Passer au contenu
;

CIMM Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain

37e LÉGISLATURE, 2e SESSION

Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le jeudi 30 octobre 2003




¹ 1535
V         Le président (M. Joe Fontana (London-Centre-Nord, Lib.))
V         M. Tony J. Juliani (vice-président, Relations gouvernementales, IDVoiceBank, Inc.)
V         Le président
V         M. Tony J. Juliani

¹ 1540

¹ 1545
V         Le président
V         M. Ian Williams (directeur principal, Identity Systems Group)

¹ 1550

¹ 1555

º 1600
V         Le président
V         M. Dominique Peschard (vice-président du conseil d'administration, Ligue des droits et libertés)

º 1605

º 1610
V         M. Roch Tassé (coordonnateur, Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles)
V         Le président
V         M. Grant McNally (Dewdney—Alouette, Alliance canadienne)

º 1615
V         M. Ian Williams

º 1620
V         Le président
V         M. Tony J. Juliani
V         Le président
V         Mme Madeleine Dalphond-Guiral (Laval-Centre, BQ)
V         Le président
V         Mme Madeleine Dalphond-Guiral
V         M. Tony J. Juliani

º 1625
V         Mme Madeleine Dalphond-Guiral
V         M. Dominique Peschard
V         Mme Madeleine Dalphond-Guiral

º 1630
V         Le président
V         M. Ian Williams
V         Le président
V         M. Ian Williams
V         M. Tony J. Juliani

º 1635
V         Le président
V         M. Roch Tassé
V         Le président
V         M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.)
V         M. Tony J. Juliani
V         M. Ivan Grose
V         M. Tony J. Juliani
V         M. Ivan Grose
V         M. Tony J. Juliani
V         M. Ivan Grose
V         M. Tony J. Juliani
V         M. Ivan Grose
V         M. Tony J. Juliani
V         M. Ivan Grose
V         M. Tony J. Juliani
V         M. Ivan Grose
V         M. Tony J. Juliani
V         M. Ivan Grose
V         M. Tony J. Juliani

º 1640
V         M. Ivan Grose
V         M. Tony J. Juliani
V         Le président
V         M. Tony J. Juliani
V         Le président
V         M. Tony J. Juliani
V         Le président
V         M. Tony J. Juliani
V         Le président
V         M. Inky Mark (Dauphin—Swan River, PC)
V         M. Ivan Grose
V         M. Ian Williams
V         Le président
V         M. Inky Mark

º 1645
V         Le président
V         M. Dominique Peschard
V         M. Inky Mark
V         Le président
V         M. Ian Williams
V         M. Tony J. Juliani

º 1650
V         Le président
V         M. Dominique Peschard
V         Le président

º 1655
V         M. Ian Williams
V         Le président
V         M. Ian Williams
V         Le président
V         M. Tony J. Juliani

» 1700
V         Le président
V         M. Grant McNally
V         M. Ian Williams
V         M. Grant McNally
V         Le président
V         M. Grant McNally
V         M. Tony J. Juliani
V         Le président
V         M. Ian Williams
V         M. Dominique Peschard
V         Le président










CANADA

Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration


NUMÉRO 080 
l
2e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 30 octobre 2003

[Enregistrement électronique]

¹  +(1535)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Joe Fontana (London-Centre-Nord, Lib.)): Pendant que nous attendons l'arrivé de quelques collègues, j'entamerai la séance en souhaitant la bienvenue à nos témoins, dans le cadre de notre étude de la carte d'identité nationale. C'est avec plaisir que nous accueillons Tony Juliani, vice-président, Relations gouvernementales, IDVoiceBank Inc.; Ian Williams, directeur principal, Identity Systems Group; Dominique Peschard, vice-président du conseil d'administration, Ligue des droits et libertés; Roch Tassé. Bienvenue à tous. Nous attendons impatiemment vos déclarations préliminaires.

    Certains d'entre vous ont présenté un mémoire. Je demanderais peut-être aux autres d'avoir l'amabilité de nous en faire parvenir un. Je sais que vous avez peut-être des déclarations préliminaires; je suis impatient de vous entendre. Je demanderais à chaque témoin de prendre 10 minutes pour son exposé, car je suis sûr que nous souhaiterions poser des questions.

    Nous pourrions peut-être commencer par M. Juliani. Bienvenue. Benvenuto.

+-

    M. Tony J. Juliani (vice-président, Relations gouvernementales, IDVoiceBank, Inc.): Monsieur le président, je vous remercie infiniment.

+-

    Le président: C'est en italien qui, en passant soit dit, est la troisième langue officielle du pays. En fait, elle ne l'est pas officiellement. Le tout est en fonction de là où vous vous trouvez.

+-

    M. Tony J. Juliani: C'est vrai.

    Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître aujourd'hui.

    Je serai bref. À l'université, je répète incessamment à mes étudiants que nous pouvons dire beaucoup de choses en cinq minutes. Je mettrai donc en application cette recommandation. J'espère que mon exposé sera utile au comité.

    Le débat portant sur l'adoption d'une carte d'identité nationale au Canada continue de susciter divers commentaires, comme cela se passe dans tout débat ouvert. À mon humble avis, toutefois, il y aurait lieu d'élargir la réflexion et d'envisager le renforcement des systèmes et des procédures en place afin de permettre l'identification de l'ensemble des Canadiens et des visiteurs au Canada, au moyen de techniques de pointe, tout en respectant les droits fondamentaux à la protection de la vie privée.

    Les divers arguments avancés concernant la carte d'identité nationale font ressortir un besoin plus global de protéger l'identité des personnes, au moyen des systèmes en place et de nouveaux systèmes. Dans un exposé prononcé devant votre distingué comité le 6 février 2003, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a tenu ces propos : « Une carte d'identité nationale est simplement un outil qui permet au porteur de prouver, avec un degré élevé de certitude, qu'il est bien celui qu'il prétend être. »

    Les opposants à la carte d'identité nationale prétendent qu'elle ne freinera pas les terroristes et devrait donc être rejetée. En suivant la même logique naïve, nous devrions, selon moi, nous débarrasser de tous les parapluies parce qu'ils n'empêchent pas la pluie de tomber. De tels arguments mensongers visent à gagner la sympathie d'un public vulnérable et à paralyser les efforts constructifs déployés afin de renforcer l'intégrité de nos systèmes d'identification personnelle.

    D'autres critiques soutiennent qu'une carte d'identité nationale violerait le droit à la vie privée des citoyens. Il se garde bien d'ajouter que le vol de l'identité d'une personne est l'atteinte la plus grave à sa vie privée. Notre identité constitue notre bien le plus personnel et le plus privé. Le comité connaît bien les statistiques sur les vols d'identité au Canada et ailleurs.

    Néanmoins, certains renseignements pertinents sauront peut-être éclairer même ceux qui ne veulent pas voir. Des chercheurs internationaux ont rapporté le nombre élevé de fraudes liées aux documents d'identification au Canada. Par exemple, un chercheur britannique a récemment écrit ce :

Dans la province canadienne de l'Ontario, l'existence de près de 12 millions d'inscriptions dans le système de santé, alors que la province ne compte que 10 millions d'habitants, soulève de vives inquiétudes dans la population. On présume que de nombreux citoyens américains se font traiter dans des établissements de santé canadiens sans y avoir droit.

    De plus, selon Développement des ressources humaines Canada, « les exigences relatives à la preuve d'identité établies en 1976 ne suffisent plus et les nouvelles technologies facilitent la falsification de documents d'identité, notamment des certificats de naissance ».

    Malgré que les documents de base, notamment les certificats de naissance, et les documents d'admissibilité, comme les passeports et les permis de conduire, jouissent d'un niveau élevé de qualité et d'intégrité, les vols d'identité et l'utilisation frauduleuse de documents personnels sont de plus en plus fréquents au Canada et dans le reste du monde. Par conséquent, il devient évident que les systèmes d'identification en place ne suffisent pas à protéger ni l'identité ni la vie privée des citoyens respectueux des lois. Tous les ordres de gouvernement doivent conjuguer leurs efforts pour extirper ce cancer qui ronge notre société. Les citoyens exigent des solutions concrètes et non de beaux discours.

¹  +-(1540)  

    Nous proposons la mise en place d'un système intégré faisant appel à des techniques biométriques de pointe susceptibles de renforcer les systèmes et les contrôles servant à protéger l'identité des personnes. De nombreux pays profitent déjà des avantages d'un tel système; certains ont même recours à la technologie canadienne. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a signalé au comité que « les entreprises canadiennes sont à l'avant-garde de ces nouvelles technologies et jouent un rôle actif dans la mise au point d'applications biométriques au profit des secteurs public et privé partout au monde ».

    En outre, le comité n'est pas sans savoir que les dispositions de la loi de 2002 sur le renforcement de la sécurité à la frontière avec les États-Unis prévoit que tous les voyageurs devront avoir en leur possession, d'ici octobre 2004, deux documents biométriques confirmant leur identité. Il est possible d'intégrer un système de biométrie dans une carte d'identité nationale ou de l'utiliser conjointement avec d'autres systèmes dans le but d'accroître l'intégrité du processus d'identification et particulièrement de faciliter les voyages et le commerce pour les Canadiens et les visiteurs au pays.

    De nos jours, il existe trois moyens conventionnels d'identification : à l'aide de quelque chose que nous possédons, soit un document; à l'aide de quelque chose que nous savons, en l'occurrence un mot de passe ou un NIP; à l'aide de ce que nous sommes, c'est-à-dire nos caractéristiques personnelles ou la biométrie. Nous pouvons perdre ou nous faire voler nos documents, oublier ou nous faire voler notre mot de passe ou notre NIP, mais notre voix n'appartient qu'à nous. Personne d'autre n'a nos empreintes digitales, notre visage, notre rétine, nos paumes, notre ADN ou notre voix.

    Pourquoi la vérification au moyen de la biométrie vocale? La biométrie vocale est très efficace et coûte peu. Contrairement aux autres techniques biométriques, elle ne nécessite aucun investissement dans l'infrastructure et dans des dispositifs spéciaux comme les scanneurs. L'utilisateur se sert simplement du téléphone. Les consommateurs trouvent cette méthode moins envahissante parce qu'ils ne sont pas obligés de se faire prendre leurs empreintes digitales ni de faire scanner leur visage ou leur iris.

    Les secteurs privé et public ont recours abondamment à la vérification au moyen de la biométrie vocale. Une grande banque canadienne vient d'annoncer qu'elle l'adoptait, et ses clients seront bientôt les premiers au Canada à s'identifier uniquement au moyen de la voix lorsqu'ils feront des opérations bancaires par téléphone.

