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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


Témoignages du comité

TABLE DES MATIÈRES

Le mardi 26 février 2002




Á 1140
V         Le président (M. Andy Scott (Fredericton, Lib.))
V         Mme Maggi McLeod (vice-présidente, Éducation, Patrouille canadienne de ski)

Á 1145

Á 1150
V         Le président
V         M. Sean P. McManus (adjoint du président général, Opérations canadiennes, Association internationale des pompiers)

Á 1155

 1200
V         Le président
V         Mme Joan Bercovitch (directrice principale, Affaires légales et gouvernementales, Association du Barreau canadien)

 1205
V         Le président
V         M. Marc David (trésorier, Section nationale de droit pénal, Association du Barreau canadien)

 1210
V         Le président
V          M. Jason Gratl (membre, conseil d'administration, British Columbia Civil Liberties Association)

 1215

 1220
V         Le président
V         M. Brian Fitzpatrick (Prince Albert, AC)

 1225
V         M. Jason Gratl
V         M. Fitzpatrick
V         M. Marc David
V         Le président
V         M. Michel Bellehumeur (Berthier--Montcalm, BQ)
V         M. Marc David

 1230
V         M. Michel Bellehumeur
V         M. Marc David
V         M. Michel Bellehumeur
V         M. Marc David
V         M. Michel Bellehumeur
V         M. Marc David
V         M. Michel Bellehumeur
V         Le président
V         M. Marc David
V         Le président
V         M. Michel Bellehumeur
V         Le président
V         M. Strahl

 1235
V         M. Marc David
V         M. Strahl
V         M. Jason Gratl
V         M. Strahl

 1240
V         Le président
V         M. Strahl
V         M. Jason Gratl
V         Le président
V         M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.)

 1245
V         M. Sean McManus
V         M. John McKay
V         M. Sean McManus
V         Le président
V         Mme Maggi McLeod

 1250
V         M. John McKay
V         Mme Maggi McLeod
V         M. John McKay
V         Le président
V         M. Marc David
V         Le président
V         M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC/RD)

 1255
V         M. Marc David
V         M. Peter MacKay
V         M. Marc David
V         M. Peter MacKay
V         M. Jason Gratl

· 1300
V         Le président suppléant (M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.))
V         M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.)
V         M. Marc David
V         M. Paul Harold Macklin
V         M. Marc David
V         M. Paul Harold Macklin
V         M. Sean McManus
V         M. Macklin
V         Mme Maggi McLeod
V         M. Paul Harold Macklin
V         M. Jason Gratl
V         M. Paul Harold Macklin
V         M. Jason Gratl
V         Le président suppléant (M. Ivan Grose)
V         M. Marc David

· 1305
V         M. Paul Harold Macklin
V         M. Marc David
V         M. Paul Harold Macklin
V         Le président suppléant (M. Ivan Grose)
V         M. Strahl

· 1310
V         M. Jason Gratl
V         M. Strahl
V         M. Jason Gratl
V         M. Strahl
V         M. Marc David
V         M. Strahl
V         M. Marc David
V         M. Strahl
V         M. Marc David

· 1315
V         M. Strahl
V         M. Marc David
V         M. Chuck Strahl
V         Le président suppléant (M. Ivan Grose)
V         M. Marc David
V         Le président suppléant (M. Ivan Grose)










CANADA

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 065 
l
1re SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

Témoignages du comité

Le mardi 26 février 2002

[Enregistrement électronique]

Á  +(1140)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Andy Scott (Fredericton, Lib.)): Je déclare ouverte la 65e séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Nous étudierons aujourd'hui le projet de loi C-217, Loi permettant le prélèvement d'échantillons de sang au profit des personnes chargées de l'application et de l'exécution de la loi et de bons samaritains et modifiant le Code criminel. Nous accueillons quatre groupes de témoins, qui alimenteront nos délibérations sur cet important projet de loi d'initiative parlementaire parrainé par M. Strahl.

    Veuillez pardonner notre léger retard. Nous avons été retenus par un vote, comme vous l'aviez peut-être compris. J'espère que certains d'entre vous pourront rester après 13 heures, ce qui nous permettrait de prolonger quelque peu la séance.

    Sur ce, j'aimerais vous présenter rapidement les témoins, qui sont Jason Gratl, de la British Columbia Civil Liberties Association, Maggi McLeod, de la Patrouille canadienne de ski, Sean McManus, de l'Association internationale des pompiers, ainsi que Joan Bercovitch et Marc David, de l'Association du Barreau canadien.

    Je crois que M. Gratl préférerait parler le dernier; j'invite donc Maggi McLeod, de la Patrouille canadienne de ski, à prendre la parole.

+-

    Mme Maggi McLeod (vice-présidente, Éducation, Patrouille canadienne de ski): Je veux vous remercier de m'accorder la chance, et même le privilège, de vous entretenir aujourd'hui.

    Je dois d'abord admettre qu'il m'est plus facile d'aborder cette question devant le comité maintenant que d'autres l'ont fait avant moi. J'ai l'avantage d'avoir déjà entendu quelques-uns des témoignages présentés au comité et le luxe de pouvoir simplement apporter une nouvelle perspective à certains aspects déjà soulevés dans d'autres témoignages, plutôt que d'avoir à m'aventurer dans des sujets nouveaux.

    Je ne suis ni policière, ni pompière. Je ne travaille ni pour des services d'urgence médicale, ni pour un établissement de santé professionnel. Je suis directrice générale d'un petit organisme de bienfaisance canadien, qui vient en aide aux habitants de la petite République du Bélarus qui ont été touchés par la tragédie de Tchernobyl. Ce n'est toutefois pas mon travail qui m'amène ici aujourd'hui, mais ma passion pour ce que je fais à titre de bénévole. Depuis onze ans, je fais partie de la Patrouille canadienne de ski, dont le mandat est de promouvoir la sécurité en ski et d'offrir des services de premiers soins et de sauvetage aux skieurs du Canada. La Patrouille compte plus de 5 500 membres volontaires ou employés rémunérés de centres de ski qui assurent ce précieux service essentiel au bon fonctionnement des centres de ski du Canada.

    Depuis plus de 60 ans, la Patrouille canadienne de ski enseigne les techniques de premiers soins et de sauvetage. Notre cours de premiers soins est reconnu comme l'un des meilleurs. La formation exigée la première année compte près de cent heures, après quoi, chaque année, les patrouilleurs doivent suivre un cours d'appoint.

    Les membres de la Patrouille canadienne de ski exercent différents métiers. La plupart sont des bénévoles qui travaillent dans d'autres domaines. La patrouille se compose donc de médecins, d'avocats, d'infirmières, de soldats, de fonctionnaires, de directeurs généraux, de personnes au foyer, tous attirés par une passion commune: le ski. Nous demeurons au sein de l'organisme parce que nous sommes résolument engagés à aider les gens.

    Notre fonction principale, bien sûr, est de prodiguer les premiers soins aux skieurs blessés dans notre région et de les secourir. Notre travail nous amène à aider autant des blessés graves que ceux qui n'ont besoin que d'un diachylon. Lorsque nous sommes appelés sur le lieu d'un accident, très souvent nous ne savons pas ce qui nous y attend. Il y a à peine un mois, des patrouilleurs de la région d'Ottawa sont intervenus dans un accident qui a finalement coûté la vie à un jeune skieur. Le ski est considéré comme un sport à risque élevé. Les accidents impliquent souvent des collisions à haute vitesse avec des objets inanimés, comme des arbres. Il arrive que ce soit les arbres qui remportent la bataille, malgré nos efforts les plus acharnés.

    Chaque année, nous assurons également les services de premiers soins lors de divers autres événements, comme des tournois de golf ou de hockey, des marathons ou des campagnes de financement d'autres organismes de bienfaisance canadiens. Nos bénévoles connaissent très bien les techniques de premiers soins et ils sont prêts à les appliquer où qu'ils soient: au travail, dans la rue ou sur la route. Nous sommes de ces gens qui arrêtent sur les lieux d'accident au bord de la route, parce que nous nous sentons le devoir de secourir les victimes, car nous en avons les compétences. Nous sommes souvent ceux qui appellent le 911 et les premières personnes sur les lieux. Je suppose que cela fait de nous de bons samaritains, bien que je ne pense pas que nous nous voyions vraiment sous cet oeil.

    Jusqu'en décembre 1999, lorsque la PCS a appris l'existence de ce projet de loi par l'un de ses membres également travailleur paramédical, j'ignorais complètement que, du moins au regard de la loi, j'avais moins de droits que la victime à laquelle je porterais secours. On m'a bien appris à toujours prendre des précautions universelles, ce que je fais, mais ces précautions ne sont ni absolues, ni obligatoires, ni infaillibles. Un accident peut arriver, même si nous faisons très attention. Le poste que j'occupe au travail montre bien quelles peuvent être les conséquences d'un accident.

    Je ne m'étais jamais même demandé ce qui pourrait arriver si une personne que j'avais aidée refusait de fournir un échantillon de sang après que j'ai incidemment été exposée à ses liquides organiques. J'ai toujours cru que mes droits seraient protégés, particulièrement si je faisais quelque chose de bien pour quelqu'un d'autre. À la lumière de ce que je sais aujourd'hui, je me rends compte que j'étais bien naïve, mais il m'apparaît toujours aussi inconcevable que quelqu'un puisse refuser de fournir un échantillon de sang. Je me suis longuement demandé pourquoi quelqu'un aurait le droit de refuser et dans quelle situation cela serait justifié, mais je n'ai pas trouvé de réponse sensée.

Á  +-(1145)  

    Pour comprendre la position de nos membres, imaginez le scénario qui suit. Votre femme ou votre mari et votre enfant sont en route pour aller vous chercher à l'aéroport. C'est un vol de fin de soirée, et il pleut. Sans qu'il y ait eu faute de la part du conducteur, l'automobile quitte la route. Les deux sont inconscients dans la voiture, gravement blessés. Un secouriste passe par les lieux de l'accident et s'arrête. En quelques secondes, il évalue la situation, juge qu'elle ne présente aucun danger immédiat pour lui (aucune ligne de haute tension n'est tombée, la voiture est sur ses quatre roues, aucune fumée ne s'en échappe). Il stationne donc sa voiture, allume ses feux de détresse, prend son cellulaire et court en direction de la voiture. Ce faisant, il fait le 911 pour signaler l'urgence. Il regarde par la fenêtre de la voiture, voit qu'il y a du sang partout à l'intérieur et remarque les deux blessés immobiles. En disant à la réceptionniste du 911 qu'un adulte et un enfant inconscients saignent abondamment, il enfile une paire de gants pour se protéger. Il en prend une deuxième et une troisième paire. Il ouvre prudemment la porte, en s'assurant de ne déplacer aucun des deux blessés, et vérifie que le système de démarrage est verrouillé.

    Que fait-il ensuite? S'arrête-t-il pour se demander ce qui arrivera s'il entre en contact avec ce sang? Et si la personne blessée refusait de fournir un échantillon de sang après coup? Doit-il prendre le risque de toute façon et aider la personne blessée? Referme-t-il simplement la porte en attendant que les secours professionnels arrivent avant de faire quoi que ce soit, pendant que votre famille baigne dans son sang dans la voiture? Je ne crois pas.

