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CC35 Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité législatif chargé du projet de loi C-35


NUMÉRO 009 
l
1re SESSION 
l
39e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 16 mai 2007

[Enregistrement électronique]

  (1535)  

[Français]

    Bonjour, tout le monde. Bienvenue à la neuvième séance du Comité législatif chargé du projet de loi C-35. Le comité se réunit conformément à l'ordre de renvoi du mardi 27 mars 2007 pour étudier le projet de loi C-35, Loi modifiant le Code criminel (renversement du fardeau de la preuve relativement à la mise en liberté en cas d'infraction mettant en jeu une arme à feu).

[Traduction]

    Nous accueillons cet après-midi en tant que témoin à titre personnel, Mme Isabel Schurman, avocate chez Schurman Longo Grenier.
    Bienvenue, madame Schurman.
    Nous sommes impatients d'entendre votre exposé. Je vous cède la parole. Merci.
    Je vous remercie de m'avoir invitée à témoigner devant vous aujourd'hui.
    Pour ceux d'entre vous qui ne connaissent pas mon parcours, j'imagine qu'on m'a invitée parce que je pratique le droit pénal depuis 23 ans, que j'enseigne à temps partiel à la Faculté de droit de l'Université McGill et que j'ai joué un rôle actif au fil des ans auprès de l'Association du Barreau canadien, qui représente tant les avocats de la défense que les procureurs de la Couronne partout au pays, et parce que j'ai travaillé avec divers organismes de défense.
    J'espère que ces représentations vous aideront quelque peu.
    Le problème du projet de loi, ce n'est pas qu'il changera de manière irréversible le droit pénal au Canada; c'est qu'il ne changera rien à notre réalité quotidienne actuelle.
    Du point de vue d'un avocat, si le projet de loi est adopté, il y a d'excellentes raisons de croire qu'il n'y aura pas une seule personne de plus qui sera détenue demain qui ne l'aurait pas été aujourd'hui, pour la bonne raison que la remise en liberté sous caution n'est pas accordée à un accusé ayant commis une infraction grave avec violence.
    Le fait est que les procureurs de la Couronne n'ont pas de mal à démontrer pourquoi un accusé ne devrait pas être remis en liberté. La remise en liberté est un processus axé sur les faits et les juges sont les mieux qualifiés pour évaluer les preuves qui leur sont présentées.
    Le fait est que les Canadiens n'aiment pas les armes à feu. Les Canadiens n'aiment pas les armes à feu à moins qu'il ne s'agisse de fusils de chasse utilisés sur un territoire de chasse durant la saison de la chasse.
    Le fait est que les juges, les procureurs de la Couronne et les avocats de la défense sont des Canadiens ordinaires, comme vous tous, qui ont des parents âgés et des jeunes enfants et qui ont les mêmes préoccupations liées à la sécurité que les autres Canadiens.
    Le fait est que lorsque le recours à une arme à feu est présenté comme preuve, les avocats de la Couronne n'aiment pas cela, les juges n'aiment pas cela et les avocats de la défense n'aiment pas cela. En consultant mes relations au sein de l'Association du Barreau canadien et divers organismes de défense, j'ai vérifié si ce qui s'applique à Montréal s'applique également dans le reste du pays. Si la Couronne invoque l'utilisation d'une arme à feu à l'étape de la comparution pour remise en liberté, le juge va généralement dire aux avocats de la défense et à l'accusé: « Qu'avez-vous à dire? » Il existe une sorte de renversement de la preuve de facto lorsqu'une arme à feu est en jeu parce que les Canadiens n'aiment pas les armes à feu. On ne peut pas nous comparer à nos homologues américains dans le cas d'armes à feu, car pour eux, le droit de porter ces armes est enchâssé dans la Constitution. Nous n'aimons tout simplement pas les armes à feu.
    En examinant ce projet de loi, trois questions me viennent à l'esprit. Si dans la pratique, la remise en liberté pour ce genre d'infractions n'est pas accordée facilement, pourquoi alors modifions-nous le Code criminel? Les modifications changeront-elles le Code criminel ou sèmeront-elles la confusion et mèneront-elles à des débats sur le caractère arbitraire? Les modifications permettront-elles d'atteindre l'objectif visé qui est de rendre le Canada plus sûr, objectif auquel nous souscrivons tous?
    Pour ce qui est de la première question, à savoir pourquoi modifier le Code criminel, l'Association du Barreau canadien vous a soumis un excellent mémoire le 9 mai 2007. Le mémoire explique que nous ne devrions peut-être pas modifier le Code criminel à moins qu'il y ait une lacune ou une faiblesse que nous voulons corriger. Dans le mémoire, on vous demande quel est la lacune ou la faiblesse que le projet de loi C-35 tente de corriger?
    La loi actuelle donne au juge toute la latitude voulue pour refuser la remise en liberté si l'accusé présente un danger pour la société. Même si le fardeau de la preuve revient à la Couronne dans le système actuel, elle n'a aucun mal à s'en acquitter.
    Ma deuxième question vise à déterminer si les modifications amélioreront le Code criminel. Avant d'examiner cette question, vous devez savoir ce qu'est le renversement du fardeau de la preuve. Le renversement du fardeau de la preuve est une exception à la règle. La remise en liberté est garantie par la Constitution. Personne ne devrait se voir refuser sans motif valable une remise en liberté assortie d'un cautionnement raisonnable. La remise en liberté est la règle. La Couronne doit prouver pourquoi la personne devrait rester en détention.
    Le renversement du fardeau de la preuve s'appliquait autrefois uniquement aux personnes qui ne s'étaient pas présentées en cour, qui avaient violé les termes de leur remise en liberté, etc., de même qu'à ceux qui avaient commis des infractions très graves — un meurtre —, qui sont toutes énumérées à l'article 469 du Code criminel. Au cours des dernières années, le renversement du fardeau de la preuve dans les cas de remise en liberté a été élargi pour inclure le trafic de stupéfiants et les infractions connexes, certaines infractions de terrorisme et des infractions liées à la protection de l'information.

