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HERI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Comité permanent du patrimoine canadien


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le jeudi 9 mai 2002




¿ 0915
V         Le président (M. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.))
V         
V         M. R.H. Thomson

¿ 0920

¿ 0925
V         M. Thor Bishopric
V         Le président
V         M. Jim Abbott (Kootenay--Columbia, Alliance canadienne)

¿ 0930
V         
V         M. Jim Abbott
V         
V         M. Jim Abbott
V         M. R.H. Thomson
V         M. Jim Abbott

¿ 0935
V         M. R.H. Thomson
V         

¿ 0940
V         Le président
V         Mme Christiane Gagnon (Québec, BQ)
V         Le président
V         Mme Christiane Gagnon
V         M. Thor Bishopric

¿ 0945
V         Mme Christiane Gagnon
V         
V         Mme Christiane Gagnon
V         M. Thor Bishopric

¿ 0950

¿ 0955
V         Le président
V         
V         
V         

À 1000
V         Mme Sarmite Bulte
V         
V         M. R.H. Thomson

À 1005
V         
V         M. Claude Duplain (Portneuf, Lib.)
V         

À 1010
V         
V         
V         Le président
V         M. R.H. Thomson
V         Le président
V         

À 1015
V         
V         Mme Wendy Lill
V         
V         M. Garry Neil
V         Mme Wendy Lill
V         M. Garry Neil
V         
V         Le président

À 1020
V         
V         Le président
V         

À 1025
V         M. Rupert Brendon

À 1030
V         
V         M. Garry Neil (conseiller en politique, Regroupement pour la création de crédits d'impôt pour les publicités canadiennes)
V         Le président
V         M. Jim Abbott
V         M. Garry Neil
V         M. Jim Abbott

À 1035
V         M. Rupert Brendon
V         M. Jim Abbott
V         
V         M. Jim Abbott
V         M. Garry Neil

À 1040
V         Le président
V         Mme Christiane Gagnon
V         M. Garry Neil
V         Mme Christiane Gagnon
V         M. Garry Neil

À 1045
V         Le président
V         Mme Sarmite Bulte
V         M. Garry Neil
V         Mme Sarmite Bulte
V         M. Rupert Brendon

À 1050
V         Mme Sarmite Bulte
V         Le président
V         Mme Wendy Lill
V         M. Garry Neil
V         M. Rupert Brendon
V         Mme Wendy Lill
V         M. Rupert Brendon
V         M. Garry Neil
V         Mme Wendy Lill
V         M. Rupert Brendon
V         Le président

À 1055
V         

Á 1100
V         M. Hamlin Grange

Á 1105
V         

Á 1110
V         Le président
V         M. Alexander Crawley (directeur exécutif, Caucus canadien de la vidéo et du cinéma indépendants)
V         
V         
V         M. Ira Levy
V         M. Stephen Ellis (président sortant, Association canadienne de production de film et télévision)
V         
V         Mme Julia Keatley
V         Le président
V         
V         Le président
V         

Á 1115
V         Mme Julia Keatley
V         

Á 1120
V         M. Ira Levy
V         

Á 1125
V         Le président
V         
V         Le président
V         Mme Barri Cohen (présidente nationale, Caucus canadien de la vidéo et du cinéma indépendants)

Á 1130
V         Mme Andrea Nemtin
V         

Á 1135
V         

Á 1140
V         Le président
V         M. Jim Abbott
V         

Á 1145
V         M. Stephen Ellis
V         M. Jim Abbott
V         Mme Julia Keatley
V         M. Jim Abbott
V         
V         M. Jim Abbott
V         

Á 1150
V         
V         Le président
V         
V         M. Ira Levy
V         
V         Le président
V         Mme Christiane Gagnon

Á 1155
V         
V         Mme Julia Keatley

 1200
V         
V         Mme Andrea Nemtin
V         
V         Mme Christiane Gagnon
V         M. Alexander Crawley
V         Le président
V         Mme Christiane Gagnon
V         M. Stephen Ellis

 1205
V         
V         Mme Julia Keatley
V         M. Ira Levy
V         Mme Sarmite Bulte

 1210
V         
V         M. Ira Levy

 1215
V         Mme Andrea Nemtin
V         Mme Julia Keatley
V         M. Stephen Ellis

 1220
V         Mme Barri Cohen

 1225
V         
V         Le président
V         Mme Wendy Lill

 1230
V         
V         Mme Julia Keatley

 1235
V         Mme Wendy Lill
V         Mme Julia Keatley
V         
V         Mme Barri Cohen
V         Le président
V         
V         Le président

 1240
V         
V         Mme Julia Keatley

 1245
V         Le président
V         M. Jim Abbott
V         Mme Julia Keatley

 1250
V         M. Jim Abbott
V         Mme Julia Keatley
V         M. Jim Abbott
V         Mme Julia Keatley
V         M. Jim Abbott
V         Le président
V         Mme Christiane Gagnon
V         

 1255
V         M. Ira Levy

· 1300
V         Le président
V         Mme Andrea Nemtin
V         Le président
V         
V         M. Jim Abbott
V         Le président

· 1305
V         M. Hamlin Grange
V         Le président
V         Mme Christiane Gagnon
V         Le président
V         Mme Sarmite Bulte
V         
V         Mme Sarmite Bulte
V         Le président
V         Mme Cynthia Reyes

· 1310
V         M. Hamlin Grange
V         Mme Cynthia Reyes
V         M. Hamlin Grange
V         Mme Cynthia Reyes
V         
V         M. Hamlin Grange

· 1315
V         Mme Sarmite Bulte
V         M. Hamlin Grange
V         Mme Sarmite Bulte
V         Mme Cynthia Reyes
V         Le président










CANADA

Comité permanent du patrimoine canadien


NUMÉRO 063 
l
1re SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 9 mai 2002

[Enregistrement électronique]

¿  +(0915)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.)): La séance du Comité permanent du patrimoine canadien, qui se réunit aujourd’hui pour continuer son étude de l’état du système de radiodiffusion canadien, est ouverte.

    Excusez-nous, mais nous n’avons pas beaucoup de membres aujourd’hui. Nombre d’entre eux assistent à différentes réunions et ils se joindront à nous en cours de séance.

    Nous avons le grand plaisir de recevoir aujourd’hui les représentants d’ACTRA, Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists, soit M. Thor Bishopric, son président; M. Garry Neil, son conseiller en politique; et enfin quelqu’un que nous connaissons tous, M. R.H. Thomson, qui est à la fois acteur, écrivain et radiodiffuseur.

    Monsieur Bishopric, vous avez la parole.

+-

    M. Thor Bishopric (président, Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists (ACTRA)): Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité.

    ACTRA saisit l’occasion qui lui est donnée ici de vous parler au nom des 18 000 professionnels du spectacle qu’elle représente. C’est nous que vous voyez et que vous entendez lorsque vous regardez ou écoutez des films canadiens, des émissions télévisées et d’autres oeuvres enregistrés en langue anglaise.

    Nous avons pensé à apporter des boules Quies et des protecteurs pour les oreilles pour ne pas que l’on entende les cloches appelant à voter. Monsieur le président, ils sont à votre disposition au cas où la situation du 27 novembre et du 18 avril venait à se reproduire.

    Je suis un acteur, un narrateur, un auteur et un metteur en scène travaillant à plein temps à Montréal qui consacre par ailleurs bien trop de temps à sa fonction de président élu bénévole du syndicat national. R.H. Thomson est l’un des acteurs les plus éminents du Canada. Robert est aussi un auteur, un metteur en scène et un radiodiffuseur. Ses états de service dans le domaine du film, de la télévision et du théâtre sont excellents. Il s’est vu décerner de nombreux prix prestigieux au titre de son travail. Garry Neil est le conseiller en politique d’ACTRA.

    Vous n’avez pas manqué de vous rendre compte au cours de l’année écoulée à quel point vous vous lancez dans une entreprise ambitieuse en procédant à l’étude du système de radiodiffusion canadien. Les problèmes sont nombreux et interdépendants. Ils sont étroitement liés à de grands enjeux économiques et internationaux. L’ensemble évolue rapidement. Le changement est si rapide que même si nous confirmons ici ce que nous avons écrit dans notre mémoire, nous pouvons vous dire que notre propre réflexion a évolué depuis l’été dernier.

    Nous sommes forcés d’admettre au bout du compte que nous avons échoué. Après un demi-siècle de mesures gouvernementales en faveur de la télévision canadienne et plus encore en ce qui a trait aux films, il m’est pratiquement impossible aujourd’hui de trouver une histoire canadienne sur le petit comme sur le grand écran. De plus en plus, ce sont des productions non canadiennes qui donnent du travail à R.H. Thomson, à Thor Bishopric et à tous les autres acteurs canadiens. Ces productions ne reflètent pas nécessairement notre vision du monde. Elles ne transmettent pas nos valeurs. Les émissions récréatives étrangères sont partout sur nos ondes et dans nos cinémas. Ce sont les émissions récréatives qui sont les plus regardées et celles qui sont les plus significatives sur le plan culturel.

    Ce n’est pas par manque de talents devant nous permettre de concevoir des émissions populaires de qualité que nos histoires ne sont pas vues et écoutées par les Canadiens. Ce n’est pas par manque de ressources. Nous n’avons tout simplement pas la volonté d’y parvenir.

    Notre échec résulte d’un certain nombre de facteurs. Radio-Canada est engluée par la bureaucratie. L’ONF n’est qu’une coquille vide. Les radiodiffuseurs privés prospèrent en important des émissions américaines bien ficelées, dont on abreuve le Canada. Ils passent très peu d’émissions canadiennes, tout juste le minimum pour ne pas encourir les foudres de la réglementation. Les producteurs indépendants ont besoin d’associés étrangers pour mener à bien leur financement. Des règles mal adaptées sur le contenu canadien récompensent des productions axées principalement sur un marché étranger avec un souci de créativité qui n’est pas canadien. Les regroupements au sein de l’industrie donnent naissance à des géants qui se sentent très peu d’obligations envers les Canadiens, et le CRTC renonce à imposer une réglementation sévère et des conditions strictes d’attribution des licences.

    Après une longue période de croissance financière et de développement artistique, l’industrie canadienne du film et de la télévision a atteint un plateau lors de la dernière décennie. Notre industrie était sur le point de s’imposer aux auditoires canadiens et internationaux. Toutefois, nous n’avons pas réussi à faire le saut et, depuis lors, nous avons enregistré un déclin de notre capacité et de notre volonté à produire des émissions canadiennes.

+-

    M. R.H. Thomson (acteur, auteur, et radiodiffuseur, Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists): Je m’appelle R.H. Thomson et je suis un acteur.

    Avant de passer à mon texte écrit, je tiens à vous dire que pour la première fois nous avons fait au Canada davantage de ce que nous appelons une production de service que d’une production purement canadienne. À Montréal et à Vancouver, il y a des cours de prononciation américaine. On peut assister à ces cours et apprendre à parler américain de façon à pouvoir travailler chez nous. Nous sommes heureux de pouvoir travailler, et je pense qu’il est normal que ces productions se fassent chez nous. Toutefois, David Hemblen, un excellent acteur canadien, m’a dit un jour sur un plateau: «Est-ce que tu n’es pas fatigué de parler avec l’accent de quelqu’un d’autre?»

    Il y a un changement qui se fait jour dans notre communauté. C’est lié à la diminution de nos productions. La diminution des productions canadiennes est liée à son tour aux forces déstabilisantes de la mondialisation économique. Je serai bien clair cependant: je considère que les échanges, la libéralisation du commerce et la mondialisation sont de bonnes choses, mais à condition seulement que ces mouvements puissants respectent les aspirations et les cultures de tous les peuples, ce qui n’est pas le cas en ce moment.

    Notre puissant ami du sud domine de plus en plus les marchés de l’audiovisuel dans le monde entier. Sa position dominante sur le marché canadien--ce dont témoignent les cours de prononciation américaine dispensés à Vancouver et à Montréal--a toujours rendu difficile d’un point de vue économique la commercialisation de nos propres productions et la mise en place des politiques et des programmes publics dont nous avons besoin pour contrecarrer l’homogénéisation culturelle.

    Ces politiques publiques sont de plus en plus menacées du fait des restrictions figurant dans les accords commerciaux internationaux. Ces restrictions sont le résultat des politiques de libéralisation du commerce, auxquelles je ne suis pas opposé. Les politiques de libéralisation du commerce incorporées à ces accords ont été négociées par des gens qui ne se désintéressaient ou ne se méfiaient pas des répercussions politiques et culturelles qui interviennent lorsque les gouvernements élus sont liés par les règles du commerce extérieur.

    La conséquence politique de la libéralisation du commerce pour Robert, en tant que citoyen, c’est que les pouvoirs de mon gouvernement élu--vous, en l’occurrence--sont diminués, et que mon vote démocratique personnel perd de sa valeur.

    La conséquence pour R.H., en tant qu’artiste, c’est que les mesures culturelles que les gouvernements canadiens qui se sont succédés ont mises en place au cours des deux dernières générations, mesures qui ont été en grande partie responsables des magnifiques succès obtenus au niveau de l’écriture, de l’édition, de la radiodiffusion, de la production de films et d’émissions de télévision ainsi que d’autres entreprises artistiques, sont considérées par les partisans de la libéralisation du commerce comme des barrières commerciales ou des subventions faussant le jeu du commerce. Nous ne pouvons pas souscrire à cette thèse. Elle est absurde.

    Voilà 14 ans, depuis qui l’on a commencé à discuter au niveau national d’un premier accord de libre-échange avec les États-Unis, que les artistes canadiens constatent que les gouvernements du monde entier ont de plus en plus de mal à promouvoir la diversité culturelle de leurs peuples et à contribuer à orienter leur avenir culturel.

    Les artistes canadiens ont appris que l’on pouvait se servir de l’économie pour démembrer et vider de leur contenu les initiatives culturelles. C’est pourquoi ils ont pris désormais la tête d’une campagne internationale pour faire face à ce phénomène des lois commerciales qui faussent à notre avis la culture. ACTRA agit au sein de deux groupes: la Coalition pour la diversité culturelle ici même au Canada et, à l’échelle internationale, un groupe appelé Réseau international pour la diversité culturelle.

    Je vais m’arrêter quelques instants pour vous en parler. Je suis un acteur. Pourquoi me faudrait-il prendre part à une campagne internationale sur les accords commerciaux? Nous avons assisté à l’adoption de l’ALÉ et de l’ALÉNA, et nous avons vu les répercussions de ces accords. On a vu ce qu’il est advenu de la dérogation que nous avons prononcée au sujet de la culture et de la disposition d’exemption correspondante. On a vu ensuite quel était le contenu de l’accord multilatéral sur l’investissement qui a été proposé dans le cadre de la ZLEA, la zone de libre-échange des Amériques.

¿  +-(0920)  

    Nous nous sommes aperçus que pour chacun de ces accords commerciaux, c’est la dimension culturelle de la vie politique ou de la nation qui y perdait un petit peu chaque fois. Chaque fois que nous avons lutté contre un accord commercial ou que nous avons cherché à intervenir dans le cadre d’un tel accord, nous nous en sommes assez mal sortis. Nous avons toujours perdu un peu de terrain, même si tout le monde nous a donné de grandes tapes dans le dos en nous disant que nous n’avions rien à craindre, que nous faisions partie du domaine de la culture et que la culture devait être exemptée.

    En tant que Canadiens, nous avons décidé de donner un coup d’arrêt à cette entreprise destructrice qui s’exerce par le biais des accords commerciaux internationaux. Nous avons créé un réseau d’artistes et d’organisations artistiques appartenant à 50 pays venant de tous les continents. Nous nous sommes qualifiés de réseau international pour la diversité culturelle. Nous n’avons pas d’argent. Nous partons toutefois du principe que si les artistes du monde entier veulent faire comprendre qu’assez c’est assez, il leur faut mettre fin à cet étouffement de la culture par les accords commerciaux.

    Nous oeuvrons en faveur d’un instrument international s’adressant à la culture--un traité de la culture. La ministre Copps nous appuie résolument. C’est elle qui a proposé la création de cet instrument sur lequel elle travaille en compagnie des ministres de la culture de 46 pays, je crois. Nous nous rencontrons tous les ans là où ils se rencontrent et nous présentons des recommandations. Il s’agit en fin de compte de conclure un traité international sur la culture. Si nous réussissons à faire signer un nombre suffisant de pays, nous donnerons un coup d’arrêt à cette évolution destructrice pour la plupart des cultures dans le monde entier.

    Il est stupéfiant de siéger avec des membres du Mozambique, de la Corée du Sud, de la Thaïlande, des États-Unis, de l’Espagne--de tous les pays du monde--et d’entendre parler un architecte du Mozambique, un distributeur de films de la Corée du Sud ou un petit éditeur de Saint-Pétersbourg, qui se heurtent tous aux mêmes difficultés en raison de ces accords commerciaux. Les artistes canadiens sont aux premières loges parce que ce sont eux qui ont la plus grande expérience de ces accords commerciaux et de la façon dont ils faussent et étouffent la culture.

    Je vous remercie.

    Je dois ajouter une chose. Nous invitons notre gouvernement, la ministre Copps et M. Pettigrew--qui lui aussi comprend de quoi nous parlons--à ne prendre aucun engagement sur la culture, la radiodiffusion ou les médias dans les années à venir tant que nous n’aurons pas mis en place ce traité international. Étant donné qu’il faudra un certain nombre d’années--quatre, cinq, six ou sept ans--avant que ce traité ne voit le jour, nous les adjurons véritablement à ne faire aucune concession aux partisans du commerce au cours des négociations menées sur ces questions.

    Je vous remercie.

¿  +-(0925)  

+-

    M. Thor Bishopric: Les artistes canadiens comme Robert sont en fait à la tête du mouvement international sur la diversité culturelle, et nous en sommes fiers. Ce n’est là toutefois qu’une partie de la solution aux difficultés que j’ai mentionnées tout à l’heure.

    Les artistes canadiens oeuvrent par ailleurs à la création d’un projet novateur en matière de culture canadienne que l’on va présenter très bientôt. Certains éléments de ce projet figurent dans le mémoire que vous a fait parvenir ACTRA et nous espérons que vous aurez la possibilité d’en prendre connaissance. Parmi les points principaux figure l’existence d’un radiodiffuseur de service public revitalisé et restructuré ainsi que d’un secteur indépendant de la production rénové et bénéficiant d’un appui public allant à ceux qui collaborent avec des créateurs et des artistes canadiens et qui risquent leur propre argent plutôt que de se contenter de se remplir les poches.

    Nous considérons dans le cadre de ce projet qu’il est absolument fondamental de continuer à réglementer le système de radiodiffusion canadien, d’appliquer des contingentements utiles et de s’assurer que ceux qui utilisent le service de radiodiffusion public pour faire des profits payent ce droit à son juste prix. ACTRA a avancé un certain nombre d’idées concernant la façon dont nous pourrions créer un cadre permettant à nos artistes de produire des émissions populaires susceptibles d’attirer les Canadiens. Nous avons toutefois beaucoup de travail à faire pour présenter notre nouveau projet de culture canadienne. Le malaise est profond, la crise est grave et il convient de tenir compte de tout un éventail de problèmes.

    Du fait de la mondialisation, de la convergence et de la poursuite de l’intégration verticale des industries du film, de la télévision, des médias numériques, de la radiodiffusion et des télécommunications, d’aucuns affirment qu’il est aujourd’hui impossible d’obtenir du succès en racontant des histoires canadiennes. Ce n’est pas notre avis. Les professionnels canadiens ne resteront pas les bras croisés en se laissant envahir par la monoculture internationale.

    Je vous remercie.

+-

    Le président: Merci, monsieur Bishopric et monsieur Thomson.

    Vous venez de faire passer un message très fort sur des questions fondamentales. Vous vous êtes montré d’une grande franchise en qualifiant le radiodiffuseur public d’énorme bureaucratie et l’ONF de coquille vide. Je suis impatient de connaître votre point de vue plus détaillé.

    Monsieur Thomson, je pense que vous avez exposé très clairement les défis posés par le commerce et son empiétement sur notre culture, ce dont je vous suis extrêmement reconnaissant.

    Je vais demander à M. Abbott de poser les premières questions.

+-

    M. Jim Abbott (Kootenay--Columbia, Alliance canadienne): Je vous remercie de votre exposé. Sans vouloir faire des politesses, laissez-moi vous dire très simplement, monsieur Thomson, que j’apprécie particulièrement votre travail. Par conséquent, si vous voyez dans l’un de mes propos une critique, vous saurez du moins que nous sommes partis sur un bon pied.

    Je m’intéresse particulièrement à l’idée de l’imposition de quotas qui soient utiles. Il m’apparaît que le Canada est une démocratie et que les élus qui assument ici leur mandat sont les représentants de l’ensemble de la population. Lorsqu’on nous dit que nous n’avons tout simplement pas la volonté d’agir, il semble que l’on se réfère à une conception de la démocratie qui n’est pas la mienne.

    Il convient de restructurer la Loi sur la radiodiffusion et nous devons aborder de front la question que vous avez évoquée aujourd’hui en faisant en sorte que les parlementaires jouent un rôle de chef de file. Au bout du compte, cependant, si la population choisit de ne pas regarder les émissions ou de ne pas appuyer l’action du gouvernement, est-ce que vous proposez que le gouvernement fasse comme si de rien n’était?

¿  +-(0930)  

+-

    Le président: Votre question s’adresse-t-elle à M. Thomson ou à M. Bishopric?

+-

    M. Jim Abbott: À M. Bishopric.

+-

    M. Thor Bishopric: Je vous remercie de cette question.

    Ce n’est certainement pas le cas. Ce qui nous a permis par le passé de concevoir et de distribuer avec succès les oeuvres canadiennes, ce sont certains appuis structurels dont la présence est fondamentale si l’on veut que nos histoires puissent être contées. Du fait de l’allégement progressif de la réglementation, particulièrement au sein du CRTC, il y a eu de moins en moins de contrôles et de moins en moins d’argent rendant possible les productions canadiennes. Il est donc devenu très difficile de concurrencer les émissions bien ficelées avec lesquelles les États-Unis inondent le marché canadien.

    Il est impossible de produire une émission dramatique d’une heure et de grande qualité à la télévision canadienne avec les budgets canadiens, les droits de licences canadiennes que les radiodiffuseurs poussent à la baisse et la possibilité pour les radiodiffuseurs canadiens d’acheter aux États-Unis une émission dramatique équivalente d’une heure en ne payant que 100 000 $, comme dans le cas de The West Wing. Le budget d’une émission dramatique canadienne du même type serait de plus de 1 million de dollars canadiens.

    Voilà un modèle économique très difficile à concurrencer pour les organismes de production canadiens. Étant donné qu’il y a de moins en moins de bons créneaux disponibles aux heures de grande écoute pour des oeuvres de ce type, il est difficile de réunir les budgets et les ressources nécessaires pour produire des émissions dramatiques de qualité.

+-

    M. Jim Abbott: Prenons deux émissions du même genre, telles que Cold Squad et Da Vinci’s Inquest, CTV a choisi de passer Cold Squad le samedi soir et je ne sais pas quel soir de la semaine est diffusé Da Vinci’s Inquest, mais c’est à une heure de grande écoute. Je vous ferais respectueusement remarquer que les téléspectateurs font des choix.

    Je ne m’y résoudrai jamais, mais le gouvernement pourrait bien décider d’adopter toutes sortes de règlements enjoignant aux téléspectateurs ce qu’ils doivent regarder ou cherchant à manipuler le marché. Toutefois, en dernière analyse, ce sont les Canadiens qui choisiront ce qu’ils vont regarder.

    Je vous ai peut-être mal compris, mais il me semble que vous nous dites qu’il nous faut davantage de réglementation pour que notre population voit davantage d’émissions canadiennes à la télévision et soit obligée de les regarder. C’est ainsi que je comprends votre intervention.

+-

    M. R.H. Thomson: Je dois bien préciser ici que les téléspectateurs regardent effectivement Da Vinci’s Inquest et Cold Squad. Il y a bien un auditoire. Les contingents, les subventions et les ajustements structurels permettent de maintenir un cadre dans lequel on peut créer des émissions canadiennes dans une situation économique caractérisée par ce que nous appelons le «dumping culturel».

    Si je produis une émission qui coûte 1 million de dollars et si je vous la vends 100 000 $, je vends au-dessous de mon prix de revient. Les producteurs américains vendent au-dessous de leur prix de revient sur notre marché. Nous ne pouvons pas vendre au-dessous de notre prix de revient sur notre propre marché et nous faisons donc l’objet d’un dumping culturel. Pour pouvoir conserver une marge de manoeuvre dans ce cadre économique et être en mesure effectivement de produire des émissions canadiennes qui vont être regardées, nous avons besoin d’ajustements structurels et de ce type de mesures.

    Si pour vous le seul critère de qualité d’une émission est le nombre de personnes qui la regardent, bien évidemment, plus elle a d’audience, plus elle est bonne. Ce n’est pas une bonne façon de juger de la qualité dans le domaine de la culture. Si c’était le bon critère pour juger de la culture, on pourrait faire une analogie avec l’alimentation et les hamburgers de McDonald seraient les meilleurs au monde parce que ce sont ceux qui se vendent le plus. C’est évidemment faux. Ce n’est pas le meilleur produit alimentaire au monde, mais c’est celui que les gens achètent le plus. On ne peut pas appliquer non plus ce critère au domaine artistique et aux oeuvres culturelles. Ça ne marche pas.

+-

    M. Jim Abbott: Cela m’amène à me poser la question de savoir ce qui fait que le contenu canadien est canadien. J’ai posé à maintes reprises cette question à différents témoins, mais malheureusement je n’ai jamais pu avoir de réponse.

    Quelle est la nature du contenu canadien? Comment le définir?

¿  +-(0935)  

+-

    M. R.H. Thomson: C’est comme la définition d’une frontière, lorsqu’on la regarde de près, elle devient vite absurde. Penchez-vous sur n’importe quelle frontière, celle entre le Canada et les États-Unis, elle devient vite absurde lorsqu’on y regarde de près. De quel côté de tel ou tel caillou se trouvent les États-Unis ou le Canada?

    Si vous examinez cette définition au microscope, elle apparaît absurde. Cela dit, il vous faut effectivement faire certains jugements de valeur, qui ne sont pas arbitraires, sur ce qui est canadien et sur ce qui ne l’est pas. Vue de trop près, toute définition devient absurde.

    La réglementation sur le contenu canadien est un ensemble de définitions permettant d’apprécier ce qui est canadien. Est-ce que l’auteur est canadien? Est-ce que le metteur en scène est canadien? Est-ce que l’acteur le mieux payé est canadien? C’est pourquoi il nous faut un ensemble de règles. Lorsqu’on les considère sous un certain angle, elles deviennent absurdes. Je peux toujours les sortir de leur contexte en adoptant certains points de vue particuliers. Cela ne veut pas dire qu’elles ne soient pas nécessaires.

    Je m’efforce d’aborder de manière générale le problème de la définition d’une oeuvre canadienne. C’est une question qui par essence devient absurde, mais il faut cependant y répondre d’une certaine manière pour pouvoir opérer sur le marché.

+-

    M. Thor Bishopric: J’aimerais répondre à votre question précédente ou du moins préciser quelque peu notre position.

    Alors que le CRTC modifiait sa réglementation, nous avons vu décliner la production canadienne. Ce déclin a coïncidé exactement avec l’assouplissement de ces règles. Ainsi, 11 séries dramatiques canadiennes de 60 minutes ont été produites en 1999. En 2001, il y en a eu cinq. Cela correspond à une baisse significative de la production. Si l’on produit de moins en moins de séries dramatiques, c’est parce que les règles s’appliquant au contenu canadien sur les ondes ne sont plus aussi strictes.

    Je ne pense pas que les Canadiens aient déclaré à l’unisson qu’ils voulaient un contenu canadien moindre et que par conséquent le CRTC a démocratiquement réduit la quantité de contenu exigé. Je rejette cet argument.

    Nous avons besoins de ces aménagements de structure si l’on veut que l’on puisse raconter des histoires canadiennes.

    Sur la question de ce qui constitue le contenu canadien, je ne connais pas toute la réponse, mais je sais ce que c’est qu’une histoire. Robert pourra vous dire qu’il n’y en a que cinq. J’espère que vous réussirez à le suivre dans cette discussion très utile. Il n’en reste pas moins que des histoires canadiennes sont des histoires qui sont racontées par des Canadiens.

    Un contenu canadien est un contenu qui englobe les Canadiens, un point c’est tout. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il faille que l’histoire se situe sur le marché Kensington ou dans tout autre quartier. Cela ne veut pas dire qu’il faille nécessairement que l’on parle un dialecte particulier ou que l’on termine toutes les phrases par «eh». Ce que cela veut dire, c’est que ce sont des conteurs canadiens qui racontent des histoires. En outre, en nous assurant que les auteurs, les metteurs en scène, les acteurs, les narrateurs, les techniciens et les directeurs de la photographie font des films, inventent des histoires, créent des oeuvres d’art, nous assurerons la survie de la culture canadienne. Nous ferons en sorte que l’on raconte des histoires pertinentes sur le plan culturel. Le marché se chargera alors d’apprécier ces oeuvres. Toutefois, elles auront au moins pu être créées.

    Nous voyons l’ensemble du système se dégrader. En tant que président du syndicat des acteurs, il m’apparaît évident qu’il y a de moins en moins de débouchés pour les artistes canadiens.

    Qu’est-ce que la culture canadienne? La culture canadienne, c’est la possibilité pour les Canadiens d’être canadiens. C’est la possibilité pour les Canadiens de vivre des vies canadiennes, de rêver comme ils l’entendent, de raconter leurs histoires comme ils le veulent, et pour les acteurs de jouer--non pas avec un accent canadien, mais tout simplement de jouer. Lorsqu’on nous donne cette possibilité, nous apportons une contribution à la culture canadienne. Plus les Canadiens ont la possibilité de vivre et de travailler en tant que Canadiens dans leur propre pays, sur des projets qui ont un sens pour nous sur le plan artistique, plus nous contribuons à maintenir notre patrimoine global.

