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FAAE Rapport du Comité

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LA COOPÉRATION EN MATIÈRE DE DÉVELOPPEMENT POUR UN MONDE PLUS STABLE, PLUS INCLUSIF ET PLUS PROSPÈRE : UNE AMBITION COLLECTIVE

INTRODUCTION

Le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international (le Comité) a étudié la politique du gouvernement du Canada relative à la concentration de l’aide bilatérale au développement dans ce qu’on appelle les « pays ciblés ». Dans le cadre de ses travaux, le Comité a recueilli les témoignages de représentants d’Affaires mondiales Canada, du Centre de recherches pour le développement international, de plusieurs organisations non gouvernementales ainsi que d’universitaires et d’autres spécialistes. Le Comité a également reçu un certain nombre de mémoires qui ont éclairé son étude et le contenu du présent rapport.

Le moment était bien choisi pour entendre des points de vue sur le modèle des pays ciblés et, plus largement, sur le rôle du Canada dans le développement mondial. En effet, les audiences du Comité ont coïncidé avec le lancement, par la ministre du Développement international et de la Francophonie, le 18 mai 2016, d’un examen exhaustif de la politique du Canada en matière d’aide internationale[1] et de son cadre de financement. L’objectif de cet examen était de « repenser les politiques et les programmes d’aide internationale du Canada afin de mieux relever les défis que pose le nouveau contexte mondial et de saisir les occasions qu’il offre[2] ». Le Comité avait entrepris une étude des pays ciblés, mais il a finalement entendu des témoignages sur un éventail beaucoup plus vaste de questions concernant la politique canadienne de développement, autant de questions pertinentes dans le cadre de l’examen du gouvernement et de toute question ou nouvelle orientation susceptible d’en découler.

Le présent rapport explique d’abord l’origine de l’approche fondée sur les pays ciblés, puis examine les arguments pour et contre l’idée de cibler l’aide bilatérale dans un nombre limité de pays. Il résume ensuite les idées et les propositions qu’a entendues le Comité concernant les pays ciblés y compris d’autres approches possibles. Le rapport élargit ensuite le sujet pour présenter les observations plus vastes du Comité sur la politique canadienne de développement et le budget alloué à l’aide internationale, dans le contexte d’un monde en évolution rapide.

Il faut préciser, d’entrée de jeu, ce que n’est pas ce rapport. Ce dernier ne se veut pas un audit des nombreux projets en matière de développement mis en œuvre par le Canada dans les 25 pays ciblés. Le Comité veut examiner – sur le terrain – les résultats de l’aide canadienne au développement. Il a amorcé son travail dans le cadre de sa récente mission d’étude au Guatemala et en Colombie, dont les constatations seront décrites dans un rapport à venir. Le présent rapport évalue un principe stratégique et vérifie la croyance de longue date selon laquelle l’aide canadienne bilatérale au développement est plus efficace lorsque le gouvernement alloue une proportion importante des ressources disponibles à des projets dans un nombre limité de pays. Les décisions découlant d’un tel principe doivent s’appuyer sur des critères de sélection, dont la version actuelle a également été examinée par le Comité dans le cadre de l’élaboration de ce rapport.

CONCENTRATION DE L’AIDE : UN PRINCIPE RÉCURRENT

Le principe général de cibler l’aide bilatérale au développement du Canada n’est pas nouveau. Il est apparu pour la première fois en tant que considération politique dans les années 1960 au sein du gouvernement canadien. Dans les années qui ont suivi, les principes de concentration de l’aide et de sélectivité stratégique ont continué à gagner du terrain au Canada et ailleurs dans le monde. La Stratégie de coopération au développement international 1975‑1980 de ce qui était à l’époque l’Agence canadienne de développement international (ACDI), par exemple, promettait de prioriser « un nombre limité de pays sélectionnés selon les besoins, l’engagement pour le développement, les intérêts canadiens globaux et la répartition géographique de l’aide bilatérale des donateurs[3] ».

Néanmoins, en 2002, l’aide du Canada était considérée comme la plus dispersée de tous les pays membres du Comité d’aide au développement (CAD) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)[4]. L’ACDI a reconnu cette situation dans son Énoncé de politique en faveur d’une aide internationale plus efficace de 2002. Ce document soulignait que, même si l’ACDI « a toujours dit de son aide bilatérale qu’elle était axée sur 30 pays et régions de base », l’aide du Canada était en fait « très "éparpillée", offrant au moins une programmation bilatérale dans une centaine de pays[5] ». La portée de la programmation de l’ACDI dans chacun de ces pays était, par conséquent, relativement petite. Vers cette époque, les 15 pays bénéficiaires en tête de liste de la programmation canadienne d’aide recevaient 15,8 % de toute l’aide publique au développement (APD) du Canada[6].

Conformément à sa politique de 2002, l’ACDI s’est engagée à sélectionner « un nombre limité de pays parmi les plus pauvres de la planète en vue des partenariats renforcés[7] ». Un « premier groupe » de pays à faible revenu – seulement neuf – a ensuite été ciblé pour recevoir des ressources plus ciblées (voir annexe D)[8]. Deux autres pays – l’Afrique du Sud et le Nigeria – ont également été désignés comme pays « d’importance régionale » pour l’ACDI.

L’accent mis sur la concentration des ressources d’aide du Canada s’est poursuivi avec l’Énoncé de politique internationale de 2005, en vertu duquel le gouvernement s’engageait à mettre davantage l’accent « sur des programmes bilatéraux à long terme avec un groupe clé de [25] "partenaires du développement[9]" ». Ces pays englobaient les neuf pays bénéficiant d’un partenariat renforcé (voir annexe C).

En 2009, la ministre de la Coopération internationale a annoncé que le gouvernement du Canada concentrerait 80 % de son aide bilatérale dans 20 « pays ciblés » (voir annexe B). Les pays ont été choisis « en fonction de leurs besoins, de leur capacité à gérer des programmes de développement et de leur respect des priorités de la politique étrangère du Canada[10] ». Quelques mois plus tard, cinq « thèmes prioritaires » ont été annoncés pour orienter le programme d’aide publique au développement canadien : favoriser une croissance économique durable; assurer un avenir aux enfants et aux jeunes; accroître la sécurité alimentaire; promouvoir la démocratie; et promouvoir la sécurité et la stabilité[11].

En 2014, le gouvernement canadien a annoncé qu’il portait le nombre de pays ciblés de 20 à 25 (voir l’annexe A). Le gouvernement a également décidé de maintenir « un certain nombre de programmes bilatéraux de moindre envergure dans des pays qu’il considère comme des partenaires du développement[12] ». Par conséquent, le Canada met actuellement en œuvre des programmes bilatéraux dans 37 pays : les 25 pays ciblés et les 12 pays partenaires du développement[13]. La décision stratégique de 2014 a également eu pour effet d’accroître la part – en la faisant passer de 80 à 90 % – du budget total du Canada consacrée à l’aide bilatérale au développement qui serait ciblée dans les 25 pays[14]. Une telle concentration géographique ne s’applique ni aux programmes multilatéraux, ni aux partenariats conclus avec des organisations de la société civile, ni aux programmes de paix et de sécurité, ni à l’aide humanitaire[15].

LA RAISON D’ÊTRE DES PAYS CIBLÉS : UNE QUESTION DE LOGIQUE ET DE DONNÉES PROBANTES

La politique des gouvernements successifs de concentrer l’aide bilatérale au développement du Canada dans certains pays découle en grande partie de l’idée que l’aide est ainsi plus efficace. Cet argument a l’appui de l’OCDE-CAD. Dans son examen par les pairs qu’il a réalisé en 2007 du programme de développement du Canada, l’OCDE-CAD a encouragé le Canada à « accélérer le mouvement de concentration de l’aide bilatérale sur un plus petite nombre de pays et à se désengager des pays où le Canada ne jouit pas d’un avantage comparatif, en mettant progressivement un terme aux projets qui ont peu de chances d’avoir un impact durable sur la pauvreté[16] ». Le plus récent examen du CAD du Canada, réalisé en 2012, « saluait » les efforts déployés par le Canada pour diminuer sa concentration thématique et géographique. Cette approche, selon la revue, « cadrait avec les bonnes pratiques du CAD pour assurer l’efficacité de l’aide[17] ». Le Canada n’est pas le seul pays à concentrer son aide. La plupart des grands donateurs du CAD appliquent une méthode ciblée dans le cadre de leurs programmes de développement.