  (1540)  

    La cause type dans la jurisprudence canadienne qui a porté sur le caractère constitutionnel du renversement du fardeau de la preuve dans le cas du trafic de stupéfiants, c'est l'affaire Pearson. Dans cette affaire, la Cour suprême a déclaré que le renversement du fardeau de la preuve s'appliquerait vraiment à un petit nombre d'infractions. Ces infractions — le trafic de stupéfiants — comportent des caractéristiques particulières: elles sont systématiques, raffinées, commerciales et lucratives et elles poussent les gens à continuer leurs activités même après leur arrestation et leur remise en liberté. À cause de ces caractéristiques ou particularités du crime, la Cour suprême a jugé que le renversement du fardeau la preuve était constitutionnel parce qu'il fallait dissuader le contrevenant de récidiver et qu'il y avait un risque marqué que l'accusé s'enfuie étant donné que les importateurs et les trafiquants de drogue ont des organisations et des moyens pour les aider à s'enfuir. Mais la Cour suprême du Canada a affirmé que le renversement du fardeau de la preuve ne sera acceptable que s'il n'est pas arbitraire, s'il n'est pas purement discrétionnaire — et j'aimerais que vous gardiez cela à l'esprit un instant parce que nous allons peut-être jeter un coup d'oeil au Code criminel sous peu.
    La Cour suprême du Canada a aussi eu du mal à accepter le fait que le renversement du fardeau de la preuve dans les affaires de trafic de stupéfiants allait aussi s'appliquer au menu fretin, aux petits trafiquants. La juge McLachlin a exprimé sa dissidence dans l'affaire Pearson justement pour cette raison: elle rendait l'exception trop large.
    Revenons maintenant à la deuxième question: cette adjonction améliorera-t-elle le Code criminel? Résistera-t-elle à une contestation constitutionnelle? Plus particulièrement, dans l'affaire Pearson, est-ce que ce sera arbitraire ou non? En étudiant le projet de loi, nous voyons qu'il propose de modifier l'alinéa 515(6)a) en vue d'inclure les infractions prévues aux articles 99, 100 ou 103 du Code criminel.
    L'article 99 traite du trafic d'armes. Le trafic d'armes, comme le définit l'article, englobe beaucoup plus que les armes à feu. Il comprend toute une série d'armes qui ne sont pas des armes à feu. Par exemple, un renversement du fardeau de la preuve s'appliquerait dans le cas de trafic de coups-de-poing américains, interdits au Canada, mais il ne s'appliquerait pas, en vertu de l'article 102, dans le cas de la fabrication d'une arme automatique. Il n'y aurait pas de renversement du fardeau de la preuve pour porter une arme dissimulée, pointer une arme à feu ou posséder une arme à feu dans un but présentant un danger à la paix publique. Les tribunaux jugeraient-ils cela arbitraire?
    Selon ce projet de loi, il y aurait renversement du fardeau de la preuve pour une agression avec arme à feu causant des lésions corporelles, mais il n'y en aurait pas dans le cas de voies de fait avec machette aux termes de l'article 268. Le renversement du fardeau de la preuve s'appliquerait dans le cas d'une tentative de meurtre au moyen d'une arme à feu en vertu de l'article 239, mais pas dans les cas de négligence criminelle ou d'homicide commis à l'aide d'une arme à feu. Par ailleurs, l'article 239, la tentative de meurtre, entraînerait le renversement du fardeau de la preuve seulement si l'acte a été commis à l'aide d'une arme à feu, mais s'il y a renversement du fardeau de la preuve pour une arme à feu, une tentative de meurtre ne pourrait-elle pas être aussi brutale avec n'importe quelle autre arme que nous voyons dans les rues de nos jours?
    L'agression sexuelle et l'agression sexuelle grave sont des cas intéressants énoncés aux articles 272 et 273. Le renversement du fardeau de la preuve s'appliquerait dans ces cas lorsque l'arme utilisé pour commettre l'agression sexuelle ou l'agression sexuelle grave est une arme à feu. L'agression sexuelle ou l'agression sexuelle grave commise à l'aide de toute autre arme n'entraînerait pas le renversement du fardeau de la preuve.
    En ce qui concerne le recours à une arme pour forcer des enfants à se prostitue, le tribunal jugera-t-il que cela paraît être arbitraire? Est-ce que cela résisterait à une contestation constitutionnelle?
    On renverse le fardeau de la preuve dans les cas d'enlèvement, mais pas dans les cas de séquestration. Vous pouvez dire que c'est correct; le fardeau de la preuve est renversé pour une prise d'otages, mais les séquestrations ne sont pas toutes des prises d'otages. Toute personne oeuvrant dans le domaine du droit pénal connaît le nombre de cas de violence domestique qui supposent ou comportent au moins un chef d'accusation de séquestration.
    Le vol qualifié — là encore, est-ce arbitraire que de dire qu'il y aurait renversement du fardeau de la preuve, mais seulement si le vol qualifié a été commis à l'aide d'une arme à feu? Je reviens à mon exemple de la machette.
    L'extorsion avec une arme à feu... qu'en est-il de l'extorsion par le biais d'une menace d'attaque à la bombe?

  (1545)  