    Je ne peux pas vous donner de règle sur le contenu ou sur le contingentement susceptible de vous garantir que l’oeuvre va être canadienne. Je sais toutefois que si l’on permet aux Canadiens de travailler, tout simplement de travailler--et de plus en plus, les Canadiens ne sont pas autorisés à travailler sur les productions étrangères qui sont tournées ici--nous apporterons une contribution importante à notre culture.

¿  +-(0940)  

+-

    Le président: Vous faites preuve ici d’une grande passion, monsieur Bishopric. C’est tout à fait réjouissant.

    Madame Gagnon

[Français]

+-

    Mme Christiane Gagnon (Québec, BQ): J'espère que ma passion va être aussi bien comprise.

+-

    Le président: On l'espère. Ça dépendra de vous.

+-

    Mme Christiane Gagnon: Depuis la mise en application des règlements concernant la Loi sur la radiodiffusion et les différentes mesures qui ont été prises pour appuyer la production canadienne, vous faites un constat assez négatif de l'appui qui est donné à la production canadienne.

    J'aimerais savoir si vous faites le même constat concernant la production au Québec, soit la production faite par les francophones du Québec et celle des anglophones. Même s'il reste des choses à améliorer, j'ai tout de même l'impression que la production québécoise francophone est plus vivante et que la population s'identifie davantage à cette production, bien qu'il serait souhaitable de traiter de sujets plus régionaux ou locaux. Avez-vous un regard aussi critique par rapport à ces productions québécoises?

+-

    M. Thor Bishopric: Merci de votre question.

[Traduction]

    J’habite et je travaille à Montréal. D’ailleurs, je suis resté hier en studio jusqu’à 19 heures pour doubler un film québécois en anglais, et c’était mon troisième contrat de la journée. Un peu plus tôt, j’avais doublé en anglais une série dramatique québécoise, 2 Frères, et hier soir j’ai doublé Nuit de noces, une autre émission excellente.

    Au Québec, l’industrie culturelle est florissante. Nombre de mes amis, notamment Pierre Curzi de l’Union des artistes, souhaiteraient qu’elle soit bien plus forte encore. Il est évident que les professionnels de la culture ont la passion de la culture. Au Québec, il existe de nombreuses différences, de nombreuses distinctions, et l’existence de la langue française garantit un marché indépendant.

    Les défis que doivent relever les productions anglophones sont bien différents et les conséquences bien plus désastreuses. Étant donné la présence de nos amis du sud et de leur politique consistant à placer les oeuvres culturelles des É.-U. au Canada... Ce n’est pas ainsi qu’ils s’expriment. En fait, les entreprises des États-Unis considèrent le Canada comme faisant partie du marché intérieur des É.-U. depuis au moins 70 ans. Autrement dit, le Canada n’est pas considéré comme un marché distinct. Tout est mis dans le même sac lorsqu’il s’agit d’acquérir des droits de licence sur ces territoires.

    Étant donné que nous avons une telle quantité de contenu non canadien qui se déverse sur notre marché anglophone, nous ne pouvons pas obtenir les écrans et les plages horaires télévisées. J’ai d’ailleurs pris connaissance lors de conférence de l’ACPFT organisée ici même à Ottawa d’une statistique fournie par l’association des distributeurs--il y a de quoi être horrifié--qui nous disent que les cinémas canadiens projettent 0,2 p. 100 d’oeuvres canadiennes. Autrement dit, 99,8 p. 100 de tous les films que nous allons voir sur les écrans des salles canadiennes ne sont pas des films canadiens.

    La situation est radicalement différente au Québec. Un pourcentage bien plus raisonnable de films québécois en français sont projetés au Québec. Toutefois, ce n’est certainement pas la majorité. Ce n’est qu’un faible pourcentage comparativement à la quantité d’oeuvres importées ainsi qu’à la production des États-Unis, qui est doublée en français.

    Par conséquent, même si nous partageons les mêmes préoccupations que nos collègues francophones du Québec et même si mes amis acteurs au Québec se lamentent sur leur situation et la nôtre, celle des productions canadiennes anglophones est bien plus catastrophique.

¿  +-(0945)  

[Français]

+-

    Mme Christiane Gagnon: Merci.

    Certains témoins nous ont même parlé du pourcentage de contenu canadien, surtout en ce qui concerne la chanson canadienne à la radio. Certains souhaiteraient qu'il soit moins élevé; je pense qu'il est présentement de 35 p. 100 pour la radio, et ils considèrent cela comme un irritant. Cela pourrait libérer une part du marché, mais je crois que ceux qui seraient intéressés à se l'approprier seraient les Américains.

    Croyez-vous que de telles mesures pourraient miner la production d'émissions radiophoniques canadiennes?

[Traduction]

+-

    M. Thor Bishopric: Nous ne voulons certainement pas nous faire ici les avocats de la déréglementation. Au cas où une déréglementation encore plus poussée serait jugée appropriée--et nous espérons que ce ne sera pas le cas--nous proposerons des stratégies pour nous assurer que les organismes qui utilisent les réseaux de radiodiffusion publics à des fins lucratives payent chèrement ce droit. Toutefois, nous n’en sommes pas encore là, et nous espérons que ça ne se produira pas.

    Tout ce que nous pouvons dire, c’est que ce qui s’est passé dans le domaine musical au Canada va dans le sens de notre argumentation. Lorsqu’on protège les ondes en faveur de la musique canadienne, celle-ci devient florissante. Lorsqu’on voit ce qui se passe sur la scène musicale canadienne, en anglais comme en français, on se rend compte que nous avons produit de grandes vedettes, des artistes parmi les plus grands du monde--Céline Dion, qui est peut-être le plus grand succès international dans l’histoire de la musique populaire, et bien d’autres. Nous avons pris d’assaut l’industrie musicale des États-Unis, non pas parce que c’était notre stratégie, non pas parce que le Canada veut dominer la scène mondiale, mais parce que les artistes canadiens sont en mesure d’exercer leur domination.

    L’expérience canadienne, à mon avis, est l’une des plus riches et des plus significatives que l’on n’ait jamais vu sur le plan culturel. Nous sommes différents des Américains. Nous sommes différents de tout le monde. Nous avons nos propres caractéristiques et notre voix mérite d’être entendue. Plus encore, il est bon que le monde entende notre voix. Il tirera le bénéfice des histoires que nous avons à raconter. Les histoires racontées par les Canadiens sont fabuleuses. C’est aussi le cas des chansons canadiennes et des émissions dramatiques qui passent à la radio, composées et jouées par des Canadiens. Toutefois, les pressions financières nous empêchent de les produire. La situation est très claire. C’est ce qui se passe. Nous pouvons rester les bras croisés et attendre de voir venir, ou nous pouvons chercher à faire quelque chose.

[Français]

+-

    Mme Christiane Gagnon: Dans le cadre des mesures du Fonds canadien de télévision, que souhaiteriez-vous qu'on améliore pour ce qui est des critères qui permettent aux producteurs de produire? Qu'est-ce que vous aimeriez qu'on intègre à ces mesures? Quel irritant faudrait-il éviter dans le domaine de la production canadienne télévisuelle? Il faut aussi se rappeler que Téléfilm Canada est là pour appuyer les producteurs indépendants.

[Traduction]

+-

    M. Thor Bishopric: Je ne peux pas vous donner une réponse globale dès maintenant, mais je peux aborder certains enjeux et évoquer certaines améliorations qui pourraient beaucoup nous aider.

    Il est évident que dans un cadre réglementé nous avons besoin d’une réglementation logique, qui donne des résultats. Le contenu canadien, que l’on est en train de revoir, est fondamental, étant donné que si l’on ne garantit pas ces plages horaires, aucun produit ne sera conçu pour s’y adapter.

    Excusez-moi d’avoir utilisé le terme de «produit». Je suis un artiste. Je suis convaincu que les films et les émissions télévisés sont des oeuvres d’art, mais je dois faire tellement de discours devant un si grand nombre d’augustes assemblées que je me suis mis à parler de «produit» et de «contenu».

    Ce sont des oeuvres d’art. Ce sont des films. Ce sont des histoires que les gens peuvent raconter parce qu’ils ne supporteraient pas l’idée de ne pas le faire. Ils ont cette passion. Ils veulent faire entendre leur voix; ils veulent que leurs histoires se sachent. Malheureusement, comme la réglementation a permis que l’on produise de moins en moins d’oeuvres canadiennes, on en a produit de moins en moins.

    Du point de vue des acteurs, l’évolution survenue dans l’industrie privée au Canada est très regrettable. Des milliards de dollars ont été injectés pour appuyer la production--des milliards de dollars provenant des contribuables. Aujourd’hui, nos principaux producteurs nous disent qu’il n’est décidément plus rentable de produire du contenu canadien, que l’on va en faire de moins en moins et que l’on va se le procurer sur le marché libre. En conséquence, les droits de licence s’orientent à la baisse, des budgets de moindre qualité sont mis en place pour produire les oeuvres importantes qui doivent être créées, et les artistes sont moins nombreux à travailler.

    Nous considérons que ces entreprises, qui bien souvent se sont dotées d’un modèle d’exploitation consistant à acquérir une présence internationale--à acheter des entreprises de radiodiffusion dans des grands pays, à ouvrir des divisions de production dans le monde entier, à optimiser la valeur pour les actionnaires--ont réalisé des manoeuvres qui n’ont pas été profitables à la culture canadienne puisque, finalement, il s’est produit de moins en moins d’oeuvres culturelles canadiennes.

    L’argent des contribuables canadiens a servi à gonfler largement les bilans et les marges de profit de ces entreprises canadiennes qui aujourd’hui, à notre avis, tournent le dos à la production. Elles ont atteint une masse critique leur permettant de se doter de plus grands réseaux de communication dans le monde et d’acquérir des sociétés internationales--et quel est le bénéfice pour la production d’émissions canadiennes? Nous n’en voyons pas la couleur.

    Nous sommes convaincus qu’au sein d’une industrie rénovée, les organismes de production prendront davantage d’engagements et que l’on risquera davantage de capitaux, en partie ceux des producteurs. Il y a une expression que l’on utilise dans l’industrie, c’est «l’argent des autres». Un ami à moi m’a déclaré alors que je travaillais en sa compagnie à la production d’une série télévisée: «Thor, Thor, je t’arrête là.» J’envisageais d’investir effectivement de l’argent pour faire une émission-pilote. Il m’a dit «Ne va pas plus loin. Ne parle pas comme ça. C’est l’argent des autres qu’il faut.» Que veux-tu dire par là...? «C’est avec l’argent des autres que l’on produit. Avec l’argent des autres; pas avec son propre argent. Ne soit pas stupide.»

    De mon point de vue--je suis jeune et naïf--cela a eu des effets dévastateurs sur notre industrie. Sans la motivation du profit--en fait, d’un point de vue purement capitaliste--personne n’a su mettre ici en place un système vraiment rentable.

¿  +-(0950)  

    Il n’y a pas de système de vedettariat au Canada, sauf au Québec, où le système se porte très bien. La culture y est florissante parce que l’on forge des héros, des symboles culturels qui sont le reflet de l’identité québécoise aux yeux de la population du Québec. C’est fondamental.

    Par l’entremise de son système de vedettariat, Hollywood a créé des héros, mais pas seulement à l’intention des citoyens des États-Unis mais pour tous les pays du monde, des héros si forts, si puissants, que les nôtres ne peuvent pas les concurrencer. De mon point de vue, c’est là le résultat d’un capitalisme bien compris qui a amené ce pays à se pencher sur les meilleurs moyens de domination.

    Je vous répète que nous ne cherchons pas à dominer. Nous voulons pouvoir raconter nos propres histoires.

¿  +-(0955)  

+-

    Le président: Madame Bulte.

+-

    Mme Sarmite Bulte (Parkdale—High Park, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Je vous remercie tous d’être venus et de n’avoir pas renoncé après maintes tentatives à vous présenter devant notre comité. Je ne peux que vous en féliciter.

    J’ai un certain nombre de questions à vous poser.

    Garry, je connais votre compétence sur la question des accords commerciaux internationaux et de l’OMC. J’aimerais que vous nous disiez quelques mots de ce qui s’est passé à l’OMC lors de la dernière ronde de négociations qui a eu lieu au Qatar, ainsi que ce à quoi nous devons nous attendre et dans quelle mesure cela pourrait avoir une influence sur nos services de radiodiffusion.

    Robert, merci d’avoir fait allusion au Réseau international sur la politique culturelle, qui est le pendant gouvernemental du RIDC. Vous n’ignorez pas qu’il existe un projet d’accord, un texte déjà préparé qui sera présenté aux ministres en septembre, en Afrique du Sud. Je considère par conséquent qu’en notre qualité de parlementaires, qui nous déplaçons dans le monde entier, il nous incombe d’inciter davantage de pays à se joindre à cette coalition.

    Je voudrais aussi que vous nous disiez quelles sont les mesures culturelles qui vous paraissent manquer. Vous nous avez rappelé qu’il y a des années certaines mesures étaient en place dans le domaine culturel qui nous ont aidé à développer ces industries culturelles florissantes. Qu’est-ce qui manque donc selon vous et comment peut-on retrouver la volonté de produire des oeuvres canadiennes? C’est bien beau de vouloir y parvenir, mais qu’est-ce qui vous paraît nécessaire pour traduire dans les faits cette volonté?

    Au sujet de vos commentaires, je sais de qui vous parlez lorsque vous nous dites que de grandes entreprises ne produisent pas d’oeuvres canadiennes, mais il y a des radiodiffuseurs indépendants, nombre d’entre eux étant implantés dans ma propre circonscription--Tapestry Films, Epitome Pictures--qui produisent des oeuvres canadiennes, qui sont de petits producteurs indépendants et qui tirent profit de ces programmes. CTV a récemment diffusé sur les ondes leur émission vedette dont ils sont très fiers, The Jonathan Wamback Story, qui a été produite par Mary Young-Leckie, la productrice de The Arrow. Au sujet de ces mesures fiscales, vous nous dites que l’on produit avec l’argent des contribuables, mais cela donne de magnifiques oeuvres canadiennes.

    Je crois qu’à un moment donné vous avez recommandé que l’on redonne un coup de fouet à la production indépendante. Vous ne pouvez pas gagner sur les deux tableaux. Vous ne pouvez pas condamner d’un côté les avantages, alors que d’un autre côté.... On ne peut pas jurer uniquement par Alliance Atlantis ou Robert Lantos, parce que le secteur de la production est bien plus vaste que cela.

    Avant d’accuser les producteurs, je pense qu’il faut aussi blâmer jusqu’à un certain point le CRTC étant donné qu’il a changé ses priorités concernant les émissions. On produit en réalité moins d’émissions dramatiques parce que le CRTC a laissé faire cette évolution. Ce ne sont plus les émissions dramatiques qui ont la priorité dans la programmation. Tout le monde nous dit que les émissions dramatiques sont bien trop chères et c’est pourquoi Alliance Atlantis n’en produit plus, mais cela n’empêche pas Mary Young-Leckie, Linda Schuyler et Ira Levy de produire des émissions dramatiques canadiennes. J’aimerais maintenant savoir ce que vous en pensez.

+-

    M. Thor Bishopric: Je vais peut-être procéder dans l’ordre inverse et vous répondre sur la dernière partie de la question.

    Je n’ai cité le nom d’aucun producteur et je n’accuse aucun d’entre eux--soyons bien clairs. Je suis tout à fait d’accord avec ce que vous venez de dire. Il y a d’excellents producteurs indépendants au Canada qui font le maximum pour produire des histoires canadiennes. Nombre d’entre eux sont mes amis. On voit se créer de magnifiques productions. Ce qui nous fait réfléchir, c’est ce déclin évident et impressionnant. Il y a un déclin.

+-

     Nous avons de magnifiques producteurs, très bien intentionnés. Nombre d’entre eux sont évidemment des artistes dans l’âme. Ils aiment l’art. Ils proviennent de milieu d’artistes et ils cherchent sans aucune concession à créer des oeuvres d’art, à raconter des histoires importantes. Ils n’abandonnent pas. Tout cela, ils doivent le faire alors qu’autour d’eux les droits de licence sont en baisse et que l’on remet en cause leur capacité de produire.

    Je prends l’exemple que vous venez d’indiquer: à partir du moment où les grands producteurs du pays ont jugé qu’il n’était plus rentable de produire des émissions dramatiques, il faut remercier des gens comme Ira Levy, que vous avez mentionnée, qui n’ont pas abandonné. Toutefois, qu’est-ce que cela signifie? Cela signifie que les plus grandes sociétés, les mieux équipées, tournent le dos aux émissions dramatiques et que seuls les producteurs indépendants, ceux qui sont les plus motivés, vont maintenir ce type de production.

À  +-(1000)  

+-

    Mme Sarmite Bulte: Vous commencez à vous engager dans la même voie. Toutefois, est-ce qu’on ne peut pas considérer par ailleurs qu’il s’agit là d’un créneau pour ces producteurs indépendants...? Je pense que c’était une de vos prévisions. Que nous faut-il donc faire, par conséquent, pour encourager ce secteur indépendant de la production, plutôt que de faire confiance aux grands producteurs pour produire des films canadiens? Nous devons mettre des mesures en place et je considère que nous avons ici une véritable chance.

    M. Thor Bishopric: Effectivement.

    Mme Sarmite Bulte: Par ailleurs, lorsque vous nous parlez de la baisse des droits de licence, vous référez-vous uniquement aux grands radiodiffuseurs comme CTV ou CanWest Global? Que dire des chaînes thématiques? N’y a-t-il pas là une chance qui s’offre à nous et le gouvernement ne devrait-il pas aider et promouvoir toutes ces chaînes thématiques à mesure que nous allons entrer dans l’ère numérique? J’ai besoin de votre aide ici. De quoi a-t-on besoin?

+-

    M. Thor Bishopric: On a besoin de beaucoup de choses. Vous nous avez interrogés sur la volonté de produire. Comment se donner la volonté de produire? On a pu voir ces 20 dernières années au Canada de nombreuses tentatives de production qui se sont soldées par des échecs. Nombre de productions n’ont pas permis de récupérer l’argent investi. Les producteurs n’ont pas pu rentrer dans leur argent. Nous considérons qu’une partie du problème vient de l’assouplissement de la réglementation sur le marché.

    Lorsqu’on attribue des plages horaires à certaines productions, la concurrence apparaît sur le marché. Les producteurs se font concurrence pour occuper ces plages horaires. Une concurrence de ce type, même dans le domaine de la culture, est très saine, étant donné qu’elle contribue à l’amélioration de la qualité des films produits en fonction de ces plages horaires. Lorsque ces plages diminuent et se réduisent, la concurrence est moins forte entre différents producteurs, chacun d’entre eux s’efforçant jusqu’alors de tirer la meilleure histoire d’un auteur et de faire jouer les meilleurs acteurs, et les oeuvres ne sont pas créées.

    Pour ce qui est des chaînes thématiques et des chances qu’elles offrent, vous avez tout à fait raison, il y a là de nouveaux débouchés pour les émissions. Mais là encore, le nombre de chaînes thématiques est si grand et les nouvelles possibilités de diffusion numérique si vastes que cela contribue là aussi à faire baisser les droits de licence. On a donc de moins en moins d’argent pour produire ces oeuvres de qualité. Par conséquent, les conditions propres à la concurrence qui permettraient de garantir en permanence la qualité des oeuvres sont absentes, et l’on fait face à la critique des gens qui nous disent qu’après tout, si la population canadienne ne veut pas les regarder, nous avons aucun moyen de l’y obliger. Étant donné cependant la situation géographique et économique de notre pays, nous ne pouvons pas nous décharger de nos responsabilités, qui sont de garantir une possibilité de choix aux Canadiens. Les Canadiens doivent pouvoir, s’ils le souhaitent, choisir une oeuvre canadienne, et la tendance actuelle rend la chose impossible.

+-

    M. R.H. Thomson: J’aimerais rajouter une ou deux choses, si vous me le permettez.

    Cela nous ramène à la question posée par M. Abbott: pourquoi n’y a-t-il pas suffisamment de Canadiens qui regardent des oeuvres canadiennes? Bien sûr qu’ils regardent des oeuvres canadiennes, nous le savons. Le marché se fragmente et par conséquent on peut dire que chaque oeuvre est moins regardée. Toutefois, si instinctivement les Canadiens ne se précipitent pas en masse pour regarder des oeuvres canadiennes, c’est parce que depuis 80 ans nous laissons les États-Unis définir nos principaux goûts en matière culturelle. Ce sont eux qui fixent les principaux signes culturels, le style d’émission télévisée auquel nous nous attendons. Ce sont des oeuvres bien léchées, dont le coût de production est élevé, les acteurs ayant un certain style--je dirais qu’il faut une bonne apparence--on a ainsi fixé le style, les principaux signes de reconnaissance. Notre critère de référence n’est pas la France, l’Angleterre, l’Espagne ou le Brésil; il est fixé par un seul pays--les États-Unis. Par conséquent, pour que des émissions soient populaires, il faut respecter ce style, pour ainsi dire. Dans ce genre, nous ne pourrons jamais battre les Américains sur leur terrain, parce qu’ils peuvent dépenser dix fois plus que nous. C’est un dilemme dont il est bien difficile de sortir.

    J’ai le sentiment, cependant, que les radiodiffuseurs publics ont un plus grand rôle à jouer. Ils sont à l’abri de ces bourrasques économiques ou de ce que nous appelons le dumping culturel. Ils n’ont pas à respecter les signes de reconnaissance transmis par les forces économiques en provenance d’un autre pays.

    Je regrette les compressions budgétaires que l’on a pratiquées à Radio-Canada. Je sais que Radio-Canada a des difficultés et ACTRA tient à présenter à ce sujet des recommandations qu’elle aimerait voir suivies d’effets. Il n’en reste pas moins que Radio-Canada et que les autres radiodiffuseurs publics ont la possibilité de produire des émissions dramatiques dégagées des contingences du marché, si l’on peut s’exprimer ainsi. Lorsque qu’elle a produit des séries d’émissions historiques, comme celle de Trudeau, les téléspectateurs les ont regardées, c’est indéniable. Radio-Canada a toutefois renoncé à jouer ce rôle, et je le regrette d’une certaine façon.

    Nous recommandons par ailleurs que Radio-Canada soit autorisée à exploiter des chaînes thématiques qui ne soient pas axées sur les signes de reconnaissance d’une autre culture mais dont la mentalité soit celle d’un radiodiffuseur public, plus libre qu’un radiodiffuseur privé. Un radiodiffuseur public, qui a l’esprit plus libre, peut faire des choses qu’il est impossible de faire dans le secteur privé.

À  +-(1005)  

+-

    Le président: Étant donné l’importance de votre témoignage, je vous ai accordé beaucoup de temps pour que nous puissions vous entendre, surtout lorsqu’on sait que vous êtes déjà venu auparavant et que l’on a interrompu votre témoignage. Toutefois, nous devons entendre plusieurs autres groupes et, par respect pour ces derniers, il faudrait peut-être que nous accélérions la discussion.

    Je vais passer la parole à M. Duplain puis à Mme Lill et nous passerons à la suite.

    Monsieur Duplain.

[Français]

+-

    M. Claude Duplain (Portneuf, Lib.): Je vous félicite de votre témoignage et sachez que j'entérine en grande partie ce que vous dites. J'aimerais surtout mieux comprendre la situation et savoir de quelle façon, en tant que parlementaires, nous serions en mesure de vous aider. On sait que le marché est restreint ici, au Canada, et que cela nous pose un gros problème par rapport aux États-Unis.

    Je vais vous poser différentes questions auxquelles vous pourrez répondre l'une après l'autre. Vous avez dit que le CRTC a fait des changements dans la réglementation, ce qui a eu pour effet de réduire la programmation. Si j'ai bien compris, il s'agit de changements dans la réglementation par rapport au contenu canadien, n'est-ce pas? Vous avez ajouté qu'il y a même des exemples où le CRTC ne sévit pas. Est-ce exact?

    Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de ce qui se passe quand le CRTC ne sévit pas en cette matière? En troisième lieu, j'aimerais savoir à quel moment les Canadiens décideront qu'ils ne peuvent plus se permettre d'appuyer une industrie culturelle. Est-ce qu'il y a un point de transition où, même si on peut rajouter de l'argent, les Canadiens vont refuser de payer pour avoir le contenu canadien?

    Ma dernière question--et vous pouvez y répondre en vitesse--se rapporte à vos propos sur le contenu canadien et les émissions américaines que l'on essaie de reproduire. Cela ne serait-il pas un des problèmes, justement, qu'on essaie trop de reproduire d'émissions américaines à la canadienne? J'aimerais connaître votre opinion à ce sujet.

[Traduction]

+-

    M. Thor Bishopric: Je vous remercie. Il y a là quatre questions et, comme le temps presse, je vais m’efforcer de rester bref.

    Je vais répondre, ou tenter de répondre, à votre première question. Que pouvez-vous faire pour nous aider? Disons pour commencer que l’on exagère quelque peu en affirmant que nous avons échoué dans nos efforts en vue de défendre la culture canadienne. Je ne veux pas faire de polémique ici et je vous avoue bien franchement qu’ACTRA est prête à reconnaître qu’elle a elle aussi certaines responsabilités en la matière. Nous n’avons pas suffisamment fait entendre notre voix pendant un certain nombre d’années en raison de conflits internes et d’autres difficultés, mais nous sommes prêts maintenant à nous joindre au débat parce que c’est crucial. De toute évidence, mon organisation a remis de l’ordre dans son fonctionnement. Nous avons de meilleures communications avec les organisations qui sont nos homologues dans le domaine culturel. Nous nous efforçons de mettre sur pied une coalition d’intérêts au sein de la communauté artistique du Canada de manière à pouvoir faire quelque chose et à contribuer à élaborer certaines solutions sans nous contenter de pester contre le système ou de montrer les gens du doigt.

    Vous pourriez nous aider en vous assurant qu’il y a quelqu’un pour écouter les préoccupations des artistes. Vous pourriez nous aider en faisant en sorte que le CRTC et d’autres mécanismes structurels soient préservés. Vous pourriez nous aider en nous garantissant que Radio-Canada conserve toute son importance pour vous-même et pour l’ensemble de la population canadienne, et qu’elle soit préservée et renforcée. Vous pourriez y parvenir en précisant clairement que le Canada est résolument en faveur de la diversité culturelle et qu’il n’est pas question qu’il prenne des engagements sur la culture dans le cadre des accords commerciaux.

    Je vais demander à Garry Neil de vous donner les exemples que vous avez demandés au sujet du CRTC.

À  +-(1010)  

+-

    M. Garry Neil (conseiller en politique, Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists (ACTRA)): Le CRTC a joué un rôle en la matière en deux grandes occasions. La première fois, c’est lorsqu’il s’est prononcé en 1998-1999 sur la politique de la télévision en réduisant de manière significative les obligations des radiodiffuseurs privés lorsqu’il s’agissait de produire les émissions les plus onéreuses telles que les émissions dramatiques. Les exigences antérieures ont été remplacées par un ensemble de conditions portant sur les émissions prioritaires et l’on a modifié la définition en l’élargissant de manière à inclure dans les catégories de programmes sous-représentés les documentaires de longue durée. Les engagements prévus par la réglementation ont donc été tenus en recourant à des émissions de plus faible valeur, celles que l’on qualifie d’émissions vérité, et par des documentaires de longue durée, au détriment des émissions dramatiques, par exemple.

    La deuxième décision du conseil qui nous a particulièrement inquiétés a trait aux nouveaux médias. On a décrété qu’une certaine partie de l’information transmise par Internet ou par les réseaux informatiques se présentait sous la forme d’émissions que l’on pouvait qualifier par conséquent de radiodiffusions, sans leur appliquer cependant aucune réglementation. Nous considérons qu’il s’agit là d’une décision à très courte vue. Il est absolument indispensable que les fournisseurs de services par Internet soient réglementés comme des distributeurs lorsque dans la pratique ils diffusent des émissions.

    Vous nous avez demandé quelles étaient les limites apportées par les pouvoirs publics canadiens à la production canadienne. Aux yeux d’ACTRA, il y a un déséquilibre structurel qui exigera toujours que l’on prenne des mesures pour équilibrer les règles du jeu en faveur des producteurs et des artistes canadiens. L’équilibre précis entre les différentes mesures, les subventions, les régimes de réglementation, les exigences liées au contenu canadien, les crédits d’impôt et autres modalités de ce type peut évoluer. L’influence respective de la réglementation et des subventions peut changer, mais il faudra toujours y avoir recours parce qu’il existe un déséquilibre permanent et structurel.

+-

    M. Thor Bishopric: Pour en revenir simplement à la nature du contenu canadien...

+-

    Le président: Monsieur Bishopric, il y a là quatre autres groupes qui attendent, et il faut que tout le monde ait sa chance.

    Il est déjà 10 h 15 et je vous demanderai donc d’être bref, monsieur Thomson...

+-

    M. R.H. Thomson: Je serai très bref.

    Je pense que ces trois dernières années, j’ai tiré la plus grande partie de mes revenus de mes rôles américains. Vous l’avez dit, est-ce que les Canadiens veulent me voir jouer des rôles d’Américains? Est-ce que c’est vers là que tend le marché? C’est ce que m’indique le marché par l’intermédiaire de mes revenus.

    Le plus grand compliment qu’on peut me faire dans la rue, et ça ne m’arrive pas souvent, parce que nous n’avons pas au Canada de système de vedettariat, c’est de venir me remercier de ne pas avoir quitté le pays.