    La biométrie vocale présente les avantages suivants comparativement à d'autres techniques biométriques. Premièrement, c'est la technique la moins envahissante. Deuxièmement, elle ne tient pas compte de la langue, la personne pouvant parler dans celle de son choix. Troisièmement, elle est beaucoup plus économique que les autres techniques biométriques, équivalant à environ le dixième du coût des autres. Quatrièmement, elle peut s'implanter n'importe où au monde au moyen d'un téléphone. Enfin, elle ne requiert encore une fois aucune infrastructure.

    Nous travaillons à une application spécifique en ce qui concerne les voyages et le commerce. Dans l'application spécifique aux voyages, la personne est inscrite ou identifiée avant de monter à bord d'un avion ou d'un bateau, ou encore avant de quitter le pays d'origine. L'inscription se fait ou est activée dès que la personne reçoit son document de voyage, qu'il s'agisse d'un passeport ou d'un visa, le tout en présence d'un fonctionnaire. L'empreinte vocale de la personne est captée au moyen d'un téléphone, dans un environnement contrôlé, et elle est stockée aux fins de confirmation ultérieure.

    À la demande du comité, nous serons heureux de lui faire une démonstration sur place, à une date qui lui conviendra.

    Ce mécanisme permet de vérifier l'identité d'une personne 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, de n'importe quel endroit au monde, à condition d'avoir accès à un téléphone. La principale caractéristique de cette application spécifique aux voyages, c'est que la vérification de l'identité de la personne a lieu avant que celle-ci ne quitte le pays.

¹  +-(1545)  

    Le gouvernement du Canada, la vérificatrice générale, le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration ainsi que le gouvernement américain ont souligné la nécessité de mettre en place un système d'identification précoce. La vérificatrice générale, notamment, a fait remarquer que le premier point de vérification est établi à l'étape du visa. Les gouvernements canadien et américain ont élaboré une stratégie des frontières multiples; aux fins de l'immigration, ils ont également défini comme une frontière tout point où l'identité d'un voyageur peut être vérifiée.

    De plus, ce système nécessiterait la mise en place par Citoyenneté et Immigration Canada d'un programme d'agents de contrôle aux consulats canadiens. Ceux-ci contrôleraient l'identité des personnes souhaitant se rendre au Canada. Je travaille actuellement avec un gouvernement étranger par l'intermédiaire de son ambassade à Ottawa, afin d'adopter un tel système pour la délivrance des visas aux voyageurs se rendant dans ce pays.

    Sur le plan des coûts et de l'efficacité, la biométrie vocale se classe même au premier rang sur le plan de la précision, de la convivialité et des coûts, parce qu'elle ne nécessite aucune infrastructure ni dispositif spécial. En outre, elle permet d'obtenir une identification de qualité supérieure ainsi que d'éviter les erreurs et les fraudes. Le cryptage biométrique est également considéré comme « très respectueux de la vie privée ». Les défenseurs de la vie privée sont mal placés pour s'y opposer.

    En conclusion, ce débat sur la carte d'identité nationale a fait ressortir la nécessité plus générale de protéger l'identité de tous les Canadiens et des visiteurs au Canada, en renforçant les systèmes et les procédures en place au moyen de techniques biométriques respectueuses de la vie privée.

    Je remercie les membres du comité et je vous souhaite de poursuivre votre excellent travail.

+-

    Le président: Je vous remercie de votre exposé, monsieur Juliani. Je suis certain que nous vous poserons des questions.

    Je cède maintenant la parole à M. Ian Williams, directeur principal d'Identity Systems Group.

+-

    M. Ian Williams (directeur principal, Identity Systems Group): Bonjour monsieur le président, bonjour mesdames et messieurs les membres du comité. Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de comparaître.

    Je m'apprêtais à lire mon exposé, mais je vous demanderai de m'excuser si je ne le fais pas intégralement. Après avoir écouté la déclaration préliminaire de M. Juliani, je souhaite sauter certains passages.

    Je suis le fondateur et le principal consultant de la firme Identity Systems Group. Je vous remercie de m'avoir invité à participer au débat. Vos travaux sont essentiels à la mise en oeuvre d'un programme d'identification dans le secteur privé.

    Mon expérience et mes connaissances portent sur de nombreux systèmes d'identification. J'ai collaboré à l'établissement de modèles pour les passeports suisse, irlandais et néerlandais, ainsi que pour la carte d'identité nationale en Malaisie et le permis de conduire à Singapour. J'ai participé à l'élaboration des systèmes pour les permis de conduire de toutes les provinces, sauf le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et l'Île-du-Prince-Édouard. Dans le domaine des soins de santé, j'ai participé à la création des cartes pour la RAMO et la RAMQ. En 1992, je travaillais pour une entreprise qui a mis au point la technologie permettant d'intégrer une photo à une carte plastifiée, une technologie qui n'a pas tardé à se répandre partout dans le monde. En 1994, j'ai commencé à me pencher sur la technologie biométrique dans le but d'améliorer le processus d'identification.

    ISG a été créé pour répondre à l'appel urgent de deux organismes gouvernementaux, l'un canadien et l'autre américain, qui ne pouvaient pas trouver d'opinions objectives sur le recours à la biométrie et aux cartes d'identité pour améliorer le processus d'identification. Actuellement, je travaille à la conception d'un nouveau système de permis de conduire pour le Manitoba.

    Je veux aborder la question du permis de conduire. Ces 10 dernières années, j'ai consacré une grande partie de mon temps à améliorer le processus d'identification utilisé pour le permis de conduire au Canada. À tort ou à raison, le permis de conduire est devenu le document d'identité que l'on présente, tant aux États-Unis qu'au Canada, à de nombreuses fins, notamment pour encaisser des chèques et prendre un vol. Je me suis servi du mien pour venir à Ottawa aujourd'hui.

    Sans toutefois constituer une preuve de nationalité, le permis de conduire est pourtant le document d'identité avec photo le plus souvent présenté et utilisé dans le processus de validation de l'admissibilité d'une personne à détenir un document d'identification national d'un niveau supérieur comme un passeport. Le permis de conduire pourrait vraisemblablement devenir un document d'appui valable pour l'obtention d'une carte d'identité nationale.

    Depuis le 11 septembre, l'industrie de l'identification bourdonne d'activité. Sans bien comprendre que le principal avantage de la biométrie est de faciliter le processus d'identification, de nombreux organismes gouvernementaux canadiens, américains et étrangers ont ressenti l'urgence de mettre en place de meilleurs systèmes d'identification.

    À mon avis, la première chose qu'il faut savoir dans ce domaine, c'est que la biométrie et les autres technologies ne peuvent pas régler à elles seules les problèmes liés à l'inscription au système. On s'est appuyé sur cette fausse croyance pour exagérer la précision et l'applicabilité de cette technologie. Les organismes gouvernementaux qui cherchaient la solution technologique miracle capable de résoudre tous les problèmes d'identification, ont vite déchanté. Je peux citer plusieurs programmes qui viennent d'être annulés en Australie, aux États-Unis et en Europe et qui visaient à se servir de la biométrie pour améliorer le processus d'identification : l'aéroport de Tampa, l'aéroport Logan ainsi que deux autres aéroports, l'un à Londres et l'autre en Australie.

    J'ai utilisé l'expression « processus d'identification » à plusieurs reprises. Permettez-moi donc de vous expliquer exactement ce que j'entends par là. L'identification n'est pas une technologie. C'est une approche à facettes multiples utilisée pour valider une identité ou prouver un refus. Dans les systèmes qui s'appuient sur des documents comme le passeport ou le permis de conduire, le processus d'identification comporte trois volets : l'inscription, le document et la vérification. Certains problèmes sont inhérents à chacun des volets et empêchent l'interaction entre les trois. Les meilleurs systèmes d'identification sont ceux qui assurent un équilibre entre les trois volets sans mettre indûment l'accent sur l'un d'entre eux.

    J'aborderai les trois aspects de l'identification. Commençons par l'élément central, le document. Le document d'identité vise à fournir à son titulaire une preuve portable et présentable qu'il est bien la personne qu'il prétend être. C'est à l'autorité émettrice, en général un organisme gouvernemental, qu'il incombe de décider qui possédera ce document. Divers dispositifs permettent habituellement de sécuriser le document : hologrammes, inscriptions au laser, données lisibles par machine, etc. À l'instar de la monnaie, les documents d'identité émis par les gouvernements sont produits à l'aide de méthodes ou de technologies difficiles ou coûteuses à acquérir ou encore à reproduire, ce qui les protège contre les contrefaçons.

    Les spécialistes de l'identification s'entendent généralement pour dire qu'il n'existera jamais de documents inviolables. La plupart des documents sont donc protégés contre la modification frauduleuse—à la dernière page de mon exposé, une définition est donnée de l'expression « modification frauduleuse ». Ainsi, toute altération est immédiatement détectable, et le document est refusé comme preuve d'identité.

    Enfin, les mesures de sécurité de la TI, la vérification des éléments consomptibles du document et l'attestation sécuritaire des personnes qui traitent les fournitures ou qui y ont accès, visent à protéger les documents contre toute authentification frauduleuse, c'est-à-dire la production non autorisée d'un document officiel par l'utilisation illicite de fournitures gouvernementales authentiques.

¹  +-(1550)  

    Les gouvernements doivent également savoir que la production d'un document hautement sécurisé ne renforce pas l'intégrité globale du système d'identification. Dépenser de l'argent pour garantir la sécurité des documents sans essayer d'établir un équilibre avec les deux autres volets—inscription et vérification—réduit l'intégrité du programme. En effet, les gens ont la fausse impression que le système est sécuritaire dans son ensemble puisque le document est réputé être tellement sécuritaire. Cela crée une situation dangereuse que nous pouvons observer aujourd'hui à l'égard de certains documents délivrés par le gouvernement canadien.

    Le troisième volet du processus d'identification, la vérification, se fait en deux étapes. La première consiste à vérifier si la personne qui présente un document et revendique une identité est bien la personne à qui le document était destiné et s'il lui a été délivré par une autorité compétente. La deuxième consiste à garantir que le document et la personne visée ont la même identité que celle inscrite dans les dossiers de l'autorité qui a émis le document.

    La biométrie peut être très utile à l'étape de la vérification, mais comporte certaines limites. Les systèmes d'identification mis au point sur des plates-formes compatibles ou faisant appel à la technologie policière existante doivent aussi faire l'objet d'une analyse en profondeur parce qu'ils permettent d'échanger des données personnelles ou biométriques et d'utiliser ces données à des fins autres que celles prévues.

