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CHPC Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent du patrimoine canadien


NUMÉRO 072 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 20 septembre 2017

[Enregistrement électronique]

  (1535)  

[Traduction]

    La 72e séance du Comité du patrimoine canadien est ouverte. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous étudions les formes de racisme et de discrimination religieuse systémiques.
    Nous allons donner la parole à notre premier groupe de témoins. Ils sont ici pour une heure, de 15 h 30 à 16 h 30. M. Tarek Fatah est le fondateur du Congrès musulman canadien, et Michel Juneau-Katsuya est le président et directeur général du Groupe Northgate.
    Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Vous avez 10 minutes chacun pour présenter votre exposé. Je ne peux vous donner plus de temps. Il y aura ensuite une période de questions et réponses, pendant laquelle les députés vous poseront des questions.
    Nous allons commencer par M. Fatah, pour 10 minutes. Merci.
    Bonjour, madame la présidente, mesdames et messieurs les députés.
    J'aimerais parler des difficultés auxquelles nous sommes confrontés dans le contexte de ce qui se passe aujourd'hui et de ce qui s'est passé hier, concernant une ville canadienne et une victime canadienne du terrorisme et de l'islamophobie.
    Hier, aux Nations unies, une réfugiée canadienne, Ensaf Haidar, a pris la parole devant le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Son mari est incarcéré en Arabie saoudite sur des accusations d'islamophobie et il purge une peine de 10 ans de prison et d'un millier de coups de fouet. Bien entendu, le Times de Londres a jugé pertinent de publier cette histoire. Les journaux canadiens ont manifestement trouvé qu'il serait islamophobe de publier quoi que ce soit à propos d'une victime accusée d'islamophobie et emprisonnée à cause de cela.
    L'autre chose, c'est le procès de deux jeunes terroristes djihadistes qui se déroule à Montréal en ce moment. Si j'étais un des voisins, je me sentirais peut-être mal à l'aise d'entendre des gens dire que l'islamophobie n'est pas fondée et qu'il ne s'agit de rien de plus qu'une réaction irrationnelle répondant au raciste qui sommeille essentiellement dans la plupart des Canadiens blancs.
    J'écoutais Iqra Khalid, lundi, et je n'ai pas pu m'empêcher de remarquer deux mots qui revenaient dans la discussion, et autour desquels les priorités relatives à l'islamisme seront mises en avant. L'un de ces mots est « expert ». Ce mot est tiré directement du credo islamiste du siècle dernier, sous la domination de djihadistes comme Hassan al-Banna, fondateur des Frères musulmans, Sayyid Qutb, d'Égypte, et Syed Maududi, du Jamaat-e-Islami, en Inde et, plus tard, au Pakistan. Ces trois hommes sont les pendants islamofacistes de Marx, Lénine et Trotsky. Leurs fidèles se trouvent dans presque toutes les universités et écoles urbaines d'Amérique du Nord, et ils se sont trouvés sur la liste des personnes servant de façade aux Frères musulmans que le FBI a dressée dans le cadre du procès lié à l'attaque terroriste au Texas, il y a quelques années.
    Ces fanatiques djihadistes orthodoxes prétendent que seuls les experts — pas les historiens, les universitaires et les auteurs, et certainement pas les femmes — peuvent comprendre l'Islam ou exprimer une opinion sur une question controversée. Ce sont donc de tels experts qui se portent à la défense de la polygamie, de la mutilation génitale des femmes, ou MGF, des mariages d'enfants, des esclaves sexuels et de l'éloge du djihad armé.
    Cependant, le problème fondamental qui se pose à vous, ou aux Canadiens — le problème très actuel —, c'est le mot « islamophobie ». L'Oxford Dictionary définit l'islamophobie comme étant — traduction libre — une aversion ou une peur intense de l'islam, en particulier comme force politique; une hostilité ou un préjugé contre les musulmans. Il y a aussi la définition d'Andrew Cummins, qui a tenu un jour des propos souvent attribués par erreur à Christopher Hitchens. Selon cette définition, l'islamophobie « est un terme créé par des fascistes et utilisé par des poltrons pour manipuler les crétins ». La députée Iqra Khalid le définit comme étant « une peur ou une haine irrationnelle des musulmans ou de l'islam ».
    Étant musulman, je dirais que toutes ces définitions sont sans doute justes, compte tenu de certaines circonstances, mais en occident, personne — pas Oxford ni M. Hitchens ni aucun autre critique ou défenseur — n'a parlé de la connotation du mot « islamophobie ». Je ne parle pas du sens, mais bien de la connotation. Les musulmans qui ont formé une organisation appelée « Muslims against M103 » croient que les députés canadiens se font berner — pardonnez-moi l'expression. Par exemple, sur le sous-continent indien où près de la moitié des musulmans du monde entier vivent, et d'où sont originaires de nombreux islamistes qui ont essayé sans succès de faire intégrer la charia dans le droit familial ontarien en 2005, le terme « islamophobie » se traduit librement par Islam dushmani, ce qui signifie « ennemis de l'islam ». Cela s'oppose à Islam pasand, qui signifie « amis de l'islam ». Si vous n'opposez pas ces deux expressions, vous ne comprendrez pas la connotation réelle derrière l'utilisation explosive du mot « islamophobie ».
    Nous avons vu cela au Darfour, où un demi-million de musulmans noirs ont été assassinés. Quand plus d'un million de musulmans à la peau foncée ont été tués, la raison donnée en 1971 par les Pakistanais et les Bangladeshis, c'est que les musulmans du Bangladesh étaient des Islam dushmani, donc des islamophobes, alors que les musulmans du Pakistan étaient des Islam pasand, ou des amis de l'islam.
    Nous avons vu cela au Darfour avec les janjawids, et en Syrie avec la dictature répressive d'Assad, déclaré anti-islamique par les dictateurs d'Arabie Saoudite, considérés comme les amis de l'islam. Un demi-million de personnes sont mortes à ce jour, dans le djihad mené contre les islamophobes par les amis saoudiens et qataris de l'islam. Nous, les musulmans qui nous opposons aux islamistes, estimons que l'étiquette « islamophobe » a été introduite dans le but de nous cibler dans le cadre du processus lié à la motion M-103. Le but premier de cela est d'étouffer nos voix quand nous dénonçons la polygamie, la mutilation génitale des femmes, les mariages d'enfants, les crimes d'honneur, le djihad armé, la discrimination raciale qui se répand là où l'islamophobie est bannie et, surtout, la burka, qui n'a rien à voir avec l'islam, mais qui équivaut à une gifle au visage des féministes qui luttent depuis 200 ans.
    Nous qui avons fui le monde islamique pour échapper à la tyrannie subie parce que nous étions faussement qualifiés d'islamophobes, et qui sommes venus nous établir au Canada, en fait notre chez-nous, nous constatons maintenant que les ennemis nous ont traqués et que les députés non-musulmans, naïfs et bien intentionnés, se font berner.
    La triste ironie des islamistes qui prétendent à l'islamophobie, c'est qu'eux et d'autres musulmans se moquent au quotidien des chrétiens et des juifs. Quand on lit le préambule du Coran, soit la sourate Al-fatiha, 5 fois par jour, ou au moins 20 fois par jour, quiconque prie se moque des chrétiens et des juifs. Ces mêmes personnes se retournent et viennent dire qu'il y a beaucoup d'islamophobie au Canada. La sourate Al-fatiha est l'équivalent musulman du Notre Père des chrétiens; dans cette prière, nous demandons à Allah de nous orienter vers le bon chemin, plutôt que vers celui qu'ont emprunté ceux qui ont suscité sa colère, soit les juifs ou ceux qui sont sortis du droit chemin — les chrétiens.
    Pour quiconque le souhaite, j'ai deux traductions du Coran avec moi et je vous les offre, car vous poserez cette question aux experts qui viendront et qui oseront nier catégoriquement que cela existe. Mais cela existe. Cela se fait tous les jours, 5 fois par jour, dans 500 mosquées partout au pays. Pour les hindous, les sikhs et les athées, s'ils pensent s'en être sortis et ne pas être maudits, la congrégation du vendredi commence immanquablement par une prière qui dit: « Oh, Allah, accorde aux musulmans la victoire sur le “Kawm al-Kafirum” », le Kufr, les infidèles — donc vous tous.
    La question que je veux vous poser est la suivante, mesdames et messieurs. Est-ce que le Comité du patrimoine canadien va déclarer que toute prière religieuse demandant la victoire des musulmans sur les autres religions est haineuse et, par conséquent, criminelle? Si jamais on déclare que l'islamophobie devient une infraction criminelle au Canada, vous tous aurez causé un tort énorme au patrimoine de votre pays — acquis sur 400 ans — et à la civilisation occidentale qui trouve son origine dans le sacrifice que s'est infligé Martin Luther, au XVIe siècle, quand il a tenu tête à la papauté et à ses indulgences, et a fini par être excommunié. Si vous reconnaissez le rôle de Martin Luther, de la Réforme et du siècle des Lumières, comment pouvez-vous donc enlever aux musulmans le droit de tenir tête à leurs propres papes qui se font passer pour des experts?
    J'espère que vous comprenez bien que si vous incluez les mots « condamner l'islamophobie » dans votre proposition finale, vous allez porter atteinte au droit inaliénable de tout musulman canadien de critiquer notre religion, une riche tradition qui a été étouffée par les mollahs, les rois et les califes, jusqu'à maintenant en nous assassinant, en nous décapitant ou en évoquant les lois pour punir l'islamophobie par les décapitations autorisées par la charia, comme pour la Canadienne qui a parlé hier devant les Nations...

  (1540)  

    Il vous reste une minute.
    Pardon? Oui.
    Vos recommandations doivent reconnaître le droit d'un musulman de publiquement mettre en doute ce qui est pourri dans l'univers musulman et de lutter contre le pouvoir dans la tradition de Martin Luther et d'Érasme, et avant eux, du saint perse musulman du Xe siècle, Mansur al-Hallaj, qui a été décapité à Bagdad après avoir été accusé d'islamophobie par les mollahs de cette époque. Le jour où vous allez criminaliser l'islamophobie, je vous assure que je vais publiquement défier la loi, m'en moquer et fièrement me faire arrêter [inaudible] dans les meilleures traditions de mon leader, Mahatma Gandhi.
    Merci beaucoup.
    Merci, monsieur Fatah.
    C'est maintenant au tour de M. Juneau-Katsuya, pour 10 minutes.

[Français]

[Traduction]

    Distingués membres du Comité, je vais vous présenter mon exposé dans ma langue maternelle, question de gagner du temps. Vous constaterez que j'ai un accent très sexy. Ce sera rapide.

[Français]

