:
La séance est ouverte. Bienvenue à la 38
e réunion du Comité permanent du commerce international.
Bienvenue aux membres du Comité et aux membres substituts. Il est agréable de voir également d'autres visages autour de la table.
La réunion d'aujourd'hui se déroule dans un format hybride, conformément à l'ordre de la Chambre du 23 juin 2022. Par conséquent, les membres du Comité assistent en personne à la réunion dans la salle et à distance en utilisant l'application Zoom.
Je dois faire quelques commentaires à l'intention des témoins et des membres du Comité. Tout d'abord, veuillez attendre que je vous reconnaisse par votre nom avant de prendre la parole. Lorsque vous parlez, veuillez le faire lentement et clairement. Pour ceux qui participent avec vidéoconférence, veuillez cliquer sur l'icône du microphone pour l'activer et mettez‑le en sourdine lorsque vous ne parlez pas.
En ce qui concerne l'interprétation, les participants qui sont sur Zoom ont le choix, au bas de leur écran, entre le parquet, l'anglais ou le français. Les participants qui sont dans la salle peuvent utiliser l'écouteur et sélectionner le canal souhaité.
Je rappelle à tout le monde que tous les commentaires doivent être adressés par l'entremise de la présidence. Les participants dans la salle doivent lever la main lorsqu'ils souhaitent prendre la parole. Les participants sur Zoom doivent utiliser la fonction « Lever la main ». La greffière et moi-même gérerons l'ordre des interventions du mieux que nous pourrons, et nous vous remercions de votre patience et de votre compréhension à cet égard.
Veuillez également noter que pendant la réunion, il est interdit de prendre des photos dans la salle ou de faire des captures d'écran.
Madame la greffière, pouvons-nous vérifier auprès de notre interprète que tout est en ordre? Est‑ce que tout va bien du côté des interprètes?
Je vous remercie.
Conformément à la motion de régie interne du Comité concernant les tests de connexion pour les témoins qui comparaissent avec vidéoconférence, j'informe le Comité que tous les témoins ont effectué les tests de connexion requis avant la réunion.
Si des difficultés techniques devaient survenir, veuillez me le faire savoir. Si nécessaire, nous suspendrons la séance pendant quelques minutes afin de nous assurer que tous les membres du Comité puissent participer pleinement à la réunion.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le mardi 20 septembre 2022, le Comité poursuit son étude des répercussions commerciales potentielles de la loi américaine de 2022 sur la réduction de l’inflation adoptée aux États-Unis sur certaines entreprises et certains travailleurs au Canada.
Aujourd'hui nous accueillons, avec vidéoconférence, Geneviève Dufour, professeure à l'Université de Sherbrooke, qui comparait à titre personnel, Ivette Vera-Perez, présidente et directrice générale de l'Association canadienne de l'hydrogène et des piles à combustible, et Derek Eaton, directeur principal, Recherche et sensibilisation en politiques publiques à l'Institut pour l'IntelliProspérité. En personne, dans la salle, nous accueillons Bob Masterson, président et directeur général de l'Association canadienne de l'industrie de la chimie.
Bienvenue à tous. Nous vous remercions de prendre le temps de communiquer vos connaissances et des renseignements au Comité.
Madame Dufour, je vous invite à faire une déclaration préliminaire d'au plus cinq minutes. Vous avez la parole.
:
Merci, madame la présidente.
Mesdames et messieurs les membres du Comité, je vous remercie de m'avoir invitée à intervenir aujourd'hui.
Mon nom est Geneviève Dufour. Je suis professeure de droit international spécialisée en droit du commerce international à la Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke.
C'est un réel plaisir d'être devant vous aujourd'hui pour parler de la loi américaine de 2022 sur la réduction de l'inflation. Je vous félicite d'ailleurs de vous être saisis de cette question, puisqu'il m'apparaît que cette loi aux répercussions majeures a reçu bien peu d'attention dans les derniers mois.
J'ai suivi vos travaux des derniers jours et il m'a semblé pertinent de centrer mon intervention sur la licéité ou la légalité de cette loi au regard des règles du commerce international. J'ai cru comprendre que plusieurs d'entre vous souhaitent avoir des clarifications à cet égard.
[Traduction]
Disons‑le tout de suite, la loi américaine de 2022 sur la réduction de l’inflation est incontestablement illégale au titre des règles du commerce international. Tout d'abord, elle viole le principe du traitement national, qui vise à éviter les mesures protectionnistes. Elle viole également le principe du traitement de la nation la plus favorisée, qui exige que les États ne fassent pas de discrimination entre les partenaires commerciaux.
[Français]
[Difficultés techniques] Je viens de dire que...
:
Devrais‑je recommencer depuis le début? D'accord.
[Français]
Bonjour, madame la présidente. Merci beaucoup.
Mesdames et messieurs les membres du Comité, je vous remercie de m'avoir invitée à intervenir aujourd'hui.
Je suis professeure de droit international spécialisée en droit du commerce international à la Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke.
C'est un réel plaisir d'être devant vous aujourd'hui. Je vous félicite de vous être saisis de cette question, puisqu'il m'apparaît que la loi américaine de 2022 sur la réduction de l'inflation a des répercussions majeures et a reçu bien peu d'attention dans les derniers mois.
J'ai suivi vos travaux des derniers jours et il m'a semblé pertinent de centrer mon intervention sur la légalité de cette loi au regard des règles du commerce international. J'ai cru comprendre que plusieurs d'entre vous souhaitent avoir des clarifications à cet égard.
[Traduction]
Disons‑le tout de suite, la loi américaine de 2022 sur la réduction de l’inflation est incontestablement illégale au titre des règles du commerce international.
Tout d'abord, elle viole le principe du traitement national, qui vise à éviter les mesures protectionnistes. Elle viole également le principe du traitement de la nation la plus favorisée, qui exige que les États ne fassent pas de discrimination entre les partenaires commerciaux.
[Français]
La loi viole aussi probablement l'Accord sur les subventions et les mesures compensatoires de l'Organisation mondiale du commerce, dans la mesure où, pour recevoir le crédit de taxe, la loi impose l'utilisation de batteries dont 50 % du contenu proviendra de l'Amérique du Nord d'ici 2024, et 100 % d'ici 2028. Or, on le sait, toute subvention conditionnée à l'utilisation de contenu national est catégoriquement prohibée au sens de l'Accord.
Il est donc clair que la loi américaine viole les règles élémentaires du commerce international. La question est alors de déterminer si les États‑Unis peuvent invoquer une exception.
Certains ont évoqué la protection des ressources naturelles, qui est une exception en droit du commerce international. Il nous manque encore trop d'éléments pour déterminer si la loi passe le test de cette exception. Il faudra être attentif entre autres à la manière dont les États‑Unis vont appliquer la loi. Cependant, on peut dès maintenant s'interroger sur certains éléments, dont le favoritisme à l'égard du Canada et le fait que les restrictions protectionnistes imposées par la loi pourraient défavoriser à terme la production de voitures électriques, et donc être nocives pour la protection de l'environnement.
