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ETHI Rapport du Comité

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INTRODUCTION

Le 22 novembre 2017, le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique de la Chambre des communes (le Comité) a adopté une motion afin d’entreprendre une étude sur la neutralité du Net[1].

Le Comité a tenu quatre réunions sur ce sujet, du 6 décembre 2017 au 15 février 2018, au cours desquelles il a entendu un total de huit témoins.

Le présent rapport offre un aperçu du cadre législatif existant en matière de neutralité du Net au Canada, aborde certains développements récents en cette matière et formule des recommandations à l’endroit du gouvernement canadien visant la protection de ce concept et de son application.

PARTIE 1 : CADRE LÉGISLATIF CANADIEN EN MATIÈRE DE NEUTRALITÉ DU NET

A.  La Loi sur les télécommunications

Au Canada, toutes les entreprises canadiennes de télécommunication, y compris les fournisseurs de services Internet (FSI), sont assujetties aux dispositions de la Loi sur les télécommunications (la Loi) et de ses règlements. Les termes « télécommunication » et « entreprise de télécommunication » sont définis au paragraphe 2(1) de la Loi :

télécommunication La transmission, l’émission ou la réception d’information soit par système électromagnétique, notamment par fil, câble ou système radio ou optique, soit par tout autre procédé technique semblable.
entreprise de télécommunication Propriétaire ou exploitant d’une installation de transmission grâce à laquelle sont fournis par lui-même ou une autre personne des services de télécommunication au public moyennant contrepartie.

Les objectifs de la politique canadienne de télécommunication sont énoncés à l’article 7 de la Loi :

7 La présente loi affirme le caractère essentiel des télécommunications pour l’identité et la souveraineté canadiennes; la politique canadienne de télécommunication vise à :
  • a) favoriser le développement ordonné des télécommunications partout au Canada en un système qui contribue à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure sociale et économique du Canada et de ses régions;
  • b) permettre l’accès aux Canadiens dans toutes les régions – rurales ou urbaines – du Canada à des services de télécommunication sûrs, abordables et de qualité;
  • c) accroître l’efficacité et la compétitivité, sur les plans national et international, des télécommunications canadiennes;
  • d) promouvoir l’accession à la propriété des entreprises canadiennes, et à leur contrôle, par des Canadiens;
  • e) promouvoir l’utilisation d’installations de transmission canadiennes pour les télécommunications à l’intérieur du Canada et à destination ou en provenance de l’étranger;
  • f) favoriser le libre jeu du marché en ce qui concerne la fourniture de services de télécommunication et assurer l’efficacité de la réglementation, dans le cas où celle-ci est nécessaire;
  • g) stimuler la recherche et le développement au Canada dans le domaine des télécommunications ainsi que l’innovation en ce qui touche la fourniture de services dans ce domaine;
  • h) satisfaire les exigences économiques et sociales des usagers des services de télécommunication;
  • i) contribuer à la protection de la vie privée des personnes.

B.  Mesures de protection de la neutralité du Net au Canada

Le terme « neutralité du Net » n’est ni mentionné ni défini explicitement dans la Loi, mais ce principe est réputé protégé par le paragraphe 27(2) et l’article 36 :

27 (2) Il est interdit à l’entreprise canadienne, en ce qui concerne soit la fourniture de services de télécommunication, soit l’imposition ou la perception de tarifs y afférents, d’établir une discrimination injuste, ou d’accorder – y compris envers elle-même – une préférence indue ou déraisonnable, ou encore de faire subir un désavantage de même nature.
36 Il est interdit à l’entreprise canadienne, sauf avec l’approbation du Conseil, de régir le contenu ou d’influencer le sens ou l’objet des télécommunications qu’elle achemine pour le public[2].

Le paragraphe 27(2) et l’article 36 de la Loi ont été adoptés en 1993, avant même que la notion de « neutralité du Net » voie le jour en 2003. Le libellé de ces dispositions, qui est neutre sur le plan technologique, a cependant permis au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) de protéger la neutralité du Net au Canada en interprétant les dispositions de la Loi dans ses décisions de télécommunication, ainsi qu’en adoptant et en appliquant des politiques réglementaires liées aux télécommunications. Le CRTC est le tribunal administratif fédéral qui a la responsabilité de réglementer et de surveiller la radiodiffusion et les télécommunications dans l’intérêt du public canadien[3].

i. Décisions importantes du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes en matière de neutralité du Net

Le CRTC définit la neutralité du Net comme : « le concept selon lequel tout le trafic sur Internet doit être traité sur un pied d’égalité par les fournisseurs de services Internet (FSI), avec peu ou pas de manipulation, d’interférence, de priorisation, de discrimination ou de préférence[4] ». Cette définition ne figure pas dans la Loi.

Afin de déterminer s’il y a contravention à l’une des dispositions de la Loi réputée protéger la neutralité du Net, le CRTC a établi deux politiques réglementaires de télécom. Ces politiques sont utilisées pour vérifier si les pratiques des FSI sont conformes à la Loi. Elles ont été adoptées à la suite de décisions du CRTC sur des cas touchant la neutralité du Net.

Le 6 février 2018, le Comité a entendu le témoignage du CRTC. Christopher Seidl, directeur général des Télécommunications, a soulevé trois décisions importantes du CRTC qui ont eu un impact sur la protection de la neutralité du Net au Canada. Deux de ces décisions ont mené à l’adoption des politiques réglementaires susmentionnées.

M. Seidl a décrit la première décision importante de la façon suivante :

La première, prise en 2009, a créé le cadre pour évaluer les pratiques de gestion du trafic Internet et le respect de la Loi sur les télécommunications. Le CRTC a alors énoncé clairement qu'en cas de congestion, la première réaction des fournisseurs de services Internet (FSI) devrait toujours être d'investir dans un accroissement de la capacité du réseau[5].