    Les moyens biométriques coopératifs ou non coopératifs peuvent également faire obstacle à la vérification. Par exemple, si je veux accéder à mon compte de banque à l'aide de mes empreintes digitales, je vais probablement essayer de poser mon doigt sur le lecteur de façon à optimiser la possibilité d'une concordance des données afin d'obtenir l'accès. Par contre, si le même système sert à évaluer mon admissibilité aux services sociaux et si je veux toucher des prestations sous de multiples identités, je placerai probablement mon doigt de manière à ne pas obtenir de concordance ou j'utiliserai d'autres moyens pour réduire la possibilité de concordance avec les données déjà enregistrées. La même chose peut se produire avec d'autres techniques biométriques, notamment la reconnaissance faciale; le déguisement peut en effet être utilisé pour déjouer le système. C'est ce qu'on appelle une participation « non coopérative. »

    Les systèmes d'identification les plus efficaces donnent toujours à l'utilisateur le privilège de fournir le meilleur échantillon possible. La participation coopérative permet de traiter 99,9 p. 100 de tous les utilisateurs dans tout système d'identification du secteur public qui donne à l'utilisateur le bénéfice d'une concordance. Le système peut ensuite se concentrer sur le 0,1 p. 100 d'utilisateurs qui posent la menace la plus élevée.

    Il peut arriver qu'un système, à cause de pépins, de problèmes techniques ou d'inexactitudes, refuse par erreur de valider une identité véritable. Avant de déployer un système, il faut donc élaborer des politiques et des procédures soutenues par la loi, ce qui permettra l'application cohérente du système dans une région étendue et populeuse.

    Les systèmes d'identification peuvent également détecter une personne qui possède une autre identité. Dans ce scénario, la personne doit présenter une preuve supplémentaire de sa véritable identité, probablement dans le cadre d'un deuxième examen; il est donc nécessaire d'avoir des politiques et des procédures soutenues par la loi afin de faciliter la mise en oeuvre des mesures qui s'imposent.

    Parlons maintenant de l'aspect le plus important de tout système d'identification, c'est-à-dire l'inscription. Le principal défi que doivent relever les administrateurs d'un système d'identification du secteur public consiste sans contredit à décider qui sera inscrit dans ce système. Les deux autres volets du processus d'identification, c'est-à-dire le document et la vérification, deviennent inutiles si le système d'identification est incapable d'empêcher des personnes non autorisées à accéder au système par une inscription frauduleuse.

    Dans presque tous les systèmes d'identification, une personne se verra accorder l'inscription sur présentation de documents d'appui, qui sont en général des documents d'identification officiels délivrés par divers ordres de gouvernement ou par d'autres pays. On dit que ce sont des documents de base.

    De nombreux systèmes d'identification ont recours à un mécanisme de notation des documents de base pour déterminer l'admissibilité d'une personne. En général, il suffit d'obtenir une note préétablie pour prouver son admissibilité. Malheureusement, à cause de la vaste diversité de documents de base et du manque de technologie, de procédures, de formation en matière de fraude et d'aptitude à détecter les faux documents, les opérateurs ne sont pas en mesure de prendre des décisions éclairées en matière d'admissibilité.

    Au Canada, la difficulté de reconnaître l'authenticité des documents de base légitimes délivrés ici ou à l'étranger empêche la mise en place d'un système d'identification sûr. La facilité avec laquelle une personne peut obtenir des documents de base—certificat de baptême ou de naissance, document d'immigration, carte d'assurance-maladie ou tout autre document officiel—a des répercussions néfastes sur tous les systèmes d'identification actuellement en place au Canada. Ce problème est aggravé par le fait que la plupart de ces documents sont reconnus comme documents d'appui par d'autres systèmes d'identification d'un niveau considéré plus élevé, comme les permis de conduire, les passeports et les demandes d'immigration. Tant que les problèmes liés à ces documents persisteront, il y aura toujours un risque accru qu'une fausse identité soit inscrite et validée dans un document émis de bonne foi et que cette fausse identité fasse l'objet d'une confiance indue.

¹  +-(1555)  

    Parlons maintenant d'une solution canadienne. J'aimerais mentionner l'organisme CCATM, le Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé, qui est le pendant canadien de l'AAMVA.

    Si vous travaillez dans le domaine de la recherche en matière d'identification, vous savez que l'AAMVA a obtenu un mandat du gouvernement fédéral américain. Il n'y a pas de débat aux États-Unis concernant une carte d'identité nationale. On demande essentiellement que chaque État rehausse les exigences relatives à la délivrance des permis de conduire, pour une application uniforme partout aux États-Unis. Chaque État sera responsable de la délivrance d'une carte d'identité.

    Cette situation existe au Canada aujourd'hui. Les provinces émettent une carte d'identité provinciale aux personnes qui ne peuvent obtenir un permis de conduire. À mon avis, la solution au Canada consiste à rehausser le niveau de sécurité entourant la délivrance des permis de conduire ainsi que l'inscription et la vérification des documents pertinents, à l'instar de ce que font présentement les États-Unis. Les organismes en place émettent des cartes d'assurance-maladie et des cartes d'identité provinciales. Une fois le niveau de sécurité rehaussé, la carte d'identité nationale ne sera plus nécessaire.

    Merci de prendre le temps de m'écouter.

º  +-(1600)  

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur Williams, de soulever des questions qui portent à réfléchir. C'est sans doute ce que nous ferons.

[Français]

    Et maintenant, bienvenue à Dominique Peschard et à Roch Tassé.

+-

    M. Dominique Peschard (vice-président du conseil d'administration, Ligue des droits et libertés):

    Je voudrais remercier M. Fontana et les membres du comité de nous avoir donné la possibilité de présenter notre mémoire sur une question que l'on juge très importante à la Ligue des droits et libertés.

    La question de la carte d'identité soulève beaucoup d'enjeux fondamentaux. Une première constatation, dans la discussion autour de la carte d'identité, c'est qu'il y a eu un déplacement des motifs évoqués pour justifier l'émission d'une telle carte. Au départ, c'est parti du climat créé après les attentats du 11 septembre, d'un besoin de sécurité et de la nécessité pour les gens de pouvoir traverser la frontière entre le Canada et les État-Unis sans problème. Mais à mesure que l'atteinte de ces objectifs semblait de moins en moins assurée par l'émission d'une carte d'identité biométrique, on a invoqué des objectifs économiques et les fraudes d'identité pour justifier la carte.

    Alors, ce qui est assez ironique, c'est que d'après nous, les objectifs maintenant évoqués, si ce n'était du contexte créé par le 11 septembre, n'auraient jamais suffi, par eux-mêmes, pour lancer l'idée d'une carte d'identité biométrique, parce que cette carte pose un grand nombre de problèmes au niveau du droit à la vie privée et de la protection des informations sur les individus, problèmes qui ont été soulevés dans le rapport intérimaire du comité et qui sont mentionnés dans notre mémoire. Donc, je ne les énumérerai pas.

    Une question qui nous paraît importante, c'est de juger la question de la carte d'identité non pas en soi, mais dans le contexte des mesures de surveillance diverses qu'on est en train de mettre en place depuis le 11 septembre. Il s'agit de mesures comme, par exemple, le mégafichier sur les voyageurs, qui fait qu'il y a maintenant un fichier contenant toutes les données sur les voyages à l'étranger des Canadiens.

    La même chose vaut pour le projet, qui n'est pas encore réalisé pour l'instant, de surveillance électronique, connu sous le nom de Accès légal, en vertu duquel les fournisseurs de services et de communications électroniques seraient tenus de garder toutes les données de trafic et de contenu, afin qu'elles soient disponibles pour les autorités. Il s'agit donc d'une surveillance des communications électroniques des citoyens.

    Il y a aussi des questions qui sont liées à l'application de la loi C-36, comme le fait que le seuil pour la surveillance électronique est abaissé.

    Donc, on est présentement en voie de mettre en place un ensemble de mesures. Cela ne fait pas nécessairement partie d'un projet d'ensemble cohérent, mais toutes ces mesures additionnées font que les citoyens canadiens sont de plus en plus surveillés dans leurs déplacements, dans leurs communications et ainsi de suite. Alors, la carte d'identité biométrique, avec toutes les possibilités qu'elle offre en vertu de sa technologie, est un élément supplémentaire important dans ce qu'on pourrait appeler la création d'une infrastructure de surveillance au Canada.

    Cela remet en question certains principes qu'on prenait pour acquis dans une société démocratique comme la nôtre. La premier est le droit à l'anonymat, c'est-à-dire le droit de pouvoir se déplacer, de communiquer avec qui on veut sans être obligé de s'identifier ou de rendre des comptes. L'idée qu'on a dans notre société, c'est que si on est un citoyen honnête qui vaque à ses occupations, la police ou les autorités n'ont pas à nous surveiller.

    Au fond, il y a aussi dans tout dans cela une remise en question de la logique de présomption d'innocence. Normalement, on s'attend à ce que, comme je l'ai dit plus tôt, si on est un citoyen qui ne commet pas d'infractions, la police ne s'intéresse pas à nous. C'est donc à partir du moment où il y a des motifs raisonnables de croire qu'on commet un crime ou qu'on s'apprête à se livrer à une activité criminelle qu'on est sujet à des mesures de surveillance et à des poursuites éventuelles. Or, par toutes ces mesures, comme les fichiers et les autres, au fond, il appartient au citoyen de prouver qu'il est innocent.

º  +-(1605)  

    Autrement dit, si le système, à cause des voyages qu'on a faits et, dans l'éventualité de la mise sur pied de Accès légal, des sites Internet qu'on a consultés, génère un profil de suspect, on sera immédiatement passible soit d'être arrêté à la frontière, soit de faire l'objet d'une surveillance particulière, alors qu'il n'y aurait pas de motifs raisonnables de croire qu'une infraction a été commise. C'est d'ailleurs présent aussi dans la loi C-36 où, étant donné que les activités dites terroristes, entre autres, sont définies de manière très large, l'intervention des forces policières peut être basée sur le motif raisonnable de soupçonner, et non pas de croire, ce qui, jusque là, était le principe admis dans nos lois.

    Donc, il y a tout ce contexte de surveillance qui est mis en place et auquel la carte d'identité pourrait contribuer de manière importante.

    Un autre élément qu'on voit se développer et qui nous inquiète, c'est une certaine impunité des forces policières dans ce contexte. Assez récemment, Mme Shirley Heafey se plaignait qu'elle ne pouvait pas savoir ce que faisait la GRC avec les pouvoirs conférés par la loi C-36. Récemment, au Québec, on a appris que la SQ enquêtait sur plusieurs groupes sociaux qui exerçaient leur droit d'opinion, par exemple les défusionnistes, l'Union paysanne, le groupe de défense des garderies à cinq dollars, etc. Cela a été condamné par le gouvernement; nous en sommes très contents, mais cela démontre une certaine activité policière auprès de citoyens qui n'ont absolument rien à se reprocher.

    Il y a aussi le fait qu'à Montréal, à tout le moins, il y a eu, depuis les dernières années, des arrestations massives de manifestants pacifiques qui n'avaient rien fait. Tout ce contexte nous inquiète beaucoup quand on examine le projet de carte d'identité.