     Eu égard à tous ces articles, que faisons-nous des individus qui entrent par effraction dans une maison privée pour commettre une invasion de domicile à l'aide d'une arme à feu? Le renversement du fardeau de la preuve n'est pas prévu dans ce cas-ci. Un juge pourrait-il se laisser influencer par les arguments de la défense soutenant que c'est arbitraire? Est-ce que nous respecterions le critère établi dans l'arrêt Pearson? Je ne suis pas sûre que nous le respecterions.
    Il y a un lien très logique avec le paragraphe 84(1) — autrement dit, le renversement du fardeau de la preuve devrait s'appliquer lorsqu'un détenu qui est sur le point de comparaître pour demander une remise en liberté a été accusé alors qu'il lui était interdit de posséder des armes à feu. C'est un lien très logique. C'est très sensé. Ce n'est pas nécessaire. Les juges des tribunaux des cautionnements disent déjà: « Vous faisiez l'objet d'une ordonnance d'interdiction, pour l'amour du ciel, pourquoi est-ce que je devrais vous accorder une remise en liberté? ».
    En fait, il est extrêmement rare que le droit à la liberté sous caution soit accordé dans les cas d'infractions violentes. Même sans le renversement du fardeau de la preuve, les tribunaux appliquent avec rigueur les alinéas 515(10)a), 515(10)b) et 515(10)c). Ils examinent le risque de fuite, le cautionnement et la valeur des éléments de preuve. Les juges examinent ces éléments quotidiennement à partir des preuves qui leur sont présentées parce qu'ils se soucient de la sécurité au Canada.
    Par ailleurs, le paragraphe 1(5) du projet de loi devant vous propose une modification à l'alinéa 515(10)c), et j'attire votre attention sur le sous-alinéa 515(10)c)(iii), selon lequel vous demanderiez aux juges d'évaluer les circonstances entourant la perpétration de l'infraction, y compris si une arme à feu a été utilisée. Eh bien, savez-vous ce qui va se passer? L'avocat de la défense ne tardera pas à plaider que: « cette infraction n'est pas très grave, car l'arme utilisée n'était pas une arme à feu ». On détournera le sens l'article.
    Le même problème risque de se poser dans le cas du sous-alinéa 515(10)c)(iv), qui vient tout juste après. Il est risqué de retirer l'accès à la remise en liberté en raison d'une peine minimale obligatoire lorsque cette peine est imposée dans une catégorie restreinte d'infractions qui ne sont pas forcément des infractions de la plus haute gravité objective. La remise en liberté devrait être évaluée en tenant compte de la gravité objective de l'infraction et de la probabilité de condamnation. Sans cela, la peine minimale obligatoire ne veut rien dire.
    Enfin, et je vais conclure là-dessus, ces modifications rendront-elles le Canada plus sûr? Vous avez entendu des observations très intéressantes qui donnent à réfléchir de M. Anthony Doob, qui a passé beaucoup de temps là-dessus, ce que je ne ferai pas.
    Mesdames et messieurs, il y a d'excellentes raisons de croire que le projet de loi n'entraînera pas une seule détention préventive de plus, mais surtout il n'empêchera même pas un seul crime. Je doute que la personne qui est sur le point de commettre un crime et qui prend une arme à feu se dise: « Un instant, je ferais mieux de penser à ce que je fais; si je me fais arrêter, je vais devoir présenter des preuves pour obtenir une remise en liberté, alors je ne devrais pas le faire. ». Je plaisante, bien entendu, mais le projet de loi ne produira pas ce genre d'effet.
    Nous sommes préoccupés par la sécurité de notre société ici au Canada et nous avons besoin d'apporter des modifications utiles pour accroître la sécurité. Des études révèlent depuis des décennies que le meilleur moyen de dissuasion, c'est la certitude de l'arrestation. Nous devrions mettre à profit notre créativité et nos ressources intellectuelles et financières pour trouver des solutions.
    Sauf votre respect, le projet de loi que nous avons ici n'est pas nécessaire et ne changera rien. Tôt ou tard, les Canadiens diront que ce n'était pas la solution et demanderont ce que nous devrions faire. Nous devrions cerner le problème qui pousse les gens à commettre des infractions à l'aide d'une arme à feu en recueillant des renseignements et des statistiques et en trouvant une solution plutôt qu'en minant les valeurs constitutionnelles par le biais de modifications mineures qui risquent d'être considérées arbitraires et inefficaces.
    Merci.
    Merci beaucoup, madame Schurman.
    Nous allons passer aux questions; chaque intervenant aura sept minutes.
    Nous commencerons par M. Lee.

  (1550)  

    Merci beaucoup. Vos idées à ce sujet sont très originales et ont soulevé en moi deux ou trois questions que j'ai essayé d'énoncer plus tôt.
    Je veux parler tout particulièrement du droit à une mise en liberté assortie d'un cautionnement raisonnable que garantit la Constitution aux personnes accusées d'une infraction. C'est un droit garanti par l'article 11 de la Charte.
    J'aimerais que vous fassiez des observations sur deux points dans ce cas particulier. Vous y avez fait déjà allusion, mais j'aimerais que vous en parliez un peu plus, si vous le pouvez.
    Premièrement, le gouvernement a choisi, dans ce cas, en dépit de son plan de repousser ou de modifier un droit garanti par la Charte, de ne pas inclure de préambule qui expliquerait les raisons de ce que va faire le Parlement et de le formuler de façon à ce que si cette chose doit être conforme à la Charte, elle pourrait être perçue comme étant raisonnablement justifiée dans une société libre et ouverte.
    Deuxièmement, sans ce préambule, le projet de loi comporte des références à des articles du Code criminel dont on peut dire, que si le Canadien moyen se réfère seulement à eux, il pourrait ne pas voir qu'il y est question de dangerosité.
    J'utiliserai l'exemple — vous en avez mentionné quelques-uns — de la personne qui avait quelques balles dans sa poche, mais pas d'arme à feu et qui a été condamnée en vertu de l'un des articles inclus dans le projet de loi et le renversement du fardeau de la preuve a été appliqué dans son cas parce qu'elle avait quelques balles dans sa poche. Cette personne a perdu le droit d'être mise en liberté sous caution; le fardeau de la preuve a été renversé.
    Mon intuition me dit que cela n'est pas conforme aux paradigmes de la Charte que j'ai l'habitude de consulter. Nous ne pouvons pas arbitrairement retourner la situation aux dépens d'un citoyen parce qu'il peut avoir quelques balles dans sa poche. Il faut que ce soit raisonnablement justifié et mûrement réfléchi.
    Donc, sommes-nous, avec ce genre d'infractions qui en elles-mêmes ne sont pas normalement considérées comme étant très dangereuses, sur un terrain glissant au plan de l'acceptabilité de ces réformes par la Charte?
    Par exemple, l'affaire Pearson à la Cour suprême du Canada et l'avis minoritaire de la juge McLachlin, à l'époque, où elle aurait supprimé l'article en raison de sa trop vaste portée; cela m'aurait préoccupée... Le renversement du fardeau de la preuve est une exception et la Cour suprême a clairement déclaré que si nous allions procéder à ce genre d'érosion graduelle de la Charte, il ne faudrait le faire que dans des cas vraiment exceptionnels.
    Il semble que le critère qui a sauvegardé le renversement du fardeau de la preuve dans l'affaire Pearson ne s'applique pas ici. Il ne s'agit pas de grandes sommes d'argent envoyées à l'étranger — toutes ces choses liées au trafic des stupéfiants.
     Oui, il y a un risque, celui que des gens, qui normalement ne devraient pas l'être, soient pris dans les mailles de cet énorme filet.
    Le deuxième risque — et c'est, à mon avis, une véritable préoccupation —, c'est que le renversement du fardeau de la preuve dans l'affaire Pearson a été sauvegardé parce que ce n'était pas arbitraire. Certains prétendront — je pense qu'il faut s'attendre à ce que des arguments soient avancés dans toutes les compétences du pays — qu'on a demandé arbitrairement au garçon qui avait les balles de montrer pourquoi il ne devrait pas rester en détention, alors que quelqu'un d'autre dans le box est accusé d'un crime beaucoup plus grave impliquant une arme, et dans ce cas il n'y a pas de fardeau.
    Donc, je pense que l'arbitraire est un problème ici. C'est l'une des raisons essentielles pour lesquelles l'article a été sauvegardé dans l'affaire Pearson.
    En ce qui concerne le préambule, je crains bien ne pas être la personne qu'il faut pour dire s'il en faudrait un, pourquoi il n'y en a pas, s'il servira ou non à quelque chose pour sauvegarder... quand des articles particuliers ne sont pas conformes à la décision prise par le tribunal dans l'affaire Pearson et aux décisions de nos tribunaux relativement à d'autres lois constitutionnelles.
    Vous avez mis l'accent sur la vulnérabilité aux contestations fondées sur l'arbitraire, mais je vous demande de revenir sur la question de l'abolition du droit absolu et inconditionnel à la mise en liberté assortie d'un cautionnement raisonnable que garantit la Charte à tout citoyen, à sa modification par cette loi parce quelqu'un avait encore deux ou trois balles après une sortie de chasse.
    Je vais peut-être un peu loin en ce qui concerne une probabilité factuelle, mais cela pourrait se produire. Est-ce qu'une telle personne serait accusée d'avoir des munitions illégalement? Peut-être que oui peut-être que non, mais j'exagère pour bien montrer qu'il y a un problème.
    Donc, est-ce que le retrait du droit absolu ou du droit supposément absolu, sans justification suffisante, interpelle une avocate de la défense comme vous?