    Il est si facile de partir et d’aller travailler aux États-Unis ou dans un autre pays. Nombre de mes compatriotes l’ont déjà fait et ils ont de magnifiques carrières. Il est très difficile de rester chez nous et de raconter des histoires canadiennes avec une voix canadienne, mais nous avons un auditoire. Les gens veulent nous entendre.

    J’appartiens au monde du théâtre. Nous nous sommes dotés d’un théâtre il y a 30 ans. Il n’y avait pas de théâtre canadien. Nous jouions des pièces canadiennes devant 14 spectateurs. Tout le monde venait nous demander pourquoi nous représentions des pièces canadiennes devant des salles vides. Trente ans plus tard, nous remplissons les salles avec des pièces canadiennes. C’est possible d’y parvenir. C’est une dure pente à remonter.

    Les gens veulent du contenu canadien, c’est tout ce que je peux vous dire. Je l’ai entendu dire dans la rue et par les spectateurs.

    Quelles sont les structures, les subventions et les politiques que nous devons mettre en place pour assurer la permanence du contenu canadien dans un cadre économique qui joue constamment contre lui?

+-

    Le président: Je pense qu’il était utile de chronométrer votre intervention.

    Madame Lill.

+-

    Mme Wendy Lill (Dartmouth, NPD): Je vous remercie.

    Je tiens à mentionner un certain nombre de choses qui ont certainement été abordées, mais il n’est jamais inutile de les répéter à satiété pour les besoins de notre étude.

    Vous nous avez bien fait comprendre qu’à partir du moment où l’on donne à Montréal des cours de prononciation américaine, nous avons tout un défi à relever si nous voulons créer dans notre pays des oeuvres purement canadiennes.

    J’aimerais tout d’abord que l’ACTRA fasse savoir au comité si elle considère que nous devons renforcer les règles s’appliquant au contenu canadien. Est-ce qu’il nous faut le recommander?

    En deuxième lieu, pensez-vous que nous devrions renforcer les règles s’appliquant à la propriété étrangère pour ce qui est des entreprises des médias?

    Troisièmement, doit-on limiter la concentration de la propriété des médias au Canada?

    C’est à peu près tout ce que j’aimerais savoir pour l’instant. Je suis sûre qu’il y a bien d’autres sujets qui ont été traités comme il se doit.

À  +-(1015)  

+-

    M. Thor Bishopric: Je peux vous répondre très rapidement que nous y sommes effectivement favorables dans tous les cas, mais nous allons les passer en revue un par un.

    Sur le premier point, nous devons absolument renforcer les règles s’appliquant au contenu canadien.

+-

    Mme Wendy Lill: Comment comptez-vous le faire?

+-

    M. Thor Bishopric: Nous proposons que l’on passe à un contenu à 100 p. 100 canadien. Nous ne disons pas qu’il faut le faire immédiatement, mais il faudrait que ça se fasse très rapidement. Pour qu’il y ait un contenu canadien il faut qu’il y ait des Canadiens. Nous préconisons des règles plus strictes en matière de contenu canadien et un système de points qui exige que tout soit canadien.

    Garry.

+-

    M. Garry Neil: Pour ce qui est des règles s’appliquant à la propriété étrangère, je crois que la grosse bataille sera de maintenir les restrictions actuelles. En étant réaliste, je ne vois pas comment on pourrait les modifier ou les renforcer. Effectivement, nous voulons que l’on maintienne les règles qui s’appliquent actuellement à la propriété étrangère.

    Oui, je crois qu’il est absolument nécessaire de mettre en place des mesures s’appliquant aux participations croisées dans les médias, notamment pour maintenir la diversité des éditoriaux et des opinions sur certains marchés. Je vous signale que l’une des rares restrictions que l’on retrouve aux États-Unis dans le domaine culturel a trait à la limitation des participations croisées dans les médias locaux.

+-

    Mme Wendy Lill: L’un des arguments des grosses sociétés médiatiques de radiodiffusion, c’est que plus on fait appel à la propriété et aux investissements étrangers, plus on peut créer de contenu canadien. Que répondez-vous à cette analyse?

+-

    M. Garry Neil: Nous ne pensons pas, finalement, que le capital étranger supplémentaire serait affecté à ce genre de projet à partir du moment où les grosses entreprises du secteur des médias qui sont déjà implantées chez nous nous disent qu’il n’y a pas d’argent à faire dans la production. Elles sont en mesure de gagner de l’argent dans les activités de distribution et de radiodiffusion. On peut penser que c’est là où l’argent supplémentaire va être injecté.

+-

    M. Thor Bishopric: Nombre des studios qui dirigent le monde de la production des films et des spectacles contrôlent par ailleurs la distribution et le marché des films de long métrage au Canada. L’argument ne se tient certainement pas dans ce secteur. Puisque nous ne produisons pas de films de long métrage canadiens et puisque, lorsque nous réussissons à produire un excellent long métrage, nous ne pouvons même pas le faire passer sur les écrans des cinémas canadiens, il me semble que ce genre de promesse ne mérite pas que l’on s’y attarde.

+-

    Le président: Juste avant de terminer, il y a un certain nombre de points sur lesquels nous aimerions que vous nous donniez des réponses de façon à pouvoir aider nos attachés de recherche. Nous n’avons pas le temps de les passer en revue dès maintenant mais, si nous pouvions vous en faire une liste, il nous serait très utile que vous nous fournissiez les réponses correspondantes.

    Vous avez évoqué tout d’abord la baisse des débouchés offerts aux artistes canadiens. Je ne sais pas si vous vous référiez uniquement aux émissions dramatiques, parce que nous avons ici des chiffres qui nous indiquent qu’il y a eu depuis 1994-1995 une progression assez significative, que ce soit au niveau des emplois directs ou indirects. Nous aimerions savoir si vous parlez des émissions dramatiques, et à quel chapitre. Globalement, il semble que l’on ait enregistré une augmentation significative.

    Je pense aussi que vous avez mentionné la baisse du financement. Je me demande--étant donné que nos chiffres font état d’une augmentation du financement--comment vous en êtes arrivé à cette conclusion et si vous constatez une rupture de la capacité de financement.

    Vous avez dit qu’il fallait revitaliser le radiodiffuseur public et je sais que vous avez fait état dans votre mémoire de la nécessité de tenir compte de l’intérêt public et d’accorder davantage de subventions à Radio-Canada. Avez-vous d’autres idées à ce sujet?

    Vous avez aussi parlé de coquille vide au sujet de l’ONF. Si vous avez des idées précises à faire valoir au sujet de l’ONF et du fonds de câblodiffusion, sur la façon de les réorganiser, c’est là le genre d’information que nous aimerions que nous fournisse l’ACTRA étant donné la situation privilégiée que vous occupez au sein de l’industrie.

    Nous serions donc très heureux si vous pouviez nous faire parvenir des renseignements à ce sujet. Nous demanderons à nos attachés de recherche de rester en contact avec vous.

À  +-(1020)  

+-

    M. Thor Bishopric: Nous ne manquerons pas de vous faire part de notre point de vue sur ces questions et nous vous remercions sincèrement de vous intéresser à notre opinion.

+-

    Le président: Merci, monsieur Bishopric, monsieur Thomson et monsieur Neil.

    Je pense que certains d’entre vous vont maintenant se présenter devant nous sous une autre étiquette, celle du regroupement pour la création de crédits d’impôt pour les publicités canadiennes. Il y aura M. Bishopric ainsi que M. Neil, et je crois que vous allez être rejoints par M. Brendon, le président de l’Institute of Communications and Advertising, et par M. Robert Reaume, le vice-président du regroupement. Donc, si vous le permettez, nous allons commencer immédiatement et poursuivre éventuellement jusqu’à 11 heures.

    Merci, monsieur Thomson, d’avoir pris le temps et fait l’effort de venir nous voir. Nous vous en sommes très reconnaissants.

+-

    M. Thor Bishopric (membre, Regroupement pour la création de crédits d'impôt pour les publicités canadiennes): Je vous remercie.

    Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité. Je vous remercie de nous donner l’occasion de vous entretenir de l’état du secteur de la production commerciale canadienne. Je m’appelle Thor Bishopric et je suis président de l’Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists.

    J’ai débuté ma carrière professionnelle à quatre ans en faisant une première publicité à la radio. Depuis lors, j’ai fait plus de 75 publicités à la radio et à la télévision.

    J’ai à mes côtés Rupert Brendon, le président de l’Institute of Communications and Advertising, qui représente les agences de publicité canadiennes depuis 1905, ainsi que Bob Reaume, vice-président de l’Association canadienne des annonceurs, qui représente les principaux annonceurs du Canada. Garry Neil est le conseiller du RCCIPC.

    Le RCCIPC est une coalition spécialisée qui représente les différents intérêts du secteur commercial de la télévision canadienne. Nous nous sommes réunis parce que nous sommes tous préoccupés par la forte baisse de la production des publicités à la télévision canadienne. Pour illustrer notre exposé, nous avons préparé une présentation vidéo.

    [Présentation vidéo]

À  +-(1025)  

+-

    M. Rupert Brendon (président, Institute of Communications and Advertising; Regroupement pour la création de crédits d’impôt pour les publicités canadiennes): Bonjour, je m’appelle Rupert Brendon.

    Cette vidéo vous montre que les publicités et les annonces commerciales sont des outils culturels puissants. Étant donné qu’elles portent sur les produits et services que nous consommons tous les jours, nos publicités traduisent peut-être mieux toutes les nuances de nos rituels sociaux que les autres supports. Les effets de la série de publicité de Labatt «Out of the Blue» et de Molson «I am Canadian» ont été énormes, non seulement sur les ventes, mais aussi sur notre psychisme. Chez nombre de gens, elles touchent un point sensible.

    Notre ministre du Patrimoine canadien, Sheila Copps, a fait passer récemment cette profession de foi canadienne devant un auditoire américain pour bien faire comprendre, de manière concise, quel était notre sentiment vis-à-vis de notre voisin. Cette publicité télévisée de 30 secondes illustre bien ce que peut faire la publicité pour l’identité, la culture et le sentiment national au Canada. C’est l’une des raisons pour laquelle nous devons tous nous demander si l’on voit suffisamment de publicités canadiennes sur nos écrans de télévision.

    Les statistiques sont difficiles à réunir, mais nous estimons dans notre secteur qu’au début des années 90 nous produisions chez nous plus de 80 p. 100 des publicités radiodiffusées par les stations de télévision canadiennes. À la fin de cette décennie, ce pourcentage était tombé à 50 p. 100. Toutefois, il ne faut pas considérer uniquement la diminution globale. Étant donné que la publicité faite par les gouvernements--qui restent les principaux annonceurs dans notre pays--continue à être produite chez nous de même que celle qui porte sur des produits et des services propres à notre pays comme les banques ou la bière, si l’on considère uniquement les produits et les services destinés au consommateur, les automobiles, par exemple, on s’aperçoit que pratiquement toutes ces publicités sont importées, ce qui représente un gros changement par rapport à ce qui se passait il y a 10 ans.

    La raison en est bien simple. Il est nettement moins onéreux d’importer une publicité télévisée des États-Unis ou de Grande-Bretagne que de produire une campagne publicitaire originale au Canada. Les causes de ce phénomène sont particulièrement complexes.

À  +-(1030)  

+-

    M. Thor Bishopric: Il est important par ailleurs de produire nos propres publicités télévisées pour des raisons économiques. Ce sont des sources de revenu importantes pour nos professionnels, qu’il s’agisse des acteurs, des metteurs en scène, des chefs de rédaction publicitaire, des techniciens et d’autres membres de l’infrastructure de production audiovisuelle. Les membres de mon organisation, les acteurs et autres professionnels du spectacle de langue anglaise, ont gagné l’année dernière plus de 35,5 millions de dollars en faisant des publicités à la télévision. C’est 22 p. 100 du revenu global des membres relevant de la compétence de l’ACTRA. Toutefois, une part encore plus grande de notre travail porte sur les publicités des États-Unis tournées au Canada.

    Nous savons que l’on ne peut pas bâtir et entretenir une infrastructure permanente pour l’industrie canadienne du film et de la télévision en faisant appel à des emplois importés. Si l’on pouvait encore en douter, les événements des six derniers mois, pendant lesquels les producteurs des États-Unis sont restés généralement chez eux, nous l’ont bien fait comprendre.

    Laissez-moi vous préciser la raison pour laquelle notre exposé est fait uniquement en anglais. Nos collègues francophones appuient notre initiative, plusieurs d’entre eux sont membres de l’alliance, mais les problèmes posés par la baisse de la publicité commerciale ne sont tout simplement pas les mêmes en ce qui les concerne. Les publicités télévisées importées doivent être refaites pour pouvoir s’adapter au marché francophone du Canada. Par conséquent, presque toutes les publicités que vous voyez en français au Canada sont produites ou doublées chez nous ou adaptées d’une autre manière à l’auditoire canadien.

    Que pouvons-nous faire pour remédier à ce déclin de la production? Comment faire en sorte que le secteur de la production de publicités au Canada redevienne compétitif? Comme on peut le déduire de notre nom et du titre de notre vidéo, nous sommes nombreux à considérer qu’en modifiant légèrement le régime actuel de crédits d’impôt, vous pourriez fournir une mesure incitative aux producteurs de publicités télévisées au Canada équivalant aux crédits d’impôt mis à la disposition des producteurs de films et d’émissions télévisées. Une réglementation appropriée devrait être mise en place à l’intention de productions plus réduites qu’un film ou qu’une émission télévisée, mais nous estimons que ça pourrait marcher.

    Je vous signale que l’un des membres de l’alliance, tout en étant favorable à l’étude du problème et à l’adoption éventuelle de différentes politiques, n’appuie pas la solution d’un crédit d’impôt servant d’incitation. Les autres y sont favorables.

+-

    M. Garry Neil (conseiller en politique, Regroupement pour la création de crédits d'impôt pour les publicités canadiennes): Notre regroupement insiste aussi sur le fait que toutes mesures prises par les pouvoirs publics sur cette question doivent être incitatives et non pas d’application obligatoire. L’Australie oblige les radiodiffuseurs à faire état d’un certain pourcentage de publicités produites en Australie, mais nous ne sommes pas en faveur d’un tel régime au Canada. Les mesures impératives sont inadaptées et il est probablement impossible de les mettre en oeuvre. Étant donné que le secteur de la publicité est expressément mentionné dans l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, une mesure impérative pourrait être contestée aux termes de cet accord commercial.

    Le secteur de la publicité sait qu’il y a un problème. La baisse de la production des publicités au Canada nous apparaît à tous bien préoccupant et elle doit préoccuper le ministère du Patrimoine canadien ainsi que votre comité. Le Canada doit instaurer des mesures d’incitation positives pour que nous puissions faire jeu égal avec les publicités importées. Le secteur de la publicité est déterminé à collaborer avec vous, avec le ministère et avec toutes les autres parties prenantes pour que l’on puisse trouver les moyens, pour des raisons à la fois économiques et culturelles, de rapatrier la production des publicités diffusées sur le réseau de télévision canadien.

    Je vous remercie.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Monsieur Abbott.

+-

    M. Jim Abbott: J’imagine que vous avez calculé le coût potentiel de ce crédit d’impôt pour le Trésor public. À combien cela se monterait?

+-

    M. Garry Neil: Excusez-moi, je n’ai pas ce chiffre sur moi, mais nous avons des chiffres concernant la production globale au Canada. Nous vous les fournirons. Nous avons fait des simulations sur différents types de productions publicitaires pour indiquer quels seraient les effets sur chacune des différentes catégories compte tenu de ce que l’on a pu voir par le passé. Nous fournirons donc ces chiffres aux attachés de recherche.

+-

    M. Jim Abbott: Ils sont très importants, parce que nous devons quantifier les coûts d’une telle mesure. Nous pouvons toujours parler de la valeur d’une telle démarche, et nous sommes pour la plupart d’accord sur le principe, mais nous devons aussi pouvoir évaluer comme il se doit combien il va en coûter au Trésor public.

    Nous avons tendance au Canada à considérer que les crédits d’impôt sont anodins, mais en fait un crédit d’impôt revient au même qu’une subvention. Une subvention, c’est de l’argent qui sort, et un crédit d’impôt, c’est de l’argent qui ne rentre pas. Cela revient au même.

    Je constate que vous faites observer que vous ne voulez pas imposer des publicités uniquement canadiennes, contrairement à ce qui se fait en Australie. Je vous félicite d’avoir adopté cette position et je suis tout à fait d’accord avec vous. Toutefois, au sein du secteur lui-même, est-ce que l’on se trouve dans une situation semblable à celle des émissions télévisées dont on a parlé lors d’une intervention précédente et qui font l’objet de dumping au Canada? En réalité, si The West Wing coûte 13 millions de dollars et si CTV peut se la procurer pour 250 000 $, il s’agit là probablement d’un ordre de grandeur permettant à CTV de gagner de l’argent; sinon, elle ne paierait pas 250 000 $. On a parlé de dumping. Je ne suis pas nécessairement d’accord avec cette interprétation, mais ça ne fait rien.

    Dans le domaine des publicités, pourquoi General Motors, Ford ou les autres grands annonceurs qui font passer les publicités américaines au Canada...? Une publicité a un coût de production. Prenons un chiffre quelconque. Supposons que la création d’une publicité de qualité dans le secteur automobile coûte 500 000 $. L’agence de publicité des États-Unis considère la chose et se dit qu’elle a déjà investi 500 000 $ dans cette publicité; ou encore, c’est Ford qui se penche sur la question et qui se dit qu’elle a déjà investi 500 000 $. Par conséquent, pourquoi ne pourrait-elle pas faire payer tout simplement à la filiale canadienne de Ford 50 000 $, soit un dixième du coût?

    Nous en arrivons alors à la question de savoir si votre proposition est bien en fait réaliste. C’est là une analyse purement théorique mais elle représente probablement assez bien la réalité. Est-ce que Ford va pouvoir effectivement créer une publicité de qualité ayant la même valeur et le même impact que cette publicité américaine de 500 000 $ en y consacrant 50 000 $ au Canada? J’ai bien peur que non.

À  +-(1035)  

+-

    M. Rupert Brendon: Je crois que vous avez probablement raison. Nous avons besoin d’oeuvrer de concert avec votre comité pour préciser toutes ces questions. La solution n’est pas simple, sinon nous l’aurions trouvée et tout le monde aurait pu l’adopter. Le problème est très complexe.

+-

    M. Jim Abbott: Excusez-moi, mais nous avons besoin ici d’un peu plus de précisions. Si la situation que je vous ai exposée--d’un côté 500 000 $, de l’autre 50 000 $, etc.--est réaliste, quelle est alors la réponse? Nous pouvons accorder tous les crédits d’impôt que nous voulons, mais si Ford Canada peut obtenir l’impact souhaité avec 50 000 $ plutôt qu’avec 500 000 $, comment va-t-on résoudre le problème à l’aide des crédits d’impôt?

+-

    M. Thor Bishopric: Dans cet exemple précis, à partir du moment ou l’on produit un message publicitaire de grande valeur, nous partons du principe qu’il doit être tourné au Canada. Dans cette optique, le secteur de la publicité et les acteurs ont justement ratifié cette semaine une nouvelle convention collective devant permettre aux productions canadiennes d’être plus compétitives afin d’attirer une partie de cette production au Canada.

    Ce sera à notre avantage parce que, pour répondre directement à votre objection, nous reconnaissons que nous ne pouvons pas produire un message publicitaire à 50 000 $ donnant les mêmes résultats qu’un message à 500 000 $. C’est le même argument que celui que vous avez entendu précédemment.

+-

    M. Jim Abbott: Comment s’appliquerait cependant le principe de votre crédit d’impôt à cette production?

+-

    M. Garry Neil: J’ai une ou deux observations à faire. Je considère, comme l’a fait remarquer Rupert, que la question est complexe et, de notre point de vue, il est important au départ d’en reconnaître l’importance, de reconnaître que c’est effectivement un problème. Ce n’est pas seulement un problème économique; c’est un problème lié au déclin de la production des publicités télévisées canadiennes.

    Nous avons envisagé un crédit d’impôt. La plupart des membres de l’alliance appuient l’extension de la portée du crédit d’impôt tout en étant bien conscients que ça ne résoudra pas en soi le problème que nous avons relevé. Est-ce que cela aura un impact? Évidemment, il y aura un impact, parce que l’on verra apparaître soudainement un autre élément de la décision dans certains cas étant donné que même si vous partez de l’hypothèse d’une publicité de 500 000 $ de General Motors ou de Ford d’un côté, contre 50 000 $ pour la publicité canadienne, il ne s’agit là bien entendu que d’une catégorie de publicité télévisée produite. Cette mesure produira donc des effets.

    Faudra-t-il en faire davantage? Effectivement, nous considérons qu’il faudra en faire davantage. Quels sont les autres éléments de réponse? Nous n’en savons rien.

    Nous avons envisagé le principe de recourir là encore au modèle du crédit d’impôt pour mettre en place un crédit d’impôt s’appliquant à la diffusion des publicités télévisées produites au Canada dans les émissions télévisées canadiennes. Cette démarche aurait deux conséquences: elle aiderait tout d’abord les radiodiffuseurs à vendre du temps de publicité dans les émissions à contenu canadien et, en second lieu, elle servirait d’incitation aux publicitaires au moment où ils passent des contrats avec les médias, où ils organisent leur campagne et où ils décident de la façon dont ils vont dépenser leur argent.

    Nous avons donc aussi envisagé cette solution. C’est une possibilité, mais nous nous rendons compte que la réponse n’est pas facile.

À  +-(1040)  

+-

    Le président: Madame Gagnon.

[Français]

+-

    Mme Christiane Gagnon: Je ne sais pas si le lien que je vais faire est bon, mais vous allez peut-être me mettre sur la bonne voie.

    Vous dites que la publicité soutient la culture. En quoi une publicité sur un produit commercial peut-elle soutenir la culture canadienne? Quand les gens regardent un film ou une émission, ils se demandent souvent pourquoi il y a autant de publicité, car ils trouvent cela agaçant. On comprend qu'il est nécessaire d'appuyer la production au moyen de la publicité, mais pourquoi faudrait-il offrir un crédit d'impôt pour la production de publicité?

    Certaines personnes nous ont dit qu'elles souhaiteraient que la publicité soit incluse dans le pourcentage du contenu canadien. Est-ce que cela n'encouragerait pas une production accrue de publicité au détriment de la vraie production, plus culturelle? Est-ce qu'il n'y aurait pas alors une affluence de producteurs qui voudraient d'abord faire de la publicité parce qu'ils recevraient un crédit?

    Je trouve dangereuse cette démarche que vous voulez faire.

[Traduction]

+-

    M. Garry Neil: J’ai une ou deux choses à vous répondre. Nous considérons tout d’abord que les publicités télévisées sont en soi profondément culturelles. Nous nous sommes d’ailleurs efforcés dans notre présentation vidéo d’attirer votre attention sur un certain nombre de publicités canadiennes qui ont effectivement un tel impact, telle que la profession de foi qui a touché une corde sensible chez les anglophones au Canada. Il s’agissait là d’une expérience profondément culturelle.

    Vous parlez des producteurs, mais en réalité différents producteurs interviennent en général sur les publicités télévisées. Une grande partie de l’infrastructure dont ils se servent pour produire ces publicités est la même que celle des films et des émissions télévisés, mais il n’y a pas beaucoup de producteurs qui effectivement produisent à la fois des publicités télévisées et des films ou des émissions de télévision. Ce sont des mondes légèrement différents.

    Quelle était la troisième partie de la question?

    Une voix: Le contenu canadien.

    M. Garry Neil: Je pense que la proposition qui a été avancée ne consiste pas à assimiler au contenu canadien les publicités, mais les publireportages, qui sont en fait des publicités de même longueur qu’une émission. Certains radiodiffuseurs aimeraient que dans le cadre de la réglementation ces publireportages fassent partie du contenu canadien.

    Notre regroupement ne s’est pas penché sur cette question. Je peux vous dire, au nom de l’ACTRA, que nous ne voyons pas d’un très bon oeil cette proposition sur les publireportages.

[Français]

+-

    Mme Christiane Gagnon: Sur le plan technique, le crédit qui serait accordé serait pour une publicité comme celle que vous nous avez présentée. On peut avoir toutes sortes de publicité: la publicité qui s'adresse aux consommateurs pour qu'ils achètent tel ou tel produit et ainsi de suite. Avez-vous des restrictions quant au crédit d'impôt qui serait applicable?

[Traduction]

+-

    M. Garry Neil: Cette incitation consisterait tout simplement à supprimer une disposition du régime de crédits d’impôt actuel, soit celle qui précise que ces crédits d’impôt ne s’appliquent pas aux productions audiovisuelles se présentant sous la forme de publicités télévisées. On pourrait tout simplement changer cette définition pour que les publicités fassent partie des différentes productions audiovisuelles. En réalité, c’est un petit peu plus complexe étant donné qu’il faudra un autre système de réglementation, différents règlements pour que cela puisse s’appliquer à des productions de taille nettement plus réduite que les films ou les émissions télévisées classiques. Pour l’essentiel, voilà cependant en quoi cela consisterait; on supprimerait l’exemption prévue par le programme actuel.

À  +-(1045)  

+-

    Le président: Madame Bulte.

+-

    Mme Sarmite Bulte: Toujours sur le même sujet, Garry, où se situe le programme actuel? Est-ce qu’il est rendu obligatoire par le CRTC? Est-ce qu’il doit l’être? Vous avez évoqué le modèle australien et son contingentement des publicités. D’où doivent provenir les directives?

    Je vais inverser la question posée par M. Abbott. Pourquoi ne pas recourir au modèle australien? Est-ce que ce serait nécessairement une mauvaise chose?

    En troisième lieu--et j’aimerais que vous abordiez la question en premier--il y a l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Nous parlons de la publicité. Lorsque le projet de loi C-55 sur les revues a été déposé, on s’est penché sur cette notion de la publicité en se demandant s’il s’agissait d’un service. Si je comprends bien--corrigez-moi si je me trompe--nous n’avons assumé aucune obligation aux termes de l’AGCS au sujet de la publicité et c’est la position qu’a adopté le Canada lors de la bataille sur les revues. En vertu de quoi pourrait-on contester cela aux termes de l’ALE entre le Canada et les États-Unis? Est-ce que nous avons assumé des obligations au titre des services de publicité? Je ne comprends pas.

+-

    M. Garry Neil: Pour répondre à votre troisième question, effectivement, les services de publicité sont expressément inclus dans les dispositions de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. C’était en 1989 et j’ai assisté à l’époque à une séance d’information organisée par nos négociateurs. Je leur ai justement posé la question suivante: «Vous nous dites que cet accord exclut la radiodiffusion mais englobe les services de publicité. Que se passerait-il si nous voulions un jour appliquer des contingents sur le contenu de la publicité télévisée?» Voici ce qu’on m’a répondu: «Voilà une question intéressante. Nous n’en connaissons pas la réponse.» Au bout du compte, on m’a répondu que puisqu’il s’agissait d’un service de radiodiffusion et non pas d’un service de publicité, on pourrait probablement le faire. Toutefois, la question reste entière.

    La réponse est donc la suivante: nous ne nous sommes pas engagés au titre des services de publicité dans le cadre de l’AGCS, mais nous l’avons fait dans le cadre de l’ALE entre le Canada et les É.-U. et c’est pourquoi toute mesure impérative risque d’être contestée. Ce serait aux termes de l’ALE.

    Pourquoi ne pas contingenter le contenu? Pas simplement parce que cela risque d’être contesté, mais parce qu’il faut être réaliste. Dans notre métier, les radiodiffuseurs choisissent les émissions qu’ils veulent diffuser. Ils achètent ces émissions. Ce sont eux qui choisissent. Ils ne choisissent pas les publicités télévisées qu’ils vont diffuser sur les ondes. C’est l’annonceur ou l’agence, les acheteurs dans les médias, qui achètent le temps d’antenne et qui décident alors de ce qu’ils vont en faire. Dans la mesure où la réglementation s’appliquant dans le secteur aux stéréotypes sexuels, à la violence, à la publicité s’adressant aux enfants et à tout ce dont vous avez entendu parler le 18 avril est respectée, les publicités peuvent passer sur les ondes.

    Ce sont eux qui prennent les décisions, et ce serait donc très difficile. C’est pourquoi le conseil, lorsqu’il s’est penché dès 1970 sur la réglementation du contenu canadien, n’a pas imposé de restrictions s’appliquant aux publicités. Il a estimé que ça ne pouvait pas marcher. Ce n’est pas de cette façon que l’on opère dans notre secteur, parce que les radiodiffuseurs ne décident pas des publicités qui vont passer sur les ondes.

    Enfin, le programme de crédits d’impôt est administré par le Bureau de certification des produits audiovisuels canadiens, le BCPAC, au sein du ministère du Patrimoine canadien. On peut penser que la réglementation sera finalement placée sous le contrôle du ministère des Finances, par exemple. Le régime de crédits d’impôt est donc une mesure gouvernementale et ne relève donc pas du CRTC.

+-

    Mme Sarmite Bulte: J’aimerais vous poser une dernière question, si vous me le permettez. Lorsqu’elle s’est présentée devant nous, l’Association canadienne des radiodiffuseurs a recommandé entre autres d’autoriser la publicité sur les médicaments, et je sais que le sujet continue à être débattu au sein de Santé Canada. Est-ce que votre association a adopté une position à ce sujet?

+-

    M. Rupert Brendon: L’IPC et l’ACA appuient certainement la volonté d’informer la population canadienne sur les questions de santé, ce qui englobe les médicaments prescrits, mais cela ne fait pas partie des responsabilités...

À  +-(1050)  

+-

    Mme Sarmite Bulte: Non, mais c’est parce que la question a été évoquée et je me demandais ce que vous en pensiez. Je vous remercie.

    M. Rupert Brendon: Je ne peux parler au nom de l’ACA, mais...

    M. Thor Bishopric: Non, en effet.

    M. Rupert Brendon: Mais effectivement, nous sommes favorables à cette mesure.

    Mme Sarmite Bulte: Je vous remercie.