    Il y a aussi d'autres considérations. La carte d'identité, telle que proposée, va être liée à des fichiers centraux. Il y a aussi la possibilité d'incorporer des fichiers sur la carte, si c'est une carte à puce, comme des fichiers concernant notre dossier criminel, le cas échéant, ce que la police souhaiterait, des dossiers de santé, d'autres dossiers liés à la conduite automobile, etc. La question est de savoir quel contrôle les individus vont avoir sur ces fichiers. Ce n'est pas seulement une question de dire qu'on n'est pas tenu de dévoiler le contenu de ces fichiers, mais de savoir ce qui va empêcher des institutions du secteur privé, par exemple les banques, les compagnies d'assurances, d'exiger d'avoir accès au contenu de ces fichiers en échange de la signature de contrats.

    On peut donner l'exemple des locataires à Montréal quand il y a pénurie de logement. En principe, ils n'ont pas à dévoiler leur situation financière dans le détail ou d'autres informations au locateur, mais dans la pratique, les propriétaires le demandent, et la personne qui cherche un logement n'a pas le choix, si elle veut le logement, que de dévoiler l'information. Cet aspect de la question nous préoccupe.

    Ensuite--et cela a été évoqué, ce qui m'a surpris moi-même, car j'ai fait un peu de recherche là-dessus--, il y a le manque de fiabilité de certaines des techniques biométriques, donc la possibilité d'erreur sur la personne et les tracas qui peuvent s'ensuivre pour les citoyens ordinaires, de même que le fait que la police a souvent une confiance assez aveugle dans la technologie.

    Finalement, on ne peut pas passer sous silence les coûts de ce projet, qui semblent assez exorbitants. Nous ne sommes pas en mesure de les évaluer, mais toutes les évaluations que nous avons vues établissaient le coût minimum à trois milliards de dollars; certaines allaient jusqu'à cinq ou sept milliards de dollars. D'autant plus--et la présentation qui a précédé la nôtre allait un peu dans ce sens--qu'il n'y a pas de moyen unique et de moyen uniquement technologique d'assurer la sécurité sur tous les aspects qui sont évoqués dans le débat sur la carte de sécurité.

    Alors, on trouve que c'est un projet qui menace sérieusement les libertés démocratiques au Canada et on invite les gens du comité à recommander qu'on n'aille pas dans cette direction.

º  +-(1610)  

    Il y a un élément que j'ai sauté et dont M. Tassé va parler brièvement, c'est toute la question de la souveraineté nationale et du contrôle par les Canadiens de l'information les concernant.

+-

    M. Roch Tassé (coordonnateur, Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles): Compte tenu qu'il me reste seulement une minute pour ma présentation, je vais couper court et aller directement au but.

    En plus de réitérer les propos de M. Peschard à l'effet qu'il faut faire l'examen de l'utilité ou non d'une carte d'identité nationale dans le contexte global de toutes les autres mesures adoptées par le Canada depuis le 11 septembre, des mesures qui augmentent considérablement les pouvoirs de surveillance et d'intrusion des forces policières et des diverses agences de sécurité, qui restreignent les libertés démocratiques et qui contribuent surtout à l'érosion galopante du droit à la vie privée, il faut aussi voir quelles sont les bases de données auxquelles une carte d'identité nationale donnerait éventuellement accès. Ce n'est pas seulement une question d'identifier les individus, mais toutes ces cartes peuvent servir de clés d'accès à des bases de données incroyables.

    Dans le contexte de la quantité de données qui se trouveraient derrière ces cartes, le débat devrait aussi tenir compte des ententes signées avec le gouvernement des États-Unis dans le cadre de l'entente sur la frontière intelligente, Smart Border, surtout en ce qui a trait à l'échange de renseignements personnels sur les Canadiens avec les autorités américaines, et surtout aussi à l'intégration et à l'assujettissement de nos services de sécurité aux impératifs définis par les services de sécurité américains.

    Compte tenu des ambitions étatsuniennes de mettre en place des mégabanques de données intégrées telles que Total Information Awareness System, la facilitation des échanges de renseignements avec nos voisins du Sud soulève des questions très fondamentales reliées à la protection des Canadiens et même à la souveraineté du Canada.

    On se dirige vers une situation où, de plus en plus, les renseignements personnels sur les Canadiens vont être stockés aux États-Unis, gérés par des agences américaines, sans aucune obligation de rendre compte au Parlement canadien. Donc, le Parlement canadien ne serait pas en mesure de protéger la vie privée des Canadiens. On ne pourrait donc pas avoir de mesures au Canada pour exercer un certain contrôle sur l'utilisation des banques de données, ce qui soulève toute la question de la souveraineté, comme l'a déjà dit mon collègue Dominique.

    De fait, on a vu tous ces éléments-là ressortir dans le cas de Maher Arar. Si on prend toutes les questions auxquelles on n'a pas encore obtenu réponse dans ce cas-là, on voit que plusieurs des éléments que j'ai mentionnés font partie de la problématique soulevée par le cas Arar.

[Traduction]

    Les pressions diplomatiques concernant l'harmonisation des frontières et les régimes qui s'appliquent au périmètre nord-américain nous préoccupent beaucoup puisqu'elles visent toutes un partage accru des données personnelles des Canadiens. Lorsqu'un Canadien traverse la frontière, un profil électronique composé de tous ces éléments peut être déclenché et mis à la disposition des autorités frontalières, qui l'utiliseront à d'autres fins que celles prévues. Nous craignons l'introduction d'une pareille technologie invasive parce que ce système de données intégrales peut encourager l'établissement de profils raciaux et des abus comme ceux qu'ont faits systématiquement les douaniers américains au cours des derniers mois. Encore une fois, la question qui nous préoccupe est l'intégration des services de sécurité, l'absence de contrôle et de supervision par le Canada sur le fonctionnement des services canadiens et le fait que les données seraient éventuellement contrôlées par les États-Unis.

    Je m'arrête ici. Je pourrais continuer, mais voilà essentiellement la direction que je voulais inciter le comité à prendre.

+-

    Le président: Merci, Dominique et Roch. Nous aurons certainement des questions pour vous.

    Commençons. Grant.

+-

    M. Grant McNally (Dewdney—Alouette, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président, et merci aux témoins pour leurs présentations.

    La carte d'identité nationale soulève trois questions, qui ont été abordées dans vos exposés. Monsieur Williams, vous parlez des documents de base, qu'on appelle aussi documents primaires. On nous dit que nous serions bien dupes d'adopter une carte d'identité nationale sans établir des contrôles plus serrés sur les détenteurs de ces documents de base.

    C'est essentiellement ce que vous faites valoir. Vous dites que si quelqu'un peut passer l'épreuve ou franchir les obstacles pour obtenir le document primaire, il peut ensuite obtenir sans trop de peine sa carte d'identité nationale, et la fraude devient encore plus difficile à détecter. Vous dites aussi que les Américains ont choisi de resserrer les contrôles concernant la délivrance des permis de conduire dans chaque État, et que nous pourrions faire de même.

    Le lien entre les systèmes d'information et cette carte est également très préoccupant. Même si l'intention première n'est pas de relier les systèmes d'information et les différentes bases de données, c'est ce qui s'est déjà produit avec d'autres documents. À l'origine, le numéro d'assurance sociale devait être utilisé uniquement pour les programmes de prestations du gouvernement fédéral, mais les choses ont changé au fil des années et nous utilisons maintenant ce numéro à toutes sortes d'autres fins.

    Si nous empruntons cette voie, je me demande sérieusement si nous aurons un contrôle quelconque sur les liens entre ces systèmes. La situation pourrait être catastrophique si la carte d'une personne tombe entre les mauvaises mains, parce qu'elle donne accès à toutes sortes de données personnelles. C'est très inquiétant.

    Je croyais n'avoir que deux grandes préoccupations jusqu'à ce que je me souvienne d'une troisième, c'est-à-dire le facteur coûts. Le ministre n'a pas encore établi les coûts de cette mesure.

    J'aimerais retenir votre suggestion, monsieur Williams, voulant que l'on encourage les provinces à mettre en place un système plus rigoureux pour la délivrance des permis de conduire ou de tout autre document qui servirait de pièce d'identité principale.

    J'aimerais aussi souligner que la sécurité de nos passeports et de nos numéros d'assurance sociale, qui relèvent tous deux du gouvernement fédéral, pose problème, parce qu'ils sont volés ou utilisés à mauvais escient. Je n'ai pas eu connaissance que ce problème se posait avec les permis de conduire, qui sont délivrés par les provinces.

    Je me trompe peut-être. Vous pouvez peut-être nous parler d'autres incidents.

º  +-(1615)  

+-

    M. Ian Williams: L'un des plus graves problèmes que connaît le Canada aujourd'hui remonte à il y a un an et demi, lorsque 17 systèmes de délivrance de permis de conduire ont été volés au cours d'une même fin de semaine, au Québec. Il est clair que ces systèmes ont été volés par des organisations criminelles, qui peuvent maintenant s'adonner à ce que j'appelle l'authentification frauduleuse, c'est-à-dire produire des permis de conduire officiels du Québec. Les systèmes qui contenaient du matériel pour la production de cartes, comme des plastifiés de sécurité, contenaient aussi des renseignements personnels sur certains résidents du Québec à qui on avait émis un permis de conduire.

    Comme le Québec est la seule province à ne pas mettre en mémoire l'image numérique, il y a maintenant au Canada des documents dignes de confiance qui ne sont pas authentiques et qu'il nous est impossible de détecter. Les criminels peuvent produire ces documents parce qu'on ne dispose d'aucune image pour vérifier l'identité d'une personne. Il n'y a aucune façon de contre-vérifier. Voilà un incident qui s'est produit.

    L'incident dont il a été question précédemment concernant la carte RAMO s'est vraiment produit. Je travaillais pour l'entreprise qui fournissait certains des systèmes. Le problème est aggravé par le fait que la plupart des entreprises engagées par le gouvernement sont payées en fonction du nombre de cartes produites. Le passeport canadien, la nouvelle carte de résident permanent et tous les autres documents de programme qui existent en Amérique du Nord sont produits d'après ce modèle. La situation change en Asie et en Europe, où les gouvernements ne font pas appel à des entreprises privées pour délivrer ces documents et ne les paient pas pour chaque document produit. Il s'agit d'une situation de conflit d'intérêt, puisque l'entreprise en question a tout intérêt à produire le plus grand nombre de documents possible.

    L'entreprise qui délivrait les cartes RAMO—et je dois être prudent pour ne pas me retrouver devant les tribunaux—savait avant même le gouvernement qu'on avait produit deux millions de cartes de plus que le nombre de personnes admissibles. Ce n'est qu'au moment où cette situation a été portée à l'attention du gouvernement que la production de la carte RAMO a cessé.

    Le modèle d'entreprise qui sert à la délivrance des documents doit donc changer, mais je n'ai pas observé de changement au Canada. Les choses changent en Asie, où les gouvernements contrôlent eux-mêmes ces documents et ne paient plus des entreprises privées pour délivrer ces documents en leur nom.

    J'espère que je réponds à votre question.