  (1555)  

    J'ai insisté sur la vulnérabilité pour des raisons qui rejoignent précisément le sens de votre réflexion. C'est-à-dire que le droit constitutionnel fait partie des lois du pays, le droit constitutionnel à une mise en liberté assortie d'un cautionnement raisonnable, ne pas en être privé sans raison valable. En aucune façon, il ne devrait pouvoir être modifié par des lois sans reconnaissance constitutionnelle et à moins d'amender la Constitution. C'est ce qui fait peur, je crois, l'idée de pouvoir apporter des changements graduels comme s'ils n'étaient pas importants. Quand ces changements graduels englobent, ce que l'on a appelé dans l'affaire Pearson, le menu fretin, la personne comme vous dites, quelqu'un qui a une très petite responsabilité pénale comparativement à d'autres crimes, son crime étant relativement mineur comparé à d'autres, risque d'être prise dans les mailles de ce changement. Oui, c'est possible. C'est précisément ce que nous voulons éviter et c'est précisément ce que l'avocat de la défense attaquera comme étant arbitraire. Ce sera dans ce genre de cas.
    Dans l'affaire Pearson, la majorité avait dit que cette loi s'appliquerait au menu fretin, mais il ne leur a pas été difficile de prouver qu'ils méritaient d'être libérés sous caution. Ils ne l'ont, toutefois, dit que parce que l'on avait décidé que les dispositions dans l'affaire Pearson n'étaient pas arbitraires du fait de la situation très particulière du trafic des stupéfiants. Ils ont pris bien soin de dire qu'ils n'allaient pas approuver une telle décision pour tous les changements de renversement du fardeau de la preuve auxquels on pourrait penser.

[Français]

    Monsieur Ménard, la parole est à vous, s'il vous plaît.
    Merci, monsieur le président.
    Bienvenue. Ce n'est pas la première fois que vous comparaissez devant ce comité. Vous amenez toujours des éléments fort utiles pour notre compréhension des projets de loi que le gouvernement nous soumet pour étude.
    Nous avons été saisis de ce projet de loi sans que le Centre canadien de la statistique juridique puisse nous fournir de données probantes et concluantes sur la remise en liberté sous caution à l'étape de la comparution pour remise en liberté. Par conséquent, ce projet de loi n'est pas appuyé par une réalité scientifique. Il est mû par des considérations idéologiques. Évidemment, cela peut être correct quand on forme un gouvernement, mais il me semble que le rôle des législateurs est de voter des lois sur la base de données probantes et concluantes. On avait assisté au même scénario dans le cas des projets de loi C-9 et C-10.
    M. Petit me rappelle que c'était davantage le cas pour le projet de loi C-10, mais on n'avait pas beaucoup de données non plus pour le projet de loi C-9.
    Vous avez dit que dans les faits, lorsqu'on se retrouve devant les tribunaux, il est faux de croire qu'il y a remise en liberté des accusés ayant commis des infractions mettant en jeu des armes à feu, plus particulièrement lorsqu'il s'agit de crimes graves comme les neuf infractions proposées dans le projet de loi. On peut raisonnablement le penser. Il est important que cela figure au procès-verbal.
    Pouvez-vous confirmer que dans la pratique, ce projet de loi est inutile parce qu'il ne répond à aucun objectif concret?
    Je suis tout à fait d'accord avec vous là-dessus. Il y a effectivement un manque de données. Comme l'a dit le Barreau canadien dans son mémoire qu'il a présenté à votre comité, pourquoi entreprendre une démarche visant à réparer un vide alors qu'on ne sait même pas quel vide il faut combler? C'est pour cela que j'ai pris la peine de consulter des collègues de toutes les provinces canadiennes que je connais depuis des années. Je me suis dit que c'était peut-être seulement à Montréal que les juges nous regardaient en nous demandant ce qu'on avait à dire dans de tels cas, puisque notre client avait une arme à feu. Ce n'est pas seulement à Montréal. Je crois que d'autres témoins, entre autres de Toronto, vous ont dit la même chose.
    En réalité, il existe une sorte de renversement de la preuve de facto lorsqu'une arme à feu est en jeu. Les seules fois où j'ai vu qu'on avait remis une personne en liberté alors qu'une arme à feu était en cause, c'était lorsque le dossier démontrait une défense potentielle évidente.
    Je vous donne un exemple. Une dame entend quelqu'un entrer chez elle. Croyant être victime d'un vol, elle prend une arme à feu et tire. Or, l'intrus était son ex-mari. Il pense qu'elle a essayé de le tuer; elle maintient qu'elle essayait de se défendre. Le dossier démontre que cette personne a un motif de défense. Dans un tel cas, un cautionnement est possible, et on le voit. Mais de tels cas sont rares. La possibilité d'obtenir une remise en liberté sous caution est très mince dans tous les autres cas impliquant une arme à feu.