Les représentants d’Affaires mondiales Canada ont dit au Comité que la concentration de l’aide amplifie les résultats des dépenses consacrées au développement. Les représentants du Ministère ont attesté que la concentration des ressources financières et humaines dans un certain nombre de pays choisis permet au Canada d’obtenir des résultats « grâce à des relations plus solides » et de « rehausser sa crédibilité auprès des partenaires locaux ». Il peut ainsi être « mieux en mesure de répondre aux besoins et aux conditions du pays, et être en phase avec les priorités locales dans la lutte contre la pauvreté ». Du point de vue des représentants, la concentration de l’aide permet de réduire les « frais généraux » du Ministère et le « fardeau administratif » qui pèse sur les pays bénéficiaires et qui repose sur les nombreuses exigences de déclaration rattachées aux projets de développement. Le Canada, en cherchant à faire partie des grands donateurs dans un pays donné, en y concentrant son aide, peut également « exercer une plus grande influence et […] lancer des programmes dans un plus grand nombre de secteurs », ce qui accroît sa visibilité dans le pays et sa présence sur le terrain[18].

Certains témoins ont indiqué que le Canada peut, en ciblant certains pays, accroître l’efficience et le caractère prévisible de l’aide qu’il offre. Or, efficience n’est pas synonyme d’efficacité. En effet, les témoins qui ont comparu devant le Comité n’ont pas été en mesure de nommer, lorsqu’on leur a demandé, une seule étude qui établit un lien sans équivoque entre la concentration géographique et les retombées accrues des dépenses consacrées à l’aide. Le Comité n’a reçu aucune information du Ministère qui indiquerait qu’il a mené une telle évaluation détaillée. Il est également difficile de dire si le Ministère a pris en compte la présence sur le terrain et les priorités thématiques des autres bailleurs de fonds dans son processus d’évaluation pour déterminer les axes prioritaires du Canada.

Lauchlan Munro, directeur, École de développement international et mondialisation, Université d’Ottawa, a informé le Comité que les arguments en faveur de l’aide ciblée sont essentiellement « logiques ». Il a mentionné que non seulement il n’a « jamais eu de preuves selon lesquelles le fait de travailler dans un plus petit nombre de pays augmenterait l’efficacité d’un programme d’aide », mais que, en plus, il n’a « jamais entendu parler qu’on ait tenté d’élaborer des paramètres pour mesurer l’efficacité de l’aide versée dans le cadre des programmes bilatéraux qui permettraient une corrélation avec les paramètres du ciblage des pays ». M. Munro tire par conséquent la conclusion suivante : « L’idée selon laquelle le fait d’aider un plus petit nombre de pays rendra plus efficace le programme d’aide du Canada donne lieu à des politiques fondées sur des croyances plutôt que sur des données probantes[19]. »

Stephen Brown, professeur à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa, a exprimé un point de vue similaire, faisant valoir que la concentration de l’aide n’est qu’un « écran de fumée » qui contribue à l’idée voulant qu’un programme de développement efficace ne repose que sur la bonne combinaison de pays et de secteurs prioritaires. M. Brown est même allé jusqu’à caractériser les annonces liées à de tels secteurs prioritaires comme étant principalement un exercice de « promotion de l’image » de la part du gouvernement[20].

Il semble également y avoir confusion quant aux critères qui ont été utilisés pour inclure ou exclure certains pays de la liste. Comme on l’a mentionné, les 25 pays ciblés ont été choisis en 2014 à la suite de l’évaluation de leurs besoins, de leur capacité à tirer parti de l’aide au développement et de leur respect des priorités de la politique canadienne. Lorsqu’on a demandé au Ministère comment il conciliait ces divers facteurs, il a indiqué qu’ils étaient tous pris en considération également[21].

Or, il n’est pas clair comment ce peut être le cas. Par exemple, Christina Polzot, gestionnaire, Développement des programmes, qualité et connaissance, Oxfam Canada, a fait remarquer que le Canada a mis fin à son programme d’aide bilatérale à la Zambie en 2013 (qui comptait parmi les pays partenaires du gouvernement canadien en 2005), malgré la grande pauvreté et les nombreuses inégalités qu’on observe toujours dans le pays[22]. Carleen McGuinty, directrice adjointe, Politiques et programmes internationaux, UNICEF Canada, a donné l’exemple d’un pays qui n’a jamais été sur les listes des pays ciblés du Canada, à savoir le Tchad. Le Tchad se trouve « quasiment en bas de la liste » de l’indice du développement humain des Nations Unies. Il est également entouré d’États fragiles et affiche le « troisième taux en importance » pour ce qui est de la mortalité des enfants de moins de 5 ans[23]. En revanche, certains pays qui font partie de la liste se caractérisent par d’importants problèmes de gouvernance, notamment la corruption généralisée; deux des pays ciblés avaient même subi des coups d’État au cours des dernières années. Ces problèmes nuisent vraisemblablement à la capacité de ces pays de tirer parti de l’aide au développement et de l’utiliser efficacement. (Des indicateurs économiques, démographiques et de gouvernance pour la liste actuelle des pays ciblés figurent en annexe E).

Pour M. Brown, les critères rattachés aux pays ciblés sont suffisamment larges pour « inclure tous les pays que vous voulez inclure ». De son point de vue, « [i]ls n’offrent absolument aucune orientation[24] ». Aniket Bhushan, enquêteur principal, Canadian International Development Platform et professeur auxiliaire de recherche, Norman Paterson School of International Affairs, Université Carleton, maintient que ces critères – les besoins, la capacité et le respect de la politique étrangère canadienne – sont vagues et que, en outre « la façon dont on les applique pour dresser les listes des pays ciblés et partenaires est peu transparente[25] ». Le lien n’est donc pas « vérifiable[26] ». Les définitions rattachées à la terminologie – tel que « besoins » – nécessitent aussi des clarifications. Par exemple, il y a une différence importante entre les mesures de produit national brut par habitant, qui peuvent masquer certaines inégalités, et le nombre de personnes dans le besoin dans un pays.[27]

Compte tenu des points qui ont été soulevés par certains témoins, le Comité est d’avis qu’il faut analyser beaucoup plus rigoureusement l’efficacité de l’approche fondée sur les pays ciblés. La raison d’être de cette approche, si cette dernière est maintenue, doit être claire, transparente et fondée sur des données probantes, tout comme les critères qui sont appliqués pour sélectionner les pays et les régions qui bénéficieront de l’aide canadienne au développement.

RECOMMANDATION 1

La nouvelle politique d’aide internationale du gouvernement du Canada devrait refléter une évaluation transparente de l’approche fondée sur les pays ciblés qui permette de déterminer si cette approche accroît les retombées et l’efficacité de l’aide canadienne au développement. Plus particulièrement, l’évaluation devrait se pencher sur les critères de sélection qui ont été appliqués pour sélectionner les pays ciblés par le Canada et les partenaires du développement, préciser comment ces critères ont donné lieu aux listes actuelles de pays et indiquer les conditions qui entraîneraient l’ajout ou le retrait de pays de ces listes. L’évaluation devrait également évaluer les résultats de l’approche consistant à concentrer 90 % de toutes les ressources bilatérales dans 25 pays.

Le Comité s’est également fait dire que, bien que le Canada concentre son aide bilatérale au développement, il n’est pas un donateur principal dans beaucoup des pays bénéficiaires. Eric Werker, professeur agrégé, Beedie School of Business, Université Simon Fraser, a fourni de l’information au Comité indiquant que, bien que les 25 pays ciblés « aient probablement facilité les choses sur le plan administratif », le Canada a « néanmoins échoué à atteindre la masse critique nécessaire pour changer les règles du jeu dans la plupart de ces pays[28] ». Il souligne en même temps que, pour 2013–2014, il n’y a qu’en Haïti et au Mali que la contribution du Canada représente au moins un demi pour cent du revenu national brut du pays et au moins cinq pour cent de l’aide totale que reçoit le pays de tous les pays donateurs. Comme il l’explique, le « Canada concentre peut-être son aide d’après son point de vue, mais pas dans l’optique de la plupart des pays qui bénéficient de cette aide[29] ». Ces conclusions sont appuyées par l’étude produite pour le compte du Comité par un autre témoin, M. Bhushan. Ce dernier a déterminé que le « Canada est l’un des 10 principaux donateurs d’aide à 15 des 25 pays ciblés, et à 2 des 12 pays partenaires ». Autrement dit, « le Canada ne fait pas partie des 10 principaux donateurs dans 20 de ses 37 pays ciblés et partenaires[30] » (voir annexes F et G).

Au-delà des questions de la concentration financière et du caractère suffisant des ressources, la logique derrière le modèle des pays ciblés ne semble pas se refléter dans la structure organisationnelle d’Affaires mondiales Canada ni dans les pratiques du Ministère relatives aux ressources humaines. Selon M. Munro, pour que l’approche fondée sur les pays ciblés soit prise au sérieux, il faudrait « cultiver systématiquement » au sein du Ministère une connaissance de chacun des pays et de chacune des régions. Or, de nombreux facteurs entrent en jeu dans l’acquisition d’une telle expertise, notamment la durée des déploiements sur le terrain et la maîtrise des langues locales. Toutefois, M. Munro a précisé que, lorsqu’on examine les tendances de rotation à Affaires mondiales Canada au cours des 20 dernières années, il est évident que « l’acquisition approfondie d’une expertise fondée sur le pays est l’exception et non la règle[31] ». 