    J'aimerais aujourd'hui profiter de cette occasion pour discuter particulièrement d'un aspect du sujet à l'étude: la montée de la droite au Canada et les blessures sociales qu'elle risque de laisser au sein de notre société.
    J'admets immédiatement que le racisme ne se limite pas à une catégorie d'individus. De tout temps, il a été présent parmi nous, et c'est une attention constante de la société civile qui permet de l'endiguer. Il s'est manifesté en tout temps et dans presque toutes les cultures. Je dénonce toute forme d'extrémisme, qu'il soit de droite, de gauche, religieux ou idéologique.
    Toutefois, mon propos aujourd'hui se concentrera sur la montée de la droite, car elle représente pour moi, pour des raisons très objectives, une menace encore plus grande que l'islamisme radical, malgré le fait que cette dernière forme de menace a malheureusement déjà tué et continuera de le faire pour un certain temps.
    La montée de la droite est une menace plus grande parce qu'elle s'infiltre dans la pensée de nos concitoyens au point d'en déformer la réalité et, avec le temps, en vient à résister aux débats sereins et mesurés. Si elle est laissée à elle-même, cette mouvance prendra tellement racine qu'il faudra sûrement des décennies d'efforts constants afin de s'en débarrasser et de revenir à un climat social permettant l'épanouissement de tous en toute sécurité. J'irais plus loin: la montée de la droite a déjà fait des victimes et nous ne sommes pas loin d'être aux prises avec un terrorisme intérieur encore plus important que celui qui nous menace présentement.
    Mes recherches et mon expérience professionnelle m'ont démontré que l'extrême droite, ou, pour certains, la droite alternative, n'est pas uniforme au Canada. Il y a des actions politiques et des discours bien différents d'un bout à l'autre du pays. Faute de temps, je n'irai pas dans les détails, mais disons qu'en général l'extrême droite anglophone de l'Ouest a un discours beaucoup plus près de celui des néonazis et des Blancs suprémacistes dit conventionnels que celui que l'on retrouve au Québec chez une droite dite identitaire. Ces phénomènes sont en partie liés au fait linguistique, les anglophones étant beaucoup plus en contact avec les groupes néonazis américains, et au parcours historique et culturel des groupes visés.
     Dans les années 1990, alors que j'étais encore au Service canadien du renseignement de sécurité, j'ai été chargé avec mon équipe d'analyser les menaces de l'extrême droite au Canada. Nous avons pu observer, entre autres, la montée de la droite en Europe. Ce qui ressortait des études spécialisées dans le domaine était la présence de l'insécurité comme facteur crucial favorisant cette montée de la droite radicale. L'insécurité est d'ailleurs un élément très important dans ma présentation. Cette insécurité, si elle n'est pas suffisamment prise en considération par les leaders civils, offre aux fervents de la droite la possibilité de rejoindre toutes les couches de la société, mais particulièrement les plus vulnérables. De fait, les personnes les plus vulnérables sont souvent des personnes éprouvant de l'insécurité. La droite propose un discours souvent démagogique et criblé de faussetés qui attise l'insécurité et la peur. Avec la montée des discours populistes et l'arrivée de l'ère des fausses nouvelles ou des « faits alternatifs », ces phénomènes ont grandement contribué à enraciner cette insécurité.
    C'est là que tout se joue. L'enjeu consiste à déterminer le discours qui prédomine et qui est retenu par la population. Pour l'instant, le constat est bien triste. Comme le discours de la droite alternative n'a pas été neutralisé par un contre-discours de nos leaders politiques, elle a pu s'installer et est devenue dangereuse, justement parce que certains la considèrent maintenant comme un phénomène de société tolérable, voire acceptable. Le phénomène devient en effet particulièrement dangereux lorsque le discours insidieux qui est véhiculé se sert d'arguments de peur qui serviront à faire croire aux gens qu'il y a un but légitime de protection de leurs intérêts. Voilà le masque dont se sert allégrement la droite, et ce, en dépit de l'existence d'éléments factuels.
    Je déplore à l'heure actuelle le manque de leadership et d'actions concrètes de la part de nos leaders politiques, tous partis et tous paliers gouvernementaux confondus, visant à offrir un contre-discours aux allégations et même aux purs mensonges perpétués par les agitateurs de la droite.
    Tout en respectant la liberté d'expression, il y a peut-être lieu de revoir le degré d'acceptabilité des égarements de certains de ces leaders d'opinion ou provocateurs. La grande tolérance canadienne est peut-être devenue notre talon d'Achille. On peut compter sur les doigts d'une main les mesures qu'ont prises les procureurs pour appliquer la loi lorsque des extrémistes se sont livrés à des abus de langage. Ces abus sont repris par toutes sortes de plateformes publiques, leaders politiques ou groupes qui, de manière un peu opportuniste, profitent de la situation pour tenter de gagner quelques votes et n'hésitent pas à provoquer l'insécurité et l'indignation chez certains citoyens.
    Je terminerai en parlant de la présence de ces messages insidieux dans la sphère publique. C'est apparemment devenu un simple phénomène permettant d'exprimer des opinions, qu'il s'agisse des médias sociaux ou des médias plus conventionnels. Je parle de ces agitateurs de tout acabit qui ont alimenté, au nom de la critique et du droit de faire déferler leur opinion, un discours qui nourrit l'insécurité. Il est particulièrement déplorable et troublant que nous soyons toujours aux prises avec ce phénomène qui prend de l'ampleur sur la place publique.
    Ce phénomène doit être dénoncé par tous: les responsables d'entreprises, les associations de surveillance professionnelles et accréditées et même les simples internautes ou citoyens. Il faut en outre responsabiliser ceux qui ont un accès plus direct au public. C'est en effet l'inaction de tous qui risque d'entraîner des conséquences graves d'un bout à l'autre du pays. Malgré les dénonciations, on continue de marteler les discours hargneux, haineux, voire mensongers, et la population finit par y croire. À titre d'exemple, notons que les autorités policières estiment aujourd'hui que le Québec à lui seul compte entre 50 000 et 55 000 personnes qui adhèrent à la droite identitaire ou en sont partisans. Plus de 15 groupes connus affichent publiquement leur appartenance à la droite identitaire. Un de ces groupes, qui vise à s'armer et à faire des entraînements militaires, a été dénoncé récemment lorsqu'il a fait l'objet d'une couverture médiatique. Quel est l'objectif de ces gens? La question est soulevée.
    Au lendemain de la tuerie du 29 janvier dernier à Québec, le directeur du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence a clairement indiqué, dans une entrevue à la chaîne TVA, que ses bureaux de Montréal avaient reçu plus de 600 appels au cours des neuf derniers mois, que 20 % d'entre eux provenaient de la région de la grande ville de Québec et qu'ils étaient presque tous liés à des problèmes relatifs à la droite radicale.
    Avons-nous besoin de plus de statistiques ou d'une autre tuerie pour agir?
    Somme toute, notre société est troublée depuis un trop grand nombre d'années par divers grands enjeux. Trouver des boucs émissaires est commode et quasi instinctif quand l'insécurité domine. L'histoire nous a appris des leçons sur les dangers que représente la montée de toute forme d'extrémisme. Revoyons ces leçons, car l'histoire a malheureusement commencé à se répéter et le temps commence à nous manquer.

  (1550)  

[Traduction]

    Vous avez fini deux minutes avant que votre temps soit écoulé. Merci beaucoup.
    Nous allons amorcer les séries de questions et réponses. Nous allons commencer par un tour de sept minutes.
    J'aimerais que chacun s'exprime succinctement, aussi bien pour les questions que pour les réponses.
    Nous commençons par M. Darrell Samson, du côté des libéraux. Vous avez sept minutes.

[Français]

    Merci, madame la présidente.
    Les deux présentations ont été fort intéressantes.
    J'aimerais, bien sûr, poser quelques questions à M. Juneau-Katsuya.
    Vous avez énormément d'expérience dans ce domaine. Nous considérons donc avoir été enrichis par votre présentation d'aujourd'hui. Vous avez parlé de votre passé ainsi que de vos points de vue et vous nous avez fait part de votre expertise, ce qui est le plus important. C'est à cet égard que j'aimerais en savoir plus.
    En vous fondant sur votre expérience, pourriez-vous nous donner une idée du climat qui règne présentement au Québec, selon vous, par rapport à cette question?
    Il est très volatil et très dangereux. Au Québec, le climat s'envenime de plus en plus, parce que la droite identitaire a pu gagner une certaine légitimité. Les discours qui sont répétés et bien allégrement couverts par les médias arrivent facilement aux oreilles de M. et Mme Tout-le-Monde. J'oserais dire que le problème commence à partir du moment — et ce moment est déjà passé — où de bons citoyens canadiens, normaux, se mettent à dire que ces gens n'ont pas totalement tort et que leurs propos leur plaisent, en définitive. Il y a présentement une certaine contamination ainsi qu'une érosion des valeurs et de l'esprit canadiens. Nous sommes malheureusement très près du jour où, à l'intérieur de ces groupes identitaires, en particulier au Québec, certains membres plus extrémistes et plus fougueux trouveront que les choses ne se passent pas assez vite et décideront de prendre les armes ou de poser des actes comme ceux dont la mosquée a fait l'objet.
    Si telle est la situation aujourd'hui, qu'est-ce qui a démarré tout cela? Au cours des 30, 40 ou 50 dernières années, quelque chose a été déraciné. Pourriez-vous dresser un portrait rapide de la situation telle qu'on la connaît aujourd'hui?
    C'est l'insécurité. Comme je l'ai mentionné un peu dans ma présentation, l'élément de l'insécurité est probablement celui qui vient dominer l'analyse que l'on peut faire.
    Depuis plusieurs années, le Canada est une terre d'accueil pour les immigrants. Le Canada a fait preuve de générosité en accueillant plusieurs personnes. Malheureusement, certaines critiques au sujet du rôle de l'immigrant et du poids de l'immigrant sur la société canadienne n'étaient pas à propos. Avec le temps, cela a énormément nourri la population d'une certaine rancoeur, d'un certain désagrément.
    Puis sont survenus les événements du 11 septembre 2001, qui ont entraîné l'omniprésence de la peur et le tabassage médiatique d'une communauté en particulier. J'insiste sur les mots « une communauté en particulier ». Il est intéressant de regarder les faits.
    Si je vous demandais de me dire combien d'attentats ou d'explosions au Canada ont été l'oeuvre d'islamistes radicaux depuis le 11 septembre 2001, la réponse serait zéro. Par contre, si je reformulais ma question et que je vous demandais combien d'explosions ou d'attentats à la bombe au Canada ont été l'oeuvre d'extrémistes depuis le 11 septembre 2001, la réponse serait plus de 30. En effet, quatre de ces actes ont été commis au Québec, un en Ontario et le reste en Alberta et en Colombie-Britannique. Ces gestes ont tous été commis par des extrémistes politiquement motivés, qu'il s'agisse de personnes qui tiennent un discours anti-pouvoir, anti-G7, anti-G20, anti-Parti québécois ou anti-Américains, ou d'écolos radicaux.
     Pourquoi ne parle-t-on pas des écolos radicaux? Malheureusement, la couverture médiatique exagérée a entraîné une certaine déformation de la réalité, laquelle est exploité par la droite identitaire dans ses façons de procéder.

  (1555)  

    Je vous remercie de vos commentaires.
    Puisqu'il me reste une minute, je vais vous poser une autre question.

[Traduction]

    C'est trois minutes qu'il vous reste.

[Français]

    Ah, d'accord.
    Vous avez bien présenté le cheminement, le parcours qui nous permet de réfléchir à certaines étapes.
    Selon votre expertise, quelles étapes ou quelles pistes de solution devrions-nous considérer pour nous guider dans cette direction?
    Dans un premier temps, il s'agit du discours de nos leaders politiques. Peu importe le parti qu'ils représentent ou le palier de gouvernement dont ils proviennent, leur discours doit être ferme, rassurant et appuyé par des faits. Trop longtemps, on s'est contenté de dénoncer le processus de radicalisation. Comment se fait-il qu'il ait fallu un gouvernement municipal, c'est-à-dire celui de Montréal, pour ouvrir le premier et le seul centre de déradicalisation qui existe actuellement au Canada, alors qu'on en parle depuis plus d'une décennie?
    Dans un deuxième temps, les gens qui détectent qu'un jeune est en train de se radicaliser ont besoin de ressources, qu'il s'agisse d'une radicalisation droitiste, gauchiste, religieuse ou idéologique. Ce ne sont pas les policiers qui peuvent aider, car ceux-ci sont là pour mener des enquêtes dans le but d'arrêter les gens dangereux et les amener devant la cour. Les policiers ne sont ni des travailleurs sociaux ni des psychologues. Les parents, les éducateurs, les professeurs ou les amis qui ont détecté quelque chose doivent pouvoir se tourner vers des spécialistes qui ont les connaissances nécessaires. Cela peut se faire au moyen d'une ligne sans frais ou de centres décentralisés. Ces spécialistes pourront les aider et les guider, voire les inviter à aller voir les policiers.
    Il faut donc considérer ces deux éléments. Premièrement, il faut établir un contre-discours qui neutralise le discours de la droite. Deuxièmement, il faut avoir accès, le plus rapidement possible, à des gens qui peuvent nous aider à déradicaliser les gens qui sont peut-être engagés dans un processus de radicalisation.
    Merci.

[Traduction]

    Il vous reste 45 secondes. Vouliez-vous poser des questions à quelqu'un d'autre?

[Français]

    Que peut-on faire à l'échelle des écoles? On devrait peut-être se pencher sur l'élaboration d'une stratégie visant les écoles primaires. De fait, le plus tôt le processus débute, le mieux ce sera, bien sûr.
    Je crois que les programmes scolaires devraient inclure des exercices et des travaux permettant de rapprocher les gens.
    Ce que je vais dire m'exposera peut-être à la critique, mais à l'heure actuelle, certaines provinces ont séparé les écoles publiques des écoles à caractère religieux. À titre d'exemple, ici, en Ontario, il y a des conseils scolaires catholiques. Dans les écoles de cette confession, la tendance est à un certain regroupement ethnique, alors que dans les écoles publiques, c'est multiculturel.

  (1600)  

[Traduction]