[Traduction]
On peut se demander si l'Accord Canada—États-Unis—Mexique permet aux États-Unis de favoriser le Canada et le Mexique. Les accords de libre-échange permettent aux États de s'accorder des avantages tarifaires et de collaborer à l'harmonisation de leurs pratiques et mesures. En aucun cas, les ALE ne permettent à un État de fournir des subventions aux entreprises pour qu'elles utilisent des biens nationaux ou des biens provenant d'un État avec lequel il a une zone de libre-échange.
Enfin, les États-Unis vont probablement tenter de justifier cette loi au nom de la sécurité énergétique. Ils voudront donc très probablement invoquer l'exception au titre de la sécurité nationale, du moins pour la partie « entité étrangère préoccupante » de la loi. Une analyse rapide démontre que cette exception ne s'applique guère à la loi.
[Français]
Parmi les experts, il ne fait aucun doute que cette loi va à l'encontre des règles du commerce international. Évidemment, ce n'est pas la première fois que les États‑Unis ou d'autres pays adoptent une mesure allant à l'encontre du droit. Cette loi est toutefois unique en son genre pour plusieurs raisons.
Elle l'est d'abord par son ampleur, qui est considérable. On se rappelle que la loi a l'objectif avoué de réorganiser les chaînes d'approvisionnement au sein du pays le plus puissant sur le plan commercial.
Elle l'est ensuite par son objectif assumé de protectionnisme, ainsi que par son illégalité, tout aussi assumée. Aux États‑Unis, tout le monde impliqué dans la rédaction et l'adoption de la loi savait et sait que cette loi est illicite au regard des règles du commerce international.
Enfin, la loi est spéciale par son caractère inamical. C'est le président français Emmanuel Macron qui l'a qualifiée ainsi, et qui a appelé à un éveil européen en soulignant le fait que les deux partenaires majeurs de l'Europe bénéficient d'aides d'États majeurs. Il a appelé les Européens à réagir.
À quoi peut-on s'attendre? Le président Trump dénonçait les subventions illégales de la Chine et a réagi par une guerre commerciale que tous les pays ont dénoncée. Le président Biden, lui, adopte maintenant une loi protectionniste prévoyant des aides illégales. La réaction à cette loi risque fort d'être différente cette fois-ci. On pourrait craindre une spirale protectionniste, et on peut se demander à quoi ressemblera le commerce international.
On peut surtout se demander comment le Canada, un pays qui a toujours prôné le respect de la règle de droit, se positionnera dans ce nouveau paysage. C'est d'une importance fondamentale, car cette loi risque d'avoir des répercussions systémiques importantes pour le système commercial multilatéral auquel on tient.
Je vous remercie.
:
Bonjour, madame la présidente et membres du Comité. Je vous remercie de m'avoir invitée à prendre la parole ici aujourd'hui.
Je m'appelle Ivette Vera-Perez. Je suis présidente et directrice générale de l'Association canadienne de l'hydrogène et des piles à combustible, ou l'ACHPC. Nous représentons plus de 160 entreprises à toutes les étapes de la chaîne d'approvisionnement en hydrogène et en piles à combustible. Nos membres exportent des technologies propres dans plus de 42 pays. Ces pays représentent 65 % de la population mondiale.
Selon une étude récente d'Ernst & Young, le potentiel total du marché canadien annuel de l'hydrogène pourrait atteindre 100 milliards de dollars et créer jusqu'à 350 000 emplois d'ici 2050. À cela s'ajoute l'estimation du gouvernement du Canada selon laquelle le secteur contribuera à réduire les émissions du Canada de 45 millions de tonnes métriques par année.
Fort d'un héritage d'un siècle d'expertise industrielle et de recherche, le secteur canadien de l'hydrogène et des piles à combustible était jusqu'à récemment un chef de file mondial dans ce domaine. Cependant, contrairement à ce qu'il se passait il y a 100 ans, nous avons de la concurrence pour notre position de chef de file. En effet, des pays du monde entier ont mis en place des politiques et des financements pour l'avancement de leur industrie nationale de l'hydrogène et des piles à combustible. C'est l'une de ces politiques qui nous a réunis aujourd'hui; il s'agit de la loi américaine de 2022 sur la réduction de l’inflation adoptée aux États-Unis, ou l'IRA.
La loi américaine de 2022 sur la réduction de l’inflation contient plusieurs mesures qui rendent les investissements aux États-Unis plus attrayants. Les crédits d'impôt à l'investissement et à la production d'hydrogène propre et d'autres incitatifs pour produire des technologies et des énergies propres, qui sont des éléments essentiels de la chaîne d'approvisionnement en hydrogène, sont autant de possibilités très intéressantes. Ces mesures, en plus d'être faciles à utiliser pour les entreprises qui y ont accès, et l'existence d'un processus d'approbation réglementaire très bien pourvu en ressources, enrichissent l'occasion qui est présentée.
Je suis consciente que le Canada ne peut pas répondre de la même manière que l'ont fait les États-Unis avec cette loi. En effet, notre marché est plus petit et nous avons une structure différente, mais le Canada pourrait prendre plusieurs mesures pour mieux encourager l'investissement dans sa propre industrie nationale de l'hydrogène.
Le récent Énoncé économique de l'automne a apporté d'excellentes nouvelles au secteur des technologies propres, avec un crédit d'impôt à l'investissement, ou un CII, de 30 % pour les technologies propres et un CII de 40 % pour les technologies de l'hydrogène. Ces crédits d'impôt, en plus de la création du Fonds de croissance du Canada, qui comprend des contrats sur différence pour l'hydrogène, contribueront à encourager la production nationale d'hydrogène à faible teneur en carbone. Pendant que nous nous efforçons de préciser les détails opérationnels concernant les CII pour l'hydrogène et le fonds de croissance des technologies propres, j'aimerais formuler quelques recommandations à l'intention du Comité.
Tout d'abord, nous devrions nous concentrer sur le déploiement rapide d'un CII entièrement fonctionnel et bien défini, doté de directives précises sur les limites, les critères d'admissibilité, le calendrier de traitement et la façon dont ces CII interagissent avec d'autres programmes. Cela donnera aux investisseurs et aux promoteurs de projets la précision dont ils ont besoin pour développer leurs projets et obtenir des financements.
Deuxièmement, lors de l'exploration du potentiel du CII pour l'hydrogène propre dans l'Énoncé économique de l'automne, l'accroissement de la portée de ce crédit — du moins en partie — pour qu'il s'applique aux coûts d'exploitation en plus des coûts d'investissement pourrait offrir la souplesse nécessaire pour soutenir les entreprises de l'industrie.
Troisièmement, des programmes comme le Fonds stratégique pour l'innovation et le Fonds pour les combustibles propres témoignent de l'ambition du gouvernement à l'égard de l'industrie canadienne des technologies propres. Toutefois, le processus de demande, qui exige des ressources considérables, ainsi que les périodes d'attente prolongées sont des éléments dissuasifs pour les promoteurs de projets. Nous devons nous engager à offrir des délais d'exécution raisonnables pour le FIS, le FCP, la BIC ou tout autre financement futur. En outre, nous devons tenir compte de la façon dont ces programmes et les incitatifs offerts dans le cadre du CII interagissent les uns avec les autres et contribuent à s'élever mutuellement.