RECOMMANDATION 2

Le gouvernement du Canada devrait évaluer les politiques de recrutement et de rotation de personnel employées par Affaires mondiales Canada afin de s’assurer du maintien d’une expertise importante en matière de développement régional et sectoriel à l’intérieur du Ministère.

IL N’EXISTE PAS DE SOLUTIONS MAGIQUES

Dans le cadre de son étude, le Comité n’a pas tiré de conclusion définitive concernant la façon dont le programme de coopération bilatérale du Canada devrait être organisé et dont l’aide bilatérale au développement du Canada devrait être priorisée. Beaucoup de propositions ont été portées à l’attention du Comité qui, si elles étaient mises en œuvre, soit apporteraient des changements relativement modestes à l’approche axée sur les pays ciblés, soit mèneraient à une refonte importante du programme de coopération bilatérale du Canada.

À de nombreux égards, cette étude a forcé le Comité à entreprendre un difficile exercice conceptuel qui l’a obligé à concilier des idées parfois contradictoires. L’étude ressemblait à un cube Rubik. Chaque argument mis en avant semblait opposer un éventuel contre-argument, sans qu’on ne parvienne à résoudre le casse-tête.

Il semble y avoir un consensus selon lequel le Canada doit concentrer son aide sur les personnes les plus pauvres et les plus vulnérables, notamment les laissés- pour-compte, ceux qui ne tirent pas parti des progrès en matière de développement, afin de respecter les objectifs centraux du Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies[32]. Cela dit, les populations pauvres ne se retrouvent pas dans un seul type d’État. Plusieurs témoins ont mentionné des estimations indiquant que plus de 70 % des populations pauvres dans le monde vivent dans des pays à revenu intermédiaire[33]. Certes, un tel pays peut afficher de façon générale une croissance économique impressionnante, mais cette croissance ne crée pas nécessairement une prospérité pour tous et n’élimine pas les diverses formes de discrimination et d’exclusion susceptibles d’exister au sein d’une société. Le Pérou en est un exemple concret. Marlen Mondaca, directrice, Programmes internationaux, Aide à l’enfance Canada, a dit au Comité que, au Pérou, « les enfants quechuas indigènes ont des chances de réussir dans la vie équivalentes à celle de la moyenne des filles et des garçons de Gambie, l’un des pays les plus pauvres du monde[34] ».

Par ailleurs, des besoins urgents persistent dans les pays les moins avancés[35], qui sont les plus tributaires de l’aide internationale[36]. Les niveaux de revenu peuvent être variés dans des États fragiles, où vivent certaines des personnes les plus vulnérables dans le monde[37]. Ces termes techniques sont souvent utilisés pour décrire et classer les États, mais Mme Mondaca a rappelé au Comité qu’on doit envisager la fragilité comme une situation en « dynamique ». Les États stables peuvent devenir fragiles, et on trouve des populations fragiles dans les États stables[38]. De plus, le fait qu’un pays fasse la transition technique vers une autre catégorie de revenu ne dit pas toute la vérité. Comme l’a souligné UNICEF Canada, même si un pays en situation « de faible revenu » passe au statut de pays à revenu « intermédiaire », la « capacité du gouvernement de ces pays à offrir des services efficaces et de qualité pourrait toutefois être insuffisante »[39].

Envisagé dans sa totalité, l’argument selon lequel l’aide du Canada doit être ciblée pour rejoindre les populations les plus pauvres et les plus vulnérables de la planète risque d’avoir comme conséquence de disperser largement les programmes. Or, un certain nombre de témoins du Comité sont d’avis qu’il faudra toujours cibler l’aide, non seulement par souci d’efficacité sur le plan administratif, mais également parce que les ressources d’aide du Canada sont limitées. Le Canada ne peut être présent partout ni apporter son aide à toutes les régions affligées par la pauvreté. Malgré la diminution historique de la pauvreté dans le monde observée depuis 1990, 896 millions de personnes vivaient toujours avec moins de 1,90 $ US par jour en 2012 et plus de 2,1 milliards de personnes, avec moins de 3,10 $ US par jour[40].

Les témoins ont également mis l’accent sur le fait que l’engagement constant et à long terme produit de meilleurs résultats en matière de développement. La flexibilité y contribue aussi, compte tenu de la vitesse à laquelle les circonstances changent et les crises émergent dans certains pays et certaines régions, qu’elles revêtent la forme d’une sécheresse, d’un conflit armé ou de la chute spectaculaire du prix des produits de base. Pour concevoir un programme de coopération au développement parfaitement adapté aux vulnérabilités changeantes, toutefois, il faudrait probablement évaluer périodiquement les circonstances sur le terrain et apporter les changements en conséquence aux priorités des projets et au financement attribué. En revanche, les témoins ont également fait part de leur frustration quant aux changements fréquents qui sont apportés aux pays et aux thèmes prioritaires du Canada. De façon générale, personne ne souhaite la volatilité des programmes de développement. Les organismes qui œuvrent sur le terrain doivent bénéficier de sources de financement prévisibles, qui leur permettent de planifier les stratégies et de tisser des liens avec des partenaires locaux. Tout retrait du financement est censé se faire d’une façon progressive et responsable.

Même si la priorité est de lutter contre la pauvreté et l’exclusion, le fait d’établir l’existence de ces problèmes dans un pays ou une région ne garantit pas, en soi, l’efficacité des programmes. Les principes d’efficacité de l’aide mettent l’accent sur la prise en charge locale du processus de développement et l’harmonisation des projets internationaux avec les stratégies établies localement[41]. Cependant, la présence d’une variable – les besoins extrêmes – ne garantit pas la présence de l’autre variable – des institutions, des organisations et des systèmes fonctionnels qui ont la capacité d’utiliser efficacement l’aide et les plans pour le faire.

Il a été difficile pour le Comité de déterminer comment on peut concilier tous les points de vue dont il est fait état plus haut avec l’actuel modèle des pays ciblés. De plus, il n’est ressorti aucun consensus clair quant à une solution de remplacement optimale, en particulier lorsqu’elle est envisagée dans l’optique concrète de l’élaboration d’une politique gouvernementale.

Si chacune des positions présentées au Comité était unique, elles peuvent néanmoins être regroupées et résumées sous les cinq options suivantes :

  • La liste actuelle des pays ciblés, qui comprend une combinaison de pays à revenu faible et intermédiaire et d’États fragiles, doit être maintenue de façon à assurer la poursuite des liens et des programmes; au sein de ces pays, les programmes doivent se concentrer sur l’aide aux populations les plus vulnérables.
  • L’approche fondée sur les pays ciblés peut être maintenue, mais le cadre d’aide bilatérale (dont la concentration de 90 % de toutes les ressources bilatérales dans les pays ciblés) doit être modifié de façon à assurer une flexibilité accrue qui permette aux partenaires de mise en œuvre d’appliquer des programmes qui puissent résoudre les défis régionaux et les crises émergentes, lesquelles peuvent dépasser les frontières des pays ciblés (p. ex. la crise de déplacement qui touche actuellement la Jordanie, un pays ciblé, et le Liban, qui n’en est pas un; les défis liés à la sécurité des citoyens au Honduras, un pays ciblé, ainsi qu’au Salvador et au Guatemala, qui n’en sont pas).
  • Il doit encore y avoir un recentrage afin de concentrer les ressources bilatérales dans quelques pays, qui pourraient englober les pays importants pour assurer la stabilité régionale et mondiale, et où le Canada chercherait à avoir une présence importante et à faire partie des quelques principaux donateurs.
  • L’approche fondée sur les pays ciblés doit être remplacée par une approche à volets ou différenciée selon laquelle les programmes et les mécanismes financiers seraient adaptés aux besoins particuliers et aux circonstances des pays qui se trouvent à différents stades de développement et à différents niveaux de stabilité (p. ex. les pays les moins avancés; les pays qui font la transition vers le statut de pays à revenu intermédiaire; les pays à revenu intermédiaire; ainsi que les États fragiles).
  • L’approche centrée sur les pays doit être remplacée par une approche axée sur la prestation de l’aide en fonction de thèmes clés (p. ex. promouvoir les droits des femmes et des jeunes filles; soutenir l’agriculture durable) ou en fonction des défis importants en matière de développement (p. ex. l’accès aux soins et aux services de santé reproductive), là où ces besoins et défis subsistent et là où des possibilités de programmes viables ont été relevées et peuvent être jumelées à une expertise canadienne et des ressources.

Il n’est de toute évidence pas aussi simple de créer un programme d’aide bilatérale efficace que de choisir un nombre total de pays bénéficiaires. La plupart des témoins ont par ailleurs évité de mentionner des pays qui devraient être inclus ou exclus de la liste, advenant que l’on maintienne ce modèle.