+-

    Le président: Nous allons maintenant passer la parole à Mme Lill.

+-

    Mme Wendy Lill: Je voudrais à nouveau poser une question sur le contenu canadien et les publicités étant donné qu’on nous a dit que les séries de publicités intercalées entre les nouvelles seraient considérées comme du contenu canadien. Là encore, je comprends que le sujet est délicat pour les artistes qui font de la création publicitaire. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

    J’aimerais aussi savoir ce que vous pensez du groupe de pression très puissant que constituent les sociétés pharmaceutiques qui cherchent à pénétrer sur le marché canadien ainsi que de la nécessité d’adopter des mesures incitatives pour équilibrer les règles du jeu en faveur des sociétés canadiennes. Il me semble que l’on serait soumis là encore à une énorme vague de pressions de la part, j’imagine, des sociétés pharmaceutiques américaines et internationales. J’aimerais donc bien avoir votre avis sur la question.

+-

    M. Garry Neil: Laissez-moi tout d’abord commenter la proposition sur la série de publicités télévisée. Nous n’avons pas pris position. Nous n’avons pas envisagé la chose, mais nous pourrions certainement nous pencher sur la question au sein de l’alliance et vous faire part de nos observations si vous le souhaitez.

    Quant aux sociétés pharmaceutiques...

+-

    M. Rupert Brendon: Disons que c’est là encore une question très complexe. Je ne suis pas sûr que ce soit le moment d’en parler, mais je suis bien convaincu, cependant, que la population canadienne a le droit de recevoir ce genre d’information. On a d’ailleurs fait suffisamment d’études pour dire que la loi actuelle est inconstitutionnelle, mais je ne veux pas entrer ici dans ce débat.

+-

    Mme Wendy Lill: Je comprends mal, cependant. Vous venez ici nous demander que l’on produise davantage de publicités canadiennes, mais ne va-t-il pas y avoir parmi les publicités faites par les sociétés pharmaceutiques un fort pourcentage de publicités qui ne sont pas canadiennes.

+-

    M. Rupert Brendon: Non, nous demandons que ces publicités soient conçues au Canada en respectant un ensemble de normes canadiennes. Allez consulter le site Internet du nom d’AMI, Alliance for Access to Medical Information, et vous y trouverez un certain nombre de règles et de lignes directrices. Par conséquent, si on introduisait ce changement, ces publicités ne pourraient pas être importées telles quelles et être diffusées au Canada.

+-

    M. Garry Neil: Pour que tout soit bien clair, nous ne préconisons absolument pas une augmentation de la publicité à la télévision canadienne. Nous cherchons un moyen de faire en sorte que davantage de publicités qui passent à la télévision canadienne soient produites ici, au Canada.

+-

    Mme Wendy Lill: Votre organisation ne se préoccupe donc absolument pas du contenu des publicités, qu’elles portent sur l’alcool, les cigarettes ou les médicaments--ce qui est une question très controversée au sein des professions et des regroupements de la santé.

+-

    M. Rupert Brendon: Pas à l’intérieur de ce regroupement.

    M. Garry Neil: C’est exact.

    Mme Wendy Lill: La question ne se pose donc pas à l’intérieur de votre regroupement. Très bien, je vous remercie.

+-

    Le président: Je remercie M. Bishopric et ses collègues de s’être présentés devant le comité. Nous apprécions vos points de vue. Si les attachés de recherche ont des questions à vous poser, elles seront naturellement adressées à M. Neil, j’imagine. Merci d’avoir comparu.

    Je vais maintenant donner la parole à Mme Cynthia Reyes.

    Le temps nous étant compté, et comme de grandes associations doivent encore comparaître, nous nous sommes entendus avec M. Grange et Mme Reyes, de ProMedia International, afin qu’ils disposent de 15 minutes pour faire leur exposé. S’ils finissent plus tôt, nous aurons peut-être éventuellement le temps de leur poser une ou deux questions.

    Qui veut commencer?

À  +-(1055)  

+-

    Mme Cynthia Reyes (vice-présidente, ProMedia International Inc.): Je vais peut-être commencer ici. Je vous remercie.

    Bonjour, monsieur le président. Bonjour à tous. Nous vous remercions de nous avoir donné l’occasion de nous présenter devant vous ce matin.

    Je suis Cynthia Reyes, comme on vient de vous le dire. Mon collègue, c’est Hamlin Grange. Voilà 21 ans que nous travaillons tous deux principalement dans les grands médias et que nous exerçons des activités de bénévoles et de mentors auprès de différentes minorités. Nous avons par ailleurs travaillé pour des télédiffuseurs sur pratiquement tous les continents.

    Nous savons que le système de radiodiffusion canadien jouit d’une réputation méritée, en grande partie en raison de la qualité de notre Loi sur la radiodiffusion. Toutefois, le monde et notre pays évoluent. Il est possible d’améliorer la loi et de le faire de manière à ce que notre système de radiodiffusion continue à répondre aux aspirations de la population canadienne.

    Nos carrières se sont déroulées principalement à la CBC. Hamlin a aussi travaillé pour TVO. Nous avons travaillé pour le compte de l’ONF, de CanWest Global et du Toronto Star. Nous avons oeuvré en qualité de consultants auprès de différents médias. Nous avons donc une connaissance assez intime des différentes questions liées à la diversité culturelle et des différentes voies et solutions susceptibles de s’offrir à nous. L’industrie a toutefois les moyens de parler en son nom propre et ce n’est pas notre rôle ici. Nous voulons parler au nom des groupes qui, bien souvent, n’ont pas voix au chapitre dans ce genre de débat.

    Il y a deux ans, après avoir travaillé ensemble pendant 34 ans à la CBC, nous avons décidé qu’il était temps de partir et de monter notre propre entreprise. Nous avons choisi de mettre avant tout l’accent sur la question de la diversité culturelle à la télévision, ou sur son absence à nos yeux. Nous avons passé sept jours au total à regarder la télévision. Pendant sept jours, nous avons regardé toutes les chaînes possibles sur notre appareil de télévision et ce que nous avons vu nous a dérangés. Nous nous sommes rendu compte alors qu’il y avait un problème. Quelles en sont les causes, cependant?

    Je pense que les gens ont tendance à être trop simplistes lorsqu’on parle de l’absence de diversité culturelle dans les médias. Nous prenons souvent les choses trop à coeur et nous passons immédiatement de l’émotion à l’irénisme. Nous sommes toutefois des journalistes, et nous devons chercher à voir ce qui se passe en réalité.

    Nous avons donc fait une énorme quantité de recherches ces deux dernières années. Nous avons parlé à des centaines de simples citoyens canadiens. Nous sommes allés encore plus loin en interrogeant dans tout le pays des professionnels des médias appartenant aux différentes minorités, des producteurs indépendants, etc. Nous voulions savoir quels étaient les obstacles s’opposant à la diversité culturelle dans les médias. Nous voulions connaître les réussites, parce qu’il y a effectivement des réussites. Si vous assistez les 16 et 17 mai au Sommet sur la création et «l’inoversité» qui aura lieu à Toronto, vous verrez un certain nombre de ces réussites. Nous voulions surtout savoir quelles étaient les possibilités qui s’offrent à nous tous à l’heure actuelle.

    Nous avons interrogé plus de 300 personnes. Nous avons été frappés par le sentiment presque universel, chez tous nos interlocuteurs, dont un bon nombre venaient de minorités culturelles, d’être isolés des grands médias. Quelle que soit leur origine, ils se sentaient tous totalement exclus des grands médias. Ils ont l’impression d’être d’un côté et les médias de l’autre, sans que le courant passe.

    Il faut cependant reconnaître, lorsqu’on examine les émissions d’actualité diffusées aujourd’hui au pays, que les choses commencent à bouger. Nous ne savons pas dans quelle mesure cette situation s’explique par les nouvelles conditions appliquées au renouvellement des licences par le CRTC ou si c’est parce que les gens se rendent mieux compte des possibilités qui s’offrent à eux. Il se passe cependant quelque chose, nous tenons à le signaler.

    Parlons des professionnels indépendants, ceux qui ne travaillent pas à l’intérieur des médias et qui s’efforcent de faire passer leurs idées ou de passer eux-mêmes dans les médias. Leurs réponses ont été à peu près les mêmes que celles du groupe en général: un sentiment d’exclusion, de frustration et de profonde colère. Entre le printemps et l’automne dernier nous nous en sommes tenus à ce groupe. Nous avons décidé d’interroger les membres de ce groupe en profondeur. Nous voulions dépasser le simple constat: «on ne nous laisse pas entrer», «c’est du racisme», «pourquoi ne pouvons-nous pas obtenir de l’argent», «les Blancs trouvent des crédits pour monter leurs productions», etc.

    Nous voulions creuser davantage la question et en avoir le coeur net. Voici quelles ont été nos principales conclusions. Ces gens nous ont dit, et nous l’avons observé, qu’ils n’avaient pratiquement aucun accès aux médias, pas par manque de qualification, de talent ou d’expérience, mais parce qu’ils ne font pas partie des initiés.

Á  +-(1100)  

    Ils nous ont dit qu’il y avait une culture et une langue dominante ainsi qu’un réseau d’opérateurs à l’intérieur des médias qui les maintenaient à l'écart parce qu’ils n’en faisaient pas partie. Ils nous ont dit que ce n’est pas à l’intérieur des grandes organisations qu’ils obtenaient leurs qualifications mais que, même lorsqu’ils devenaient des professionnels chevronnés ayant une solide qualification et une grande expérience, on ne leur offrait que des postes de stagiaire ou de débutant. On ne prenait pas en compte leur candidature à des postes supérieurs ou même intermédiaires dans les grandes organisations des médias.

    Eux-mêmes et leurs idées sont considérés comme secondaires et mal adaptés aux grands médias. Lorsqu’ils réussissent à y entrer, ils s’aperçoivent que la diversité n’est pas considérée comme une valeur dans les grands médias et ils finissent par avoir une deuxième fonction, celle d’essayer de sensibiliser et de former leurs collègues et leurs patrons. Ils ont donc une double tâche.

    Nous avons aussi observé, cependant, qu’il y a un manque de possibilité d’accès et de compréhension des deux côtés, ce qui entraîne ce cloisonnement entre les communautés et les professionnels appartenant aux minorités et les grands médias. On ne se comprend pas très bien. Les gens se sentent à l’aise dans leur milieu et un chef de production va probablement engager quelqu’un qu’il connaît ou encore quelqu’un que connaît l’une de ses connaissances. Il n’a pas beaucoup de temps pour le faire; il veut se sentir à l’aise avec la personne concernée, et c’est pourquoi il procède ainsi.

    Un producteur indépendant va trop souvent se contenter de dire qu’on ne veut pas le laisser entrer et s’abstenir de faire l’effort nécessaire pour y parvenir. Toutefois, il existe de véritables obstacles. Comme ne manquent pas de me le rappeler un certain nombre d’amis blancs haut placés dans les médias: «Cynthia, ne dit pas qu’il n’y a pas de racisme, parce qu’il y en a, nous l’avons vu».

    Le problème vient donc en partie de là, mais ce n’est pas à notre avis l’essentiel.

    Que faire? Nous sommes venus ici aujourd’hui exposer un certain nombre de choses que vous pouvez faire et vous présenter certaines recommandations. Dans l’intervalle, toutefois, nous avons jugé qu’il y avait encore bien des choses à accomplir pour contribuer à instaurer des relations, pour faciliter l’accès et pour aider les Canadiens à se comprendre, qu’ils appartiennent aux minorités dans le secteur indépendant ou à l’intérieur des grands médias.

    Je vais maintenant passer la parole à mon collègue Hamlin.

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    M. Hamlin Grange (président, ProMedia International Inc.): Merci, Cynthia.

    Monsieur le président, pour enchaîner sur ce que vient de dire Cynthia au sujet des enquêtes que nous avons effectuées, ce ne sont que des résultats empiriques, je dois bien vous l’avouer, mais je pense qu’ils sont très frappants.

    Pour répondre en partie aux préoccupations dont nous ont fait part les responsables des médias et les communautés marginalisées au Canada, nous avons créé un projet appelé «Inoversité». C’est un projet à but non lucratif créé et administré par ProMedia International. L’«Inoversité» c’est le croisement entre l’innovation, la créativité et la diversité. C’est une nouvelle notion, une nouvelle façon de penser l’innovation et la créativité qui découle à l’évidence de la diversité au Canada.

    Le sommet de la création en matière d’Inoversité, auquel Cynthia a fait allusion, se tiendra à Toronto les 16 et 17 mai. Il réunira les dirigeants des médias du R.-U., des É.-U. et du Canada ainsi que les créateurs et les consommateurs des médias appartenant aux peuples autochtones, aux minorités visibles et aux milieux handicapés afin de remuer des idées et de trouver des programmes et des solutions. On y préconise des possibilités d’accès, l’égalité des chances et des solutions constructives et nous ne manquerons pas d’inviter les membres du comité à assister à ce somment s’ils le peuvent.

    On enregistre au Canada une révolution démographique, notamment dans les grands centres urbains, qui rend notre pays plus excitant, plus dynamique et plus ouvert, aussi bien pour les médias que pour les gens qui les utilisent. D’énormes marchés et de tous nouveaux auditoires apparaissent. Tout le monde partage les mêmes intérêts pour ce qui est de la recherche d’un emploi, de l’éducation des enfants et de l’acceptation au sein de la société canadienne. Ce sont des personnes très instruites qui constituent un groupe important de consommateurs.

    Contrairement à ce que peuvent dire ou penser certaines gens, tout ne se passe pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. Nombre de personnes nous ont dit qu’elles avaient tellement besoin de trouver un contenu qu’elles étaient prêtes à aller le chercher partout où c’était possible, même s’il fallait pour cela recourir au marché gris. Les entreprises et les institutions culturelles canadiennes doivent s’adapter à un éventail bien plus grand de consommateurs et de clients sur le marché et, si elles ne le font pas, elles risquent d’être totalement dépassées.

    Les télévisions et autres institutions culturelles des autres pays du monde, notamment au R.-U., en sont venues aux mêmes conclusions. Il faut que le monde des médias au Canada ainsi que la Loi sur la radiodiffusion tiennent compte de cette nouvelle réalité. Il est temps de se montrer plus créatif, plus novateur et de sortir des sentiers battus.

    Nous voyons avec plaisir les efforts faits par certains radiodiffuseurs pour se montrer plus accueillants, notamment dans les actualités et plus particulièrement depuis l’année dernière et, là encore, comme l’a fait remarquer Cynthia, cela s’explique par les conditions attachées aux licences par le CRTC.

    Par conséquent, nous vous soumettons respectueusement les recommandations suivantes. Nous les passerons en revue le plus rapidement possible. Vous avez son texte et vous pourrez le consulter.

    Pour ce qui est des exigences de contenu canadien, la société canadienne est multiculturelle. Certains d’entre vous se sont posé la question de savoir en quoi consistait le contenu canadien et qu’est-ce qui était canadien. La société de notre pays est multiculturelle. Le système actuel par points favorise le recours à des auteurs, à des metteurs en scène, à des producteurs et à d’autres spécialistes canadiens dans la production d’oeuvres canadiennes. Il conviendrait aussi d’accorder des points pour intégrer des gens de couleur et des autochtones dans les équipes de production.

    Il conviendrait de superviser régulièrement le fonctionnement de la télévision canadienne, une fois tous les deux ans, pour juger de la représentativité de ses programmes comparativement à l’ensemble de la population canadienne.

    On ne peut pas progresser et réussir en matière de diversité culturelle en faisant confiance uniquement aux chaînes ethniques ou thématiques. La diversité doit être intégrée à toutes les émissions sur toutes les chaînes habilitées à diffuser au Canada.

    Il y a un besoin fondamental de recherches et d’information en matière de politiques publiques permettant de refléter pleinement la diversité culturelle et sociale dans le monde de la radiodiffusion. Il faut par exemple pouvoir disposer de données nouvelles et exactes, tant sur le plan qualitatif que quantitatif, sur l’utilisation des médias par les groupes ethniques.

    Il convient de modifier la Loi sur la radiodiffusion pour qu’elle puisse mieux permettre aux communautés marginalisées d’intervenir dans le processus de réglementation en conférant au CRTC le pouvoir de contribuer au paiement des frais correspondants.

    Cynthia, si vous pouvez finir ces recommandations...

Á  +-(1105)  

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    Mme Cynthia Reyes: Le financement, qui pose évidemment de gros problèmes aux producteurs indépendants qui sont venus vous parler hier, intéresse encore plus les représentants des minorités, qui bien souvent sont bloqués dès le départ. Il conviendrait de mettre des crédits à la disposition des minorités et des groupes autochtones afin qu’ils puissent produire des films et des émissions de radio et de télévision. Aux États-Unis, la situation est devenue tellement grave que le Congrès a dû effectivement adopter une loi pour financer les productions des groupes minoritaires.

    Nombre de personnes que nous avons interrogées l’année dernière avant de venir témoigner ici nous ont demandé pourquoi une enveloppe ne leur était pas spécialement affectée. Étant donné que les solutions normales ne donnent pas de résultat, pourquoi ne fait-on rien pour les inciter à monter leurs productions? Ne pourrait-on pas leur affecter une enveloppe spéciale?

    Nous constatons par ailleurs que l’on parle beaucoup des minorités quant à la propriété des médias, mais il n’en reste pas moins que les licences de câblodiffusion de base ont toutes été distribuées et que même ceux qui possèdent des licences ont désormais du mal à obtenir la clientèle des sociétés de câblodiffusion. Il y a aussi, bien entendu, toute la question de la concentration de la propriété. Celui qui débute a aujourd’hui bien plus de mal que celui qui le faisait il y a 10 ans.

    Nous avons aussi entendu préconiser à maintes reprises qu’un fonds spécial soit créé pour encourager les minorités à devenir propriétaires des grands médias. Nous reconnaissons que les médias ethniques peuvent et doivent jouer un rôle significatif pour aider les néo-Canadiens, notamment à s’adapter et à s’installer dans leur nouveau foyer canadien. On devrait trouver des moyens d’inciter les grands médias à collaborer et éventuellement à constituer des partenariats avec les médias ethniques. Grâce à cette collaboration, par opposition au cloisonnement actuel, des partenariats pourraient être institués afin de mieux servir les Canadiens de toute origine.

    Voilà qui met fin à notre intervention, monsieur le président, et je remercie tout le monde de nous avoir permis de comparaître.

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    Le président: Merci monsieur Grange et madame Reyes.

    Vous pouvez évidemment toujours communiquer avec les membres du comité. Si vous avez des recommandations plus détaillées à présenter à l’occasion, il vous suffit de contacter la greffière du comité et vous pouvez être sûrs que vous bénéficierez de toute l’attention voulue.

    Nous avons particulièrement apprécié votre présence. Merci d’être venus.

Á  +-(1110)  


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    Le président: Nous souhaitons maintenant la bienvenue aux représentants de l’Association canadienne de production de film et télévision et du Caucus canadien de la vidéo et du cinéma indépendants. Les personnes qui sont assises autour de cette table pourraient peut-être se présenter de façon à ce que nous puissions savoir à quel groupe vous appartenez.

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    M. Alexander Crawley (directeur exécutif, Caucus canadien de la vidéo et du cinéma indépendants): Je m’appelle Alexander Crawley. Je suis directeur exécutif du Caucus canadien de la vidéo et du cinéma indépendants.

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    Mme Andrea Nemtin (membre du conseil exécutif, Caucus canadien de la vidéo et du cinéma indépendants): Je suis Andrea Nemtin, et je suis membre du conseil exécutif du Caucus canadien de la vidéo et du cinéma indépendants.

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    Mme Barri Cohen (présidente nationale, Caucus canadien de la vidéo et du cinéma indépendants): Je suis la présidente nationale du Caucus canadien de la vidéo et du cinéma indépendants. Je m’appelle Barri Cohen.

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    M. Ira Levy (membre du conseil d’administration, Association canadienne de production de film et télévision): Je m’appelle Ira Levy. Je suis membre du conseil d’administration de l’Association canadienne de production de film et télévision.

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    M. Stephen Ellis (président sortant, Association canadienne de production de film et télévision): Je suis Stephen Ellis, ancien président de l’ACPFT et par ailleurs producteur et distributeur installé à Toronto.

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    Mme Elizabeth McDonald (présidente et directrice générale, Association canadienne de production de film et télévision): Je m’appelle Elizabeth McDonald. Je suis la présidente et directrice générale de l’Association canadienne de production de film et télévision.

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    Mme Julia Keatley (présidente, Association canadienne de production de film et télévision): Je suis Julia Keatley. Je suis la nouvelle présidente de l’ACPFT et je suis une productrice installée à Vancouver.

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    Le président: Je vous remercie.

    Qui va commencer? Madame Mme McDonald.

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    Mme Elizabeth McDonald: Bonjour. Je m’appelle Elizabeth McDonald. Je suis présidente et directrice générale de l’Association canadienne de production de film et télévision...

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    Le président: Excusez-moi de vous interrompre, madame McDonald, mais je vous signale en passant que nous avons jusqu’à une heure et il nous reste donc beaucoup de temps.

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    Mme Elizabeth McDonald: Cela ne me paraît en fait pas si long.

    Voulez-vous nous dire comment nous allons nous répartir ce temps, ou...?

    Le président: Non, il y a deux groupes. Je pense que si vous réussissez à vous organiser entre vous pour...

    Mme Elizabeth McDonald: Nous avons prévu des exposés séparés suivis de questions.

    Le président: Bon, très bien. Nous avons jusqu’à une heure; cela devrait nous donner suffisamment de temps, dans la mesure ou vous êtes bien conscients du fait que nous allons arrêter à une heure. Je vous remercie.

    Mme Elizabeth McDonald: Il est dommage qu’ACTRA n’en était pas conscient.

    Je suis membre par ailleurs du GCSCE de M. Pettigrew en matière culturelle et je fais partie du conseil d’administration de la coalition pour la diversité culturelle. J’ai à mes côtés ce matin Julia Keatley, présidente de notre association, directrice de production de Keatley Films à Vancouver et créatrice et productrice de Cold Squad; Stephen Ellis, producteur de documentaires sur la nature, président d’Ellis Entertainment et ancien président de notre conseil d’administration; et enfin Ira Levy, directeur de production de Breakthrough Film & Television, qui produit des émissions pour enfants, des documentaires et des émissions dramatiques telles que Dudley the Dragon, Paradise Falls et Little Miracles.

    L’ACPFT représente plus de 400 entreprises qui financent, produisent, distribuent et commercialisent des émissions de télévision, des films de long métrage et des produits multimédias en anglais. Nos membres sont présents dans toutes les régions du Canada, d’un bout à l'autre du pays. Les intérêts sont très diversifiés mais la grande majorité d’entre eux sont de petites ou moyennes entreprises ayant moins de quatre employés.

    Dans un secteur des médias de plus en plus regroupé, les créateurs indépendants garantissent une plus grande diversité du contenu au sein du système de radiodiffusion canadien. Ce sont nos membres qui obtiennent les droits des auteurs et autres intervenants pour pouvoir raconter les histoires; nous employons des rédacteurs qui se chargent de rédiger les scénarios; nous engageons des metteurs en scène, des acteurs et des spécialistes chargés d’intégrer les histoires aux émissions; enfin, nous effectuons toutes les transactions commerciales permettant de financer la production de ces histoires au Canada et souvent à l’étranger.

    Julia.

Á  +-(1115)  

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    Mme Julia Keatley: Le message que nous tenons à faire passer au comité, c’est combien il est important de garantir l’existence d’un système de radiodiffusion canadien solide et dynamique, qui peut non seulement se maintenir mais également évoluer. Pour qu’il en soit ainsi, il faut concilier service public et secteur privé afin de fournir un éventail complet de programmes, allant des émissions classiques à la programmation des chaînes thématiques et des chaînes payantes; il faut faire en sorte que le public puisse voir traiter sur les ondes des thèmes proprement canadiens.

    Les producteurs indépendants manient toute une gamme de formats et de genres et tentent d’exprimer dans une optique qui est propre à ce pays des récits de chez nous, tenant compte des intérêts et des préoccupations plus particulièrement ressenties par les Canadiens. En gros, il s’agit d’émissions dramatiques, de documentaires et de programmes plus spécialement destinés aux enfants. Ainsi, en regardant This Hour Has 22 Minutes, The Red Green Show, Degrassi: The Next Generation, Cold Squad, Air Farce, Turning Points in History, Hoze Hounds, Da Vinci Inquest, The Toy Castle, Blue Murder, Profiles of Nature, ou Little Miracles, vous pourriez très bien penser que vous assistez là aux émissions réalisées par une chaîne ou une station de télévision donnée, en l’occurrence celle sur laquelle est branché votre poste. Mais en fait vous assistez là au travail des milliers d’hommes et de femmes de talent qui oeuvrent au sein des maisons de production canadiennes indépendantes.

    Aux yeux de l’ACPFT, l’élément clé de la Loi sur la radiodiffusion est l’encouragement à la création et à la diffusion de programmes canadiens. Rappelons que ce n’est que dans la Loi sur la radiodiffusion de 1991 que l’on mentionne directement pour la première fois la production indépendante, en l’occurrence à l’article 3: «la programmation offerte par le système de radiodiffusion canadien devrait à la fois...faire appel de façon notable aux producteurs canadiens indépendants».

    Si nous avons adopté, dans ce pays, une politique en matière de radiodiffusion, et légiféré en ce domaine, c’est justement pour assurer l’existence de programmes canadiens de qualité, traduisant dans des tonalités proprement canadiennes, des expériences et des points de vue correspondant à la réalité nationale. Sans cela, nous aurions un système orienté essentiellement par des considérations d’ordre commercial et nous finirions par voir sur nos écrans de télévision la même proportion d’émissions étrangères qu’accueillent nos écrans de cinéma où, effectivement, les productions étrangères comptent pour à peu près 98 p. 100 des spectacles.

    Jack Valenti, président de la Motion Picture Association of America a déclaré, en février dernier, lors de notre conférence annuelle qui s’est tenue à Ottawa, qu’aucun gouvernement ne peut imposer aux citoyens des spectacles qu’ils ne veulent pas regarder. Cela est certes vrai mais en disant cela M. Valenti a passé sous silence qu’on ne peut choisir de regarder que ce qui vous est offert. Si donc vous supprimez de la Loi sur la radiodiffusion les dispositions concernant le contenu canadien de la programmation, le spectateur n’aura guère l’occasion de regarder des émissions produites ici.

    Stephen.

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    M. Stephen Ellis: Merci, Julia.

    Notre identité nationale et notre souveraineté culturelle dépendent en grande partie de l’accès à des moyens d’expression caractéristiques de notre pays. C’est un des principes essentiels de la Loi sur la radiodiffusion, et la raison d’être des programmes de soutien à la production instaurés tant par le gouvernement fédéral que par les provinces. Ce qui donne aux téléspectateurs canadiens un choix c’est, justement, l’existence de programmes canadiens aux niveaux local, régional et national.

    La proximité des États-Unis met à la disposition de nos téléspectateurs l’ensemble des programmes créés pour le marché américain. Cela pose à notre pays un défi unique au monde. Il est donc absolument nécessaire de garantir l’existence d’une programmation proprement canadienne si nous voulons que nos enfants puissent comprendre pourquoi nous avons un premier ministre plutôt qu’un président, pourquoi une Chambre des communes en non une Chambre des représentants, et pour qu’ils sachent aussi que nous ne sommes pas à l’origine de toutes les mauvaises conditions météorologiques qu’on nous impute régulièrement.

    Dans notre mémoire, nous affirmons qu’il y a lieu de conserver les actuelles limites concernant le contrôle étranger des entreprises de radiodiffusion. D’après nous, c’est le seul moyen de préserver la place que les programmes canadiens occupent sur nos ondes. Au cas où les membres du comité n’en seraient pas persuadés, je leur demanderai de bien vouloir consulter le programme des émissions diffusées, entre 19 heures et 23 heures sur des chaînes classiques privées de langue anglaise.

    Il y a deux jours, le gouvernement britannique a annoncé le dépôt d’un projet de loi tendant notamment à supprimer les restrictions touchant le contrôle des chaînes de télévision britanniques, à l’exception de la BBC. Selon des rapports publiés dans la presse, les entreprises britanniques de radiodiffusion pourront ainsi être rachetées par Disney, AOL Time Warner ou Viacom.

    Pensez-vous que le Canada doive envisager une telle solution?

    Nous ne le pensons pas. Une telle politique risquerait de transformer en simple succursale une industrie de la production et de la radiodiffusion qui se trouve actuellement aux mains d’intérêts canadiens. Il est clair que les firmes étrangères entendraient essentiellement maximiser leurs bénéfices et réduire par conséquent l’argent affecté aux programmes ayant une teneur proprement canadienne. Comme le relevait Julia tout à l’heure, il n’y a qu’à prendre le cas de l’industrie canadienne du film long métrage qui, comme nous le savons tous, a du mal à occuper les écrans du pays plus de 2 p. 100 du temps.

    Ira.

Á  +-(1120)  

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    M. Ira Levy: Merci, Stephen.

    Le système de radiodiffusion canadien est une structure complexe qui s’est développé au cours des dernières décennies. Or nous constatons ces derniers temps, au sein des entreprises propriétaires, une vague de consolidation et de rapprochements stratégiques qui ont modifié de fond en comble le paysage audiovisuel que nous connaissions.

    En ce qui concerne les chaînes traditionnelles de télévision, le nombre d’entreprises est plus faible qu’il y a 10 ans. Celles qui restent en lice sont beaucoup plus importantes, ont des ressources financières beaucoup plus grandes et entendent davantage contrôler la teneur de leur programmation.