La deuxième décision soulevée par M. Seidl sanctionnait les agissements discriminatoires de la part de fournisseurs de services mobiles dans la fourniture de leurs services :

Il y a quelques années, nous avons été informés que certaines entreprises proposaient des services sans fil mobiles qui n'entraient pas dans le compte des limites de données mensuelles des clients de leurs propres services de télévision mobile. En revanche, le contenu issu d'autres sites Web ou d'autres applications était comptabilisé dans la limite des données mensuelles de ces clients. En 2015, le CRTC a publié une décision obligeant ces fournisseurs à cesser de donner à leurs services de télévision mobile un avantage indu sur le marché. Nous avons en outre exigé que les entreprises en question modifient leurs pratiques. Le CRTC a indiqué que, tout en appuyant la création de nouveaux moyens destinés à permettre aux Canadiens d'accéder à du contenu audiovisuel canadien ou étranger, il ne pouvait pas permettre aux fournisseurs de services mobiles d'agir de manière discriminatoire.
C'est la deuxième mesure que nous avons prise afin de faire respecter le principe de la neutralité du Net en faisant en sorte que le contenu audiovisuel soit mis à la disposition des Canadiens avec ouverture et équité[6].

La troisième décision soulevée par M. Seidl traitait de la différenciation des prix :

En avril 2017, nous avons indiqué que les fournisseurs de services Internet devraient traiter de la même façon toutes les données qui circulent sur leurs réseaux. En ayant recours à des pratiques de différenciation des prix, les fournisseurs influencent en fait les consommateurs dans leurs choix quant à l'utilisation des données. Il s'ensuit que ces pratiques viennent restreindre l'accès au contenu dans Internet, ce qui, selon le CRTC, va à l'encontre de la Loi sur les télécommunications […][7].

ii. Politiques réglementaires du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes en matière de neutralité du Net

Comme indiqué ci-dessus, le CRTC s’appuie sur deux politiques réglementaires de télécom afin de vérifier si les pratiques des FSI sont conformes à la Loi et respectent les principes de la neutralité du Net.

La première politique réglementaire, établie en 2009, a trait aux pratiques de gestion du trafic Internet (PGTI). Il existe deux sortes de PGTI : de nature technique (mesures visant à ralentir le trafic d’un utilisateur, à accorder un traitement prioritaire à certains trafics ou à détecter les grands utilisateurs de façon à limiter leur bande passante, par exemple) et de nature économique (augmenter les tarifs des utilisateurs dont l’utilisation d’Internet dépasse une limite prédéfinie, par exemple)[8]. Aux termes de cette politique, le CRTC permet aux FSI de mettre en œuvre des PGTI portant sur leurs services, à condition de faire preuve de transparence au sujet de ces pratiques. Toutefois, le CRTC peut examiner une PGTI pour déterminer si celle-ci contrevient au paragraphe 27(2) de la Loi[9].

La deuxième politique réglementaire, publiée le 20 avril 2017, représente un nouveau cadre d’évaluation des pratiques de différenciation des prix des FSI (lorsque des produits ou des services identiques ou similaires sont offerts aux consommateurs à des prix différents)[10]. Selon le CRTC, il consolide, à l’aide de ce nouveau cadre, son engagement envers la neutralité du Net en déclarant que les FSI doivent traiter l’utilisation des données de manière égale[11]. Le CRTC a indiqué que le choix des consommateurs, l’innovation et le libre échange d’idées seront favorisés par l’établissement de son nouveau cadre[12].

En vertu de cette deuxième politique, le CRTC peut entreprendre l’examen d’une pratique de différenciation des prix pour s’assurer que celle-ci ne contrevient pas au paragraphe 27(2) de la Loi, et ce, à la suite d’une plainte ou de par sa propre initiative. Les critères d’évaluation qu’il utilise sont les suivants :

  • le degré auquel le traitement des données est basé sur le contenu (c.-à-d. que les données sont traitées de la même façon, quelle que soit leur source ou leur nature);
  • l’exclusivité de l’offre à certains clients ou fournisseurs de contenu;
  • l’incidence sur l’ouverture et l’innovation relatives à Internet;
  • la présence d’une rémunération[13].

La protection de la neutralité du Net au Canada repose donc sur l’interprétation que fait le CRTC des dispositions législatives contenues dans la Loi et de l’application des politiques réglementaires qu’il adopte afin de remplir son mandat législatif de réglementer et de surveiller la radiodiffusion et les télécommunications dans l’intérêt public canadien.

C.  Enchâsser explicitement le principe de la neutralité du Net dans la Loi sur les télécommunications?

Le 6 décembre 2017, le Comité a entendu le témoignage de Michael Geist, titulaire de la chaire de recherche du Canada en droit d'Internet et du commerce électronique de la Faculté de droit de l’Université d'Ottawa. Il n’a pas rejeté la possibilité d’enchâsser le principe de la neutralité du Net dans la législation, mais il était d’avis que l’amélioration des dispositions d’application de la Loi est peut-être plus pressante :

À propos du débat antérieur sur l'application de la loi, si je devais choisir la meilleure option qui s'offre à nous pour améliorer la législation, je dirais qu'il faut améliorer certaines des dispositions d'application qui me semblent plus prioritaires qu'une clause sur la neutralité du Net, compte tenu de la façon dont cela s'est déroulé. En toute justice, nous avons constaté aux États-Unis que ce que nous pensions être une politique solidement enchâssée, peut radicalement changer[14].

M. Seidl a réitéré que la protection de la neutralité du Net est une question prioritaire pour le CRTC.

M. Seidl a expliqué la position du CRTC de la façon suivante :

Suivant le principe de la neutralité du Net, tout trafic sur Internet devrait recevoir un traitement égal de la part des fournisseurs de services Internet, avec un minimum de manipulations, d'interférence, de hiérarchisation, de discrimination ou de préférence, voire aucune. Ce principe est inscrit dans la Loi sur les télécommunications dont le paragraphe 27(2) interdit toute discrimination ou préférence indue, et dont l'article 36 interdit aux entreprises de télécommunications d'exercer une influence sur le contenu qu'elles transmettent, à moins qu'elles aient reçu l'autorisation expresse du CRTC pour ce faire. Ces dispositions de la loi procurent au CRTC les outils et la souplesse dont il a besoin pour établir et faire appliquer un cadre sur la neutralité du Net qui est tout à fait approprié et raisonnable pour le Canada.[15]

Il a renchéri en indiquant que :

[…] ces dispositions législatives libellées dans des termes généraux ont résisté à l'épreuve du temps et ont donné au CRTC la souplesse nécessaire pour s'attaquer à des préoccupations de nature plus contemporaine. Il a été possible de les adapter à la technologie et aux besoins d'aujourd'hui, y compris la neutralité du Net[16].