    Dans de telles situations, notre formation prend le dessus, et nous sommes pratiquement sur le pilote automatique. Jusqu'alors, dans notre naïveté, nous ne nous serions jamais arrêtés au risque. Le devrions-nous maintenant? Peut-être, si nous ne vivons pas au Québec. Si nous choisissions de ne pas porter secours au Québec, nous pourrions contrevenir à la Charte des droits et libertés de la personne, chapitre I, article 2, qui porte sur le droit au secours. Selon cet article:

Toute personne doit porter secours à celui dont la vie est en péril, personnellement ou en obtenant du secours, en lui apportant l'aide physique nécessaire et immédiate, à moins d'un risque pour elle ou pour les tiers ou d'un autre motif raisonnable.

    On peut se demander ce que peut être un motif raisonnable. Certains croient que c'est un choix que nous faisons et que nous devons assumer les risques qui y sont associés, quelle qu'en soit l'ampleur. Cela pourrait très bien être vrai, sauf au Québec bien sûr, où la Charte nous oblige à porter secours. Au Québec, il est même possible d'être poursuivi pour violation des droits de la personne blessée si nous choisissons de ne pas l'aider. C'est un choix intéressant: violer la loi ou courir un risque contre lequel vous n'auriez aucun recours.

    Pourquoi décidons-nous d'arrêter et d'aider, en fait? Même au Québec, je ne crois pas que ce soit parce que la loi nous y oblige. Comme les professionnels des services d'urgence que nous aidons, nous avons fait le choix conscient de secourir les gens. Il y a deux semaines à peine, sur un vol vers l'Europe, j'ai eu recours à mes connaissances en premiers soins pour aider quelqu'un. Je ne me vois pas passer mon chemin devant le lieu d'un accident où aucun personnel d'urgence n'est arrivé. J'ose espérer que si c'était moi la victime, quelqu'un d'autre s'arrêterait pour m'aider. Pas vous?

    N'espéreriez-vous pas que je vous aide s'il vous arrivait un quelconque accident, une réaction allergique, un arrêt cardiaque ou un infarctus ici, dans la salle? Ne seriez-vous pas content que quelqu'un dans la pièce ait reçu la formation nécessaire pour vous aider? Comprenez bien que je ne doute pas une seconde que quiconque dans cette salle refuserait de me fournir un échantillon de sang si le besoin s'en faisait sentir, mais ce n'est pas là la question. Il s'agit plutôt de savoir si vous voulez vraiment que j'y réfléchisse plutôt que de concentrer mes efforts à vous aider, vous ou votre famille?

    Mis à part au Québec, compte tenu de la situation actuelle—que si ce projet de loi n'est pas adopté, nous demeurerons inégaux au regard de la loi—, il serait peut-être bon de se demander ce qui pourrait arriver si des gens refusaient de porter secours. Seront-ils toujours enclins à porter secours s'ils savent qu'en vertu de la loi, la vie privée de ceux qu'ils ont aidés prime sur le fait qu'il acceptent de les aider? Peut-être.

    Dans des exposés récemment faits au comité, j'ai entendu que cela ne semblait pas toucher beaucoup de gens. Par exemple, quelqu'un a dit que la possibilité qu'une personne soit infectée par le sang des victimes d'un accident est tellement mince qu'elle devrait être considérée négligeable. La conclusion logique de cette réflexion serait que le projet de loi C-217 équivaudrait à tuer une mouche avec un canon. Je ne peux pas être d'accord. Qu'une seule personne sente que sa santé passe après la vie privée d'une autre personne au regard de la loi est suffisant pour que ce soit un problème sur lequel il faut se pencher.

Á  +-(1150)  

    La PCS reconnaît et appuie certainement le fait qu'il doit y avoir des mécanismes de contrôle rigides pour protéger la vie privée de ces personnes. Ce droit, cependant, ne doit pas empiéter sur celui d'autres personnes de protéger leur santé, qu'il s'agisse de travailleurs d'urgence, de bénévoles ou simplement de bons samaritains. Vous avez les connaissances et les pouvoirs nécessaires pour mettre en équilibre ces deux droits, pour trouver le point délicat mais essentiel pour que ce type de projet de loi protège tout le monde.

    Je vous remercie encore de m'avoir permis de m'adresser à vous; je serai plus qu'heureuse de répondre à vos questions.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Dans mon empressement à commencer parce que nous étions en retard, j'ai omis de préciser nos règles de base. Vous avez fort bien réussi à comprendre mes signaux, madame McLeod, ce dont je vous remercie.

    Les témoins ont habituellement 10 minutes pour faire leur déclaration et, s'il y a plus d'un présentateur dans le groupe, ils se partagent le temps.

    J'aimerais également souligner la présence d'une délégation qui accompagne l'Association du Barreau canadien. Il s'agit de membres du comité du droit criminel de l'Association des avocats de la Chine désireux d'en apprendre davantage sur le fonctionnement du système législatif canadien.

    Je vous souhaite la bienvenue ainsi qu'un excellent séjour. Nous espérons que votre visite ici aura fait de vous des amateurs de hockey.

    Sur ce, la parole va à M. McManus.

+-

    M. Sean P. McManus (adjoint du président général, Opérations canadiennes, Association internationale des pompiers): Monsieur le président, je vous remercie.

    Bonjour. Je m'appelle Sean McManus et je suis l'assistant du président général pour le bureau canadien de l'Association internationale des pompiers, soit l'AIP. Au nom du président général, M. Harold Schaitberger, et des quelque 17 000 pompiers professionnels et intervenants d'urgence que nous représentons au Canada, je vous suis reconnaissant de me fournir ainsi l'occasion d'exposer notre position au sujet du projet de loi C-217, Loi sur le prélèvement d'échantillons de sang, car il touche à d'importantes questions de santé et de sécurité qui intéressent nos membres, qui sont les intervenants de première ligne dans le domaine des interventions d'urgence.

    Au nom de nos 245 000 membres répartis un peu partout en Amérique du Nord, j'aimerais tout d'abord remercier chacun d'entre vous personnellement pour les nombreuses condoléances et marques d'appui qui sont venues de la Colline parlementaire lorsque plus de 340 membres de notre association sont morts dans les attaques contre le World Trade Center, le 11 septembre. Ces braves professionnels ont fait preuve d'un altruisme et d'un sens du service public exceptionnels lorsqu'ils ont donné leur vie, ce jour-là, pour que d'autres puissent vivre. Nous aussi, nous continuons de pleurer leur perte.

    Au départ, nous tenons à bien faire comprendre que l'AIP appuie et revendique le droit pour le pompier de savoir qu'il risque d'être exposé à une maladie infectieuse ou qu'il l'a été. Il est déjà suffisamment dangereux de combattre des incendies sans y ajouter le stress et la menace que représente pour le pompier le fait de ne pas avoir cette information vitale ou de ne pas pouvoir l'obtenir. Comme le montrera notre exposé, nous entretenons certaines réserves quant à la façon dont le projet de loi est actuellement libellé. Nous ne sommes pas sûrs qu'il permettrait aux pompiers d'obtenir l'information opportune de manière à pouvoir prendre une décision éclairée au sujet du traitement médical à obtenir. À cet égard, nous proposons quelques changements qui tiennent compte de ces préoccupations.

    Combattre des incendies est déjà une occupation dangereuse. Bien que la plupart sachent que les pompiers sont couramment exposés à des fumées toxiques et à un milieu de travail dangereux dans l'exercice de leurs fonctions, il faut aussi savoir qu'ils sont souvent confrontés, sur le lieu d'un incendie, d'une urgence médicale ou d'un accident de la route par exemple, à des agents pathogènes lorsqu'ils s'occupent de blessés qui perdent peut-être beaucoup de sang à cause d'un traumatisme ou qui sont peut-être porteurs d'une maladie infectieuse transmissible dans l'air.

    Pour illustrer ce point, une étude menée en 1998 auprès de pompiers professionnels a révélé qu'un pompier sur 32 avait été exposé à une maladie transmissible dans l'exercice de ses fonctions, durant cette année-là. Les maladies les plus courantes sont la tuberculose, le VIH/sida, la méningite, l'hépatite C et l'hépatite B. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent de ces expositions se sont produites sur le lieu d'une situation d'urgence, dont 87,4 p. 100 lorsque le pompier répond à une urgence médicale, 8,7 p. 100 durant la lutte contre des incendies et 2,9 p. 100 durant des opérations de sauvetage.

    Il faut que la victime d'un incendie ou d'un accident soit écartée du danger le plus vite possible afin d'améliorer ses chances de survivre. Cela signifie que l'intervenant d'urgence doit agir rapidement, souvent sans égard à sa propre sécurité. La victime est alors souvent difficile à atteindre la victime, par exemple dans un véhicule très endommagé ou dans un immeuble dont la structure a été endommagée. Une fois que la victime est dégagée, il se peut que les pompiers aient à prodiguer des soins sur place, allant des premiers soins de base à l'utilisation de techniques invasives pour sauver la vie. C'est durant de pareilles opérations où chaque minute compte que le pompier peut être exposé à des agents pathogènes et à des maladies transmissibles.

    Lors du dégagement des victimes et de l'administration de soins médicaux, l'intervenant d'urgence ne sait presque jamais si la victime a une maladie infectieuse. Pour deux raisons extrêmement importantes, il faut que le pompier ait le droit de savoir le plus tôt possible s'il a été exposé à une maladie infectieuse dans l'exercice de ses fonctions. La première est que, s'il y a eu exposition, il est d'une importance capitale d'obtenir au plus vite un traitement prophylactique ou tout autre soin médical approprié. La seconde est que le stress émotionnel de ne pas savoir peut devenir d'un poids insoutenable pour le pompier et sa famille.

Á  +-(1155)  

    Au Canada, l'information sur les maladies infectieuses relève actuellement d'un protocole fédéral adopté en 1995 et repris au niveau provincial par la Colombie-Britannique, l'Alberta, la Saskatchewan et l'Ontario. Le protocole décrit en détail la manière dont les intervenants d'urgence peuvent obtenir les informations au sujet de l'état d'infection des personnes avec lesquelles ils ont été en contact dans l'exercice de leurs fonctions. Le protocole s'applique quand l'intervenant d'urgence entre en contact avec le sang ou d'autres liquides biologiques d'une autre personne, soit par contact avec sa peau ou avec une muqueuse—ou s'il a été exposé à une maladie transmissible par aérosol, par exemple la tuberculose—lorsqu'il soigne, traite, assiste et transporte cette personne ou entre en contact d'une façon quelconque avec elle dans le cadre de ses fonctions.

    Selon le protocole fédéral existant, l'employeur désigne un agent—qui est un employé du service soit d'incendie, de police ou d'urgence et qui a une expérience manifeste dans la prévention des infections—qu'il charge de coordonner les requêtes et les réponses. L'agent désigné doit respecter de strictes règles de confidentialité en ce qui concerne l'état d'infection de l'intervenant d'urgence et de la victime. C'est lui qui a la responsabilité de maintenir la liaison avec le ministère, avec tous les professionnels de la santé du milieu et avec l'agent de santé publique local. L'agent désigné a aussi la responsabilité d'enquêter sur les cas d'exposition, d'aviser les membres de leur exposition, de la documenter et de s'assurer qu'il y a un suivi médical convenable.