Comme l’ont souligné plusieurs témoins, il n’existe pas de solutions magiques pour résoudre les défis liés au développement. Ces défis prennent racine dans des aspects aussi fondamentaux que la façon dont les pays organisent et encadrent leur économie, fournissent les services à leurs citoyens et établissent leurs institutions. D’un point de vue international, l’aide au développement consiste souvent à déterminer les interventions nécessaires lorsque de tels processus s’effondrent ou lorsque les ressources nationales et la capacité technique sont insuffisantes pour les appliquer.

Le Comité est également d’avis que, quels que soient le nombre et la combinaison des pays bénéficiaires, la concentration géographique des ressources n’est pas, en soi, la solution à ces défis complexes. L’efficacité du programme d’aide bilatérale au développement du Canada sera, au bout du compte, tributaire de la façon dont le programme est organisé à Ottawa et appliqué sur le terrain ainsi que de la mesure dans laquelle ce programme soutient toutes les autres initiatives dans le domaine du développement auxquelles participe le Canada et est soutenu par ces initiatives.

OBSERVATIONS GÉNÉRALES AU SUJET DE L’APPROCHE DU CANADA EN MATIÈRE DE DÉVELOPPEMENT MONDIAL

A. Le développement n’est plus ce qu’il a déjà été

Le Comité a entrepris d’examiner les pays ciblés par le Canada pour l’aide bilatérale au développement et s’est retrouvé à étudier une série de questions beaucoup plus vaste. L’étude du Comité a confirmé que l’examen de la politique de développement international s’imposait. Dans la perspective globale du développement international, trois principaux points sont ressortis de l’étude du Comité et lui ont permis de saisir le vaste contexte dans lequel s’inscrit l’examen de la politique.

Premièrement, tout le dossier qu’on a coutume d’appeler le « développement international » n’est plus ce qu’il était. La notion dépassée du développement selon laquelle les pays riches font la charité aux plus pauvres ne tient plus. Désormais, comme l’a fait remarquer John McArthur, agrégé supérieur au Programme d’économie et de développement mondiaux de l’Institut Brookings, l’étude du développement mondial porte essentiellement sur les forces qui agissent sur l’ensemble de l’économie mondiale. Selon lui, il ne s’agit plus d’examiner un secteur spécialisé de la politique, mais « des questions fondamentales pour la société mondiale ». On commence ainsi à reconnaître que « la distinction que l’on fait entre les pays développés et les pays en développement est en train de disparaître et dans certains cas, très rapidement ». En fait, M. McArthur répugne même à employer les mots « développement international », notamment parce que peu de pays s’inscrivent nettement dans la dichotomie entre pays « développés » et pays « en développement »[42].

Le contexte du développement s’apparente maintenant davantage à un échiquier avec divers enjeux économiques, politiques et sociaux plus ou moins prononcés dans chacun des pays. Certains États contribuent peut-être à l’expansion économique mondiale, mais ne parviennent pas à résoudre les différends politiques qui persistent dans leurs sociétés ni à éradiquer la corruption dans leurs institutions. Tous les pays ont des poches d’affluence et d’exclusion qui varient en profondeur et en étendue. Ils sont encore aux prises avec les changements climatiques, la criminalité organisée, les urgences en santé publique, les déplacements à grande échelle et l’instabilité financière, autant de problèmes qui, de par leur nature, ignorent les frontières.

Deuxièmement, l’aide bilatérale au développement n’est qu’un aspect des activités de développement et un aspect somme toute limité sur le plan des ressources disponibles pour le développement mondial. Les moteurs de l’activité économique et les principales sources de ressources financières comprennent le commerce et les investissements internationaux, la création d’emplois et d’entreprises dans le secteur privé ainsi que les mesures réglementaires et fiscales des pays. De plus, dans le contexte de l’aide internationale apportée par le Canada, un volet plus large des ressources en matière de développement sont acheminées par les canaux multilatéraux. On a rappelé au Comité que l’aide bilatérale au développement représente environ le tiers de l’aide internationale globale fournie par Affaires mondiales Canada. Or, la concentration géographique s’applique uniquement au programme bilatéral du Ministère. Le Comité ne sait pas vraiment si cette différence majeure contribue à une politique de développement cohérente ou l’amoindrit et si elle permet de maximiser ou non les résultats possibles des dépenses ministérielles.

Troisièmement, Affaires mondiales Canada n’est pas l’unique acteur du développement au Canada. D’autres ministères et organismes contribuent au développement, par exemple Finances Canada, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, la Gendarmerie royale du Canada et l’Agence de la santé publique du Canada, pour ne nommer que ceux-là. Tous ces ministères et organismes sont respectivement responsables des relations du Canada avec les institutions financières internationales (p. ex. Banque mondiale) et des mesures prises par le Canada pour l’établissement des réfugiés, pour le maintien de l’ordre à l’étranger et pour la gestion des épidémies[43]. Shannon Kindornay, professeure auxiliaire de recherche, Norman Paterson School of International Affairs, Université Carleton, et consultante indépendante, a informé le Comité que les Pays-Bas avaient décidé d’adopter une approche « différenciée » pour l’aide au développement; selon cette approche, les pays sont classés en fonction des critères suivants : l’aide extérieure constitue « la principale forme d’engagement »; cet engagement suppose une aide et des relations commerciales et l’investissement; ou de déterminer si le commerce et l’investissement sont les principaux moteurs de la relation. Bien qu’elle ne préconise pas l’adoption de ces catégories exactes par le Canada, Mme Kindornay a signalé que « L’approche des Pays-Bas a été adoptée à la suite d’un examen approfondi des interactions du pays avec le reste du monde dans tous les domaines, y compris l’agriculture, l’environnement, les mouvements migratoires, l’aide humanitaire, et ainsi de suite[44] ».

Affaires mondiales Canada revoit actuellement la politique de l’aide internationale, mais, de l’avis du Comité, il est nécessaire de concevoir une politique de développement efficace qui reflète les nombreuses facettes des activités de développement au XXIe siècle, en commençant par tenir compte de tous les rôles mentionnés dans le présent rapport. Eva Busza, vice-présidente de la recherche et des programmes à la Fondation Asie Pacifique du Canada, a dit : « Il faut que notre politique en matière de développement se fonde sur une approche pangouvernementale et cela commence par un recensement de l’action de l’ensemble du gouvernement[45]. »

Ce recensement devrait aussi prendre en considération le vaste milieu dans lequel évoluent les acteurs du développement au Canada, incluant le secteur privé et les autres ordres de gouvernement. M. McArthur a signalé, par exemple, que les gouvernements provinciaux sont responsables de la réglementation des organisations de valeurs mobilières, lesquelles, à leur tour, dictent les règles qui s’appliquent aux grandes industries extractives établies au Canada et exerçant des activités dans des pays en développement. Les gouvernements provinciaux sont également responsables des universités au Canada[46]. Il était évident pour le Comité que, pour que le développement mondial durable devienne un effort sociétal canadien, comme le prévoit le programme des Nations Unies à l’horizon 2030, il faut alors prendre en considération tous les rôles établis et contributions possibles et non le travail d’un seul ministère.

RECOMMANDATION 3

Le gouvernement du Canada devrait veiller à ce que sa nouvelle politique d’aide internationale établisse des objectifs stratégiques pour orienter la coopération canadienne en matière de développement au cours des 15 prochaines années au moins, comme le veut le Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies. Cette politique doit prendre en compte :

  • toutes les sources de financement du développement;
  • toutes les formes de coopération pour le développement;
  • les rôles liés au développement que jouent tous les intervenants dans la société canadienne.

B. La gestion et la réalisation efficaces des programmes d’aide au développement sont aussi importantes que la détermination des bénéficiaires

Le Comité n’a pas examiné les mécanismes d’octroi de l’aide, mais d’après les renseignements qui lui ont été communiqués, il s’agit d’une question qui mérite un examen beaucoup plus approfondi. Le présent rapport devrait donc être considéré comme un point de départ pour une étude du Comité sur l’appareil gouvernemental qui touche l’aide au développement international du Canada.

Une question que le Comité entend examiner plus à fond est le processus d’approbation de l’aide au développement du Canada qui, au dire de témoins, est fastidieux. Le professeur Munro soutenait tout simplement qu’il nous fallait « revoir du tout au tout l’avalanche de règles bureaucratiques, de surveillance, de procédures de gestion des risques et des résultats sous laquelle ont été ensevelis, ces dernières années, nos bons fonctionnaires, toutes allégeances politiques confondues, et cela, au nom de la responsabilisation[47] ». Hunter McGill, du groupe McLeod, a émis un point de vue semblable en décrivant l’impression générale qu’on a de la gestion de l’aide au Canada : on croit qu’elle est « paralysée par l’analyse[48] ». La centralisation est une autre préoccupation connexe. On a indiqué au Comité que le pouvoir de décision financière est concentré à Ottawa au lieu d’être entre les mains des spécialistes canadiens du développement qui sont dépêchés sur le terrain.