M. Seidl a donc exprimé une réserve au sujet de l’enchâssement du principe de la neutralité du Net dans la Loi, indiquant qu’il faut faire preuve de prudence et ne rien inclure de ferme dans la législation qui ferait obstacle à toute flexibilité qui pourrait être souhaitable à l’avenir[17].

Le 13 février 2018, le Comité a entendu les témoignages des FSI suivants : Bell Canada, Rogers Communications, Telus et Québecor Média. Aucun FSI n’a émis l’opinion qu’il soit nécessaire d’enchâsser le concept de neutralité du Net dans la Loi. Tous étaient d’avis que les règles actuelles devraient demeurer les mêmes.

À cet égard, Pam Dinsmore, vice-présidente aux affaires réglementaires et au câble chez Rogers Communications, a indiqué ce qui suit:

Nous n'en voyons pas la nécessité. Nous pensons que c'est un peu superflu, car ce qu'il y a de bien avec le régime actuel c'est qu'il permet au CRTC d'examiner chaque situation au cas par cas en fonction de l'évolution de la technologie et de déterminer si ces principes en matière de neutralité du Net ont été respectés ou pas[18].

Dennis Béland, vice-président aux Affaires réglementaires, Télécommunications, chez Québecor Média, a exprimé un sentiment similaire en encourageant le Comité à réfléchir au pouvoir discrétionnaire que détient le CRTC en matière de neutralité du Net et à « écouter avec prudence et réserve le discours de ceux qui vous demandent de lier les mains du Conseil à cet égard »[19]. Robert Malcolmson, premier vice-président aux affaires réglementaires chez Bell Canada, a abondé dans le même sens en indiquant que selon Bell, aucune modification à la Loi ne s’impose puisque le Canada possède déjà certaines des dispositions les plus rigoureuses qui existent dans le monde en matière de neutralité du Net. Il a également fait écho aux propos de M. Seidl en mettant en garde contre l’adoption de règles plus contraignantes, qui pourraient mettre en péril l’innovation future ou devenir rapidement désuètes face au développement de la technologie 5G et de l’Internet des objets[20]. Les représentants de Telus ont pour leur part indiqué qu’à leur avis, la Loi et les politiques réglementaires mises en place par le CRTC souscrivent entièrement aux principes de la neutralité du Net[21].

Le 15 février 2018, le Comité a entendu le témoignage de Timothy Wu, professeur de droit à l’Université Columbia, aux États-Unis. M. Wu est à l’origine du terme « neutralité du Net », qu’il a utilisé dans un article publié en 2003 et intitulé « Network Neutrality, Broadband Discrimination[22] ». En réponse aux questions des membres du Comité, M. Wu a argué qu’il serait bénéfique pour le Canada d’inclure une définition de la neutralité du Net dans la Loi plutôt que de se fier à l’interprétation qu’en fait le CRTC. M. Wu a indiqué ce qui suit :

Je dirais que c'est une bonne idée. Au début, je crois qu'il est raisonnable de mettre les choses dans la réglementation […] Pourvu que vous ayez des principes rédigés très simplement, sans blocage ni dégradation, je pense que c'est une bonne idée de les inscrire dans la loi[23].

À la lumière des témoignages entendus, le Comité est d’avis qu’afin d’éviter toute érosion du principe de la neutralité du Net au Canada dans le futur, il serait bénéfique qu’il soit enchâssé dans la Loi de façon explicite.

Par conséquent, le Comité recommande :

Recommandation 1

Que le gouvernement du Canada étudie la possibilité d’enchâsser le principe de la neutralité du Net dans la Loi sur les télécommunications, comme le propose la motion émanant d’un député M-168 qui est présentement examinée par la Chambre des communes.

PARTIE 2 : DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN MATIÈRE DE NEUTRALITÉ DU NET

A.  Révocation des règles liées à la neutralité du Net aux États-Unis

La Federal Communications Commission (FCC) est l’agence gouvernementale indépendante – supervisée par le Congrès – qui est responsable de mettre en œuvre et d’appliquer la législation et la réglementation des États-Unis en matière de communication[24].

Le 21 novembre 2017, le président de la FCC, Ajit Pai, a annoncé qu’il publierait le lendemain une proposition de mesure intitulée Proposal to Restore Internet Freedom, (la « proposition ») et qu’elle ferait l’objet d’un vote au sein de la FCC en décembre 2017[25]. Dans son annonce, M. Pai explique que sa proposition consiste à abandonner la réglementation mise en œuvre en 2015 et de revenir à la situation réglementaire qui régnait avant ce moment.

M. Pai a expliqué de la façon suivante comment l’accès à l’Internet était traité avant 2015 :

Jusqu’en 2015, la FCC traitait l’accès Internet à haute vitesse comme un « service d’information » peu réglementé aux termes du Titre I de la Communications Act. Il y a quelques années, l’administration Obama a demandé à la FCC de changer de cap, ce qu’elle a fait à l’issue d’un vote soumis à la ligne de parti en 2015. Ce faisant, elle a catégorisé l’accès Internet comme étant un « service de télécommunication » lourdement réglementé aux termes du Titre II de la Communications Act. Si le plan est adopté, le 14 décembre, nous annulerons simplement la décision de la FCC de 2015 et retournerons au cadre du Titre I qui avait cours avant 2015[26].