    Merci, monsieur Juneau-Katsuya. Je suis vraiment désolée.
    C'est maintenant au tour des conservateurs. David Anderson, vous avez sept minutes.
    Madame la présidente, je vais partager mon temps avec M. Reid, ce qui va permettre à deux personnes de poser des questions.
    Je remercie nos témoins de leur présence. Monsieur Fatah, nous avons commencé avec une définition présentée par nos derniers témoins, et nous sommes passés à deux définitions à la dernière séance. Nous en sommes maintenant à quatre ou cinq définitions de l’islamophobie. Ce sont des mots très populaires. Ce que je me demande, c’est si le Comté devrait décider d’une définition concrète de ce terme. C’est peut-être impossible. Est-ce une chose à laquelle nous devrions consacrer du temps?
    Je dirais que c’est impossible, car dès que vous vous mettez à dire les vraies choses, on va vous traiter de raciste. C’est une impasse. Vous devez admettre qu’une grande majorité de la population est tout simplement terrifiée à l’idée de s’attaquer à cela. Je suis ici et je vous dis que dans 500 mosquées, 20 fois par jour, on ridiculise les juifs et les chrétiens, mais les mollahs viennent vous dire qu’il y a de l’islamophobie. Je défie quiconque de demander qu’on enlève le statut d’organisme de bienfaisance aux mosquées où la haine des juifs et des chrétiens est omniprésente. En ce qui concerne les hindous, vous ne comprendrez même pas ce qu’on murmure à propos des bouddhistes ou des hindous. Et que dire des athées, mon Dieu. Je suis éberlué par ce qui se passe. J’ai enregistré des choses. Je suis allé dans 50 mosquées et j’ai enregistré tout ce qui se dit. Même en cas de manifestation de haine contre des non-musulmans, au Québec, dans bien des mosquées, vous le savez. À Toronto, dans les mosquées de la ville, même des organisations comme l’ISNA et l’ICNA sont des façades pour les Frères musulmans. Ce n’est plus l’époque d’Ed Broadbent ou de Jean Chrétien, alors que tout le monde pouvait dire ce qu’il voulait. Nous nous sommes enfoncés dans une politique ou l’on cherche à gagner les votes ethniques.
    Vous vous demandiez comment j’avais obtenu 6 000 votes dans Regent Park. Comment puis-je dire que des filles de quatre ans devraient porter le voile? Les deux gangs de Regent Park, les deux meurtres qui ont été commis hier — l’un est attribuable au gang Halel, et l’autre, au gang Klein. Nous avons des gangs de femmes somaliennes, à Ajax.
    Je dis que vos députés fédéraux sont paralysés, et c’est la même chose pour vos députés provinciaux.
    Nous n’avons plus de Fatima qui n’est pas préparée.
    Vous ne pouvez pas définir cela, parce que ce mot, c’est une supercherie.
    De l'autre côté de l'équation, il y a de nombreuses attaques contre des communautés religieuses à l'échelle du Canada. Nous avons parlé de cela...
    Absolument.
    ... de la portée de ces attaques. Que suggérez-vous? Comment pouvons-nous résoudre cela?
    Voici ce qui...
    C'est la réalité, alors comment pouvons-nous nous attaquer à cela?
    Monsieur Fatah, il faut que vous laissiez M. Anderson finir sa question, je vous prie. Merci.
    Non. C'est bon.
    Vous vous penchez sur des choses comme l'intolérance à l'endroit des musulmans, des juifs ou des hindous, ou encore des Autochtones. Vous adoptez les idées de W.E.B. Du Bois concernant la lutte contre le racisme. Vous ne pouvez pas appliquer cela à des idées et dire cela parce qu'il y a de l'intolérance à l'endroit des musulmans — et j'ai été témoin de cela —, et même interdire maintenant à quiconque de discuter de l'idéologie qui a suscité la haine.
    Diriez-vous qu'ils ont tort, les Montréalais qui suivent le procès pour terrorisme en ce moment? Des citoyens ordinaires, des personnes non politiques s'adressent à moi et me demandent ce qui a mal tourné avec nous. Je suis musulman; je le sais. J'ai beaucoup étudié cela et j'ai écrit à ce sujet. C'est l'idéologie apolitique de l'islamisme qu'il faut examiner. On n'a demandé à aucun iman aujourd'hui de dénoncer la doctrine du djihad armé. Tout ce que vous demandez à l'iman, c'est de dénoncer le terrorisme. Bien sûr qu'il va le faire. Ce qu'il faut lui demander, c'est: « Dénoncez-vous le djihad armé qui dure depuis un millier d'années, qui a vidé l'Égypte de tous ses fatimides et qui a causé leur dispersion au Yémen, en Inde et en Asie centrale? » Nous parlons des ismaéliens et des dawoodi bohras. Nous ne le savons pas.
    Ils tuent des Syriens. Pourquoi? Parce que l'Arabie saoudite affirme qu'ils sont des non-musulmans. D'où vient cette idéologie? L'ISNA, l'ICNA et la MSA sont tous identifiés par nos agences de sécurité comme étant des façades pour les Frères musulmans. La haine envers les chiites, la haine envers les ahmadis, la haine envers les noirs — et on ne doit pas tolérer l'islamophobie. Si on parlait de musulmanophobie, je dirais alors que c'est fantastique et que nous pouvons nous entendre.
    La question dont nous devrions débattre, c'est ce qu'Irwin Cotler a dit de l'intolérance envers les musulmans.

  (1605)  

    Je dois vous arrêter pour que M. Reid puisse avoir du temps.
    Je crois que vous avez deux minutes.
    J'aimerais que nous poursuivions dans la même veine. Ce qui s'est produit à Québec, les meurtres de janvier, peu importe l'idéologie qui a pu se manifester ainsi — nous n'avons toujours pas tous les détails de ce qui se passait dans la tête du meurtrier —, cela est ressorti comme de la haine envers les musulmans.
    Oui.
    Il est légitime de s'attaquer aux gestes exprimant la haine envers les musulmans.
    Je suis tout à fait d'accord.
    Ce que vous cherchez à passer en partie comme message, c'est que si nous évitons le terme « islamophobie » pour plutôt mettre l'accent sur les efforts pour enrayer ou prévenir l'intolérance et la haine et les gestes commis envers les musulmans, ce serait alors une bonne politique publique.
    Ce serait une politique réalisable strictement de la façon dont Irwin Cotler l'a décrite. Comment y arriver? Le Parlement se fait manipuler par des personnes très rusées.
    Je n'accepte pas qu'on affirme que la plupart des Canadiens sont intolérants à cet égard ou de quelque autre façon que ce soit — je pense que ce n'est tout simplement pas dans leur nature —, il y a évidemment des manifestations de haine envers les musulmans qui se produisent spontanément ou qui peuvent être organisées. Nous ne savons pas à quel point. Il est légitime de chercher à s'attaquer à ce genre de gestes. N'êtes-vous pas d'accord?
    Absolument.
    D'accord.
    Je vais vous donner une seule raison pour laquelle c'est au Canada qu'on trouve le degré le moins élevé...
    Vous avez 30 secondes, monsieur Fatah.
    ... de haine envers les musulmans, si l'on compare avec le Royaume-Uni ou les États-Unis: le Canada est le seul pays où les musulmans ont lutté contre l'imposition de la charia en 2005. Nous avons dit que nous nous opposions à cela. Nous avons apporté satisfaction aux gens qui disaient que les musulmans étaient bons et défendaient les valeurs canadiennes.
    Merci, monsieur Fatah.
    Je donnerai maintenant la parole à Mme Kwan, députée du NPD, pour sept minutes.
    Je remercie nos témoins de leurs exposés.
    Monsieur Juneau-Katsuya, vous avez dit une chose que je trouve fondamentale, c'est-à-dire que les gens jouent sur notre insécurité et nos peurs. En ce moment même, il y a une chose qui m'inquiète, et il s'agit de la motion elle-même. Il y a des gens qui jouent sur cette insécurité et cette peur, qui attisent la peur et la haine avec cette motion. Bien sûr, ce n'est pas ce qui nous amène ici. Il faut mettre un frein à cela.
     Vous avez aussi mentionné un autre élément important, soit le manque de leadership pour contrer la droite radicale et les fausses nouvelles. J'aimerais savoir quelles mesures concrètes vous recommanderiez au Comité, aux parlementaires, puisque nous sommes des leaders dans nos collectivités, pour remédier à la situation très dangereuse que vous avez décrite, qui prend de l'ampleur et est normalisée, particulièrement aux États-Unis et par le Président américain lui-même.
    Je pense que le Canada est un excellent modèle de multiculturalisme, qui montre que différentes cultures, différentes religions et différentes personnes peuvent se rassembler et cohabiter. On trouve probablement des représentants de tous les groupes ethniques au Canada, d'une manière ou d'une autre.
    Le problème actuel, c'est qu'il y a un manque de motivation à dénoncer les abus quand il le faut. Il a fallu les événements de Québec, le 29 janvier dernier, pour que le premier ministre du Canada, le premier ministre du Québec et le maire de la ville de Québec disent enfin publiquement qu'il faut faire attention à ce qu'on dit. Je prends l'exemple de Québec, parce qu'il y a eu là un événement tragique. La vie de six familles a changé à jamais. Cette région est en partie ciblée par ce qu'on appelle les radio-poubelles. Il y a beaucoup de bêtises qui sortent de la bouche de gens qui se sentent autorisés à dire tout ce qu'ils veulent en ondes. Tout cela a commencé vers la moitié des années 1990.
    Au Canada, il y a des institutions comme le CRTC, qui délivre des permis aux stations de radio. Les plaintes se multiplient, et les animateurs et stations de radio en cause sont souvent trouvés coupables, si je peux me permettre ce mot, de fanatisme, de racisme, d'islamophobie, de sexisme et même d'incitation à la violence contre certains groupes. Qu'attendons-nous pour leur retirer leurs permis? Ce serait pourtant faisable. Pour revenir aux responsabilités des leaders politiques et des Canadiens, individuellement, nous devons tous intervenir quand quelqu'un quelque part dit une chose inacceptable. Il faut dire à ces personnes qu'elles feraient mieux de bien réfléchir à ce qu'elles viennent de dire et que si elles le croient vraiment, elles ont un problème et qu'il faut en parler. L'absence de débat laisse le champ libre à la droite pour tenir un discours qu'on n'entendait pas avant. Il faut mieux expliquer pourquoi nous devons accueillir des réfugiés. Nous devons accueillir des réfugiés, ce qui nous ramène à un problème encore plus grand: comment la situation au Moyen-Orient a-t-elle pu s'envenimer au point où nous sommes maintenant forcés d'accueillir ces réfugiés?
    Quand je travaillais au SCRS, au début des années 1990, j'ai essayé de prévenir des gens de la situation exacte dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui, mais malheureusement, mon rapport a été tabletté. On ne fait rien. Il y a un manque de courage politique. Il faut parfois prendre des décisions difficiles, mais il faut absolument affirmer quelles sont les valeurs canadiennes. Pour revenir à ce que je disais, je pense que nous avons tous les lois et règlements nécessaires. Il nous suffit de les appliquer quand les gens tiennent des propos qui dépassent les bornes.

  (1610)  

    Nous avons mentionné qu'il y avait eu un rapport. Je suis nouvellement membre du Comité, et j'aimerais savoir si vous pouvez faire parvenir ce rapport au Comité par l'intermédiaire de la présidence. Il serait intéressant de voir quelles idées vous proposiez à l'époque et comment il a été classé.
    C'est un document classifié qui est toujours au SCRS. Je n'y ai pas accès. Il l'a probablement jeté depuis.
    Je vois. Je n'avais pas compris qu'il s'agissait d'un document classifié.
    Parlons de mesures concrètes. Vous avez mentionné que la ville de Montréal, au Québec, a la seule école de déradicalisation au pays. Le gouvernement parle d'établir un programme de déradicalisation. Pouvez-vous me dire quelles seraient vos trois principales recommandations pour le gouvernement?
    Il faut indéniablement décentraliser le plus possible les activités; engager des experts afin qu'ils nous expliquent ce qui se passe au Canada et qu'ils nous parlent des pratiques exemplaires qui existent; mettre des ressources professionnelles à la disposition du grand public, pour que chaque personne puisse appeler en toute confidentialité pour solliciter l'avis d'un professionnel sur la façon de procéder lorsqu'un jeune change de comportement et qu'il est peut-être en train de se radicaliser.
    Je suppose qu'il devrait s'agir d'une stratégie nationale, n'est-ce pas?
    Tout à fait.
    Les services devraient être offerts partout au pays, et pas seulement au Québec, et il faudrait mettre en place les ressources et les méthodes nécessaires pour faire le travail.
    Absolument, mais nous devons agir sur deux fronts. Il faut envoyer un message cohérent partout au pays. Il faut travailler dans les communautés et trouver des leaders forts. Nous avons besoin d'imams qui comprennent la situation. Nous avons un problème actuellement. Il y a des gens qui sont partis pour la Syrie qui commencent à revenir au Canada. Ils peuvent y avoir été témoins de batailles, avoir reçu un entraînement. Ils peuvent même toujours nourrir l'idée de nous faire du mal. Si un imam rencontre une telle personne, sera-t-il prêt à amorcer sa déradicalisation? J'en doute. Il faut parler davantage de ces personnes, il faut nous rapprocher des communautés. Nous devons agir sur deux fronts: nous avons d'abord besoin d'un programme pancanadien, mais celui-ci doit être décentralisé, et les services doivent prendre racine le plus possible à l'échelle locale.
    Merci, monsieur Juneau-Katsuya.
    Nous allons maintenant entendre Mme Dhillon, qui représente les libéraux, pendant sept minutes.

[Français]

    Je vous remercie beaucoup de votre présence aujourd'hui.
    Madame la présidente, je vais partager mon temps de parole avec M. Virani.
    Mes questions s'adresseront à vous, monsieur Juneau-Katsuya. D'après vous, est-ce qu'il y a eu une augmentation de la violence et de la haine à l'endroit des musulmans au Canada et, surtout, au Québec?

  (1615)  

    Oui, il y a eu une augmentation tant au Québec qu'ailleurs au Canada. Les statistiques sont claires à cet égard. Évidemment, il y a eu des pointes plus importantes lorsque des attentats ont eu lieu.
    Le ras-le-bol et l'insécurité commencent à dominer et à être omniprésents dans toutes les classes de la société. Ils se manifestent à divers niveaux, par exemple quand une personne lance une insulte à une femme voilée, écrit des graffitis sur des murs ou, plus grave encore, commet un attentat comme celui qui a eu lieu à Québec.
    Cela fait 40 ans que je travaille dans le domaine des enquêtes; je suis un enquêteur d'expérience. Je trouve aberrant de voir que la police de Québec n'ait pas encore été capable de circonscrire le problème de la sécurité autour de la mosquée. Il y a quelques semaines, on a entendu parler de l'incendie de la voiture du président de la mosquée de Québec. Cela fait des années que la mosquée est ciblée. Comment se fait-il que la police de Québec n'ait pas encore été capable de procéder à une seule arrestation?
    Selon vous, qu'est-ce qui explique cela?
    On doit commencer à s'interroger. Sans dire que c'est la réponse, je pense qu'on pourrait commencer à s'interroger sur le racisme systémique qui existe dans notre société. Il y a aussi le fait que cela n'intéresse pas nécessairement la police.
    Lorsqu'un maire ne reconnaît même pas que l'attentat perpétré à Québec était du terrorisme, il y a un problème. Quand le directeur du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence de Montréal indique clairement que Québec est le deuxième endroit au Canada d'où il reçoit le plus d'appels au sujet d'un problème de radicalisation, mais que le maire dit ne pas avoir besoin d'un bureau de ce centre dans sa ville, il y a un problème.
    C'est un peu comme le secret honteux de la famille. Il y a quelque chose qu'on ne veut pas dire et qu'on ne veut pas admettre. Tant et aussi longtemps qu'on peut l'oublier ou le glisser sous le tapis, on fait comme s'il n'existait pas. Malheureusement, ce phénomène existe et les preuves sont sanglantes.
    Depuis les dernières années, le profilage racial exercé par les autorités dans les aéroports ou les corps policiers a-t-il augmenté? Je parle ici de la procédure permettant aux autorités d'arrêter et fouiller par palpation les gens.
    Le profilage racial est toujours un sujet très délicat pour les enquêteurs.
    Les enquêteurs utilisent des indicateurs. Je vous donne un exemple totalement différent. Je travaille à un dossier de drogue et je dois intercepter des passeurs de drogue. Évidemment, certains pays sont plus susceptibles que d'autres d'être des exportateurs de drogue. Est-ce que je peux être accusé de profilage racial parce que je porte plus attention à un avion qui arrive de la Jamaïque qu'à un avion qui arrive du Japon? C'est cette forme de discours auquel il faut faire attention, parce qu'il y a bel et bien un travail qui doit être fait par les enquêteurs.
    Il faut se demander si un certain comportement racial s'est installé dans le système en général. Je reviens à l'élément d'insécurité auquel je faisais allusion. Comme cette insécurité est de plus en plus omniprésente et est entretenue en partie par la couverture médiatique et en partie par une montée de la droite, j'imagine que, dans l'inconscient collectif, il y a une certaine réticence à recevoir des personnes qu'on perçoit comme appartenant à une autre culture ou à une autre religion.
    C'est malheureusement la réalité. On se promène dans la rue et on peut être arrêté parce qu'on a un comportement « suspect ». Cela peut également augmenter le niveau d'insécurité chez les gens.
    Absolument. Je ne veux pas minimiser le défi auquel ont à faire face les différentes communautés, particulièrement les communautés musulmanes ou celles du centre de l'Asie.
    Lorsque j'ai commencé à travailler ici, à Ottawa, j'ai participé à une réunion où il y avait plusieurs anglophones. Je me suis fait dire « Speak white » parce que je parlais en français à un collègue qui était francophone comme moi. C'est omniprésent et cela fait partie de l'être humain. C'est la façon dont la société civile va se comporter face à tout cela qui est en cause.