Il s'agit d'une question complexe. Comparer les États-Unis et le Canada peut sembler revenir à comparer des pommes et des oranges, mais c'est une comparaison que les entreprises et les investisseurs du secteur font dans le cadre de leurs décisions quotidiennes.
En conclusion, le Canada a toujours été à l'avant-garde de l'industrie mondiale de l'hydrogène, mais avec le développement rapide du secteur et notre manque d'action au pays jusqu'à aujourd'hui, le Canada prend du retard. L'Énoncé économique de l'automne est un premier pas décisif pour nous aider à reprendre notre position de chef de file, mais le diable est dans les détails. Nous devons donc investir intelligemment, massivement et rapidement pour regagner notre position de chef de file dans le secteur de l'hydrogène.
Je vous remercie beaucoup. J'ai très hâte de répondre à vos questions.
:
Je vous remercie, madame la présidente.
Je tiens également à remercier les membres du Comité d'avoir entrepris cette étude importante qui tombe à point. Je vous remercie également de me donner l'occasion de comparaître devant vous en personne aujourd'hui.
L'industrie de la chimie et des plastiques est le troisième secteur manufacturier en importance au Canada, avec des livraisons annuelles d'environ 90 milliards de dollars, dont 80 % sont exportées, la grande majorité aux États-Unis. En bref, les États-Unis représentent notre principal client, mais aussi notre principal concurrent, tant pour la part de marché que pour la part d'investissement.
À l'échelle mondiale, notre industrie se lance dans deux transformations simultanées et importantes, à savoir une transformation vers un secteur de la chimie carboneutre et une transformation vers une économie circulaire pour les plastiques. Bref, ce n'est plus une question de politique environnementale, mais entièrement une question de politique en matière d'investissement. Le secteur va investir. Il va se transformer, et il le fera rapidement. La seule question est de savoir où ces investissements seront réalisés.
J'aimerais d'abord annoncer quelques bonnes nouvelles. Après plusieurs décennies sans nouveaux investissements importants dans la chimie dans notre pays, nous avons deux installations de calibre mondial dont l'exploitation commerciale débutera en 2023. Ce sont de bonnes nouvelles du côté des entreprises en démarrage, mais aussi, au cours des 18 derniers mois, plus de 15 grands projets ont été annoncés dans notre secteur, ce qui représente plus de 30 milliards de dollars en nouveaux investissements proposés. Ce qui est intéressant, c'est que chacun de ces investissements est prévu pour assurer la carboneutralité dès le début de l'exploitation.
Ces projets représentent en grande partie une réponse aux efforts très énergiques déployés par la province de Québec et la province de l'Alberta pour attirer les investissements.
Je dois toutefois souligner qu'il ne s'agit que de propositions. Il reste beaucoup de travail à faire pour les transformer en décisions d'investissement définitives et en infrastructures construites. Le principal message que je veux vous transmettre aujourd'hui, c'est que la loi américaine de 2022 sur la réduction de l’inflation des États-Unis change effectivement la donne, et je ne peux pas imaginer qu'il n'y a pas un seul de ces projets qui ne sera pas réévalué au chapitre de la diligence raisonnable pour déterminer comment l'analyse de rentabilité canadienne correspond à la nouvelle analyse de rentabilité dans le cadre de la loi américaine de 2022 sur la réduction de l’inflation des États-Unis.
Le deuxième point que je tiens à souligner, c'est que ce ne sont pas seulement ces nouveaux investissements qui sont en jeu. En effet, dans le cadre de la transformation de notre secteur, nous avons des infrastructures chimiques construites qui représentent de 200 à 300 milliards de dollars au Canada, et pour atteindre la carboneutralité, nous devrons reconstituer en capital chaque cent de ces infrastructures au cours des trois prochaines décennies. Il sera toutefois impossible d'y arriver sans améliorer les conditions d'investissement au Canada.
Il ne fait aucun doute que la loi américaine de 2022 sur la réduction de l’inflation contient des incitatifs à long terme. Elle couvre les cinq voies offertes pour décarboniser le secteur de la chimie. Ces cinq voies offrent toutes diverses mesures incitatives, et elles peuvent être cumulées. Elles s'ajoutent aux avantages importants qui sont déjà offerts par les États et le gouvernement fédéral, et cela comprend des déductions pour amortissement accéléré qui, contrairement au Canada, ne vont pas commencer à disparaître en 2023.
Au bout du compte, j'aimerais faire valoir que la valeur réelle des incitatifs offerts par la loi américaine de 2022 sur la réduction de l’inflation et le plus grand défi auquel fait face le Canada sont la transparence et la certitude offertes aux investisseurs. Je sais que vous avez beaucoup entendu parler de la carotte et du bâton, mais si vous me permettez une analogie inspirée par la période des Fêtes, je dirais que toutes les industries du Canada sont sur la liste des enfants qui n'ont pas été sages. Nous payons un prix très élevé pour le carbone, et ce prix augmente constamment.
Les quelques chanceux qui se retrouvent sur la liste des « enfants qui ont été sages » ont un accès trié sur le volet aux subventions fédérales, aux incitatifs fiscaux, aux prêts et à d'autres incitatifs visant à favoriser la décarbonisation. Toutefois, il y a un problème. En effet, les critères qui permettent d'avoir son nom sur cette liste ne sont pas transparents, ils ne sont pas clairs et ils ne sont pas accessibles à tous. Cela signifie qu'on ne peut pas les intégrer dans une analyse de rentabilité, ce qui désavantage le Canada.
En revanche, aux États-Unis, aucune industrie ou entreprise ne figure sur une liste des enfants qui n'ont pas été sages, car tout le monde est sur la liste des enfants qui ont été sages. Tout le monde peut prendre connaissance de la loi américaine de 2022 sur la réduction de l’inflation et intégrer les incitatifs très réels, très concrets et très accessibles qu'elle offre dans ses analyses de rentabilité pour les projets de décarbonisation industrielle proposés.
Si le temps le permet, j'aimerais vous communiquer d'autres détails qui permettent d'établir des comparaisons entre l'indice actuel d'attraction des investissements pour la décarbonisation du secteur de la chimie aux États-Unis et celui du Canada.
Je vous remercie encore une fois de m'avoir donné cette occasion.
:
Merci, madame la présidente, et merci aux membres du Comité de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui.
Je m'appelle Derek Eaton. Je suis directeur principal, Recherche et sensibilisation en politiques publiques, à l'Institut pour l'IntelliProspérité, laboratoire d'idées axé sur l'économie dont les quartiers se trouvent à l'Université d'Ottawa.