  (1600)  

    Au fond, ce que vous nous dites, c'est que si le gouvernement voulait être logique, le renversement du fardeau de la preuve, donc le fait qu'on ne puisse pas bénéficier d'une remise en liberté sous caution à l'étape de la comparution pour remise en liberté avant procès, devrait s'appliquer à d'autres types d'infractions. Il n'est pas logique qu'on le fasse pour ces infractions. Vous semblez dire qu'il y a des cas au moins aussi préoccupants sur le plan de la gravité de l'infraction.
    Vous avez dit que le fait de braquer une arme à feu échapperait au renversement du fardeau de la preuve, de même que les voies de fait avec machette, la fabrication d'une arme semi-automatique, etc. Vous ai-je bien comprise? J'aimerais que vous reveniez là-dessus. Il y a des types d'infractions tout aussi préoccupants que les neuf infractions énumérées dans le projet de loi, pour lesquels le fardeau de la preuve aurait peut-être dû s'appliquer, en toute logique. Or, ce n'est pas le cas.
    Tout à fait. Cependant, pour être logique, il fallait renverser le droit constitutionnel. Il y aurait eu tellement d'infractions d'une gravité semblable ou supérieure qu'il aurait quasiment fallu demander une sorte d'amendement à la Charte.
    Plusieurs infractions plus graves ou perçues comme telles par la population ne sont pas incluses dans le projet de loi. Je suppose que la raison est simple: pour aller plus loin, il fallait aller beaucoup plus loin. Cela démontre à quel point il est dangereux et potentiellement inutile de procéder à huit amendements pour huit types de crimes. Combien y a-t-il de sortes de crimes dans le Code criminel? Il faudrait agir conformément à la philosophie à la base de la Charte canadienne des droits et libertés. Cette philosophie a été établie par le peuple canadien: c'est un cautionnement raisonnable, et il ne doit être supprimé que lorsque la poursuite peut démontrer une cause.
    N'avez-vous pas l'impression que le problème réside dans le fait que ce gouvernement ne fait pas confiance aux juges? S'il avait confiance en la capacité des juges de bien apprécier les faits, d'individualiser la sentence et de se comporter adéquatement en fonction de la gravité d'une infraction et de déterminer les sanctions appropriées...
    Le fond du problème, qui a commencé avec le projet de loi C-9, s'est poursuivi avec le projet de loi C-10 et qu'on retrouve dans le projet de loi C-35, est que ce gouvernement, le ministre de la Justice et le premier ministre, n'ont pas confiance en la magistrature. Cela ne vous rend-il pas un peu triste?
    Si c'est le cas, c'est extrêmement triste. Nous avons d'excellents juges au pays, qui sont aussi des citoyens prenant très au sérieux leur devoir d'assurer la sécurité de tous les citoyens du Canada. Si vous pouviez voir le travail quotidien des juges dans toutes les juridictions, vous constateriez que nous avons toutes les raisons au monde d'avoir confiance en la magistrature. Malheureusement, le comité n'entend pas le témoignage de membres de la magistrature parce que leur obligation de réserve les dissuade de comparaître devant vous.
    Ce serait extraordinairement utile pour tout le monde si un comité quelconque pouvait recueillir les points de vue des juges qui font face à ces situations quotidiennement. Ils ont des parents et des enfants. Ils doivent vivre dans leur communauté et ils s'inquiètent autant que vous et moi de la sécurité des Canadiens. Ils prennent des décisions basées sur une preuve et sur les règles de la preuve que nous avons approuvées comme peuple.

  (1605)  

    Merci, madame Schurman.
    Mr. Comartin.

[Traduction]

    Je n'envisageais pas de poser des questions, mais je crois que mes études en droit m'empêchent de garder le silence.
    Je ne rejoins pas, madame Schurman, vos propos concernant la responsabilité du projet de loi à l'égard de la Charte. Plusieurs avocats et groupes de défendeurs ont démontré de façon concluante que la pratique du renversement du fardeau de la preuve est en cours — je crois que vous le confirmez — partout au pays.
    Que le renversement de la preuve, à ma connaissance, est généralement, sans beaucoup d'exceptions, limité aux crimes impliquant des armes à feu. Je conclus donc qu'un renversement du fardeau de la preuve systémique s'établit dans l'appareil judiciaire de notre pays.
    Donc, si toutes ces suppositions sont vraies, pourquoi les juges peuvent avoir un renversement du fardeau de la preuve systémique — et vraisemblablement, d'après vos arguments, une violation de la Charte — et pas la législature?
    À cela je répondrai que lorsque nous disons que le renversement du fardeau de la preuve se pratique, comme M. Ménard l'a souligné, nous n'avons pas de statistiques nous indiquant si c'est aussi courant que nous le pensons. Donc, quelqu'un comme moi, qui a 23 ou 24 ans d'expérience, téléphone à toutes ses relations au pays pour leur demander ce qui se passe dans leur région. C'est très loin de ce que fait Statistique Canada ou tout autre groupe organisé, mais le moment est peut-être venu de faire des statistiques, d'abord, pour voir si c'est bien le cas. Je ne suis pas la première personne à le dire devant vous ni le premier avocat qui ait fréquenté un tribunal et qui y a vu le comportement des juges.
    Ensuite, si c'est le cas, je crois alors que le gouvernement pourrait étudier ce qui devrait être fait afin que la loi reflète la situation. Vous avez tout à fait raison de dire que les juges, pas plus que n'importe qui d'autre, ne devraient infirmer la Charte. Mais, nous devrions d'abord étudier ce qui se passe et en chercher les raisons. S'agit-il seulement d'armes à feu ou s'agit-il de machettes? Si l'arme est plus dangereuse, y a-t-il moins de chances? Cela cadrerait parfaitement avec les alinéas 515(10)a), b) et c).
    Donc, c'est peut-être ce qui se passe. Ce n'est peut-être pas du tout ce que nous appelons ici un renversement du fardeau de la preuve de fait, mais simplement une bonne application des alinéas 515(10)a), b) et c).
    Finalement, si la loi va être changée d'une façon ou d'une autre pour refléter ce qui se passe, alors cela doit être fait de manière à ne pas ouvrir la porte à des années de débats juridiques sur la validité de ces changements. Il serait prétentieux de ma part de dire que je crois que cela survivra ou non à un critère constitutionnel. Je ne fais que poser la question. Je ne fais que lire le Code criminel et dire que si l'un d'entre vous était juge et qu'on vous demandait si ceci est aussi mauvais que cela, est-ce que ce serait arbitraire?
    Je ne prétends pas du tout avoir la réponse. Mais je pense que cette question sera posée à un moment donné, et combien faudra-t-il d'années pour décider si les changements sont valides ou non? Si l'on décide qu'ils ne le sont pas, alors combien de personnes auront vu leurs droits constitutionnels violés par une loi avant que les tribunaux ne se rendent compte qu'une injustice a été commise.
    Je pense que la réponse évidente est le fait que les tribunaux eux-mêmes le font, comment imaginer qu'un juge de n'importe quelle partie du pays va reconnaître que la pratique est en cours, qu'il va se demander pourquoi ce que lui-même et ses collègues font depuis des années serait en violation des droits que la Charte garantit aux citoyens.
    Je ne pense pas que les juges diraient qu'ils croient que c'est une violation des droits garantis par la Charte aux citoyens, je crois qu'il se diront — si les statistiques étaient conservées — qu'ils se conformaient aux alinéas 515(10)a), b) et c). Voilà, à mon avis, ce qu'ils diraient.
    L'arrogance intellectuelle qui existe... dans les tribunaux.
    J'ai posé toutes mes questions.