º  +-(1620)  

+-

    Le président: D'autres personnes voudraient-elles faire des commentaires sur les documents de base ou les liens entre les bases de données, dont Grant a parlé? Dominique, Roch ou Tony?

+-

    M. Tony J. Juliani: Si vous me le permettez, le problème, ce n'est pas la carte, mais davantage la personne. M. Williams a parlé des permis de conduire qui ont été volés. Or, ces documents sont inutiles à moins d'être utilisés frauduleusement, ce qui nous ramène à la personne : cette personne est-elle admissible?

    Il est question d'un système intégré qui pourrait identifier cette personne et activer ses droits. En d'autres termes, lorsqu'une personne reçoit cette carte d'identité ou ce permis de conduire « réel » mais frauduleux, s'il y avait un système biométrique pour reconfirmer son identité et réactiver ses droits, on aurait alors un système intégré, c'est-à-dire qui comporterait plusieurs éléments. Nous aurions la technologie en place pour fournir un autre élément à l'appui du document original que doit fournir cette personne.

    C'est ce dont nous parlons. Nous ne parlons pas du partage des renseignements. Lorsqu'une personne arrive au Canada et présente ce qui semble être un passeport douteux, avons-nous un autre système, un système biométrique, qui donnerait un outil supplémentaire et pratique aux douaniers, dans ce cas-ci, ou encore aux agents du contrôle routier ou de police? C'est possible grâce à la biométrie, et c'est ce que signifie, pour nous, un système intégré.

+-

    Le président: Madeleine.

[Français]

+-

    Mme Madeleine Dalphond-Guiral (Laval-Centre, BQ): Merci, monsieur le président. Ma première question s'adresse à M. Juliani.

    J'ai été intéressée par l'élément de biométrie dont vous nous avez parlé, à savoir la reconnaissance de la voix. J'ai un cellulaire où, en principe, on reconnaît ma voix. Mais alors, c'est l'enfer! C'est régulier: la première fois, on me dit «  Ce nom n'est pas reconnu, ce nom n'est pas reconnu ». Bon, je recommence. La troisième fois, eh bien, on me reconnaît. Pourtant, j'ai la même voix.

[Traduction]

+-

    Le président: Je peux reconnaître votre voix chaque fois.

    Des voix: Oh, oh!

+-

    Mme Madeleine Dalphond-Guiral: Je le sais.

[Français]

    Je me dis que la voix peut être altérée de différentes façons. Qu'est-ce qui est effectivement enregistré? Est-ce que c'est de la physique acoustique? C'est quoi? Si j'ai la grippe, je vous garantis que je n'ai pas la même voix. Par contre, mon mari et mon fils aîné avaient la même voix. Au téléphone, pour moi, c'était la même chose. Alors, j'aimerais juste que vous m'éclairiez, parce que je trouve cela très particulier.

[Traduction]

+-

    M. Tony J. Juliani: Merci beaucoup.

    Concernant votre téléphone, j'aimerais bien faire une démonstration devant votre comité, parce que la technologie existe et est disponible.

    En ce qui a trait à la reconnaissance, la voix est comme une empreinte digitale. Aucune technologie n'est parfaite, mais nous croyons qu'elle nous rend service. Certains disent que nous avons une foi aveugle dans la technologie, mais je mets aussi une foi aveugle dans l'avion qui me transporte de Toronto à Ottawa, alors il y a effectivement un élément de foi lié à la technologie. Or, aucune technologie ne fonctionne parfaitement et même si c'était le cas, je n'aurais pas cette prétention.

    Concernant la voix, il s'agit d'une empreinte intérieure... Peu importe que vous ayez la grippe, parce que votre voix vient de l'intérieur. C'est semblable aux empreintes digitales que la police utilise pour établir des comparaisons, et nous utilisons le système dactyloscopique pour l'application de la loi. La voix est un outil biométrique extrêmement efficace par rapport à son coût, un instrument non intrusif et non invasif qui nous permet de confirmer l'identité d'une personne avec une grande fiabilité. Voilà la meilleure façon dont je peux en parler.

    La technologie est-elle entièrement parfaite? Je ne pourrai jamais le prétendre. Lorsque je conduis ma voiture, je présume que les freins fonctionneront en tout temps. S'ils flanchent, j'ai un problème, et c'est de cette façon que je considère la technologie.

    La technologie que vous associez au téléphone n'est pas la vérification de la voix, mais bien la reconnaissance de la voix, ce qui est tout à fait différent. Nous parlons de vérification car mon empreinte vocale a été enregistrée et qu'il y a concordance entre moi et ma voix. La concordance n'est pas établie par rapport à d'autres, ce que font d'autres outils biométriques, et c'est là une lacune. M. Williams peut parler de ce sujet plus amplement que moi, qui suis professeur de criminologie.

    Dernière chose : nous travaillons sur la vérification de la voix depuis plus de 10 ans, bien avant que l'industrie de la sécurité ne s'en mêle pour des raisons partisanes.

    J'espère avoir répondu à votre question.

º  +-(1625)  

[Français]

+-

    Mme Madeleine Dalphond-Guiral: Dans ce débat, une chose me préoccupe beaucoup. Le ministre a vraiment donné une entière liberté au comité, ce qui implique, à mon avis, une très grande responsabilité.

    Or, il me semble que la population en général est fort peu informée de toutes les conséquences que pourrait avoir l'adoption d'une carte d'identité nationale. J'aimerais que tous les trois vous me disiez quelle stratégie pourrait, à votre avis, être utilisée pour que la population ne se fasse pas berner par de faux espoirs de sécurité--c'est un leurre qu'il est tentant d'utiliser--, que l'information soit juste et que les gens la reçoivent.

    Comment pourrait-on procéder? Les gens qui comparaissent ici sont déjà très bien informés. Vous, par exemple, n'avez pas besoin d'information: votre position est déjà claire. Toutefois, il y a plus de 30 millions de citoyens au Canada, et il faudrait trouver une façon de les informer correctement.

+-

    M. Dominique Peschard: On ne peut pas contourner la nécessité de tenir un débat public sur cette question, entre autres dans les journaux, et de prendre le temps d'informer la population. Tous les aspects de la question, et non pas seulement les aspects techniques, doivent être soulevés. Il faut vulgariser les concepts jusqu'à un certain point pour que les gens comprennent les enjeux. Ils doivent savoir exactement en quoi consiste un « numérisé », une caractéristique physique d'un individu, la biométrie, etc., et quel est le rendement réel de ce système.

    Les articles publiés à ce sujet font état de divergences entre le point de vue de l'industrie, soit les gens qui vendent les systèmes, et les tests indépendants qui ont été réalisés. Par exemple, dans notre mémoire, nous parlons des tests que le Pentagone a effectués sur le système qui est centré sur l'iris. En plus, il faut tenir compte du contexte et des implications possibles. Je ne vois pas comment on pourrait éviter ce débat.

    Un autre fait, qui a été évoqué dans la présentation de M. Williams, est qu'il n'y a pas de quick fix unique à tous les problèmes de sécurité. Sécuriser le système bancaire, les permis de conduire et le contrôle d'identité, c'est une chose; en revanche, le terrorisme est un phénomène très particulier. Pour être honnête envers la population, il faudra admettre qu'il n'existe pas de solution unique. Malgré certaines divergences d'opinion, on s'entend sur cela. On va toujours essayer de combattre la criminalité en réagissant aux événements et en améliorant les mesures à appliquer. C'est une lutte perpétuelle. L'idée d'une sécurité absolue est un rêve totalitaire. Qu'il s'agisse de sécurité ou de justice, c'est une vision totalitaire de la société idéale. Or, il faut composer avec le fait que la démocratie est un compromis entre les besoins en matière de sécurité et la nécessité de maintenir notre espace démocratique.

    Pour notre part, nous croyons que la balance est en train de pencher fortement vers le besoin de sécurité, au détriment des besoins démocratiques. Néanmoins, il faut prendre le temps de mener des débats. Il n'y a pas de solution simple.

+-

    Mme Madeleine Dalphond-Guiral: Vous êtes d'accord avec moi pour dire que les gens lisent de moins en moins. On peut donc difficilement imaginer une vraie campagne d'information sans la télévision, que les gens regardent beaucoup, avec ce que cela implique en termes d'investissement.

    Est-ce que le gouvernement canadien serait prêt à débourser la somme nécessaire? Ce n'est pas évident. On a investi beaucoup d'argent dans des émissions telles que Canadian Idol et Star Académie, mais elles en ont aussi rapporté beaucoup. Dans le cas de la carte d'identité, pour moi, c'est loin d'être évident. J'aimerais beaucoup que vous nous fassiez part, tous les deux, de vos commentaires sur la question.

º  +-(1630)  

[Traduction]

+-

    Le président: Vouliez-vous une stratégie?

    Si vous me le permettez, je crois que le gouvernement du Canada serait plus qu'heureux d'investir dans une émission nationale d'identification que Madeleine animerait, pour voir combien de téléspectateurs elle pourrait attirer. Je serais l'un d'eux, c'est certain.

    Monsieur Williams.

+-

    M. Ian Williams: Monsieur le président, il est étrange que vous mentionniez cela. De fait, la semaine dernière, on a annoncé aux États-Unis qu'un certain Steven Brill, qui a développé des émissions comme Court TV, vient de lancer une carte qu'il vend publiquement aux États-Unis, où en raison de la loi sur la sécurité intérieure, des entreprises privées ont accès au fichier de données du gouvernement des États-Unis sur les terroristes. Il vend la carte d'identité à des particuliers 50 $—je crois qu'il y a des frais annuels de 10 $. Il s'agit en fait d'une carte qui atteste « qu'on n'est pas un terroriste. »

+-

    Le président: Il n'y a qu'aux États-Unis qu'on peut voir ça.

+-

    M. Ian Williams: C'est parce que le gouvernement des États-Unis ne prend pas de mesures pour implanter une carte d'identité nationale, comme je l'ai dit tout à l'heure.

    J'aimerais cependant revenir à une des questions que vous avez posées tout à l'heure. Personnellement, je suis favorable à l'utilisation des données biométriques. Elles peuvent améliorer le processus, et j'y ai eu recours dans de nombreux systèmes. Toutefois, la seule source de confusion pour les Canadiens, c'est qu'ils ne comprennent pas la différence entre la vérification et l'identification. Or, elle est énorme. Quand vous regardez Mission impossible et que vous voyez Tom Cruise se faire scanner l'iris pour ouvrir une porte, il s'agit d'une vérification. La machine ne fait que comparer l'iris de Tom Cruise contre des données emmagasinées; elle ne cherche pas à trouver celles de Tom Cruise à travers toute une base de données contenant des millions d'empreintes. Voilà où se trouve la différence entre la vérification et l'identification. C'est de là que vient l'impression des Canadiens qu'une carte d'identité à données biométriques est une invasion de leur vie privée.