Je tiens à reconnaître que j'habite dans le territoire traditionnel et ancestral non cédé des Mississaugas de Credit, des Anishinabes, des Chippewas, des Haudenosaunees et des Wendats. Mon organisme reconnaît le caractère unique et durable de la relation entre les peuples autochtones et leurs territoires traditionnels partout dans le monde.
La Inflation Reduction Act renferme des avantages pour les entreprises canadiennes, car elle procure plus de certitude concernant la stratégie économique de décarbonation de la plus grande économie en Amérique du Nord. Le train de mesures prévu dans la loi survivra aux changements politiques aux États-Unis, car il fait partie de ce qu'on appelle, dans le vocable politico-économique, le « nouveau programme productiviste », qui mise principalement sur les emplois payants et les possibilités de croissance inclusives et diversifiées dans différentes régions aux États-Unis.
Avec cette loi adoptée aux États-Unis, le Canada n'a plus le choix de déterminer sa position économique dans la transition vers la carboneutralité. S'il ne le fait pas, le Canada ne sera pas considéré comme une option attrayante pour les investisseurs. Il pourrait voir également des entreprises et des emplois se déplacer vers les États-Unis.
Petite économie fortement imbriquée dans celle de nos voisins du Sud, le Canada ne peut pas continuer à assister passivement à sa transition économique. Certes, le gouvernement a instauré une série de mesures incitatives et de mécanismes de financement pour encourager les investissements dans les énergies et les technologies propres, dont le dernier en date est le Fonds de croissance du Canada.
Toutefois, l'approche préconisée est de laisser les forces du marché déterminer où se trouvent les meilleures possibilités de financement. Le problème avec cette approche, c'est qu'elle occulte les leçons du passé sur l'émergence de nouvelles grappes économiques et leur concentration dans des domaines technologiques novateurs.
La coordination des possibilités d'investissement au niveau local et régional, du premier au dernier maillon de la chaîne de valeur, est primordiale et nécessite l'adoption d'une démarche stratégique qui permettra de repérer les séries de projets. Les politiques industrielles modernes sont centrées sur cette coordination, élément difficile à mettre en place, mais recherché par nos principaux partenaires commerciaux. Ces politiques se distinguent des anciennes méthodes consistant à octroyer des subventions gouvernementales aux entreprises plutôt que d'appuyer la croissance des écosystèmes industriels.
Les travaux effectués à l'Institut pour l'IntelliProspérité et au groupe Accélérateur de transition et ailleurs, notamment à l'Institut climatique du Canada et à la RBC, ont permis de relever un grand nombre de domaines à fort potentiel au Canada dans le cadre de la transition vers la carboneutralité. Je pense aux véhicules électriques et à la chaîne d'approvisionnement de batteries, aux techniques de séquestration, d'utilisation et de stockage du carbone, aux biocarburants — surtout aux carburants durables d'avions —, à l'hydrogène, aux protéines alternatives, au bois massif, aux minéraux critiques et aux techniques agroalimentaires. Ces domaines de croissance pourraient transformer les industries traditionnelles canadiennes que sont le secteur pétrolier et gazier, la foresterie, les mines, l'aérospatial, l'agriculture et le secteur de l'automobile en écosystèmes de solutions climatiques de classe mondiale.
Comment le Canada peut‑il répondre de manière plus stratégique à la loi américaine sur la réduction de l'inflation? Il pourrait le faire en instaurant deux mesures simples.
Premièrement, il faudrait établir des cibles économiques claires et audacieuses qui orienteraient la stratégie vers les domaines prioritaires à fort potentiel. Le Canada devrait créer des objectifs de carboneutralité concurrentiels. Le terme « objectifs » s'entend des cibles économiques quantitatives atteignables par des mesures concrètes telles que l'amélioration, la production et le déploiement de technologies. Ensuite, le terme « carboneutralité » veut dire que la stratégie serait indexée aux exigences du gouvernement et à ses cibles de carboneutralité. Enfin, l'adjectif « concurrentiels » renvoie à la vision que nous avons de la place du Canada à l'intérieur des chaînes d'approvisionnement mondiales de 2030, et par extension, dans celles de 2050.
Ces cibles doivent être soutenues par une stratégie de chaîne d'approvisionnement claire qui permettra de bâtir une valeur économique au Canada et de repérer les possibilités d'exportation. Les cibles devraient être utilisées pour diriger les fonds publics et guider l'élaboration de politiques au niveau sectoriel.
Deuxièmement, il faudrait créer des partenariats inclusifs afin de renforcer la collaboration stratégique. Le Canada a besoin de nouvelles formes de collaboration entre les Premières Nations, le gouvernement, l'industrie, le monde de la finance, le milieu universitaire et la société civile. Au lieu de favoriser les discussions stériles, les forums collaboratifs doivent se muer en groupes de travail axés sur l'action, capables d'établir et de réviser les cibles, de mettre sur pied des stratégies, de lancer des projets et de repérer des investissements hyper prioritaires.
Les agents et les intermédiaires indépendants jouent un rôle crucial dans le processus de collaboration. Il est important de faire entendre ces voix indépendantes, qui peuvent fournir une expertise et contribuer au développement des projets. Ainsi, un organisme indépendant pourrait travailler au gouvernement, pourvu qu'il demeure non partisan et qu'il soit exempt des lourdeurs bureaucratiques. Il pourrait y avoir également une contribution de la société civile, ou la mise sur pied de partenariats ou d'organisations public-privé pour catalyser la collaboration stratégique pour la carboneutralité.
Je vous remercie de m'avoir invité. Je vais répondre avec plaisir à vos questions.
:
Si vous êtes sur la liste noire, vous n'obtiendrez pas le crédit. Quels sont les critères? Voilà le deuxième point.
L'électrification est un autre exemple d'investissement prévu dans l'IRA. Il y a beaucoup d'informations sur cette source d'énergie. Notre secteur offre une foule de possibilités, telles que les petits réacteurs nucléaires, les installations solaires ou le stockage de piles. Il y a des propositions de stockage de piles au Canada. Il y a des propositions de production d'énergie solaire dans notre secteur. Ces propositions sont toutes décrites de façon très transparente, je le répète, dans la l'IRA.
Je pourrais continuer, mais je pense que vous comprenez mon point. Le message principal que je veux transmettre aujourd'hui, c'est que notre industrie a ce qu'il faut pour aller chercher du soutien afin de contribuer à accélérer la décarbonation dans son secteur. Par contre, au niveau fédéral, ce soutien est une véritable boîte noire. S'il n'offre aucune transparence, le gouvernement doit comprendre que les investisseurs ne peuvent pas intégrer les mesures dans une analyse de rentabilisation. Les crédits conditionnels à l'approbation du ministre ne valent rien tant que l'approbation n'est pas donnée. Voilà la pierre d'achoppement.
:
J'ai parlé de deux projets qui vont amorcer leur phase de production commerciale en 2023, mais dont la phase de construction a commencé en 2014 et en 2015. La construction d'une installation de 5, 7 ou 10 milliards de dollars dans le domaine de la chimie est une activité qui s'étend sur une période de 5 à 7 ans. Voilà pourquoi nous avons demandé que la déduction pour amortissement accéléré, qui figurait dans l'énoncé économique de 2018, soit incluse, ce qui a été fait. Toutefois, cette mesure sera abandonnée progressivement en 2023.