    Si l'agent désigné juge après avoir fait enquête qu'un intervenant d'urgence a été exposé à une maladie dans l'exercice de ses fonctions, il peut demander par écrit au service de santé qui a accueilli la victime de le renseigner sur l'état d'infection de la victime. Il faut que cette requête soit faite dans les 48 heures suivant l'exposition.

    Le service de santé qui a accueilli la victime est par ailleurs tenu d'avoir en place une procédure permettant de répondre à ces requêtes, de même que des formalités pour aviser d'office l'agent désigné de l'état de santé de toute victime atteinte de tuberculose pulmonaire infectieuse qui a été transportée par les intervenants d'urgence de son employeur. À leur tour, les services d'incendie, de police et d'urgence doivent avoir en place des formalités grâce auxquelles leurs intervenants d'urgence peuvent demander à l'agent désigné de l'information sur un cas avéré d'exposition, de même que des formalités grâce auxquelles l'agent désigné peut convenablement accomplir son travail, soit traiter toutes les demandes d'information concernant une exposition. Le protocole actuel prévoit que, s'il connaît l'état d'infection de la victime, le service de santé qui l'a accueillie est tenu d'en faire rapport à l'agent désigné.

    J'ai abondamment parlé des protocoles de notification prévus pour les intervenants d'urgence parce que nous arrivons au coeur des questions suscitées par le projet de loi C-217. Contrairement aux protocoles de notification, qui s'appuient sur des prélèvements sanguins déjà existants, la Loi sur le prélèvement d'échantillons de sang propose des mesures coercitives pour obtenir des échantillons de sang de la personne qui refuse d'en fournir. Si l'on met de côté les protections constitutionnelles pour un instant, si le processus d'obtention du mandat faisait au départ partie du protocole de notification de maladies infectieuses déjà en existence, plusieurs inquiétudes au sujet de la confidentialité seraient dissipées. En d'autres mots, le processus judiciaire ne s'imposerait que si le service de santé n'a pas l'information requise ou si la victime n'a pas été traitée par un service de santé. C'est pourquoi les provinces qui n'ont pas encore adopté de protocole de notification seraient obligées de le faire pour que tous les pompiers et intervenants d'urgence du Canada tout entier aient droit à la même protection et soient soumis aux mêmes règles. Pour l'instant, cette uniformité n'existe pas.

    L'AIP appuie l'insertion d'une disposition précisant que la demande d'émission d'un mandat doit être faite à l'origine par l'employeur par l'intermédiaire de son agent désigné, plutôt que par la personne exposée. Ainsi, comme il est question uniquement d'exposition à des maladies infectieuses dans le cadre de ses fonctions, tous les coûts associés à l'exécution du mandat et à l'obtention de l'échantillon de sang devraient être assumés par l'employeur, comme c'est le cas actuellement sous le régime d'un protocole de notification de maladies infectieuses.

    Quant à certains mots employés dans le projet de loi C-217, l'AIP propose que l'expression «virus désigné» devienne «maladie infectieuse désignée» de manière à inclure expressément l'infection pulmonaire tuberculeuse, l'hépatite B, l'hépatite C, le VIH/SIDA, la diphtérie, les fièvres virales hémorragiques, la méningococcie, la peste et la rage. De plus, il faudrait remplacer dans le projet de loi le mot «contact» par les expressions «inhalation» et «exposition percutanée et cutanéo-muqueuse», cette dernière expression désignant les expositions par la peau ou par une muqueuse respectivement. On inclurait ainsi les situations où l'agent pathogène est introduit dans le corps de l'intervenant d'urgence, par exemple, s'il se pique avec une aiguille sur laquelle il y a du sang, s'il se coupe avec un objet contaminé et tranchant ou s'il est contaminé par du sang ou des liquides biologiques parce qu'il a une plaie ouverte, une excoriation, une irritation ou un cuticule brisé. Seraient aussi visées les situations où la personne reçoit du sang ou des liquides biologiques dans les yeux, le nez ou la bouche. L'exposition par aérosol signifie qu'il y a un contact avec une personne soupçonnée d'avoir une maladie qui se transmet par voie aérienne ou dont la maladie est confirmée ou encore avec de l'air qui peut contenir des microbes disséminés par aérosol. Ces changements ne feraient que reprendre les termes utilisés dans les protocoles actuels de notification de maladies infectieuses adoptés à l'égard des intervenants d'urgence.

  +-(1200)  

    L'AIP soutient aussi que toute la question de la notification de maladies infectieuses, telle que traitée dans le projet de loi C-217, exige la plus stricte confidentialité.

    En guise de conclusion, l'Association internationale des pompiers appuie sans réserve le droit du pompier de connaître l'état d'infection d'une personne avec laquelle il est entré en contact dans le cadre de ses fonctions de manière à pouvoir obtenirle plus tôt possible le traitement prophylactique qui convient, par exemple, et de pouvoir éliminer le stress qui découle de ne pas savoir. C'est pourquoi il est d'une importance critique d'avoir en place un régime grâce auquel le pompier exposé peut rapidement obtenir de l'information sur l'état d'infection de la personne avec laquelle il est entré en contact dans le cadre de son travail. Toutefois, il importe aussi d'examiner de près les définitions du projet de loi au sujet de ces questions, de faire assumer par l'employeur les coûts associés à toute le processus de notification d'une maladie infectieuse et de traiter avec le plus grand respect les questions de confidentialité dans ce processus.

    À nouveau, je vous remercie de m'avoir permis de venir vous parler ce matin d'une question que nos membres ont beaucoup à coeur. Je serai plus qu'heureux de répondre à vos questions.

+-

    Le président: Je vous remercie beaucoup.

    Nous cédons maintenant la parole aux représentants de l'Association du Barreau canadien.

+-

    Mme Joan Bercovitch (directrice principale, Affaires légales et gouvernementales, Association du Barreau canadien): Bonjour. Je m'appelle Joan Bercovitch et je suis directrice principale des Affaires légales et gouvernementales à l'Association du Barreau canadien.

[Français]

    Le Barreau canadien est une organisation qui regroupe plus de 37 000 juristes de partout au Canada. Parmi nos buts et objectifs se trouvent l'amélioration du droit et de l'administration de la justice. Les propos qu'on vous présente aujourd'hui sont conformes à ces buts et objectifs.

  +-(1205)  

[Traduction]

    Notre mémoire va être présenté par Me Marc David, avocat de la défense de Montréal. Il enseigne aussi à la faculté de droit de McGill et au Barreau du Québec. Enfin, Marc est membre de notre Section nationale de droit pénal. C'est lui qui va vous exposer notre mémoire et répondre à vos questions.

    Je vous remercie.

+-

    Le président: Monsieur David.

+-

    M. Marc David (trésorier, Section nationale de droit pénal, Association du Barreau canadien): Monsieur le président et membres du comité, je vous remercie de m'offrir cette occasion de prendre la parole devant vous.

    Manifestement, le point de vue de la Section de droit pénal de l'Association du Barreau canadien est très différent de ce que vous avez entendu jusqu'ici ce matin, en ce sens que nous n'avons manifestement pas d'enjeu pratique dans ce dossier. Nous n'occupons pas une des professions ou occupations qui sont ciblées par le projet de loi et auxquelles il confère un droit d'accès à d'éventuels échantillons de sang ou aux résultats des analyses sanguines.

    La Section nationale de droit pénal appuie l'esprit dans lequel est rédigée cette loi. Nous y voyons des points forts, position que nous avons exposée dans un mémoire de trois pages qui vous a été distribué. Je vais souligner les quatre grands points que nous estimons préoccupants.

    Comme je l'ai déjà dit, nous sommes en principe favorables aux mesures ou aux dispositions envisagées dans cette loi. Il est difficile de ne pas être pour ce genre de loi quand, dans le monde actuel, nous savons que les divers intervenants d'urgence peuvent contracter toutes sortes de maladies infectieuses très graves. Toutefois, il faudra que votre comité et, en fin de compte, le Parlement pèsent les différents intérêts en jeu.

    Cette loi exige une mise en équilibre. Manifestement, il faut protéger le droit à la vie privée des Canadiens. D'une part, il faut protéger le droit à la vie privée de certaines personnes qui ne veulent tout simplement pas savoir qu'elles sont atteintes de certaines maladies infectieuses. D'autre part, il faut protéger le caractère confidentiel de l'information qui sera obtenue si quelqu'un est tenu de donner des prélèvements de sang et de se soumettre à une analyse sanguine. Enfin, il faut se demander si la loi porte atteinte à l'intégrité physique puisqu'il est question d'échantillons sanguins, une forme beaucoup plus grave d'atteinte que le prélèvement de salive, de cheveux ou d'autres parties du corps. Par contre, il ne faut pas oublier l'intérêt d'une éventuelle nouvelle victime d'une maladie infectieuse, telle que décrite par le projet de loi, notamment les pompiers, les techniciens d'urgence, les agents de police et de paix. C'est donc là qu'il y a conflit ou qu'il faut peser les intérêts de chacun.

    Comme je l'ai dit, nous souhaitons faire ressortir quatre grands points dans l'introduction. Tout d'abord, nous craignons que les articles 14 et 15 du projet de loi qui disposent que les résultats des analyses sont confidentiels ne vont pas assez loin. Nous préférerions que les résultats puissent être détruits, ce que la législation ne prévoit pas actuellement. Nous recommanderions également que les résultats puissent être mis sous scellés, un peu comme les dispositions actuelles du Code criminel à l'article 487.3 relatif à la mise sous scellés du mandat de perquisition. Nous estimons donc que le caractère confidentiel de l'information n'est pas suffisamment protégé.

    La deuxième source de préoccupation est la création—j'éviterai de parler d'infraction—de l'éventualité, à l'article 9, que quelqu'un ne fasse l'objet d'un mandat lorsqu'il ne se soumet pas à un prélèvement d'échantillon de sang ou qu'il refuse de le faire. Cette disposition nous inquiète dans la mesure où elle ne prévoit pas la possibilité que la personne a une excuse raisonnable de ne pas se conformer au mandat.

    Troisième point, la Section de droit pénal de l'Association du Barreau canadien est inquiète du fait que le processus d'autorisation du mandat relève d'un juge au sens de l'article 2 du Code criminel. Nous recommandons que la loi, si elle est adoptée, prévoit que la question soit portée devant soit un juge de la cour provinciale ou un juge de la cour supérieure. On retrouve des dispositions analogues ailleurs dans le Code criminel quand il y a atteinte plutôt grave au droit à la protection de la vie privée des Canadiens. Il y en a notamment deux exemples dans les dispositions qui traitent de la mise sous écoute électronique.

  +-(1210)  

    Si vous vous référez au paragraphe 184.2(2) du Code criminel, vous constaterez que, lorsque l'État cherche à obtenir une autorisation pour placer sous écoute électronique une personne au Canada, il faut que la demande soit soumise à un juge soit de la cour provinciale soit de la cour supérieure, et que cet article exclut la possibilité d'obtenir une autorisation judiciaire d'un juge, ce qui revient en fait à un juge de la paix. Le point a son importance parce qu'il faut comprendre qu'au Canada, le juge de la paix n'a pas forcément une formation de juriste. Au Québec à tout le moins, je puis vous dire que le rôle du juge de paix est souvent assumé par un simple fonctionnaire qui travaille pour le ministère de la Justice.