    Les grandes entreprises de radiodiffusion privées qui dominent le paysage audiovisuel canadien sont, certes, responsables devant leurs actionnaires et doivent donc accorder la plus grande attention aux questions de rentabilité. Ce fait les porte à vouloir de plus en plus contrôler la production et les droits de distribution sans en payer le juste prix. Le souci de la rentabilité les porte à acheter, moins chers, des programmes importés plutôt que d’investir dans des émissions originales produites au Canada. Les grandes entreprises de média cherchent de plus en plus à bénéficier des financements à la production qui, pour les producteurs indépendants, sont une nécessité vitale.

    Nous estimons que les principes généraux qui sous-tendent le système actuel fonctionnent correctement. Ces principes permettent de respecter les objectifs publics sans pour cela nuire à la santé des entreprises canadiennes.

    Dans ce vaste débat, il y a une grande vérité à retenir. Les divers mécanismes de financement mis en place par les gouvernements fédéral et provinciaux, notamment le Fonds canadien de télévision et les crédits d’impôt, permettent aux entreprises de radiodiffusion d’obtenir des producteurs indépendants des programmes à un prix correspondant à une fraction des coûts de production, la proportion étant en général de 15 à 35 p. 100. À l’inverse, aux États-Unis et au Royaume-Uni, les droits de diffusion s’élèvent à environ 80 p. 100. Vous constatez l’importance de l’écart.

    Un des autres éléments fondamentaux de la création est la protection de la propriété intellectuelle, c’est-à-dire du droit d’auteur. Les représentants d’Industrie Canada vous ont dit plus tôt que les nouvelles technologies posent à cet égard des défis inédits. Certains diront que les efforts en vue de mettre en place, en l’an 2002, une réglementation du droit d’auteur adaptée à l’époque actuelle va à l’encontre de l’innovation. Nous estimons, au contraire, que c’est favoriser l’innovation technique que de procéder ainsi, étant donné que l’autoroute de l’information ne sera pas d’une grande utilité pour les citoyens de notre pays si elle ne permet d’accéder aussi à des informations canadiennes, c’est-à-dire en l’occurrence à des programmes provenant de créateurs canadiens.

    Si le Canada veut pouvoir tenir sa place dans la véritable révolution du contenu qui se produit actuellement, il est essentiel d’assurer la protection de la propriété intellectuelle. Il est également essentiel d’établir un lien très net entre le droit d’auteur et la Loi sur la radiodiffusion. Il est fréquent de voir des producteurs contacter le CRTC sur de questions de droit d’auteur opposant producteurs et radiodiffuseurs. En général, le CRTC répond que les questions de droit d’auteur ne sont pas de son ressort. À l’époque où nous vivons, cette réponse ne se justifie pas.

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    Mme Elizabeth McDonald: Prenant la parole devant vous, la ministre du Patrimoine canadien a proposé que l’on demande aux personnes intervenant dans le cadre de ces auditions comment l’on pourrait affecter un maximum de ressources à la création de programmes canadiens afin d’en améliorer l’assise économique et l’audience.

    Dans notre mémoire, de nombreux éléments démontrent que le secteur de la production indépendant est le principal moyen d’assurer, à un coût raisonnable, la qualité des programmes canadiens et la diversité culturelle de nos ondes. Nous avons exposé un certain nombre d’idées quant à la manière d’assurer le maintien des objectifs culturels du Canada.

    D’abord, la politique du gouvernement devrait continuer à assurer aux modes d’expression canadiens leur pérennité. Ensuite, le CRTC doit continuer à veiller à ce que les radiodiffuseurs respectent leurs obligations à cet égard.

    En deuxième lieu, il est indispensable que le Fonds canadien de télévision soit reconnu comme élément essentiel des mécanismes de financement de programmes proprement canadiens. Le gouvernement doit donc lui assurer un financement stable et à long terme.

    Troisièmement, si nous voulons pouvoir maintenir la richesse et la diversité des programmes que nous offrons aux Canadiens, les radiodiffuseurs doivent continuer à accueillir sur leurs ondes les programmes que nous créons.

    Quatrièmement, les organismes publics devraient simplifier leurs procédures administratives afin que les producteurs ne soient dorénavant plus pénalisés par les surcoûts auxquels ces procédures donnent lieu.

    Cinquièmement, nous appelons le comité à examiner, avec les autres participants à ces auditions, les moyens d’intégrer, dans un tout cohérent, les divers objectifs culturels que nous avons retenus en ce qui concerne le système de radiodiffusion canadien et les mécanismes de financement des programmes.

    Nous tenons à vous remercier de l’occasion qui nous a ainsi été donnée de contribuer à votre examen du système de radiodiffusion canadien et de la législation qui le gouverne. C’est avec plaisir que nous répondrons aux questions que vous voudrez nous poser.

Á  +-(1125)  

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    Le président: Madame McDonald, vous avez fait preuve d’une grande patience et je sais que vous avez déjà eu à revenir en raison des sonneries. Nous vous savons donc gré d’être ici à nouveau aujourd’hui, d’autant plus que vous représentez une association particulièrement importante. Vos recommandations nous sont d’une grande utilité.

    Je tiens à vous remercier et aussi à vous féliciter du document que vous avez rédigé. Il nous est d’autant plus utile que c’est un travail de qualité. Les informations statistiques contenues dans les tableaux sont d’un grand intérêt. Nous vous en remercions.

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    Mme Elizabeth McDonald: Merci. Notre vice-président exécutif, Guy Mayson, nous accompagne ici. C’est lui le responsable de ce projet et, chaque année, le rapport s’améliore, en partie grâce à la collaboration précieuse du ministère du Patrimoine canadien et d’autres ministères fédéraux. Nous tenons donc, nous aussi, à vous remercier.

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    Le président: Félicitations.

    Je vais maintenant passer la parole à Mme Barri Cohen.

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    Mme Barri Cohen: Merci.

    Mesdames et messieurs les députés, bonjour. Je m’appelle Barri Cohen et je suis présidente nationale du Caucus canadien de la vidéo et du cinéma indépendants. Mon travail consiste en outre à tourner et à produire des films documentaires et à écrire des scénarios. Je suis accompagnée par le directeur exécutif du CCVCI, Alexander Crawley, ainsi que par Andrea Nemtin, membre de notre conseil national et, elle aussi, productrice indépendante de films documentaires.

    Au nom de nos 560 membres installés dans les diverses régions du Canada, je tiens à vous remercier de cette occasion de vous exposer notre point de vue. Nous savons que le temps vous est compté et donc nous allons simplement brosser un portrait rapide de notre profession et de la manière dont fonctionne le secteur.

    Ainsi que nous l’expliquons dans notre mémoire, le CCVCI représente les auteurs et producteurs de films documentaires canadiens qui sont indépendants des entreprises de télédiffusion. Il s’agit d’entreprises que nous avons montées les uns et les autres, certaines petites, d’autres plus importantes. Certaines emploient une ou deux personnes, et d’autres cinq, quinze personnes, voire plus. Ce sont nous, les producteurs, qui décidons du contenu, c’est-à-dire des mots et des images transmis à la télévision. C’est en grande partie de cela qu’il s’agit ici. Nos oeuvres sont diffusées sur Newsworld, SRC/CBC, VisionTV, W, TVOntario, BC Knowledge, SCN Saskatchewan, Télé-Québec, Discovery Channel, Life Channel, History Channel, et, dans une moindre mesure, Showcase, CTV, Global et certains autres.

    Dans le cadre de nos activités cinématographiques, nous devons faire appel à la fois aux talents et aux compétences qu’exigent la production de programmes pour la télévision et le sens du commerce et de l’entreprise nécessaire pour bien gérer nos sociétés et pour trouver les capitaux nécessaires. Les producteurs de films documentaires sont maintenant un élément essentiel du milieu de la production indépendante qui, chaque année compte pour plus de 200 millions de dollars. Selon les chiffres du Fonds canadien de télévision, l’année dernière, les programmes documentaires ont compté pour plus de 900 heures des 2 400 heures de programmation canadienne. Nos productions correspondent donc à environ 19 p. 100 du total. Autrement dit, elles se sont vu accorder environ 19 p. 100 des financements distribués chaque année par le FCT.

    Il convient, me semble-t-il, d’expliquer un petit peu de quelle sorte de programmes il s’agit. D’abord, il va toujours s’agir d’un récit sous une forme ou sous une autre, et encore d’un récit sur pellicule ou sur bande vidéo dont la durée peut être d’une heure mais peut également atteindre celle d’un long métrage. On a souvent l’occasion de voir soit sur Newsworld, soit sur TVOntario ou Radio-Canada. Il s’agit donc de récits dont on peut également faire une série pouvant comporter trois, six ou treize épisodes. La plupart du temps, celles-ci sont projetées sur les chaînes payantes ou spécialisées et généralement pas sur les chaînes qui projettent les séries dramatiques réalisées par des producteurs indépendants.

    Selon le mot de John Grierson, le documentaire est une version créative de la réalité. Cela veut dire, pour nous, qu’il s’agit d’un travail qui a quelque chose d’hybride, qui couvre un très large éventail de sujets et de formes, et qui va, par exemple, du journalisme approfondi, au grand subjectivisme du documentaire d’auteur, en passant par le cinéma vérité qui traite l’événement à chaud, le film historique, le portrait biographique, l’enquête scientifique, le film politique ou social, la représentation artistique filmée, etc. Le métier, bien sûr, ne se limite pas à ces genres particuliers. À son meilleur, c’est un genre dont les seules limites sont le talent et l’imagination du cinéaste et le contrôle qu’il lui est permis d’exercer sur la forme et la teneur de son oeuvre.

    Dans le cadre de votre examen, nous estimons qu’il peut être utile d’évoquer le lien entre la bonne santé de l’industrie du film documentaire, sa créativité, la diversité des points de vue qu’elle permet d’exprimer, la tonalité de cette expression filmique, et le bon fonctionnement de l’ensemble du système de télédiffusion. Ce que je veux dire par cela c’est qu’il convient, me semble-t-il, de voir dans les documentaires un bon indicateur du fonctionnement de notre système, du sens de l’intérêt général qu’il manifeste, de son esprit d’ouverture, de sa diversité, autant d’éléments que les télédiffuseurs et les organismes de financement sont portés à encourager. À l’inverse, lorsque la diversité des styles et du contenu est menacée, lorsque les petites sociétés qui assurent le gros de la production documentaire ont du mal à se maintenir, lorsqu’il leur faut concentrer une trop grande part de leur temps à la paperasserie et aux formalités, du temps qui serait mieux employé à parfaire l’art du récit susceptible de retenir l’attention du spectateur canadien, nous savons qu’il y a quelque chose qui ne va pas et que les valeurs énoncées dans la Loi sur la radiodiffusion ont perdu de leur empire.

    Il est vrai que le documentaire a, ces dernières années, connu un nouvel essor. Il ne fait aucun doute que cela est en grande partie dû au CRTC, aux nouveaux télédiffuseurs, au Fonds canadien de télévision, à Téléfilm Canada, et au Rogers Documentary Fund, pour ne nommer que ceux-là. Mais, comme ont récemment permis de le constater les études tout à fait novatrices sur la production documentaire menées dans le cadre des Rencontres internationales de documentaires de Montréal, un cheval de Troie s’est introduit dans la place, et la quantité tend largement à l’emporter sur la qualité et sur les ressources disponibles. Les auteurs de cette étude évoquent les politiques et les pratiques en vigueur qui, selon eux, menacent la diversité de la production de documentaires.

    Nous avons préparé pour aujourd’hui des extraits de certaines parties importantes du rapport, mais nous vous encourageons à prendre connaissance du document au complet, la rédaction ayant été financée par un consortium des principaux partenaires, y compris le CRTC et le ministère du Patrimoine canadien. Si je ne m’abuse, les recherches effectuées dans le cadre de cette étude ont été financées par 26 bailleurs de fonds.

    Je vais maintenant passer la parole à Andrea.

Á  +-(1130)  

+-

    Mme Andrea Nemtin: Merci.

    La Loi sur la radiodiffusion, qui retient votre attention aujourd’hui, revêt une importance essentielle si l’on veut assurer l’avenir de ce secteur. Si nous voulons continuer à former une nation, il nous faut préserver notre identité culturelle. L’actuel système de régulation est un facteur indispensable de notre souveraineté politique, un élément de notre défense nationale. Les politiques qui ont abouti à la création de ces géants des médias, aussi bien au Canada que dans ce nouvel environnement mondialisé, devaient permettre au secteur de la télédiffusion de mettre en place les infrastructures nécessaires. Maintenant que c’est fait, il faudrait que le CRTC fasse davantage porter son attention sur les dispositions de la Loi sur la radiodiffusion concernant le contenu des émissions.

    Parmi les créateurs, on constate au niveau du contenu un changement qui traduit la diversité des points de vue représentés dans ce pays multiculturel, multilingue et plurireligieux. Ce n’est plus, effectivement, les sociétés de télédiffusion qui assurent la création de ces programmes essentiels. Comme Julia le disait tout à l’heure, cette tâche est dorénavant dévolue aux producteurs indépendants.

    Les télédiffuseurs privés sont des géants des médias dont souvent les actions sont cotées en bourse. Ils s’inquiètent du prix de leurs actions, des notes d’information concernant leur rentabilité et du volume des recettes publicitaires. C’est dire qu’on ne peut pas compter sur eux pour être, pour les Canadiens, le miroir envisagé par le législateur dans la Loi sur la radiodiffusion. Pour que cette partie de la loi donne les résultats voulus, le CRTC doit adopter des politiques renforçant ce secteur d’activité et garantissant son indépendance.

    L’actuel système, composé d’organismes tels que Téléfilm, le Fonds canadien de télévision et l’Office national du film, est indispensable à la création de programmes canadiens de très haute qualité et nous vous en remercions, non seulement en tant que producteurs mais aussi en tant que citoyens. Mais, compte tenu de l’actuel climat d’incertitude économique, il nous va falloir, plus que jamais, créer, en termes de politique gouvernementale, un environnement propice à la création de programmes canadiens par les producteurs indépendants.

    Je vais maintenant passer la parole à mon collègue Sandy Crawley.

+-

    M. Alexander Crawley: Comme le disait M. Levy, il est évident qu’actuellement les grosses sociétés, telles que Corus et Alliance Atlantis, possèdent davantage de chaînes et cela est vrai aussi des poids lourds des médias tels que BCE et CTV. Souvent ces entreprises aiment évoquer les synergies des fusionnements et un regain d’efficacité mais cette évolution entraîne trois grandes conséquences que nous tenons à porter à votre attention car elles sont lourdes de risques pour les producteurs indépendants.

    D’abord, lorsque les entreprises consolident et rationalisent leurs opérations, elles réduisent en même temps leurs effectifs, en consolidant les emplois. Cela veut dire que la programmation de plusieurs chaînes peut très bien ne dépendre que de trois ou quatre personnes. Souvent ces personnes se voient tenues de programmer des émissions assez ordinaires. On a parfois l’impression que l’art du récit leur échappe un peu. Enfin, cela veut dire que ce sont les mêmes personnes, avec les mêmes attitudes, qui assurent la programmation pour plusieurs catégories de spectateurs en réponse aux mêmes genres de pressions. Cela est néfaste pour les producteurs mais aussi pour les téléspectateurs canadiens.

    En raison d’un souci constant de rationalisation, on a tendance à priver les productions de l’esprit créateur qu’il leur faudrait pourtant et les producteurs ne parviennent plus à établir avec les chaînes les genres de relations dont nous avons besoin pour créer des programmes.

    Deuxièmement, plus le nombre de diffuseurs se réduit, plus on risque de voir se créer des positions dominantes. Traditionnellement, les chaînes achetaient les droits de projeter un film ou une série, dans certains cas pour plusieurs années avec un certain nombre de garanties au niveau de la publicité. Aujourd’hui, le prix des séries ou des émissions n’a pas nécessairement baissé mais les chaînes demandent ou exigent que leurs chaînes affiliées puissent, elles aussi, programmer ces émissions et, pour le même prix, les projeter tant qu’elles veulent sans garantir le même niveau de publicité qu’avant.

    Des cinéastes et des producteurs chevronnés nous ont décrit le nouvel environnement de ces «ventes liées obligatoires». Une position forte sur le marché permet également aux chaînes de monter leurs propres compagnies de production de documentaires, comme l’ont fait Alliance Atlantis et Discovery, et ce sont alors ces compagnies qui alimentent les chaînes par un débit constant de documentaires bon marché, certes, mais dont la production bénéficie néanmoins des financements publics et des crédits d’impôt prévus à cet effet.

    Les règlements adoptés par le CRTC afin de lutter contre ces pratiques consanguines ne sont pas appliqués avec assez de fermeté, d’après nous, mais il y a là un problème auquel il conviendrait de faire face de toute urgence.

    Il y aurait lieu, en outre, par le truchement du conseil, de conditionner l’octroi d’une licence de télédiffusion à l’adoption, par les chaînes, de conditions qui, en matière de négociations ou de pratiques commerciales, seraient à la fois équitables et obligatoires dans les relations avec les producteurs indépendants. Nos collègues de la CFTPA et nous-mêmes travaillons depuis un certain temps sur ce dossier et nous espérons aboutir, peut-être de concert avec vous.

    Troisièmement, lorsqu’une entreprise atteint une certaine taille, elle risque davantage de voir d’énormes sociétés étrangères jeter leur dévolu sur elle. Or nous craignons que les propriétaires étrangers soient encore moins portés que les chaînes privées ici à veiller à ce que la programmation compte une certaine proportion de contenu canadien. Quoi qu’il en soit, leur puissance permettrait d’exiger un relâchement des critères et c’est pourquoi le CCVCI estime qu’il ne faut pas assouplir les règles actuelles restreignant les prises de participation par des entreprises étrangères.

    Barri.

Á  +-(1135)  

+-

    Mme Barri Cohen: Merci.

    Ces dernières années, le CRTC a accordé tellement de licences à des chaînes spécialisées et digitales--certains évoquent même une surabondance en ce domaine--qu’on s’attendrait à constater une très forte diversité de programmes destinés aux téléspectateurs canadiens. Ce n’est pourtant pas tout à fait le cas. En fait, tout cela a créé, pour les producteurs de films documentaires, une situation assez paradoxale.

    Certes, alors que les chaînes ont pu foisonner, dans certains cas en l’absence de tout projet d’entreprise solide, les nouveaux capitaux investis dans le système n’étaient pas suffisants pour assurer une production suffisante de programmes, notamment dans le domaine des émissions dramatiques, des émissions pour enfants, des arts, des variétés et des documentaires.

    L’argent disponible a été divisé en un plus grand nombre de parts, plus petites que naguère. C’est sans doute pour cela que beaucoup de personnes comprennent mal cette situation où, il est vrai, les investissements ont augmenté mais pas assez pour aller de pair avec l’augmentation rapide du nombre de licences. En un mot, l’argent disponible a quelque peu augmenté, mais le nombre de parts a augmenté encore plus.

    Cela dit, il est vrai qu’en matière de documentaires, la demande s’est sensiblement accrue. Cela est en partie dû au fait qu’en 1999, lors de l’examen de la politique du CRTC en matière de télévision, nous avons persuadé le conseil de permettre aux chaînes de compter les documentaires lors du calcul des programmes à contenu canadien devant être diffusés aux heures de grande écoute mais, les conditions du marché ont exercé une pression à la baisse non seulement sur les coûts de production mais également sur la qualité des émissions.

    D’abord, des droits de diffusion qui permettent d’obtenir un financement du FCT ont baissé--cela vient d’être annoncé récemment--alors que, dans certains cas, les chaînes exigent davantage de contrôle au niveau de la création, et cela aussi, vous venez de l’apprendre. Cela a entraîné, de la part des chaînes spécialisées, davantage de demandes pour des séries documentaires qui, très souvent, ne traitent non pas de problèmes sociaux ou politiques mais de sujets relevant de ce qu’on pourrait appeler l’information «légère». Ces productions permettent peut-être aux nouvelles entreprises de se faire la main. Cela crée des emplois et favorise un certain apprentissage. Mais bon nombre de producteurs de films documentaires ont de plus en plus de mal à faire des films de qualité--c’est-à-dire des films qui se défendent sur le plan international. On entend par cela des documentaires qui, certes, coûtent plus cher, mais qui portent sur des sujets sérieux, des documentaires qu’on pourrait éventuellement vendre à des chaînes étrangères. Il s’agit de programmes, longs ou courts, qui sont à la fine pointe du métier ou qui traitent de sujets sociaux et politiques propres à faire réfléchir le téléspectateur.

    Comme le disait M. Jacques Bensimon, notre commissaire du film, dans le mémoire qu’il vous a présenté en septembre, ce genre de films exige beaucoup de recherches, beaucoup de développement, beaucoup de pellicule et parfois même beaucoup de temps pour effectuer le montage à l’aide des nouveaux équipements. Parfois, aussi, ce genre de films exige, pour sa projection, 60 ou 80 minutes, plutôt que les 39 à 43 minutes qui constituent actuellement ce qu’on appelle l’heure de diffusion.

    Ce genre de récit, coûteux et travaillé, appartient à cette catégorie de programmes qui a du mal à trouver preneur dans la jungle des chaînes qui constitue actuellement le marché efficient, concurrentiel et fragmenté. Malgré les bons principes qui sous-tendent la Loi sur la radiodiffusion, et auxquels nous sommes entièrement favorables, et malgré aussi les engagements et les missions confiées à nos chaînes, tout le monde y perd, tant le spectateur que le cinéaste.

    J’aimerais, enfin, faire quelques observations sur la teneur canadienne des programmes. Encore une fois, il s’agit là d’un principe qui revêt pour nous une importance vitale. Il serait temps, sur ce plan, d’introduire un peu de flexibilité. Certes, les financements canadiens, les récits portant sur des thèmes canadiens ou qui se déroulent au Canada, et aussi les cinéastes canadiens garantissent le bénéfice des mesures destinées à assurer le contenu canadien des programmes, aussi bien aux yeux des bailleurs de fonds, qu’en ce qui concerne les crédits d’impôt destinés aux films et à la télévision, aux yeux de l’organisme de certification du contenu canadien, mais tous ces éléments-là ne sont pas nécessairement harmonisés ni nécessairement adaptés à un documentaire donné. En grande partie, au Canada, le documentaire correspond, traditionnellement, à une optique canadienne débouchant sur le monde. C’est d’ailleurs ce que prévoit l’article 3 de la Loi sur la radiodiffusion, en son sous-alinéa 3(1)d)(ii).

    En tant que puissance moyenne, la voix que le Canada peut faire entendre revêt une importance cruciale lorsqu’il s’agit de jeter un regard différent sur les gens, les événements, les récits, aussi bien ici qu’à l’étranger, sans pour cela mettre en cause la teneur canadienne du film et les aides auxquelles cela peut donner droit. Il s’agit donc d’allier la liberté de l’auteur et le caractère indéniablement canadien du point de vue exprimé, mais sans nécessairement pouvoir analyser rigoureusement ce qui fait que le point de vue ainsi exprimé est effectivement canadien. Cela apparaît pourtant clairement lorsque vous comparez la manière dont les événements mondiaux sont traités à la télévision par des journalistes canadiens à la manière dont ces mêmes événements sont présentés aux actualités américaines.

    Souvent, cependant, on nous a reproché de faire des programmes qui ne sont pas assez manifestement canadiens. À l’inverse, lorsque vous allez chercher des financements à l’étranger, vous vous heurtez à de nouvelles contraintes dans la mesure où de nombreuses chaînes internationales ne s’intéressent aucunement à des sujets ou à des thèmes manifestement canadiens. En même temps, rares sont les chaînes canadiennes qui acceptent encore d’accorder à de tels programmes les financements nécessaires.

Á  +-(1140)  

    Dans un même ordre d’idées, étant donné que Téléfilm Canada veut investir dans des projets rentables, les ventes à l’étranger revêtent à ses yeux un intérêt particulier mais il est difficile d’obtenir une participation de Téléfilm pour traiter un sujet très important aux yeux des Canadiens mais qui risque de ne pas se vendre dans d’autres pays. Il y a là un douloureux paradoxe dont les cinéastes font les frais.

    J’aimerais, encore une fois, citer les études menées dans le cadre des RIDM pour dire que, selon les réponses obtenues auprès de centaines de nos membres et de responsables des chaînes qui ont récemment pris part à cette enquête approfondie, de nombreux cinéastes travaillent actuellement plus fort, gagnent moins et font des films qui sont, d’après eux, de moins bonne qualité qu’il y a cinq ans. Ces personnes se reprochent souvent leurs propres insuffisances au niveau du récit ou du traitement des thèmes, se faisant grief de ne pas parvenir à atteindre le coeur et l’esprit des Canadiens en leur présentant des oeuvres de grande valeur.

    Permettez-moi de conclure en disant que, d’après nous, il est essentiel de garder à l’esprit que, selon la Loi sur la radiodiffusion, les licences de radiodiffusion sont un privilège et non pas un droit. L’octroi d’une telle licence est lié à l’exercice d’un certain nombre de responsabilités à l’égard du public et ces responsabilités doivent être respectées. Avec le temps, on a tendance à n’en voir que l’aspect commercial et, certes, c’est un aspect non négligeable, mais il s’agit bien de privilèges et non pas de droits. En effet, ces licences sont des biens qui appartiennent essentiellement à la collectivité.

    Je vous remercie.

+-

    Le président: Merci beaucoup madame Cohen.

    Nous allons maintenant passer aux questions. Monsieur Abbott.

+-

    M. Jim Abbott: Merci.

    On a pas mal parlé ici de l’importance d’assurer que Radio-Canada notamment continue à pouvoir elle-même produire des programmes. Êtes-vous d’accord avec cela?

+-

    Mme Elizabeth McDonald: Non. La Société Radio-Canada est un radiodiffuseur d’une extrême importance pour les producteurs indépendants. S’agissant de diffuser des émissions caractéristiques du Canada, c’est même le radiodiffuseur le plus important. Mais, si la production de ces émissions n’est pas confiée à des producteurs indépendants travaillant de concert avec Radio-Canada, vous finirez par avoir des émissions qui ont toutes la même tonalité.

    Si Radio-Canada a été encouragé à travailler avec des producteurs indépendants par le truchement du Fonds canadien de télévision, c’est que l’on voulait, en premier lieu, assurer la vitalité de traitement et en deuxième lieu permettre à Radio-Canada d’en faire plus malgré les contraintes budgétaires.

    Comme tout autre radiodiffuseur, Radio-Canada, lorsqu’elle commande Da Vinci’s Inquest, Royal Canadian Air Farce ou This Hour Has 22 Minutes, n’assume qu’une partie des coûts de production et c’est au producteur de se procurer le reste des financements nécessaires. Lorsque que le gouvernement demande à la Société Radio-Canada de poursuivre la mission qui lui est confiée--et d’en faire plus malgré des ressources moins abondantes--nous sommes le parfait instrument et c’est même, pourrions-nous dire, notre point fort.

    Je ne sais pas si Stephen, ou Ira, ou quelqu’un d’autre...

Á  +-(1145)  

+-

    M. Stephen Ellis: Tout le monde admet je pense le rôle qui revient à Radio-Canada au niveau des actualités et, bien sûr, au niveau des émissions sportives. Mais, comme Elizabeth le disait tout à l’heure, de proche en proche, le rôle des producteurs indépendants dans la production de spectacles a pris une formidable extension. Je crois qu’à l’heure actuelle 80 ou 90 p. 100 des émissions spectacles programmées par Radio-Canada aux heures de grande écoute proviennent de producteurs indépendants, ce qui assure la diversité des points de vue. C’est également très avantageux du point de vue économique car, ainsi que nous le disions au début, les radiodiffuseurs--dont Radio-Canada--n’ont généralement à investir qu’environ un quart des coûts de production. Ainsi, une émission dramatique d’une heure produite à l’interne coûtera à Radio-Canada environ quatre fois ce qu’elle aurait à débourser en s’adressant à un producteur indépendant.

+-

    M. Jim Abbott: Pour la CFTPA, au niveau de spectacle--et je pense là, par exemple, aux programmes comme Cold Squad et aux programmes comme celui-là--CBC est-il en fait un télédiffuseur comme les autres, comme CTV ou comme Global?

+-

    Mme Julia Keatley: Oui. C’est un de nos partenaires. Tous les radiodiffuseurs sont pour nous des partenaires.

    Mon père a travaillé pour Radio-Canada pendant 30 ans, quittant la Société au début des années 90. Il était lui-même basé en Colombie-Britannique et il a pu suivre cette évolution du rôle des producteurs indépendants.

    Stephen évoquait tout à l’heure la diversité des points de vue que permettent les productions indépendantes et j’ajoute que ce n’est plus une capacité que l’on trouve actuellement à Radio-Canada. En effet, la SRC, avec le temps, est devenue davantage une sorte d’éditeur qui commande un ouvrage. La relation est très étroite et nous travaillons de concert. Il est clair que s’ils ne sont pas contents des émissions réalisées, ils ne feront plus appel à vous. Il s’agit tout à fait d’un partenariat.

+-

    M. Jim Abbott: J’aimerais également recueillir à cet égard le point de vue du Independent Film Caucus, et je vais donc vous demander de me répondre par un oui ou par un non. D’après vous, étant donné que 80 p. 100 des émissions spectacles de Radio-Canada sont actuellement réalisées par des producteurs indépendants, pensez-vous qu’il soit souhaitable d’en arriver au point où il en serait intégralement ainsi?

+-

    Mme Elizabeth McDonald: Oui.

+-

    M. Jim Abbott: Merci.

    Je passe maintenant aux représentants du Caucus canadien de la vidéo et du cinéma indépendants. Je sais bien que Radio-Canada va faire réaliser des documentaires par leurs équipes chargées de l’actualité étant donné leurs envoyés qui se trouvent là sur le terrain, en Afghanistan ou ailleurs, ou même au Canada. Cela se comprend fort bien. Mais, étant donné le genre de documentaires que vous produisez vous--et j’imagine que vous avez écouté la question que j’ai posée à vos confrères de l’association de production de film et télévision--pensez-vous que Radio-Canada pourrait faire une plus grande place aux gens, par exemple, du Caucus canadien de la vidéo et du cinéma indépendants?