    Les sociétés émettrices de carte de crédit auraient tout intérêt à intégrer des données biométriques à leurs cartes de guichet automatique. Il est impossible de perdre ses caractéristiques biométriques; elles représentent ce que nous sommes. On parle ici d'une caractéristique comportementale ou physiologique qui nous suit jusque dans nos tombes. Je peux oublier un mot de passe, je peux oublier mon numéro d'identification personnel, mais je ne peux pas oublier mes caractéristiques biométriques et je suis parfaitement capable d'établir une correspondance biunivoque.

    L'identification consiste à chercher des doubles dans un ficher. Or, les données biométriques peuvent aussi vous empêcher d'avoir des doubles. Ceux qui ont plusieurs passeports sous différentes identités en sont un parfait exemple. L'identification cherchait toujours à repérer les doubles parce qu'il arrive qu'on perde son permis de conduire et qu'on ait besoin d'en avoir un autre. Les fraudeurs se présentaient donc au comptoir déguisés. Maintenant, cela ne se fait plus tant pour obtenir un permis de conduire que pour s'établir une identité quelconque.

    C'est là un message qu'il vous faut transmettre aux Canadiens, pour les aider à comprendre la différence entre la vérification et l'identification.

    Je suis un partisan de la vérification. Je tiens à ce que mon identité soit protégée des usurpateurs, et j'accepterais volontiers de m'y soumettre. Par contre, si je ne constatais pas la présence de mesures ou de formalités pour protéger mes données contre le vol, l'abus, la mauvaise utilisation ou le transfert intergouvernemental, j'y serais opposé.

    J'ai travaillé au premier système de données biométriques du secteur public canadien qui était conçu pour empêcher les prestataires de l'aide sociale d'utiliser plusieurs identités de manière à toucher plusieurs chèques d'assistance sociale. Il s'agissait du système de prestations et d'identification des clients du Grand Toronto, et c'est moi qui agissait comme architecte des solutions en 1995. Le système a été approuvé par le commissaire à la protection de la vie privée de l'Ontario, et nous avons rédigé un projet de loi, le projet de loi 142. Il dispose essentiellement que si vous fournissez des données biométriques, celles-ci ne peuvent servir qu'à évaluer votre admissibilité au programme pour lequel vous les avez fournies.

    Le gouvernement du Canada serait sage d'adopter une loi ou une politique quelconque précisant que, si on fournit ces données biométriques pour une carte d'identité nationale, elles ne peuvent être utilisées et évaluées qu'à cette fin. Pas question de les partager avec le SCRS, la GRC, INTERPOL ou d'autres; elles ne serviront qu'aux fins de la carte d'identité nationale. C'est difficile, mais j'estime que jusqu'à ce que vous le fassiez, il y aura de l'opposition.

    Quoi qu'il en soit, j'espère avoir répondu à certaines questions.

+-

    M. Tony J. Juliani: J'aimerais moi aussi répondre au député. Le coût est partagé avec l'entreprise privée. Je vous en donne un exemple. Nous travaillons actuellement avec des banques qui offriront ce service sans frais à tous leurs clients. Pourquoi? Parce que l'entreprise privée, particulièrement les banques, épargneront ainsi des centaines de millions de dollars en réduisant la fraude. Elles en ont déjà pris la décision. Donc, à mesure que l'entreprise privée offre le service et qu'il commence à faire partie intégrante du système, le gouvernement du Canada n'aura pas à dépenser des milliards de dollars.

    La situation ici est un peu différente. Je sais qu'il s'agit d'un concept nouveau. En fait, j'annoncerai aujourd'hui que IDVoiceBank Inc. collabore avec les organismes d'exécution de la loi et qu'il offrira sans frais son service aux organismes qui travaillent particulièrement à retrouver des enfants disparus. La raison pour laquelle les enfants disparus nous tiennent à coeur—en tant que criminologue, j'ai toujours accordé beaucoup d'importance à cette question et je travaille avec ces organismes depuis de nombreuses années—, c'est que la plupart des enfants disparus sont des fugueurs. On compte quelque 50 000 à 60 000 enfants disparus au Canada chaque année, mais la plupart sont des fugueurs, et nous voulons les aider à retourner chez eux. Si l'on veut qu'il y ait moyen de les identifier, celui-là est le plus facile. Nous travaillons avec les forces de l'ordre et nous offrirons le système sans frais.

    La raison pour laquelle nous le ferons, c'est que nous souhaitons nous comporter en entreprise consciente de ses responsabilités sociales, c'est vrai, mais aussi parce que c'est rentable. Je vous en donne un exemple. Pour remplacer un mot de passe lorsque vous perdez votre carte bancaire, il en coûte 150 $ en moyenne à la banque. La plupart de nous l'avons tout simplement perdue. Le recours aux données biométriques dont elles se serviront leur coûtera 10 $. Il en coûte donc moins cher à la banque de donner 10 $ à son client que d'avoir à payer 150 $ chaque fois que le mot de passe est modifié. C'est là un exemple parmi plusieurs.

    Essentiellement, il...

º  +-(1635)  

+-

    Le président: Il faut passer à d'autres questions.

    Roch, contentez-vous de répondre rapidement. Ce genre de débat et tout le reste me plaît, mais d'autres ont des questions à poser.

+-

    M. Roch Tassé: La question de la vérification par rapport à l'identification est d'une grande importance. Par contre, quand on revient à la raison pour laquelle un débat s'amorce à ce sujet au Canada, c'est probablement en réaction aux pressions exercées par les États-Unis depuis le 11 septembre. L'enjeu est la sécurité à la frontière. Or, nous savons que ce qui intéresse les Américains dans ce dossier, ce n'est pas la vérification, mais bien l'identification. Ils veulent avoir accès aux banques de données.

    Donc, pour être honnête avec les Canadiens, si nous tenons un pareil débat, il faut leur dire que l'objectif ultime est en réalité d'avoir accès aux données, pas seulement de les vérifier. Si nous ne parlons que de vérification, nous mentons au public canadien. Il faut dire clairement tout ce qui est en jeu dans ce débat, et c'est en réalité l'identification et l'accès aux banques de données. C'est ce qui intéresse les Américains dans ce dossier.

+-

    Le président: Le seul débat qui a lieu au pays en ce moment a lieu ici même, au sein de notre comité. C'est bien parce qu'on nous a priés de le faire, et c'est justement ce que nous avons l'intention de faire, entendre des personnes qui, comme vous, sont disposées à partager avec nous leurs lumières et leur opinion, parce qu'en fin de compte, c'est ce dont il s'agit.

    Ivan, suivi de Inky.

+-

    M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Monsieur Juliani, j'ai malheureusement manqué le début de votre exposé à cause d'un autre engagement, mais ce que j'ai entendu a suffi à piquer ma curiosité. Vous pouvez répondre par oui ou par non à mes deux ou trois questions, après quoi j'aurai rattrapé mon retard. J'ai tendance à rattraper assez facilement.

    Vous avez parlé d'avoir recours à une empreinte vocale pour faire une vérification ou une identification—peu m'importe—n'est-ce pas?

+-

    M. Tony J. Juliani: Oui.

+-

    M. Ivan Grose: L'empreinte vocale de chacun des trente millions de Canadiens est différente?

+-

    M. Tony J. Juliani: Oui, et ces 30 millions de personnes ont 30 millions de séries d'empreintes digitales différentes également.

+-

    M. Ivan Grose: On vient de faire la preuve du contraire justement. Les empreintes digitales ne sont pas aussi fiables que nous le croyions.

    Quoi qu'il en soit, ce système sera-t-il jumelé à un autre genre ou moyen d'identification général? Allez-vous utiliser une carte également?

+-

    M. Tony J. Juliani: Nous projetons d'avoir recours à la vérification de l'empreinte vocale en plus de tous les autres systèmes qui sont déjà en place. Par exemple...

+-

    M. Ivan Grose: Fort bien. Je vous remercie.

    Vous allez maintenant avoir une machine qui va identifier mon empreinte vocale.

+-

    M. Tony J. Juliani: Non, il n'y a pas de machine supplémentaire. Nous utilisons le téléphone qui est relié à notre banque de données.

+-

    M. Ivan Grose: Qu'arrive-t-il si quelqu'un vole le fichier?

+-

    M. Tony J. Juliani: Que va-t-il en faire? Ce sont des données à correspondance biunivoque. M. Williams a dit quelque chose d'extrêmement important...

+-

    M. Ivan Grose: On a en déjà fait la preuve, n'est-ce pas? S'il l'avait, pourquoi l'empreinte vocale ne pourrait-elle pas être copiée?

+-

    M. Tony J. Juliani: Les logarithmes ne le permettraient pas. La technologie l'interdirait. Laissez-moi simplement...

+-

    M. Ivan Grose: Oh! J'ai déjà entendu cet argument : la technologie va empêcher de faire quelque chose.

+-

    M. Tony J. Juliani: Tout ce que nous faisons en réalité, monsieur, lorsque vous vous présentez à la banque pour demander un prêt...

+-

    M. Ivan Grose: Non, oubliez la banque. Nous parlons d'un système d'identification de tous les Canadiens.

+-

    M. Tony J. Juliani: Les données biométriques sur la voix peuvent s'ajouter au système en place, y compris à la carte d'identité, si c'est le moyen choisi. Le passeport peut être renforcé et la carte d'identité, si elle est implantée, peut être renforcée au moyen de données biométriques. Voilà ce que nous disons.

º  +-(1640)  

+-

    M. Ivan Grose: Par conséquent, M. Williams et vous pourriez fort bien travailler ensemble.

+-

    M. Tony J. Juliani: Bien sûr.

+-

    Le président: Sur un point technique, puis-je simplement vous poser une question, Tony? Vous parlez d'un système d'identification ou de vérification de la voix comme moyen d'identifier les Canadiens et tous les autres. Comme vous l'avez dit, le fait demeure qu'il s'agit d'un système; il faudrait que toutes les empreintes vocales, y compris les miennes et celles de tous les autres, en fassent partie. Il faudrait donc demander à chaque Canadien de s'inscrire pour qu'on puisse en fait avoir son empreinte vocale.

+-

    M. Tony J. Juliani: Oui.

+-

    Le président: Ensuite, je me demande simplement—et quelques-uns d'entre vous peuvent peut-être me le dire—si chaque jour on demande un million de vérifications, nous savons qu'il n'y a pas un système au monde capable de traiter un million d'appels au même moment. Il faut qu'il puisse identifier Joe Fontana, Ben, Bill et tous les autres à tout moment de la journée. Tous essaieraient d'obtenir la vérification de manière ponctuelle et ainsi de suite. Il n'y a pas de système au monde capable d'assumer une telle charge.

+-

    M. Tony J. Juliani: Non, mais il est aussi irréaliste d'envisager la possibilité d'un million d'appels en une seule minute.

+-

    Le président: Parlons donc de 100 000 à 200 000 appels.