    Vous trouverez à nouveau dans le Code criminel un autre exemple d'autorisation qui doit être obtenue d'un juge de la cour provinciale ou de la cour supérieure plutôt que d'un juge. C'est au paragraphe 187.05(1), qui concerne le prélèvement d'ADN.

    Voilà donc deux exemples de situations où le Parlement, dans le passé, a exigé qu'un juge plutôt qu'un juge de paix soit saisi de la question lorsque l'atteinte à la vie privée est plus grave. Nous estimons que le projet de loi à l'étude est justement un de ces cas où l'atteinte à l'intégrité physique de la personne visée justifie que la demande soit présentée à un juge.

    Le dernier point que je souhaite soulever sur une base préliminaire se trouve au paragraphe 3 de la page 2 de notre mémoire. C'est le point central du mémoire. Le projet de loi à l'étude n'exige nulle part qu'il y ait des motifs médicaux objectifs pour justifier qu'une personne demande l'autorisation ou qu'un juge autorise la délivrance du mandat. Je vous renvoie bien sûr aux articles 3 et 5 de la loi où sont énumérés, aux alinéas a), b), c) et d) les critères pour la délivrance d'un mandat. Nulle part dans les alinéas b) et c) n'est-il question de l'obligation d'avoir une preuve médicale à l'appui—que ce soit sous forme d'affidavit ou autrement—établissant qu'il existe des motifs raisonnables de croire que la personne risque d'avoir été contaminée. Cette lacune du projet de loi nous cause de sérieuses préoccupations.

    Voilà donc les observations préliminaires que je tenais à faire. Manifestement, je répondrai volontiers à toutes vos questions.

    Je vous remercie.

+-

    Le président: Je vous remercie beaucoup.

    Nous allons maintenant entendre M. Gratl,qui dispose de dix minutes.

+-

     M. Jason Gratl (membre, conseil d'administration, British Columbia Civil Liberties Association): Pour le compte de l'association, je tiens à remercier le comité de nous avoir invités à exposer notre mémoire au sujet du projet de loi C-217, soit la Loi permettant le prélèvement d'échantillons de sang. J'insisterai donc dans mon exposé sur trois questions. Tout d'abord, le prélèvement d'échantillons par la coercition est-il vraiment nécessaire pour régler un important problème? Ensuite, quel renseignement utile obtiendra-t-on de cette manière? Enfin, le projet de loi est-il une source de discrimination illégale?

    Pour ce qui est de la première question, soit de savoir s'il est nécessaire d'obliger quelqu'un à se soumettre à un prélèvement d'échantillons contre son gré, au Canada, l'usage veut depuis longtemps que la personne donne auparavant son consentement éclairé. Le projet de loi qui confère au gouvernement le pouvoir d'imposer le prélèvement est donc une dérogation à cet usage. Comme le gouvernement ne peut utiliser la force contre ses propres citoyens que lorsque c'est nécessaire, il faut en justifier le besoin avant d'accepter que cela puisse se faire sans consentement. La seule preuve acceptable est que les gens ont tendance à refuser de donner leur consentement lorsqu'il s'agit d'une exposition professionnelle. Nous n'avons pas entendu parler de cas où il y aurait eu exposition professionnelle importante et où la source de l'exposition aurait refusé de donner son consentement, pas plus que nous n'avons de statistique établissant le besoin d'un pareil projet de loi.

    La grande majorité des gens donnent volontiers leur consentement au prélèvement d'un échantillon de leur sang. Dr Stephen Shafran, directeur du département de maladies infectieuses à l'Université de l'Alberta, a affirmé que les personnes qui étaient sources d'exposition ont, en milieu hospitalier, un taux de consentement volontaire de 99 p. 100. Le 1 p. 100 qui reste ne représente pas une menace suffisante pour justifier un régime de prélèvement involontaire. Seule une petite partie des liquides biologiques, surtout le sang, peut transmettre les virus désignés. Quand on en tient compte, le risque chute en deçà de 1 p. 100. Même si le liquide biologique comporte un risque, il n'y aura pas transmission à moins qu'il n'y ait exposition sensible à des tissus se trouvant sous la peau, à des muqueuses ou à une peau qui n'est pas intacte, ce qui à nouveau, je le précise, ne se produit que très rarement. Nous parlons d'une fraction de fraction de 1 p. 100.

    Même lorsqu'il y a exposition sensible, le virus n'est que rarement transmis. Le risque d'infection à la suite d'une seule exposition percutanée à du sang contaminé par le VIH, par exemple, est évalué à 0,3 p. 100 seulement. Le risque d'une exposition à des liquides biologiques, en l'absence d'un prélèvement d'échantillons volontaire, revient donc à une fraction de fraction de fraction de 1 p. 100.

    Il est facile d'exagérer les risques découlant d'un contact avec des liquides biologiques quand on raconte des histoires d'horreur au sujet de piqûres d'aiguille et d'éclaboussures de sang, mais si l'on envisage des violations de la Charte et le recours à la coercition, il faudrait documenter abondamment ces histoires d'horreur, en somme s'assurer qu'elles servent à comprendre et à évaluer le risque, plutôt qu'à semer l'ignorance et l'hystérie collective. Il faut éviter de faire reposer une dérogation à la tradition du consentement éclairé sur une crainte irrationnelle.

    Passons maintenant à la deuxième question. Quel renseignement le prélèvement d'échantillons involontaire fournira-t-il?

    La meilleure information qu'on peut espérer d'échantillons prélevés par coercition concernera une diminution marginale du risque d'infection. En raison de la période durant laquelle le virus est indétectable dans le sang, l'analyse de l'échantillon n'établira pas avec certitude que le virus ne s'est pas manifesté plus tard chez la source de l'exposition. Le risque persisterait même après l'analyse d'un échantillon prélevé par coercition.

    Le fait de savoir que le risque d'infection est diminué diminuerait-il les effets secondaires nocifs du traitement suivi après avoir été exposé au VIH? Nous n'en avons pas la certitude, mais la B.C. Liberties Association peut affirmer sans risque de se tromper qu'elle n'a repéré aucun protocole médical ou gouvernemental laissant croire qu'une fois analysé le sang de la source d'exposition, la personne exposée peut immédiatement cesser son traitement. Le fait de savoir que le risque d'infection a diminué ferait-il baisser l'angoisse qu'éprouve la personne exposée? À nouveau, nous l'ignorons. Toutefois, nous soupçonnons que le meilleur remède à l'angoisse de la personne exposée est de lui offrir du counselling, à elle et à ses proches.

  +-(1215)  

    Bref, pour répondre à la deuxième question, il est loin d'être clair que le prélèvement involontaire fournisse à la personne exposée des renseignements assez importants pour justifier une atteinte évidente à la vie privée, à l'intégrité physique et à la sécurité de la personne, comme le projet de loi le permettrait.

    La troisième question consiste à savoir si le projet de loi pourrait mener à des distinctions injustifiées. Selon Santé Canada, certains groupes sont particulièrement à risque d'infection par l'hépatite B ou C et le VIH, notamment les consommateurs de drogues par injection et les personnes ayant un comportement sexuel à risque élevé. Les tests involontaires dont il est question dans ce projet de loi visent donc particulièrement ces groupes.

    On voit facilement que le projet de loi a des effets discriminatoires et qu'il ne tient pas compte de la réciprocité entre citoyens. Pourquoi des médecins et des policiers pourraient-ils forcer des patients ou des prisonniers à se soumettre à des tests involontaires en vertu de ce projet de loi, alors que des patients et des prisonniers ne pourraient pas obliger des médecins et des policiers à s'y soumettre également? Le projet de loi accorde des droits différents à des citoyens exposés aux mêmes risques, discriminant ainsi certains groupes pour des raisons injustifiées.

    La sélection restrictive de virus a également des effets discriminatoires. Une personne ayant été exposée à des liquides organiques court le risque de contracter beaucoup d'autres virus que le VIH, l'hépatite B et l'hépatite C. Pensons à la syphilis, à la méningite, à la tuberculose. Nous ne savons toujours pas pourquoi seuls le VIH, l'hépatite B et l'hépatite C sont visés par le projet de loi.

    Il discrimine à tort certains groupes en les obligeant notamment à se soumettre à des tests involontaires, en faisant fi de la réciprocité, en ne traitant pas des citoyens égaux de la même façon et en limitant les tests involontaires au VIH, à l'hépatite B et à l'hépatite C.

    En somme, la BC Civil Liberties Association ne voit aucun besoin démontré de changer la tradition du consentement éclairé. Elle croit que les tests involontaires ne procurent que des avantages minimes et incertains et que le projet de loi ne permet explicitement que l'atteinte à la vie privée et à l'intégrité physique de certains groupes à risque, comme les prostituées et les consommateurs de drogues. Pour ces raisons, l'association recommande au comité de dire au Parlement que le projet de loi C-217 n'est pas nécessaire, qu'il va à l'encontre de valeurs canadiennes fondamentales et qu'il ne devrait pas être adopté.

    Voilà.

  +-(1220)  

+-

    Le président: Je vous remercie.

    Nous entendrons maintenant M. Fitzpatrick. Vous avez sept minutes.

+-

    M. Brian Fitzpatrick (Prince Albert, AC): Beaucoup de choses ont été dites ce matin. Je n'entreprendrai donc pas de revenir sur toutes et chacune. J'aimerais cependant me pencher sur les quatre points soulevés par l'Association du Barreau canadien.

    Pour commencer, je serais porté à être d'accord avec l'idée d'insérer des protections de la vie privée et d'étoffer le projet de loi à cet égard. Je crois que M. Strahl envisage déjà des changements au projet de loi. Je ne peux concevoir de motif raisonnable de refuser de se soumettre au prélèvement, mais je suppose qu'il y a des situations auxquelles nous ne pensons pas qui pourraient constituer un motif raisonnable et dans lesquelles la personne doit pouvoir refuser.

    Je partage vos inquiétudes quant aux juges de paix. J'ai déjà eu affaire avec eux, et je sais de quoi vous parlez. Il ne faut jamais tenir pour acquis qu'ils ont reçu une formation juridique, voire même qu'ils comprennent les principes de base du droit. Mais si on s'arrête aux juges, ma principale source d'inquiétude est le temps. Lorsque le temps est compté, la méthode choisie peut s'avérer contreproductive s'il faut s'engager dans une procédure fastidieuse pour obtenir l'autorisation d'un juge de la cour supérieure ou de la cour provinciale. Il faut trouver d'autres solutions.

    J'ai aussi beaucoup de difficulté à admettre la preuve médicale objective comme condition préalable. Je ne suis pas médecin, mais comment un médecin procède-t-il pour poser un diagnostic et en arriver à une conclusion? Le fait que le médecin impose un examen médical complet à la personne avant de déterminer s'il doit enfoncer une petite seringue dans son pouce ou son bras pour obtenir un échantillon de sang me semble une bien pire atteinte à la vie privée. Si je me trouvais dans cette situation, je risquerais de trouver cela bien moins respectueux de ma vie privée que de donner un échantillon de sang dès le début. Je suis vraiment en désaccord avec une pareille mesure. J'essaie de comprendre comment un médecin peut fournir une preuve médicale objective sans porter atteinte à la vie privée de la personne.

    J'ai un seul commentaire à faire au sujet de la déclaration de l'association des libertés civiles du Canada...

