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SRID Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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SUB-COMMITTEE ON HUMAN RIGHTS AND INTERNATIONAL DEVELOPMENT OF THE STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

SOUS-COMITÉ DES DROITS DE LA PERSONNE ET DU DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL DU COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 7 novembre 2001

• 1601

[Traduction]

La présidente (Mme Beth Phinney (Hamilton Mountain, Lib.)): La séance est ouverte.

Je suis navrée que nos témoins aient eu à attendre. Nous avions quelques affaires à régler à huis clos.

Nous en sommes à la 15e séance du Sous-comité des droits de la personne et du développement international du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Nous accueillons divers témoins aujourd'hui. D'Amnistie internationale Canada, M. Alex Neve, secrétaire général, section anglophone; et M. John Jones, coordonnateur pour la Colombie.

Peut-être que d'autres personnes vous accompagnent, et que vous aimeriez voir prendre la parole. Si c'est le cas, vous les présenterez plus tard, si vous faites appel à elles.

M. Alex Neve (secrétaire général, section anglophone, Amnistie internationale (Canada)): Nous ne serons que deux à prendre la parole.

La présidente: Très bien. Assurez-vous seulement de nous laisser suffisamment de temps après votre exposé pour que nous puissions vous poser des questions. Je suis sûre que les membres du comité en auront.

M. Alex Neve: Merci beaucoup.

Bonjour, madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du sous-comité.

Je vous l'ai déjà dit, je m'appelle Alex Neve. Je suis le secrétaire général de la section anglophone d'Amnistie internationale (Canada).

Je suis accompagné cet après-midi de John Jones, membre de longue date d'Amnistie internationale, qui coordonne et supervise notre travail sur la Colombie.

Nous sommes très heureux d'avoir l'occasion de comparaître devant le sous-comité pour vous faire part sommairement de nos inquiétudes concernant les droits de la personne en Colombie et vous exposer diverses recommandations précises sur le rôle que peut jouer le Canada pour améliorer la situation.

Je sais que vous avez déjà entendu un bon nombre de témoins au cours de vos audiences, et vous les avez certainement souvent entendu dire que la Colombie traverse actuellement une véritable crise des droits de la personne, crise qui continue de s'aggraver depuis des années.

D'octobre 1999 à mars 2000, par exemple, on a relevé chaque jour 12 assassinats politiques ou disparitions en Colombie, et récemment ce chiffre a augmenté de 67 p. 100 pour atteindre une moyenne de 20 par jour. Chaque jour, 11 Colombiens sont victimes d'exécutions extrajudiciaires ou d'homicides arbitraires, aux mains des diverses factions qui s'opposent dans le conflit actuel.

Amnistie internationale est une organisation mondiale de défense des droits de la personne qui compte plus d'un million de membres sur chaque continent. Un bon nombre d'entre vous savent déjà probablement ce que nous faisons. Ici au Canada, plus de 75 000 Canadiens soutiennent activement le travail de défense des droits de la personne qu'assure Amnistie internationale.

Nous avons récemment consacré beaucoup d'attention à l'aggravation de la crise des droits humains en Colombie. Parmi les préoccupations que nous avons relevées et que nous avons l'intention de mettre en lumière au cours de notre exposé cet après-midi, mentionnons:

D'abord, l'impunité. Il est affligeant de penser que les responsables de graves violations des droits de la personne en Colombie sont rarement traduits en justice pour leurs délits. Le climat d'impunité qui en résulte ne fait qu'encourager la perpétration d'autres violations.

• 1605

Deuxièmement, l'action paramilitaire. Ces dernières années, des groupes de défense des droits de la personne ont constaté une tendance inquiétante, soit l'augmentation des infractions attribuables à des groupes paramilitaires de droite, souvent avec l'appui des militaires. Les efforts déployés jusqu'à maintenant pour restreindre leur pouvoir et leurs activités ont été insuffisants. De nombreux organismes internationaux, notamment les Nations Unies et l'organisation des États américains, ont dénoncé cette situation.

Troisièmement, les défenseurs des droits de la personne. Dans notre travail de défense des droits humains, nous reconnaissons de plus en plus à quel point il importe de soutenir les particuliers et les groupes qui effectuent ce travail de première ligne de défense des droits de la personne. C'est vrai partout dans le monde, et c'est grâce à leurs efforts que finira véritablement par s'implanter dans la société une mentalité de protection des droits de la personne. En Colombie, les défenseurs des droits de la personne poursuivent courageusement leur oeuvre en dépit d'une incroyable persécution—menaces de mort, attaques, disparitions et assassinats, tant par des paramilitaires que des groupes de guérilleros. Un bon nombre ont été contraints à l'exil. Il faut soutenir leur travail.

Quatrièmement, les syndicalistes et d'autres secteurs vulnérables de la société colombienne. Un nombre effarant de syndicalistes et d'autres membres de groupes vulnérables sont assassinés chaque année en Colombie, souvent après avoir été assimilés à des collaborateurs des guérilleros par des groupes paramilitaires. Au moment où des entreprises canadiennes s'apprêtent peut-être à investir davantage en Colombie, cette inquiétante tendance envers le mouvement syndical devrait susciter un intérêt particulier de la part des parlementaires canadiens.

Cinquièmement, les exactions des guérilleros. Amnistie internationale considère qu'il revient avant tout aux gouvernements de se conformer aux normes internationales des droits de la personne vu qu'ils sont liés par les traités internationaux et qu'ils interviennent sur la scène internationale, nous attirons l'attention sur les exactions commises par les groupes d'opposition armés tels que le FARC et l'ELN en Colombie. On signale de plus en plus d'exactions de la part de ces deux factions. La population civile de Colombie est bien entendu prise entre deux feux et a de bonnes raisons de craindre autant les guérilleros que les paramilitaires.

Nous allons vous donner un aperçu général des inquiétudes que suscitent ces deux questions et nous terminerons en examinant le rôle du Canada. Je commencerais par la question de l'impunité.

Les organismes internationaux, notamment les Nations Unies et l'Organisation des États américains de même qu'un grand nombre d'organismes et de représentants du gouvernement de Colombie ont reconnu qu'il y a une longue tradition d'impunité en Colombie et ont recommandé au gouvernement de prendre des mesures décisives pour y mettre fin.

Amnistie internationale et de nombreux autres organismes et institutions ont fait valoir qu'un facteur qui contribue largement à l'impunité est le fait que les allégations d'exactions de la part de l'armée ont généralement été confiées aux tribunaux militaires. Ce manque d'indépendance a entraîné une absence quasi totale de justice.

Jusqu'à récemment, les progrès visant à inverser cette situation ont été lents. Une décision rendue en 1997 par les tribunaux, par exemple, exigeait que le gouvernement porte ce genre de causes devant les tribunaux civils plutôt que militaires. Puis, en août de l'année dernière, une réforme du Code pénal militaire a exclu de la compétence des tribunaux militaires les cas de génocides, de disparitions et de tortures. Néanmoins, d'autres crimes tels que les exécutions sommaires, les déplacements forcés et le soutien aux groupes paramilitaires sont restés du ressort des tribunaux militaires.

Il y a eu récemment, en Colombie, une nouvelle réforme législative qui inquiète sérieusement Amnistie internationale. Il s'agit de la Loi sur la défense et la sécurité nationales qui est en vigueur depuis août dernier. Nous craignons que cette loi risque de faire régresser la lutte contre l'impunité. Elle empêche le procureur général d'effectuer les enquêtes disciplinaires sur le personnel militaire pour des actes commis au cours d'opérations de sécurité et confie à l'armée des pouvoirs judiciaires.

• 1610

Par le passé, lorsque l'armée possédait des pouvoirs judiciaires, elle s'en est servie pour dissimuler des exactions. La Commission interaméricaine des droits de l'homme, une branche de l'Organisation des États américains, a souvent critiqué cette mesure, réclamant des réformes. Cette initiative rétrograde est effectivement inquiétante.

L'impunité est un problème qui n'est pas seulement théorique, mais bien concret. Dans notre mémoire, nous soulignons le cas particulièrement alarmant du général Rodrigo Quinones que les enquêtes du gouvernement colombien ont relié à l'assassinat d'au moins 57 syndicalistes, défendeurs des droits de la personne et activistes en 1991 et 1992. Le général a été jugé par les tribunaux militaires qui ont conclu à une insuffisance de preuves et ont classé l'affaire. Le général a été ensuite muté dans une région de la Colombie où, en février de l'année dernière, des paramilitaires ont massacré les habitants pendant plusieurs jours sous l'oeil de l'armée. Ce nouvel incident ferait actuellement l'objet d'une enquête.

Un enquêteur judiciaire s'est penché sur le massacre de 80 fermiers qui a été perpétré en janvier 2001, ce qui s'est soldé par l'ouverture d'une nouvelle enquête officielle sur le général Rodrigo Quinones, en juillet dernier. Néanmoins, sept semaines plus tard, cet enquêteur a été tué par des hommes armés anonymes.

Pendant dix ans, le système de justice colombien n'a pas réussi à faire aboutir son enquête sur le général Rodrigo Quinones et à lui faire rendre compte des exactions qu'il aurait commises. Le général a été muté d'un endroit à l'autre laissant toute une série de nouvelles exactions dans son sillage.

Mon collègue John Jones va maintenant soulever certaines autres questions préoccupantes.

M. John Jones (coordonnateur pour la Colombie, Amnistie internationale (Canada)): Je commencerais par parler des milices paramilitaires. Je suis le coordonnateur pour la Colombie d'Amnistie internationale Canada, secteur anglophone, et cela depuis 1978.

Les milices paramilitaires ont fait leur apparition en 1982 pour répondre aux kidnappings. Les guérilleros ou des groupes de criminels commettaient des kidnappings. Cette action a été baptisée muerte a los sequestradores ou mort aux kidnappeurs, MAS. Depuis, les milices paramilitaires ont pris de l'expansion et il y a maintenant, dans toute la Colombie, une organisation appelée AUC, Autodefensas Unidas de Colombia dont le principal dirigeant est Carlos Casta. Amnistie estime que 80 p. 100 des meurtres et des disparitions qui ont lieu, au rythme de 20 meurtres et deux disparitions par jour, sont attribuables aux activités des paramilitaires.