+-

    Mme Barri Cohen: Je vous remercie de votre question.

    Il est clair que la réponse est oui. Il y a lieu, me semble-t-il, de distinguer entre le journalisme, les actualités, si vous voulez, pour lesquelles on compte effectivement sur les grands présentateurs et les reporters qui courent de gros risques dans les diverses régions du monde, au Moyen-Orient ou dans l’Asie du Sud-Est, par exemple. Ils envoient des séquences de trois, cinq, dix voire vingt minutes qui sont effectivement des documentaires. Ils travaillent dans le respect d’un code de déontologie journalistique très exigeant et ne se voient pas en fait comme des artistes.

    Lorsque que vous voyez Céline Galipeau faire un reportage en direct du Pakistan, elle transmet des nouvelles de manière assez objective--je ne pense pas qu’on puisse lui faire des reproches sur ce point--alors que le documentaire, lui, revêt une forme plus fluide. C’est cela, si vous voulez, qui nous permet d’approfondir un sujet.

    Je suis, par exemple, en train de préparer un projet avec une photographe canadienne d’origine pakistanaise qui se trouvait, au Pakistan, dans des camps de réfugiés afghans avant le 11 septembre. Je veux donc y retourner avec elle, un an plus tard, et voir comment la situation se présente. Je compte, en sa compagnie, effectuer un long périple à travers le pays. Elle est à la fois originaire d’ailleurs et canadienne. Nous allons nous pencher sur tout un éventail de sujets et de problèmes. Il s’agit donc d’un documentaire proprement dit--et là je ne cherche pas à me faire des compliments; j’insiste simplement sur le fait que cela permet un traitement plus long du sujet. Il ne s’agit pas de rivalité. Il s’agit simplement d’approches très différentes.

    Les documentaires trouvent une place naturelle dans la grille d’émissions des chaînes publiques, une place qui, au demeurant, devrait être élargie. À cet égard, je tiens à formuler envers la SRC un reproche au sujet d’une série documentaire indépendante appelée Witness. Si vous connaissez le sujet qui sera traité cette semaine, vous en savez plus que moi car, pour des raisons qui m’échappent, cette émission ne fait l’objet d’aucune publicité et je crois que cela est en partie dû aux règles internes concernant l’annonce des programmes.

    J’estime qu’on ne met pas les téléspectateurs suffisamment au courant des programmes. À cet égard, Newsworld et The Passionate Eye sont plutôt mieux. Nous avons pas mal de reproches à formuler quant à la manière dont, en pratique, le réseau commande ses émissions. Il a, effectivement, commandé beaucoup de films journalistiques, le genre d’émissions qui correspond bien au point de vue de la maison compte tenu des antécédents journalistiques des éditeurs chargés de la programmation, mais il s’agit de personnes qui ne connaissent pas très bien le documentaire; il y a pour eux une sorte d’apprentissage à faire.

    Je ne veux pas entrer dans le détail mais s’il est vrai que le documentaire a une place naturelle sur cette chaîne, il est également vrai que leur manière de procéder nous pose des problèmes. Nous estimons qu’il y a des progrès à faire et que les responsables pourraient, comme M. Bensimon le disait tout à l’heure, faire preuve d’un peu plus d’imagination en matière de programmation.

    Ce qui nous préoccupe aussi c’est qu’ils ont récemment monté une maison de production interne dénommée CineNorth. Je ne sais par exactement quel doit être son rôle dans la production de documentaires. Je ne sais pas si nous allons travailler dans le même créneau. Cela reste à voir et certains de mes collègues pourraient peut-être vous en dire un peu plus sur ce point.

Á  +-(1150)  

+-

    Mme Elizabeth McDonald: Je peux seulement dire que nous essayons d’obtenir davantage de détails au sujet de CineNorth. Je crois savoir que si la SRC veut lancer une maison de production elle est censée, aux termes de la loi, s’adresser à la ministre du Patrimoine canadien. Personne ne semble vraiment être au courant--c’est un peut comme la quête de l’abominable homme de neiges--mais je suis le dossier et je compte arriver à savoir ce qu’il en est.

+-

    Le président: Peut-être que la présente émission vous en offrira les moyens.

+-

    Mme Elizabeth McDonald: Quoi qu’il en soit, c’est un sérieux problème. La SRC en a manifestement l’intention--ils ne s’en ont pas caché. Ils veulent disposer à l’interne d’une maison de production. Cela va bien sûr nous retirer des commandes, à nous et aux créateurs, car ils vont chercher à nous concurrencer.

+-

    M. Ira Levy: Je tiens simplement à rappeler qu’il s’agit de l’argent des contribuables. Or, s’agissant des producteurs indépendants du Canada, on peut dire qu’ils travaillent de manière assez efficace, qu’il s’agisse de faire des documentaires, des programmes pour enfants ou des émissions dramatiques. C’est un métier artistique, un travail de création et nous l’exerçons pour gagner notre vie. Si l’on effectue des comparaisons, bien qu’il ne soit pas toujours très facile de connaître les coûts de production des émissions réalisées par la SRC, nous pouvons dire, d’après le peu d’éléments dont nous disposons, que les producteurs indépendants sont beaucoup plus économes de l’argent des contribuables et cet élément-là vient s’ajouter à la diversité des tonalités ainsi qu’aux autres aspects évoqués tout à l’heure par mes collègues.

+-

    Mme Elizabeth McDonald: Il faut, je pense, également rappeler que les producteurs indépendants, dans leur recours aux crédits d’impôt, au Fond canadien de télévision ou aux aides de Téléfilm, font l’objet d’un examen très détaillé et sont comptables de chaque dollar consacré à une production, qu’il s’agisse de l’argent du contribuable ou de financements privés. Or, on ne peut pas en dire autant de l’argent dépensé par la SRC.

    J’avais cru en outre que le gouvernement n’entendait pas nous mettre en concurrence avec les acteurs du secteur public et c’est pourquoi nous sommes préoccupés par cette évolution.

+-

    Le président: Madame Gagnon.

[Français]

+-

    Mme Christiane Gagnon: Merci de votre présentation. Vous avez soulevé plusieurs points: la production étrangère; un meilleur financement et un meilleur soutien des producteurs indépendants; la protection du droit d'auteur dans le cadre de l'enjeu que suscitent les nouvelles technologies.

    Quand nous avons visité l'Ouest et les Maritimes, plusieurs petits producteurs indépendants nous ont dit qu'ils étaient en quelque sorte exclus du Fonds canadien de télévision et de Téléfilm et que, pour qu'il se fasse de la production canadienne, il fallait être beaucoup plus audacieux dans le soutien qu'on donne aux producteurs. Avez-vous cette même impression ou si c'est surtout une impression qu'ont ceux qui sont loin des grands centres? Les productions se font dans les grands centres comme Toronto, Vancouver et Montréal, et les petits producteurs qui vivent loin de ces grands centres se sentent démunis. Ils voudraient qu'on leur permette d'obtenir un certain pourcentage du Fonds canadien de télévision. Êtes-vous d'accord sur cela? Est-ce un problème que vous connaissez bien?

Á  +-(1155)  

[Traduction]

+-

    Mme Elizabeth McDonald: D’abord, je tiens à apporter quelques précisions concernant les émissions de télévision canadiennes et leur source, c’est-à-dire les producteurs auxquels ces émissions sont achetées. C’est d’abord aux chaînes qu’il appartient d’avaliser ces programmes. Aucun projet de production ne peut en effet solliciter une aide financière à moins d’avoir été ainsi cautionné. Il est clair que vu la consolidation des entreprises dans le domaine des médias, la source de ces cautionnements devient un peu problématique. C’est une des raisons pour lesquelles nous soulevons la question d’une réglementation cohérente dans le cadre de laquelle cet aval serait accordé par le CRTC. Dans certains cas, cet aval est soumis à des conditions régionales mais il n’en est pas toujours ainsi. Alors que la plupart des télédiffuseurs sont installés dans le centre du pays, il va falloir trouver le moyen d’assurer la diffusion, à l’échelle du pays tout entier, de ces récits, présentés en anglais ou en français.

    Deuxièmement, j’estime que le Fonds canadien de télévision a parfaitement accompli sa mission--je vais céder dans quelques instants la parole à Julia qui pourra elle aussi nous en dire quelques mots--puisqu’il tente d’assurer le financement du plus grand nombre d’émissions possibles en provenance des diverses régions. Cela dit, quand les décisions concernant les émissions en langue anglaise auront été transmises au FCT, dans deux semaines environ, nous nous apercevrons qu’il y a un surcroît de demande d’environ 57 p. 100 par rapport aux ressources disponibles. Cela veut dire que de nombreuses émissions que les radiodiffuseurs aimeraient acheter ne pourront cependant pas être financées. Ajoutons que cette année nous ne savons même pas si ces financements se poursuivront, s’ils seront renouvelés ou s’ils seront renouvelés à leur niveau antérieur. Beaucoup d’émissions réalisées par des producteurs de talent dans des localités de moindre envergure dans diverses régions du pays ne seront donc jamais offertes aux téléspectateurs.

    Nous savons, par exemple, que dans la région des Prairies, il est fréquent qu’un producteur reçoive l’aval d’un télédiffuseur qui n’a pas l’envergure nationale de la SRC ou de CTV, ou bien qui collabore avec des chaînes spécialisées. Étant donné l’énorme surcroît de la demande cette année--la demande a en effet atteint un niveau sans précédent--certaines de ces émissions ne pourront pas être tournées car le FCT est obligé de dire, eh bien dans la mesure où je dois en refuser un tel nombre, je pense devoir dire oui aux chaînes qui atteignent le plus grand nombre de téléspectateurs.

    Julia, qui est membre du conseil d’administration du FCT, est mieux à même de nous en parler.

+-

    Mme Julia Keatley: Je vais donc changer de casquette. Depuis trois ans, je suis l’une des représentantes de l’ACPFT au conseil d’administration du Fonds canadien de télévision. En tant qu’habitant de Vancouver, c’est pour moi une expérience très intéressante que de m’activer tout d’un coup dans le cadre du triangle Ottawa-Montréal-Toronto. Au début, j’étais très certainement la seule personne provenant des «régions». En fait, le conseil, avec l’encouragement du ministère du Patrimoine, a tenté de s’adjoindre un francophone hors Québec ainsi qu’une autre voix régionale appartenant au caucus.

    Dans le cadre des lignes directrices orientant l’activité du fonds, un grand débat se poursuit concernant l’appui aux régions et la question de savoir s’il y aurait lieu de définir des enveloppes budgétaires, pour les télédiffuseurs, ainsi que pour les diverses catégories de producteur. Sous l’égide du conseil, les administrateurs du fonds tentent actuellement d’appliquer des mesures d’incitation destinées aux entreprises de moindre envergure afin de leur accorder un certain avantage financier en augmentant leur financement ou en leur accordant la priorité, et de favoriser aussi les programmes régionaux en augmentant les droits de diffusion afin de leur permettre de se maintenir face à la concurrence. Cela semble donner d’assez bons résultats même si, comme Elizabeth le faisait remarquer, le surcroît de la demande et la disparité de situation des divers radiodiffuseurs font que la concurrence est parfois très inégale.

    Il s’agit là de quelque chose que le fonds lui-même, ses administrateurs et chacun d’entre nous examinent actuellement dans le contexte des licences de radiodiffusion accordées par le CRTC. En tant que producteur, je dois dire que tout cela me fait parfois penser à une loterie.

  +-(1200)  

+-

    Mme Elizabeth McDonald: Une autre chose qu’il convient de préciser est le fait qu’aucun producteur, quelle que soit sa région d’origine, ne pourra obtenir un financement du FCT si le télédiffuseur ne donne pas d’abord son aval. Il est donc effectivement important de se pencher sur le cas des producteurs auprès desquels s’alimentent les télédiffuseurs et sur la question de savoir si ceux-ci sont encouragés à aller chercher des émissions au delà de leur propre région.

+-

    Mme Andrea Nemtin: Permettez-moi une petite observation à cet égard.

    Nos procédures de financement constituent un tableau matriciel assez compliqué et, en tant que productrice indépendante, je peux dire qu’il nous faut travailler de bric et de broc. En Colombie-Britannique, en Alberta et en Ontario, les gouvernements provinciaux ont l’air de vouloir ne plus s’intéresser aux productions. Contrairement à la SODEC, qui est, me semble-t-il, une des principales raisons pour lesquelles le Québec possède actuellement une industrie culturelle si dynamique, dans les autres provinces, le secteur de la production réduit chaque année un peu plus l’étendue de ses activités, ce qui est un véritable désastre pour les producteurs de ces régions. Il ne me semble pas possible de se pencher sur l’un ou l’autre aspect des problèmes affectant notre secteur sans se saisir de la question dans son ensemble.

[Français]

+-

    M. Alexander Crawley: Madame Gagnon, nous vous avons laissé un rapport, mais il y en a un autre. Il porte sur les Rencontres internationales du documentaire de Montréal. Un des auteurs, M. Kirwan Cox, est ici. M. Michel Houle n'a pas encore terminé son travail, mais

[Traduction]

dans quelque semaines il y aura... Cependant, ce n'est pas une version du rapport.

[Français]

+-

    Mme Christiane Gagnon: C'est pour cela que je le cherchais tout à l'heure dans mes papiers.

[Traduction]

+-

    M. Alexander Crawley: Je vous en obtiendrai un. Nous ne disposons actuellement que du résumé traduit de la version anglaise, mais une version française du rapport va bientôt sortir. Ce rapport s’adresse à un public différent, et sa teneur diffère de celle de la version anglaise. Ce rapport devrait vous intéresser, vous et vos recherchistes. Il présente un portrait très précis des problèmes qui se posent à l’échelle des régions.

+-

    Le président: Pourriez-vous en envoyer des exemplaires à notre greffière afin que les membres du comité puissent en prendre connaissance?

    M. Alexander Crawley: Ou,.

[Français]

+-

    Mme Christiane Gagnon: J'aimerais avoir un renseignement sur les droits que vous gardez quand vous avez fait une production et que vous faites une entente avec un diffuseur. C'est de ces droits-là que vous parliez tout à l'heure, n'est-ce pas? Les producteurs veulent conserver plus de droits par rapport à leurs produits pour leur propre survie. Si le financement tarde à venir quand vous lancez une production, des redevances vous sont payées quand vous gardez des droits. J'aimerais que vous soyez un peu plus explicite pour que je comprenne bien cet enjeu qui semble important.

[Traduction]

+-

    M. Stephen Ellis: Je vais commencer par ce point-là et voir où cela nous mène. Très simplement, les producteurs indépendants ont un droit d’auteur à l’égard de leur oeuvre, et les télédiffuseurs négocient un droit de diffusion, ce qui est en fait un accorde de location leur permettant de projeter l’oeuvre un certain nombre de fois sur leur chaîne, parfois avec divers degrés d’exclusivité par rapport aux autres chaînes. Mais, une fois expiré le droit d’exploiter l’oeuvre, la propriété du programme reste acquise au producteur et c’est cela le droit d’auteur, c’est-à-dire du droit le plus fondamental en ce qui concerne le programme en question.

    Les inquiétudes qu’éprouvent aujourd’hui les producteurs sont en grande partie dues aux progrès technologiques, qui permettent de plus en plus au public de contourner le système de radiodiffusion au moyen d’Internet ou de diverses formes de distribution telles que les antennes satellites qu’on peut au Canada acheter au marché noir ou sur le marché gris. Il y a donc ce problème de distribution non autorisée d’oeuvres dans lesquelles les producteurs ont investi leur temps et leur argent, pour la production desquelles ils ont assumé un risque financier, et qui risque maintenant de les priver des revenus auxquels ils auraient droit. Ajoutons que, lors de nos négociations avec les télédiffuseurs, étant donné leur puissance, notamment de sélection car ce n’est que par leur intermédiaire qu’un producteur peut solliciter un financement du FCT, de Téléfilm ou d’autres sources, les télédiffuseurs sont en mesure d’acquérir une participation excessive dans des émissions que les producteurs aimeraient avoir la possibilité de produire en conservant la propriété intellectuelle qui leur permet de rentabiliser leurs efforts.

  +-(1205)  

+-

    Mme Elizabeth McDonald: Étant donné leur intégration verticale et leurs participations dans diverses autres entreprises, les télédiffuseurs sont de plus en plus fréquemment portés à dire eh bien nous vous achetons cette émission, et nous allons vous verser les droits de diffusion mais il vous faut accorder les droits de distribution à notre société de distribution, sans quoi cela nous n’achèterons pas votre émission.

    On a parlé des droits de diffusion, qui correspondent à un pourcentage. Mais il ne s’agit même pas de 50 p. 100. Ce serait idéal. En fait, la somme correspond plutôt à 10 ou 30 p. 100. Nous étions gentils en évoquant une fourchette de 15 à 35 p. 100. Ils nous répondent, eh bien pour cette somme-là nous allons projeter votre émission tant de fois sur notre chaîne A, puis après cela nous la mettrons sur notre chaîne B, notre chaîne C et notre chaîne Z. Mais pour qu’un producteur puisse gagner de l’argent, puisse rentrer dans ses fonds, il faudrait qu’il puisse s’entendre avec chacune de ces chaînes séparément. Nous avons essayé d’évoquer la question devant le CRTC afin d’éviter les comptes doubles, mais cela s’avère très difficile.

+-

    Mme Julia Keatley: Permettez-moi d’ajouter que ce sont les producteurs indépendants qui négocient avec les divers syndicats, y compris les syndicats d’acteurs et les syndicats d’auteurs. Nous avons conclu avec eux un certain nombre d’accords qui portent même sur le nombre de fois où les émissions vont être programmées. Cette véritable prolifération du nombre de fois qu’une émission donnée va passer à l’antenne complique beaucoup les choses pour les acteurs et pour les auteurs lorsqu’il s’agit de compter le nombre de fois qu’un programme donné va être diffusé. Une très grande incertitude règne maintenant à cet égard. C’est une autre raison pour nous de vouloir protéger nos droits d’auteur afin que tout le monde puisse être payé du travail qu’il a fait, pour la diffusion et le succès des émissions en question. Sur ce plan-là, la situation s’est détériorée.

+-

    M. Ira Levy: Permettez-moi d’ajouter quelque chose. Il convient en effet d’évoquer également les nouveaux médias qui sont, eux aussi, un facteur dans cet accroissement de l’influence et du pouvoir des principaux consortiums. En tant que producteur, vous vous adressez à un télédiffuseur à qui vous demandez de programmer votre émission de télévision et, dans certains cas on va vous répondre «Entendu, nous allons vous verser les droits de diffusion, ce qui vous ouvrira la porte à certaines des autres aides à la production. Voici notre part, mais nous voudrions également pouvoir utiliser votre émission dans le cadre des nouveaux médias et, pour ce droit, nous vous offrons la somme symbolique de 1 $». Cela a toujours un peu de mal à passer.

    Dans le cadre de notre exposé, nous avons évoqué l’avenir des nouveaux médias et les nouvelles utilisations qui peuvent être faites de certaines émissions. Il faut bien se rendre compte qu’en matière de financement de programmes, c’est le producteur qui assume le risques le plus gros. En effet, nous assumons non seulement les risques artistiques du projet, comme l’indiquaient plus tôt nos confrères de l’ACTRA, mais nous assumons également les risques de la création et, en même temps, les risques financiers.

    Comme Julia le disait un peu plus tôt, nous représentons également les intérêts de certaines des personnes que nous engageons dans le cadre d’un projet, y compris, bien sûr, les acteurs et les auteurs. Nous sommes tenus, en effet, de leur verser des droits de suite.

    Il s’agit de questions extrêmement importantes qui se posent dans le cadre des droits d’auteur et c’est vraiment là tout le problème.

    Le président: Madame Bulte.

+-

    Mme Sarmite Bulte: Merci.

    J’ai plusieurs questions à poser et j’aimerais commencer par Elizabeth. Vous avez évoqué ce sujet dans l’une de vos réponses mais non pas dans le cadre de votre exposé. Le Fonds canadien de télévision a été renouvelé pour une période d’un an. La chose est acquise. Les réalisations que ce fonds a rendu possible sont connues mais nous ne semblons pas le reconnaître suffisamment.

    L’une des difficultés se situe au niveau des arguments que nous pouvons faire valoir auprès du ministère des Finances lorsque, chaque année, il s’agit de renouveler ou de tenter de faire renouveler ce fonds et que cela ne se fait pas et qu’on nous laisse dans... Va-t-on en bénéficier un an encore? Nous accorde-t-on un sursis de trois ans? Le montant des crédits affectés restera-t-il le même? Les Finances sont toujours là pour nous dire «un instant, je vous prie. Vous nous aviez affirmé que tout cela serait provisoire; dans ces conditions-là pourquoi devons-nous constamment renouveler l’effort?» Qu’allons nous répondre, non pas au ministre des Finances, mais à ses collaborateurs, lorsqu’ils disent au ministre «Nous nous étions engagés à le mettre sur pied; cela ne devait durer qu’un temps; le fonds devait parvenir à l’autofinancement. Pourquoi devons-nous continuer à le subventionner?» Pourriez-vous nous répondre sur ce point?

    Je vous demanderai également de nous parler d’un sujet qui, alors que j’écoutais les orateurs, m’a paru assez controversé. Je crois que c’est M. Bishopric, de l’ACTRA, qui avait dit quelque chose au sujet de l’argent des autres. Madame Keatley, monsieur Levy, pourriez-vous me dire combien vos productions vous permettent de gagner, quelle est l’étendue de votre fortune et comment défendez-vous les autres... J’étais assez surprise de vous entendre dire que vous travaillez avec les acteurs et que vous défendez aussi leurs droits.

    Monsieur Ellis, j’aimerais que vous nous en disiez aussi un peu plus au sujet de l’état de la législation en Grande-Bretagne.

    Il y a un surcroît de demandes, dans votre métier comme autour de cette table. Je sais que dans votre métier il y a un certain nombre de personnes qui n’ont pas eu cette année accès aux financements. Comment résoudre ce problème? Aidez-moi à convaincre les responsables qu’il faut accroître les ressources du fonds. C’est tout de même un grand succès que cette surabondance des demandes. En même temps, je peux entendre Mme Cohen expliquer qu’il y a également surcroît de production mais que ce ne sont pas nécessairement des émissions de qualité. Le débat risque de partir dans tous les sens.

    Encore une fois, madame Keatley, pour le FCT, sans doute s’agit-il davantage d’une question de gouvernance. Je sais que le FCT a donné les résultats voulus, mais je vous demande de confirmer l’importance que revêt cette initiative. Vous disiez qu’elle prendrait assez rapidement fin, mais alors pourquoi en a-t-on encore besoin?

    J’aimerais savoir en outre si le CRTC devrait se pencher sur la question des droits d’auteur? Hier, le commissaire du Bureau de la concurrence, nous disait «Excusez-moi, mais je vais continuer à m’occuper de fusions; le CRTC a son propre domaine d’intervention, mais nous, nous allons continuer...». J’ai un peu de mal à accepter cela, mais je voudrais que vous nous confirmiez officiellement qu’il s’agit effectivement d’un domaine dont le CRTC devrait s’occuper.

    Vous avez également parlé, madame Cohen, de l’espace public. Je ne sais pas si vous avez suivi tout ce qui s’est dit dans le cadre de ces auditions, mais nous y avons évoqué quelque chose que nous appelons «l’espace vert», notion que nous n’avons pas vraiment définie ici. Est-ce une question purement locale? Est-ce de cela que vous parliez?

    Certains de mes amis producteurs de documentaires m’ont dit que pour eux l’une des plus grandes difficultés du métier était l’obtention des droits de diffusion auprès d’un télédiffuseur. C’est pourquoi j’ai été tellement surprise lorsque vous nous avez parlé de tous ces télédiffuseurs qui versent des droits de diffusion.

    Et, pour terminer, j’aimerais évoquer la question des transactions internes: pourquoi la SRC ne se fait-elle pas reprocher ce genre de chose? Si vous avez le temps de répondre sur certains de ces...

  +-(1210)  

+-

    Mme Elizabeth McDonald: Je laisserai à mes collègues le soin de vous répondre. Je veux bien prendre le premier tour, mais je me sens un petit peu comme mon fils de 15 ans lorsqu’il rentre à la maison et que je lui dis «Qu’est-ce que tu as comme devoirs?» Eh bien, je viens de rentrer à la maison.

    J’aimerais d’abord répondre au sujet de ce que M. Bishopric a dit de l’argent des autres car son commentaire m’a paru un peu outré.

    Nous négocions avec l’ACTRA au nom de nos membres et l’argent des autres doit être l’argent que nous versons aux acteurs. Je n’ai jamais entendu un membre de l’ACPFT, ou un membre du caucus qui n’est peut-être pas aussi membre de l’association, ou un membre de l’APFDQ dire de cet argent que c’était l’argent des autres. Il s’agit d’argent que nous sommes tenus de dépenser avec beaucoup de discernement. Sur ce plan-là, maintes vérifications sont opérées. Nous ne le dépensons pas comme si c’était effectivement l’argent des autres. Je suis sûre que les autres membres de l’ACTRA ne sont pas de son avis et j’estime qu’il a dépassé les bornes.

+-

    M. Ira Levy: Moi, j’aimerais bien avoir l’argent des autres. Ce serait formidable si nous pouvions effectivement faire du cinéma et des émissions de télévision avec l’argent des autres. J’avais bien noté cela, mais en ce qui concerne les producteurs indépendants au Canada, je dois dire que c’est plutôt avec leur propre argent que les productions sont financées.

    Mais enfin la question est de savoir, effectivement, comment sont financées au Canada les émissions créées par des producteurs indépendants car il y a, en effet, des mécanismes de subvention pour encourager certains types de programmes. Ce qui est certain, c’est qu’il y a surcroît de demandes et, en soi, cela crée un problème. Puis, il y a les droits de diffusion, dont le niveau est insuffisant pour permettre de produire des émissions uniformément excellentes, les genres d’émissions auxquelles, d’après moi, les téléspectateurs canadiens aimeraient avoir accès.

    Mais, si le droit d’auteur vous appartient c’est parce que c’est vous qui avez assumé le principal risque. Pourquoi faisons-nous ce métier? Ce n’est pas facile à dire. Par passion, sans doute. Par amour, même. Peut-être aussi pour la gloire--que nous n’atteindrons jamais. Peut-être pensons-nous que cela nous apportera la richesse--ce qui n’est pas vrai. Nous sommes des conteurs et des raconteurs et c’est notre métier.

    En tant que producteurs, c’est à nous qu’il appartient de trouver les financements nécessaires et donc d’en assumer le risque. Vous verrez fréquemment, dans le dossier financier des programmes réalisés par des producteurs indépendants, que les producteurs ont reporté leur salaire et le remboursement de leurs frais généraux afin de pouvoir réaliser l’émission. Récupérerons-ils ces sommes en bout de ligne? On l’espère, si l’émission plaît au public canadien, ou si on arrive à la vendre à l’étranger. Voilà comment les choses se passent dans ce métier.

  +-(1215)  

+-

    Mme Andrea Nemtin: Nos membres sont beaucoup trop nombreux à avoir été contraints de prendre de nouvelles hypothèques sur leur maison pour financer leurs productions. L’année dernière, quelqu’un m’a dit «Je ne suis pas certain de pouvoir prendre une troisième hypothèque sur ma maison.» Ce sont donc des gens qui agissent par passion de leur métier dans un environnement difficile. Mais il leur faut procéder ainsi car, comme Julia le disait plus tôt, ce sont eux qui négocient avec les syndicats et qui doivent payer les acteurs. Ils doivent en outre payer le metteur en scène, les scénaristes et les techniciens Tous ces spécialistes doivent être payés avant que le producteur touche un sou.

    Vous nous avez posé toute une série de questions. Permettez-moi de commencer à y répondre, puis je passerai la parole à mes collègues. Au sein du FCT, j’ai beaucoup insisté sur ce point. Je tiens d’abord à préciser que lorsqu’au départ quelqu’un a proposé de faire du fonds quelque chose de purement provisoire, lors de notre réunion à Hull, quelqu’un d’autre lui avait répondu «Je ne sais pas si, dans ces conditions-là, on peut espérer de bons résultats.»

    Quoi qu’il en soit, c’est comme ça que les choses se sont passées. Aujourd’hui, je peux dire que la situation n’est plus du tout la même. Nous avons au Canada 100 chaînes de plus, tant francophones qu’anglophones, toutes étant tenues de diffuser une certaine proportion d’émissions à contenu entièrement canadien. Cela donne un nombre de programmes incomparablement plus grand qu’avant. J’avais, plus tôt, parler de cohérence. Nous participons à des auditions et nous écoutons les gens fixer les conditions en matière de programmes canadiens. Pourtant, personne ne dit «Qui va financer cela?» Eh bien le financement est assuré par les personnes qui se trouvent devant vous.

    C’est le Fonds canadien de télévision qui a fait toute la différence. Il a permis de créer des emplois et de réaliser des émissions. Nous avons dit cela à M. Martin. Nous lui avons remis notre étude économique. Nous sommes en train de la mettre à jour et nous lui ferons parvenir la nouvelle version. Il nous a d’ailleurs dit que nous étions les seuls qui lui aient jamais transmis une étude après qu’il leur en eut demandé une.

    Nous créons des emplois. Nous sommes, de toute l’économie, le secteur qui se développe le plus rapidement. Mais, pour assurer cela, il nous faut votre aide. Nous créons aussi de la richesse puisque nous créons des emplois. Nous créons des emplois pour les jeunes. Nous mettons en ondes des récits. Nous répondons à de multiples objectifs.