  +-(1225)  

+-

    M. Jason Gratl: C'est l'association de la Colombie-Britannique, monsieur.

+-

    M. Brian Fitzpatrick: Oh! De la Colombie-Britannique, je suis désolé. Je ne voudrais pas créer de malentendus entre les gouvernements.

    S'il fallait attendre d'avoir tous les renseignements en mains avant de prendre des décisions dans ce bas monde, beaucoup ne seraient jamais prises. Je suis convaincu que cela arrive tous les jours en médecine. Nous n'avons peut-être pas tous les renseignements, mais nous prenons des risques calculés. Je sympathise beaucoup avec les gens aux prises avec ce genre de situation. Il faut faire la part des choses, parce que les gens ont le droit de savoir.

    J'ai entendu beaucoup de témoignages. On dit que les témoignages ne sont pas anecdotiques. Pourtant, à la dernière séance, beaucoup de personnes nous ont expliqué comment cela les avait personnellement touchées. Ce renseignement tout simple les aiderait à poursuivre leur vie, leurs relations, et tout le reste. C'est évident, et je ne le nie pas. Je conviens que les résultats des analyses ne sont peut-être pas parfaits, mais si je me trouvais dans leur situation, je préférerais cela à ne pas avoir d'information du tout ou à ne pas être mis au fait du problème. Ce n'est qu'un commentaire sur ce que vous avez dit.

    Peut-être puis-je demander aux témoins de commenter, particulièrement sur le fait de présenter une demande à un juge plutôt qu'à un juge de paix et sur l'obtention de données médicales objectives.

+-

    M. Marc David: Des deux, je crois que c'est la preuve médicale objective qui est l'élément le plus important, mais laissez-moi d'abord vous répondre au sujet des juges.

    J'ai donné au comité deux exemples, où le Code criminel prescrit qu'on doit s'adresser à un juge de la cour provinciale ou de la cour supérieure pour obtenir une autorisation d'écoute électronique ou un mandat obligeant une personne à fournir un échantillon d'ADN dans le cadre d'une enquête, dans un cas d'agression sexuelle par exemple. Le facteur temps serait certes problématique s'il fallait que l'accusé comparaisse dans les 24 heures devant un juge plutôt que devant un juge de paix.

    Lorsqu'un juge autorise la délivrance d'un mandat, le Code prévoit clairement la possibilité de délivrer un télémandat s'il y a urgence. Le droit pénal permet l'émission de télémandats depuis longtemps, ce qui pourrait certainement régler notre problème. Cependant, je veux préciser au comité que le libellé actuel du projet de loi n'oblige aucunement une personne à se soumettre au processus. Si un mandat est émis, la personne visée n'est pas obligée de fournir un échantillon de sang. La question du facteur temps est donc discutable.

    L'autorisation donnée par le juge de paix—je parle ici de l'article 5 du projet de loi—permet à un agent de la paix d'exiger qu'un médecin prélève un échantillon. C'est la nature de l'ordre donné par le juge: « Vous, monsieur l'agent de la paix, dites au médecin de prélever un échantillon de sang ». Il n'est écrit nulle part dans le projet de loi que la personne visée doit se soumettre à cette demande. En fait, la personne peut refuser. L'article 9 porte sur les conséquences de son refus: la personne peut être envoyée en prison. Elle n'est pas poursuivie, parce qu'elle n'a pas commis d'infraction. Ce n'est ni une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité, ni un acte criminel. Ce n'est que la conséquence de son refus de se conformer à l'ordre donné.

    Cette situation ressemble beaucoup à ce qu'on appelle l'engagement à ne pas troubler l'ordre public à l'article 810 du Code criminel. Cet article permet au juge d'ordonner à une personne de ne pas troubler l'ordre public, d'observer une bonne conduite et peut-être même de ne pas communiquer avec une certaine personne pendant une période maximale de 12 mois. Si la personne refuse de signer cet engagement à ne pas troubler l'ordre public, quelle est la conséquence? Le juge peut l'envoyer en prison. Voilà le parallèle.

    J'essaie de vous dire que le projet de loi ou le mécanisme qu'il crée pourrait ne même pas permettre au bon samaritain d'obtenir les résultats escomptés en bout de ligne.

[Français]

+-

    Le président: Merci.

[Traduction]

    Comme personne d'autre ne semble vouloir parler, je cède la parole à M. Bellehumeur pour sept minutes.

[Français]

+-

    M. Michel Bellehumeur (Berthier--Montcalm, BQ): Maître David, considérez-vous ce projet de loi C-217 qu'on a devant nous comme une loi à caractère pénal, criminel, ou si vous croyez qu'on devrait plutôt en traiter dans la perspective de la santé?

+-

    M. Marc David: Monsieur Bellehumeur, il est clair pour moi que dans sa forme actuelle, ce projet de loi n'est pas une mesure législative de nature pénale ou criminelle. On ne crée pas d'infraction dans ce projet de loi. C'est un projet de loi de nature civile, avec une connotation de santé. Je pense que c'est une bonne chose que ce soit sous cette forme-là.

    J'aimerais faire un commentaire qui ne fait pas partie de notre soumission écrite, mais qui fait partie de la réflexion qu'on a livrée. Je ne pense pas que la partie II du projet de loi, qui prévoit des dispositions pour les agents de la paix, devrait être incluse dans les amendements au Code criminel. Il me semble qu'on ne devrait pas faire cette distinction-là. Il me semble que les dispositions sur les agents de la paix et les agents de sécurité devraient être mises dans la partie principale du projet de loi, la partie I.

  +-(1230)  

+-

    M. Michel Bellehumeur: C'est peut-être salutaire que la loi soit faite de cette façon, mais le Parlement d'Ottawa n'est peut-être pas celui qui devrait l'adopter.

+-

    M. Marc David: En cela, je m'en remets à votre sagesse.

+-

    M. Michel Bellehumeur: Je pense que le reste est très clair, maître David, et je vous suis à 100 p. 100 dans vos commentaires. J'ai les mêmes réticences depuis le début. Comme vous, je ne suis pas contre le principe. Je suis d'accord avec vous que tout le monde devrait adhérer à ce principe, mais étant donné la façon dont est rédigé ce projet de loi, je pense que ce Parlement n'est pas celui qui doit l'adopter.

    Si ce projet de loi criblait uniquement les personnes comme les policiers et les pompiers qui, dans leur travail, sont victimes d'un acte criminel, par exemple quand quelqu'un utilise une seringue comme une arme et la plante dans le bras d'un policier ou d'un pompier, le verriez-vous d'un autre oeil s'il y avait une obligation d'obtenir un mandat puisqu'au point de départ, un acte criminel a été commis?

+-

    M. Marc David: Je comprends la dynamique. Pour moi, cela ne changerait absolument rien que la source de l'infection possible soit un acte criminel. Cela ne change pas la nature du recours que le citoyen atteint veut obtenir. Premièrement, il veut savoir s'il est possible qu'il contracte une infection. Pour moi, ce n'est pas une qualification de ce que la loi pourrait permettre. Ça ne devient pas une question de droit criminel.

+-

    M. Michel Bellehumeur: Donc, finalement, il est à peu près impossible d'améliorer un projet de loi semblable, si ce n'est en le regardant carrément sous l'angle de la santé et en l'améliorant à ce niveau-là, si c'est possible.

+-

    M. Marc David: J'ai 12 points que je peux suggérer au comité. Je ne sais pas si vous voulez que je vous entretienne de ces 12 points que j'ai identifiés et qui pourraient aider le comité et le Parlement à peut-être l'améliorer.

    Pour nous, il y a des failles majeures dans ce projet de loi et on a identifié plusieurs points qui méritent d'être étudiés. On ne fait pas de suggestions et on ne prend pas de position, car ce n'est pas notre rôle et ce n'est pas le chapeau qu'on porte ici aujourd'hui. Mais si vous le voulez, je peux vous entretenir de ces points. Cela me ferait plaisir.

+-

    M. Michel Bellehumeur: On est un peu limités dans le temps.

[Traduction]

+-

    Le président: Peut-être pourriez-vous nous remettre...

[Français]

+-

    M. Marc David: On pourrait les mettre au propre.

[Traduction]

    Pour l'instant, je n'ai qu'une version manuscrite, monsieur Scott. Je ne crois pas que ce serait approprié de vous la remettre maintenant. Nous l'enverrons au comité plus tard.

+-

    Le président: Ce serait très bien. Merci.

[Français]

+-

    M. Michel Bellehumeur: Merci beaucoup.

[Traduction]

+-

    Le président: Monsieur Strahl.

+-

    M. Chuck Strahl (Fraser Valley, PC/RD): Merci, monsieur le président.

    J'aimerais remercier tous les témoins pour leurs commentaires d'aujourd'hui. Il est intéressant de constater que les témoins d'aujourd'hui qu'ils soient pour ou contre, ont tous commencé par se dire favorables à l'idée du projet de loi. Certains sont prêts à l'accepter d'emblée, alors que d'autres émettent certaines réserves, ont des «mais», qu'ils nous ont expliquées.

    Je tiens à remercier ceux...particulièrement vous, monsieur David, pour vos commentaires sur des articles précis. J'ai hâte de voir le document que vous nous avez promis. Il sera très utile pour ceux qui tentent de saisir l'essence du projet de loi et d'en présenter la meilleure version qui soit au Parlement. Je crois que nous entamerons l'étude article par article jeudi. J'espère donc que vous nous enverrez le document le plus tôt possible. Je comprends que c'est beaucoup vous demander, mais ce serait vraiment très bien si vous pouviez le faire rapidement.

    Je voudrais commenter certains points et poser quelques questions. La première porte sur les télémandats qui, comme vous l'avez dit, sont déjà fréquemment utilisés. Devrions-nous inclure le terme «télémandat» précisément dans le projet de loi ou pouvons-nous simplement tenir pour acquis que, comme les télémandats sont déjà utilisés couramment—d'autres témoins en ont parlé, c'est une façon de résoudre les problèmes de temps?

  +-(1235)  

+-

    M. Marc David: À mon avis, il faudrait mentionner les télémandats, simplement parce que la délivrance d'un mandat se fait normalement par affidavit et que le souscripteur, soit la personne qui demande l'ordonnance, doit comparaître en personne devant le juge. Le télémandat fait exception.

+-

    M. Chuck Strahl: Merci. Votre réponse m'éclaire.

    Du point de vue des libertés civiles, on affirme que cela fait une énorme différence dans le traitement prophylactique post-exposition de savoir qu'une personne pourrait être atteinte d'une maladie infectieuse. Dr Shafran, dont vous avez cité le témoignage, a comparu devant nous lorsque ce projet de loi en était encore à un stade préliminaire. Il disait que dès que les médecins reçoivent un test négatif, malgré toutes les possibilités que la personne soit en période d'incubation ou autre, ils arrêtent immédiatement les traitements. Selon son expérience, ils cessent immédiatement le traitement prophylactique post-exposition, qui porte déjà fortement atteinte à la vie privée de la personne. Il est donc évident que cela a une nette influence sur la façon dont les victimes sont traitées.

    Je dirais aussi qu'il ne faut pas seulement penser à la petite fraction d'une fraction qui contracte une maladie, comme vous le dites—malheureusement, cela peut évidemment se produire—, qu'il faut surtout penser à tous ceux qui doivent subir le traitement. Le traitement porte vivement atteinte à la vie privée de ces personnes et le fait de ne pas savoir s'ils ont la maladie est très angoissant. Cela semble aussi difficile pour eux que le traitement physique en tant que tel.