Il y a un an ou 18 mois, les paramilitaires étaient particulièrement actifs dans la partie nord-centre de la région de Magdelena Medio et ils ont avancé graduellement jusqu'à la ville de Barrancabermeja où ils sont maintenant établis.

Au cours de l'année écoulée, les paramilitaires ont fait beaucoup de progrès dans le sud-ouest du pays, surtout vers la région de Putumayo où il y a beaucoup de conflits avec la guérilla. Les activités des milices paramilitaires semblent également reliées au déplacement forcé de 2,5 millions de personnes dont 750 000 rien que l'année dernière.

Apparemment, les paramilitaires envahissent une région et réunissent les gens—cela se passe dans les régions rurales et non pas dans les villes—et tuent très brutalement quelques personnes. Parfois ils leur coupent la tête—c'est ce que m'a dit Peace Brigades International—pour terrifier le reste de la population. Ensuite les gens partent ou se soumettent à ce nouveau régime.

Amnistie a repéré certaines régions du pays où les paramilitaires semblent particulièrement actifs. Ils semblent surtout actifs dans les zones où l'on prévoit une forte croissance économique ou des projets de développement de l'infrastructure, par exemple la construction de pipelines, ou encore des projets d'exploitation pétrolière ainsi que dans le nord, près de la frontière du Panama où on s'attend à ce que l'autoroute panaméricaine soit prolongée à partir de Panama... ce qui fera grimper la valeur des terrains. Nous avons remarqué cette corrélation, mais cela requiert une étude plus approfondie.

• 1615

Il y a aussi la question des liens avec l'armée. Dans certaines régions, les milices paramilitaires semblent être entièrement intégrées dans la stratégie de combat de l'armée et reliées à ce dernier sur le plan du renseignement, de l'approvisionnement, des communications radio, des armes, de l'argent et des objectifs. Les paramilitaires sont considérés comme la sixième division de l'Armée colombienne. Dans certaines régions on procède à un échange de combattants. Des militaires deviennent des paramilitaires et retournent à leurs fonctions de soldat. On les voit jouer au soccer ensemble.

Souvent, le quartier général des milices paramilitaires se trouve à proximité d'une base militaire, sauf que chez les paramilitaires c'est toujours ouvert... et les relations entre les deux camps sont amicales. Il arrive aussi parfois que des paramilitaires se servent de véhicules de l'armée pour se déplacer.

Dans les zones militarisées de la Colombie, l'armée dresse des barrages routiers depuis un certain temps. Si vous passez par là, on vous arrête—ça m'est d'ailleurs arrivé—tandis que les paramilitaires peuvent passer sans arrêter.

On a donc largement la preuve d'une collusion et d'une coopération entre les paramilitaires et l'armée. Il semble que ce sont surtout des officiers de niveau intermédiaire c'est-à-dire au grade de capitaine qui désobéissent tout simplement aux ordres. Le gouvernement leur interdit de coopérer avec les paramilitaires, mais ils le font quand même.

Il y a eu des arrestations de paramilitaires. Le ministère du procureur général qui a une certaine indépendance par rapport au reste du gouvernement, a procédé à l'arrestation de paramilitaires. En 2000, il en a capturé 595. Cela représentait 70 p. 100 du total. Les autres ont été capturés par des éléments de l'armée. Apparemment, il s'agissait surtout de jeunes; il y avait aussi d'anciens guérilleros qui avaient changé de camp.

Il arrive souvent que des guérilleros changent de camp, ce qui est un peu difficile à comprendre. Nous constatons également que lorsque les paramilitaires sont détenus, il arrive souvent qu'ils s'échappent ou qu'on les laisse partir.

Le gouvernement colombien semble ne pas vouloir vraiment confronter les paramilitaires. La communauté internationale—par exemple le Bureau des Nations Unies à Bogota—lui dit qu'il doit faire quelque chose pour remédier à la situation. L'OEA lui a adressé des recommandations très claires et il s'y conforme dans une certaine mesure, mais il semble le faire à son corps défendant. C'est comme si le gouvernement colombien avait besoin des pressions de la communauté internationale pour disposer d'un peu plus de pouvoirs politiques, étant donné qu'il se heurte à l'opposition de l'armée qui ne veut certainement pas de cette reddition de compte.

Par ailleurs, en octobre 2000, 388 militaires ont été limogés, en principe pour avoir collaboré avec les paramilitaires. Par la suite, 50 d'entre eux se sont joints aux milices paramilitaires. Telle est donc la situation. Il y a un lien étroit entre l'armée et les paramilitaires, surtout dans certaines régions.

Je pourrais peut-être parler maintenant des défenseurs des droits de la personne. Ils sont au nombre de 250 en Colombie et je crois nécessaire de vous donner une définition. Les défenseurs des droits de la personne, du moins selon la définition d'Amnistie et la terminologie utilisée par les autres organismes qui travaillent dans le même domaine, sont les membres des ONG indépendantes qui travaillent, dans les régions rurales ou les villes ou encore au niveau national, régional ou local, à la promotion les droits de la personne et qui cherchent à protéger les témoins qui portent plainte. Ces témoins sont considérés comme les yeux et les oreilles de la communauté internationale. Comme ils dénoncent certains agissements, ils sont extrêmement vulnérables et sont très mal protégés.

Il y a un programme de protection des droits de la personne dont le directeur est Rafael Bustamante, un homme qui travaille certainement de bonne foi. Des représentants d'Amnistie l'ont rencontré, mais il ne dispose pas de ressources suffisantes.

• 1620

Deuxièmement, si les défenseurs des droits de la personne sont tellement en danger, c'est tout simplement à cause de l'impunité. S'ils sont tués, s'ils sont menacés, les coupables restent impunis.

J'ai remarqué l'année dernière que les défenseurs des droits de la personne étaient obligés de quitter les endroits à la campagne où ils étaient vulnérables et certains organismes se réfugient à Bogota. C'est en partie à cause d'un stress énorme. Par exemple, l'OFP, l'Organizacion Feminina Popular, de Barrancabermeja, fait l'objet de menaces constantes et a donc décidé de se réfugier à Bogota pour poursuivre son action. Elle continue à recevoir des menaces, mais elle se sent un peu moins vulnérable à Bogota.

Nous constatons que les défenseurs des droits de la personne font l'objet de pressions énormes à l'heure actuelle. Ils sont soumis à un stress considérable. Pour cette raison, les gens sont obligés de fuir et nous croyons très important que la communauté internationale les soutienne au maximum. Il est vraiment nécessaire de défendre les défenseurs.

Depuis le début de l'année, 125 syndicalistes ont été tués. Apparemment, un syndicaliste est assassiné tous les deux jours en moyenne. La majorité sont tués par les paramilitaires soutenus par l'armée. Les syndicalistes sont souvent accusés d'être des collaborateurs des guérilleros et on semble les cibler lorsqu'ils participent à des campagnes pour la mise en place de nouvelles solutions socio-économiques. Par exemple, les membres des syndicats de la santé sont ciblés, pour une raison ou pour une autre. C'est la même chose pour le secteur de l'éducation.

Amnistie les fait venir à Montréal et ils apportent avec eux des invitations à leur propre enterrement. Elles sont formulées très élégamment, mais elles sont tout à fait perverses.

Nous constatons également que les syndicalistes du secteur minier, du secteur pétrolier, du secteur gazier de même que les membres du Congrès des syndicats de Colombie sont ciblés eux aussi. En fait, la Colombie est le pays où il y a, de loin, le plus de syndicalistes qui sont assassinés chaque année.

Je suis sûr que vous avez entendu parler des collectivités déplacées. Je vous ai déjà indiqué qu'il existe en tout 2,5 millions de personnes déplacées. Elles proviennent de toutes les régions de la campagne, surtout dans le nord, dans la région d'Uraba, la région de Choco. On a constaté plus récemment ce phénomène dans le sud, à Futumayo et il y aussi des gens qui traversent la frontière pour se rendre en Équateur.

En ce qui concerne les collectivités autochtones attaquées par les deux camps... Le cas de Kimy Pernia, que vous connaissez peut-être... La collectivité afro-colombienne et le massacre le long de la rivière Naya qui sépare les départements Cauca et Valle del Cauca. Cela semble être lié à des querelles territoriales dans la région. Un grand nombre des paramilitaires semblent être de la région mais coordonnent leurs efforts à l'échelle nationale avec un grand nombre de membres du gouvernement local. Il s'agit en quelque sorte d'un lien clandestin.

Nous devons faire la distinction entre les droits de la personne à l'échelle internationale et le droit humanitaire international. Les droits de la personne à l'échelle internationale sont les droits à la vie, le droit à ne pas être assassiné, à ne pas disparaître, à ne pas être torturé.

Les guérilleros sont de loin le groupe qui viole le plus le droit humanitaire international—par exemple en kidnappant des gens, en les prenant comme otages. Chaque jour en Colombie, une dizaine de personnes sont kidnappées et sur ce nombre, plus de la moitié de ces enlèvements sont l'oeuvre soit du FARC ou de l'ELN. C'est le moyen qu'ils utilisent pour réunir des fonds, mais il s'agit d'une violation du droit humanitaire international. Il ne s'agit pas uniquement d'enlèvements; les guérilleros assassinent aussi les gens. Par exemple, par le passé, il y a eu des cas où des adolescentes se sont liées d'amitié avec des soldats dans des régions où est installée l'armée. Par la suite, les guérilleros les ont assassinées parce qu'ils les considéraient comme des collaboratrices.

Il y a aussi des meurtres gratuits, comme l'assassinat récent de Consuelo Araujo Noguera, le ministre colombien de la Culture.

Si les parlementaires canadiens ont l'occasion de rencontrer ou de parler aux représentants des guérilleros, il est extrêmement important de bien leur faire comprendre l'importance de respecter le droit humanitaire international. Il faudrait prévoir un accord humanitaire pour assurer le respect de la vie des civils, parce que les civils se trouvent constamment entre deux feux.