Au ministère des Finances, qui a affirmé ne pas avoir perçu d'intérêt de la part de l'industrie, je répondrais que pendant la pandémie de COVID, personne n'investissait. Or, les 12 à 15 projets proposés dans notre secteur actuellement vous mettent dans une drôle de position. Les mêmes propositions aux États-Unis obtiendraient la déduction pour amortissement accéléré pour toute la période de construction de cinq à sept ans. Au Canada, même si vous plantiez la première pelletée de terre et achetiez des matériaux demain, comme le programme commencera à se détériorer en 2023, vous ne pourriez pas en retirer le plein avantage.
Vu l'interruption causée par la COVID, nous pensons que cet outil — qui était par ailleurs une bonne idée — devrait être repensé et prolongé pendant un autre cycle de capitalisation de 10 ans, surtout parce qu'il a déjà été instauré aux États-Unis.
Je veux d'abord remercier tous les témoins d'avoir accepté de comparaître aujourd'hui.
Je vais commencer avec Mme Vera‑Perez.
Vous avez parlé de certains des investissements importants prévus dans l'énoncé économique de l'automne. Vous avez parlé du crédit d’impôt à l’investissement dans les technologies propres et du crédit d’impôt de 40 % sur les technologies axées sur l’hydrogène. J'aimerais que vous étayiez cela un peu, mais dans le contexte de la récente visite au Canada du chancelier allemand Olaf Scholz.
Étant donné les besoins en sécurité de l'Allemagne et d'autres alliés, nous avons, comme vous le savez, signé une entente d'environ 2,6 milliards de dollars qui prévoit que nous fournirons de l'énergie à base d'hydrogène aux Allemands. Pourriez-vous dire quelque chose sur cette entente et sur la possibilité d'autres ententes du même type dans la perspective de la mise en œuvre des crédits d'impôt?
:
Merci beaucoup. Je suis ravie de vous rencontrer. J'habite dans votre circonscription.
D'abord, concernant les investissements décrits dans l'énoncé économique de l'automne, les nouvelles sont bonnes en général. Un bon premier pas a été fait, mais ce n'est qu'un premier pas.
En ce moment, le sujet de nombreuses conversations et des consultations est la nécessité d'obtenir un crédit d'impôt à l'investissement pleinement fonctionnel pourvu de modalités claires. On me demande souvent qui est admissible et quelle est la période d'admissibilité. Par exemple, un projet amorcé il y a 12 mois serait‑il admissible? Comme nous ne voulons pas que les gens proactifs soient pénalisés, nous espérons que la réponse est oui.
Les membres me posent aussi d'autres questions. Ils veulent connaître quels sont les délais d'examen et à quel moment le crédit d'impôt à l'investissement est remboursé. Si l'échéance est à la fin de l'année fiscale, suivie d'un délai de 6 mois pour l'examen, nous parlons alors de 18 mois. Dix-huit mois, c'est long pour une PME.
Que fait‑on des autres produits? Comment les entreprises peuvent-elles faire le pont si elles doivent attendre 18 mois? Que peut‑on inclure? En quoi consiste le coût en capital? Dans un projet d'électrolytique, par exemple, tous les éléments sont-ils inclus ou seulement l'électrolyseur?
Il y a un très grand nombre de questions. Certains membres ont demandé s'ils pouvaient voir des exemples, ce que fait très bien l'IRA. Ils souhaiteraient avoir un tableau très simple qui indiquerait où ils se situent par rapport aux cibles d'empreinte de carbone attendues — les kilogrammes d'équivalent de CO2 par kilogramme d'hydrogène produit — pour leur projet. Le tableau indiquerait où ils se situent et ce à quoi ils peuvent s'attendre en tenant compte des conditions d'emploi actuelles et d'autres facteurs. Ils pourraient ensuite montrer ces données aux investisseurs.
J'ai mentionné ces points dans ma déclaration liminaire.
À Stephenville, vous avez demandé quelles étaient les possibilités d'exportation. J'étais à Stephenville ce jour‑là. Il y avait beaucoup d'excitation et d'intérêt. Une fois revenue à la maison, j'ai commencé à réfléchir. Je trouvais audacieux l'horizon 2025, mais je me demandais ce que nous devions faire pour le respecter. L'ingénieure en moi a commencé à penser en fonction du diagramme de Gantt: que doit‑il arriver aujourd'hui pour que nous progressions le plus vite possible? Nous devons développer les volets de l'énergie renouvelable, de l'éolien et de l'hydrogène des projets. Nous devons démarrer les travaux, mais nous devons obtenir bien en amont toutes les approbations réglementaires nécessaires.
Je réfléchis à ce qui pourrait être fait en parallèle. Je me demande comment nous pourrions accélérer les choses sans tourner les coins ronds pour en arriver au jour où nous amorcerons les travaux pour ensuite développer notre projet en entier. L'idée d'exporter de l'hydrogène tient la route, mais il y a aussi l'idée d'utiliser l'hydrogène au pays. Comme nous avons établi une cible de réduction des émissions de 40 % à 45 % d'ici à 2035 et que nous voulons atteindre la carboneutralité d'ici à 2050...
Vous avez raison de remarquer que je n'ai pas mentionné le nucléaire ni les petits réacteurs modulaires dans la liste des huit principaux domaines de possibilités. Cette liste est fondée sur le travail que nous avons effectué, mais comme je l'ai dit, il y en a d'autres, comme celles de l'Institut climatique et de RBC.
Je voudrais juste dire qu'il n'y a pas nécessairement un large consensus sur le rôle que pourraient jouer les petits réacteurs modulaires dans la transition. Il existe, selon moi, des preuves incontestables de débouchés particuliers comme pour le type de situation dont vous parlez, c'est‑à‑dire, pour des communautés éloignées ou dans le Grand Nord, et la compétitivité peut jouer. Notre liste, celle des huit possibilités que j'ai énumérées, fait en réalité référence à des domaines dans lesquels nous pouvons espérer une croissance de nouvelles grappes économiques à valeur ajoutée avec, dans l'idéal, des possibilités d'exportation.
Effectivement, beaucoup de gens sont très optimistes par rapport aux petits réacteurs modulaires, mais il reste quelques points d'interrogation, notamment à propos des échéances et de son importance en tant que secteur industriel, si vous voulez. Elle se situe peut-être au deuxième palier, si vous voulez.
:
Je vous remercie, madame la présidente.
Bonjour, chers collègues.
Je remercie tous les témoins de leurs allocutions fort intéressantes.
On s'entend que la mondialisation telle qu'on la connaissait n'existe plus. Le protectionnisme est indéniablement revenu à la mode. Cela se fait parfois de manière irrationnelle: si un président américain se lève du mauvais pied, il peut déclencher une guerre commerciale. Parfois, c'est fait de manière plus structurée, comme nous le voyons dans le cas de certains investissements dans des secteurs précis.