    Je me demandais si vous pouviez commenter, parce que Dr Shafran semblait dire que le fait de savoir si une personne a une maladie transmissible par le sang est déterminant.

+-

    M. Jason Gratl: Merci de votre question.

    Laissez-moi d'abord vous dire que je n'ai lu la déclaration du Dr Shafran—la transcription de la séance qui a eu lieu il y a deux ans—qu'hier soir. Je me rappelle bien qu'il n'a jamais dit que tous les professionnels de la santé suivaient ce protocole. Il a dit que pour sa part, il conseillerait à son patient de cesser la prophylaxie post-exposition après un test négatif. Cela me semble bien loin de ce qu'on pourrait appeler une pratique médicale généralement admise.

    Ensuite, je dirais que même si l'examen involontaire évitait de craindre le pire, il n'annihilerait pas nécessairement les effets secondaires de la prophylaxie post-exposition. L'une ne mène pas forcément à l'autre. Il reste à décider de cesser la prophylaxie post-exposition. De plus, tout ce que nous savons semble indiquer que la prophylaxie post-exposition n'a pas toujours d'effets secondaires négatifs. Encore une fois, seulement quelques personnes soumises au traitement ressentent des effets secondaires négatifs.

    Enfin, nous ne pouvons négliger de signaler que le traitement de l'hépatite B n'a aucun effet secondaire néfaste connu et qu'il n'existe pas de traitement post-exposition contre l'hépatite C. Il n'y a donc pas de conséquences négatives au traitement de ces deux virus, ni lieu d'avancer une justification fondée là-dessus.

+-

    M. Chuck Strahl: Sauf, bien sûr, que si vous avez été exposé à l'hépatite C, cela pourrait bien changer votre comportement à la maison avec votre famille ce soir-là. Est-ce que vous embrassez vos enfants avant de les mettre au lit? Mettez-vous un masque pour le faire? Cela fait une différence.

    Il me semble aussi... Tout le monde se dit que le niveau de conformité est bien meilleur dans les hôpitaux et se demande où est le problème. Bien sûr qu'il y a un haut niveau de conformité! Par exemple, dans les établissements de santé de la région de la capitale nationale, ici, le taux est si bon parce que tous les patients doivent d'abord signer un formulaire. Par leur signature, ils consentent à subir un test de dépistage des virus transmissibles par le sang, de l'hépatite B, de l'hépatite C et du VIH, et ce avant même que quiconque ne les touche dans le bel environnement clinique de l'hôpital. Mais avant qu'on ne les touche, ils doivent signer ce papier. Après, l'hôpital commence le traitement. C'est très différent pour les patrouilleurs des centres de ski, les pompiers ou les ambulanciers. Dans leurs cas, les victimes ne remplissent pas de formulaire, elles sont inconscientes, en pleine crise, ou je ne sais quoi d'autre.

    Une fois la victime transportée à l'hôpital, tout est beaucoup plus facile, j'en conviens. Le problème, c'est qu'avant son arrivée à l'hôpital, elle est en train de se faire arrêter, elle est inconsciente ou qu'elle a été blessée dans un accident de voiture comme celui qu'a décrit Mme McLeod. Autant de cas hors du milieu hospitalier. À l'hôpital, tout le monde est en sarrau et est en mesure de faire le nécessaire pour maîtriser la situation. C'est un contexte très différent.

    Je voudrais donc seulement souligner qu'il y a... puis vous leur faites signer ce formulaire, ce qui rend les exigences législatives inutiles. On leur dit seulement qu'ils doivent signer avant de recevoir des traitements.

    Puis-je poser une dernière question rapide?

  +-(1240)  

+-

    Le président: Nous allons laisser M. Gratl répondre. Votre tour reviendra, Chuck.

+-

    M. Chuck Strahl: D'accord. Merci.

+-

    M. Jason Gratl: Si je comprends bien votre question, deux choses vous préoccupent. D'une part, si on fait abstraction de la question des effets secondaires négatifs d'un traitement contre l'hépatite B ou C, vous vous demandez comment une personne exposée devrait se conduire avec les membres de sa famille. D'autre part, vous vous interrogez sur le consentement de la victime en dehors de l'hôpital.

    Vous avez commencé par l'exemple très parlant d'une personne qui embrasse ses enfants. Le VIH, comme l'hépatite B et C que je sache, ne se transmettent pas par un baiser. Si la personne exposée est bien informée sur les risques d'exposition à ces virus, elle n'aura aucune crainte à embrasser ses enfants ou à les prendre dans ses bras, et peut-être même ira-t-elle jusqu'à avoir des relations sexuelles avec son conjoint ou sa conjointe. Bien sûr, tout le monde ici connaît bien les pratiques sexuelles sûres réduisant davantage les risques de transmission sexuelle.

    Pour ce qui est du consentement des victimes, moins souvent obtenu à l'extérieur de l'hôpital, je proposerais de mettre des mécanismes en place pour veiller à ce que les personnes en prison ou autrement détenues soient traitées avec sensibilité et compassion. Dans ces contextes, je suis certain que les personnes craindraient un éventuel dévoilement de leurs résultats d'examen. Je pense que si on adoptait des dispositions législatives sur la protection de la vie privée et de la confidentialité, il serait beaucoup plus facile d'obtenir le consentement des personnes. Plutôt que de les forcer à se soumettre à des examens, on pourrait concevoir des mesures pour les inciter à donner leur consentement.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Monsieur McKay, vous avez sept minutes.

+-

    M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Ma première question s'adresse à M. McManus et à Mme McLeod. Je m'interroge sur la présomption, dans le projet de loi, que de bons samaritains sont exposés sans le savoir à des agents pathogènes transmissibles par le sang et au risque que quelqu'un refuse de fournir un échantillon de sang. Or, nous n'avons pas étudié la possibilité inverse, celle que le bon samaritain, le pompier ou le policier porte des agents pathogènes transmissibles par le sang et y expose le public. J'aimerais savoir si chacun de vous ou de votre organisme a pris position quant à l'imposition d'examens involontaires aux bons samaritains ou aux personnes exposées à ce risque dans le cadre de leurs fonctions.

    J'aimerais aussi que M. McManus me dise si l'AIP a pris position quant à l'imposition d'examens obligatoires par l'employeur à ses employés?

    Voilà pour ma première question.

    Ma deuxième question s'adresse à vous, monsieur David, et porte sur les motifs médicaux objectifs de croire qu'une personne peut être infectée. Je ne comprends pas comment vous pouvez établir des «motifs médicaux objectifs» que vous soumettez à un juge de la paix ou à un juge. En passant, je suis d'accord avec votre déclaration sur les juges. Je ne comprends pas comment vous pouvez établir ces motifs sans vous fonder sur quelque forme de profil, comme de savoir qu'une personne habite un quartier connu comme milieu de la drogue, qu'elle consomme de la drogue ou qu'elle est atteinte d'une maladie. Comment pouvez-vous établir des motifs objectifs sans dire que la personne dont on veut un échantillon de sang pourrait être atteinte du sida, consommer de la drogue ou je ne sais quoi encore, parce qu'elle vit à un certain endroit ou qu'elle semble avoir ce mode de vie? Voilà mes deux questions.

  +-(1245)  

+-

    M. Sean McManus: Merci de les avoir posées.

    J'ai écouté très attentivement les questions posées plus tôt sur l'aspect de la santé dans le projet de loi, et je voudrais commencer par faire un commentaire à cet égard.

    La grande source de frustration est que si la santé ne relève pas de ce type de projet de loi, nous devons nous demander où elle se situe au juste. La question nous a été posée, et je suis certain qu'elle a été posée à tous les autres organismes. Le fait est qu'il n'y a aucun mécanisme législatif nous permettant de régir la situation. Très honnêtement, je pense que la question de la santé est un faux-fuyant. Nous ne pouvons pas nous fonder sur la santé et la sécurité au travail ni sur aucun programme en vigueur, simplement parce que nous ne pouvons pas intervenir si une personne refuse de donner un échantillon de sang.

    Vous nous demandez si nous avons pris position sur le fait d'imposer des examens obligatoires à nos membres. Oui. Nous y sommes vivement opposés, nous ne pouvons obliger tous nos employés à subir des examens même s'il n'y a aucune preuve de mauvaise conduite ou d'erreur de leur part. Ce n'est pas la même chose dans le projet de loi à l'étude. Là, il y a une activité ou une circonstance qui mène le pompier à affirmer qu'il a pu être exposé à un virus. Dans certaines provinces, il n'y a pas de protocole de notification des maladies infectieuses, et les pompiers n'ont pas accès à ce genre de renseignement. C'est à ce moment-là que le projet de loi C-217 serait invoqué.

    Pour ce qui est de notre position sur les examens obligatoires, nous sommes contre.

+-

    M. John McKay: Mais il y avait une autre question avant cela. Si un pompier était exposé à une situation dans laquelle des liquides corporels étaient échangés, seriez-vous en faveur d'un dépistage obligatoire pour ce pompier? Pourtant, ce qui est bon pour l'un est bon pour l'autre.

+-

    M. Sean McManus: Quelle est notre position? Évidemment, si cette mesure législative n'était pas adoptée, nous voudrions que chaque cas soit traité individuellement. Toutefois, si ce produit de loi, sous son libellé actuel, était adoptée, nous n'aurions pas d'autre choix que de nous y soumettre.

+-

    Le président: Madame McLeod.

+-

    Mme Maggi McLeod: La Patrouille canadienne de ski voit les choses un peu différemment. Notre structure n'est pas la même que celle d'organismes comme l'Association internationale des pompiers. Nous sommes un groupe de bénévoles, et étant donné la nature de ce que nous faisons, nous représentons probablement des bons samaritains.

    Comme je l'ai dit dans mon exposé, certains membres de notre organisme sont des avocats, des médecins, des infirmières ou des militaires. Je suis certaine que chacun de ces membres a sa propre opinion sur le dépistage obligatoire dans de tels cas. Mais je crois pouvoir affirmer que si un de nos membres était exposé à une telle situation, il ne s'opposerait pas au dépistage obligatoire, si bien que je ne sais pas s'ils seraient visés par cela. Toutefois, si un de nos membres s'opposait au dépistage obligatoire, j'espère que ce projet de loi protégerait aussi bien a personne qui a été blessée que celle qui fournit le traitement.

  +-(1250)  

+-

    M. John McKay: Je ne crois pas que ce soit le cas, à moins que je ne me trompe? En d'autres mots, le public n'a pas les mêmes droits.

+-

    Mme Maggi McLeod: Je ne sais pas, si l'on s'en tient aux genres de personnes... mais j'ai peut-être mal compris votre question.

    Par exemple, si une personne blessée exigeait un échantillon de sang de ma part après que je sois intervenue dans d'un accident où il y a eu échange de liquides corporels, je ne m'y opposerais pas, contrairement à certains membres de notre organisme.

+-

    M. John McKay: Oui.

+-

    Le président: Merci, monsieur McKay.

    Je crois que la parole est à M. David.