    Mais, lorsque ce fonds a été lancé, il y avait bien moins de chaînes qu’il n’y en a aujourd’hui. On pourrait, bien sûr, supprimer la règle du contenu canadien, mais si on procède ainsi, on n’aura plus de système de radiodiffusion canadien. C’est précisément de cela qu’il s’agit. C’est pourquoi nous essayons de convaincre les gens de la nécessité de prolonger le fonds.

+-

    Mme Julia Keatley: En ce qui concerne la question du contenu canadien, et celle de savoir s’il y a lieu ou non de prolonger le fonds, je voudrais évoquer deux exemples. Pour ce qui est du risque financier, le risque assumé par les producteurs, et pour en revenir un peu à ce qu’on disait de la SRC, il est préférable que ce soient les producteurs indépendants qui assurent la réalisation de ces programmes car, de fait, nous assumons au moins 25 p. 100 du risque de ces productions. Cela veut dire que nous reportons le remboursement de nos frais. Il est clair que la SRC ne peut pas se permettre de faire cela étant donné que les producteurs maison sont des employés. Une analyse de la situation sur le plan de la rentabilité démontre que la SRC ne peut tout simplement plus se permettre de réaliser des émissions. C’est nous qui assumons le risque sur ce plan.

    Quant à la question de savoir pourquoi il faudrait prolonger le fonds, la raison qui me vient tout de suite à l’esprit c’est le besoin d’encourager les jeunes talents à rester au Canada, à mettre leurs récits en images et à rendre compte d’une réalité proprement canadienne. Ce matin, Jim se demandait justement ce que c’est au juste le contenu canadien. En tant que productrice travaillant à Vancouver, je peux vous dire que c’est une lutte quasi permanente avec les responsables du secteur pour donner aux émissions une tonalité particulière et mettre en images des récits originaux.

    Je connais un producteur local qui a commencé avec un récit proprement canadien mais qui a dû l’américaniser et en situer l’action à Seattle afin d’arriver à le vendre à la chaîne CBS et à obtenir le gros du financement nécessaire. Cette sorte de situation sera de plus en plus fréquente si l’on supprime le Fonds canadien de télévision.

    Il n’y aura ainsi pas d’affaire David Milgaard; il y aura l’affaire Wayne Smith, dont l’action se situe quelque part dans l’Iowa alors qu’en fait il s’agit bien de la vie de David Milgaard. Je suis persuadée que les Canadiens veulent avoir accès à ces émissions, veulent, c’est clair, pouvoir choisir et veulent voir ces récits mis en images. Mais, bien sûr, étant donné le risque financier et la taille relativement réduite de notre population, nous avons besoin du fonds pour financer une partie de nos productions.

+-

    M. Stephen Ellis: Je tiens simplement à ajouter, au sujet du financement public des films et des émissions de télévision, qu’on ne voit pas beaucoup de nations occidentales, si tant est qu’il y en ait une seule, qui ne subventionnent pas les créations nationales simplement pour amorcer la pompe et assurer la continuité de la production. Pour des considérations purement économiques, les télédiffuseurs et les chaînes de cinéma ont plutôt tendance à s’alimenter auprès du seul pays en mesure d’assumer à 100 p. 100 les coûts de production, c’est-à-dire les États-Unis.

    Nous disions un peu plus tôt qu’ici nous arrivons en général à couvrir un quart des coûts de production. Au Royaume-Uni, les producteurs indépendants pouvaient généralement obtenir un financement correspondant à environ 80 ou 100 p. 100 des coûts de production, ce qui les plaçait en deuxième position après les États-Unis. Ces pourcentages sont en train de baisser radicalement au fur et à mesure que s’agrandit leur système.

    Donc, en plus de la multiplication rapide du nombre de chaînes au Canada, évolution qui a entraîné une inadéquation entre les ressources disponibles et les demandes en matière de financement, il y a également un problème d’ordre structurel puisque les États-Unis sont en mesure d’amortir intégralement sur le marché intérieur leurs coûts de production, ce qui leur permet de vendre leurs émissions à travers le monde pour une fraction de ce qu’elles leur ont coûté. Aucun autre pays ne peut se permettre ce luxe.

    En fait, le fonds a été un remarquable succès puisqu’il a permis à notre pays de créer un levier permettant, avec un investissement relativement faible, de favoriser la création de milliers d’heures d’émissions. En effet, le fonds n’assume qu’une partie relativement modeste du financement. Cela dit, ce financement permet aux producteurs de mobiliser d’autres investissements, d’attirer des acheteurs étrangers et de réaliser des milliers d’heures d’émissions avec ce qui est en fin de compte, pour le gouvernement, un investissement relativement modique.

    Il s’agit d’un véritable partenariat avec le secteur privé et, à l’heure actuelle, ce secteur contribue effectivement plus de 50 p. 100 des ressources du FCT. D’après nous, étant donné que la demande est là, le gouvernement devrait assumer pleinement son rôle et accepter d’investir à parts égales avec le secteur privé qui accroît actuellement ses investissements dans ce domaine.

  +-(1220)  

+-

    Mme Barri Cohen: Permettez-moi d’ajouter un petit commentaire à ce qui vient d’être dit. Je suis l’un des auteurs du rapport des RIDM et nous sommes, nous producteurs, des habitants de la planète passion. Il y, en effet, deux planètes évoluant sur des orbites parallèles. Nous, nous habitons la planète passion et les autres habitent la planète commerce où la population voit les choses à travers un prisme tout à fait différent.

    Je sais que nous nous en sommes un peu pris au CRTC, mais il est vrai que le conseil a, à quelques reprises, pêché par manque de vision ou de prévoyance. Il a, notamment, multiplié à outrance l’octroi de licences à de nouvelles chaînes, ce qui a complètement déréglé un système qui déjà était un peu byzantin. De plus, il a tout à fait sciemment évité de s’attaquer au dossier des droits d’auteur. Les deux questions sont d’ailleurs liées dans une certaine mesure.

    En ce qui concerne mes propres deniers, je tiens à évoquer le problème des paiements différés. Notre rapport de recherche permet de constater qu’en ce qui concerne les ressources nécessaires à la production d’un documentaire, il faut calculer une somme à peu près égale en paiements différés. Le budget de production d’un documentaire a baissé, en huit ans, de presque 100 000 $ l’heure, et il est clair que les honoraires des producteurs ont, eux aussi, baissé. Cela veut dire en fait que le producteur diffère le versement des 20 000 $ ou 30 000 $ qui lui reviennent et si le paiement n’intervient pas avant huit mois, comment financer cela? Il faudrait de sacrés dons de banquier. Nombreuses sont les personnes qui sont ainsi contraintes de s’endetter. C’est bien pourquoi il faut leur reconnaître la propriété de leur oeuvre car c’est le seul moyen qu’elles ont de récupérer leur mise, à condition, bien sûr, de pouvoir à vendre l’émission.

    Le FCT, ainsi qu’Elizabeth le disait tout à l’heure, a été créé à une époque où on ne voyait pas très loin. C’était l’époque du bricolage et le système s’est développé par tout un tas de changements successifs sans jamais constituer un ensemble cohérent. C’est pour cela que votre travail ici revêt une importance cruciale.

    Pour répondre à la question que vous nous avez plus précisément posée, je peux vous dire que, d’après les informations recensées dans le document, un producteur de films documentaires gagne, en moyenne, moins de 50 000 $ par an. Évidemment, tout est relatif mais il est clair qu’il ne s’engraisse pas avec l’argent des autres. Je ne sais pas si ce revenu comprend ce qu’il doit à la banque.

    C’est dire les difficultés de financement... vous parliez tout à l’heure des droits de diffusion. Cela dépend--vous évoquiez le cas de collègues ou d’amis--selon qu’il s’agit d’un documentaire long métrage de grande qualité donnant forme à une idée pour laquelle vous vous êtes passionné. Si c’est effectivement le cas, il est clair qu’il sera très difficile d’obtenir le financement nécessaire. Tout cela a été très clairement mis en évidence.

    Nous n’obtenons aucun soutien des chaînes publiques, sauf peut-être Télé-Québec, TVOntario et, qu’elles en soient remerciées, BC Knowledge, SCN et certaines autres qui contribuent ici et là à hauteur de leurs ressources afin de contribuer au financement de ces films. Je dois, à cet égard, également citer VisionTV. Il s’agit là de chaînes qui vous disent que le film pourra être aussi long que nécessaire. Je ne conçois même pas que la SRC puisse un jour en dire autant à un de nos cinéastes. Peut-être que dans le passé il lui est arrivé de dire cela à Donald Brittain, paix à son âme, mais il clair qu’elle ne dit jamais cela à l’un d’entre nous, pas plus qu’elle ne le dit à l’un des cinéastes qui entre actuellement dans ce métier.

    Or, pour la mise en images de ces idées, il est très difficile de toucher les droits de diffusion, ne serait-ce que sous forme d’un engagement suffisamment solide pour permettre au projet de démarrer. N’oubliez pas que le metteur en scène d’une émission dramatique est un demi-dieu. Eh bien, s’il s’agit d’un documentaire, le metteur en scène est Dieu en personne. Vous montez un récit, mais si vous n’avez pas les ressources pour le mettre en images, c’est peine perdue.

  +-(1225)  

+-

    Mme Elizabeth McDonald: Vous avez posé une ou deux questions concernant les opérations en circuit fermé. Je précise que parmi les membres de l’ACPFT, certains ont des maisons de production qui leur sont liées. C’est pour cela que nous avons adopté des lignes directrices en matière de conflit d’intérêts. Je dis cela pour que chacun sache que ce n’est pas le cas des personnes ici présente.

    Nous avons notamment demandé au CRTC de fixer comme règle qu’au moins 75 p. 100 des programmes prioritaires soient réalisés par des producteurs indépendants. Nous estimons également que ces programmes devraient être confiés à des maisons de production elles-mêmes indépendantes des producteurs, mais non à des services de production internes. Si nous voulons laisser s’exprimer les nouvelles voix qui font actuellement leur entrée dans le monde de la création, il faut accepter de travailler avec elles. Le problème, me semble-t-il, est en partie dû à une insuffisante transparence. Le CRTC se penche actuellement sur la question. On a demandé à la SRC de rendre compte de ses activités en ce domaine et d’indiquer l’ampleur de ses productions indépendantes. Nous n’avons toujours pas eu vent du rapport de la SRC à cet égard, rapport qui est censé être transmis au CRTC. Comment dans ce cas-là parler de transparence? Les télédiffuseurs privés sont tenus de fournir ce type de renseignement et nous demandons que tout le monde soit logé à la même enseigne. Je crois que le CRTC va devoir lui aussi se pencher sur ce dossier.

    De quoi s’agit-il au juste? En ce qui concerne les programmes prioritaires, je précise qu’il ne s’agit que de huit heures d’émissions par semaine. N’exagérons donc pas le rôle des télédiffuseurs privés. Ce n’est pas comme si, entre 19 heures et 23 heures, ils programmaient des centaines d’heures d’émissions dramatiques à contenu canadien. Il s’agit de huit heures par semaine, soit de huit heures réparties sur sept jours. Ce n’est pas avec cela que l’on va s’enrichir. Sur ces huit heures, nous demandons que les chaînes s’engagent à confier 75 p. 100 de la production à des producteurs indépendants. Nous espérons également que le CRTC ne se penchera pas seulement sur la situation des producteurs indépendants mais également sur les réseaux de distribution avec lesquels ils sont tenus de traiter afin que les chances qui leur sont offertes soient des chances effectives.

    Il y a, je pense, moyen de trouver une solution. C’est dans ces dossiers-là que le CRTC doit faire preuve d’un plus grand dynamisme et s’engager plus fermement. Je crois que, pour le conseil, dans la mesure où ce sont les radiodiffuseurs qui détiennent les licences, ce sont eux qui comptent. Ceux d’entre nous qui gagnons notre vie au gré des prises de position du CRTC ne se voient pas accorder la même importance. Cela dit, je crois qu’il y a davantage de dialogue et de collaboration avec le président Dalfen, mais il faudrait avoir en main les chiffres que j’évoquais tout à l’heure. À cet égard, les informations fournies feraient une grande différence, surtout en ce qui concerne les radiodiffuseurs privés.

    Le CRTC est le seul forum public où l’on discute de la SRC. Puis, au bout du compte, cela dégénère en une sorte de débat byzantin où l’on discute de ce dont il nous faudrait discuter et où l’on se demande si les gens seront d’accord avec les conditions fixées pour l’octroi de licences. Cette situation ne me semble pas très saine pour l’ensemble des citoyens. De nombreux Canadiens viennent y assister aux audiences lors du renouvellement des licences de la SRC. La participation des citoyens est probablement plus forte là qu’ailleurs et les gens viennent soit par amour de la SRC, soit par ressentiment. J’estime que la SRC devrait être tenue à la même transparence que les autres et devrait être tenue de respecter les conditions d’octroi de leur licence car, en fait, c’est le seul forum public à la disposition des citoyens.

+-

    Le président: Madame Lill.

+-

    Mme Wendy Lill: La semaine dernière, nous avons effectué un déplacement sur la côte est, en Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve, et nous avons auditionné de nombreux producteurs de films indépendants. On nous a expliqué les difficultés auxquelles se heurtent les cinéastes indépendants et nous avons appris que le producteur est le dernier à être payé, si tant est qu’il le soit, et même dans ce cas-là ça peut prendre deux ans.

    Nous avons surtout parlé à des producteurs qui travaillent à petite ou à moyenne échelle et ces personnes nous ont fait part de quelques idées qui leur sont importantes. Vous les avez vous-même peut-être déjà évoquées. D’abord, il est essentiel à leurs yeux que le FCT puisse continuer à les accueillir et qu’il ne soit pas de plus en plus monopolisé par les télédiffuseurs et les grosses compagnies de production. Parfois, de grandes entreprises rachètent des compagnies régionales pour des raisons essentiellement comptables. Il y a là une échappatoire qui leur fait vraiment peur car on ne peut pas dire que les conditions d’exercice du métier soient les mêmes pour tout le monde.

    Ils se sentent également préoccupés par la notion de propriété intellectuelle. En effet, si un producteur ne peut pas tirer profit de la valeur acquise par ses créations, comment peut-il espérer réussir?

    On nous a également dit combien il était important de veiller à ce que les producteurs qui travaillent à petite ou moyenne échelle soient représentés au sein du FCT afin que les décisions qui seront prises tiennent compte de leurs intérêts.

    Tout cela me semble parfaitement raisonnable. Peut-être voudriez-vous nous dire ce que vous en pensez.

  +-(1230)  

+-

    Mme Elizabeth McDonald: J’ai à cet égard une seule remarque à faire.

    Les producteurs qui travaillent à petite ou à moyenne échelle sont effectivement représentés. Julia, par exemple, ne représente pas une grande entreprise mais une petite société.

    Nous avons deux représentants. D’après moi, l’un des problèmes qui se pose au niveau du FCT--et j’ai été un temps membre de son conseil d’administration--c’est que nous avons deux sièges au conseil, alors que les télédiffuseurs privés en ont quatre et que la SRC en a un. Il y a énormément de questions à régler. Déjà, le conseil d’administration est plutôt nombreux. Je crois que nous faisons de notre mieux compte tenu de notre représentation. Nous tentons de faire en sorte que les grosses maisons de production ne soient pas les seules à être représentées.

    C’est pour cela que Julia ne peut pas vraiment me présenter comme une petite productrice régionale. Nous passons beaucoup de temps à consulter les intéressés sur ce point.

    Par contre, Julia, je crois que...

+-

    Mme Julia Keatley: Permettez-moi d’intervenir.

    L’ACPFT a, bien sûr, adopté une politique d’équilibre de la représentation, et nous choisissons nos deux producteurs en fonction du genre d’émissions qu’ils produisent. Nous sommes donc représentés à la fois par une petite maison de production et par une plus grande. Actuellement, il s’agit d’une petite maison de production et d’une société de taille moyenne. La petite compagnie, c’est moi. Ma compagnie est en effet très petite même si la série que je produis pour la télévision ne l’est pas, elle.

    Je connais assez bien la question que vous évoquez. Dans la région atlantique, c’est effectivement une question qui suscite actuellement un débat très sérieux. Les gens sont au courant du problème. C’est un problème en effet épineux car c’est plus une question d’administration que d’une question relevant proprement du conseil d’administration. Quelle attitude adopter à l’égard des grandes sociétés qui commencent à racheter d’autres maisons de production afin d’atteindre une taille qu’elles jugent optimale? Nos administrateurs finissent par demander au conseil «Quelle doit être notre position sur ce point?» C’est une des raisons pour lesquelles, de plus en plus, nous prenons des mesures, dans le cadre de la structure de financement, afin de maintenir les aides aux petites et moyennes sociétés.

    C’est ainsi que les sociétés d’une certaine importance ne peuvent plus obtenir de Téléfilm le moindre financement pour développer des émissions. Voilà le genre de mesures qu’on adopte petit à petit. J’ai en outre pu constater, au cours des négociations et dans le cadre de mes fonctions de membre du conseil, que si, au sein duquel les producteurs ont moins de voix que les télédiffuseurs, c’est qu’en fait nous avons hérité d’un vieux système. Il est né de ce qui était à l’époque le Fonds de production du câble, lors de la fusion avec le Fonds canadien de télévision. Un tiers des financements allait en fait aux radiodiffuseurs privés. Il s’agit là d’un aspect très curieux du fonds. Historiquement, les télédiffuseurs n’ont en fait pas profité de ces financements, bien qu’au Québec ils étaient assez souvent à deux doigts de le faire. Parfois, dans le cadre de négociations sur telle ou telle question, nous essayons de revenir sur cela mais il est assez difficile de l’emporter.

    En tant que producteurs indépendants nous voudrions naturellement voir cet argent employé de la manière la plus efficace possible. Il y a, au sein de l’administration du fonds, des personnes qui sont tout à fait de cet avis.

  +-(1235)  

+-

    Mme Wendy Lill: En tant que néo-démocrate représentant une circonscription des Maritimes, je suis moi-même membre d’un parti peu nombreux. Je sais combien il est difficile de se faire entendre lorsqu’on est membre d’un petit parti car notre voix est souvent couverte par l’opinion de la majorité.

    J’en reviens aux mesures de protection qui permettraient, justement, de mieux discerner et de mieux apprécier les préoccupations des régions et des petites et moyennes maisons de production.

    Je ne me rappelle pas les termes exacts que vous avez employés, mais vous évoquiez les mécanismes qui permettraient de donner une nouvelle assurance aux personnes avec qui j’ai eu l’occasion de m’entretenir, afin qu’elles n’aient pas le sentiment d’être tenues pour quantité négligeable. Il nous faut trouver les mécanismes, la formulation ou les mesures réglementaires qui permettraient de mieux faire entendre la voix de tout un pan de l’industrie de la production.

+-

    Mme Julia Keatley: Le fonctionnement du fonds est actuellement en cours d’examen. Le printemps a été très difficile, puisqu’on a dû, comme nous le disions plus tôt, refuser 57 p. 100 des projets pourtant retenus par les télédiffuseurs.

    Il est donc bon, je crois, d’exprimer ici ces préoccupations. Je ne pense pas que les avantages accordés dans les types de situations que vous évoquiez... En tant que producteurs indépendants, nous voulons que les choses soient claires. En cas de production en circuit fermé ou d’avantages auxquels certaines entreprises ne devraient pas avoir droit car elles ne sont pas authentiquement régionales, notre conseil d’administration discute du dossier et nous apporte son appui. Après un «Bon, voilà ce qu’il en est», il se montre compréhensif.

    Il est très difficile d’apporter à votre question une réponse précise car il est clair que chaque côté va chercher à peser sur la décision. En général, cependant, nous essayons de trancher de manière équitable. Quatre de nos membres représentent la région de l’Atlantique. Nous venons de conclure notre assemblée générale annuelle et la réunion du conseil d’administration, qui se sont tenues à Terre-Neuve. Nous avons eu l’occasion de discuter de bon nombre des sujets que vous avez vous-même évoqués.

    Je ne peux, en ce qui me concerne, que donner mon avis, l’exprimer en tant que membre régional de ce conseil d’administration. Il est clair que nous ne sommes pas nombreux dans cette situation.

+-

    Mme Elizabeth McDonald: Nous faisons tout pour que nos deux délégués au sein du conseil discutent de tout cela avec autant de collègues que possible. C’est bien car le conseil d’administration réunit des représentants de toutes les régions. Dans les observations écrites que nous transmettons au fonds sur diverses questions, nous tentons de prendre en compte la réalité de la situation dans les diverses provinces.

    Une des principales difficultés c’est ce surcroît de demande de 57 p. 100. Dans toutes les régions du pays, des petits, des moyens et des grands producteurs--dont certains sont présents aujourd’hui--se sont vu refuser un financement du fonds, dont plusieurs qui sont dans leur deuxième année de production. Certains des choix sont étonnants et le fonds a procédé en fonction du niveau de la demande de l’année dernière. Puis, il y a eu les nouveaux réseaux digitaux. La SRC s’est montrée beaucoup plus active cette année que l’année dernière car elle n’avait plus Le Canada : une histoire populaire. Cela a fait un peu de place et a créé de nouvelles occasions pour les indépendants. Pour les indépendants, c’est formidable. Mais ce qu’il faut bien comprendre--et c’est ce que je répète au FCT--c’est qu’il n’y a pas adéquation entre l’argent disponible et le niveau de la demande.

    Les producteurs de la région de l’Atlantique ont, en matière de récits, une tradition d’une richesse incroyable. C’est une source d’inspiration exceptionnelle. Or, ces histoires il faut que quelqu’un les raconte et pour cela il faut leur en fournir l’occasion. On pourrait en dire autant des producteurs de la région des Prairies. Il y a, en outre, à Montréal, des producteurs qui ont été durement atteints. Cela dit, je peux vous assurer que les problèmes auxquels ont donné lieu ce surcroît de demande sont assez équitablement répartis sur l’ensemble du territoire. Il y a, donc, ce grand talent créateur. Il y a aussi des télédiffuseurs parfaitement disposés à présenter ces récits sur leurs chaînes, mais étant donné les dispositions régissant l’octroi des licences, les sommes consacrées au système ne suffisent pas.

+-

    Mme Barri Cohen: Permettez-moi d’ajouter qu’au milieu des années 90, à l’époque où le CRTC commença à accorder des licences à toutes ces nouvelles chaînes--je ne parle pas là du digital--on s’attendait et on espérait que les ressources du FCT provenant d’investisseurs privés se développeraient au même rythme que le nombre de chaînes, les entreprise de radiodiffusion et de distribution contribuant elles aussi. Il était question qu’elles versent au FCT 5 p. 100 de leurs revenus. C’était la vision optimiste des choses, chacun pensant que le fonds attirerait de nombreux investissements privés, et prendrait la relève des financements publics. C’est dans cette optique-là qu’il semblait possible d’accorder des licences à toutes les nouvelles chaînes et de mettre sur pied un grand et beau système. Mais les services satellites et autres EDR qui n’ont pas tout à fait pris l’ampleur prévue--les modèles d’entreprise--étaient peut-être un petit peu optimistes, et c’est pourquoi le FCT ne s’est pas développé comme certains pensaient qu’il le ferait.

    C’est un peu une manière détournée d’en revenir à la question que vous posiez tout à l’heure. Excusez-moi, je n’ai pas encore parlé de l’espace vert, mais peut-être pourriez-vous demander...

+-

    Le président: Madame McDonald.

+-

    Mme Elizabeth McDonald: Ajoutons que, souvent, les grandes entreprises exploitant un système multiple peuvent consacrer une partie des 5 p. 100 à des émissions communautaires, possibilité qui me paraît importante. Elles ne peuvent pas affecter à ce genre de programmes l’intégralité des 5 p. 100. Les sommes versées par les câblo-opérateurs et les exploitants de satellite ont augmenté sensiblement. Cette relative bonne santé économique risque de souffrir cependant du marché noir des récepteurs satellites. Déjà, des entreprises telles que COGECO ont vu baisser leurs revenus. Cela aura une incidence très directe sur le fonds.

+-

    Le président: Il ne nous reste que 15 minutes et les membres du comité ont demandé que l’on procède à une seconde série de questions, ce qui vous montre bien l’intérêt qu’ils attachent à vos propos. Mais avant de reprendre les questions, et avant que je sois supplanté, je tiens, si vous le voulez bien, à vous poser moi-même quelques questions.

    La première pourrait donner l’impression que je fais de la provocation mais je ne pense pas qu’il soit injuste de la poser étant donné ce que nous avons entendu lors de nos déplacements au sujet de ce que Mme Lill disait tout à l’heure. Plusieurs petites maisons de production ont insisté sur le fait qu’elles ont été écartées du FCT car elles n’arrivent pas à se faire entendre et que les grosses entreprises les laissent dans leur sillon. Je me disais que les 16 ou 20 membres du conseil d’administration du FCT sont en mesure de s’octroyer eux-mêmes des financements. Que diriez-vous si l’on proposait que le conseil d’administration du FCT soit composé de personnes qui possèdent une grande expérience dans le secteur des médias et des communications mais qui ne peuvent pas elles-mêmes postuler des aides financières, que ce soit la SRC, vous ou quelqu’un d’autre? Un tel système serait-il plus équitable? Est-il extravagant de soulever la question?

  +-(1240)  

+-

    Mme Elizabeth McDonald: J’ai siégé au conseil du FCT et ma rémunération n’a jamais englobé de tels financements. Le FCT s’est beaucoup interrogé sur les questions de gouvernance. Il a commandé à cet égard plusieurs études. Or, ce n’est jamais le conseil du FCT qui se prononce au niveau des financements qui doivent être accordés. D’après moi, il serait très difficile de trouver des personnes qui possèdent effectivement une connaissance approfondie du secteur mais qui n’en sont aucunement des acteurs. C’est un problème qui se pose lorsqu’on cherche de nouveaux candidats pour le conseil de Téléfilm. De telles personnes sont très difficile à trouver. Le conseil de la SRC éprouve la même difficulté.

    Le conseil d’administration du FCT est dynamique et travailleur, et ses membres s’efforcent en permanence de dépenser de manière responsable l’argent qui lui est confié par les organismes publics et les investisseurs privés. Ils élaborent des politiques qui servent de base à des lignes directrices. Mais ce ne sont pas eux qui se prononcent sur l’aide qui est accordée à tel ou tel programme. Si le FCT a pu durer aussi longtemps, et fonctionner de manière satisfaisante, c’est sans doute en partie parce que chacun comprend à la fois les faiblesses et les points forts du système.

    Cela dit, l’un des problèmes est que le budget du FCT n’est pas à la hauteur des besoins. Nous connaissons, avec Julia, le nombre de projets que nous avons pu financer dans la région de l’Atlantique. Dans l’ensemble, vu le pourcentage et l’état de l’économie, la région de l’Atlantique s’en est probablement mieux tirée que celle des Prairies. C’est évidemment une situation très difficile étant donné le surcroît de demande de 57 p. 100 par rapport aux possibilités de financement.

+-

    Mme Julia Keatley: Pour répondre de manière précise à votre question je dois dire que de l’extérieur, c’est vrai, et certains pourraient percevoir, au sein du conseil, des lignes de fracture. Lorsqu’en 1995 j’ai pour la première fois pris ma place au sein conseil de l’ACPFT, je me souviens avoir assisté à Ottawa à une réunion au cours de laquelle nous tentions d’obtenir de la SRC et de Téléfilm certains renseignements sur les règles et les lignes directrices que ces deux sociétés entendaient appliquer cette année. C’était pourtant après le 1er avril, c’est-à-dire après le début de leur exercice financier mais nous ne pouvions néanmoins rien tirer d’eux. Or, dans une large mesure, nos moyens d’existence sont tributaires de ce genre d’événements.

    Le fait d’avoir un conseil d’administration composé de membres provenant aussi bien du secteur public que du secteur privé a un côté extrêmement positif car cela explique que le programme des droits de diffusion et le programme de prises de participation de Téléfilm soient à la fois transparents et en contact avec ce qui se passe effectivement dans le secteur, aussi bien chez les radiodiffuseurs que chez les producteurs.

    Dans ce genre de situation ce qu’il faut donc ce sont des lignes directrices fermes et précises concernant les conflits d’intérêts. Le niveau de connaissance des personnes réunies autour de la table du conseil permet d’agir rapidement et de réagir à un monde qui se transforme lui aussi rapidement. Je ne pense pas qu’un conseil composé de membres qui ne seraient pas parties prenantes dans ce métier pourrait réunir de telles compétences et obtenir de tels résultats.

  +-(1245)  

+-

    Le président: Madame Keatley, je tiens à préciser que la question qui vous a été posée ne mettait aucunement en cause les diverses personnalités qui siègent au conseil. Nous voulions simplement solliciter votre réaction sur ce point et je pense que vous nous avez entièrement satisfaits à cet égard.

    J’aimerais moi-même poser deux questions, auxquelles je ne vous demande pas de répondre pour l’instant car le temps nous est compté. Je tiens simplement à les voir consigner au procès-verbal afin qu’à une date ultérieure vous puissiez peut-être nous faire parvenir sur ce point une réponse.

    D’abord, c’est Mme Cohen, je crois, qui a évoqué le problème des lourdeurs procédurales. Il s’agit là d’une préoccupation dont on nous a fait part à maintes reprises au cours de nos déplacements et de nos auditions. Les gens nous disent--surtout les gens appartenant aux organisations ne dépassant pas une certaine taille--qu’ils sont choqués par le manque d’uniformisation des formulaires dans les diverses entreprises et organismes concernés. Peut-être pourriez-vous nous donner quelques idées quant à la manière d’améliorer ces procédures et ces formalités.

    Deuxièmement, si cela tenait à vous, comment modifieriez-vous la règle concernant le contenu canadien? Y aurait-il une meilleure manière de procéder? Nous vous saurions gré de bien vouloir transmettre à nos .attachés de recherche les idées dont vous pourriez nous faire part sur ce point.

    Monsieur Abbott.