Il y a aussi l'utilisation négligente d'armes à feu dans des attaques contre des postes de police, au cours desquelles beaucoup de gens sont tués, des attaques contre des pipelines, lorsque l'on fait exploser des pipelines, ce qui cause d'énormes incendies dans lesquels les gens qui vivaient à proximité sont grièvement blessés ou tués.

• 1625

Les guérilleros font preuve d'une négligence et d'un manque de respect généralisés pour la vie humaine. Il est donc évident qu'un accord humanitaire s'impose en Colombie.

Je crois avoir abordé toutes les questions générales dont je voulais vous parler. Alex, vous avez...

M. Alex Neve: Peut-être un autre aspect préoccupant à propos des exactions auxquelles se livrent les guérilleros, une autre question que nous avons signalée récemment, c'est que ces derniers ont tendance à recruter des enfants soldats parmi leurs rangs. En ce qui concerne le FARC, par exemple, nous avons reçu des rapports selon lesquels de jeunes Colombiens, certains n'ayant que 13 ans, ont été poussés à s'enrôler dans le FARC. Il s'agit de toute évidence d'un grave sujet de préoccupation et d'une violation claire du droit international.

Pour résumer, j'aimerais examiner le rôle et la contribution que peut apporter le Canada. Avant de formuler des recommandations précises, j'aimerais commencer par dire quelques mots à propos des 40 hélicoptères Huey. Je suis sûr que d'autres témoins qui ont comparu devant vous en ont déjà parlé. Il s'agit des hélicoptères vendus par le Canada au gouvernement américain, le Département d'État, il y a environ deux ans, dont 33 au moins ont atterri en Colombie et servent à des activités de lutte contre la drogue.

Plus tôt cette année, Amnistie internationale et un certain nombre d'autres organisations ici au Canada ont exprimé des réserves à propos de ce transfert d'équipement militaire du Canada à la Colombie, même si cela s'est fait indirectement par l'intermédiaire des États-Unis. Nous avons fait valoir que cet exemple signalait la nécessité de resserrer les lois canadiennes qui réglementent les exportations militaires, surtout pour faire en sorte que l'on puisse prévoir la destination finale de l'exportation d'équipement et en décider, et que cela fasse partie de l'autorisation qui donne le feu vert aux exportations.

Nous avions aussi à cette occasion souligné le fait que le matériel militaire canadien faisait désormais partie du volet militaire du Plan Colombie, et que cela impose, à tout le moins, une importante obligation morale de la part du Canada de prendre position de façon décisive en ce qui concerne les aspects militaires du Plan Colombie. Ces deux recommandations demeurent très importantes.

De façon plus générale, nous aimerions vous encourager à recommander que le Canada prenne des mesures importantes pour presser le gouvernement colombien d'adopter un programme encore plus vigoureux qui s'attaque aux problèmes que nous avons décrits dans notre exposé cet après-midi, et que le Canada continue de suivre de près les cas et les situations qui donnent lieu à des préoccupations dans le pays. Il s'agit tout d'abord de presser les autorités de s'engager à établir un échéancier pour la mise en oeuvre des recommandations formulées par les Nations Unies en ce qui concerne l'impunité; de démanteler les groupes paramilitaires; et d'assurer une sécurité et une protection accrues aux défenseurs des droits de la personne, aux syndicalistes et aux autres secteurs vulnérables. Les Nations Unies ont formulé de nombreuses recommandations détaillées, efficaces et longuement mûries. Il importe d'exercer toutes les pressions possibles sur le gouvernement de la Colombie pour qu'il prenne les mesures nécessaires pour mettre en oeuvre ces recommandations.

Deuxièmement, comme John l'a souligné dans son exposé, nous encourageons certainement le Canada à rechercher et à saisir toutes les occasions possibles d'évoquer auprès des guérilleros, ou des représentants de ces groupes, ou encore des organisations ou des gouvernements susceptibles d'entretenir des liens avec eux les préoccupations que suscitent les violations des droits de la personne et du droit humanitaire international qu'on leur reproche.

Troisièmement, en ce qui concerne l'impunité, nous encourageons le gouvernement canadien à accorder une attention particulière au fait que les autorités n'ont toujours pas fait enquête sur le massacre du 16 mai 1998 à Barrancabermeja, ni sévi contre les auteurs du massacre. Cet incident a reçu une attention considérable par le passé de la part du Parlement et du gouvernement canadiens et nous incitons le gouvernement à s'assurer qu'il demeure un sujet de la plus haute importance en matière de politique canadienne.

• 1630

Quatrièmement, en ce qui concerne aussi l'impunité, nous incitons le gouvernement à ne pas mâcher ses mots et à insister pour que l'enquête sur la disparition du chef indigène Kimy Pernia, le 2 juin 2001, se poursuive. Kimy Pernia est venu au Canada et je suis sûr que certains d'entre vous l'avez rencontré. Il a peut-être témoigné devant votre comité à une époque où vous vous occupiez de la question. Il avait entre autres émis des réserves sur le financement du projet de barrage Urra par la société d'expansion des exportations. Sa disparition fait craindre énormément pour les droits de la personne, et le Canada peut jouer un rôle spécial pour s'assurer qu'il n'y a pas impunité à cet égard.

Cinquièmement, nous encourageons le Canada à continuer de suivre le sort des collectivités déplacées de force qui, après avoir regagné leurs terres continuent à faire l'objet de graves menaces de la part des paramilitaires. Il s'agit d'un problème qui existe dans l'ensemble de la Colombie et que l'ambassade canadienne juge sérieux, et nous vous encourageons à continuer à le considérer comme un véritable sujet d'inquiétude.

Enfin, nous encourageons le Canada à insister pour le gouvernement prenne des mesures décisives afin de garantir la sécurité des défenseurs des droits de la personne en Colombie. Il est indispensable, pour leur sécurité, que l'on prenne des mesures concrètes contre l'impunité et pour le démantèlement des groupes paramilitaires, dont je viens de parler. Mais il faut aussi accorder une plus grande attention à la directive présidentielle colombienne, Directiva Presidencial 007, de 1999, qui déclare qu'il est interdit et illégal en Colombie de porter de fausses accusations contre des organisations de défense des droits de la personne, susceptibles de compromettre leur sécurité.

Les milieux de défense des droits de la personne en Colombie de même que des organisations comme Amnistie internationale se sont réjouis de cette directive. Cependant, l'administration continue de porter de telles accusations sans faire l'objet de sanctions, et nous aimerions encourager le comité à insister auprès du gouvernement pour qu'il presse le gouvernement colombien de faire sérieusement respecter la Directiva Presidencial 007.

Il convient que je termine en parlant des défenseurs des droits de la personne. Leur sort inquiète beaucoup Amnistie internationale, et leur courage étonnant ainsi que leur ténacité sont une véritable source d'inspiration.

J'aimerais vous parler d'un événement prochain qui devrait intéresser un certain nombre d'entre vous. Au cours des derniers mois, les membres d'Amnistie internationale de l'ensemble du pays ont participé à un projet destiné à transmettre un puissant message de soutien, de solidarité et de protection aux 12 organisations de protection des droits de la personne en Colombie. On est en train de préparer des courtepointes dont les morceaux sont conçus par des Canadiens de tous les coins du pays. Les courtepointes seront livrées à ces 12 groupes de protection des droits de la personne au début de la nouvelle année, et ces groupes ont déjà indiqué qu'ils avaient hâte de recevoir ces courtepointes, qu'ils ont l'intention d'exposer dans leurs bureaux, car ils croient qu'elles représenteront le véritable intérêt que leur porte la communauté internationale de même qu'une source possible de protection.

Le 10 décembre de cette année, qui marque la Journée internationale des droits de l'homme, nous serons présents ici sur la Colline parlementaire, à l'édifice du Centre, en tant qu'hôtes d'un événement auquel nous encouragerons les parlementaires canadiens à contribuer un morceau de courtepointe, c'est-à-dire l'occasion pour vous de montrer vos talents, mais nous aurons certainement les outils pour vous faciliter la tâche. Nous espérons réunir suffisamment de morceaux des députés et des sénateurs pour former même une courtepointe complète, ou tout au moins l'essentiel d'une courtepointe. J'ai des renseignements aujourd'hui à propos de cet événement et je me ferai un plaisir de vous les communiquer, et je serais certainement heureux de pouvoir compter sur votre aide et votre participation à ce moment-là.

Je vous remercie. Cela met fin à notre exposé. Nous sommes heureux d'avoir pu vous faire part de nos préoccupations et de formuler certaines recommandations, et nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.

La présidente: Je vous remercie, monsieur Neve.

Est-ce que dans vos notes vous indiquez la taille des morceaux de la courtepointe et le genre de tissu, etc.?

M. Alex Neve: Pas cette note en particulier, mais elle vous indique où vous pouvez facilement obtenir cette information.

La présidente: Très bien, parce que si vous voulez que nous y participions, il faudra nous donner des précisions—ou peut-être même nous aider.

M. Alex Neve: Nous fournirons en fait tous les matériaux nécessaires sur place.

La présidente: Donc nous pourrons montrer à tous ce dont nous sommes capables.

M. Alex Neve: Vous pourrez préparer votre dessin en public ou le faire dans votre bureau et nous le rapporter plus tard.

La présidente: Merci beaucoup.

M. Antoine Dubé (Lévis-et-Chutes-de-la-Chaudière, BQ): Quand cet événement aura-t-il lieu?

M. Alex Neve: Cet événement aura lieu la Journée internationale des droits de l'homme, le 10 décembre de cette année, de midi à 14 heures à la pièce 256-S de l'édifice du Centre.

La présidente: Merci beaucoup.

• 1635

Madame Yelich, vous avez la parole.

Mme Lynne Yelich (Blackstrap, Alliance canadienne): Je suis vraiment très heureuse d'être ici aujourd'hui. Je ne suis pas un membre habituel de ce comité; c'est tout nouveau pour moi et je suis vraiment très intéressée par ce que j'ai entendu. J'ai trouvé vos témoignages très intéressants et la situation que vous décrivez me paraît effroyable. J'ignorais que ce genre d'événements avaient lieu en Colombie parce que tous les yeux sont fixés sur d'autres régions du monde à l'heure actuelle. J'admire vraiment le travail que vous faites. Nous avons un défi à relever—un nouveau défi.

