans ce cas, je voudrais remercier nos témoins qui représentent ensemble un siècle de sagesse d'avoir éclairé nos délibérations. Merci.
    La séance est levée.