+-

    M. Tony J. Juliani: Oui, le système peut recevoir autant d'appels, et je vais simplement répondre à votre question au sujet du fichier. Si nous devions nous en servir au Canada, un de nos principaux partenaires...parce que l'inscription, comme l'a dit M. Williams, est extrêmement importante. Comment savez-vous en réalité que la personne qui s'inscrit est la même que celle dont il faut vérifier l'identité? C'est là la clé.

+-

    Le président: Inky.

+-

    M. Inky Mark (Dauphin—Swan River, PC): Merci, monsieur le président.

+-

    M. Ivan Grose: Moi aussi, je peux en parler. J'ai déjà travaillé pour une compagnie de téléphone. Il n'y avait qu'un chercheur de ligne pour chaque groupe de 500 appareils parce qu'un seul appareil sur un millier était en utilisation à un moment donné. Il arrivait parfois que tous saisissent le combiné en même temps et que personne ne puisse faire d'appel. Ce n'est donc pas une très bonne solution, mais le système continue de m'intriguer, et nous adopterons probablement une solution comme celle-là un jour.

    Monsieur Williams, vous nous avez fourni l'exemple de la carte d'assurance-santé de l'Ontario. Pourquoi le système, la machine ou je ne sais trop quoi encore n'a-t-il pas signalé qu'il y avait deux millions de cartes en trop?

    En réalité, il en compte deux millions et une parce que j'ai encore l'ancienne en plastique tout fissuré.

+-

    M. Ian Williams: Quelqu'un peut-il me dire aujourd'hui combien d'identités il est sensé y avoir au Canada? Combien de personnes sont en réalité nées ici, combien y a-t-il de résidents permanents, combien de personnes sont mortes et combien sont nées aujourd'hui? Tant que vous n'arriverez pas à rendre compte de toutes les identités admissibles d'un pays, vous ne pourrez jamais contrôler le processus d'identification.

    Vous avez besoin d'un organisme gouvernemental qui suit les naissances, les décès et les mariages avec au moins une certain coordination, sans quoi vous ne saurez jamais combien de personnes existent. Les données du recensement datent habituellement de 10 ans quand vous les obtenez. Vous ne savez pas vraiment. Pour être très franc, nul ne sait combien de personnes sont censées être ici ou le sont.

+-

    Le président: Nous pouvons le deviner. Quand vous parlez des personnes qui « sont ici », vous avez raison.

    Nous allons revenir à vous. J'ai des questions intéressantes.

    Inky, allez-y.

+-

    M. Inky Mark: Merci, monsieur le président.

    Je souhaite la bienvenue à tous les témoins. Vous contribuez beaucoup de points de vue différents.

    Vous avez dit qu'il était très important d'avoir un véritable débat sur cette question au Canada. Le problème actuellement, tel que je le conçois, c'est la confusion qui règne. Nous ne savons pas vraiment s'il est question de cartes d'identité obligatoires. Vous l'avez entendu dire auparavant. Qu'est-ce qu'une carte d'identité? Voilà maintenant qu'il est question de vérification par rapport à l'identification.

    Je sais que tout cela est dû aux événements du 11 septembre. La première chose que j'aurais à dire peut-être à ceux qui défendent les libertés civiles, c'est que nous en avons déjà perdues; le transfert de l'information aux Américains est déjà fait. Je faisais partie d'un sous-comité qui étudiait la marijuana. La GRC était là, et nous avons appris que le système de notre Centre d'information de la police canadienne était déjà ouvert aux Américains. En fait, il l'était avant même que nos propres agents d'immigration puissent l'utiliser. Il faut qu'ils aient la permission d'utiliser le système.

    L'inquiétude qui a déjà été exprimée cette semaine était de savoir comment on peut modifier l'information qui s'y trouve quand des changements s'imposent? C'est impossible. Nous ignorons même ce qui arrive à l'information une fois qu'elle est extraite du système du CIPC. Il s'agit simplement d'information, ce qui ne devrait pas vous rendre coupable de quoi que ce soit. C'est simplement plus d'information pour aider les policiers à faire leur travail.

    Donc, l'échange d'informations a déjà eu lieu, et c'est une des craintes que j'avais. J'estime qu'un système national de carte d'identité obligatoire risque en réalité de déraper. Notre comité a présenté un rapport montrant que les Européens ont une attitude différente de celle des Nord-américains. Sur le plan culturel, nous sommes très différents. Nous faisons peut-être moins confiance à notre gouvernement que les Européens, mais ceux-ci adoptent des approches économiques. On nous a déjà parlé aujourd'hui de la rentabilité des cartes d'identité et des cartes bancaires, et je crois qu'il faudra s'y habituer. Ce sera certes une réalité sous peu.

    Ce sont les citoyens respectueux des lois qui seront visés par toutes ces mesures, même si le système est conçu pour repérer les criminels. Avez-vous une idée du pourcentage de transgresseurs de la loi que ce système est censé aider à coincer? C'est un peu comme si on punissait tout le monde à cause d'un ou deux mauvais éléments.

º  +-(1645)  

+-

    Le président: Voilà une bonne question qui s'adresse à tous. Comment attrapons-nous les criminels? Voilà ce qu'il demande.

+-

    M. Dominique Peschard: La question à se poser est de savoir comment on définit le criminel. En d'autres mots, si vous avez fumé du pot quand vous aviez 20 ans, que vous avez été pris sur le fait, que vous avez payé l'amende ou je ne sais trop quoi, êtes-vous toujours un criminel 20 ans plus tard quand vous souhaitez franchir la frontière?

    Des crimes graves sont commis par des gangs, des terroristes et des faussaires à grande échelle. Mais il existe aussi de petits délits, ceux qu'on peut peut-être commettre à un certain moment de sa vie et pour lesquels on paie. La page devrait alors être tournée, et on ne devrait pas avoir à rendre des comptes pour le reste de ses jours.

    Un des problèmes que posent ces bases de données—c'est ce qui se passe à la frontière des États-Unis, et le phénomène pourrait se répandre encore plus—, c'est que tout ce que vous avez fait dans votre vie figure dans votre dossier pour le reste de vos jours. Du point de vue de la démocratie, cela donne la chair de poule. En fait, une fois qu'on en aura pris conscience, on aura peur de... Si je participe à une manifestation, qu'on m'arrête et que j'ai un casier judiciaire, cela signifie que je ne peux plus voyager. Il vaudrait peut-être mieux que je n'aille pas à la manifestation. Il vaudrait peut-être mieux ne pas exprimer mon opinion de manière aussi visible parce que cela figurera quelque part dans un dossier. Voilà notre grande source de préoccupation.

+-

    M. Inky Mark: Cela se produit déjà. D'ailleurs, la GRC a donné cette semaine l'exemple de quelqu'un qui franchit la frontière et dont le nom apparaît sur une liste de pédophiles. Ce n'est pas vous, mais vous avez le même nom et le policier de l'État l'ajoute à sa banque de données. Pendant votre voyage vers la Floride, un autre policier accède au système de données américaines, et vous arrête encore une fois. Et le problème fait boule de neige. Mais le pire obstacle auquel on se heurte maintenant, c'est de savoir comment s'y prendre pour supprimer l'information erronée. C'est un réel problème.

+-

    Le président: Monsieur Williams, au sujet de la même question.

+-

    M. Ian Williams: Comment mettre la main au collet de bandits? Chaque système d'identification sur lequel j'ai travaillé était assujetti à un ensemble de politiques relativement à la vérification et à la documentation. Il est malheureux que les simples citoyens doivent se plier aux mêmes règles ou règlements rigoureux, mais c'est la seule façon; il faut que le système soit appliqué uniformément.

    Il y a les programmes CANPASS et NEXUS. J'y étais inscrit lorsque je travaillais sur le programme INSPASS. Cela me permettrait de franchir la frontière américaine en quelques minutes. il était basé sur la géométrie de la main. Les nouveaux systèmes sont basés sur la lecture de l'iris et certains traits de la physionomie. Ces programmes volontaires sont formidables. Ils permettent un passage rapide de la frontière. Je n'hésite pas à y adhérer parce que je ne crains pas d'être identifié comme un bandit. Ceux qui ont quelque chose à se reprocher n'adhéreront pas à ces programmes.

    J'ai recommandé à certains gouvernements qui souhaitaient instaurer certaines applications biométriques de les offrir sur une base volontaire. Dans le cas de certaines applications, par exemple pour me protéger contre le vol d'identité, je suis même prêt à débourser 20 $ supplémentaires. Je suis prêt à accepter cette carte si elle doit protéger mon identité, empêcher qu'on me la vole, car à mes yeux, c'est là une pire atteinte à ma vie privée que de partager de menus détails concernant ma personne ou les caractéristiques de mon iris.

    Toutefois, pour les programmes du secteur public, il faudrait que les cartes d'identité nationales soient obligatoires. Autrement, il y aurait des échappatoires, et il faut que tous les règlements s'appliquent de façon uniforme à l'ensemble des citoyens.

+-

    M. Tony J. Juliani: J'utiliserai l'analogie du pêcheur. Si vous allez à la pêche, le type de filet que vous déciderez d'utiliser dépendra du type de poisson que vous voulez attraper : plus le poisson est petit, plus le filet devra l'être aussi. Je reviens à la question d'un système intégré, qui facilite, appuie et intègre la documentation existante. Nous avons déjà de très bons systèmes, et nous avons une documentation très riche. Bien sûr, tout n'est pas parfait, Comme on l'a dit, aucun système ne permettra de résoudre tous les problèmes, mais les multiples couches dont nous disposons nous permettront de resserrer notre filet au maximum.

    Allons-nous attraper chaque petit poisson? Bien sûr que non. C'est irréaliste.

º  +-(1650)  

+-

    Le président: Avec votre permission, je poserai quelques questions et ensuite, nous passerons au dernier tout de table.

    Dominique, vous avez tout à fait raison. Il ne fait aucun doute que le débat et le plus grand défi qui se pose à notre comité concerne l'équilibre entre le respect de la vie privée et la sécurité. En conséquence, lorsqu'un citoyen ou l'État doit se protéger contre le vol d'identité que pourraient perpétrer des criminels ou des terroristes, il faudra céder du terrain. Essentiellement, c'est le retour du balancier : dans quelle mesure sommes-nous prêts à sacrifier une partie de notre liberté et de notre vie privée pour l'intérêt collectif, la sécurité du pays et de nos personnes grâce à un système d'identification sécurisé?

    D'après la teneur du mémoire que vous présentez aujourd'hui, je dirais qu'à votre avis, le balancier penche davantage du côté de la sécurité, aux dépens de la vie privée. Où le point d'équilibre? Pour ce qui est de l'identification, le système actuel est-il...?