En fait, l'une des questions que je voulais vous poser... Vous voulez peut-être savoir en particulier pourquoi on a envoyé des hélicoptères là-bas. Je crois que c'est une question que nous devrions poser à notre gouvernement. Cependant, j'aimerais savoir précisément ce que nous pouvons faire. Que peut faire le Canada pour appuyer le rôle des tribunaux civils en Colombie? En ce qui concerne les paramilitaires, que peut faire le Canada pour soutenir les efforts que fait le gouvernement colombien pour se débarrasser des éléments corrompus de l'armée qui, paraît-il, soutiennent et aident les paramilitaires? Je pense qu'il faut s'attaquer au noeud du problème, de toute évidence, et c'est ce que j'aimerais que l'on fasse. Attaquons le problème à sa racine.

Vous avez dit que vous aimeriez que nous entamions un dialogue; vous avez parlé des aspects socioéconomiques et de ce que nous pouvons faire. Mais je pense qu'il faut d'abord s'attaquer à la racine du problème. Voyons ce que vous proposez—c'est un rôle plus grand que ce que vous nous avez attribué, je crois.

M. Alex Neve: Je pense que votre question se rapporte aux préoccupations relatives à l'impunité—le fait que les responsables d'exactions n'ont pas été identifiés ni traduits devant les tribunaux—et c'est un élément essentiel si l'on veut vraiment réaliser des progrès en matière de protection des droits de la personne en Colombie.

Au bout du compte, bien sûr, cela signifie que les responsables des exactions, peu importe le camp auquel ils appartiennent, doivent être tenus responsables. Les guérilleros doivent être dénichés, arrêtés et répondre de leurs actes—même chose pour les paramilitaires ou les militaires.

Je crois que les structures sont là. Comme je l'ai dit dans mon exposé, des recommandations très utiles et très précises ont été faites par les Nations Unies, qui se sont penchées soigneusement sur cette question—notamment sur les mesures à prendre, qu'il s'agisse de réforme juridique, institutionnelle ou législative, une formation accrue pour les membres du système judiciaire et autres fonctionnaires, ou une augmentation des ressources. Tout est là.

Ce qu'il faut faire, c'est d'abord exercer des pressions internationales concrètes, sensibles et concertées sur le gouvernement colombien, pour qu'il mette en oeuvre ces recommandations. Le gouvernement colombien est dans une situation difficile, puisque les militaires sont puissants et résistent à ce genre de choses. Il devient encore plus important que le milieu international manifeste ses inquiétudes et son soutien au gouvernement afin qu'il puisse entreprendre les réformes nécessaires.

M. John Jones: Je dois dire qu'il y a un autre facteur pour rendre efficace la pression internationale. Il y a quatre ou cinq ans, lorsque nous avons eu des discussions avec le MAECI, à la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, habituellement en février et mars, on faisait pression pour que le gouvernement colombien accepte un bureau de l'ONU à Bogota. Pendant longtemps, le gouvernement colombien a résisté, mais la pression s'est maintenue. À un certain moment, il a accepté. Il y maintenant une présence de l'ONU à Bogota, un bureau des Nations Unies. Ce bureau mène des enquêtes approfondies partout au pays, dans la mesure où ses ressources le lui permettent, et il formule des recommandations.

Je pense qu'il faut défendre cette initiative avec fermeté pour consolider cet état de choses, parce que c'est probablement un élément clé—soutenir simplement la présence de l'ONU à Bogota, y assurer sa présence permanente, et aussi défendre cette initiative chaque fois que le Canada en a l'occasion, dans les tribunes internationales.

Toutes les recommandations présentées par Amnistie ont essentiellement été aussi formulées par l'ONU. Nous réclamons donc votre appui pour ces recommandations internationales, quand c'est possible, ne serait-ce que pour exercer ce genre de pression morale et politique sur le gouvernement colombien. D'après notre expérience, il est sensible à cette pression, même si d'autres pressions s'exercent en sens contraire, de l'intérieur, donc il lui faut une certaine marge de manoeuvre politique.

• 1640

Mme Lynne Yelich: Avant de poursuivre, je dois dire qu'il faut respecter nos priorités relativement au financement accordé par l'ACDI et l'aide étrangère canadienne en général, et on pourrait certainement dire que la priorité, pour l'instant, c'est l'Afghanistan. Mais quand on voit que la situation est si critique en Colombie, il faut être prudent dans la façon dont nous affectons nos crédits à l'aide étrangère. Est-ce qu'on pourra établir de nouvelles priorités pour les ressources, étant donné la nouvelle situation qui existe, depuis le 11 septembre?

Quand vous dites que vous avez un appui de 75 p. 100 pour vos efforts en Colombie, je me demande si ce même soutien de 75 p. 100... Je suis convaincue que ce sont les mêmes personnes qui appuient aussi l'aide à l'Afghanistan. Qui représente cet appui de 75 p. 100 dont vous parlez? J'aimerais le savoir, puisque vous savez que vos ressources sont tout de même limitées, et...

M. Alex Neve: Vous parlez peut-être de ce que j'ai dit. Je me suis peut-être mal exprimé: il s'agit de 75 000 membres, et non de 75 p. 100 d'appui...

Mme Lynne Yelich: Ah, bien. Je pensais qu'il s'agissait du soutien du public, puisque comme je le disais, il faut repenser nos priorités, et on a certainement l'impression que nos ressources devraient toutes...

M. Alex Neve: Non, je suis tout à fait d'accord avec vous. Ce sont des temps difficiles pour le travail international dans le domaine des droits de la personne et du développement, actuellement, pour s'assurer que le soutien ne s'atténue pas, que ce soit pour l'aide financière, le soutien de la population, l'attention accordée par les médias et la population à ce qui se passe ailleurs dans le monde.

Je pense que l'une des leçons tirées des événements du 11 septembre, c'est qu'il nous faut être attentifs à l'ensemble du globe, et à veiller à ce que l'on porte un intérêt justifié, partout dans le monde, à la justice, aux violations des droits de la personne et à la violence, des sujets qui nous préoccupent. Si nous nous en désintéressons, c'est à nos risques et périls, puisque des incidents du genre que nous avons vus le 11 septembre pourraient se produire à nouveau, ailleurs dans le monde.

En ce moment, alors qu'on accorde une priorité accrue aux problèmes d'aide et autres en Afghanistan et aux alentours, il faut s'assurer que le reste du monde—tous les coins du monde—continue de recevoir autant d'attention qu'on peut en donner. Ce n'est pas le moment de réduire notre soutien ou l'aide que nous accordons à d'autres parties du monde, comme la Colombie. Il faudrait même songer sérieusement à la possibilité de l'augmenter d'une manière plus ciblée, plus responsable et plus efficace.

La présidente: Merci, monsieur Neve.

[Français]

Monsieur Dubé.

M. Antoine Dubé: Merci, madame la présidente.

Là-dessus, j'ai juste un commentaire rapide. La semaine dernière, on en discutait, et je pense que les gens de ce comité sont d'accord sur notre position: il ne s'agit pas de réduire. Il s'agit peut-être d'augmenter ce qui se fait en Afghanistan, mais pas de réduire ailleurs.

Amnistie Internationale a une excellente réputation. Vous avez parlé de votre organisation au Canada, et dans chacune de nos circonscriptions on a des gens... Encore récemment, j'ai rencontré des jeunes avec un professeur qui étudiaient des questions. C'est très, très bien.

On connaît aussi la façon de travailler des Nations Unies. On a rencontré quelqu'un, un conseiller spécial des Nations Unies en Colombie. J'aimerais que vous me disiez concrètement de quelle façon vous travaillez en Colombie ou ailleurs, pour, par exemple... Vous avez des chiffres précis. Est-ce que l'identification des cas de morts ou de disparitions provient des chiffres des Nations Unies ou si ce sont les vôtres? J'aimerais que vous répondiez à cela. Est-ce que c'est vous qui les avez identifiés ou si ce sont les chiffres des Nations Unies?

[Traduction]

M. Alex Neve: Je peux peut-être répondre d'abord à la question générale, au sujet de notre façon de faire, puis, à la question plus précise au sujet des statistiques. Je suis ravi que vous voyez en nous une organisation d'excellente réputation. Depuis 40 ans, c'est notre quarantième anniversaire, nous nous efforçons d'entretenir cette réputation. À tout le moins, il nous importe au plus haut point d'être crédibles lorsque nous parlons de questions relatives aux droits de la personne.

• 1645

Nos travaux de recherche sont donc faits très soigneusement. Premièrement, nous ne recevons aucune aide gouvernementale, d'aucun pays du monde, pas même de notre gouvernement, afin de conserver l'indépendance et l'impartialité nécessaires à des recherches vraiment neutres.

Pour ce qui est de nos méthodes de recherche, nous bâtissons soigneusement un réseau de sources d'information et nous vérifions, contre-vérifions et revérifions encore les renseignements obtenus. Nous ne nous fions qu'aux sources que nous jugeons impartiales. Nous rejetons beaucoup de renseignements simplement parce que nous ne les jugeons pas crédibles ou, malheureusement, parce qu'il n'y pas de corroboration de la part d'une source indépendante. Il nous faut toujours cette corroboration, avant que nous fassions une déclaration.

Nous n'assurons pas une présence permanente dans les pays où nous travaillons. Nous nous efforçons de les visiter aussi souvent que possible. Nous avons des missions permanentes de recherche pour que nous puissions nous-mêmes aller sur le terrain faire le travail.

Il y a beaucoup de pays qui ne nous laissent même pas entrer, ce qui en dit long sur le respect des droits de la personne. La Colombie permet les visites d'Amnistie internationale et nous y allons fréquemment et nous pouvons donc faire beaucoup de recherche sur le terrain.