Un indicateur intéressant est le pourcentage du produit intérieur brut qui est investi dans les politiques industrielles. Certains pays sont déjà en train d'investir dans certains secteurs clés de leur économie. Dans les prochaines années, ces pays vont rester en avance par rapport aux autres.
Dans ce contexte, deux solutions assez générales pourraient être appliquées. La première consisterait à négocier un changement à la loi, qui inclurait le Canada dans le giron protectionniste américain. Par exemple, nous pourrions exclure les produits verts de la loi américaine, comme c'est le cas avec la Build Back Better Act.
La seconde solution, comme plusieurs témoins l'ont mentionné, consisterait à éviter de tirer de l'arrière, en instaurant au Canada et au Québec — tant que ce dernier fera partie du premier — des politiques publiques qui permettent à nos secteurs clés, les secteurs névralgiques, de rester concurrentiels.
Madame Dufour, des milliards de dollars sont injectés dans l'économie américaine, tout comme dans l'économie chinoise et, dans une moindre mesure, mais tout de même de façon considérable, dans l'économie de plusieurs pays européens.
Dans ce contexte, comment le Canada peut-il demeurer concurrentiel?
:
Je vous remercie de cette question.
Je pense qu'il y a de nombreuses solutions et les autres témoins en ont apporté. Il faut des investissements intelligents et stratégiques. À titre de juriste, je dirais qu'il faut aussi revoir certains de nos cadres normatifs. Le Canada est en retard sur le plan du devoir de vigilance.
Voulons-nous que nos entreprises soient concurrentielles sur les marchés internationaux? Voulons-nous qu'elles puissent exporter leurs produits en Europe, au Japon, en Amérique du Nord, ou partout dans le monde où certains pays ont adopté des lois extrêmement contraignantes ou sont en voie de le faire, comme le Mexique?
Ces lois, qui visent parfois seulement les multinationales ou les entreprises qui ont un revenu très élevé, obligent les entreprises à être vigilantes à toutes les étapes de leur chaîne de production et à divers niveaux, notamment en regard des normes environnementales et des droits de la personne. Cela pousse ces entreprises à se moderniser et à devenir beaucoup plus concurrentielles. Elles produisent de façon plus verte, plus durable et plus responsable, et peuvent ensuite exporter vers d'autres pays où les lois sont très contraignantes.
Je dirais que le Canada est en retard parce que, de façon générale, nous n'avons aucune loi de vigilance. Oui, nous sommes en train de penser à adopter une loi pour interdire l'importation de produits fabriqués dans des conditions de travail forcé et d'esclavage moderne, mais nous sommes déjà très en retard. Nous devrions donc moderniser notre cadre juridique canadien pour obliger nos entreprises à être vigilantes à toutes les étapes de leur chaîne de production.
Par contre, cela doit s'accompagner d'une modernisation de notre cadre d'attribution des marchés publics, pour obliger nos organismes publics à acheter de façon plus durable et responsable lorsqu'ils se procurent des produits et services et lorsqu'ils lancent de gros appels d'offres pour de grands projets d'infrastructure.
Si nous modifiions ces deux cadres normatifs, nous pourrions restructurer notre marché, rendre nos entreprises beaucoup plus concurrentielles et leur permettre de répondre à des appels d'offres à l'étranger et, ce faisant, stimuler leur croissance.
Je vais continuer dans la même veine, pour mes questions.
Mme Dufour a déclaré que l'Inflation Reduction Act — l'IRA — était illégale. Je suppose que de s'engager dans cette voie et de contester cette loi n'est pas dans l'intérêt du Canada. Dans ma circonscription, cela fait maintenant 30 ans que nous menons la bataille du bois d'œuvre et les Américains nous poursuivent et nous traînent devant les tribunaux et les cours de justice pour cela. Nous gagnons chaque fois, mais c'est encore très dévastateur pour notre industrie forestière. Je suppose que ce ne serait pas la meilleure tactique pour le Canada que de combattre cette loi par l'entremise de l'ACEUM ou quelque chose du genre, mais vous parlez de l'OMC.
Brièvement, quels seraient les recours possibles pour le Canada? Nous aideraient-ils, dans la mesure où l'IRA privilégie le Canada par rapport aux autres pays?
:
Je vous remercie de votre question, monsieur Cannings.
J'ai l'impression que le Canada ne doit pas réagir devant les organes de règlement des différends de l'Accord Canada—États‑Unis—Mexique et de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC. Les négociations entourant la dernière version de la loi ont été très profitables pour le Canada. Pour l'instant, nous sommes privilégiés par rapport aux autres pays du monde.
Comme je l'ai dit tantôt, je crains cependant que d'autres pays contestent cette loi devant l'organe de règlement des différends de l'OMC. Les résultats d'une telle démarche seraient toutefois probablement très incertains, compte tenu du fait que cet organe est paralysé à cause des États‑Unis, qui refusent de nommer de nouveaux juges. Je ne vois pas non plus l'intérêt du Canada de saisir le juge de l'ACEUM de ce qui a trait à la loi. Donc, le danger viendrait probablement des Européens ou des Chinois, qui pourraient déposer une plainte devant l'organe de règlement des différends de l'OMC, quoique la portée en serait assez mitigée en raison du fait que la décision pourrait ne jamais être mise en œuvre.
Il n'en demeure pas moins que les gens qui ont travaillé à l'élaboration de cette loi aux États‑Unis sont très compétents et qu'ils sont bien au fait que cette loi est illicite au regard des règles du commerce international. Depuis des décennies, notre système commercial multilatéral est fait de telle sorte qu'un pays peut décider d'aller à l'encontre du droit et de simplement en assumer les conséquences, par exemple en payant des taxes ou des compensations. C'est d'ailleurs ce que nous pourrions faire si les Américains étaient de bonne foi. Je ne sous-entends pas ici qu'ils sont de mauvaise foi. Cela dit, nous pourrions nous diriger dans cette voie dans le cadre de négociations commerciales multilatérales, durant lesquelles les Américains diront que leur priorité est de continuer d'appliquer cette loi même si elle est illicite, et qu'ils offriront des compensations.
Je voudrais m'adresser à M. Eaton.
Monsieur Eaton, vers la fin de votre exposé, vous avez parlé du besoin de partenariats inclusifs. Vous avez dit que nous devions agir rapidement et en collaboration, et que nous devons créer des groupes de travail.
Dans d'autres comités, j'ai entendu parler de l'importance des questions de données et de propriété intellectuelle lorsqu'on agit rapidement. Dans d'autres comités, j'ai entendu dire que les sociétés d'État avaient besoin de rassembler des groupes pour ce faire. Avez-vous des observations brèves à faire sur ce à quoi ressemblerait la structure de ces partenariats de collaboration et sur ce que nous devons faire?