  (1610)  

    Merci, monsieur Comartin.
    La parole est à M. Petit.

[Français]

    Bonjour, madame Schurman.
    J'ai besoin d'une clarification. Vous avez mentionné que dans presque tous les cas, lorsqu'un prévenu a été arrêté par un agent de la paix, qu'il a été accusé et qu'il se présente devant un tribunal, le juge, parce qu'une arme est en jeu, après en avoir discuté avec l'avocat de la défense, ou du moins avec le procureur de la Couronne, ne permettra pas la remise en liberté de l'accusé. Est-ce bien ce que vous dites? Est-ce là ce qui se produit en règle générale?
    En règle générale, il est extrêmement difficile d'obtenir une libération sous caution quand un crime a été commis avec une arme à feu, effectivement.
    Il n'y a pas tellement longtemps, un policier a été tué à Laval et un autre a été blessé. Je sais qu'on a libéré l'individu assez rapidement. Pourriez-vous m'expliquer pourquoi?
    Oui, je peux très bien le faire.
    C'était à Brossard. Il s'agissait de policiers de Laval qui étaient à Brossard.
    Excusez-moi.
    Je veux être bien sûr qu'il s'agit de la même cause.
    C'est la même cause, je pense.
    Votre bureau n'est pas impliqué dans ce dossier, j'espère.
    Non. Je n'aurais pas répondu, si c'était le cas.
    Je n'ai absolument aucun rapport avec ce dossier, mais je suis contente que vous souleviez cette question, parce que c'est un dossier où un renversement du fardeau de la preuve existe dans le Code criminel. Parce que quelqu'un a été tué, c'est un meurtre. Alors, il y a déjà un renversement du fardeau de la preuve. Selon ce que j'ai vu et lu dans les médias — je ne connais pas le dossier —, il semble être clair et évident, à la face même du dossier, que la défense va plaider la légitime défense.
    J'ai l'honneur d'enseigner tous les ans dans le cadre du programme de droit criminel à la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada. Or, aussi drôle que cela puisse paraître, c'était exactement l'exemple que nous avions utilisé dans nos ateliers l'été dernier. Il nous fallait déterminer si quelqu'un est coupable du meurtre d'un policier s'il croit être victime d'une invasion de domicile? La vie est drôlement faite: un événement semblable s'est produit quelques mois plus tard.
    Je suis contente que vous ayez soulevé cette question, car c'est un cas où il y a renversement du fardeau de la preuve. La personne a été libérée sous caution parce qu'elle a pu démontrer qu'elle méritait d'être libérée en vertu des alinéas 515(10)a), b) et c) du Code criminel. Mais c'est extrêmement rare. Le renversement de la preuve ne veut pas dire que la personne ne sera pas libérée sous caution. Cela veut seulement dire qu'il revient à l'accusé de prouver pourquoi il devrait être remis en liberté.
    Donc, si j'ai bien compris, sans vouloir parler de ce cas précis, personne ne sera privé de sa liberté si le renversement de la preuve est bien fait. Par exemple, dans ce cas-ci, l'individu a pu sortir tout de suite parce qu'il a invoqué la légitime défense. On ne l'a pas enfermé de force.
    D'après ce que j'ai compris, il a fourni beaucoup de preuves. Mais la réponse à votre question se trouve dans les commentaires de Mme la juge McLachlin dans l'arrêt Pearson. Elle a écarté le renversement de la preuve en matière de trafic de stupéfiants parce qu'elle craignait d'obtenir un résultat injuste si on ratissait trop large. Ce n'est pas ainsi que nous devrions procéder en droit constitutionnel.
    D'accord. Je vous remercie.
    Je n'ai pas d'autres questions.

[Traduction]