En d’autres mots, le gouvernement des États-Unis a déplacé en 2015 les services Internet dans une autre catégorie de la Communications Act, assujettissant ainsi les FSI aux règles plus strictes applicables aux entreprises de télécommunications plutôt qu’à celles, moins rigoureuses, applicables aux services d’information.

M. Pai a indiqué ce qui suit en novembre lors de son annonce :

Par ailleurs, grâce à ma proposition, la Federal Trade Commission [FTC] sera de nouveau en mesure de contrôler les FSI, de protéger les consommateurs et de stimuler la concurrence, comme elle le faisait avant 2015. Plus particulièrement, ma proposition remettra à l’avant-scène le gardien de la protection de la vie privée du gouvernement fédéral le plus expérimenté, la FTC, qui pourra alors protéger la vie privée des consommateurs sur Internet[27].

La mesure proposée par M. Pai a fait l’objet de nombreux commentaires négatifs – notamment ceux de Mignon Clyburn, l’une des cinq commissaires de la FCC – indiquant que la proposition irait à l’encontre de la neutralité du Net[28].

La FCC a adopté la proposition le 14 décembre 2017. Elle a expliqué l’effet du retour au cadre réglementaire pré-2015 comme suit:

La FCC a substitué à ce cadre oppressif le cadre traditionnel plus léger qui était en place avant 2015. Qui plus est, elle a adopté des exigences strictes en matière de transparence, qui procureront davantage de pouvoirs aux consommateurs et faciliteront une surveillance efficace par le gouvernement des fournisseurs de services à haute vitesse. En particulier, elle a rétabli le pouvoir d’agir de la Federal Trade Commission lorsque ces fournisseurs de services adoptent des pratiques ou commettent des actes qui sont anticoncurrentiels, malhonnêtes ou mensongers[29].

Selon la FCC, le cadre qui existait avant 2015 rétablira un climat favorable aux investissements dans le réseau, ce qui contribuera à combler le fossé numérique et stimulera une concurrence et une innovation qui profiteront aux consommateurs. Le cadre les protégera et coûtera moins cher aux investisseurs, contrairement aux anciennes règles[30].

Deux des cinq commissaires ont voté contre l’adoption de la proposition. L’une des dissidentes, la commissaire Jessica Rosenworcel, a déclaré ce qui suit le jour du vote :

À la suite des gestes malencontreux posés aujourd’hui, nos fournisseurs de services à large bande obtiendront de cette agence de nouveaux pouvoirs extraordinaires, comme celui de bloquer des sites Web, de restreindre les services et de censurer le contenu en ligne. Ils auront le droit de faire de la discrimination et de favoriser le trafic Internet des entreprises avec lesquelles ils ont conclu des accords de paiement à l’utilisation, ainsi que de consigner tous les autres dans une voie lente et cahoteuse[31].

M. Wu a par ailleurs indiqué que le règlement adopté par la FCC fera l’objet d’une contestation devant les tribunaux américains. La contestation judiciaire sera fondée sur deux choses :

L'une est l'idée que l'organisme, la Federal Communications Commission, n'a pas le pouvoir d'adopter la loi de cette manière. L'autre est que le changement que la commission a apporté à une règle efficace sans fournir de motifs est arbitraire. En droit administratif américain, la règle est qu'on ne peut pas simplement modifier des règles administratives de longue date pour des motifs purement politiques. Il doit y avoir eu un changement de circonstances; quelque chose doit s'être passé pour qu'on change la règle sur laquelle se fondait l'industrie[32].

La proposition adoptée par la FCC le 14 décembre 2017 est un règlement de cette agence gouvernementale. La FCC a le pouvoir d’adopter certains règlements sans obtenir l’approbation du Congrès américain[33]. Le CRTC détient un pouvoir similaire en vertu de l’article 67 de la Loi qui lui permet d’adopter des règlements sans obtenir l’approbation du Parlement canadien.

B.  Proposition d’une coalition d’organisations pour créer un système bloquant l’accès en ligne à des sites de piratage

Le 29 janvier 2018, une coalition d’organisations représentant tous les secteurs de l’industrie du cinéma, de la télévision, de la radio, du divertissement sportif et de la musique au Canada, appelée Franc-Jeu Canada, a présenté au CRTC une demande dans laquelle elle propose la création d’un système visant à désactiver l’accès en ligne à des sites de piratage (la « demande »)[34]. La coalition est composée de plus de 25 organisations, dont Bell Canada, Rogers, Québecor et la Société Radio-Canada[35]. Son but est d’obtenir du CRTC qu’il prenne des mesures contre le vol de contenu numérique par des sites Web de piratage illicite[36]. Franc-Jeu propose de : « créer un organisme à but non lucratif, l’Agence indépendante d’examen du piratage (AIEP), qui fonctionnerait sous la supervision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) afin d’aider à empêcher les sites et organismes internationaux de piratage illicites d’atteindre et de nuire à l’économie créative du Canada »[37].

M. Geist a fait les commentaires suivants à l’égard de la proposition visant la création d’une entité responsable du blocage de certains sites web. Il est à noter que la demande de Franc-Jeu n’avait pas encore été déposée auprès du CRTC à ce moment-là :

Dans une proposition transmise récemment au CRTC et qui a été publiée il y a quelques jours, Bell établissait un lien entre sa perception de la nécessité de bloquer des sites de diffusion en continu et de téléchargement de contenu sans autorisation et le succès de son service de vidéo sur demande en continu CraveTV, en faisant valoir que le blocage de l'accès aux sites non autorisés lui ferait gagner des centaines de milliers de nouveaux abonnés. Selon moi, cette affirmation est contestable, mais ce qu'elle met en lumière, à mon point de vue, c'est que les demandes visant à bloquer du contenu sont motivées par le seul intérêt des entreprises de télécommunications elles-mêmes, et en particulier, des grandes sociétés à intégration verticale[38].