Une autre question dont a pris connaissance le Comité est la nécessité pour Affaires mondiales Canada d’améliorer son mode de collaboration avec les partenaires de la société civile. On ne semble pas avoir consulté beaucoup d’organismes canadiens ou d’universitaires dans le domaine pour la conception du modèle des pays ciblés, pour l’établissement de la liste initiale des pays en 2009 ou encore pour les modifications apportées à cette liste en 2014. Rien n’indique vraiment si on a consulté les bénéficiaires mêmes.

Ces dernières années, des organismes non gouvernementaux canadiens ont dû également s’adapter à un modèle de financement selon lequel le Ministère publie régulièrement des appels de propositions liées à ses grands objectifs, mais ce modèle ne prévoit pas le soutien institutionnel à long terme de ces organismes. Pour améliorer la relation, M. McGill a indiqué : « Plutôt que de traiter les organisations non gouvernementales canadiennes comme des sous‑traitants ou des fournisseurs de services, Affaires mondiales Canada devrait les traiter comme des partenaires dans la relation avec les pays en développement[49]. » Evelyne Guindon, présidente-directrice générale de CUSO International, préconisait l’adoption d’un modèle de collaboration qui « reconnaît les coûts de transaction et les avantages des partenariats ». Au lieu de paramètres de programme stricts, elle recommandait l’établissement de mécanismes plus souples « qui favorisent le pilotage, la mise à l’essai et l’extrapolation d’initiatives intersectorielles innovantes», qui offriraient aux organismes comme la sienne « l’espace nécessaire pour collaborer, réfléchir et innover à l’intérieur de cycles de vie des projets[50] ».

En général, on a signalé au Comité, encore et encore, que le développement est un domaine qui progresse avec l’expérimentation et qui exige l’acceptation de revers occasionnels. Au dire du professeur Brown, l’incertitude est un aspect inhérent du travail de développement. Au lieu de fuir cette réalité, le but devrait être, selon lui, « d’apprendre de nos échecs, de les avouer, de les étudier et d’en parler clairement[51] ».

C.  Le Canada devrait être un centre d’excellence en matière de politique de développement

Comme il en a été question au début du présent rapport, aucun des témoins n’a pris connaissance d’une étude qui ait démontré, à partir d’éléments probants, le lien entre la concentration géographique de l’aide au développement et l’efficacité de l’aide offerte. Puisque cette concentration, qui revêt la forme de pays ciblés, est la formule retenue par le gouvernement depuis 2009 et que des approches semblables ont été adoptées avant cela, le Comité s’étonne de l’absence apparente de conclusions détaillées qui sous-tendent l’adoption de telles approches.

Bien que les décisions prises à un haut niveau au sujet des priorités de développement soient de nature politique, l’explication de l’absence de données réside peut-être en partie dans le niveau de ressources assez limité au Canada à la disposition des analystes de la politique de développement. François Audet, professeur à l’École de gestion de l’Université du Québec à Montréal, estimait que les questions posées par le Comité montraient « que nous ne disposons encore que de trop peu d’informations et de données probantes sur l’impact de notre aide publique au développement ». Le secteur de la politique du développement au Canada est, selon M. Audet, dominé par des organismes non gouvernementaux, qui doivent prendre part aux consultations avec le gouvernement et recevoir des fonds publics pour réaliser des projets. Cela ne favorise pas, a-t-il dit, « les mécanismes ouverts relatifs aux leçons apprises[52] ». Bon nombre de ces organismes et d’autres qui font partie du secteur du développement canadien comptent sur les analyses produites par leurs réseaux internationaux et d’éminents groupes de réflexion en Europe et aux États-Unis.

À l’avenir, le Comité veut avoir l’assurance que, lorsqu’il a des questions au sujet de l’organisation de l’aide canadienne au développement et de l’établissement des priorités à cet égard, il obtiendra des réponses claires, détaillées et directes. Le Comité est également conscient qu’une telle analyse qualitative ne peut exister que si d’importants investissements sont effectués dans la capacité en matière de politique de développement. 

RECOMMANDATION 4

Le gouvernement du Canada devrait s’assurer qu’il existe, à l’intérieur d’Affaires mondiales Canada, une direction générale dédiée entièrement à la recherche, à l’analyse et à l’évaluation de la politique de développement.

La gouvernance est l’un des secteurs où le Canada pourrait vouloir consolider son rôle de chef de file relativement à l’analyse de politiques. Il possède un vaste savoir-faire lié aux pratiques de bonne gouvernance, acquis de longue date. C’est ce qu’a fait savoir Philip Oxhorn, professeur de sciences politiques et directeur fondateur de l’Institut d’étude du développement international de l’Université McGill. Le Canada possède aussi une expérience de la gestion des ressources naturelles, notamment dans le secteur de l’extraction, et parvient à appliquer des « politiques sociales réellement utiles et bénéfiques » tout en maintenant « des politiques budgétaires et monétaires relativement stables[53] ». Plus précisément, les « économies inclusives » sont un thème cher au Centre de recherches pour le développement international (CRDI), une société d’État canadienne qui appuie la recherche appliquée dans les pays en développement[54]. La justice, avec ses tribunaux, son système pénitentiaire et ses services de police, représente un autre domaine de compétence du Canada en matière de gouvernance.

Pour Robert Greenhill, président exécutif de Canada Global, « la paix, l’ordre et la bonne gouvernance représentent le principal avantage concurrentiel du Canada et le plus grand besoin à combler dans le monde ». Or, il n’existe aux Nations Unies aucune organisation qui soit vouée à la bonne gouvernance comme l’Organisation mondiale de la santé qui a pour mandat la santé mondiale. De l’avis de M. Greenhill, le Canada – et Ottawa – devraient devenir un centre mondial de bonne gouvernance. Il estime que « Nous pouvons donc assumer cette responsabilité[55] ».

Le Comité a également appris qu’il pourrait y avoir une marge de manœuvre pour que le Canada fasse preuve de leadership en appuyant l’innovation dans le domaine du développement. Mme Busza a mentionné que « nous devons intégrer davantage nos politiques en matière de commerce, de sciences et de technologie à nos politiques de développement et jouer un rôle de leader dans l’élaboration et la mise en œuvre des TCI et de la technologie pour ce qui est de la prestation de l’aide et sa surveillance[56] ». Les applications possibles sont énormes. Mentionnons à titre d’exemple l’utilisation de l’analyse de données pour améliorer la coordination des mesures d’intervention en cas de catastrophe et l’utilisation d’applications de la téléphonie mobile pour les diagnostics de santé. James Haga, vice-président d’Ingénieurs sans frontières Canada, croit qu’un autre domaine d’innovation relativement non exploité pourrait être l’utilisation d’incitatifs pour accroître l’« investissement d’impact », surtout à l’étape du « démarrage des entreprises sociales » dans les pays moins nantis[57]. M. McArthur a fait remarquer qu’il « existait de plus en plus de données » appuyant le potentiel de réduction de la pauvreté des « transferts inconditionnels en espèces, rendus possibles grâce aux services d’argent mobile »[58]. Comme l’a suggéré Mme Busza, le Canada pourrait manifester sa « volonté d’assumer ce nouveau rôle en organisant un sommet international sur le développement et l’innovation et en établissant des partenariats avec les donateurs clés, les fondations et le secteur privé[59] ».

D.  Le Canada a besoin d’une ambitieuse stratégie de développement international à long terme

Bien des témoins qui ont comparu devant le Comité ont signalé que l’aide au développement nécessite un état d’esprit axé sur le long terme ainsi que de la persévérance. Comme l’a expliqué Mme Guindon, au sein de son organisation « [l]es initiatives qui produisent des résultats et qui sont utiles prennent du temps[60] ». Par ailleurs, CARE Canada a insisté que les stratégies de développement à long terme « fournissent non seulement le temps nécessaire pour bâtir la confiance et obtenir l’adhésion d’intervenants clés et de garantir la prise en charge locale et le transfert de savoir-faire technique, elles permettent aux organismes de développement et à leurs partenaires d’élaborer des stratégies de sortie plus structurées[61]. »

On a fait valoir la nécessité d’un engagement soutenu par rapport aux programmes de coopération bilatérale du Canada, quel qu’en soit le nombre. Santiago Alba‑Corral, directeur principal du Développement International à CARE Canada, préconisait l’adoption de stratégies échelonnées sur 10 à 15 ans pour chaque pays ciblé si cette approche est retenue[62]. M. McGill a même indiqué : « [N]ous avons besoin de nous occuper pendant toute une génération de nos pays ciblés[63]. » Le Comité abonde dans le même sens.

RECOMMANDATION 5

Le gouvernement du Canada devrait, au cours de la prochaine année, publier une stratégie d’engagement à long terme pour chacun de ses programmes de coopération bilatérale et régionale, puis veiller à ce que les stratégies nationales et régionales soient mises à jour et évaluées régulièrement.