Au sujet des statistiques ou des détails qui sont dans nos rapports, des statistiques différentes peuvent venir de différentes sources. Elles résultent parfois de nos très soigneuses analyses statistiques. D'autres fois, oui, nous pouvons au moins citer ou même adopter les statistiques compilées par d'autres sources, si nous jugeons que leurs conclusions sont fondées, crédibles et fiables.

John, avez-vous parlé des statistiques sur les disparitions? Savez-vous si c'était celles des Nations Unies?

M. John Jones: Ce sont les statistiques des organisations colombiennes de défense des droits de la personne, comme la Commission andine des juristes et le CINEP, qui font de leur mieux pour suivre la situation de près. Voilà le genre de chiffres que nous recevons.

[Français]

M. Antoine Dubé: CINEP?

M. John Jones: D'accord. Vous n'avez pas compris.

M. Antoine Dubé: Quel est le nom? CINEP?

Une voix: Quel est le nom?

M. John Jones: CINEP.

[Traduction]

C'est une organisation jésuite de défense des droits de la personne.

[Français]

C'est une organisation jésuite en Colombie qui travaille pour les droits de la personne.

M. Antoine Dubé: Vous avez répondu de façon générale. Parfois vous faites ceci, parfois vous faites cela. Peut-être que M. Jones est mieux placé pour répondre. Ce qui attire mon attention, c'est quand vous parlez de «tierces personnes». Qu'est-ce que vous entendez par «tierces personnes»? Est-ce que ça veux dire que ce sont des non-Colombiens, des gens qui sont là comme observateurs venant de pays étrangers ou si ce sont des personnes qui sont des Colombiens, mais qui ne sont impliqués dans aucune des parties? De quoi parlez-vous quand vous parlez de «tierces personnes»?

M. John Jones: Parlez-vous anglais?

[Traduction]

Comprenez-vous l'anglais?

[Français]

M. Antoine Dubé: Nous avons l'interprétation. Je peux parler l'anglais, mais je pense que ça n'améliorera pas la compréhension du débat.

[Traduction]

M. John Jones: Vous avez un interprète. Bien.

Le gros de l'information vient de sources colombiennes. Le secrétariat international envoie fréquemment des délégations en Colombie, plusieurs fois par an, en fait.

La délégation est parfois composée de personnes comme Rigoberta Menchu, qui y est allée l'an dernier, parce que la Colombie voulait quelqu'un de bien connu. C'est une lauréate du Prix Nobel. Il y avait aussi la personne de la section suédoise qui a le même poste que moi, dans leur délégation. Ces gens-là sont allés en Colombie et ils ont fait une enquête sur l'ASFADDES, par exemple, qui défend les droits de la personne, et ont fait des déclarations publiques au sujet de ce qu'ils avaient constaté. Ils essayaient de créer une sorte de pression concrète.

• 1650

Je dirais qu'Amnistie travaille toujours avec les organisations colombiennes de défense des droits de la personne que nous jugeons crédibles, et s'adresse aussi directement aux autorités colombiennes, aux fonctionnaires, au vice-président, par exemple. Nous nous adressions aussi aux militaires, aux responsables des Nations Unies et aux responsables des Peace Brigades International. On essaye ainsi d'assembler divers morceaux du casse-tête, pour comprendre la situation.

[Français]

M. Antoine Dubé: D'accord. Ai-je encore une minute?

[Traduction]

M. Alex Neve: Si vous le permettez, j'aimerais ajouter une chose. Vous demandiez d'où venaient les chiffres sur le nombre de meurtres et de disparitions par jour. Je l'ai trouvé dans le rapport d'Amnistie, mais ce rapport...

[Français]

M. Antoine Dubé: Et les morts...

[Traduction]

M. Alex Neve: ... ne dit pas exactement d'où viennent ces données. Je peux certainement demander des éclaircissements à nos experts Colombiens, à notre bureau international de Londres, pour vous donner davantage de détails.

La présidente: Vous pourriez certainement envoyer ce renseignement au comité, pour que nous le sachions tous.

Merci beaucoup, monsieur Dubé.

Madame Beaumier.

Mme Colleen Beaumier (Brampton-Ouest—Mississauga, Lib.): Merci.

J'ai trois questions assez précises et la première se rapporte à Amnistie. Je sais qu'en Australie, des députés sont associés à Amnistie internationale. Au Canada, toutefois, votre division a décidé de ne pas avoir ce genre d'association, rejetant toute ingérence politique ou même, lien politique. J'ai essayé de communiquer avec vous, je crois, pendant les cinq premières années où j'ai été élue. On nous a retourné quelques appels, en nous disant qu'Amnistie n'était pas intéressée. Je me demandais simplement pourquoi la position de votre filiale australienne est différente de celle que la vôtre au Canada.

M. Alex Neve: Je dois dire que je n'étais pas au courant. J'occupe le poste de secrétaire général depuis deux ans, et il y a peut-être eu des discussions à ce sujet avant mon arrivée. Je ne dirais pas d'emblée que nous rejetons cette idée. En fait, personnellement, j'y ferais bon accueil et je l'encouragerais même.

Mme Colleen Beaumier: C'est bon à entendre.

M. Alex Neve: Je serais ravi de communiquer avec vous ou tout autres députés ici, qui peuvent s'intéresser à appuyer Amnistie d'une façon ou d'une autre, notamment en mettant sur pied un groupe parlementaire d'Amnistie internationale.

Mme Colleen Beaumier: Eh bien j'en suis bien aise, parce que je pense que bon nombre d'entre nous se sont découragés. De 1993 à 1998, environ, nous avons fait beaucoup d'efforts pour communiquer avec vous et on nous a répondu... Cela n'avait rien de partisan. Reg Alcock a essayé aussi, et nous n'avions aucune réponse; votre réaction est donc une bonne nouvelle.

M. Alex Neve: Faisons en sorte qu'il en soit ainsi.

Mme Colleen Beaumier: Par ailleurs, savez-vous si certaines entreprises canadiennes établies en Colombie sont coupables de la violation des droits de la personne? Avez-vous une liste de ces compagnies, et si tel est le cas, pouvez-vous nous la fournir?

M. Alex Neve: Nous venons à peine de commencer à étudier cette question, et nous nous sommes d'abord intéressés au secteur pétrolier, c'est-à-dire aux entreprises pétrolières canadiennes qui oeuvrent présentement en Colombie. Notre étude vient de commencer, nous ne sommes donc pas en mesure de conclure que ces entreprises ont été coupables de façon directe ou de façon indirecte, de violations des droits de la personne.

Cela dit, dans deux semaines, nous allons rencontrer un certain nombre de représentants de ces compagnies pétrolières réunies à Calgary justement pour aborder la question des droits de la personne. Nous allons leur demander si elles ont adopté des politiques relativement au respect des droits de la personne, si elles prennent des mesures pour mettre celles-ci en oeuvre et les suivre, si elles se renseignent à ce sujet dans les régions où elles sont implantées et sur toutes les autres choses connexes. Selon les résultats de cette rencontre, nous allons peut-être estimer devoir faire connaître nos préoccupations.

Mme Colleen Beaumier: Auriez-vous l'obligeance de nous envoyer les renseignements que vous obtiendrez lors de cette réunion?

M. Alex Neve: Volontiers madame, oui.

Mme Colleen Beaumier: Je vous remercie.

Je crois que ce domaine d'intervention qui semble se dessiner est très intéressant. Déjà, au Nigéria, la Shell Oil a décidé qu'elle allait désormais se comporter de façon responsable, tout au moins un peu, et c'est quand même mieux que rien. C'est un début, et je pense aussi que la compagnie Talisman, qui est établie au Soudan fait elle aussi des efforts, peut-être pas assez, mais quoi qu'il en soit le comportement responsable des entreprises va probablement devenir un nouvel objectif à l'échelle internationale.

• 1655

M. Alex Neve: Tout à fait, et ici, il me paraît important de rappeler que c'est une arme à double tranchant. On craint que les activités des sociétés ne facilitent les violations des droits de la personne, mais les entreprises peuvent aussi agir comme de puissants agents de changement et de réforme des droits de la personne dans les pays où elles exercent leurs activités. Il faut chercher à calmer nos craintes sur l'aspect négatif et insister sur le côté positif.

Mme Colleen Beaumier: En dernier lieu, j'aimerais vous interroger au sujet d'un des organismes cadres. Quelle organisation au sein de la Colombie...? S'il y a une chose qui distingue la Colombie de certains autres pays comme bon nombre d'États africains, c'est qu'on y trouve tant d'ONG créées par les Colombiens eux-mêmes. Or, existe-t-il un organisme cadre qui servirait à organiser ou à réunir les membres de ces ONG?

M. John Jones: À ma connaissance, il n'existe pas d'organisation cadre. Cela dit, les ONG semblent se connaître et se réunir de temps à autre. Nous pouvons cependant nous renseigner et essayer de trouver une réponse à la question.

M. Alex Neve: Il y a certainement un groupe que j'aimerais vous recommander, en ce qui a trait à la défense des droits de la personne. Je ne vous citerai probablement pas son nom de façon correcte, mais il s'agit d'un comité spécial des défenseurs des droits de la personne—ou quelque chose d'approchant. Ces groupes de défense se sont effectivement réunis, pas nécessairement dans le cadre d'une coalition officielle mais de façon officieuse pour jouer ce genre de rôle.

Le comité spécial suit les questions qui préoccupent les nombreuses organisations de défense des droits de la personne dans ce pays. Il constitue aussi un groupe de pression qui communique leurs préoccupations sur la scène nationale et internationale. Il a d'ailleurs fait de l'excellent travail, et je crois savoir qu'il a reçu des dons en argent de certaines Églises canadiennes à cette fin. Je pourrais certainement vous obtenir les détails là-dessus. Si vous allez en Colombie, je suis sûr que vous aurez certes intérêt à rencontrer ses membres.

Mme Colleen Beaumier: Merci.

La présidente: Nous allons y aller. Notre programme est déjà très chargé, mais nous vous saurions gré de nous donner des noms de personnes que nous devrions rencontrer à votre avis.