Trois des FSI qui ont témoigné devant le Comité, Bell Canada, Rogers et Québecor, sont membres de la coalition Franc-Jeu Canada et M. Malcolmson a défendu la demande déposée auprès du CRTC par la coalition. Il a indiqué que, selon Bell, la demande ne concerne pas la neutralité du Net et expliqué pourquoi la solution proposée par la coalition est efficace :

La proposition de Franc-Jeu concerne une pratique qui, je pense, est généralement reconnue comme étant illégale —le vol de contenu et la violation du droit d'auteur.
Étant donné la difficulté de lutter contre le piratage des droits d'auteur, surtout lorsque les pirates habitent à l'étranger, la proposition de Franc-Jeu demande que le CRTC détermine si ces sources de piratage — qui sont flagrantes, énormes et motivées par l'appât du gain — devraient être bloquées. Pourquoi est-ce que ce serait la solution? Franchement, c'est la solution la plus pratique et la plus rapide: bloquer ces sites dès qu'ils émergent[39].

M. Malcolmson a également mentionné qu’en vertu de l’article 36 de la Loi, le CRTC peut autoriser un FSI à influencer ou à bloquer les télécommunications[40]. Cela se fait de façon ponctuelle, au cas par cas. M. Malcolmson a expliqué l’objet de la demande de Franc-Jeu Canada ainsi :

Plutôt que de nous adresser au CRTC de façon ponctuelle, nous avons pensé qu'une proposition holistique provenant d'un groupe diversifié d'intervenants donnerait au CRTC l'occasion idéale d'examiner les implications et de la considérer de façon générale. C'est exactement ce dont il est question; nous avons choisi de ne pas procéder un à la suite de l'autre[41].

Pour sa part, Mme Dinsmore, a expliqué au Comité comment la demande de la coalition contribuerait à la Loi empêcher le piratage :

Cela étant dit, la proposition est très soucieuse de l'application régulière de la loi. L'organisme qui serait créé serait un moyen pratique, avec l'aide d'experts, de faire le triage des applications qui arrivent. Il serait transparent et le processus serait public, mais au bout du compte, l'Agence indépendante d'examen du piratage ferait des recommandations au CRTC et ce serait le CRTC qui déciderait s'il convient ou non d'ajouter un site Web à la liste des sites bloqués et que les fournisseurs de services Internet seraient donc obligés de bloquer.
Le présumé pirate aurait accès à toute la panoplie des recours, mais s'il n'est pas d'accord avec la décision du CRTC, il pourrait demander au CRTC de revoir et de modifier sa décision ou il pourrait interjeter appel de la décision à la Cour fédérale d'appel, comme pour n'importe quelle autre affaire dont est saisi le CRTC[42].

Le CRTC a indiqué qu’il acceptait des soumissions à l’égard de la demande de Franc-Jeu Canada jusqu’au 29 mars 2018. Des milliers de soumissions ont été soumises par des individus et des compagnies, certaines en faveur de la demande et d’autres contre[43].

Le Comité reconnaît qu’il a reçu une preuve limitée à l’égard de la demande de Franc-Jeu et que le CRTC va évaluer l’ensemble des soumissions qu’il a reçu avant d’accepter ou de rejeter la demande. Cependant, le Comité est d’avis que ce que propose la coalition Franc-Jeu Canada pourrait entraver l’application de la neutralité du Net au Canada et que dans leurs témoignages, les FSI n’ont pas réussi à expliquer de manière suffisante pourquoi le processus existant est inadéquat, ou à présenter une justification suffisante pour appuyer la demande déposée auprès du CRTC. Le comité demeure également sceptique à l’égard de l’absence de surveillance judiciaire dans la demande de Franc-Jeu et est d’avis que le maintien d’une telle surveillance est essentiel.

Le Comité craint donc que dans l’éventualité où le CRTC accepte la demande de Franc-Jeu Canada, il existe un risque d’érosion de la neutralité du Net au Canada en permettant le blocage de contenu Internet et la censure. De tels concepts sont antithétiques à la neutralité du Net, qui garantit un Internet ouvert.

Fait à noter, l’article 12 de la Loi permet au gouvernement canadien – dans l’année qui suit la prise d’une décision par le CRTC – de modifier cette décision, de l’annuler ou de la renvoyer au CRTC pour réexamen[44]. De plus, si le CRTC confirme ou modifie la décision en question (ou ne termine pas son réexamen avant la date fixée dans le décret de renvoi du gouvernement à cet effet), le gouvernement peut, par décret, modifier ou annuler la décision dans les 90 jours suivant cette confirmation ou cette modification (ou la date en question)[45].

À la lumière de ces informations, le Comité recommande :

Recommandation 2

Que, dans l’éventualité où le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, à l’issue du processus lié à la demande de la coalition Franc-Jeu Canada, accepte cette demande, le gouvernement du Canada étudie la possibilité d’utiliser les pouvoirs prévus à l’article 12 de la Loi sur les télécommunications pour demander au Conseil de réexaminer sa décision.

PARTIE 3 : EFFETS POSSIBLEMENT RESSENTIS AU CANADA DES DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN MATIÈRE DE NEUTRALITÉ DU NET AUX ÉTATS-UNIS

A.  Sur les politiques du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes

Selon le CRTC, la décision de la FCC aux États-Unis a peu d’impact, voire aucun impact, sur les politiques du CRTC en matière de neutralité du Net. M. Seidl a été clair à ce sujet :

Le vote de la Commission fédérale des communications n'influencera pas la manière de gérer le trafic Internet au Canada. Le CRTC a exposé son approche par rapport à la neutralité du Net, conformément à ses pouvoirs et à ses obligations au titre de la Loi sur les télécommunications, et nous continuerons de la faire respecter au Canada[46].

Aucun autre témoin n’a indiqué qu’il anticipait un changement dans la position du CRTC relative aux principes de la neutralité du Net en raison des développements récents chez nos voisins du Sud.