RECOMMANDATION 6

Dans le cadre de son engagement à long terme avec ses partenaires du développement, le gouvernement du Canada devrait privilégier des ententes de financement prévisibles et à long terme et accorder la priorité à des projets qui mobilisent des intervenants locaux – notamment des organisations locales issues de la société civile – et qui répondent aux besoins cernés par ces intervenants, en particulier des initiatives destinées à donner aux femmes et aux jeunes filles les moyens d’agir.

Ces points de vue sur l’engagement à long terme valent également pour les observations formulées dans la partie précédente du rapport qui traitait du vaste ensemble d’acteurs du développement au Canada. M. McArthur a affirmé : « On ne change pas du jour au lendemain les stimulants de financement pour nos universités. On ne crée pas du jour au lendemain un corps entrepreneurial actif sur le marché mondial si toutes les conditions de son existence ne sont pas réunies. » Il faut commencer par faire appel aux partenaires et aux secteurs dans des domaines en plus de ceux « dont on a déjà l’habitude de parler[64] ». Les horizons à long terme sont tout aussi essentiels dans le domaine de la recherche appliquée. Jean Lebel, président du CRDI, a informé le Comité que le vaccin contre le virus Ebola mis au point par Gary Kobinger, chercheur canadien à l’Agence de la santé publique du Canada, a nécessité environ « 15 ans de recherches ». Tel que M. Lebel l’a indiqué, on doit le succès du vaccin administré en 2015 « à l’investissement que nous avons consenti pendant 15 ans[65] ».

Cela étant dit, les politiques, à long terme ou non, ne risquent guère d’être mises en œuvre sans un engagement de ressources à la hauteur de leurs ambitions. Bien que l’étude du Comité ait porté sur les pays ciblés par le Canada et sur ses thèmes prioritaires, des témoins ont laissé entendre qu’on ne saurait déterminer l’efficacité de ces approches si l’on ne prend pas en considération le budget global alloué par le Canada à l’aide au développement. Le volume de ce budget est le principal facteur qui détermine le nombre de pays dont le Canada peut être le principal donateur, ainsi que l’éventail des secteurs de développement dans lesquels il peut exercer une grande influence sur le terrain.

Le Canada occupe actuellement le 14e rang parmi 28 pays membres de l’OCDE-CAD, pour ce qui est de l’aide publique au développement (APD) mesurée en pourcentage du revenu national brut (RNB). Le budget total de l’APD du Canada était de 4,29 milliards de dollars américains en 2015, ce qui donne un rapport APD/RNB de 0,28 %. Cette année-là, six pays ont atteint ou dépassé l’objectif des Nations Unies consistant à maintenir un niveau d’APD supérieur ou égal à 0,7 % du RNB : il s’agissait du Royaume-Uni (0,71 %), des Pays‑Bas (0,76 %), du Danemark (0,85 %), du Luxembourg (0,93 %), de la Norvège (1,05 %) et de la Suède (1,40 %)[66].

M. Greenhill a indiqué que le budget du Canada réservé à l’aide est non seulement en dessous de la moyenne comparativement à celui d’autres pays du G7, incluant le Royaume-Uni, mais il est aussi moins généreux que les budgets d’autres pays partageant la même vision tels que les pays scandinaves. Même si le rapport APD/RNB du Canada s’établissait à 0,28 % en 2015, M. Greenhill a indiqué que la moyenne allouée par les pays du G7 et par d’autres « économies ouvertes de taille moyenne » cette année-là était de 0,54 % (voir annexe H)[67]. Pour citer M. Greenhill, « nous avons les mêmes intérêts, mais pas les mêmes portefeuilles[68] ». Il a également fait savoir au Comité que le budget d’aide actuel du Canada est peu élevé du point de vue historique (voir annexe I). S’il est maintenu, le niveau actuel des dépenses engagées au titre de l’aide au développement représenterait, selon M. Greenhill, « la contribution la moins élevée de tous les gouvernements canadiens des 50 dernières années[69] ».

Examiné d’un point de vue géostratégique, il n’est pas clair pourquoi cela est le cas. M. McArthur a précisé qu’à sa connaissance, il n’y a pas de « motif convaincant qui ait été présenté […] pour expliquer le niveau actuel de nos investissements[70] ». Lorsque l’on examine ce qui peut sembler comme des données budgétaires abstraites, il faut savoir ce qu’elles signifient sur le plan humain. M. Greenhill a rappelé au Comité que « chaque centième [de un pour cent] représente environ 200 millions de dollars – c’est-à-dire environ 25 000 vies, ce qui est encore plus important. Cela signifie donc environ 50 000 familles de réfugiés, 2 millions de filles qui peuvent fréquenter l’école et 1,5 million de femmes qui ont accès à des moyens de contraception[71] ».

Le Royaume-Uni, unique pays du G7 à atteindre l’objectif de 0,7 %, peut fournir un exemple de stratégie pluriannuelle que le gouvernement du Canada pourrait décider de mettre en œuvre. Comme l’a expliqué M. Greenhill, le Royaume-Uni a augmenté son budget d’aide entre 1997 et 2013 « sous trois gouvernements différents, c’est-à-dire le Parti travailliste, une coalition des partis social-démocrate et conservateur, et un gouvernement conservateur ». Pour lui, la question de fond est « si nous avons collectivement l’ambition d’être dans la même situation que le Royaume-Uni d’ici 15 ans, c’est-à-dire de devenir un vrai chef de file en matière de développement international[72] ».

Atteindre cet objectif en une décennie n’est peut-être pas aussi difficile qu’il semble. Dans son mémoire présenté au Comité, M. McArthur indique que le Canada pourrait atteindre l’objectif de 0,7 % en 10 ans s’il réserve « à l’APD seulement deux cents de chaque dollar de nouveau revenu », à supposer que l’économie canadienne progressera au taux approximatif de 2,5 % par année pendant la même période (soit 13 milliards de dollars des 675 milliards ajoutés au revenu national d’ici 2027)[73]. Bien que le montant total des ressources publiques que nécessiterait un tel plan soit considérable, le Comité s’est fait dire qu’il y a une raison simple mais convaincante de viser un niveau si ambitieux. Comme M. Haga l’a signalé, pour être un chef de file mondial en matière de développement, il faut contribuer « à façonner le monde dont nos enfants et nos petits-enfants hériteront[74] ».

L’objectif de 0,7 % a été établi en 1970 au moyen d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies. Cette résolution exigeait la réalisation de l’objectif dès le milieu de la décennie[75]. Des réunions internationales subséquentes, notamment la Conférence internationale des Nations Unies sur le Financement du développement tenue en 2002, ont reconfirmé cet objectif[76]. Le Canada n’a jamais atteint l’objectif de 0,7 % (voir l’annexe J), mais le Comité croit que le moment est maintenant venu d’aspirer à élaborer un plan pour le concrétiser. Si le Canada s’y engageait dès maintenant, il se positionnerait comme un chef de file actif et influent en matière de développement international pour des générations à venir. Le Comité est conscient des réalités budgétaires et de l’engagement financier important que le Canada devrait prendre pour faire passer le rapport APD/RNB actuel de 0,28 % à l’objectif visé de 0,70 %. Il sait également qu’il faut prendre en compte d’importantes questions de nature administrative pour assurer la gestion efficace d’une telle hausse du financement au sein du gouvernement et trouver de nouveaux projets et partenaires de mise en œuvre. Le Comité privilégie par conséquent une approche réaliste et graduelle qui tienne compte des objectifs et des échéanciers qui ont été établis dans le cadre du programme des Nations Unies à l’horizon 2030.

RECOMMANDATION 7

Le gouvernement du Canada devrait aspirer à élaborer un plan qui consacre 0,70 % de son revenu national brut (RNB) à l’aide publique au développement (APD) d’ici 2030. La première étape de ce plan devrait consister à consacrer 0,35 % du RNB du Canada à l’APD en 2020.

CONCLUSION

Le Comité n’est pas prêt à recommander le remplacement complet de l’approche fondée sur les pays ciblés par un autre modèle de coopération en matière de développement. Cela étant dit, le Comité n’est pas convaincu non plus que l’affectation de 90 % des ressources bilatérales à la liste actuelle des 25 pays permet d’obtenir les meilleurs résultats qui soient dans le cadre du programme de coopération internationale du Canada. Tel que reflété dans la recommandation 1 du présent rapport, le Comité tient à obtenir des éléments de preuve indiquant clairement que l’approche reposant sur les pays ciblés rehausse l’impact de l’aide du Canada et que les résultats dépassent ceux qu’on obtiendrait probablement si le Canada adoptait une stratégie différente. Quels que soient les bénéficiaires de l’aide bilatérale du Canada et leur nombre total, le Comité veut voir également davantage de transparence. Il conviendrait que le Ministère expose en détail le processus employé pour déterminer les partenaires prioritaires, afin de faciliter la surveillance des critères, quels qu’ils soient, en fonction des données disponibles.