    Assez paradoxalement, est-il vrai qu'il n'existe pas un système unique qui puisse identifier qui vous êtes et qui je suis. Il y a une multiplicité de choses qui permettent de vérifier dans les faits l'identité de quelqu'un. Est-ce ainsi que l'on assure la meilleure protection de la vie privée ou celle-ci est-elle mieux protégée au moyen d' un système biométrique qui confirme que vous êtes bien la personne que vous dites être, de sorte que personne d'autre ne puisse usurper votre identité? J'essaie de vous faire dire quelle est la meilleure façon de protéger la vie privée dans ce monde où prolifèrent la technologie, les banques de données, et ainsi de suite.

+-

    M. Dominique Peschard: D'après les tests indépendants qui ont été effectués, la biométrie est loin d'être infaillible. Dans notre mémoire, nous citons l'exemple d'un professeur japonais qui a facilement prélevé une empreinte digitale sur un verre, qui a fabriqué un doigt en gélatine et qui a été en mesure de tromper une machine. La technologie est telle que les criminels d'envergure investiront le temps, l'argent et les efforts nécessaires pour duper le système. Par conséquent, je ne pense pas que la solution réside dans la technologie comme telle.

    Chaque problème doit trouver sa solution. Évidemment, les banques doivent assurer la plus haute sécurité à leurs dossiers. Peut-être pourrions-nous améliorer les méthodes de conservation des certificats de naissance; c'est essentiel. C'est un peu comme dans le cas de la contrefaçon de faux billets; il nous faudra fabriquer des documents qui sont très difficiles à reproduire et à mesure que les criminels trouveront des moyens d'y arriver, nous devrons les modifier pour leur compliquer encore davantage la tâche. Je ne pense pas que nous trouverons jamais une réponse à une question aussi complexe.

    À mon avis, la menace à la sécurité a été grandement exagérée. Combien de personnes sont mortes dans une attaque terroriste depuis le 11 septembre en Amérique du Nord? Personne, depuis l'affaire de l'anthrax. On utilise le terrorisme pour justifier bien des choses de nos jours. Pour ce qui est des crimes liés à la fraude auxquels nous sommes confrontés à l'heure actuelle et d'autres types de criminalité, ils existaient auparavant. À mesure qu'évolue la technologie, des gens trouveront des moyens de la pervertir à des fins criminelles. Ceux qui élaborent cette technologie devront trouver des contre-mesures. C'est un peu comme lutter contre les virus informatiques; c'est une bataille continue et nous devons simplement composer avec cette réalité.

+-

    Le président: Monsieur Williams, vous avez manifestement énormément d'expérience et d'expertise. Vous semblez avoir placé votre confiance dans des documents comme le permis de conduire, un document que l'on peut standardiser. Il est devenu, dans les faits, une carte d'identité, un peu comme le numéro d'assurance sociale. Je sais que diverses provinces envisagent d'y ajouter des données biométriques car essentiellement, le permis de conduire comporte un numéro mais aussi une photo. C'est une carte très pointue sur le plan technologique qui est censée être compliquée à reproduire.

    Ma question concerne les documents de base car c'est là que tout commence. On nous a signalé à maintes reprises que les documents de base ne sont pas aussi sûrs qu'ils pourraient l'être. Si vous voulez concevoir un système ou vous assurer d'avoir un bon système, il faut revenir à la case départ, aux documents de base, qu'il s'agisse d'une demande de certificat de naissance ou de carte de citoyenneté, car tout part de là. Pensez-vous qu'avant de se lancer dans l'instauration ou l'amélioration d'un système d'identification, sous quelque forme que ce soit, la documentation de base elle-même doit être améliorée? Deuxièmement, pensez-vous que des données biométriques devraient être incluses dans un document de base?

º  +-(1655)  

+-

    M. Ian Williams: Vous avez mis le doigt sur le bobo, mais il serait difficile d'exiger des données biométriques sur un nouveau-né originaire d'un pays étranger sur lequel le Canada n'exerce aucune souveraineté. Je suis moi-même immigrant au Canada et mon certificat de naissance est un document manuscrit. Lorsque je l'ai présenté comme pièce d'identité pour obtenir un permis de conduire à mon arrivée ici, ce document a été accepté. L'employée qui l'a accepté n'avait jamais vu auparavant un certificat de naissance provenant de ce pays, encore moins un document manuscrit à la main. Elle a simplement cru qu'il était authentique.

    C'est aussi le problème auquel se heurtent les États-Unis : comment vérifier tous ces documents d'origine? En Amérique du Nord seulement, il existe 300 variations du permis de conduire et nous ne pouvons en contrôler l'apparence. À cela s'ajoute le fait que tous les pays de l'Amérique du Nord, y compris toutes les provinces, ont des accords de réciprocité avec des nations étrangères. Le Québec en a un avec la Belgique et le Manitoba vient d'en conclure un également avec la Corée du Sud. À leur arrivée au Manitoba, les voyageurs sud-coréens peuvent directement échanger leur permis de conduire sud-coréen contre un permis de conduire manitobain. En vertu des accords de réciprocité en place en Amérique du Nord, ils peuvent aller en Alberta et obtenir un nouveau document sécurisé très semblable à la carte de résident permanent (CRP) ou encore se rendre dans l'État de New York et y obtenir un permis de conduire. Cet accord de réciprocité existe.

    Par où commencer? Certes, il nous faut resserrer les contrôles. Il nous faut former les employés qui travaillent dans les bureaux d'inscription, sur la première ligne, pour qu'ils puissent reconnaître les faux documents. La GRC ainsi que de nombreux services américains doivent participer à cet effort. Les employés de la première ligne, c'est-à-dire les personnes qui émettent les certificats de naissance, les permis de conduire ou les cartes soleil doivent être formées pour être en mesure d'identifier les faux documents d'origine. Si une personne soumet un certificat de naissance, il est très facile de déterminer si elle est âgée de 3 jours ou de 35 ans.

+-

    Le président: Autrement dit, réintroduire l'aspect humain dans le système, ce qui serait fort intéressant.

    Puis-je vous poser une question, cependant? Que se passe-t-il dans le cas d'une personne qui ne peut obtenir un permis de conduire? De quoi se servent ces personnes pour s'identifier?

+-

    M. Ian Williams: Terre-Neuve et la province de l'Alberta émettent des cartes d'identité provinciales, et la province du Manitoba leur emboîtera le pas sous peu. Ces cartes sont émises à l'intention des personnes inaptes à obtenir un permis de conduire mais qui ont besoin d'une pièce d'identité avec photo.

+-

    Le président: En dernier lieu, monsieur Juliani, je pense que c'est la première fois qu'on nous parle de la voix comme moyen d'identifier quelqu'un. Nous avons déjà entendu parler de systèmes d'identification ou de vérification de la voix, mais pas nécessairement dans le cadre d'un système de carte d'identité nationale. C'est unique.

    Il y a quelque chose qui me chicote. Permettez-moi de vous donner un exemple. Nous sommes censés en connaître très long au sujet de ben Laden, mais chaque fois qu'il refait surface avec un enregistrement, ni la CIA ni le FBI ni qui que ce soit ne peut déterminer si c'est bien lui. Les experts ne le savent pas. Il doit assurément exister une empreinte vocale de ce type, de sorte que lorsqu'il rend public un enregistrement... En fait, les meilleurs experts au monde ne peuvent nous dire s'il s'agit ou non de ben Laden.

    Sommes-nous en train de nous faire rouler ou le savent-ils et c'est simplement qu'ils ne veulent pas le dire? Chose certaine, si vous dites que chacun d'entre nous a une voix unique qu'on ne peut retrouver ailleurs chez les six milliards d'individus dans le monde... qu'en pensez-vous? Vous nous demandez d'avoir foi dans la technologie, mais nous sommes conscients qu'aucune technologie n'est parfaite. Il y a des faux positifs et des faux négatifs, même avec la lecture de l'iris, une empreinte digitale, deux empreintes digitales... intégrez trois caractéristiques biométriques sur une carte et l'on vous dira qu'il est tout de même impossible d'être certain à 100 p. 100.

+-

    M. Tony J. Juliani: Ce que je dis—et je reviens à votre question originale à M. Williams, c'est que nous pouvons améliorer l'intégrité des documents de base grâce à la technologie existante, car ils représentent le point de départ. Nous devons commencer par le commencement,et cela veut dire qu'il faut rendre les documents de départ aussi sûrs que possible. Cela dit, il ne faut pas se priver de la technologie parce que nous ne la maîtrisons pas parfaitement, qu'il s'agisse de la voix ou de toute autre donnée biométrique.

»  -(1700)  

+-

    Le président: Grant, la dernière question vous appartient.

+-

    M. Grant McNally: Je veux revenir encore une fois sur les documents de base car ils semblent être la clé de la solution. À moins de faire les choses correctement à cette étape, nous nous leurrons. Monsieur Williams, vous avez recommandé que nous intervenions à ce niveau...

+-

    M. Ian Williams: Oui.

+-

    M. Grant McNally: ...en disant que c'était la solution.

    Ma dernière question à chacun d'entre vous est la suivante : Pensez-vous que nous sommes sur la bonne voie avec une carte d'identité nationale, oui ou non?

+-

    Le président: De quelle voie s'agit-il?

+-

    M. Grant McNally: Devrions-nous emprunter cette voie? Le ministre a-t-il raison? Faut-il émettre une carte d'identité nationale?

+-

    M. Tony J. Juliani: Je répondrai à cette question, avec votre permission. Il faudrait que nous ayons un système qui permettrait à tous les Canadiens de s'identifier et dans lequel ils pourraient avoir confiance, qu'il prenne la forme d'un système intégré ou d'une carte d'identité nationale. Mais à tout le moins, il faudrait que les Canadiens puissent avoir l'assurance que le système est intégral.

+-

    Le président: Monsieur Williams.

+-

    M. Ian Williams: Non, je ne pense pas que nous devrions aller de l'avant. À mon avis, la carte d'identité nationale se heurtera aux mêmes problèmes que les programmes d'identification qui existent à l'heure actuelle au Canada. En une journée, je peux sans doute obtenir un certificat de baptême et un permis de conduire et m'en servir par la suite pour présenter une demande pour obtenir la nouvelle carte d'identité nationale, que j'obtiendrai. Reflète-t-elle ma véritable identité? Sans doute que non. Vous aurez les mêmes problèmes qu'avec les systèmes existants.

+-

    M. Dominique Peschard: Je suis moi aussi d'avis qu'il ne faut pas s'orienter dans cette direction pour la bonne raison que cela ne réglera pas le problème que l'on prétend résoudre. Dans l'intervalle, pareille initiative peut nous faire glisser davantage vers l'érosion de nos libertés.

-

    Le président: Sur ce, je vous remercie beaucoup. Si nous avons un débat sur cette question, c'est qu'elle est des plus importantes. Je remercie chacun d'entre vous de votre temps, de votre expérience et de votre expertise. Nous les avons beaucoup appréciées et nous en tiendrons compte alors que nous continuons ce débat sur ce enjeu crucial pour nous tous. Merci beaucoup.

    La séance est levée.