M. Geist a pour sa part souligné la différence qui existe entre le Canada et les États-Unis sur cette question. Il a mentionné qu’aux États-Unis, la question de la neutralité du Net est très politisée et les orientations de la FCC à cet égard semblent changer quand une nouvelle personne est nommée à la tête de l’organisme. Au Canada, ce n’est pas le cas. L’engagement du gouvernement à l’égard de la neutralité du Net est constant et a été approuvé au niveau réglementaire par le CRTC[47]. Il ne semble donc pas anticiper de changement dans les politiques du CRTC à l’égard de la neutralité du Net.

Aucun représentant des FSI ayant témoigné devant le Comité n’a émis l’opinion que la décision de la FCC aura un impact majeur sur les politiques du CRTC. M. Malcolmson a mentionné le fait qu’il était important de reconnaître que, peu importe les changements apportés aux politiques relatives à la neutralité du Net aux États-Unis, ce sont les règles élaborées et supervisées par le CRTC qui continuent de régir l’accès des Canadiens à l’Internet et l’utilisation qu’ils en font[48]. Il a également affirmé qu’au Canada, grâce à nos solides lois portant sur la neutralité du Net, le statu quo sera maintenu et que le « pipeline fonctionnera de façon neutre en vertu des règles du CRTC ».[49] Mme Dinsmore a partagé cet avis, en indiquant que si les changements relatifs à la neutralité du Net surviennent aux États-Unis « cela ne changera pas notre façon de faire au Canada en raison de notre solide régime de neutralité du Net »[50].

B.  Sur les consommateurs canadiens

M. Geist a recommandé l’inclusion d’une disposition de protection de la neutralité du Net solide et exécutoire dans le chapitre sur le commerce numérique que la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) semble contenir. À son avis, cela constituerait une bonne mesure, en particulier si elle renforce le pouvoir de cet accord de libre-échange[51].

Selon l’information dont il disposait au moment de sa comparution devant le Comité à l’égard des négociations de l’ALÉNA, le chapitre sur l’économie numérique de l’accord renégocié sera construit selon le modèle du chapitre sur le commerce électronique du Partenariat Transpacifique (PTP), qui contient une disposition relative à la neutralité du Net. La disposition dans le chapitre du PTP était cependant, selon M. Geist, trop faible. Il est donc d’avis que l’adoption d’une disposition plus forte est préférable[52].

M. Wu a de son côté fait les commentaires suivants, relativement au lien entre la neutralité du Net et l’ALÉNA ou l’accord de libre-échange qui le remplacera :

Je pense à un entrepreneur canadien qui offre un service et souhaite le vendre chez son voisin du Sud. C'est ce qu'on appelle le « commerce des services » dans le langage commercial. S'il existe une possibilité que son service soit bloqué ou que des mesures soient prises en ce sens, je pense que c'est potentiellement une violation de l'accord commercial[53].

Par ailleurs, M. Wu a recommandé au Comité d’obtenir du gouvernement des États-Unis – dans le cadre de traités commerciaux ou en utilisant l'angle de la liberté d'expression – la garantie que les communications des Canadiens avec des personnes situées aux États-Unis ne seront pas bloquées en raison des développements récents en matière de neutralité du Net aux États-Unis[54].

Selon lui,

Les fournisseurs américains de services téléphoniques et de câblodistribution ont maintenant le pouvoir — ce qui est aberrant — de bloquer tout ce qu'ils désirent bloquer. Ils disposent, en fait, d'un pouvoir de censure. Par exemple, si un site canadien
critique les attitudes trop impérialistes des États-Unis, les fournisseurs peuvent faire en sorte qu'aucun Américain ne voie ce site. Nous considérons l'Amérique du Nord comme un continent ouvert, où tous peuvent se parler, mais les fournisseurs ont le droit de bloquer des accès ou d'intercepter des renseignements. Ils pourraient bloquer tous les courriels provenant d'une personne en particulier[55].

C.  Sur le trafic Internet au Canada

En réponse aux questions des membres du Comité portant sur les mesures que le Canada pourrait prendre pour garantir que le contenu canadien ne soit pas ralenti ou réduit en raison de mesures prises aux États-Unis, M. Seidl a argué que le fait d’adopter des règlements rigoureux sur la neutralité du Net exprimerait clairement aux intervenants de l'espace d'applications que le Canada leur garantit que les FSI les traiteront de façon équitable[56]. Il a affirmé que

Si les autres pays ne sont pas aussi accueillants, je pense que nous pourrions voir des fournisseurs de contenu se connecter directement aux fournisseurs Internet du Canada, ce qui fera augmenter le trafic dans notre pays[57].

D.  Sur la concurrence

En ce qui concerne l’impact possible de changements organisationnels aux États-Unis en matière de contrôle et de fonctionnement d'Internet sur l’utilisation qui en est faite au Canada, M. Seidl a fourni l’explication suivante :

Il s'agit certainement d'un énorme marché qui est très important pour tous les fournisseurs d'applications. Si AT&T, Verizon et d'autres grands fournisseurs commencent à favoriser des applications particulières dans une mesure extrême —  ce qui ferait disparaître d'autres applications —, il est évident que cela aura des répercussions sur cet espace alloué aux applications[58].

M. Seidl a rappelé qu’Internet représente un marché mondial et qu’il est possible que les développements qui ont cours aux États-Unis limitent les entreprises en démarrage canadiennes[59]. Dans le même ordre d’idées, M. Wu a établi un parallèle entre la situation des entreprises en démarrage de la Silicon Valley – qui n'attirent pas le même genre d'investissement qu'auparavant, selon lui – et les entreprises en démarrage canadiennes, dont le développement pourrait être entravé par les changements concernant la neutralité du Net[60].

Imaginons une jeune entreprise canadienne dans la région d'Ottawa ou de Vancouver. Pour atteindre les consommateurs, elle doit commencer à négocier avec des entreprises américaines. Il est possible qu'elle n'ait aucune idée à qui elle a affaire: Verizon, Comcast, AT&T, et ainsi de suite. Il s'agit d'une barrière plus importante à l'entrée pour les entrepreneurs canadiens, beaucoup plus que pour les Américains[61].