  (1620)  

    Je vais maintenant laisser M. Virani poser des questions.
    Merci beaucoup.

[Traduction]

    J'ai une question à poser à M. Fatah.
    J'ai écouté vos interventions très attentivement. Vous semblez notamment déplorer l'adoption même de la motion M-103, parce qu'il serait malavisé ne serait-ce que de réaliser cette étude, particulièrement sur l'islamophobie.
    L'une des critiques que nous avons entendues en long et en large au Parlement au moment de l'adoption de cette motion, et que vous reprenez aujourd'hui, si je vous comprends bien, c'est qu'elle étouffe d'une certaine façon les critiques légitimes des gens sur les préceptes de leur religion.
    Je dois admettre que je m'inscris en faux contre pratiquement tout ce que vous avez dit dans votre exposé et vos réponses aux questions, mais je défends votre droit de le dire. C'est un droit protégé par l'alinéa 2b) de la Loi constitutionnelle, que j'ai évoqué à maintes reprises à titre de constitutionnaliste devant les tribunaux.
    J'ai une question toute simple à vous poser. Votre présence ici aujourd'hui n'est-elle pas la preuve en soi que nous amorçons une étude qui favorise la discussion sur toutes les formes de racisme et de discrimination, y compris l'islamophobie, plutôt que de l'étouffer?
    Votre diatribe contre moi prouve à elle seule que si ce n'était des conservateurs, je ne serais pas ici, parce que toute tentative de discuter avec les libéraux à ce stade-ci, comme le directeur national du parti a ses propres penchants politiques, tout comme le porte-parole national et le ministre de la Citoyenneté...
    Nous savons très bien qu'il y a des raisons pour lesquelles nous intervenons politiquement. Je me bats depuis 45 ans contre l'islamisme, et vous devez très bien le savoir.
    Monsieur Fatah, je vous prierais d'adresser vos réponses à la présidence, s'il vous plaît, et non directement à M. Virani.
    Je ne devrais pas le regarder. Est-ce ce que vous me dites?
    Vous pouvez le regarder, mais assurez-vous de vous adresser à la présidence. Ne dites pas « vous » quand vous lui parlez.
    Est-ce le problème?
    Oui, vous devez vous adresser à la présidence pour les questions et les réponses...
    Je comprends. D'accord.
    ... parce que les propos peuvent avoir tendance à devenir trop personnels quand ils sont échangés de personne à personne.
    Ils sont déjà personnels...
    Veuillez continuer, monsieur Fatah, parce que votre temps s'écoule.
    Certainement, je comprends.
    Concernant la présence islamique au Canada, dans les coulisses du pouvoir, il est assez évident que quiconque veut laisser croire qu'il n'avait pas d'opinion pendant la lutte contre les lois de la charia en vigueur en Ontario, alors qu'il vient dire aujourd'hui que...
    Ils devraient nous dire où ils étaient alors, quand le ministre de la charia du gouvernement du Pakistan a réussi à devenir citoyen du Canada, puis à propager ici le modèle des conseils de la charia qui existent là-bas.
    Le point, c'est que...
    Merci, monsieur Fatah.
    Nous avons déjà dépassé le temps imparti pour ce segment d'une minute et 20 secondes. Nous devrons nous arrêter ici et enchaîner.
    Au second tour, chaque intervenant disposera de cinq minutes.
    Monsieur Fatah, si l'un des intervenants souhaite vous laisser le temps de terminer votre réponse, vous pourrez peut-être la terminer.
    Le prochain intervenant, pour cinq minutes, sera M. Scott Reid, député conservateur.
    Je pense que c'est plutôt au tour de M. Sweet, député conservateur.
    Monsieur Sweet, vous avez cinq minutes.
    Monsieur Fatah, veuillez continuer votre réponse.
    Madame la présidente, je trouve assez consternant que malgré toutes les preuves que je vous fournis de la façon dont les juifs et les chrétiens se font attaquer dans les mosquées musulmanes, personne ne semble s'alarmer.
    Si les membres du parti au pouvoir, les députés de ce côté, sont à l'aise d'appuyer les personnes et les institutions mêmes qui génèrent de la haine à l'encontre non seulement des juifs ou des chrétiens, mais aussi des hindous, des athées et des sikhs, c'est qu'il y a des jeux politiques qui se jouent. Nous ne sommes pas en train de parler de l'avenir du Canada ni du problème en cause.
    J'aurais espéré que quelqu'un demande quelle est la différence entre un musulman et un islamiste. Ces termes auraient pu être définis, mais le parti au pouvoir ne semble pas intéressé à connaître la différence. On dirait plutôt qu'on a déterminé qui pourra faire quoi, et en milieu urbain...
    Excusez-moi, monsieur Fatah, vous comparaissez devant un comité parlementaire composé de membres des trois partis politiques. Ce comité a convenu d'étudier cette question, et je pense que nous devrions nous concentrer sur les enjeux sans les politiser.

  (1625)  

    Je comprends. J'ai le droit de répondre. Comme la question a été posée et que je n'ai pas pu y répondre, on vient de me donner du temps pour le faire, donc je vous dis à tous que vous n'avez pas le droit de me retirer mon droit de critiquer la papauté qui règne ici, qui fait qu'il y a des gens en haut qui décident comment vos enfants s'appelleront et où vous vous assoirez.
    Tout se fait sans que personne ne le sache. L'aptitude à mentir pendant qu'on dit la vérité, et la vérité et les mensonges me font penser à 1984. Vous sanctionnez cette pratique en dénigrant les critiques contre les mollahs, comme si c'était nous le problème, alors que des membres des Frères musulmans viennent ici s'établir dans toutes les universités et ne sont pas considérés comme un problème... Si les parlementaires acceptent à bras ouverts ceux qui voulaient établir la charia au Canada et au Québec, mais qu'ils rejettent ceux qui les combattent, c'est le monde à l'envers.
    Si vous, les parlementaires, m'invitez ici, vous ne devriez pas vous moquer de ce que je dis juste à cause d'une règle politique sur ce qu'il faut dire ou ne pas dire. Est-ce que tous les musulmans qui sont contre la motion 103 doivent répondre à certains critères pour que vous les acceptiez comme d'authentiques musulmans? Devons-nous nous présenter d'une façon particulière pour que vous soyez convaincus que nous sommes des experts de la question? Nous sommes tous des experts. Nous avons le droit coranique de critiquer notre foi et de déterminer que nous n'accepterons jamais dans ce pays que des gens soient exclus de leur religion et tués.
    Vous avez deux minutes monsieur Sweet.
    Merci, madame la présidente.
    L'insécurité est un thème récurrent, donc j'aimerais savoir si je peux obtenir une réponse de M. Fatah, ainsi que de M. Juneau-Katsuya. Dans le contexte de nos discussions d'aujourd'hui sur la motion à l'étude, si nous voulons réduire le sentiment d'insécurité dans la population générale, devrions-nous traiter toutes les formes de racisme, de préjudice, de fanatisme et de fomentation de la haine ouvertement, également et de la même façon? C'est ma question.
    Absolument: elles devraient toutes être criminalisées; il faut imposer des peines dures à tous ceux qui s'en prennent à des communautés ou des personnes dans leurs paroles... Qu'on croie que les chevaux peuvent voler, que les singes peuvent voler ou que les serpents peuvent parler, chacun a le droit de faire comme Martin Luther au XVe siècle. Nous devons nous tenir debout pour défendre l'humanité, les personnes et leurs droits. Nous devons pouvoir contester des idées et des idéologies sans craindre de se faire taxer de « racisme » ou de « fanatisme » simplement parce qu'on trouve absolument ridicule qu'aujourd'hui, de nos jours, on fasse encore des sacrifices d'animaux dans des maisons et des salons au nom de ma religion. Aucune religion n'autorise une telle chose. De même, il y a des royaumes au Moyen-Orient, où de soi-disant rois décideraient de notre avenir. Nous sommes au XXIe siècle. Nous n'avons pas besoin d'imams pour nous dire quoi faire.
    Voilà ce qui crée l'insécurité. Nous sommes venus ici pour fuir le féodalisme, la mafia des mollahs, et l'on nous accole le rôle de méchants. C'est notre source d'insécurité: vers qui nous tournerons-nous quand vous lâcherez les mollahs sur nous?
    Vous avez 20 secondes.
    Je pense que du point de vue de la sécurité nationale et de l'application de la loi, il faut relever la barre à un niveau plus raisonnable. Je pense qu'il y a beaucoup de timidité et de rectitude politique dans les poursuites; on laisse aller les choses trop loin, sous prétexte de défendre la liberté d'expression. Nous avons déjà des lois. Nous avons des règlements. Nous avons peut-être un peu d'ordre à mettre dans notre réglementation, mais pas tellement.
    Nous avons déjà tous les outils nécessaires pour poursuivre ceux et celles qui vont trop loin, sans pour autant interdire le débat. Il faut pouvoir critiquer ce qui doit être critiqué pour déterminer quelles sont les valeurs canadiennes et de quel genre de société nous voulons.
    Merci.
    Je vais donner la parole à Pierre Breton pour cinq minutes. Les interventions seront maintenant de cinq minutes. Je sais que c'est difficile, donc je tiens à vous en avertir.

[Français]

    Merci, madame la présidente. Je vais partager mon temps de parole avec M. Virani.
    Ma question s'adresse à vous, monsieur Juneau-Katsuya, et elle concerne l'éducation. Mon collègue M. Samson a abordé ce sujet plus tôt.
    J'ai trois enfants qui ont fréquenté une école très multiculturelle. De nombreuses communautés y étaient représentées. Cette expérience a été d'une grande richesse pour mes enfants. Je vais me servir de cet exemple. Leurs amis n'étaient pas « le musulman », « l'Espagnol » ou « le Russe »; ils s'appelaient Botista, Igor ou Abida. C'étaient leurs amis et ils venaient chez nous. C'était le milieu dans lequel ils évoluaient. L'école s'est servi de cette belle richesse. La présence de ces communautés chez nous enrichissait notre propre communauté.
    Je voudrais vraiment que vous nous parliez de l'éducation. Chez nous, l'immigration est plus récente. Il reste que celle-ci fait partie du quotidien de nos enfants, un peu comme l'ordinateur, qui est présent dans leur vie dès leur naissance. Ces enfants sont leurs amis. À mon avis, les écoles s'adaptent de plus en plus à cette situation.
    Quoi qu'il en soit, j'aimerais que vous nous disiez comment, à votre avis, notre système pourrait être encore mieux préparé et de quelle façon il pourrait nous aider.

  (1630)  

    Nous n'allons pas réinventer ce qui existe déjà sous le soleil. L'être humain et les commissions scolaires fonctionnent selon le système de la carotte. Par contre, il serait bon d'établir un programme voué précisément à encourager le multiculturalisme. On pourrait ainsi aborder l'origine de certaines communautés, l'histoire des peuples et d'autres sujets de ce genre. Ces sujets sont déjà abordés en partie dans certains cours, par exemple en sciences sociales, en histoire ou en géographie, mais ils pourraient être offerts dans le cadre d'un programme. J'avoue improviser un peu, ici, mais l'idée serait d'appuyer des initiatives avec des faits tangibles, quitte à fournir des fonds, de la littérature ou autre chose. Ces programmes ou activités concrètes pourraient ainsi être mis sur pied et permettraient de découvrir l'autre. En effet, c'est lorsqu'on ne connaît pas l'autre que survient le problème. C'est dans les endroits où il y a peu de contact entre des communautés d'origines diverses que surviennent le plus d'activités racistes et de crimes haineux. Il faut se pencher là-dessus.
    Tous ceux qui ont été parents savent que les enfants sont des éponges, qu'ils sont prêts à tout recevoir et qu'ils ne voient pas nécessairement le mal. Je me souviens d'une publicité que la compagnie Benetton a diffusée il y a plusieurs années. On y montrait un petit garçon blanc et un petit garçon noir, tous deux nus, qui se regardaient, et on y demandait quand ils apprendraient à se haïr. En effet, c'est une chose qui s'apprend. L'aspect de l'éducation doit irradier le plus possible pour contrer ce phénomène.
    Le fait que nous soyons constamment bombardés de fausses nouvelles, de faux faits ou de « faits alternatifs » est un problème auquel nous faisons face et que nous ne pouvons pas exclure. Aujourd'hui, les jeunes sont omniprésents dans les médias sociaux. Il faut environ 15 minutes pour écrire une fausse nouvelle, mais il faut des mois pour la neutraliser.
    Monsieur Virani, vous pouvez prendre le relais.