M. Proctor est le suivant, il a huit minutes.

M. Dick Proctor (Palliser, NPD): Merci beaucoup, madame la présidente.

Je suis un peu un invité surprise au sein de ce comité. En règle générale je n'y participe pas, mais le sujet abordé aujourd'hui m'intéresse. J'ai déjà travaillé pour le Congrès du travail du Canada en Amérique latine, au milieu des années 80. J'ai connu certains des syndicalistes colombiens portés disparus. Il s'agit d'un sujet très important.

Il est vaguement question dans votre mémoire du Plan Colombie. Pouvez-vous nous dire ce qu'Amnistie internationale pense de ses effets sur la situation dans ce pays.

M. Alex Neve: Nous avons fait part de nos graves préoccupations au sujet du Plan Colombie, parce qu'il est très militarisé. On dit qu'il comporte divers volets, c'est-à-dire le volet militaire et non militaire. Quoi qu'il en soit, le volet militaire nous inquiète, car il bénéficie d'un soutien financier considérable de l'étranger destiné à une augmentation des dépenses militaires. Nous avons donc milité activement dans le monde entier contre le volet militaire du Plan Colombie. Nous en avons aussi parlé au gouvernement. Nous l'avons pressé de s'opposer publiquement à l'aspect militaire du plan.

À notre avis, dans le conflit actuel, une aide militaire de cette envergure à la Colombie mènera inévitablement à d'autres violations des droits de la personne. Il faut que dès maintenant, nous adoptions une stratégie qui empêche que des armes meurtrières aboutissent entre les mains des groupes paramilitaires et militaires, c'est-à-dire les militaires et les guérilleros. Il faut qu'on agisse en ce sens à tous les niveaux, or le Plan Colombie ne nous aidera certainement pas, bien au contraire.

La présidente: Me permettez-vous d'intervenir un moment? Nous venons de distribuer un document qui donne l'avis du gouvernement américain sur le Plan Colombie. Il semble y avoir eu une évolution, et vous devriez donc peut-être le parcourir quand vous en avez le temps. À la page 2, au cinquième paragraphe, on donne l'avis du nouveau président du comité. Il y est dit...

Une voix: C'est le Sénat des États-Unis.

La présidente: Oui, il s'agit du Sénat des États-Unis, je m'excuse, il ne s'agit pas du Congrès. Quoi qu'il en soit, les remarques sont intéressantes, on dirait que les Américains se calment.

Mon intervention ne sera pas déduite de votre temps de parole. Excusez-moi. Allez-y.

• 1700

M. Dick Proctor: Je vous en remercie.

Vous avez dit que vous pressez le gouvernement canadien. Avons-nous reçu une réponse favorable, enfin comment a-t-on réagi à vos pressions?

M. Alex Neve: À quelques reprises, on nous a répondu que le gouvernement n'a pas l'intention de participer au volet militaire du Plan Colombie, mais il n'est quand même pas disposé à critiquer l'aide militaire des États-Unis. En conséquence, même si notre pays ne participera pas à cet appui militaire, il s'abstient de critiquer le gouvernement américain d'avoir fait un tel choix.

M. Dick Proctor: On me dit que, lorsque l'ambassadrice de la Colombie au Canada a témoigné devant le comité il y a six semaines, elle a demandé l'appui de notre pays pour que des compagnies vendant du matériel militaire obtiennent une licence d'exportation. Vous avez déjà fait part de vos préoccupations sur ce qui s'est passé jusqu'ici, mais comment réagissez-vous à la demande de l'ambassadrice?

M. Alex Neve: Nous nous opposons aux ventes à la Colombie de tout matériel exclusivement militaire ou à double usage, c'est-à-dire de biens qui peuvent être soit des armes meurtrières, soit des armes non meurtrières, selon l'usage qu'on en fait. Ça ne veut pas nécessairement dire qu'on ne doit vendre à la Colombie, aucun matériel militaire, mais il faut vraiment se préoccuper des armes meurtrières et à double usage. Nous ne sommes pas d'accord avec cela.

À ce sujet, nous estimons que le système canadien de réglementation des exportations demeure tout à fait laxiste en ce qui a trait au matériel militaire. J'entends par là qu'il manque de l'ouverture et de la transparence dont on aurait besoin pour effectuer un véritable examen des décisions en matière d'exportation de matériel militaire.

Ainsi par exemple, le dernier rapport annuel public portant sur les exportations militaires du Canada remonte à 1999. Il ne portait pas que sur la Colombie mais sur tous les pays du monde, bien entendu. Depuis lors, rien ne nous a été communiqué sur les transferts de matériel militaire, à moins que les gens aient réussi à obtenir des renseignements grâce à des demandes effectuées en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. Or, il s'agit là d'un moyen très insatisfaisant d'assurer l'ouverture et la transparence en ce qui a trait à ces questions.

Je sais que l'organisme appelé Project Ploughshares et d'autres organisations ont demandé au gouvernement d'adopter à la place un système de communication des renseignements au fur et à mesure que ce genre de transaction est conclue, ce que nous appuyons. Lorsque l'exportation de matériel militaire est approuvée, les renseignements relatifs à la transaction devraient être publiés afin qu'on puisse réagir immédiatement si on a des craintes. Il est inadmissible que les données nous soient fournies seulement deux ou trois ans plus tard, car alors le mal est déjà fait.

M. John Jones: J'aimerais faire une remarque à ce sujet. En mai dernier, j'ai assisté à une réunion d'Amnistie internationale à Stockholm pendant quelques jours, et on venait à peine d'apprendre l'existence du Plan Colombie. Déjà cependant, on s'est beaucoup inquiété de la possibilité qu'il militarise trop la situation, qu'il entraîne un nombre encore plus considérable de violations des droits de la personne et que la militarisation aggrave dangereusement un conflit déjà pernicieux.

Par la suite, d'autres rencontres internationales ont porté sur le Plan Colombie, d'abord à Londres puis à Madrid et au Costa Rica à la fin de l'année dernière, et à chaque occasion, Amnistie internationale s'est vraiment efforcée d'user de toute son influence. En ce moment, le chapitre américain d'Amnistie internationale s'oppose activement aux effets nuisibles du Plan Colombie. Amnistie est tout à fait contre le Plan Colombie. L'organisme le critique et essaie d'exercer l'influence qu'il possède afin de contrer ses aspects négatifs.

M. Dick Proctor: Donc Amnistie internationale, tant au Canada qu'aux États-Unis, est très critique de ce plan.

M. John Jones: Tout à fait. Tous les chapitres d'Amnistie dans le monde entier critiquent ce plan, et surtout le chapitre des États-Unis.

M. Dick Proctor: Enfin, vous avez mentionné les 40 hélicoptères dont 33 ont abouti en Colombie. J'ignorais cela. Je m'en excuse. Je me demande cependant si quelqu'un peut développer quelque peu la question, même si d'autres membres du comité n'en ont peut-être pas besoin autant que moi.

M. Alex Neve: Il s'agit d'hélicoptères américains à l'origine achetés par l'armée canadienne. Ensuite, ils ont été déclarés excédentaires et retirés du service. Cependant, oh surprise, ils ont été revendus, cette fois non à l'armée américaine mais au Département d'État, ce qui est intéressant et ne cesse pas de soulever certaines questions. Pourquoi le Département d'État aurait-il besoin d'hélicoptères de combat? Je suppose qu'après les attentats du 11 septembre, on peut croire qu'il soit nécessaire d'en avoir à Washington, mais ce n'était certainement pas le cas à l'époque de la transaction.

• 1705

En conséquence, même à l'époque, on s'est demandé si on avait l'intention de faire aboutir les hélicoptères ailleurs. Or, c'est précisément ce qui s'est produit: 33 d'entre eux se sont retrouvés en Colombie et sont utilisés couramment par les bataillons de répression du trafic des stupéfiants. Si cela a été possible, c'est parce que les règlements relatifs aux exportations de matériel militaire du Canada tiennent uniquement compte du pays de la première destination. On a donc seulement tenu compte des États-Unis.

Rien dans le système ne permet ou n'exige une étude plus poussée permettant de savoir si le pays de première destination est un point de transit vers la destination finale. Bien entendu, si l'on veut que les transferts militaires canadiens n'entraînent pas plus de décès de civils et davantage de violations des droits de la personne, il nous faut un système qui tienne compte de la destination finale.

Nous nous sommes donc servis de cet exemple pour faire comprendre pourquoi il faut refondre les lois canadiennes et surtout mettre fin à cette échappatoire.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Neve.

Madame Yelich.

Mme Lynne Yelich: Il y a actuellement une campagne électorale en cours en Colombie, mais que pensez-vous de l'avenir de la démocratie dans ce pays? L'élection permettra-t-elle d'améliorer le dossier des droits de la personne ou de lui nuire? L'élection actuelle vous donne-t-elle quelque espoir?

M. Alex Neve: La démocratie est toujours une lueur d'espoir. Le plus ironique, c'est que malgré les grands bouleversements et la guerre civile qui se perpétue en Colombie, la démocratie n'a jamais cessé d'y existe. Et beaucoup de représentants du gouvernement, au niveau du président et à d'autres niveaux aussi, ont essayé de faire bouger la réforme des droits de la personne, se sont prononcés de façon très musclée là-dessus, et ont adopté certaines initiatives. Dans mon exposé, j'ai mentionné la directive présidentielle 007, en vertu de laquelle le président appuie de façon très vigoureuse les défendeurs des droits de la personne, ce qui est une initiative très bien accueillie.

Le problème, c'est que l'armée continue d'être une institution très puissante dans ce pays et est donc toujours en mesure de bloquer nombre des initiatives que peut présenter le gouvernement ou de ne pas en tenir compte. Les forces armées sont à ce point puissantes que le gouvernement mesure bien souvent et avec grande prudence ses initiatives de réforme.

C'est tout un défi pour les droits de la personne et pour la démocratie. Voilà pourquoi des grandes questions comme l'impunité, le démantèlement des groupes paramilitaires et le transfert d'armes à la Colombie doivent faire l'objet de pressions concertées de la part de la communauté internationale pour que celle-ci fasse tout en son pouvoir pour diminuer le sentiment de puissance et d'emprise qu'ont les forces armées dans ce pays et pour renforcer la capacité qu'ont les institutions démocratiques de promouvoir les droits de la personne et de les renforcer, ce qu'elles souhaitent parvenir à faire pour la plupart.