M. Wu a également fait part au Comité de ses préoccupations concernant la nature monopolistique des activités des grandes entreprises Internet des États-Unis et de ses effets sur l'économie canadienne. Selon lui, la perte de la neutralité du Net aux États-Unis rend ces entreprises encore plus puissantes[62].

En effet, c'est paradoxal, mais vous verrez de plus en plus de pouvoir entre les mains des plus grandes entreprises Internet: Google, Facebook et Amazon[63].

Selon M. Wu, il est important de garder cette réalité en tête, en raison de l'influence sur le marché canadien de ces grandes entreprises Internet basées aux États-Unis[64].

Le Comité est d’avis que, compte tenu de l’importance de la neutralité du Net et des enjeux que soulève la nature transfrontalière de l’échange de contenu accessible sur l’Internet, le gouvernement canadien devrait se pencher davantage sur la question du libre-échange entre le Canada et les autres membres de l’ALÉNA. Le gouvernement devrait s’assurer du maintien d’un accès équitable au contenu et aux services Internet pour les consommateurs et les entreprises du Canada.

Par conséquent, le Comité recommande :

Recommandation 3

Que le gouvernement du Canada obtienne du gouvernement des États-Unis la garantie que les communications des Canadiens avec des personnes situées aux États-Unis, ou qui passent par les réseaux situés aux États-Unis pour rejoindre une autre destination, ne seront pas bloquées par les fournisseurs de services Internet de ce pays, confirmant les obligations actuelles des deux pays en vertu de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) d’assurer un accès équitable aux consommateurs et aux entreprises du Canada et mettant l’accent sur l’importance de cet accès durant les efforts de renégociation de l’ALÉNA.

Recommandation 4

Que le gouvernement du Canada, face à la mondialisation du commerce et de l’infrastructure informatique, poursuive le dialogue avec d’autres pays au sujet du commerce informatique international, de la concurrence et de l’infrastructure pour promouvoir l’harmonisation des meilleures pratiques de l’Internet ouvert à l’échelle internationale.

PARTIE 4 : LIENS ENTRE NEUTRALITÉ DU NET, PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE ET ACCÈS À L’INFORMATION

Le Comité a reçu des témoignages à l’égard du traitement des plaintes en matière de télécommunications au Canada et de la fourchette de marge de profits acceptables pour les FSI. Bien que la seconde partie de ces témoignages liée à la marge de profits acceptable ne mène pas à une recommandation dans le présent rapport, le Comité est d’avis qu’il s’agit d’une question dont le gouvernement du Canada devrait tenir compte.

A.  Traitement des plaintes par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes

M. Geist a expliqué que l'approche du CRTC en matière de traitement des plaintes permet aux Canadiens de déposer une plainte concernant les violations de la neutralité du Net, ce qu’ils ont fait en quelques occasions[65].

Le CRTC procède ensuite à une enquête et, dans certains cas, il tient des audiences concernant certaines des répercussions les plus générales soulevées par la préoccupation. Les orientations permettent aussi d'assurer plus de transparence dans les pratiques de gestion du réseau, forçant ainsi les FSI à divulguer comment ils gèrent leurs réseaux et l'incidence de leurs pratiques sur l'utilisation que les consommateurs font d'Internet[66].

M. Seidl a indiqué que les statistiques les plus récentes montrent que le CRTC a reçu 19 plaintes liées aux pratiques de gestion du trafic Internet en 2017[67]. L’approche du CRTC dans le traitement des plaintes qui dénoncent des pratiques ou des approches très préoccupantes consistent à tenir des consultations publiques et à traiter ces plaintes de manière définitive[68].

Cependant, M. Geist a soulevé le fait que le CRTC réagisse aux plaintes de particuliers, plutôt que de procéder à des vérifications et d’examiner les pratiques des FSI de façon proactive, est une des faiblesses de notre système[69].

Le Comité est d’accord avec M. Geist et recommande :

Recommandation 5

Que le gouvernement du Canada encourage le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes à utiliser de façon proactive les pouvoirs d’enquête prévus dans la Loi sur les télécommunications pour s’assurer que les pratiques des fournisseurs de services Internet soient conformes au droit canadien.

B.  Fourchette de marges de profits acceptables pour le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes

En réponse aux questions des membres du Comité concernant la fourchette de marges de profits des FSI qui sont acceptables pour le CRTC lorsqu’il prend en compte les facteurs qui déterminent le coût approprié pour avoir accès à un réseau de services de gros, M. Seidl a expliqué qu’elle se situe entre 15 % et 40 %[70].

Il a également expliqué que le CRTC procède à une analyse très complexe et détaillée afin d’essayer de trouver le juste équilibre et le niveau de service qui convient[71].

Quand nous fixons des tarifs, quand nous les envisageons dans la perspective de la vente de gros, nous regardons d'abord les coûts des réseaux des fournisseurs et veillons à ce qu'ils puissent récupérer ces coûts. Nous regardons ensuite la possibilité d'une majoration. C'est le terme que nous utilisons pour cerner les coûts communs, comme les frais généraux et ainsi de suite. Puis, s'il y a des risques, nous déterminons s'il faut veiller à ce que le fournisseur du réseau ait des raisons suffisantes de continuer à investir, et à ce que ceux qui utilisent le service veuillent aussi investir et offrir de là des services novateurs[72].

À la lumière de ce qu’il a entendu, le Comité tient à exprimer ses préoccupations quant à l’accès des Canadiens à des services Internet abordables. Cependant, le Comité est d’avis que cette question tombe plutôt sous le mandat du Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes et l’invite donc à se pencher sur celle-ci.

CONCLUSION

Au nom du CRTC, M. Seidl a estimé qu’avec l’arrivée prochaine du réseau 5G pour la prochaine génération de services sans fil mobiles, l'infrastructure requise pour garantir à tous les Canadiens de pouvoir participer à l'économie numérique, où tout sera connecté, est « sans fin »[73].

Les représentants des FSI ont également souligné l’importance pour leur industrie des changements qu’entrainera la mise en place du réseau 5G, comme l’utilisation des véhicules connectés, l’Internet des objets, les villes intelligentes et la prestation de services de santé à distance[74].