[Traduction]

    Monsieur Juneau-Katsuya, vous avez mentionné la montée de la droite, des côtés anglophone comme francophone. Du côté anglophone, estimez-vous que Rebel Media et les autres sites du genre amplifient le message de l'extrême droite?
    Absolument.
    Vous avez également parlé des médias sociaux. S'il y avait un gazouillis du genre: « Alexandre n'était pas seul. Son complice musulman a joué le rôle de témoin pour éviter toute mention de terrorisme musulman contre des musulmans », croyez-vous qu'il faudrait le corriger parce qu'il cultive la désinformation?
    Ce genre de propos doit être dénoncé, et si possible, il faut en poursuivre les responsables, parce que c'est de la diffamation.
    C'est bon.
    Monsieur Fatah, il s'agit de votre gazouillis. Voulez-vous réagir à ce que M. Juneau-Katsuya vient de dire? Vous n'avez jamais corrigé votre gazouillis.
    Je ne le corrigerai pas, parce que j'ai écrit ce qu'on disait dans les journaux à ce moment-là, on disait qu'il y avait deux personnes qui criaient « Allahu Akbar ». C'est ce que des témoins ont dit. Je ne sais pas ce qui s'est passé ensuite. Je donne l'information que j'avais [Difficultés techniques]
    Excusez-moi, il y a peut-être un téléphone ou quelque chose d'autre juste à côté du microphone.
    Quoi qu'il en soit, le temps est écoulé. Je suis désolée. Je devrai arrêter cette série de questions ici, parce que nous devons poursuivre. Nous devions nous arrêter à 16 h 30. Nous avons débordé de cinq minutes.
    J'aimerais remercier nos témoins d'être venus.
    Nous devons poursuivre. Nous prendrons une courte pause, après quoi nous laisserons le prochain groupe de témoins s'installer.
    Merci.

  (1630)  


  (1635)  

    Je demanderais aux membres du Comité de bien vouloir prendre place. Chaque fois que quelqu'un souhaite partager son temps de parole, il doit nous en aviser, faute de quoi nous ne le saurons pas. Je vous prie de m'en aviser et de ne pas le faire à brûle-pourpoint, parce que cela chamboule vraiment notre horaire.
    Nous amorçons la deuxième partie de la séance, qui se terminera à 17 h 30. Nous recevons des représentants de la Commission ontarienne des droits de la personne et du gouvernement de l'Ontario pour moins d'une heure, étant donné que nous commençons un peu en retard.
    Je souhaite la bienvenue aux témoins. Merci d'être ici. Vous avez 10 minutes par groupe, et non par personne, pour nous présenter un exposé. Par exemple, Mme Mandhane et M. Azmi peuvent décider lequel des deux prendra la parole ou si vous souhaitez vous partager vos 10 minutes, après quoi il y aura une période de questions et de réponses. De même, monsieur Khenti, monsieur Erry et monsieur Williams, à vous de décider qui présentera votre exposé.
    J'aimerais commencer par la Commission ontarienne des droits de la personne pour 10 minutes.
     Merci, madame la présidente, de m'avoir invitée à prendre la parole aujourd'hui.
    J'aimerais d'abord souligner le fait que nous nous trouvons en territoire traditionnel des Algonquins de l'Ontario et reconnaître la présence de longue date des Premières Nations et des peuples inuits et métis au Canada.
    Il ne se passe pas une journée sans que des gens me parlent de la discrimination qu'ils ont subie. Pour ces personnes, l'existence du racisme n'est pas une idée dont on peut débattre, mais bien une réalité de tous les jours. Lors de notre récente consultation sur le profilage racial en Ontario, un homme noir nous a dit: « Dans les magasins, on pense que je pourrais être un voleur à l'étalage. Dans la rue, on pense que je pourrais être un voleur de sacs à main ou un cambrioleur. »
    Il y a plus de 50 ans, notre gouvernement a créé la Commission ontarienne des droits de la personne pour lutter contre les problèmes d'antisémitisme et de racisme visant les noirs. Malheureusement, notre travail n'est pas terminé; nous découvrons encore aujourd'hui des formes de discrimination restées trop longtemps à l'abri des regards.
    Jusqu'à tout récemment, beaucoup de Canadiennes et de Canadiens, moi comprise, en connaissaient très peu sur l'histoire du colonialisme et les répercussions incessantes des traumatismes intergénérationnels sur les peuples et les familles autochtones. Par exemple, une femme nous a dit: « Je travaille comme sage-femme, principalement auprès d'Autochtones, et je ne sais plus de combien de préjugés racistes et de mauvais traitements à caractère racial j'ai été témoin. »
    La Commission ontarienne des droits de la personne s'emploie à dénoncer, contester et éliminer les structures et les systèmes discriminatoires généralisés et profondément enracinés grâce à la sensibilisation, à l'élaboration de politiques, à la réalisation d'enquêtes publiques et à des interventions devant les tribunaux. Nous avons élaboré des politiques détaillées sur la discrimination fondée sur la race et les croyances.
    Depuis les événements du 11 septembre, nous avons observé une hausse de la discrimination à l'égard des personnes musulmanes ou perçues comme étant musulmanes. Certains se sont dits préoccupés du fait que le terme « islamophobie » est vague et qu'il pourrait être interprété dans un sens large comme englobant toute critique de la foi musulmane. Dans notre politique relative aux croyances, nous définissons l'islamophobie de la façon suivante: « le racisme, les stéréotypes, les préjugés, la peur et les actes d'hostilité dirigés contre des personnes musulmanes précises ou les adhérents à l'islam en général ».
    Nous utilisons cette définition depuis de nombreuses années sans en avoir jamais suscité de controverse. Il s'agit d'une définition simple qui est tout à fait en phase avec d'autres termes utilisés couramment dans nos lois relatives aux droits de la personne, comme le racisme visant les noirs, l'antisémitisme et la transphobie.
    Nous disposons d'un bassin croissant de preuves indiquant que la discrimination, le harcèlement et même les crimes commis à l'endroit des personnes musulmanes sont en hausse. Plus tôt cette année, Statistique Canada rapportait que le nombre de crimes haineux déclarés par la police avait connu une hausse de 60 % en une année. Les musulmans constituaient le second groupe le plus souvent ciblé, après les Juifs.
    Au-delà des gestes individuels d'intolérance qu'elle motive, l'islamophobie peut amener les gens à penser que les musulmans constituent une plus grande menace à la sécurité sur le plan institutionnel, systémique et sociétal, et à les traiter en conséquence. À ce propos, une femme qui travaille souvent au Moyen-Orient nous a dit: « Voici comment ça se passe habituellement: Après l'enregistrement, je me rends dans la zone de sécurité de l'aéroport. Mon bagage traverse le poste de contrôle et je passe dans le scanner corporel sans problème. Malgré cela, presqu'à tout coup, on me dit que j'ai été choisie au hasard à des fins de contrôle additionnel. Ça ne prend que quelques secondes ou minutes de plus, mais je commence à avoir envie de répondre que ça n'a rien du hasard quand ça arrive tout le temps ».
    Les stéréotypes à l'égard de la menace que représentent les musulmans pour la sécurité et les valeurs canadiennes sont particulièrement prononcés et ont contribué à la naissance d'une forme hybride de profilage racial et religieux.
    Du point de vue de la Commission, nos dirigeants doivent à tout prix reconnaître les fondements idéologiques de la haine et de la discrimination et clairement les nommer. C'est pourquoi il importe de dénoncer l'islamophobie, le racisme visant les noirs, l'antisémitisme et le racisme envers les Autochtones.
    L'adoption de la motion M-103 est un bel exemple de leadership de la part du gouvernement fédéral sur le plan de la dénonciation du racisme et de l'appel à l'action. Cette motion est similaire à la motion M-630 qui condamnait la montée de l'antisémitisme et a été adoptée à l'unanimité en 2015. Il a amplement été question des risques que des motions comme M-103 limitent la liberté d'expression, une liberté fondamentale aux termes de la Charte.

  (1640)  

    La motion M-103 ne limite pas la liberté d'expression. Elle n'interdit aucun comportement. Elle n'empêche pas les gens de dire ce qu'ils pensent. Elle offre plutôt un point de départ utile pour régler un problème qui peut rapidement dégénérer et causer des torts mortels, comme nous l'a montré la fusillade à la mosquée de Québec.
    La plupart des gens acceptent le fait que la Charte protège la liberté de tenir des propos que de nombreuses personnes trouveraient choquants, tant et aussi longtemps que ces propos ne peuvent pas être assimilables à un crime haineux ou à du harcèlement aux termes des lois relatives aux droits de la personne. Cette garantie de liberté d'expression ne signifie toutefois certes pas que le gouvernement a les mains liées lorsqu'il s'agit de s'attaquer aux torts bien réels causés par le racisme, qu'il s'agisse de la méfiance à l'égard des institutions publiques, des torts physiques ou mentaux causés à des personnes, ou des dommages à long terme au bien-être collectif d'une communauté.
    À cet égard, le gouvernement peut et doit faire figure de proue en dénonçant le racisme et en mettant en oeuvre des politiques et des programmes qui enverront un message fort et cohérent suivant lequel le racisme et l'islamophobie causent des torts aux personnes, aux communautés et, en définitive, à tous ceux et celles d'entre nous qui voulons vivre dans la paix et l'harmonie.
    Nous devons envoyer un message collectif pour faire bien comprendre que la Constitution, bien qu'elle protège la liberté d'expression, garantit également l'égalité, sans égard à la race et à la religion. Le gouvernement a le pouvoir d'agir pour protéger les personnes affectées par le racisme et l'islamophobie, et nous le sommons de le faire avec détermination.
    Le gouvernement a tout le loisir de prendre position et d'élaborer des politiques et des programmes qui favorisent l'inclusion et le respect, tout particulièrement pour les minorités raciales et religieuses. De telles mesures vont dans le sens des valeurs canadiennes et sont conformes à la Charte. Le gouvernement ontarien a d'ailleurs pris récemment des mesures semblables en créant une Direction générale de l'action contre le racisme qui est chargée de voir à ce que les politiques, les programmes et les services du gouvernement soient élaborés, mis en oeuvre et évalués dans une optique de lutte contre le racisme.
    L'Ontario a aussi adopté des mesures législatives lui permettant d'exiger la collecte de données relatives aux droits de la personne dans des domaines clés comme le maintien de l'ordre, l'éducation et les services à l'enfance. Si le gouvernement va de l'avant en concrétisant cette obligation, ces données aideront à cerner la discrimination systémique souvent cachée, et à suivre les progrès réalisés pour l'éliminer.
    Nous exhortons le gouvernement du Canada à prendre des mesures semblables. Premièrement, le gouvernement doit continuer de dénoncer catégoriquement l'islamophobie, l'antisémitisme, le racisme visant les Noirs et le racisme envers les Autochtones.
    Deuxièmement, il doit établir et financer adéquatement des programmes et des initiatives de lutte contre la haine et le racisme. Pour y parvenir, de nombreuses options s'offrent à lui. Il pourrait notamment ajouter un volet antiracisme aux programmes de financement de Patrimoine canadien ou mettre à jour son plan d'action sur le racisme et faire état des progrès réalisés en la matière.
    Troisièmement, le gouvernement doit prendre des mesures concrètes pour cerner et éliminer la discrimination systémique, notamment en rendant obligatoire la collecte de données relatives aux droits de la personne par l'ensemble des services gouvernementaux. Depuis plus de 20 ans, le gouvernement exige que ses ministères mènent des analyses d'impact sexospécifiques. Nous recommandons qu'il emprunte la même voie en exigeant des analyses d'impact fondées sur la race.
    Il y a un peu plus d'un an, le président Obama a déclaré lors d'une visite à Ottawa: « Le monde a besoin de plus de Canada. » Nous en avons encore beaucoup à faire avant de pouvoir légitimement nous qualifier de modèle à suivre pour les autres nations. Offrons au monde davantage du Canada auquel nous aspirons tous, un Canada où les droits de la personne sont une réalité de tous les jours, pour toutes et pour tous. Et assurons-nous de ne pas laisser les personnes qui se préoccupent davantage de définir le racisme que de l'éliminer miner nos efforts.
    Merci.