Mme Lynne Yelich: Si vous deviez présenter au comité vos demandes en ordre de priorité, outre la présence de l'ONU qui semblait être votre plus grand souhait, que demanderiez-vous ensuite? Je ne connais pas exactement le mandat de l'ACDI, mais j'ai besoin de vous entendre à nouveau là-dessus. Si je vous ai bien compris, les gens d'Amnistie internationale ne se font pas payer?

M. Alex Neve: Lui pas, mais moi si. Nous ne recevons pas de subventions du gouvernement, et c'est pourquoi nous dépendons complètement des dons individuels. Ce sont les Canadiens de partout qui nous envoient 10, 20 ou 70 $ par mois et nos ventes de gâteaux et d'autres activités de collecte de fonds qui nous financent et qui rendent notre recherche possible.

Mme Lynne Yelich: Dans ce cas, que demandez-vous aujourd'hui à l'ACDI? Je vous pose des questions toutes simples. Outre les grandes questions humanitaires et la reconnaissance... Demandez- vous autre chose? Si j'ai bien compris, vous n'acceptez pas la présence de l'armée. Donc, qui voulez-vous qui intervienne ou que voulez-vous exactement?

M. Alex Neve: Avons-nous chacun droit à notre demande la plus importante?

Mme Lynne Yelich: Je veux simplement vous entendre là-dessus.

M. Alex Neve: Ce que je souhaite en priorité, c'est que vous teniez compte des recommandations que nous avons faites eu égard aux défenseurs des droits de la personne. J'aimerais bien que cela devienne votre priorité absolue. Je dois dire que le gouvernement canadien, par le truchement de son ambassade à Bogota, a beaucoup fait pour essayer de soutenir les efforts des défenseurs des droits de la personne. Donc c'est quelque chose qui se fait déjà, mais qui doit être renforcé davantage. La situation est grave. Il est évident, à mes yeux, que la situation pourrait bénéficier d'un appui international vigoureux. Quand il est bien connu que la communauté internationale soutient les individus et les groupes de défense dans leurs efforts, ceux-ci jouissent d'une protection bien plus considérable.

• 1710

La présidente: Merci.

Nous passons maintenant aux questions de quatre minutes. M. Casey a manqué le tour des huit minutes. Aimeriez-vous avoir droit à quatre minutes?

M. Bill Casey (Cumberland—Colchester, PC/RD): Oui, j'aimerais beaucoup avoir droit à quatre minutes. Merci beaucoup.

Vous semblez faire confiance en quelque sorte au gouvernement. D'après ce que j'ai saisi, vous croyez que le gouvernement, dans la mesure où on lui en donnera l'occasion, prônera la justice et les droits de la personne. Est-ce exact?

M. Alex Neve: Je ne voudrais peut-être pas être aussi catégorique que cela, mais il y a certainement des gens au gouvernement de qui on pourrait dire cela. Il ne fait aucun doute que le gouvernement a pris des initiatives dans presque tous les dossiers que nous avons décrits aujourd'hui dans le but d'améliorer la situation. Mais je ne crois pas qu'il soit allé suffisamment loin sur aucun de ces fronts. Cette impuissance est due notamment au pouvoir que détiennent les forces armées et à l'influence que celles-ci continuent à avoir au pays. C'est peut-être aussi dû notamment au fait que le gouvernement n'a pas toujours montré autant de bonne volonté, de bonne foi ou de détermination qu'il aurait fallu. Je ne serais pas aussi catégorique que vous.

M. Bill Casey: Mais au moins, tout n'est pas noir.

M. Alex Neve: Non, je ne le crois pas.

M. Bill Casey: Pourriez-vous m'expliquer quelque chose? Nous avons parlé des forces paramilitaires. Y en a-t-il plusieurs ou une seule?

M. John Jones: Il y en a plusieurs.

M. Bill Casey: Combien?

M. John Jones: Nous ne savons pas. Il semble qu'elles soient basées localement, mais elles sont regroupées sous une force de coordination paramilitaire nationale. Cette organisation cadre s'appelle l'AUC, la «Autodefensas Unidas de Colombia», c'est-à-dire les Forces d'autodéfense unies de la Colombie. Mais leurs actions semblent être locales et on semble recruter localement.

Les gens de PBI signalent avoir noté dans les régions occupées par les forces paramilitaires qu'ils voient des paysans portant les costumes des autres régions, ce qui implique qu'il pourrait y avoir un certain mouvement des forces paramilitaires d'une région à l'autre. La plupart des gens recrutés le sont localement, mais nous ne pouvons pas en être absolument certains étant donné qu'il est, comme vous le comprendrez, très difficile de faire enquête. Mais il existe bel et bien un réseau d'organisations paramilitaires.

M. Bill Casey: Que considèrent-elles comme étant leur objectif?

M. John Jones: J'ai l'impression que, d'après elles, les forces armées ne font pas ce qu'il faut pour se débarrasser des guérilleros. Voilà pourquoi elles sont devenues les troupes de choc de la lutte contre les insurgés. C'est une des explications qui a été donnée. Je dirais qu'elles veulent principalement se débarrasser des guérilleros, c'est en tout cas un de leurs objectifs. Un autre objectif accessoire serait, semble-t-il, de simplement contrôler le territoire, peu importe la raison. C'est peut-être parce qu'elles pourraient éventuellement tirer profit d'une valeur accrue des terres. C'est peut-être un objectif des groupes locaux, mais l'objectif national est sans doute de battre les guérilleros.

M. Bill Casey: Quel pourcentage de la population représente les guérilleros, à votre avis?

M. John Jones: C'est difficile à dire. Il y a environ 18 000 guérilleros. Quelle proportion de la population les appuie? Que je sache, les urbains semblent appuyer vigoureusement ce que l'on appelle le processus de paix; il serait contre les guérilleros, mais aussi contre les paramilitaires.

Dans les campagnes, là où on trouve beaucoup de gens très marginalisés et très pauvres, là où les guérilleros semblent trouver la majeure partie de leurs appuis, je ne sais pas quelle proportion de la population les appuie. C'est difficile à dire, mais c'est une bonne question.

M. Bill Casey: Si je comprends bien, les paramilitaires et les militaires sont relativement liés et se soutiennent mutuellement.

M. John Jones: Oui, ils semblent être très proches dans certaines régions. L'organisation américaine Human Rights Watch a fait une enquête là-dessus. Elle a interviewé de plus la Fiscalia colombienne, c'est-à-dire le bureau du Procureur général. Il semble donc que dans certaines régions, des télécommunications existent, c'est-à-dire un échange d'informations, des communications par téléphone cellulaire et par radio, et la coordination.

• 1715

Prenez, par exemple, l'attaque des forces paramilitaires contre Barrancabermeja, en mai 1998: les forces armées y étaient, mais elles se sont en quelque sorte retirées avant l'attaque, ce qui est inusité, pour laisser entrer les forces paramilitaires. Puis, lorsque celles-ci sont reparties, après rempli leurs objectifs, l'armée est revenue.

On a observé cette tendance, à savoir l'armée qui bat en retraite et qui laisse la place à d'autres, avant de revenir. Ou, ce qu'on voit parfois arriver aussi, c'est une armée qui renonce lorsqu'elle apprend que les paramilitaires approchent; elle se laisse envahir par les paramilitaires sans bouger.

Autrement dit, tout démontre qu'il y a collusion. C'est l'organisation Human Rights Watch qui a fait le plus de recherche sur ce phénomène.

La présidente: Merci beaucoup. Nous reviendrons à vous au troisième tour.

Monsieur Dubé.

[Français]

M. Antoine Dubé: Je ne voudrais pas prendre trop de temps, mais j'ai une question relativement à l'avant-dernière page de votre mémoire où vous parlez du lien avec l'affaire Kimy Pernia. On peut lire:

    Kimy Pernia a participé à des réunions du Parlement canadien, qui ont mis au jour des renseignements indiquant que la S.E.E. aurait soutenu financièrement le concept du barrage d'Urrà.

Chaque mot veut dire quelque chose, mais il en manque un peu. Qu'est-ce que vous entendez par «soutenu»? Est-ce que vous l'entendez dans le sens où ce n'est pas correct? Pourquoi avez-vous mis ça là?

[Traduction]

M. Alex Neve: Le barrage Urra n'a pas été financé uniquement par des fonds de la SEE, mais certains fonds de la société ont effectivement servi à financer une partie des travaux.

Vous savez sans doute que l'érection même du barrage préoccupait énormément les gens de Kimy Pernia, c'est-à-dire les Autochtones de la collectivité d'Embera-Katyo qui peuplaient la région et qui estimaient que leur vie entière—mode de vie, environnement et gagne-pain—avait été détruite par l'érection du barrage. Kimy Pernia avait voulu soulever cette question de plus d'une façon auprès du gouvernement colombien et était venu à maintes reprises au Canada pour attirer l'attention du gouvernement et des groupes non gouvernementaux canadiens sur cette question.

Il était question à l'époque que l'on construise un deuxième barrage, Urra II mais Kimy Pernia ne voulait pas que les mêmes malheurs s'abattent à nouveau sur la région. Mais il voulait aussi demander que l'on indemnise la population pour les divers préjudices qu'elle avait subis à la suite de l'érection du premier barrage.

Ne devrait-on pas demander sérieusement si le financement de projet par la SEE n'oblige pas le Canada moralement ou juridiquement à indemniser dans une certaine mesure les populations touchées ou, tout au moins, si ce financement n'oblige pas le gouvernement canadien à inciter son homologue colombien à verser une indemnisation raisonnable.

[Français]

M. Antoine Dubé: Je vous remercie de dire cela parce que je vais examiner cela lors des futurs travaux du comité. En tout cas, je souhaiterais qu'on puisse inviter des gens de la SEE à ce comité pour qu'ils nous donnent leur version.