    Monsieur Thompson.
    J'ai apprécié ce que vous avez dit ce matin. Je dois dire d'emblée que je ne suis pas avocate, je suis désolée, mais j'étais perdue dans tout ce jargon échangé entre vous, les avocats. J'étais complètement perdue en vous écoutant vous et M. Lee.
    Il est très difficile de suivre cette discussion. Je ne comprends pas très bien pourquoi vous pensez que le projet de loi ne changera rien dans la réalité. Des localités de notre pays demandent ce genre de mesure législative à cause du taux élevé de crimes commis avec une arme à feu dans leurs quartiers. Donc, la réalité est qu'elles veulent que nous fassions quelque chose. Vous dites qu'en réalité le projet de loi ne servira à rien.
    Vous dites aussi qu'en réalité, les Canadiens n'aiment pas les armes à feu. Je suis originaire d'une circonscription essentiellement rurale en Alberta et je peux vous dire que la personne qui tiendrait de tels propos se ferait siffler. Les gens sont très actifs dans leur ferme, à la chasse, dans tout ce qu'ils font. Nous avons des concours internationaux du tireur le plus rapide. On porte un revolver et on essaie de le dégainer le plus rapidement possible. J'y étais en septembre dernier, une fille de 14 ans de la Californie a gagné le concours de la personne qui dégaine le plus vite dans l'Ouest, sous les applaudissements des spectateurs. Donc, ce que vous dites n'est pas forcément vrai. Vous en parlez comme si c'était général, or, ça ne l'est pas.
    Une autre chose de vrai, c'est que j'ai parlé à beaucoup de policiers sur le terrain. Nous n'avons pas de chiffres, mais ces policiers vous diront qu'ils savent très bien que beaucoup d'individus sont mis en liberté sous caution après avoir été emprisonnés pour des crimes impliquant des armes à feu. Mon ami, assis à ma droite, est un ancien policier qui peut confirmer que c'est un fait et que cela continue. La vérité est que les Canadiens se préoccupent de leur sécurité et estiment que nous devrions faire notre possible pour les protéger.
    Je suis personnellement au courant d'un cas de liberté sous caution qui a abouti à la mort de trois personnes. Je connaissais ces personnes. D'autres personnes ne veulent pas en parler aujourd'hui, même si cela s'est passé il y a 12 ou 14 ans, je ne me souviens pas exactement de la date, à cause de la tragédie qu'elles ont vécue en tant que victimes.
    Tout ce jargon porte principalement sur la législation — ceci est légal, cela est légal — au point que nous oublions les victimes qui sont de vraies personnes. La réalité est que les gens ne sont pas satisfaits de la situation actuelle — du statu quo. Les collectivités veulent que des mesures soient prises à l'encontre des crimes impliquant des armes à feu. Elles veulent ce genre de projet de loi. Elles ont comparu ici pour témoigner. La police demande ce genre de projet de loi.
    Vous faites des déclarations générales sur la réalité, mais la réalité est que les gens veulent que le gouvernement réagisse et commence à corriger ce qui ne va pas pour mettre fin aux tragédies qui se produisent chez nous. Je pense à Mayerthorpe, où nous avons perdu quatre policiers en Alberta. Je pense à l'incident du lendemain de Noël à Toronto. Nous pouvons continuer à en énumérer. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés et dire que cette mesure législative est inutile et qu'elle ne changera rien. Je ne suis pas du tout d'accord.
    Vous pouvez répondre comme bon vous semble.

  (1615)  

    Merci, monsieur Thompson.
    Avez-vous quelque chose à dire ?
    Si vous me le permettez.
    Je suis certaine que les gens veulent une mesure législative pour accroître la sécurité dans leur communauté. C'est comme ça partout au pays. En fait, les statistiques révèlent que le taux de criminalité est à la baisse, tout comme le nombre de crimes violents. Mais je n'ai pas de doute qu'on vous demande sans cesse de prendre des mesures pour rendre les communautés plus sûres.
    Pour y arriver, d'après ce que nous disent les spécialistes depuis de nombreuses années, il faut que les criminels aient la certitude qu'ils se feront prendre; le taux de criminalité diminuera à coup sûr. C'est le meilleur moyen de dissuasion. Par conséquent, lorsqu'il s'agit de crimes commis avec une arme à feu, c'est là qu'il faut concentrer nos efforts.
    Pour revenir sur ce que j'ai dit plus tôt, je n'ai pas voulu insulter quiconque de quelque province ou de quelque communauté autochtone que ce soit. De toute évidence, il y a certains contextes dans lesquels les Canadiens tolèrent les armes à feu. On comprend qu'un Autochtone puisse en avoir besoin pour assurer sa survie et celle de sa famille. Personne ne s'y oppose, pas plus qu'aux compétitions dont vous parlez.
    Je crois avoir tempéré mes propos lorsque j'ai dit que les Canadiens n'avaient rien contre le fait que les armes soient utilisées dans un contexte approprié, par exemple un fusil de chasse durant la saison et dans une zone prévue à cet effet. Quand je dis que les Canadiens n'aiment pas les armes à feu, je veux dire que, dans n'importe quel tribunal au pays, lorsqu'il y a une audience sur le cautionnement et une preuve devant le juge selon laquelle une arme à feu a été utilisée, cela rend tout le monde nerveux. Je pense que nous sommes faits ainsi, collectivement, et en disant cela, je ne veux pas dénigrer quiconque de quelque manière que ce soit.
    Évidemment, il y aura toujours des personnes qui ont déjà été condamnées et qui commettront un autre crime pouvant entraîner la mort. J'en suis sûre. Nous devons nous doter d'un plan visant à réduire le nombre de crimes impliquant une arme à feu partout au Canada, si c'est ça le problème, et ne pas nous contenter de renverser le fardeau de la preuve pour seulement deux ou trois infractions, et non pas pour les crimes les plus graves. Cela ne va que donner lieu à des batailles juridiques, qui ne concerneront pas la plupart des Canadiens et prendront des années avant de se régler.
    C'est ce que je crains. Peut-être que je me trompe, mais je suis ici pour vous dire ce que je pense.
    J'ai l'impression que la plupart des Canadiens n'aiment pas les criminels. Ce n'est pas qu'ils n'aiment pas les armes à feu.
    Je suis d'accord avec vous.
    Je dirais que c'est la réalité, et non pas qu'ils n'aiment pas les armes à feu.
    C'est une opinion différente.
    C'est maintenant au tour de Mme Jennings.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, madame Schurman, pour votre exposé et pour certains renseignements que vous nous avez fournis.
    Si j'ai bien compris, vous dites qu'au lieu de renverser le fardeau de la preuve pour certaines infractions seulement, en l'occurrence les infractions mettant en jeu une arme à feu visées par le projet de loi C-35, il serait plus judicieux d'envisager la possibilité de renforcer le paragraphe 515(10). On pourrait ainsi codifier les pratiques existantes, mais nous n'avons pas de statistiques là-dessus.
    Si nous prenons l'alinéa 515(10)c), qui énonce certaines des conditions dans lesquelles le juge déterminera si la détention est nécessaire, c'est-à-dire « le fait que l'accusation paraît fondée, la gravité de l'infraction » — évidemment s'il est question de crimes violents, commis avec ou sans arme —, « les circonstances entourant sa perpétration, y compris l'usage d'une arme à feu »... Je parlerais ici d'une arme tout court plutôt que d'une arme à feu. L'arme en question pourrait être un instrument contondant. Il est aussi violent et répugnant de frapper quelqu'un à coups de bâton de baseball que de lui asséner un coup de poing, de le menacer avec un couteau, une machette ou une arme à feu.
    Si nous prenons l'alinéa iv), selon lequel « le fait que le prévenu encourt, en cas de condamnation, une longue peine d'emprisonnement »... Je pense que nous n'aurions aucun problème avec cela. D'ailleurs, les juges doivent déjà être en train de se pencher là-dessus, sinon, ils le devraient, mais je ne crois pas qu'il pourrait y avoir de préjudice, même que cela pourrait être bénéfique de le codifier.
    De plus, il y a le fait qu'en cas de condamnation, l'auteur d'une infraction pourrait, en vertu du Code criminel, s'exposer à une peine minimale obligatoire. Cela peut être un facteur que le juge prendra en considération lorsqu'il déterminera si une détention est nécessaire.
    Si le gouvernement se concentrait sur cet article, simplement sur cet alinéa, cela donnerait lieu, en fait, à des collectivités plus sûres et à des Canadiens plus en sécurité, parce qu'il s'agit d'une mesure parcellaire. Toutefois, sur la question de la détention, à savoir si un juge devrait libérer ou non des individus accusés de certaines infractions criminelles, compte tenu des facteurs...