  (1645)  

    Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant entendre les représentants du gouvernement de l'Ontario.
    Monsieur Erry, vous pouvez commencer. Vous avez 10 minutes.
     Bonjour, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du comité. Merci de m'avoir invité à vous présenter cet exposé. C'est un honneur pour moi de comparaître devant le comité pour vous entretenir du rôle de chef de file joué par l'Ontario dans ses efforts pour lutter contre le racisme systémique et favoriser l'intégration sociale.
    Je m'appelle Sam Erry et je suis sous-ministre délégué de la Division de l'inclusion, de la diversité et de l'antiracisme au Bureau du Conseil des ministres du gouvernement ontarien. Je suis accompagné de deux autres représentants de notre division soit, à ma droite, Akwatu Khenti, sous-ministre adjoint, et Chris Williams, conseiller principal en recherche. Grâce à son positionnement stratégique au sein du Bureau du Conseil des ministres, notre division peut pleinement mettre en valeur ses dossiers prioritaires et déployer efficacement son approche pangouvernementale.
    Voilà maintenant des décennies que nos partenaires communautaires nous parlent des disparités socioéconomiques qui affectent les Autochtones, les Noirs et les minorités ethniques en Ontario. Ces considérations sont d'autant plus importantes quand on sait que les membres de ces groupes raciaux différents devraient compter pour 40 % de la population ontarienne en 2031.
    C'est également en Ontario que l'on trouve le plus grand nombre d'Autochtones au pays. Les jeunes Autochtones représentent en outre le segment de la population ontarienne qui croît le plus rapidement.
    Les constatations issues de la recherche sont on ne peut plus troublantes et convaincantes. Des services à l'enfance jusqu'à la représentation politique, en passant par le niveau de scolarisation et les démêlés avec la justice pénale et les services correctionnels, tous les modèles recensés confirment une répartition inéquitable des avantages socioéconomiques. En voici quelques exemples.
    Une étude de l'Université York sur le Conseil scolaire du district de Toronto révèle que les élèves noirs sont deux fois plus susceptibles d'être inscrits à des programmes de formation pratique plutôt que théorique, comparativement à ceux d'autres origines ethniques. La même étude nous apprend que les élèves noirs sont deux fois plus susceptibles que les élèves blancs d'être suspendus au moins une fois pendant leurs études secondaires.
    Nous pouvons observer le même phénomène au niveau des services à l'enfance. Au moins 25 % des enfants pris en charge en Ontario sont autochtones, même si ceux-ci ne comptent que pour 3 % des enfants ontariens.
    Le racisme systémique est souvent causé par les préjugés s'immisçant consciemment ou inconsciemment dans les politiques, les pratiques et les procédures qui privilégient ou défavorisent certains groupes en fonction de perceptions liées à la race. Ce n'est pas toujours intentionnel, mais cela ne change rien au traitement inéquitable qui en découle pour les Autochtones et les membres des minorités raciales.
    Nous savons également que bon nombre de ces personnes font l'objet de racisme en raison de leurs croissances religieuses. Nous avons été témoins de manifestations horribles de haine et de violence qui nous rappellent à tous que l'islamophobie et l'antisémitisme sont des menaces bien réelles et tout à fait inacceptables. Il va s'en dire que la discrimination religieuse et toutes les formes de racisme systémique n'ont pas leur place, non seulement en Ontario, mais dans tout le Canada.
    L'élimination des obstacles institutionnels qui empêchent systématiquement les Autochtones et les membres des groupes ethniques de s'épanouir pleinement est non seulement un impératif moral, mais aussi un impératif économique.
    J'aimerais vous exposer les raisons pour lesquelles l'antiracisme est l'approche la plus efficace pour réduire véritablement les torts causés par le racisme systémique. Comme vous le savez, différentes possibilités d'action s'offrent à nous, mais le choix de l'antiracisme est justifié par des éléments probants.
    Au Canada, nous connaissons très bien le concept de multiculturalisme. Nous nous réjouissons de la diversité de notre population et des différents points de vue dont elle nous fait bénéficier. Il est nécessaire et tout à fait recommandable de bâtir une société diversifiée en cherchant à sensibiliser les gens à cet égard, mais cela n'est pas suffisant pour changer quoi que ce soit à un régime solidement ancré d'iniquité envers les Autochtones et les membres des minorités ethniques, notamment. Cette approche misant sur la diversité n'a pas permis de rectifier le déséquilibre des pouvoirs résultant des privilèges accordés à certains groupes pendant que d'autres sont défavorisés.
    L'antiracisme est fondé sur le constat de problématiques pour lesquelles on veut trouver des solutions. Il y a notamment le fait que les jeunes Autochtones sont davantage susceptibles d'être pris en charge par les services d'aide à l'enfance ou de se retrouver en prison. Notons également que bon nombre de jeunes appartenant à des groupes ethniques minoritaires, particulièrement au sein de la communauté noire, sont plus susceptibles que ceux de race blanche d'abandonner leurs études secondaires, mais moins susceptibles de joindre éventuellement les rangs de notre classe dirigeante.
    Il ne faut pas confondre antiracisme et diversité. Quand le gouvernement ontarien a créé la Direction générale de l'action contre le racisme, c'était pour lui confier le mandat clair de cibler les causes profondes du traitement inéquitable des Autochtones et des Canadiens victimes du racisme.
    L'antiracisme est un processus de changement proactif. Il ne suffit donc pas d'éviter les comportements racistes. Il faut intervenir activement pour transformer les structures institutionnelles, y compris les politiques, les programmes et les services publics, qui contribuent à l'iniquité raciale.
    L'antiracisme commence par une reconnaissance de l'existence du racisme, des privilèges qu'il crée pour les membres du groupe dominant et des désavantages que doivent subir les autres, résultat d'un héritage d'esclavage, de colonisation et d'autres formes d'oppression et de haine. C'est dans cette optique que nous souhaitons donner suite à l'engagement pris par le gouvernement ontarien en faveur d'une réconciliation avec les Premières Nations, les Métis et les Inuits.
    Pour notre direction générale, il devient aussi nécessaire de reconnaître l'aspect multidimensionnel du racisme. Cette considération prend toute son importance du fait que le racisme est vécu différemment, non seulement par les divers groupes visés, mais aussi par les sous-groupes qui les forment, notamment en fonction de l'identité sexuelle, des croyances, de la classe sociale, de l'orientation sexuelle, des antécédents de colonisation et des autres attributs personnels.

  (1650)  

    Lorsque la Direction générale de l'action contre le racisme a vu le jour en février 2016, nous ne partions pas de zéro. Notre travail s'appuie sur des décennies de recherches et de rapports comme le rapport final de la Commission de vérité et réconciliation, le rapport « Examen des causes de la violence chez les jeunes », et le « Rapport de Stephen Lewis sur les relations interraciales en Ontario ». Nous tablons beaucoup également sur la collaboration des intervenants locaux. Si le racisme systémique est maintenant un phénomène mieux connu, c'est beaucoup grâce aux efforts déployés par ces gens-là dans un souci de justice raciale.
    La direction générale a amorcé son mandat en organisant une série de 10 rencontres publiques dans différentes régions de l'Ontario, de Windsor jusqu'à Thunder Bay en passant par Ottawa, pour permettre aux Autochtones et aux autres personnes victimes de racisme d'avoir directement voix au chapitre. Le gouvernement ontarien nous a emboîté le pas en mars 2017 avec « Une meilleure façon d'avancer », son plan stratégique triennal contre le racisme. On y cible le racisme systémique en proposant la mise en oeuvre une approche qui guide les instances gouvernementales dans l'élaboration de politiques, de programmes et de services.
    La direction générale s'active maintenant dans l'ensemble du gouvernement pour veiller à ce que l'antiracisme s'inscrive dans chacune des actions entreprises. Nous croyons en effet qu'une démarche pangouvernementale fondée sur des faits probants peut contribuer dans une très large mesure à faire tomber les obstacles systémiques en favorisant une plus grande équité raciale. Notre plan stratégique nous trace une ligne de conduite que nous entendons bien suivre.
    La Loi contre le racisme adoptée par l'Assemblée législative le 1er juin 2017 est une autre mesure qui contribue grandement à faire en sorte que le travail entrepris puisse se poursuivre à long terme avec reddition de comptes au bénéfice de la population. C'est la première loi du genre au Canada. On y prévoit notamment la création de la Direction générale de l'action contre le racisme. La loi exige que le gouvernement s'assure de maintenir en oeuvre une stratégie antiracisme et de mobiliser les ressources communautaires dans le cadre de plans pluriannuels.
    La loi exige en outre l'établissement d'un cadre d'évaluation de l'impact de l'action contre le racisme, un outil qui permettra de mieux comprendre les causes profondes des barrières systémiques et de proposer des solutions pour les éliminer. Elle prévoit de plus l'établissement de normes et de lignes directrices relativement aux données fondées sur la race. Nous savons que la collecte de données est une première étape essentielle, car il est impossible sans cela de cerner le problème de fond et les changements qu'il convient d'apporter.
    Nous travaillons à l'établissement d'une norme devant régir la collecte, l'utilisation, l'analyse, la divulgation et la communication publique de ces données relatives à la race dans l'ensemble du gouvernement et de ses institutions. Ce cadre permettra de s'assurer que les données sont recueillies et utilisées de façon uniforme et que des mesures de protection de la vie privée sont mises en place pour empêcher toute utilisation inappropriée de renseignements personnels.
    Tout au long du processus d'élaboration, nous avons sans cesse mis à contribution les gens du ministère et nos partenaires communautaires de même que la Commission des droits de la personne de l'Ontario et le Commissaire à l'information et à la protection de la vie privée de l'Ontario en sollicitant leurs observations et leurs points de vue.
    Comme vous le savez, le discours et les sentiments antimusulmans n'ont cessé de prendre de l'ampleur depuis les événements du 11 septembre. Selon un rapport de Statistique Canada rendu public au début de l'année, les crimes haineux à l'encontre de musulmans ont augmenté de 61 % entre 2014 et 2015. C'est ce qu'indiquent également les sondages qui ont été menés. Un sondage réalisé en 2017 par Angus Reid révèle ainsi que 60 % des Canadiens conviennent que leurs compatriotes musulmans subissent beaucoup de discrimination au quotidien.
    Nous avons eu droit à un exemple tragique d'islamophobie plus tôt cette année lorsque six personnes ont été tuées lors d'une fusillade qui a fait également 19 blessés au centre islamique de Québec.
    Tout cela nous mène à conclure que l'islamophobie est un problème grave auquel il convient de s'attaquer de toute urgence. Le plan stratégique contre le racisme prévoit des initiatives visant directement l'islamophobie. L'un de nos impératifs stratégiques consiste à travailler en collaboration avec la communauté musulmane et ses dirigeants pour réagir à l'islamophobie et veiller à ce que la situation ne s'aggrave pas.
    Nous estimons pouvoir ralentir la montée actuelle de l'islamophobie en sensibilisant davantage les gens afin qu'ils comprennent mieux la situation. Nous collaborons en outre avec le ministère de l'Éducation et les conseils scolaires de telle sorte que les élèves de la maternelle jusqu'à la 12e année aient accès à de meilleures ressources éducatives visant à contrer l'islamophobie.
    Le ministère ontarien de la Sécurité communautaire et des services correctionnels s'emploie pour sa part à examiner les données recueillies et publiées par les services policiers sur les cas signalés d'islamophobie.
     L'honorable Michael Coteau, ministre délégué à l'action contre le racisme, a reconnu que l'islamophobie est un phénomène bien réel qui a des répercussions dévastatrices. Il comprend aussi à quel point il est important de faire montre de façon tangible d'un leadership misant sur l'intégration au sein de la communauté. C'est dans ce contexte qu'il a récemment mis sur pied le Groupe consultatif ministériel de lutte contre le racisme, lequel comprend un sous-comité qui se consacre exclusivement à l'islamophobie. Ce sous-comité nous fait bénéficier d'une perspective communautaire cruciale aux fins de la mise en oeuvre de notre plan stratégique. Le groupe fournira en outre des indications sur les causes et les conséquences de l'islamophobie en plus d'appuyer les initiatives de sensibilisation en la matière.
    Comme je l'ai indiqué précédemment, nous avons adopté une approche pangouvernementale, et ce ne sont là que quelques exemples des mesures prises un peu partout en Ontario.
    En conclusion, « Une meilleure façon d'avancer » procure à l'Ontario un plan d'action ciblé pour s'attaquer au racisme systémique et favoriser l'équité raciale. Je suis heureux de pouvoir vous dire qu'en août dernier, j'ai eu le privilège de prendre la parole devant le Comité des Nations Unies pour l'élimination de la discrimination raciale qui a reconnu que l'Ontario avait agi en véritable chef de file en se donnant un plan stratégique détaillé et un cadre législatif à cette fin.

  (1655)  

    Notre travail vient à peine de commencer, mais nous comptons bien poursuivre notre collaboration avec nos partenaires locaux pour que les changements nécessaires puissent être apportés au sein de nos institutions publiques dans le cadre d'une approche pangouvernementale.
    Je vous remercie.
    Merci, monsieur Erry.
    Nous passons maintenant à la période des questions, mais je dois vous prévenir que nous devrons nous limiter à un seul tour où chaque intervenant aura droit à sept minutes. Je demanderais à ceux parmi vous qui souhaitent partager leur temps avec un collègue de nous en aviser dès maintenant.
    J'invite par ailleurs les membres du Comité à bien vouloir patienter quelques instants à la fin de la séance, car nous devrons débattre de certaines questions à huis clos.
    Nous commençons du côté des libéraux avec Mme Dabrusin. Vous avez sept minutes.
    Mes questions s'adressent aux représentants du gouvernement ontarien.
    Je veux tous vous remercier, car j'estime important que les gens sachent tout ce que vous accomplissez dans ma province. Je trouve tout cela fort impressionnant.
    Monsieur Erry, je veux revenir à ce que vous venez de nous dire. Vous avez parlé d'une stratégie fondée sur la collecte de données probantes. J'ai pris connaissance de la lettre de mandat du ministre Coteau où il est question d'un outil d'évaluation de l'impact sur l'égalité raciale. Pouvez-vous nous dire en quoi cela consiste exactement?