À la lumière de l’ensemble des témoignages, le Comité est d’avis que l’accroissement de l’utilisation des services mobiles dans l’avenir ne devrait pas se faire au détriment des principes de la neutralité du Net, de la protection de la vie privée et de l’accès à l’information, en permettant aux FSI d’accroitre leur emprise sur l’infrastructure requise par les nouveaux développements technologiques tout en contrôlant l’information véhiculée sur Internet.


[1]              Chambre des communes, Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements et de l’éthique (ETHI), Procès-verbal, 1re session, 42e législature, 6 décembre 2017.

[2]                     Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, ch. 38, art. 27 et 36.

[3]                     Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), À propos de nous.

[4]                     CRTC, « Renforcer la neutralité du Net au Canada », Internet.

[5]              ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 6 février 2018, 0850 (Christopher Seidl, directeur général, Télécommunications, CRTC).

[6]              Ibid., 0855.

[7]              Ibid.

[8]                     CRTC, « Politique réglementaire de télécom CRTC 2009-657 », Décisions, avis et ordonnances, 21 octobre 2009.

[9]                     Ibid.

[10]                  CRTC, « Politique réglementaire de télécom CRTC 2017-104 », Décisions, avis et ordonnances, 20 avril 2017.

[12]                  Ibid.

[13]                  CRTC, « Politique réglementaire de télécom CRTC 2017-104 », Décisions, avis et ordonnances, 20 avril 2017.

[14]            ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 6 décembre 2017, 1710 (Michael Geist, titulaire de la chaire de recherche du Canada en droit d'Internet et du commerce électronique, Faculté de droit, Université d'Ottawa, à titre personnel).

[15]            ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 6 février 2018, 0850 (Christopher Seidl).

[16]            Ibid.

[17]                  Ibid., 0950.

[18]            ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 13 février 2018, 0935 (Pam Dinsmore, Vice-Présidente aux affaires réglementaires et au câble chez Rogers Communications).

[19]            Ibid., 0850 (Dennis Béland, vice-président, Affaires réglementaires, Télécommunications, Québecor Média inc.).

[20]            Ibid., 0855 (Robert Malcolmson, premier vice-président, Affaires réglementaires, Bell Canada).

[21]            Ibid., 0900 (Ted Woodhead, vice-président principal, Relations gouvernementales et affaires réglementaires, TELUS).

[22]            Timothy Wu, « Network Neutrality, Broadband Discrimination », Journal on Telecommunications and High Technology Law, vol. 2, p. 141, 2003.

[23]            ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 15 février 2018, 0910 (Timothy Wu, professeur, Faculté de droit de l’Université Columbia).

[24]                  Federal Communications Commission (FCC), « The FCC’s Mission », About the FCC.

[26]                  FCC, Remarks Of Chairman Ajit Pai On Restoring Internet Freedom, Washington, DC, 28 novembre 2017 [traduction].

[27]                  Ibid. [traduction].

[28]                  Voir, par exemple, FCC, Debunking Chairman Pai’s Claims about Net Neutrality Prepared by the Office of FCC Commissioner Clyburn, 30 novembre 2017; et FCC, Commissioner Clyburn Fact Sheet on Net Neutrality, 22 novembre 2017.

[29]                  FCC, « Restoring Internet Freedom », FCC initiatives [traduction].

[30]                  Ibid.

[31]                  Jessica Rosenworcel, « Statement of Commissioner Jessica Rosenworcel, Dissenting », 14 décembre 2017 [traduction].

[32]            Ibid.

[33]            ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 15 février 2018, 0855 (Timothy Wu).

[34]            CRTC, Instances de Télécom, Ouverte-Demandes Partie 1, Demande en vue de désactiver l’accès en ligne à des sites de piratage.

[35]            Franc-Jeu Canada, Qui nous sommes.

[36]                  Ibid.

[37]                  Franc-Jeu Canada, Passons à l’action contre le vol en ligne.

[38]            ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 6 décembre 2017, 1640 (Michael Geist).

[39]            ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 13 février 2018, 0935 (Robert Malcolmson).

[40]            Ibid.

[41]            Ibid., 1005.

[42]            ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 13 février 2018, 0930 (Pam Dinsmore).

[43]            CRTC, Interventions, Numéro d’instance publique : 2018-0046-7, Demande en vue de désactiver l’accès en ligne à des sites de piratage.

[44]            Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, ch. 38, par. 12(1).

[45]            Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, ch. 38, par. 12(7).

[46]            ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 6 février 2018, 0855 (Christopher Seidl).

[47]            ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 6 décembre 2017, 1635 (Michael Geist).

[48]            ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 13 février 2018, 0855 (Robert Malcolmson).

[49]            Ibid., 0920.

[50]            Ibid. (Pam Dinsmore).

[51]            ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 6 décembre 2017, 1640 (Michael Geist).

[52]            Ibid., 1700.

[53]            ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 15 février 2018, 0905 (Timothy Wu).

[54]            Ibid., 0915.

[55]            Ibid.

[56]            ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 6 février 2018, 0915 (Christopher Seidl).

[57]            Ibid.

[58]            Ibid., 0920.

[59]            Ibid.

[60]            ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 15 février 2018, 0905 (Timothy Wu).

[61]            Ibid.

[62]            Ibid., 0900.

[63]            Ibid.

[64]            Ibid.

[65]            ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 6 décembre 2017, 1635 (Michael Geist).

[66]            Ibid.

[67]            ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 6 février 2018, 0855 (Christopher Seidl).

[68]            Ibid.

[69]            Ibid., 1655.

[70]            Ibid., 0940.

[71]            Ibid.

[72]            Ibid.

[73]            ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 6 février 2018, 0940 (Christopher Seidl).

[74]            ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 13 février 2018, 0850 (Pam Dinsmore); Ibid., 0850 (Dennis Béland); Ibid., 0855 (Rob Malcolmson); Ibid., 0905 (Michael Guerriere, médecin chef et vice-président, Solutions en santé, TELUS).