  (1620)  

    Vous savez probablement qu'il y a quelques années, l'alinéa 515(10)c), qui était très différent de celui qui figure présentement dans le Code criminel, avait été invalidé par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Morales parce qu'il ne satisfaisait pas aux critères constitutionnels. Quand il a été remplacé par celui que nous avons actuellement — si cela peut vous consoler —, il a été largement critiqué par de nombreuses organisations partout au pays, sous prétexte qu'il était trop vague, trop ceci ou trop cela. Il a quand même résisté aux contestations constitutionnelles.
    Selon l'alinéa, « il est démontré une autre juste cause et, sans préjudice de ce qui précède, sa détention est nécessaire pour ne pas miner la confiance du public envers l'administration de la justice, compte tenu de toutes les circonstances » — et cela comprend les armes dont vous parlez —, « notamment le fait que l'accusation paraît fondée, la gravité de l'infraction, les circonstances entourant sa perpétration et le fait que le prévenu encourt, en cas de condamnation, une longue peine d'emprisonnement.
    Dans l'article actuel, pour reprendre les propos de l'Association du Barreau canadien, quel est le vide qu'il faut combler? Celui que nous avons en ce moment englobe toutes les préoccupations que vous avez soulevées. À mon avis, il peut être préférable de déterminer la gravité objective de l'acte criminel que de préciser qu'il y a une peine minimale obligatoire. Les Canadiens ont décidé que certaines infractions méritaient une peine maximale de cinq ans, alors que d'autres justifiaient 10, 15 ou même 25 ans, étant donné que nous voulons savoir quelles sont les pires infractions.
    Il serait plus avisé d'accorder une liberté sous caution en fonction de la gravité objective plutôt que de l'existence d'une peine minimale obligatoire lorsque celle-ci peut ne pas s'appliquer aux crimes ayant la plus grande gravité objective.
    En se concentrant sur les peines minimales obligatoires, je crains, d'une part, qu'on oublie la présomption d'innocence, et d'autre part, qu'on s'attarde sur quelque chose qui ne veut pas nécessairement dire qu'aucun cautionnement n'est accordé aux auteurs des crimes les plus graves en vertu du Code criminel. C'est donc ma seule réserve.

  (1625)  

    Oui, mais si vous aviez...
    Vous avez cinq secondes pour poser votre question si vous voulez obtenir une réponse.
    Si vous encourez déjà une longue peine d'emprisonnement, je ne crois pas que le fait d'ajouter la possibilité d'une peine minimale obligatoire va réellement changer quelque chose à la gravité objective des infractions commises, à moins que vous soyez un avocat extrêmement habile.
    Votre point de vue n'est assurément pas sans appui au sein du Barreau. J'ai seulement soulevé une préoccupation; je n'ai pas dit que vous étiez la seule à penser ainsi.
    Merci.
    Nous allons maintenant terminé par M. Hanger.
    Merci, monsieur le président.
    Je vous remercie d'avoir souligné le fait que notre travail devrait permettre de maintenir la confiance du public dans le système judiciaire. Mais nous sommes à une époque où la confiance du public est ébranlée à tout bout de champ. Nier ce fait, ce serait vraiment se mettre la tête dans le sable. Nous le voyons très bien par les jugements rendus par nos tribunaux et par les problèmes d'application de la loi. Apparemment, les législateurs ont mis en place cet énorme système juridique que tout le monde conteste, et ce, au détriment de la justice parfois, voire trop souvent.
    Vous parliez comme si c'était décidé d'avance, que cette mesure législative allait se buter à la Charte parce qu'elle est arbitraire. Par contre, plusieurs avocats ont comparu devant ce comité et nous ont dit que ce projet de loi ne ferait pas l'objet d'une contestation en vertu de la Charte, en particulier parce qu'il est précis. Et nous l'avons entendu à plus d'une reprise. Il semble donc y avoir une grande divergence d'opinion entre vous et les autres avocats de défense.
    Madame Schurman, avez-vous quelque chose à dire?
    Il ne fait aucun doute qu'il y aura toujours des différences d'opinion parmi les avocats de la défense. Cela va de soi.
    Mais sérieusement, je comprends ce que vous dites, et voici ce à quoi je vous demanderais de réfléchir. Personne n'a souligné la question des critères arbitraires établis dans l'affaire Pearson, et c'est ce qui m'inquiète. Je n'ai vraiment pas voulu dire que ce projet de loi ne répondrait pas aux critères constitutionnels. J'ai simplement soulevé cette question pour que vous l'examiniez. S'il y a un problème, c'est là qu'il se trouve, à mon humble avis. C'est le caractère arbitraire.
    Il est vrai que la confiance du public dans le système judiciaire est ébranlée à tout moment, et il y a de nombreux facteurs qui contribuent à cela, notamment le battage médiatique et les fausses représentations de la réalité. Cela revient à dire que, si nous devons apporter ce genre de changement, avec des renseignements solides et des statistiques à l'appui, nous devrions le faire de façon à réellement changer les choses. Et c'est le seul argument que je voulais faire valoir à ce sujet.
    Merci beaucoup, madame Schurman. Nous vous sommes très reconnaissants du temps que vous nous avez consacré.
    Je sais qu'il y a une réunion du Comité de la justice tout de suite après la nôtre.
    Merci. La séance est levée.