Une évaluation de l’efficacité de l’approche fondée sur les pays ciblés, comme le réclame le présent rapport, doit tenir compte des solutions de rechange présentées au Comité, notamment des approches plus souples qui permettraient d’allouer une plus grande part des ressources bilatérales aux pays à l’intérieur d’une région qui sont aux prises avec les mêmes problèmes, ainsi que des approches qui seraient axées sur des thèmes de développement ou, pour tout dire, sur des solutions. Une réflexion approfondie s’impose à l’égard de l’éventail approprié de pays auxquels est destinée l’aide bilatérale du Canada en matière de développement et de la possibilité d’orienter davantage les ressources du Canada vers un nombre plus restreint de relations stratégiques.

Pour le Comité, il est clair qu’il n’y a pas de réponse simple à la question de savoir comment le Canada devrait orienter ses ressources en développement. Même l’utilisation d’une approche thématique soulève de nombreuses questions qui méritent l’attention du Canada, dont les priorités actuelles comme celle de la santé des mères et des enfants. Le Canada possède aussi de nombreux domaines de compétence que le gouvernement pourrait mettre à profit.

Le critère le plus simple permettant de définir les secteurs prioritaires reposerait sur la cohérence : terminer les travaux déjà entrepris et consolider les acquis en matière de développement. En se penchant sur les diverses idées présentées au Comité, il serait également possible d’envisager une méthode pour déterminer les axes prioritaires en fonction d’un processus en quatre étapes :

  • déterminer les secteurs de compétence du Canada dans le domaine du développement;
  • évaluer quels sont les plus grands besoins à combler dans le monde vers lesquels l’aide publique au développement pourrait être orientée aux fins de la stabilité et de la prospérité mondiales;
  • parmi les besoins relevés à l’étape deux, déterminer lesquels sont reliés aux compétences établies à l’étape un; et,
  • déterminer quels sont les besoins auxquels on pourrait le mieux répondre grâce à la coopération bilatérale (p. ex. grâce à des projets administrés par Affaires mondiales Canada) et ceux qui profiteraient davantage d’initiatives multilatérales.

Il se pourrait que cet exercice aboutisse à quelques secteurs seulement.

Dans le contexte global, peu importe les décisions qui seront prises au sujet des pays et des secteurs ciblés, le Comité est d’avis qu’un engagement stratégique envers le développement international s’impose. Il est résolu à jouer un rôle constructif en s’efforçant de créer le consensus politique et social sur lequel doit s’appuyer cet engagement, comme l’ont recommandé certains témoins. Il observe son travail sur le terrain : il examine les projets de développement financés par le Canada, rencontre les bénéficiaires de l’aide et les communautés qui sont peut-être touchées par cette aide, puis communique les résultats de ces efforts aux Canadiens, ce qui fait partie intégrante de son rôle. Faisant fond sur sa récente mission d’étude au Guatemala et en Colombie, il a l’intention de jouer un rôle actif dans l’évaluation de la coopération internationale du Canada à l’étranger.

Le Comité reconnaît que la trajectoire globale du développement mondial se répercutera sur les intérêts nationaux du Canada. À l’ère de la mondialisation, l’incapacité à contenir l’éclosion d’une maladie dans un endroit éloigné, à prévenir un conflit armé et les vagues de déplacement massif de population qu’il est susceptible d’entraîner ou encore à atténuer les effets d’une catastrophe naturelle a des conséquences partout dans le monde, y compris au Canada. Le Canada doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour prévenir le scénario d’horreur esquissé par M. Greenhill, soit la disparition de la coopération internationale, l’effondrement des États fragiles, l’intensification de la détérioration environnementale et la multiplication des conflits.

Le leadership en matière de développement mondial doit, en définitive, être une ambition collective, qui ne peut se concrétiser que si tous les membres de la communauté du développement au Canada mettent l’épaule à la roue à long terme. Cette communauté englobe les ministères et organismes gouvernementaux, le Parlement, les chercheurs et les universitaires, le secteur privé et les organismes non gouvernementaux. Un rôle si ambitieux requiert également d’importantes ressources financières. Dans le document de travail rédigé par Affaires mondiales Canada pour l’examen de l’aide internationale, il est indiqué que l’objectif de consacrer 0,7 % du RNB à l’APB, qui obligerait le Canada à « triple[r] son budget annuel d’aide internationale d’ici 2020 », « n’est pas réaliste comme objectif à court terme dans le contexte fiscal actuel »[77]. Comme le démontre la recommandation du Comité concernant le budget du Canada réservé à l’aide au développement, le Comité ne croit pas que l’examen de la politique aurait dû être amorcé sur la foi de cette déclaration. L’examen devrait consister à établir des objectifs stratégiques à long terme qui guideront la politique de développement du Canada, puis faire correspondre ces objectifs aux ressources et aux outils nécessaires pour leur réalisation.

À bien des égards, l’engagement du gouvernement canadien à favoriser la réalisation du Programme de développement durable à l’horizon 2030, adopté par les Nations Unies, témoigne d’un niveau d’ambition élevé. Ce programme vise, entre autres, à éradiquer la pauvreté extrême, à réduire les inégalités, à promouvoir l’égalité entre les sexes, à garantir la santé et le bien-être, à lutter contre les changements climatiques et à bâtir des sociétés pacifiques et ouvertes partout dans le monde. Le Comité espère que le présent rapport et les recommandations qu’il contient aideront le Canada à jeter les bases nécessaires afin que le pays puisse s’acquitter de ses engagements.


[1]              Le terme « aide internationale » est employé par le gouvernement du Canada. L’aide internationale « s’entend de toutes les ressources financières consenties par les divers ordres de gouvernement au Canada (fédéral, provincial et municipal) en faveur de l’aide au développement ». Le rapport du Comité fait également référence à l’aide publique au développement (APD). Affaires mondiales Canada précise que, si l’aide internationale n’est pas toute considérée comme une aide publique au développement, l’aide publique au développement « représente la plus grande partie de l’aide internationale du Canada ». Le Comité d’aide au développement (CAD) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) définit l’APD comme les apports de ressources qui sont fournis par des organismes publics ou des organismes agissant pour le compte d’organismes publics aux pays et territoires sur la Liste des bénéficiaires d’APD et à des institutions multilatérales. Le financement doit être assorti de conditions favorables et comporter un élément de libéralité au moins égal à 25 %. La définition de l’APD du CAD de l’OCDE est largement employée pour comparer l’aide des pays donateurs. Cette définition est compatible avec celle qui figure dans la Loi sur la responsabilité en matière d’aide au développement officielle du Canada. De plus, pour que l’aide puisse être comptabilisée au titre de l’APD aux termes de la Loi, elle doit respecter les trois critères établis à l’article 4.1 de la Loi : contribuer à la réduction de la pauvreté, tenir compte des points de vue des pauvres et être compatible avec les normes internationales en matière de droits de la personne. Affaires mondiales Canada, Rapport statistique sur l’aide internationale 2014-2015, 2016.

[2]              Affaires mondiales Canada, La ministre Bibeau lance l’examen et les consultations sur l’aide internationale du Canada, Communiqué, 18 mai 2016. Pour en savoir plus, voir Gouvernement du Canada, Consultations sur l’Examen de l’aide internationale du Canada. Des consultations ont été menées auprès du public de mai à juillet 2016.

[3]              Cité dans David R. Morrison, « The Choice of Bilateral Aid Recipients », dans Canadian International Development Assistance Policies: An Appraisal, Cranford Pratt, éd., McGill-Queen’s University Press, 1994, p. 130 [traduction].

[4]              Le CAD de l’OCDE compte actuellement 29 membres, dont le Canada. Cette tribune réunit la plupart des plus grands pays fournisseurs de l’aide. Le CAD mesure et publie des données statistiques sur le financement du développement, mène des examens par les pairs des programmes de coopération pour le développement mis en œuvre par les membres et s’efforce d’améliorer la politique de développement. Les pays membres « acceptent d’appliquer immédiatement » les recommandations adoptées par les CAD et de « s’engager à utiliser les lignes directrices et documents de référence du CAD pour l’élaboration de leurs politiques nationales de coopération pour le développement ».

[5]              Agence canadienne de développement internationale (ACDI), Le Canada contribue à un monde meilleur : Énoncé de politique en faveur d’une aide internationale plus efficace, septembre 2002, p. 9. L’ACDI a été intégrée au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international qui est devenu le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement en 2013, renommé Affaires mondiales Canada en 2015.

[6]              Ibid.

[7]              Ibid., p. 11.

[8]              ACDI, Rapport sur le rendement 2003, p. 54.

[9]              Gouvernement du Canada, « Survol », Énoncé de politique internationale du Canada – Fierté et influence : notre rôle dans le monde, avril 2005, p. 26.