:
À quoi ressembleraient ces partenariats? Je crois qu'on pourrait tirer certaines leçons de notre histoire récente avec le Conseil sur la stratégie industrielle et les Tables de stratégies économiques. Ils ont très bien commencé, mais ils ne se sont pas rendus au niveau de détail suivant, soit préciser et élaborer des plans et des feuilles de route.
À l'Institut d'IntelliProspérité, nous avons esquissé, avec nos collaborateurs et l'Accélérateur de transition, une proposition visant à établir ces partenariats de collaboration sous la direction du gouvernement fédéral. Selon nous, une façon de procéder serait de confier à un ministère principal la tâche d'atteindre un but de compétitivité clair — l'un des domaines dont j'ai parlé — et celle de créer une stratégie de secteur et une feuille de route, mais celles‑ci sont ensuite mises en place concrètement sous forme de partenariats faisant intervenir des entreprises, des parties prenantes, des finances et des Premières Nations pour élaborer une stratégie menant à la sélection de projets prioritaires et de soutiens de politiques prioritaires.
Ces types de tables, si vous voulez les appeler ainsi, pourraient être la table de compétitivité de l'hydrogène, la table de compétitivité des véhicules électriques et de la chaîne d'approvisionnement de piles et on leur demanderait périodiquement de faire des recommandations sur trois choses, à savoir l'efficacité des objectifs et des stratégies actuels, la définition de l'assortiment des politiques nécessaires à l'atteinte de ces objectifs et l'établissement des investissements et des projets prioritaires pour ce secteur.
Dans l'idéal, vous auriez des sortes de groupes de travail qui surveilleraient le travail de ces différentes tables. Ce pourrait être sous les auspices du BPM ou du BCP, parce qu'il est important de définir les interdépendances, les liens entre tous ces secteurs et ils...
:
Merci, madame la présidente.
Je poursuis dans la même veine que tout à l'heure.
Monsieur Masterson, votre témoignage était très intéressant. Vous avez mentionné l'aide que donnent certaines provinces, comme le Québec et l'Alberta, pour attirer les entreprises étrangères et être plus compétitives.
Du côté du gouvernement du Canada, qu'est-ce qui pourrait être fait dans la version actuelle de la loi américaine de 2022 sur la réduction de l'inflation? D'après vous, quelle pourrait être la position du gouvernement pour améliorer ou tenter d'améliorer cette loi du point de vue des entreprises canadiennes?
:
Très bien. Je vous remercie de la question.
Essayons d'abord de comprendre pourquoi nous en sommes là aujourd'hui. L'IRA est l'instrument de politique publique le plus audacieux jamais adopté dans le monde pour décarboniser une grande puissance économique. Nous en parlons ici, parce que nous savons qu'elle va marcher.
Qu'ont-ils fait? Ils ont déchaîné les forces du capital privé pour arriver au bien public, qui est la décarbonisation. Nous sommes en train — et je m'en excuse auprès de mes collègues — de parler de stratégies, de plans et de tables. Les stratégies, plans et tables ne décarbonisent rien. Les investissements décarbonisent. Il faut revenir à cela.
Je crois que nous devons en finir avec l'automutilation. Nous avons tous ces débats. Est‑ce l'hydrogène bleu? Est‑ce l'hydrogène vert? Vous savez quoi — dans l'IRA, les deux sont importants. C'est un niveau d'incitation différent, il y en a un pour le vert, et il est très élevé, et il y en a un autre pour le bleu, et cela le rend toujours concurrentiel en matière de coûts.
Au Canada, nous débattons. Pourquoi n'avons-nous pas de crédit d'impôt pour investissement dans la captation et le stockage du carbone? C'est parce qu'il y a de nombreux détracteurs qui pensent que ce n'est pas une bonne idée, pourtant nous sommes l'un des 10 premiers producteurs de produits chimiques dans le monde. C'est l'une de nos solutions les plus faciles pour arriver à décarboniser notre secteur.
Nous devons agir. Le temps de l'étude, des tables, des plans et des cadres est terminé, comme on nous le dit en Égypte depuis les deux dernières semaines. C'est le moment d'investir, et d'investir rapidement et c'est ce que le Canada doit faire. Nous en parlons parce que les Américains le font incroyablement vite.
:
Je vous remercie de votre question.
La question des ajustements à la frontière pour le carbone est des plus pertinentes en ce moment quand on pense à la décarbonisation et au commerce international. On sait que l'Union européenne va instaurer de tels ajustements dans les prochains mois, bien que cela risque d'être retardé, et que nos entreprises qui exporteront en Europe devront alors payer des surtaxes lorsque certains de leurs produits, par exemple l'aluminium, l'acier, l'engrais et le ciment, entreront sur le territoire européen.
Il faut que nous réfléchissions à notre tarification du carbone. Nous sommes un peu coincés entre l'Europe, qui a un prix sur le carbone très élevé, et les États-Unis, notre autre grand partenaire commercial, qui n'a pas vraiment de prix sur le carbone à l'échelle fédérale et qui ne pense pas adopter d'ajustements à la frontière pour le carbone.
Il faudra se poser toutes ces questions au Canada. Une consultation a été menée à cet effet il y a un an. Il faut aussi rester très à l'affût de ce qui va se passer devant l'Organisation mondiale du commerce. On sait que la question des ajustements à la frontière pour le carbone provoquera probablement la prochaine guerre commerciale.
:
Je pense qu'ils seraient extrêmement complexes, et d'ici à ce que nous ayons compris comment les mettre en place, ce sera trop dommageable.
Soyons clairs: notre secteur n'est pas contre la tarification du carbone. Les propositions dont j'ai parlé ont toutes été présentées même si la tarification du carbone atteindra 170 $ la tonne au cours des 10 prochaines années.
C'est un incitatif important, mais nous devons nous demander ce que nous ferons avec les revenus. S'ils sont simplement pris dans les secteurs productifs et mis de côté pour d'autres raisons, et que nous ne remettons pas les choses en place comme le fait la loi américaine de réduction de l'inflation, nous aurons alors un grave problème.
Cela peut effectivement favoriser le type d'activités que nous voulons voir, mais nous devons encore réfléchir à ce que coûtera le capital au bout du compte ainsi qu'au maintien d'un climat concurrentiel pour attirer ces investissements.
:
Merci, madame la présidente.
Je remercie les témoins de comparaître aujourd'hui.
Ma première question est pour Mme Dufour, par l'entremise de la présidence.
Madame Dufour, merci d'avoir expliqué l'illégalité de la loi américaine de réduction de l'inflation.
Vous avez soulevé trois points que je trouve très intéressants: la violation du principe du traitement national, la violation du statut de nation la plus favorisée en vertu du GATT et la violation de l'Accord sur les subventions et les mesures compensatoires.
Vous êtes certainement au courant de l'affaire concernant les tarifs de rachat garantis qui a été entendue par l'organisme de règlement des différends. On a invoqué une exception en vertu, je crois, de l'article 8 de l'Accord sur les subventions et les mesures compensatoires. L'exception était qu'il y avait une nouvelle industrie, ce qui n'est pas considéré comme une violation du statut de nation la plus favorisée en vertu du GATT.