  (1700)  

    Merci pour la question.
    Les Américains ont été les premiers à se servir d'un tel outil pour évaluer les impacts sur l'égalité raciale. Certains gouvernements progressistes des États-Unis l'utilisent déjà pour guider leurs décisions relatives à l'élaboration des politiques, des programmes et des budgets. C'est notamment le cas dans l'État de Washington et les villes de Portland et de Minneapolis.
    Comme cet outil a déjà fait ses preuves, nous l'avons examiné avec beaucoup d'intérêt en essayant de l'adapter au contexte ontarien.
    Il y a une ou deux choses importantes qu'il faut savoir concernant cet outil. Disons d'abord que nous avons tous des préjugés, autant dans notre vie personnelle que professionnelle, suivant les schémas sociaux auxquels nous avons été habitués et le contexte de travail dans lequel nous évoluons. Cet outil permet à chacun de mieux comprendre ses propres préjugés.
    Lorsque le gouvernement envisage de réviser une loi ou une politique ou d'en élaborer de nouvelles, il devrait utiliser cet outil dès le départ. Pour les décideurs, cela ne représente pas une étape supplémentaire, car l'outil s'inscrit très bien dans le cycle d'élaboration des politiques des instances publiques canadiennes. L'outil nous permet donc de mieux comprendre nos préjugés.
    Il nous permet en outre de mieux les comprendre dans le contexte de la mobilisation des différentes parties prenantes. Bien des gens en auraient beaucoup à dire au sujet de nombreux enjeux, mais le processus en place ne permet pas que leurs voix soient entendues, car nous nous tournons généralement vers un certain groupe d'interlocuteurs seulement. Cet outil est donc doté de mesures visant à favoriser la mobilisation à grande échelle de telle sorte que ces voix muselées ou marginalisées puissent avoir vraiment leur mot à dire quant aux impacts d'une politique ou d'un programme donné.
    Avez-vous un document qui décrit cet outil ou son fonctionnement et, si oui, pourriez-vous nous le transmettre?
    Certainement.
    En Ontario, étant donné que nous devons être différents, nous allons la nommer l'évaluation de l'impact de l'action contre le racisme.
    Merveilleux.
    Je regardais votre plan stratégique. On y trouve les points de données dont vous avez parlé. J'imagine que c'est encore à l'étape du développement. Pour nous attaquer aux inégalités raciales, vous dites que nous avons besoin de meilleures données désagrégées et fondées sur la race, et vous avez parlé du processus de collecte. Est-il déjà en place? Avez-vous déjà commencé à amasser ces données?
    Comme je l'ai dit, nous en sommes encore au tout début. Sans données, on ne peut pas cerner le problème, encore moins trouver une solution. Nous devons tenir une discussion fondée sur des données probantes afin que les décideurs sachent exactement où se trouve le problème et, par conséquent, fassent les bons investissements en vue d'y remédier.
    Nous sommes en train d'établir une norme relative aux données fondées sur la race qui décortique bon nombre des catégories qu'utilise actuellement Statistique Canada. Par exemple, il ne suffit plus de dire que vous êtes une personne noire; vous devez préciser que vous êtes d'origine africaine continentale, antillaise... Nous allons créer des sous-catégories afin de mieux comprendre les données démographiques pour ensuite cerner le problème.
    Pour répondre à votre question, nous sommes en train d'élaborer une norme pilote, en collaboration avec nos ministères partenaires des domaines de la santé, de la justice, des services à l'enfance et à la jeunesse et de l'éducation. Lorsque ce projet sera terminé, nous pourrons formuler nos meilleures recommandations au ministre Coteau et au gouvernement.
    Auriez-vous des lignes directrices qui expliquent ce sur quoi repose cette norme pilote afin que nous puissions avoir une idée de la façon dont vous recueillez cette information?
    M. Sam Erry: Bien sûr.
    Mme Julie Dabrusin: Ce serait formidable.
    Vous avez parlé de l'importance de reconnaître l'intersectionnalité. Lorsque vous recueillez des données, comment vous y prenez-vous pour mesurer cet aspect? Est-ce que vous en tenez compte dans le cadre de la sélection de vos données désagrégées en général?
    Oui. Selon la façon dont les catégories sont constituées, nous veillons à ce que toutes les dimensions raciales soient couvertes, ou du moins, le plus possible. La race est un élément complexe et un concept social, alors nous devons également nous pencher sur les données fondées sur l'identité. Notre ministère des Services à l'enfance et à la jeunesse est également en train d'élaborer un cadre fondé sur l'identité. Les deux se complèteront mutuellement, et ainsi, nous nous assurerons de couvrir le plus de terrain possible...
    Pourriez-vous nous remettre également ce document sur le cadre fondé sur l'identité? J'aimerais bien en avoir une copie.

  (1705)  

    Si vous en faites la demande à la présidence, nous le distribuerons à tout le monde. Merci.
    Je sais que mon ami M. Vandal avait une question également. Il lui reste environ une minute et demie.
     Madame Mandhane, vous avez parlé de l'origine de la motion M-103 et de certaines des discussions entourant cette motion. Je sais que beaucoup de gens ont appelé la députée qui a proposé cette motion. Elle a même reçu des menaces. J'ai moi aussi reçu beaucoup d'appels de gens qui croyaient que leur liberté d'expression était en péril.
    D'où vient cette réaction? Pourquoi les gens étaient-ils convaincus que la charia allait être appliquée prochainement? Pourquoi les gens étaient-ils aussi secoués ou se sentaient-ils autant menacés? Qu'en pensez-vous?
    Vous avez 40 secondes pour répondre, madame Mandhane.
    Chaque fois qu'on parle d'islamophobie ou de racisme antimusulman, on en vient rapidement à se demander si cela limite la liberté de critiquer une religion. Je pense qu'il est très important que nous puissions être libres de partager nos idées, de critiquer la religion et de développer notre propre identité canadienne. Souvent, ce sont des distractions qui nous détournent de notre principal objectif, qui est d'aller de l'avant et d'adopter les types de politiques et de programmes qui ont été mis en place en Ontario.
    Je vous prierais de m'avertir lorsque vous partagez votre temps. Autrement, on se trouve à dépasser le temps alloué, ce qui pose problème car nous devons quitter la salle à une heure précise.
    Merci.
    Je cède maintenant la parole à David Anderson, du Parti conservateur.
    Madame la présidente, je vais partager mon temps avec mes deux collègues, et nous verrons comment cela se déroule. Mes questions seront relativement brèves.
    Si vous souhaitez diviser votre temps en trois, vous disposerez de deux minutes chacun.
    Merci à nos témoins d'être ici aujourd'hui.
    Madame Mandhane, notre motion traite de racisme systémique et de discrimination religieuse. Dans votre mémoire, vous dites qu'« on a donné le nom d'« islamophobie » à une nouvelle forme de racisme qui sévit au Canada ». Utilisez-vous les termes « racisme » et « discrimination religieuse » de façon interchangeable? Faut-il présumer que ces deux notions sont inclusives?
    Je crois que le racisme et la discrimination religieuse sont deux concepts distincts pour certaines personnes, mais lorsqu'il est question d'islamophobie, c'est souvent à la race que les gens réagissent. J'ai moi-même été victime d'islamophobie. Je ne suis pas musulmane, mais les gens réagissent à ma race. Je pense que c'est la raison pour laquelle on mélange les deux. Toutefois, je ne crois pas qu'il faille les dissocier, parce que la plupart des personnes racialisées font l'objet de discrimination d'une façon intersectionnelle, soit parce qu'elles sont des femmes, parce qu'elles sont jeunes ou âgées, etc., et de toute façon, tout ce que nous proposons vise à lutter contre toutes ces formes de racisme et de discrimination.
    Je ne suis pas d'accord, parce que nous avons découvert, dans le cadre de ce débat, qu'il était important de bien définir ces notions, de façon à ce que les Canadiens comprennent ce dont il est question ici.
    Comment composez-vous avec des droits concurrents? Nous voyons cela de plus en plus au sein de la société, les questions de laïcité, entre autres, mais quels sont les principes que vous utilisez?
    En fait, nous avons une politique de 50 pages sur le sujet. Je serais heureuse de la faire parvenir à la présidente, parce que nous avons un protocole à suivre pour évaluer les différents droits et parvenir à un compromis.
    Très bien. J'aimerais bien voir ce document.
    Vos deux minutes sont écoulées.
    Monsieur Sweet, la parole est à vous.
    Je vous remercie de votre témoignage.
    J'ai été ravi d'entendre parler de cet outil de collecte de données. C'était en fait une recommandation de la Coalition parlementaire de lutte contre l'antisémitisme en 2011. Je sais qu'il existe de très bons modèles et que des gens sont déjà en train de recueillir des données sur les universités et de collaborer avec les organismes d'application de la loi.
    Vous avez parlé d'un outil « pour les voix muselées ou marginalisées ». La commissaire a indiqué que nous ne voudrions pas être entravés dans nos efforts parce que nous cherchons des termes pour définir le racisme. Je pense que les musulmans qui ont formé Muslims against M-103 pourraient être considérés comme des voix muselées ou marginalisées. Il y a une personne qui a témoigné juste avant vous. Leurs voix ne devraient-elles pas être légitimement entendues?

  (1710)  

    Merci pour votre question.
    J'aimerais préciser le contexte dans lequel j'ai fait cette observation. Je vantais les mérites de cet outil d'évaluation de l'impact de l'action de lutte contre le racisme. Il s'agit ici de la façon dont on mobilise les diverses communautés, que ce soit par la communication de renseignements ou le renforcement de l'autonomie, ou tout ce qui se trouve entre les deux. L'Ontario a mis au point un cadre de participation du public. Cela dit, si vous souhaitez que tous les membres de la société contribuent à alimenter le débat, il y a différents moyens d'utiliser cet outil.
    Il s'agit d'une minorité au sein d'une minorité qui a l'impression d'être mise de côté et de ne pas être entendue. Est-ce un groupe légitime que nous devons entendre?
    Je pense que tous les groupes sont légitimes et méritent d'être entendus. C'est ce à quoi servira cet outil. Il permettra à ceux qui ne...
    S'ils craignent que la définition d'islamophobie soit utilisée contre eux, ne devrait-on pas les écouter? Est-ce que cela nous retarderait de façon déraisonnable? Ne devrions-nous pas faire les choses correctement, puisqu'il s'agit de racisme?
    Cet outil est inclusif et vise à réunir le plus de perspectives possible autour de la table. C'est d'ailleurs ce que l'on recherche lorsqu'on élabore des politiques, des programmes ou des services. Cet outil ne vise aucunement à exclure qui que ce soit. Le but est de réunir et de comprendre tous ces différents points de vue, ce qui nous aide dans le cadre du processus d'élaboration des politiques.
    Il est important que tous comprennent le terme.
    Nous ne sommes pas des experts absolus, mais je crois que la sémantique peut nous entraîner dans de nombreuses directions. Il est ici question de haine envers les musulmans et ainsi de suite.
    Je suis d'accord. Je pense que ce terme est très prudent et, ici, on est très loin de ce qu'évoque l'« islamophobie » chez cette communauté au sein de la communauté musulmane ici au Canada.
    Absolument.
    Monsieur Reid, vous avez deux minutes.
    Merci.
    J'ai l'impression d'interrompre une réponse que vous alliez donner, monsieur Erry, alors si vous trouvez le moyen d'y répondre dans le cadre de ma question, n'hésitez pas à le faire.
    Ma question porte sur le concept de la racialisation. La racialisation part du principe que la race est un concept social, ce qui a été prouvé par la génétique moderne. Cela n'était probablement pas évident avant qu'on comprenne le fonctionnement des gènes. Cela soulève tout de même une question. Lorsque vous essayez de recueillir des données mesurables, vous devez avoir un cadre objectif. Si vous voulez savoir, par exemple, combien de personnes sont au-dessus ou en dessous d'une certaine grandeur, vous utiliserez une mesure objective. Ici, on traite de quelque chose de tout à fait subjectif, en lien avec la façon dont on s'identifie ou dont on est perçu par les autres. Comment s'y prend-on alors?
    Je vous remercie pour cette excellente question.
    Nous avons fait appel à trois professeurs de l'Université York qui sont des experts en la matière et qui nous ont aidés à établir cette norme fondée sur la race. Ils ont examiné la situation dans diverses instances, à l'échelle internationale, afin de trouver la meilleure façon d'aborder la question et d'avoir cette discussion. Nous en sommes arrivés à un projet de norme qui présente une série de catégories qui, à vrai dire, nous permettent d'avoir une nomenclature du XXIe siècle et non pas du XIXe siècle, comme c'est le cas depuis longtemps. C'est la première chose.
    À cela nous ajoutons des concepts tels que l'intersectionnalité. Nous ajoutons également l'information fondée sur l'identité. Tout cela est lié à... Étant donné que la norme vise non seulement la collecte de l'information, mais aussi l'utilisation et l'analyse de cette information, l'une des questions qu'on se pose, par exemple, concernant la communauté noire dans le cadre de notre stratégie de lutte contre le racisme envers les noirs, c'est comment peut-on arriver à réduire les disparités?
    Je ne veux pas paraître trop théorique ici, mais il y a divers modèles et formules mathématiques qui disent que, compte tenu de cet ensemble de données et de la situation actuelle, si on veut résoudre ce problème, il y a des indices de disparité et ainsi de suite. Il y a des données scientifiques à l'appui et des spécialistes qui se penchent là-dessus. On trouve beaucoup de bons exemples dans les villes américaines dont j'ai parlé plus tôt.
    Ce n'est pas une science exacte. Au fond, tout ce que nous voulons, c'est adopter une nouvelle méthodologie et un cadre qui reconnaît la société d'aujourd'hui. Nous nous penchons ensuite sur ces disparités afin de déterminer comment nous pouvons les éliminer. Il y a une façon très calculée de s'attaquer à cela. On se sert de ces données dans le contexte des programmes, des investissements, etc., en vue de réduire les disparités.