[11]           Ibid. « [L]e gouvernement réexamine [actuellement ces cinq thèmes prioritaires] dans le cadre de l’Examen de l’aide internationale ». Affaires mondiales Canada, Rapport au Parlement sur l’aide au développement officielle du gouvernement du Canada – 2015–2016, 2016, p. 19.

[12]           Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada, « Le Canada concentre ses efforts en matière de lutte contre la pauvreté dans le monde », communiqué, Ottawa, 27 juin 2014.

[13]           Le gouvernement canadien fournit une aide au développement dans plus de 80 pays au moyen de différents mécanismes, par l’intermédiaire de partenaires bilatéraux, multilatéraux et non gouvernementaux. Affaires mondiales Canada, Rapport au Parlement sur l’aide au développement officielle du gouvernement du Canada – 2015–2016, 2016, p. 4.

[14]           Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada, « Le Canada met à jour sa liste de pays en développement ciblés », document d’information, 27 juin 2014. Selon Affaires mondiales Canada, 83 % de l’aide bilatérale au développement était concentrée dans les pays ciblés en 2009‑2010; 88 % en 2010‑2011; 85 % en 2011–2012; 87 % en 2012–2013; 84 % en 2013‑2014; et 89 % en 2014‑2015. Source : réponse écrite à une question lors de la réunion du FAAE du 12 mai 2016.

[15]           Le tiers – 1,25 milliard de dollars – de l’aide internationale totale – 3,74 milliards de dollars – versée par Affaires mondiales Canada en 2014–2015 était une aide bilatérale.

[16]           OCDE-CAD, Canada: d’aide au développement (CAD), Examen Par Les Pairs, 2007, p. 43.

[17]           OCDE-CAD, Development Assistance Committee Peer Review 2012: Canada, 2012, p. 26. [en anglais seulement].

[18]           Comité permanent des affaires étrangères et du développement international (FAAE), Témoignages, 1re session, 42e législature, 12 mai 2016.

[19]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 17 mai 2016.

[20]           Ibid.

[21]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 12 mai 2016.

[22]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 19 mai 2016.

[23]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 17 mai 2016.

[24]           Ibid.

[25]           Mémoire présenté au Comité par Aniket Bhushan (Canadian International Development Platform), 3 juin 2016, p. 4

[26]           Ibid., p. 6.

[27]           Mémoire présenté au Comité par Collèges et instituts Canada (CICan) p.1-2.

[28]           Mémoire présenté au Comité par Eric Werker, 2 juin 2016, p. 2.

[29]           Ibid. [traduction].

[30]           Mémoire présenté au Comité par Aniket Bhushan, 3 juin 2016, p. 4.

[31]           Témoignages, 1re session, 42e législature, 17 mai 2016.

[32]           Assemblée générale des Nations Unies, Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030, résolution adoptée le 25 septembre 2015, A/RES/70/1, 21 octobre 2015.

[33]           La Banque mondiale définit les pays à revenu intermédiaire comme ceux dont le revenu national brut (RNB) par habitant se situe entre 1 046 $ US et 12 735 $ US. Selon la Banque mondiale, cinq des sept milliards d’habitants sur la planète vivent dans des pays à revenu intermédiaire, dont 73 % des populations pauvres du monde. Bien qu’il est des pays à revenu faible et à revenu moyen-supérieur au sein de cette catégorie, le terme général « à revenu intermédiaire » s’applique à divers pays en fonction de leur poids économique dans le monde et de la taille de leur population. Font notamment partie des pays à revenu intermédiaire : Bangladesh, Chine, Colombie, Égypte, Inde, Indonésie, Kenya, Iran, Mexique, Pérou, Romanie, Turquie et Vietnam. Voir La Banque mondiale, « Country and Lending Groups », Data [en anglais seulement]; et La Banque mondiale, « Overview », Middle Income Countries [en anglais seulement].

[34]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 juin 2016.

[35]           La liste des pays les moins avancés (PLMA), qui fait l’objet d’une révision tous les trois ans, est tenue à jour par les Nations Unies. On compte actuellement 48 PLMA, la plupart se trouvant en Afrique. Le statut de PLMA est déterminé selon trois facteurs : le RNB par habitant; les indicateurs de nutrition, de santé et d’éducation et la « vulnérabilité économique ». Voir : Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, « UN recognition of Least Developed Countries (LDC) » [en anglais seulement]. Les représentants du Ministère ont indiqué que 13 des 25 pays actuellement ciblés par les Canada font partie des PLMA.

[36]           Selon un rapport du groupe de réflexion Development Initiatives, l’APD était le « principal apport international de ressources fourni aux 39 pays en développement » [traduction] en 2013. Cette année-là, les deux tiers de l’investissement direct étranger « n’ont été alloués qu’à 11 pays en développement » [traduction]. Voir : Development Initiatives, Investments to End Poverty 2015, Bristol, Royaume-Uni, 2015, p. 19-20 [en anglais seulement].

[37]           Il n’existe pas de définition internationalement reconnue d’« État fragile ». Deux indices sont toutefois fréquemment cités. Voir : la Banque mondiale, Harmonized List of Fragile Situations FY16 [en anglais seulement]; et Fund for Peace, Fragile States Index 2015 [en anglais seulement].

[38]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 juin 2016.

[39]           Mémoire présenté au Comité par UNICEF Canada, 27 mai 2016, p. 4.

[40]           Banque mondiale, Vue d’ensemble, Pauvreté.

[42]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 19 mai 2016.

[43]           Pour plus de renseignements, voir Affaires mondiales Canada, Rapport au Parlement sur l’aide au développement officielle du Gouvernement du Canada – 2015-2016, 2016.

[44]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 juin 2016.

[45]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 19 mai 2016.

[46]           Ibid.

[47]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 17 mai 2016.

[48]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 31 mai 2016.

[49]           Ibid.

[50]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 2 juin 2016.

[51]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 17 mai 2016.

[52]           Ibid.

[53]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 19 mai 2016.

[54]           Centre de recherches pour le développement international, Investir dans des solutions : Plan stratégique 2015‑2020.

[55]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 2 juin 2016.

[56]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 19 mai 2016.       

[57]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 31 mai 2016.

[58]           John W. McArthur, « Le Canada doit aligner son engagement sur le défi que représente le développement durable mondial », notes d’accompagnement de l’allocution prononcée le 19 mai 2016 devant le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international, p. 4.

[59]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 19 mai 2016.

[60]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 2 juin 2016.

[61]           Mémoire présenté au Comité par CARE Canada, 27 May 2016, p. 1.

[62]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 17 mai 2016.

[63]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 31 mai 2016.

[64]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 19 mai 2016.

[65]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 12 mai 2016.

[66]           OCDE, Nouvelle hausse de l’aide au développement en 2015, doublement des dépenses consacrées aux réfugiés – OCDE, 13 avril 2016. Relativement peu de pays donateurs atteignent actuellement l’autre objectif fixé par les Nations Unies qui consiste à consacrer au moins 0,15 % du RNB à l’APD nette aux pays les moins avancés. En 2014, huit membres du CAD-OCDE ont atteint la cible : Belgique, Danemark, Finlande, Irlande, Luxembourg, Norvège, Suède et Royaume-Uni. Cette année‑là, le Canada a alloué 0,08 % de son APD/RNB aux pays les moins avancés. La moyenne des pays du CAD était de 0,09 %. Source : OCDE, Coopération pour le développement 2016 : Investir dans les Objectifs de développement durable, choisir l’avenir, Paris, 2016, p. 177 et 204.

[67]           Mémoire présenté au Comité par Robert Greenhill, 2 juin 2016. Selon le CAD-OCDE, la « performance moyenne » des pays membres en 2015 a été de 0,41 % de l’APD/RNB.

[68]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 2 juin 2016.

[69]           Ibid.

[70]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 19 mai 2016.

[71]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42elégislature, 2 juin 2016.

[72]           Ibid.

[73]           John W. McArthur, Le Canada doit aligner son engagement sur le défi que représente le développement durable mondial, notes d’accompagnement de l’allocution prononcée le 19 mai 2016 devant le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes, p. 10.

[74]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 31 mai 2016.

[75]           OCDE, « L’objectif de 0,7 % APD/PNB – un historique ».

[76]           Plus récemment, l’objectif 17 du programme des Nations Unies à l’horizon 2030, qui a été adopté unanimement en septembre 2015, porte sur les moyens de mettre en œuvre le programme. En plus de l’amélioration de la mobilisation des ressources nationales, l’objectif 17 prévoit une cible faisant en sorte que les pays développés « honorent tous les engagements pris en matière d’aide publique au développement, notamment l’engagement pris par nombre d’entre eux de consacrer 0,7 % de leur revenu national brut à l’aide aux pays en développement, et d’en consacrer entre 0,15 % et 0,20 % à l’aide aux pays les moins avancés […] »

[77]           Affaires mondiales Canada, Examen de l’aide internationale du Canada, Document de consultation, 2016, p. 24.