J'aurais une dernière question. Vous savez sans doute qu'il y a eu un nouveau mandat, qu'il y a une loi qui permet de clarifier le mandat de la SEE, et malheureusement... Comme vous êtes indépendant du gouvernement, vous allez sûrement pouvoir répondre à ma question. Est-ce que vous trouvez normal que la SEE ne soit pas obligée de suivre les règles en matière de droits de la personne dans ses interventions?

[Traduction]

M. Alex Neve: Oui. Tout comme pour les entreprises canadiennes exerçant leurs activités en Colombie, cette question nous préoccupe de plus en plus depuis un certain temps. Des organisations comme la nôtre doivent se demander dans quelle mesure les questions économiques et commerciales s'entrecroisent avec les questions des droits de la personne, et cela devrait les préoccuper très sérieusement.

• 1720

Nous venons tout juste de commencer à nous pencher sur les modifications à la politique et aux pratiques de la SEE relativement aux questions des droits de la personne. Nous n'avons encore rien couché sur papier ni rien proposé, mais ce qui nous préoccupe, c'est que les modifications proposées ne sont pas particulièrement exhaustives, ni détaillées, musclées ou même efficaces. Nous ne sommes pas convaincus que les mesures envisagées suffiront et que les décisions prises par la SEE suffiront pour éviter que ne se reproduisent des catastrophes comme celles du barrage Urra ni qu'on évitera que les fonds de la SEE ne servent éventuellement à violer les droits de la personne. J'imagine que nous ferons...

[Français]

M. Antoine Dubé: Quand pensez-vous pouvoir finir cette évaluation?

[Traduction]

M. Alex Neve: J'hésiterai à vous donner une date, mais nous espérons pouvoir proposer quelque chose au gouvernement sous peu, avec des recommandations sur la façon d'améliorer la situation.

La présidente: D'ici la fin de février?

M. Alex Neve: La fin de février? Est-ce parce que vous serez...

La présidente: Non, je ne faisais que poser la question.

M. Alex Neve: Cela pourrait être possible.

La présidente: Bien, merci. Vous pourrez peut-être nous faire parvenir vos commentaires.

Monsieur Casey, voulez-vous en profiter à nouveau?

M. Bill Casey: J'ai deux questions.

Au sujet d'Amnistie internationale, vous nous avez expliqué d'où provenaient vos ressources. Mais combien de gens font partie de votre effectif au Canada?

M. Alex Neve: Au Canada, 40 personnes travaillent pour nous, certaines à temps plein et d'autres à temps partiel, ce qui représente environ 30 postes équivalents temps plein.

M. Bill Casey: Sont-elles toutes à Ottawa?

M. Alex Neve: Non. Ce qui rend la situation encore plus complexe, c'est qu'il a deux chapitres d'Amnistie internationale au Canada: le chapitre francophone est à Montréal et compte huit à dix personnes. Notre bureau d'Ottawa représente le chapitre anglophone, mais nous avons également un bureau de taille moyenne à Toronto et un tout petit bureau à Vancouver.

M. Bill Casey: Comment choisissez-vous vos sujets d'étude?

M. Alex Neve: Nous fonctionnons à deux niveaux. En premier lieu, nous faisons du travail pour chaque pays; autrement dit, puisque nous sommes un mouvement international, nous essayons d'avoir un rayonnement à l'échelle du monde. Notre personnel de recherche professionnel, basé à notre bureau international de Londres, suit constamment tout ce qui se passe dans tous les pays du monde en matière de droits de la personne, y compris au Canada, et effectue un suivi de la problématique. Il y a donc quelqu'un qui suit de près ce qui se passe ici sur ce front, mais cette personne n'est évidemment pas canadienne, puisqu'on ne peut suivre ce qui se passe dans son propre pays.

En second lieu, nous avons un programme de travail qui cible certains thèmes qui nous préoccupent, comme la torture, les droits des entreprises et les droits de la personne, ou les droits des femmes. Ces thèmes changent de temps à autre et dépendent de la façon dont nous percevons l'évolution que suivent les grands défis mondiaux que posent les droits de la personne. Nous cherchons à cerner des tendances, et si nous constatons qu'un événement a une importance réelle du point de vue international, nous chercherons à lui donner une certaine priorité dans nos travaux.

Ainsi, actuellement nous sommes en plein milieu d'une campagne internationale très vigoureuse contre la torture, dont nous avons fait une de nos priorités ici au Canada, tout comme les autres sections d'Amnistie dans le monde. Pendant deux ans, ce sera un de nos dossiers les plus importants, et nous essaierons d'inciter les gouvernements à adopter des recommandations qui devraient en bout de piste mener peut-être pas à l'élimination complète de la torture mais, à tout le moins, à une diminution considérable de celle-ci.

M. Bill Casey: Vous dites que cela fait deux ans que vous travaillez à ce dossier?

M. Alex Neve: J'occupe le poste actuel de secrétaire général du chapitre anglophone d'Amnistie internationale Canada depuis...

M. Bill Casey: Et avant?

M. Alex Neve: Je suis avocat de formation, et au cours des 10 dernières années j'ai travaillé déjà pour Amnistie, à l'échelle internationale et à l'échelle nationale. J'ai pratiqué le droit et enseigné cette matière à la Faculté de droit d'Osgoode Hall à Toronto. Avant d'accepter ce poste-ci, j'étais membre de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié où j'entendais les demandes de statut de réfugié et me prononçais sur celles-ci.

M. Bill Casey: Une dernière petite question: Combien de gens travaillent à Londres?

M. Alex Neve: Quelque 400 personnes travaillent à Londres, dont la moitié environ font de la recherche. Vous comprendrez que puisque nous voulons avoir un rayonnement international, il nous faut beaucoup de gens pour y parvenir, mais c'est grâce à ces gens que nous accumulons des connaissances très impressionnantes pour chaque pays, grâce à nos recherchistes qui sont rattachés à une région du monde.

Certains de nos recherchistes ne sont rattachés qu'à un seul pays, comme c'est le cas pour la Chine. Mais vous pouvez imaginer l'ampleur du défi! D'autres, pour leur part, sont parfois chargés d'étudier la situation dans quatre ou cinq pays. Mais ces gens accumulent tous des connaissances impressionnantes.

Ils sont ensuite soutenus dans leurs travaux par une équipe de spécialistes juridiques et de spécialistes du droit international; ceux-ci doivent s'assurer que, dans le cadre de nos travaux, nous respectons toujours le cadre juridique international, puisque c'est sur quoi se fondent nos évaluations. En tout temps, nous cherchons à inciter le gouvernement à respecter les normes juridiques internationales, et nos travaux se fondent toujours sur ces normes.

• 1725

La présidente: Merci beaucoup.

Monsieur Proctor, c'est vous qui aurez le mot de la fin, à moins que quelqu'un d'autre ait une question pressante à poser.

M. Dick Proctor: C'est bien. Merci beaucoup.

Vous avez eu d'aimables paroles à l'égard de M. Bustamante, qui est chargé du programme de protection des droits de la personne. Mais on décrit ensuite ce programme comme étant «... un programme de mesures de protection entièrement pratiques». Pourriez-vous nous en parler un peu plus et nous expliquer ce qui manque à ces mesures?

M. John Jones: D'abord, ce qui manque tout simplement à ces mesures pratiques, ce sont les ressources. Le programme n'est pas assez riche et, comme il a fallu assez longtemps pour le mettre sur pied, il fait déjà face à un arriéré.

Les gens d'Amnistie ont rencontré M. Bustamante et ont conclu qu'il agissait de bonne foi et qu'il faisait de son mieux. Toutefois, nous avons constaté qu'on a beau essayer de fournir toute la protection voulue d'ordre pratique, cela ne représente toutefois pas la protection absolue. En dernière analyse, vous devez vous attaquer à la culture d'impunité qui existe: autrement dit, dès lors que les défendeurs des droits de la personne ou les syndicalistes sont assassinés, quelqu'un doit être justiciable.

M. Dick Proctor: En effet, et personne n'est actuellement tenu responsable.

M. John Jones: Non, personne ne l'est actuellement.

M. Dick Proctor: Je vois.

M. John Jones: Et la nouvelle loi sur la sécurité qui vient d'être adoptée rendra la tâche beaucoup plus facile à celui qui veut se disculper.

M. Dick Proctor: À cause de la nature même de la loi?

M. John Jones: Oui, parce que l'armée se voit accorder des pouvoirs de la police; autrement dit, l'armée affirme que si la Fiscal«a ne peut pas l'accompagner, elle devra régler le problème elle-même. Or, la Fiscal«a ne peut en pratique accompagner l'armée. Voilà pourquoi la nouvelle loi renforce en quelque sorte l'impunité. Amnistie et d'autres organisations affirment depuis longtemps que l'impunité est au coeur même du problème. On a beau instaurer toutes les mesures de protection possibles, elles ne suffiront pas.

M. Dick Proctor: Je vois.

La présidente: Merci beaucoup.

Madame Yelich.

Mme Lynne Yelich: Quel genre d'allégements fiscaux reçoivent ceux qui font des dons à Amnistie internationale? Vous êtes un organisme caritatif, n'est-ce pas?

M. Alex Neve: Nous le sommes. Nous avons le statut d'organisme caritatif au Canada, de sorte que tout don effectué à Amnistie internationale peut figurer sur la déclaration d'impôt des particuliers.

Mme Lynne Yelich: J'aimerais dire que vous m'avez fort impressionné tous les deux. Je siège aussi au comité de l'immigration, et j'aimerais beaucoup que vous puissiez venir nous voir à ce comité-là.

M. Alex Neve: Certainement.

Mme Lynne Yelich: Vous défendez fort bien votre cause. Si je pouvais vous aider, je le ferais sans aucun doute.

M. Alex Neve: Mais vous pourrez bientôt vous joindre au nouveau groupe parlementaire d'Amnistie internationale.

La présidente: Merci infiniment à tous les deux ainsi qu'à vos adjoints d'avoir comparu. Votre témoignage nous a été bien précieux. Nous ferons en sorte que vous receviez un exemplaire de notre rapport, et nous aimerions bien que vous fassiez de même avec le vôtre. Merci.

La séance est levée jusqu'à nouvelle convocation de la présidence, c'est-à-dire sans doute le 21 novembre.

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