  (1715)  

    Merci, monsieur Erry.
    Nous avons dépassé le temps alloué, alors je cède maintenant la parole à Jenny Kwan. Vous avez sept minutes.
    Je tiens à remercier tous les témoins de leurs exposés.
    Madame la commissaire, j'ai particulièrement aimé votre exposé. Dans le cadre de vos recommandations, vous avez indiqué qu'il était maintenant temps pour nous d'appliquer une perspective de lutte contre le racisme au sein de tous les ministères gouvernementaux. J'aimerais que vous nous expliquiez comment les gouvernements pourraient mettre en oeuvre une telle recommandation.
    Ce qui est intéressant, selon moi, c'est que l'analyse comparative entre les sexes est désormais très répandue autant au Canada qu'ailleurs dans le monde. Comme l'ont dit les autres témoins, l'idée est de commencer à examiner les politiques et à anticiper les effets disparates qu'elles peuvent avoir sur les différentes communautés dès le départ plutôt que d'attendre qu'ils se concrétisent.
    Comment s'y prend-on? Premièrement, il faut consulter les communautés. Nous devons connaître leurs préoccupations et savoir ce qu'elles souhaitent voir en place à l'avenir. Lorsqu'on parle du bien-être des enfants et de la prise en charge disproportionnée, les données vous donneront un indice, mais vous ne connaîtrez pas les véritables causes, c'est pourquoi il est important d'avoir ces discussions avec les communautés pour cerner leurs préoccupations et ensuite mettre au point un outil qui vous permettra d'évaluer les politiques et les programmes à l'égard des préoccupations et des disparités relevées.
    Comme Sam l'a mentionné, ce sont des outils très techniques. Il y a des gens qui mettent au point ces outils. C'est leur spécialité. Nous recommandons de privilégier une approche fondée sur des données probantes afin d'aller droit au but et de déterminer comment réduire concrètement les disparités qui existent.
    Dans cette optique, étant donné que divers rapports et données révèlent, par exemple, des disparités au chapitre des impacts financiers et économiques, particulièrement pour les immigrants, j'aimerais que vous nous disiez ce que vous en pensez. L'un des véritables problèmes, c'est que ces impacts sont à long terme, et non pas seulement à court terme. Plus récemment, un de mes concitoyens m'a parlé des effets intergénérationnels. Les conséquences dépassent les préjudices moraux. J'aimerais que vous m'en disiez davantage à ce sujet.
    Oui. Je pense que le rapport de la CDR nous a donné la possibilité, en tant que Canadiens, de mieux comprendre le traumatisme intergénérationnel et les impacts qui en découlent. Je pense que nous commençons à comprendre ce qu'a été le traumatisme intergénérationnel de l'esclavage aux États-Unis et au Canada également.
    Il est très important de comprendre qu'il y a des préjudices mesurables moins évidents liés au racisme. On parle ici d'exclusion sociale et économique, mais certaines études montrent qu'il y a des torts psychologiques et physiques attribuables à l'exposition soutenue au racisme. Il faut aller au-delà de ces préjudices et commencer à reconnaître que cela nuit à l'ensemble de la société. Cela a une incidence sur notre économie et le sentiment d'appartenance de la population, ce qui est essentiel à notre sécurité.
    Simplement pour en venir aux recommandations, il y avait un plan d'action du Canada contre le racisme. Il est maintenant arrivé à son terme. Son évaluation n'a pas eu beaucoup de suites. Dans votre recommandation, vous glissez rapidement dessus. Recommanderiez-vous que le gouvernement renouvelle et actualise ce plan d'action, puis le dote des ressources nécessaires? Nous pouvons bien nous donner tous les plans que nous voudrons, si nous les privons des ressources pour les exécuter, ils sont sans valeur.
    Le dernier plan remontait à 2005. Il avait donc besoin d'être actualisé. Je pense que l'importance réelle de ces plans réside dans le fait que le gouvernement y fixe des points de comparaison pour ses rapports publics sur les progrès réalisés. Beaucoup de plans semblent merveilleux, mais faute de ressources et sans engagement à l'égard de la transparence des étalons de mesure des progrès, le public comprend difficilement leur valeur et notre évolution. Il faut une initiative à plus long terme.

  (1720)  

    Pour aller plus loin, nous affirmons la nécessité d'agir à l'échelle nationale, celle, donc, d'un plan national. L'Ontario a des programmes en place et ainsi de suite. Diriez-vous que le gouvernement fédéral doit agir en amont avec toutes les provinces et les territoires pour un plan national qui soit cohérent et cohésif?
    Oui. Je pense même qu'en réunissant tous les ministres de la Justice ou les ministres chargés des droits de la personne ou de la lutte contre le racisme pour qu'ils discutent de leurs sujets communs de préoccupation et d'une stratégie nationale pour y répondre après concertation, en se fondant les faits, le gouvernement pourrait véritablement se vanter d'une grande réussite. Comme beaucoup d'entre vous le savent, la dernière rencontre fédéro-provinciale-territoriale sur les droits de la personne a eu lieu il y a plus de 30 ans. Voilà un moyen concret par lequel le gouvernement fédéral peut donner le ton.
    Nous parlons beaucoup des expériences vécues, et beaucoup ne sont même pas publiées.
    Monsieur Erry, vous avez parlé de collecte de données et ainsi de suite. Comment trouver des façons de valider les vécus pour ainsi dire invisibles, cependant très réels, qui se déroulent sur le terrain? Comment aussi nous attaquer aux problèmes qui se manifestent dans les réseaux sociaux? Il s'y propage tellement de haine et de racisme, et c'est si difficile à combattre. Avez-vous des idées ou des conseils?
    Je pose la question à M. Erry et à la commissaire.
    Je crains qu'il ne vous reste plus que 30 secondes pour répondre.
    Je dirai seulement qu'il importe vraiment, alors que le gouvernement se dirige vers la collecte de données quantitatives, d'analyser aussi les qualitatives, les tranches de vie qui y sont racontées. Sinon, ces données risquent d'être analysées d'une manière qui ne cadrera pas avec les expériences vécues, et nous ne pouvons pas perdre de vue l'adoption d'une perception totalement empirique du racisme. À moins de tenir compte du vécu des gens, nous ne pourrons pas comprendre utilement les données.
    Merci beaucoup.
    Le dernier intervenant de la série, M. Virani, dispose de sept minutes.
    Je remercie tous les invités. Je suis heureux de voir parmi eux un électeur de ma circonscription. J'ai pour Mme Mandhane des questions qui font suite à celles que vient de poser Mme Kwan.
    Pouvez-vous nous entretenir un peu d'organes particuliers de presse, des nouvelles alternatives ou truquées et de leur contribution au climat actuel? Comment pouvons-nous raffermir la cohésion sociale en nous attaquant à certains de ces médias tout en respectant ce que vous appelez le libre marché des idées, qui, je pense, est une idée importante et chérie?
    D'abord, chacun de nous, chaque institution, chaque dirigeant doit réagir par ses propres récits et ses propres opinions. Le terme « racisme » nous fait peur, mais nous devons oser et riposter. Je dois reconnaître que nous vivons dans une époque nouvelle où les idées de chacun ont un poids égal. Dans les médias sociaux, on oublie facilement que ces vociférations représentent rarement la majorité des Canadiens. Comment faire pour que la majorité des Canadiens, pas seulement ceux qui sont racialisés, puissent exprimer ses préoccupations à l'égard du racisme, de l'exclusion et de la prospérité économique?
    Je pense que le gouvernement possède la latitude pour appliquer les lois qu'il a adoptées contre la haine. Leur application sous le régime du Code criminel a été très timide. Je pense que pour éviter ce qui se passe aux États-Unis, nous devons vraiment commencer à réfléchir à une définition de la haine qui tient compte du vécu de ses victimes.
    Sur ce point, précisément, puisqu'un bon nombre de juristes sont ici réunis, nous avons entendu et continuerons d'entendre des témoignages sur l'incitation à la haine et sur la nécessité du consentement du procureur général pour porter cette accusation. Qu'en pensez-vous, vous les témoins?
    J'en ai discuté avec notre procureur général ainsi que de la nécessité, pour nos élus, d'oser dénoncer la haine dont ils sont les témoins. Les juristes savent que si nous n'adoptons jamais la loi, rien ne changera. Quant aux inquiétudes découlant de la définition très étriquée de la « haine » dans la vieille jurisprudence d'il y a 20 ans, nous sommes dans une ère nouvelle et nous devons employer les outils qui existent déjà, que le Parlement a acceptés, pour contester la haine très réelle dont nous sommes les témoins, non seulement dans les médias, mais, de manière générale, en ligne et ailleurs.

  (1725)  

    Votre collègue Azmi est venu dans ma circonscription assister à une assemblée publique. J'ai assisté à d'autres manifestations depuis, où j'ai personnellement eu l'impression — j'ignore si d'autres l'ont ressentie — que ceux qui ont des opinions extrêmement critiques s'enhardissent. On fait des enregistrements vidéo, on pose des questions agressives, c'est presque de l'intimidation de la part de ceux qui expriment des opinions extrêmes. Qui, d'après vous, alimente cette attitude? Quelle en est la cause? M. Juneau-Katsuya a amplement témoigné, dans le groupe antérieur de témoins, sur la nécessité, pour les élus, de prendre l'initiative de combattre ce genre de problèmes. Qu'est-ce qui encourage les gens à épouser des opinions extrêmes et à les exprimer très librement? Comment combattre le phénomène? La réponse est-elle réservée aux élus ou y a-t-il d'autres réponses appropriées?
    Je pense qu'une sorte de réponse se trouve à divers niveaux. Les misogynes, les homophobes, les racistes, il y en a toujours. Il y a quelque chose dans l'air qui les pousse aujourd'hui à sortir et à exprimer leurs opinions plus bruyamment qu'à l'habitude, parce que, jusqu'à maintenant, ils ont agi en peureux et ils se sont cachés. Il est indispensable que ceux qui occupent des postes de direction, les élus ou les autres, les dirigeants d'entreprises se manifestent, parlent, disent la vérité, dénoncent ces gens. Chacun de nous, individuellement, doit réfléchir à ses propres valeurs et se demander si ça y correspond ou si ça correspond à des opinions qu'on peut tolérer, puis se lever et s'attaquer au problème. Je pense que nous avons tous le pouvoir de nous en occuper. Contre les plaisanteries occasionnelles, sur le sujet, de membres de notre famille ou dans d'autres circonstances, nous devons personnellement réagir et nous responsabiliser à l'égard de ce problème. La lutte contre le racisme est l'affaire de tous, pas seulement du bureau contre le racisme.
    Je pense que c'est dans l'air, mais pour répondre à votre question précédente aussi, nous devons vraiment réfléchir à l'instruction et à la sensibilisation du public, y réfléchir en tenant beaucoup compte des faits et faire flèche de tout bois pour relever le niveau de conscience dans le pays, la province, en intervenant surtout pendant l'enfance. En tout respect, nous avons attendu trop longtemps pour en parler. Nous devons en parler dès la première année à l'école et par la suite aussi, parce que beaucoup de haine se répand dans les cours de récréation. Je vis à Markham, en Ontario, et j'ai été horrifié de voir des croix gammées et le sigle du Ku Klux Klan peints à la bombe aérosol sur, figurez-vous, une glissoire. Vous savez que les auteurs ne sont pas les écoliers, mais que quelqu'un l'a fait. Nous devons agir tôt et nous responsabiliser personnellement à ce sujet aussi.
    Puis-je seulement poser trois petites questions? D'abord, pouvez-vous nous communiquer le document intitulé A Better Way Forward? Vous l'avez déjà fait?
    Nous l'avons distribué.
    D'accord. Dans ce cas, deux questions.
    D'autres provinces s'intéressent-elles à ce que fait la direction générale de la lutte contre le racisme en Ontario?
    Madame Mandhane, comme les crimes haineux contre les Juifs et les musulmans sont plus fréquents, croyez-vous qu'il existe un rôle pour le dialogue interconfessionnel et qu'il faille le diriger contre cette forme nouvelle et des plus violentes de discrimination?
    L'Alberta et le Québec se sont adressés à nous et sont désireux de suivre cette démarche particulière. Ils réfléchissent à la possibilité d'élaborer avec nous un plan semblable qui, bien sûr, tiendrait compte de leur contexte respectif.
    Concernant le dialogue interconfessionnel, il est sûr que je vois de la force dans la solidarité. C'est toujours vrai. Les plus grandes victoires pour les droits de la personne ont été remportées par des alliances qui transcendaient les identités de chacun. J'ai vu la puissance que ça représentait. Il existe beaucoup de groupes interconfessionnels, particulièrement musulmans et juifs. Voilà le genre de subventions communautaires dont je parle, qui stimulent ces dialogues nouveaux et qui leur permettent d'avoir lieu dans l'espace public, pour neutraliser celui qui a été revendiqué par les partisans de la haine et de l'exclusion.
    Je tiens à remercier les témoins d'être venus, de nous avoir accordé leur temps et d'avoir su intéresser les membres de notre comité. Je tiens à vous remercier.
    Avant que les membres de notre comité ne se séparent, je tiens à régler une question qui les concerne et qui n'a pas besoin du huis clos. Il s'agit de la vice-présidence des conservateurs. Nous avons un nom.
    Monsieur Anderson.

  (1730)  

    Je propose le nom de M. Peter Van Loan.
    M. David Anderson propose l'élection de M. Peter Van Loan au poste de premier vice-président du Comité.
    Y a-t-il d'autres motions? Apparemment pas. Plaît-il au Comité d'adopter la motion?
    Des députés: Oui.
    (La motion est adoptée.)
    Le greffier: Je déclare la motion adoptée et M. Peter Van Loan dûment élu premier vice-président du Comité.
    Merci.
    Je voudrais recevoir une motion pour lever la séance, s'il vous plaît. Monsieur Anderson.
    Je la propose.
    Merci.
    La séance est levée.
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