+-

    M. Jim Abbott: J’aimerais effectuer une comparaison entre Cold Squad et Da Vinci’s Inquest, car, du point de vue du profane, ces deux émissions semblent avoir beaucoup de points communs.

    Comment le producteur de l’une ou l’autre de ces deux émissions déciderait-il s’il doit demander des droits de diffusion à la SRC ou à CTV?

    Je crois savoir qu’il y a, entre ces deux émissions, une différence sensible de coût des épisodes. Je ne sais pas si cela est exact, ou même si vous connaissez le coût d’un épisode de Da Vinci’s Inquest. On m’a dit qu’il y a une différence assez sensible de coût entre les deux.

    Lorsque nous avons auditionné les représentants de la SRC, c’est M. Rabinovitch, je crois, qui nous a parlé de la différence entre ces deux émissions--alors que nous évoquions le fait que l’un de ces programmes est diffusé pendant la semaine aux heures de grande écoute et que l’autre est un peu «exilé» le samedi soir. C’est le genre de décisions qui m’intéresse. Sans doute que Da Vinci’s Inquest, ne jouirait pas, à l’échelle mondiale, de la popularité de Cold Squad car Da Vinci’s Inquest, évoque une réalité «plus sombre». Enfin, je ne me souviens pas exactement de la manière dont il a dit cela.

    J’essaye de voir un peu plus clair dans tout cela. Je ne tiens pas du tout à vous mettre dans une situation embarrassante, croyez-moi, mais j’aimerais bien élucider un peu la question de la différence entre ces deux émissions. Il s’agit, en effet, dans les deux cas d’un «contenu canadien», et pourtant, selon l’une de nos sommités culturelles, il y a une qui projette une réalité plus sombre que l’autre.

+-

    Mme Julia Keatley: Je crois pouvoir vous répondre. En fait, je pense que les deux budgets sont relativement semblables. La seule différence est que, les premières années, l’autre émission a bénéficié de financements plus importants que la nôtre car à l’époque les gens se demandaient s’il y avait effectivement lieu de diffuser deux séries produites à Vancouver. À cet égard, les attitudes ont changé. Cela nous a rendu la vie un petit peu plus difficile dans le cadre de l’émission Cold Squad, mais les deux budgets sont sensiblement les mêmes.

    En ce qui concerne les horaires, j’ai parlé de tout cela avec Chris Haddock, que je connais très bien et qui est le producteur de Da Vinci’s Inquest, , et je ne crois pas qu’il soit très content que, dans la grille des programmes de la SRC, son émission soit passée du mercredi soir au lundi soir, puis à dimanche soir.

    En ce qui concerne Cold Squad, je crois que c’est l’année dernière qu’on nous a relégué au samedi soir et, là non plus, nous ne sommes pas très heureux du changement. Cela dit, pendant quatre ans nous étions programmés le vendredi soir, ce qui nous a permis de gagner les faveurs de nombreux téléspectateurs. Lorsque nous parlons de ce genre de chose avec des réseaux tels que CTV, on bute souvent sur le problème des émissions jumelés et des horaires disponibles. C’est la principale différence entre la SRC et CTV car la SRC n’achète plus de programmes américains et c’est un peu bizarre de se voir diffuser en simultané.... Leurs horaires sont plus flexibles. Je sais très bien cependant que les responsables de Da Vinci’s Inquest, ne sont pas très contents de la plage horaire à laquelle ils ont été affectés. Je sais également que leur audience a sensiblement baissé.

    En ce qui concerne notre propre émission, je dois dire que nous avons pu entraîner avec nous, dans le nouvel horaire, nos téléspectateurs et c’est en partie pour cela que nous allons entamer notre sixième saison. C’est un peu paradoxal de voir, face à un réseau tel que CTV qui se procure les programmes américains les plus populaires, un producteur canadien indépendant ne pas pouvoir s’empêcher d’espérer qu’un de ces programmes échouera afin de le remplacer dans la grille horaire. Il faut parfois de tels échecs pour qu’un programme comme The Associates passe à l’écran étant donné l’encombrement de la grille.

  +-(1250)  

+-

    M. Jim Abbott: Je ne vous suis pas très bien.

+-

    Mme Julia Keatley: Si The Associates n’a commencé à être diffusé qu’en janvier c’est parce que les nouvelles émissions de CTV avaient tant de succès que les chaînes américaines les ont conservées.

    La substitution est pour nous, producteurs indépendants, quelque chose qui nous importe au plus haut point. Je parle de la place que nos émissions occupent dans la grille de programmation. J’assistais à Calgary à l’audience portant sur l’octroi d’une licence à Craig. J’ai été très encouragé d’entendre le nouveau président, M. Dalfen, dire que samedi soir ou samedi après-midi ne sont pas vraiment des horaires très favorables car à ces heures-là les téléspectateurs canadiens qu’on cherche le plus à retenir ne regardent pas la télévision.

    Le fait d’être programmé aux heures de grande écoute influe donc beaucoup sur le succès d’une émission. Un autre facteur important est la constance des horaires. En tant que téléspectateurs, nous savons tous qu’il y a, au cours de la semaine, des jours ou des heures où nous avons effectivement le temps de regarder la télévision. Si le programme est déplacé, il est fréquent que, pour une raison ou une autre, nous ne puissions pas le suivre.

    La dernière question a trait aux ventes internationales. Oui, je dois le dire, Cold Squad a fait l’objet d’un accord de distribution et se vend mieux dans les autres pays que Da Vinci’s Inquest. Je ne sais pas si c’est parce que Cold Squad rend compte d’une réalité plus sombre. Je crois que c’est plutôt que le récit ne se poursuit pas généralement d’un épisode à un autre, et que cette formule se vend mieux dans les autres pays car elle est mieux adaptée aux habitudes des téléspectateurs. D’ailleurs...

+-

    M. Jim Abbott: Que venez-vous de dire au sujet des récits?

+-

    Mme Julia Keatley: En général, nous ne faisons pas un récit qui se poursuit d’une semaine à l’autre. Chaque épisode forme un tout. Les téléspectateurs des autres pays semblent préférer cela, et cela est de plus en plus le cas en Amérique du Nord. Vous le constatez aisément en voyant le succès d’une émission telle que Law and Order qui, il y a 10 ans, lorsqu’elle débuta aux États-Unis, n’avait guère de succès alors qu’aujourd’hui c’est une des émissions les plus populaires.

+-

    M. Jim Abbott: Je vous remercie.

+-

    Le président: Madame Gagnon.

[Français]

+-

    Mme Christiane Gagnon: Merci, monsieur le président.

    Tout à l'heure, nous avons entendu le groupe ProMedia International, qui n'a pas eu la chance de s'exprimer au-delà de son mémoire. J'aurais aimé poser quelques questions à ses représentants. ProMedia International se dit préoccupé par la diversité de la programmation, en l'occurrence par la présence des minorités culturelles dans les émissions. J'aimerais vous poser deux questions.

    Dans un projet de production, avez-vous moins de chances ou autant de chances d'obtenir du financement si vous présentez des histoires qui mettent en scène la diversité culturelle comparativement à d'autres types de production?

    Deuxièmement, avez-vous le souci d'inclure des membres des minorités culturelles à toutes les étapes de votre production, que ce soit au niveau des comédiens, des producteurs ou des techniciens? On soulève souvent ce problème, et on entend la même chose de la part des personnes handicapées ou des femmes, qui trouvent qu'elles n'ont pas la place qui leur revient. Quels gestes proactifs posez-vous dans la perspective de cet important enjeu?

[Traduction]

+-

    Mme Elizabeth McDonald: D’abord, si j’ai quitté le secteur de la télédiffusion et de la câblodistribution, c’est parce que j’ai trouvé, en tant que femme, que je me sentais plus à l’aise dans le secteur de la production.

    Cela dépend beaucoup du télédiffuseur. En ce qui nous concerne, nos membres estiment que le principal c’est d’avoir du talent.

    Notre association a instauré un programme de mentorat très dynamique et ce programme comporte maintenant en fait six programmes distincts. Cette année, 95 personnes en ont bénéficié et j’avais pu comprendre qu’ils avaient décroché des emplois à durée déterminée. Eh bien je suis heureuse de pouvoir dire que 95 p. 100 de nos internes à nous ont obtenu un emploi permanent. Nos candidats proviennent de tous les horizons culturels.

    J’ajoute que nous administrons également trois programmes destinés plus particulièrement aux autochtones. Nous avons créé un partenariat avec l’APTN, et cela permet de faire travailler de concert des producteurs autochtones et des producteurs ayant déjà beaucoup de métier. Bon nombre d’entre eux entendent monter leur propre maison de production, nous le savons bien. Certains ont forgé des liens avec un producteur ayant une solide réputation.

    C’est dire que pour moi ce n’est pas un obstacle. Je dis même des producteurs représentés ici, qu’ils recherchent désespérément des personnes de talent, au point de demander à leur association de contribuer à la formation des personnes entrant dans le métier. D’abord ils les forment, puis ils les engagent. Nous dépensons pour cela trois fois la somme des fonds publics et privés qui nous sont versés à cette fin, et la diversité des recrues est tout à fait étonnante. C’est dire que nous faisons tout ce que nous pouvons pour favoriser ces nouveaux talents.

    Ira.

  +-(1255)  

+-

    M. Ira Levy: Une ou deux petites choses. D’abord, lorsqu’un producteur obtient d’un des nombreux télédiffuseurs canadiens des droits de diffusion, l’accord qui intervient prévoit en général un certain nombre d’exigences en matière de diversité culturelle. Il est clair qu’il existe entre toutes les parties prenantes, un partenariat à cet égard.

    Certains récits, certes, permettent mieux que d’autres d’intégrer cet aspect. Prenez l’exemple de la série portant, à Toronto, sur l’Hôpital des enfants malades. C’est un des meilleurs hôpitaux pédiatriques au monde et il est en outre situé au centre d’une ville qui abrite une des populations les plus multiculturelles du monde. C’est Barri Cohen qui assure une grande partie de la mise en scène.

    Mais les récits que nous mettons en images dans le cadre de cette émission contiennent très naturellement cette dimension multiculturelle, non seulement en raison des patients et des familles qui viennent leur rendre visite mais parce que l’hôpital jouit d’une réputation internationale. Il accueille donc des patients venus du monde entier, mais les personnels soignant proviennent eux aussi du monde entier puisque l’hôpital tente, par son recrutement international, d’attirer les meilleurs spécialistes en pédiatrie.

    Une émission comme celle-là est très suivie sur la chaîne Life Network. Nous avons réalisé jusqu’ici 65 épisodes de cette série qui rend plutôt bien compte de la réalité canadienne. Cette série mêle réalité humaine et réalité canadienne puisqu’elle met également en scène une des grandes réalisations du Canada en pédiatrie. On parle des familles, des médecins, de l’amour, de la tendresse. Il s’agit de thèmes internationaux qui ont en même temps beaucoup de succès au Canada.

    Je crois qu’à l’international, c’est peut-être l’émission canadienne qui a le plus de succès. De l’Afrique du Sud à la Belgique en passant par l’Asie, beaucoup de pays accueillent cette émission qui, pourtant, est une émission fondamentalement canadienne. S’il en est ainsi c’est en partie à cause de la diversité culturelle qui la caractérise. Cela me semble être un bon exemple de la manière dont le système évolue.

    Une dernière chose, très rapidement. Les intervenants précédents nous ont parlé d’«Inoversité», un programme que je connais bien et qui va passer la semaine prochaine. Cette émission est intéressante car elle va également comporter des annonces concernant de nouveaux producteurs. Or, l’émission insiste fortement sur la diversité culturelle des producteurs eux-mêmes. On va annoncer des oeuvres appartenant à des genres très divers; documentaires, programmes pour enfants, émissions dramatiques, arts et spectacles, arts de la scène. Chacun va exposer son concept, qu’il s’agisse d’une émission unique ou d’une série, s’adressant pour cela à des spécialistes du secteur, aussi bien des producteurs que des télédiffuseurs.

    Et il y aura des gagnants. Ces gagnants se verront attribuer de l’argent sous forme d’aides à la création permettant à ces nouveaux producteurs, qui viennent d’horizons très divers, d’entrer dans le métier et d’être suivis par des personnes qui l’exercent déjà depuis longtemps.

·  +-(1300)  

+-

    Le président: Madame Nemtin, je vous laisse le dernier mot.

+-

    Mme Andrea Nemtin: Je tiens simplement à dire que je produis moi aussi des séries et nous veillons, là encore à la diversité au niveau des sujets que nous traitons. C’est le seul moyen de maintenir l’intérêt et de rendre compte de notre réalité.

    Cela dit, il est dangereux pour les télédiffuseurs privés de dépendre de la publicité puisque les annonceurs insistent parfois pour que l’on s’adresse particulièrement aux 25-40 ans, et encore, de manière plus précise aux blancs et aux blanches de cette tranche d’âge. À cet égard, il faut faire preuve d’une grande vigilance. Les télédiffuseurs auprès desquels je travaille, sont tout à fait favorables à la diversité culturelle mais il faut néanmoins veiller au grain. Sans cela, on risque l’homogénéisation de l’ensemble du paysage audiovisuel.

+-

    Le président: Madame McDonald, madame Cohen, je tiens à vous remercier, vous et vos collègues, d’avoir pris la parole aujourd’hui devant le comité. La séance a été pour nous du plus grand intérêt et la discussion pleine d’entrain. Je suis certain que M. Bishopric se reportera à la transcription.

    Des voix: Oh, oh!

    Le président: Je tiens à vous remercier tous, aussi bien de votre présence que de votre contribution au débat.

    Nous allons maintenant passer la parole à ProMedia à qui nous voudrions poser quelques questions. Les membres du comité ont accepté de rester quelques minutes de plus.

+-

     Madame Reyes et monsieur Grange, nous regrettons tous, je pense, que vous n’ayez pas eu l’occasion de répondre à nos questions. La plupart des membres du comité sont pris à partir de 13 heures. Nous avons tous un horaire assez chargé mais nous voudrions tout de même pouvoir vous adresser quelques questions compte tenu notamment de ce qui a été dit au sujet de la diversité culturelle. Peut-être voudrez-vous revenir sur certains des choses qui ont été dites.

    Les membres du comité ont accepté de prolonger d’une dizaine de minutes afin de pouvoir vous poser quelques questions.

    Monsieur Abbott.

+-

    M. Jim Abbott: Comme je le disais à M. Grange, l’autre partie comprend fort bien les difficultés qui se posent au niveau du marché gris. Vous déplorez l’absence d’une réelle diversité puisque les membres de votre communauté, et d’autres encore, ont du mal à trouver les émissions qu’ils veulent. Nous ne sommes pas très sûrs de savoir comment réagir au niveau du marché gris.

    Deuxièmement, je comprends le sentiment de frustration que vous éprouvez en voyant si rarement représentés à la télévision des membres de votre communauté. Je ne vois pas très bien comment fonctionnerait ce système de points dans les cas où le scénario explique mal la présence de membres de certaines minorités visibles. Peut-être pourriez-vous m’en dire un peu plus sur ce que vous envisageriez à cet égard. J’ai l’impression que le système de points soit ne fonctionnerait pas, soit porterait à inclure des personnages dont la présence ne se justifierait pas entièrement. J’ai du mal à entrevoir la chose.

    Comment pensez-vous résoudre ce problème en adoptant un système de points, un certain nombre de points étant attribués à chaque fois qu’est représenté un membre d’une minorité visible?

+-

    Le président: Avant de répondre, monsieur Grange ou madame Reyes, peut-être devrions-nous finir de poser nos questions. Vous pourriez les prendre en note puisque je vous vois le stylo à la main. Nous vous donnerions le temps nécessaire.

·  +-(1305)  

+-

    M. Hamlin Grange: Monsieur Abbott, je tiens à préciser que nous ne représentons pas un groupe donné. Nous ne voudrions pas donner au comité l’impression, en tant que cinéastes ou producteurs de films documentaires, que nous représentons les minorités. Nous sommes simplement deux cinéastes indépendants, producteurs de films documentaires, qui travaillons dans une optique précise. Nous avons parlé de tout cela avec de nombreuses personnes mais nous ne parlons aucunement en leur nom. Je tiens à ce que cela soit clair.

+-

    Le président: Madame Gagnon

[Français]

+-

    Mme Christiane Gagnon: Dans l'évaluation que vous faite de la présence des minorités culturelles, vous parlez des médias d'information. Faites-vous une nuance quant à la programmation d'émissions à caractère culturel? Parlez-vous de tout ce qui est diffusé sur le réseau télévisuel ou si vous parlez plus spécifiquement des émissions qui présentent davantage la diversité culturelle?

[Traduction]

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    Le président: Madame Bulte.

+-

    Mme Sarmite Bulte: J’aimerais très rapidement ajouter quelque chose à ce que Mme Gagnon vient de nous dire.

    Il y a des années, lors d’un voyage aux États-Unis, j’écoutais quelqu’un me parler du quotidien USA Today. Ce journal a pour politique de publier chaque jour en première page la photo d’une personne appartenant à une minorité visible.

    Vous parliez tout à l’heure de ce modèle américain, le consortium. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à cet égard? D’après vous, le CRTC ne doit pas se contenter d’accorder des licences, et pourtant il existe dans notre pays un réseau de télévision autochtone. Je ne dis pas que cela est suffisant, mais je félicite le CRTC d’avoir agi en ce sens.

    En ce qui concerne les minorités visibles--et je dois dire que mes antécédents sont dans les arts et non pas dans la culture--le problème serait-ce que, en ce qui concerne les acteurs, il faudrait.... Nous avons accueilli ici, un peu plus tôt, R.H. Thomson, une personnalité bien connue. La plupart des acteurs commencent au théâtre, à l’échelle locale, et malheureusement, jusqu’ici, la distribution des rôles n’a pas su faire abstraction de la couleur de la peau. Le monde du théâtre commence à s’en apercevoir étant donné les changements qui se produisent au niveau des spectateurs. Ne serait-ce pas en partie dû au fait que nous n’avons pas--et cela devrait encourager la base--suffisamment d’acteurs capable de figurer notre société multiculturelle?

+-

    Mme. Cynthia Reyes: Vous me demandez donc...?

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    Mme Sarmite Bulte: Mme McDonald parlait d’un programme de mentorat. C’est trop tard. La question est donc la suivante. Ne devrions-nous pas accorder davantage d’importance aux arts à l’échelon de base plutôt que de chercher à agir au niveau des industries de la culture. Ce sont les arts qui sont, si vous voulez, la pépinière de nos acteurs. C’est à la base qu’il faut agir. On passe ensuite au cinéma et à la télévision, mais c’est sur la scène locale qu’on fait son apprentissage.

+-

    Le président: M. Abbott n’est pas ici, mais tout cela va être consigné au compte rendu donc vous pouvez parfaitement répondre à ses questions. Vous pouvez y répondre selon l’ordre dans lequel elles ont été posées puisque tout figurera au compte rendu.

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    Mme Cynthia Reyes: Entendu. M. Abbott nous a posé une question au sujet du système de points. Je crois que sa question est parfaitement sensée. Il n’y a pas de minorité visible à Terre-Neuve donc on ne voit pas très bien pourquoi on exigerait de voir figurer des membres des minorités visibles dans des émissions tournées à Terre-Neuve.

    Cela nous porte bien sûr à nous interroger sur qui a produit l’émission? Nous savons tous que c’est seulement depuis que les femmes sont entrées dans le métier et ont commencé à créer elles-mêmes des émissions, qu’elles ont eu l’occasion de le faire, quand on leur a procuré les financements nécessaires, qu’on a vu apparaître des émissions portant sur les femmes. Dans la mesure où elles étaient représentées auparavant, c’était généralement dans des rôles assez stéréotypés. Il faut quand même raison garder.

    Nous savons très bien que la plupart des grandes villes, et même des villes de taille moyenne, abritent une population provenant d’horizons culturels très divers. D’après ce qu’on me dit, selon les quartiers, la proportion peut aller, à Toronto, de 10 p. 100 plus de 50 p. 100. Je n’entends donc pas essayer aujourd’hui d’exposer des changements précis au système de points, mais il faut s’en tenir au bon sens. Là où existent des communautés minoritaires, là où une région est marquée par la diversité culturelle, rien ne justifie que la plupart des émissions bénéficiant d’aides à la production et réalisées dans la région en question ne mettent en scène que des personnes de race blanche. Si c’est ce qui se passe, il y a lieu de s’en inquiéter.

    La réponse au problème est donc une question de bon sens.

    La seconde question porte sur les médias. Entend-on par cela tous les médias?

·  +-(1310)  

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    M. Hamlin Grange: Oui.

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    Mme Cynthia Reyes: Pendant deux ans, en octobre, nous avons passé tout notre temps à consommer des médias.

    La première fois, j’étais malade. J’étais alitée. C’était il y a deux ans. J’en ai profité pour regarder toutes les chaînes de télévision auxquelles j’avais accès par le câble. Puis j’ai lu tous les magazines qui arrivaient chez moi.

    Il reçoit des gadgets à chaque fois qu’il s’abonne à un magazine et nous recevons donc beaucoup de magazines. Je les ai tous lus.

    En outre, j’ai écouté autant d’émissions radiophoniques que j’ai pu et j’ai également lu beaucoup de journaux. C’est alors que j’ai commencé vraiment à m’inquiéter. Je travaillais alors dans les principales villes du Canada et je constatais que les personnes que je voyais dans les rues, dans toutes ces villes, n’étaient jamais représentées à la télévision.

    Je précise que nous vivons à la campagne donc ce que je dis n’est pas uniquement vrai des villes. C’est vrai que la population y est plus concentrée. Je parle cependant de toutes les émissions, aussi bien à la radio qu’à la télévision.

    La diversité culturelle n’est pas quelque chose que l’on utilise un peu comme un ornement. Il s’agit d’un courant profond qui traverse toute la société. Or, ce courant ne semble pas avoir influencé les médias. On n’en voit guère de signe au sein des conseils d’administration des entreprises de radiodiffusion. On n’en voit guère de signe au sein des conseils du FCT. On n’en aperçoit guère ici, ni aux échelons élevés, ni même aux échelons intermédiaires, ni même encore en première ligne, sinon aux actualités et, dans une certaine mesure, chez les producteurs indépendants où, il est clair, les personnes de couleur et les personnes ayant diverses sortes de handicap ont le plus de mal à percer. Je parle en cela de toutes les émissions sans exception.

    Excusez-moi, je vous ai coupé la parole.

+-

    M. Hamlin Grange: Il était intéressant de regarder les séquences que nous ont projetées les représentants de l’industrie de la publicité. Ils ont projeté une vidéo très bien faite et, dans tout le film, j’ai compté deux personnes n’appartenant pas à la race blanche. La première était un enfant d’origine asiatique, et la seconde Michael Smith, un de mes excellents amis, un spécialiste du décathlon. C’est tout.

    Si cela est représentatif des efforts accomplis en ce sens par l’industrie de la publicité, la situation est grave. Cela ne rend aucunement compte des données démographiques, selon les derniers chiffres réunis par Statistique Canada, et je trouve cela préoccupant. Quand je parle donc des médias, je dis bien tous les médias.

    Il y a 20 ans, avec Cynthia et plusieurs autres personne de Toronto, nous avons formé un comité ad hoc sur les médias qui a entamé une collaboration avec la Fondation canadienne de la publicité. Nous avons rencontré certaines des principales firmes de publicité et aussi certains de leurs principaux clients pour discuter de la situation. Pendant un bref moment, on a constaté des changements. On voyait, en effet, des Asiatiques et des membres d’autres races de couleur vendre du lait, boire de la bière. Puis, ça s’est arrêté. Aujourd’hui, le pendule à tendance à revenir mais beaucoup reste à faire. Donc, quand nous parlons des médias, nous parlons d’un problème général.

    Quelqu’un a posé une question au sujet de la distribution des rôles sans tenir compte de la couleur de la peau des acteurs.

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    Mme Cynthia Reyes: Mais avant cela, quelqu’un avait évoqué le modèle américain du consortium.

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     Je ne me souviens pas exactement combien d’années cela fait maintenant; cela doit faire une dizaine ou une douzaine d’années. On essayait alors, de bien des diverses manières, de faire en sorte que la représentation de la réalité quotidienne rende mieux compte de la présence des diverses communautés minoritaires, principalement des personnes originaires de la zone Asie-Pacifique, ainsi que des autochtones, des Africains et des personnes d’origine latino-américaine. Le Congrès adopta une loi portant création de quatre consortiums. Chacun d’eux devait chaque année recevoir une certaine somme d’argent.

    Aujourd’hui encore, les producteurs indépendants sont tenus au respect d’un système de points. Les meilleurs dossiers sont choisis. Chaque année, ainsi, on voit aux États-Unis un beaucoup plus grand nombre d’émissions de qualité réalisées par des personnes de couleur ou mettant de telles personnes en images. C’est de cela que je parlais--des consortiums, avec un conseil d’administration, des comités et des jurys qui décident de l’attribution des aides au financement.

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    M. Hamlin Grange: Au sujet de la distribution des rôles sans tenir compte de la couleur de la peau, je dois dire que je ne savais pas que USA Today appliquait une telle politique. C’est très intéressant. Il est clair que ce quotidien connaît bien son marché.

    Aux États-Unis, la population afro-américaine est à peu près égale à la population du Canada. La population d’origine latino-américaine est à peu près aussi importante et si USA Today n’agissait pas de la sorte, il n’aurait qu’à fermer boutique. Pour ce quotidien, je crois qu’il s’agit en effet d’une décision économique qui tient compte de son lectorat.

    Mais, je crois aussi que d’autres facteurs interviennent. Je ne savais pas que cela faisait l’objet d’une véritable politique.

    En ce qui concerne la distribution des rôles sans tenir compte de la couleur de la peau des acteurs, je tiens à dire que nous nous sommes entretenus avec bon nombre d’acteurs et d’actrices canadiens qui demandent des auditions. Le rôle dans le film ou dans la pièce est souvent celui d’une personne de race blanche. Nous connaissons plusieurs acteurs d’autres origines ethniques qui cherchent à obtenir le rôle. Il leur faut persuader le metteur en scène ou le producteur qu’il n’est pas nécessaire que le personnage en question soit blanc; autrement dit qu’ils peuvent parfaitement l’incarner.

    Après avoir rencontré et écouté les acteurs de talent en quête d’un rôle, les metteurs en scène et les producteurs commencent à comprendre et acceptent parfois le nouveau personnage. Ils s’aperçoivent que la production, loin d’en souffrir, prend une envergure nouvelle; il y a comme un sursaut de créativité. Voilà le défi qui se présente à nous.

    Vous parliez tout à l’heure de la base, et la compagnie Obsidian Theatre de Toronto en est un exemple. En 1969--j’étais un jeune homme à l’époque--Black Theatre Canada pouvait lui aussi être cité en exemple. Il se produisait sur des scènes locales. Puis, bon nombre de personnes ayant passé par Black Theatre Canada ont commencé à travailler davantage avec les médias, au niveau de la production, en tant qu’acteurs, ou dans la publicité. Certains d’entre eux travaillent aujourd’hui avec le Obsidian Theatre.

    Vous avez, je crois, raison mais comment passer de la scène locale aux productions de plus grande envergure? Le défi est là étant donné les obstacles dont on nous parle lorsque nous nous entretenons avec des acteurs dans ces divers secteurs--que ce soit dans les médias, au niveau des dirigeants, ou dans le secteur de la création. Parfois, aux niveaux intermédiaires, ça bloque. Ils se heurtent à un mur par ce que quelqu’un a décidé que ça se vendrait mal.

    Quelqu’un parlait, un peu plus tôt, des publicitaires, et il semble bien que certains publicitaires sont persuadés qu’une Noire ne conviendrait pas dans un rôle donné car on ne peut pas vraiment espérer trouver quelqu’un à la hauteur. On nous a rapporté ce genre de commentaire. C’est à la fois intéressant et inquiétant.

·  -(1315)  

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    Mme Sarmite Bulte: Le Obsidian Theatre se porte bien.

    M. Hamlin Grange: Oui, très bien.

    Mme Sarmite Bulte: Je connais très bien ce théâtre. Ses bureaux se trouvent dans ma circonscription. La production récemment montée par Djanet Sears était tout à fait...

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    M. Hamlin Grange: Oui, d’une grande beauté.

+-

    Mme Sarmite Bulte: Mais, encore une fois, pour revenir à notre examen de l’industrie de la télédiffusion, je voulais dire qu’il ne faut pas oublier d’investir dans les artistes eux-mêmes en même temps que dans le secteur. C’est ce que je veux dire quand je parle de la base, car je suis intimement persuadée qu’en investissant dans les arts, dans les communautés ainsi que dans les artistes pris individuellement, nous cultivons les personnes qui seront les étoiles de demain.

    M. Hamlin Grange: Je suis entièrement d’accord.

    Mme Sarmite Bulte: Je ne voudrais pas qu’on oublie cela. Il ne s’agit pas simplement de faire une grande carrière. On est déjà étoile à partir du moment où l’on joue dans des films ou à la télévision, mais comment encourager ce genre de talent?

    Mme McDonald parlait du programme de mentorat, mais je pense personnellement qu’il faut surtout investir dans les artistes locaux, au niveau de la communauté locale et, en priorité, dans le secteur à but non lucratif.

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    Mme Cynthia Reyes: Cela est certes nécessaire, sinon suffisant, et vous voyez bien que chacun détient un morceau de la réponse. Ce secteur d’activité, et les arts en général, ont diverses composantes, et la réponse à ce problème et elle-même composée d’éléments différents. Je pense que vous venez effectivement de décrire un de ces éléments.

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    Le président: Je vous remercie tous les deux d’avoir prolongé aujourd’hui votre présence parmi nous. Il nous fait maintenant donner aux interprètes et aux techniciens du son et de l’image et en fait à tout le monde l’occasion de se restaurer et de prendre un peu de repos.

    Nous tenons, encore une fois, à vous remercier.

    La séance est levée.