+-

    M. Marc David: Si j'ai bien compris, vous craignez qu'en mettant en place des normes médicales objectives, nous pourrions viser certains groupes de personnes, comme les prostituées ou les utilisateurs de drogue—par l'établissement de profils—pour convaincre le juge qu'il existe des motifs raisonnables.

    Nous croyons que sous leur forme actuelle, les articles 3 et 5 ne contiennent pas de normes médicales objectives adéquates. Nous craignons aussi que si des normes médicales objectives ne sont pas incluses dans le projet de loi, certains groupes seront visés, qu'ils seront possiblement identifiés et que leur profil sera établi. Selon nous, des normes médicales objectives éviteraient le ciblage et le profilage de certains groupes.

    Les normes médicales objectives ne se rapportent pas à un groupe visé, mais plutôt aux circonstances d'un événement. En d'autres termes, peu importe de qui il s'agit, est-ce que ce l'incident expose une personne à une infection? Ainsi, on tient compte des circonstances. Est-ce que ce sont des larmes, de la salive, du mucus, du sang ou du sperme? Ensuite, on détermine l'endroit où la personne a été touchée. Sur la peau? Dans une voie? Ou est-ce qu'il y a eu échange sanguin? C'est pourquoi, selon nous, il faut avoir cette connaissance médicale.

    Ce ne sont certainement pas les parlementaires, ni les juges, ni les avocats qui pourront déterminer de manière objective s'il y a ou non un risque de transmission. Tant qu'il n'y aura pas d'évaluation objective des circonstances particulières d'un incident au cours duquel il y a eu une transmission potentielle, nous ne croyons pas que cette mesure législative puisse résister à un examen minutieux fondé sur la Charte.

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur David.

    Je cède la parole à Peter MacKay pour trois minutes, ensuite je devrai partir. J'ai un autre rendez-vous et M. Grose assumera la présidence.

    Merci. Peter, la parole est à vous.

+-

    M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC/RD): Merci, monsieur le président.

    Je crois que M. McKay soulève des points très importants, et que nous sommes témoins de la manière dont doit exactement fonctionner un comité. C'est-à-dire que nous avons l'occasion d'approfondir ces questions avant que la mesure législative ne soit adoptée et avant qu'elle ne donne lieu à des contestations judiciaires. M. Strahl a mentionné que la majorité d'entre vous et que presque tous les témoins que nous avons entendus, à l'exception peut-être de la B.C. Civil Liberties Association, sont d'accord avec le principe du projet de loi. Si nous adoptons effectivement cette mesure législative, nous voulons certainement le faire comme il se doit.

    Monsieur David, vous venez tout juste de mentionner la nécessité d'un protocole en ce qui concerne les juges de paix, mais si la décision ne relève que de certains juges, qu'ils soient juges d'une cour supérieure ou d'une cour provinciale, je crois qu'un protocole médical s'impose, et il me semble que c'est aussi ce que vous dites. Toutefois, je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous affirmez que ce protocole est uniquement fondé sur les circonstances et non sur les personnes en cause. Je crois que pour toute demande de mandat, en plus de vouloir savoir de quel individu il s'agit et de connaître les circonstances entourant cet individu, le juge voudra savoir quelles sont les probabilités que l'individu soit porteur d'une infection, d'un virus, etc. Donc, il ne s'agit pas seulement des circonstances relatives à l'échange potentiel de liquides corporels.

    Malheureusement, une prostituée transsexuelle qui utilise aussi des drogues a plus de chance d'être porteuse d'une infection ou autre et ce, même si on ne tient compte que de critères objectifs, encore moins de critères subjectifs. Certains peuvent dire que cela correspond à l'établissement de profils, mais ce n'est que la triste réalité quant aux risques courus lorsqu'une personne vient en contact avec une autre personne qui lui administre des soins de santé à la suite d'un accident ou d'une crise.

    Ne croyez-vous pas que ces circonstances doivent aussi être prises en considération par le juge? Pouvons-nous résoudre certains des problèmes à l'aide d'un protocole? Ainsi toute tentative de modification de la mesure législative ne devrait-elle pas obliger le respect de certains protocoles de formation? Le type de mandat ou le mandat spécial à établir ne devrait-il pas faire l'objet d'un nouvel examen? Est-ce que cela est semblable à ce que nous avons vu lorsque la décision Feeney a été rendue, c'est-à-dire qu'il a fallu établir un nouveau mandat pour qu'un mandat spécial soit obtenu?

  +-(1255)  

+-

    M. Marc David: Autant que je sache, il y a un mandat spécial. La mesure législative prévoit un mandat spécial délivré dans des circonstances très particulières. Je ne suis donc pas certain d'être d'accord avec vous.

    Je comprends ce que vous dites: le fait de savoir qui est la personne visée est certainement pertinent lorsqu'on détermine la probabilité—pour ainsi dire—du risque d'infection. C'est vrai. On ne peut pas le nier. Toutefois, si vous regardez les critères qu'un juge utilise pour déterminer s'il a des motifs raisonnables de croire...de croire quoi? Croire qu'il y a un risque réel de transmission. Selon nous, à cet égard, il n'est pas important de savoir qui est la personne visée. Ce qui est important, c'est de connaître les circonstances physiques et la science médicale pertinente afin de pouvoir expliquer si ces circonstances représentent un risque.

    Nous ne voulons pas que notre pays permette une telle intrusion physique comme le prélèvement d'échantillons de sang, sauf s'il existe des possibilités fondées de transmission. Par exemple, si l'intervenant portait des gants, que du sang a été projeté sur les gants et qu'il est clairement établi que c'est le seul endroit ainsi touché, voulons-nous vraiment que le demandeur puisse obtenir un mandat et une autorisation dans de telles circonstances? Peut-être pas, parce que nous soupesons les intérêts du demandeur par rapport au droit à la vie privée des Canadiens.

+-

    M. Peter MacKay: Donc vous croyez que la source en question n'a aucune pertinence.

+-

    M. Marc David: Je ne crois pas que ce critère devrait être pris en considération. Selon moi, c'est une question de science et de connaissances médicales. Cette preuve peut être présentée sous forme d'affidavit, et si elle désire, je crois que nous devrions permettre à la personne visée de contre-interroger le médecin qui témoigne par voie d'affidavit, parce que je ne crois pas que cela se ferait verbalement. Si c'était le cas, le processus serait très laborieux et certaines contraintes de temps entreraient en ligne de compte.

    Mais je ne suis pas nécessairement d'accord pour dire qu'un juge peut se fonder sur l'établissement de profils.

+-

    M. Peter MacKay: S'il le désire, j'aimerais aussi donner la chance à M. Gratl la possibilité de répondre.

+-

    M. Jason Gratl: J'aimerais profiter de cette occasion pour parler des révisions suggérées par d'autres témoins aujourd'hui. Ces suggestions comprennent des mesures de protection élémentaires: la délivrance du mandat par un juge et non par un juge de paix; l'examen médical obligatoire pour que toute ordonnance rendue soit fondée sur des preuves médicales et non sur des stéréotypes; le respect de la vie privée et de la confidentialité pour les personnes sources; la présentation des preuves par voie d'affidavit et la possibilité pour la personne source de préparer sa défense ou de réfuter un élément de preuve des experts, peut-être en effectuant un contre-interrogatoire ou en présentant ses propres preuves d'experts.

    J'aimerais dire deux choses à propos de toutes ces révisions. Premièrement, elles entraîneront un délai et un mécanisme judiciaire énormes de telle sorte que les renseignements ne pourront être donnés en temps utile, en vertu de la loi, comme cela doit se faire. Je serais surpris qu'une procédure complète et solide protégeant les droits des personnes sources puisse permettre de fournir les renseignements requis en moins de quelques semaines. Par exemple, dans le cas du sida, après une période initiale de deux semaines, la personne exposée n'aura plus besoin des renseignements demandés à la personne source puisqu'elle pourra elle-même demander à subir les tests requis.

    Deuxièmement, peu importe le nombre de révisions apportées à cette loi pour qu'elle réponde aux normes de la Charte, elle ne relèvera toujours pas des pouvoirs en matière de droit criminel accordés au gouvernement fédéral en vertu de l'article 91, alinéa 27, de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867.

    Ce sont donc deux lacunes fondamentales qui ne peuvent être corrigées par aucune révision de ce projet de loi .

·  +-(1300)  

+-

    Le président suppléant (M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.)): Merci.

    Comme vous le savez tous, je n'interromprais jamais un témoin. Je vous demanderais donc de limiter vos questions à trois minutes, sinon cela pourrait durer éternellement.

    Monsieur Macklin.

+-

    M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.): Magnifique.

    Je veux simplement ajouter quelque chose aux propos de M. Gratl. Un des témoins a suggéré que pour que les choses aillent de l'avant, il faudrait en fait trouver un fondement en droit criminel pour appuyer ce projet de loi en particulier et pour créer une infraction pénale. Je me demande si l'Association du Barreau canadien a étudié cette question et si elle s'est prononcée à ce sujet.

+-

    M. Marc David: Absolument pas. Les compétences des assemblées législatives provinciales et du Parlement fédéral n'ont pas été traitées dans notre document, ni notre exposé.

+-

    M. Paul Harold Macklin: Et vous n'avez aucune opinion personnelle à ce sujet?

+-

    M. Marc David: J'ai mentionné que sous son libellé actuel, la mesure législative ne crée pas d'infraction. Selon nous, l'article 9 ne constitue pas une infraction. Ce sont les seuls commentaires que je ferai pour le moment.

+-

    M. Paul Harold Macklin: Dans la même veine, j'aimerais savoir si quelqu'un a examiné la situation de l'Ontario et la loi qui existe dans cette province. Est-ce qu'on sait si elle peut répondre aux besoins dont se préoccupent tous les témoins devant notre comité? Pouvez-vous me dire ce que vous pensez de son applicabilité et de ses lacunes? En ce qui nous concerne, où se tourner si les choses fonctionnent de cette manière, c'est-à-dire si les provinces ont des responsabilités et si le gouvernement fédéral a d'autres responsabilités dans ce domaine?

+-

    M. Sean McManus: Je crois que l'Ontario a dernièrement adopté le projet de loi 105, lequel est appuyé par notre association provinciale. Si une personne refuse de fournir un échantillon de sang, le projet de loi prévoit qu'une demande est alors présentée à l'agent d'hygiène publique local, qui prend les démarches requises pour obtenir cet échantillon. Toutefois, les pouvoirs de l'agent de l'hygiène publique demeurent limités pour la mise en application de la loi si la personne en question refuse une fois de plus de fournir un échantillon malgré l'autorisation qu'a en main l'agent de l'hygiène publique.

+-

    M. Paul Harold Macklin: Y a-t-il d'autres commentaires?

+-

    Mme Maggi McLeod: Je pense la même chose.

+-

    M. Paul Harold Macklin: Vous pensez la même chose.

    Quelqu'un a-t-il des statistiques? On a dit ce matin qu'on n'avait d'abord pas assez de chiffres sur ceux qui refusent le prélèvement. Quelles en sont les conséquences?

+-

    M. Jason Gratl: Je crois que le Réseau juridique canadien VIH-sida a produit un document d'information détaillé sur la question, et il est accessible sur Internet. Je ne l'ai pas apporté.

+-

    M. Paul Harold Macklin: Vous est-il possible de fournir ce document au comité?

    Je pense que ce serait fort utile, monsieur le président.