Pensez-vous que les États-Unis pourraient invoquer cette exception et peut-être même faire en sorte que les changements climatiques soient considérés comme un bien public d'intérêt national? Comme il s'agira de nouvelles industries, pensez-vous que cette exception serait valable?
:
Je vous remercie de votre question, très technique, et je ne suis pas certaine d'avoir déjà pensé à tout ce que vous venez d'évoquer.
Cela dit, j'ai lu beaucoup de commentaires d'experts depuis le mois d'août et personne n'a fait ce genre de commentaire. Il est difficile de répondre à votre question, mais, a priori, je n'ai pas l'impression qu'on pourrait invoquer cette justification.
En toute franchise, il est assez difficile pour les Américains de justifier leur loi. Plus tôt, je ne vous ai pas présenté un avis juridique en bonne et due forme, car je me suis bornée à des commentaires plus généraux. La loi américaine de 2022 sur la réduction de l'inflation contient plusieurs mesures, mais cela ne veut pas dire que chacune de ces mesures correspond à une violation que j'ai évoquée. Il faut vraiment tout décortiquer dans le détail.
Les experts dont j'ai lu les commentaires ou à qui j'ai parlé sont assez catégoriques: il s'agit vraiment d'une loi qui contrevient aux principes de base du commerce international et pour laquelle très peu de justifications pourraient être invoquées. Il serait certainement possible d'évoquer la sécurité nationale en ce qui concerne les pays préoccupants, mais la sécurité nationale ne pourrait probablement pas justifier l'ensemble des mesures qui sont contenues dans la loi.
:
Tout à fait. Permettez-moi de vous donner un exemple.
L'Alberta a un important secteur de fabrication de produits chimiques qui n'a reçu aucun nouvel investissement depuis plus de 20 ans. Le gouvernement du NPD a créé des crédits d'impôt d'une valeur de 500 millions de dollars. C'était un processus concurrentiel. Il a choisi deux candidats qui proposaient d'investir plus de 7 millions de dollars, mais là où le bât blesse, c'est qu'il y en avait 26 et qu'il a dû refuser plus de 40 milliards de dollars en investissements puisqu'il devait choisir des gagnants et des perdants.
En Alberta, le gouvernement a fini par adopter l'approche américaine axée sur l'État, qui revient à dire: « Voici les critères, et si vous les remplissez, vous aurez droit aux mesures incitatives. »
En Alberta, notre secteur y a maintenant droit, lorsqu'on a le bon investissement, soit de 12 à 15 % du coût en capital du projet. Je me retrouve maintenant soudainement devant vous pour vous dire que nous avons 15 projets d'une valeur de 30 à 40 milliards de dollars.
Cela illustre la différence entre dire que nous avons de l'argent et qu'on peut donc présenter une demande, qui sera acceptée ou non selon le gouvernement en place et si l'on n'est pas sur la liste des méchants, même si on ne connaît pas les critères pour savoir si on peut gagner ou non, et dire, comme aux États-Unis, que tout le monde peut participer et qu'on veut les capitaux.
C'est très clair.
Je pense que les secteurs qui présentent selon nous le meilleur potentiel de croissance propre dans une transition vers la carboneutralité sont ceux que j'ai mentionnés au début: les véhicules électriques et la chaîne d'approvisionnement en batteries; le captage, l'utilisation et le stockage du carbone en tant que secteur ou technologie; les biocarburants, notamment les carburants d'aviation durables; l'hydrogène; les autres sources de protéine et les protéines végétales; le bois massif et les produits forestiers connexes; les minéraux essentiels, encore une fois pour ce qui est de la chaîne d'approvisionnement en batteries; et les technologies agricoles.
Ce sont des domaines où la décarbonisation nécessite énormément d'innovation. Dans certains cas, c'est beaucoup plus avancé, et nous le savons, par exemple pour l'hydrogène, comme nous l'avons entendu aujourd'hui. Dans certains de ces autres domaines, il faudra en faire beaucoup plus sur le plan de la recherche et de l'innovation.
Je souscris à ce que certains des autres témoins disent: nous avons besoin d'investissements. Nous voyons que la loi américaine sur la réduction de l'inflation prévoit des incitatifs plus évidents que ce que nous avons au Canada. Certains de ces secteurs, surtout sur le plan des investissements pour s'engager dans ces voies innovatrices, ont besoin d'une certaine coordination.
Nous pouvons réfléchir à l'enveloppe globale d'investissements dont nous parlons. Le chiffre qui a été donné plus tôt au cours de la séance, par exemple, et que la RBC a estimé était de 2 billions de dollars en tout, ou de 80 millions de dollars par année. À vrai dire, le capital se fait rare. Nous devons adopter une approche stratégique pour que ces possibilités de croissance, plus particulièrement... Nous sommes inquiets par rapport aux possibilités de croissance puisque, à l'heure actuelle, 20 % de nos biens et de nos services exportés proviennent du secteur pétrolier et gazier. Au cours des 20 à 30 prochaines années, nous pouvons probablement nous attendre à ce que la valeur de ces exportations diminue. À quel endroit la valeur va‑t‑elle augmenter dans nos autres secteurs?
C'est la raison pour laquelle nous nous penchons sur ces nouvelles possibilités novatrices et écologiques pour soutenir la concurrence.
:
L'énoncé économique de l'automne procure un peu plus de clarté sur certains éléments, en particulier le Fonds de croissance du Canada, qui est un outil important de notre politique industrielle de carboneutralité, bien qu'il y ait encore des questions sans réponse. C'est peut-être l'aspect le plus encourageant de l'énoncé économique de l'automne.
Je dirais que certaines de nos annonces concernant nos crédits d'impôt sont peut-être encourageantes, mais nous n'offrons pas la certitude voulue relativement aux modalités de ces outils et aux mécanismes utilisés. Je peux donner l'exemple de l'hydrogène. Offrons-nous des crédits d'impôt qui s'appuient sur les investissements globaux, ou offrons-nous, comme aux États-Unis, des crédits d'impôt en fonction de chaque kilogramme d'hydrogène produit?
Il y a des signes encourageants, mais je crois que je vais souligner que même pour ce qui est du Fonds de croissance du Canada, notre crainte est de créer un éventail d'instruments de financement, du Fonds stratégique pour l'innovation à l'initiative Accélérateur net zéro, sans oublier le Fonds de croissance du Canada, qui sont mis sur pied sans tenir compte les uns des autres. Il y a certains obstacles, plus particulièrement lorsqu'il s'agit des voies à emprunter pour investir à moyen terme, qui ne pourront pas être surmontés. Il sera trop difficile pour les participants au marché de trouver ces possibilités d'investissement, et d'avoir accès à ces différents mécanismes financiers et de les combiner. Même s'ils sont bien conçus en général, c'est leur aspect stratégique qui est important. Il faut cerner les possibilités stratégiques et veiller à ce que ces fonds en tiennent compte. Cela signifie qu'il ne faut pas se contenter d'adopter une approche passive et de seulement accepter les demandes.