+-

    M. Jason Gratl: Je le ferai avec plaisir.

+-

    Le président suppléant (M. Ivan Grose): Merci bien.

    Merci, monsieur Macklin.

+-

    M. Marc David: Nous ne défendons pas le projet de loi. Nous sommes ici pour dire objectivement ce que nous en pensons. En poussant un peu plus loin l'examen du projet de loi, on pourrait faire observer, toujours sans prendre position, que le projet de loi devrait prévoir une procédure de consentement, ce qui n'est pas le cas dans le moment.

    Autrement dit, l'article 4 du projet de loi est intéressant. En effet, c'est inusité dans le cas des demandes de mandat, parce que cet article oblige le juge ou le juge de paix à réunir les parties. Ce n'est pas une procédure ex parte, comme ce l'est toujours dans le cas des mandats, sauf ici.

    Si les parties sont réunies devant le juge, pourquoi ne pas demander un consentement? Pourquoi ne pas d'abord vérifier si la personne visée est prête à donner son consentement? Elle peut l'être. Il me semble que la plupart des Canadiens comprendraient les craintes du demandeur et accepteraient. En cas de refus, nous pourrions alors déposer une demande de mandat, mais je pense qu'il faudrait, au préalable, que le consentement soit refusé avant d'engager la procédure.

·  +-(1305)  

+-

    M. Paul Harold Macklin: Pour corriger cela, comment le juge pourrait-il amener les parties—autrement dit forcer une partie réticente—à comparaître devant lui?

+-

    M. Marc David: Actuellement, l'article 4 dit: «Le juge de paix qui reçoit la demande fait comparaître les parties...». La loi est cependant incomplète parce qu'il n'y a pas de mécanisme permettant de délivrer un mandat pour faire arrêter une partie récalcitrante. Il n'y a pas de mécanisme prévu dans la loi.

+-

    M. Paul Harold Macklin: Très bien. Merci.

+-

    Le président suppléant (M. Ivan Grose): Merci, monsieur Macklin.

    Monsieur Strahl, vous venez d'entendre un témoignage assez éloquent. Je pense que tout le monde accepterait que je vous laisse un peu plus de temps.

+-

    M. Chuck Strahl: Merci. Encore une fois, l'utilité du travail des comités...il est dommage que nos observateurs soient tous partis, parce que c'est ce qui compte pour assurer l'efficacité d'un projet de loi dont la plupart des gens reconnaissent l'intérêt. J'apprécie tous les témoignages. Tous ces commentaires sont pertinents, et je vous parie qu'on en retrouvera certains au moment de l'étude article par article qui aura lieu à la fin de la semaine.

    Je suis d'accord avec le fait de demander l'avis d'un médecin avant de prélever un échantillon de sang; d'ailleurs, une disposition de la Loi 105 de l'Ontario traite en substance de la question. Elle explique très bien pourquoi c'est nécessaire, et je dirais que ce n'est pas pour établir le profil de qui que ce soit. Cela ne devrait pas être nécessaire, parce que le médecin va dire—comme le témoignage des travailleurs paramédicaux l'a indiqué—que les travailleurs paramédicaux ne se préoccupent pas de savoir à qui ils ont affaire s'il y a eu contact important par le sang. On ne peut pas savoir si une personne souffre d'une maladie transmissible par le sang en la regardant. S'il y a eu contact important, on veut simplement obtenir l'information médicale pertinente. Je pense qu'on pourrait donc très facilement ajouter une disposition dans le projet de loi pour exiger un avis fondé sur des normes médicales objectives.

    Quant au représentant de la British Columbia Civil Liberties Association qui se demandait si c'était aussi nécessaire pour le VIH que pour l'hépatite C, j'ai bien précisé qu'on ne transmet pas le VIH en donnant un bec à quelqu'un. Je le sais, comme tout le monde. Vous vous demandiez pourquoi ce serait important dans le cas d'une maladie incurable. Si vous avez une maladie incurable, vous devez prendre des précautions, ce qui ne veut pas dire que vous ne pouvez pas embrasser vos enfants pour leur souhaiter bonne nuit. C'est ce que je voulais dire.

    Je voulais vous demander autre chose, monsieur Gratl. On a obligé tous les travailleurs paramédicaux, par exemple, à se faire vacciner contre l'hépatite B. C'est une condition d'emploi en Ontario, même si beaucoup d'entre eux n'ont pas voulu obtempéré. Ils estiment que ce n'est pas nécessaire, mais on leur a dit que c'était une condition d'emploi.

    Je trouve que c'est une atteinte assez importante à la vie privée. On ne leur demande pas de prélever un échantillon de sang, ce qui retire une substance de leur corps, mais on les force plutôt à se faire inoculer une substance dans le corps, qu'ils le veuillent ou non. Autrement, ils sont sans emploi. Il me semble que c'est une atteinte assez grave à leurs libertés fondamentales, parce qu'ils ne sont pas malades, mais ils doivent pourtant se faire inoculer un virus pour travailler. Qu'on soit d'accord ou non avec les travailleurs paramédicaux, c'est pour prévenir l'éventuelle propagation d'une maladie contagieuse qu'ils sont obligés de se faire vacciner.

    Ne sommes-nous pas en train de mettre en balance des droits? D'un côté, il y a le droit des travailleurs paramédicaux de refuser un vaccin et, de l'autre, le droit du grand public secouru par eux de savoir que toutes les précautions possibles ont été prises, vaccins compris. C'est toujours les droits des uns par rapport aux droits des autres. N'est-ce pas la situation ici? Ce sera toujours contesté devant les tribunaux, mais il me semble que c'est une question de droits, et nous voulons affirmer ici qu'il y a un droit de savoir.

    C'est difficile à établir. Nous devons préserver la vie privée et nous devons assurer la participation des médecins, et peut-être aussi des juges plutôt que des juges de paix. Nous devons prendre une série de mesures pour assurer la protection et la considération mais, à un moment donné, la balance des droits penche en faveur, par exemple, des pompiers qui, dans le cadre de leur travail, ont maintenant besoin de savoir si la personne qui vomit pendant qu'ils lui font le bouche-à-bouche est porteuse d'une maladie ou non. N'est-ce pas simplement une question de balance des droits? Ces droits ne sont pas absolus. C'est ce que je veux dire.

·  +-(1310)  

+-

    M. Jason Gratl: Pour répondre à votre question, oui, il semble qu'on met aussi des droits en balance dans ce cas, mais cette situation se distingue de la nôtre de deux façons très importantes. Premièrement, l'inoculation du vaccin de l'hépatite B ne porte pas atteinte aux droits à la confidentialité et à la protection des renseignements personnels et ne comporte aucun risque à cet égard, contrairement au projet de loi C-217. Deuxièmement, la relation de travail qui existe entre les hôpitaux ou les bureaux de santé publique et les travailleurs paramédicaux ne fait pas intervenir la Charte.

    Malgré les considérations juridiques que cette question comporte, je suis à peu près sûr que l'inoculation d'un vaccin à un travailleur paramédical dans un contexte de travail ne fait pas intervenir la Charte des droits. Dans ce cas, le droit à la protection des renseignements personnels, le droit à la dignité, le droit à la sécurité de la personne et le droit à l'intégrité physique, qui sont garantis par la Charte, ne sont pas en cause. On oppose une loi du travail à une conséquence possible, sans mettre en oeuvre tout le mécanisme qui est proposé dans le projet de loi C-217. Le recours à la Charte, qui est obligé dans le cas du projet de loi C-217, n'est pas nécessaire dans un contexte de travail.

+-

    M. Chuck Strahl: Les travailleurs paramédicaux vous diraient qu'on a porté atteinte à leur droit à l'intégrité de la personne, mais...

+-

    M. Jason Gratl: Ce n'est pas un droit garanti par la Charte.

+-

    M. Chuck Strahl: Ce n'est pas leur droit? Qui sait? À peu près tout ce qui est porté devant les tribunaux met en cause la Charte.

    Ma dernière question s'adresse à M. David peut-être, même si c'est M. McManus qui a parlé de cela plus tôt. On nous renvoie d'une administration à l'autre à ce sujet. Vous ne vous êtes pas prononcé là-dessus parce que vous ne vouliez pas prendre les mêmes risques que moi. Mais, si on ne propose pas un projet de loi de ce genre, j'imagine qu'il n'y a pas vraiment d'autre solution.

    Il reste que tous ceux qui sont venus témoigner devant le comité ont dit que c'était un problème et que quelqu'un devait faire quelque chose. Mais ensuite, nous rentrons tous chez nous, le temps passe, et rien ne change. C'est la raison pour laquelle ce projet de loi a été proposé. Il a été inspiré par un cas survenu dans ma circonscription mais, depuis, il a reçu l'appui de 80 organismes nationaux, je pense. Ils veulent que la question soit réglée ou du moins qu'elle soit examinée, parce que «personne ne veut assumer cette responsabilité.»

+-

    M. Marc David: La mesure est louable, mais vous me demandez qui doit assumer cette responsabilité?

+-

    M. Chuck Strahl: Oui.

+-

    M. Marc David: Nous n'avons pas conçu le projet de loi. Nous sommes venus vous exprimer du mieux possible notre point de vue sur le projet de loi, tel qu'il existe actuellement. Je pense que l'initiative doit être prise soit par le Parlement du Canada, soit par les assemblées législatives provinciales.

    Remarquez que je n'ai pas lu la Loi 105 de l'Ontario, mais c'est une mesure prise par une province. Il peut être intéressant d'examiner la question, mais je ne sais pas s'il est préférable que l'initiative soit prise au niveau provincial ou au niveau fédéral. Je n'ai pas d'avis là-dessus.

+-

    M. Chuck Strahl: J'aurais une dernière question. Un autre membre du comité a proposé que toute la question soit soumise à l'étude de la Commission de réforme du droit, est-ce bien cela?

+-

    M. Marc David: La Commission de réforme du droit du Canada, oui.

·  -(1315)  

+-

    M. Chuck Strahl: Oui, parce qu'il peut y avoir des conflits de compétences. On propose de lui soumettre la question pour qu'elle l'examine pendant un moment. Je ne suis pas sûr que ce soit la solution, mais est-ce que la Commission de réforme du droit étudie les questions de compétences de ce genre?

+-

    M. Marc David: Je ne le sais pas, mais vous pourriez aussi demander l'avis d'un professeur de droit. Il est aussi possible de renvoyer la question à la Cour suprême du Canada, si cela vous intéresse, mais...

+-

    M. Chuck Strahl: Ce serait rapide.

    D'accord, merci.

    Merci, monsieur le président.

+-

    Le président suppléant (M. Ivan Grose): Merci, monsieur Strahl.

    Des témoins aimeraient-ils ajouter quelque chose pour conclure?

+-

    M. Marc David: J'aimerais simplement remercier les membres du comité de leur écoute attentive. J'ai bien aimé vous rencontrer, et je vous remercie de votre accueil.

-

    Le président suppléant (M. Ivan Grose): Je tiens à remercier les témoins. En fait, vous m'avez éclairé sur certains sujets ce matin, même si vous avez employé des mots latins. Comme je ne suis pas avocat et que je ne me suis jamais intéressé au latin au collège... Et oui, on enseignait le latin à l'époque où j'y étais.

    Quoi qu'il en soit, merci beaucoup.

    La séance est levée.